Décision

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Droit de la famille — 25868

2025 QCCA 815

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-031141-245

(500-04-074892-192)

 

DATE :

 19 juin 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

S… W…

APPELANT – défendeur

c.

 

G… M…

INTIMÉE – demanderesse

 

et

DIRECTRICE DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

MISE EN CAUSE – mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

MISE EN GARDE : Interdiction de divulgation ou diffusion : le Code de procédure civileC.p.c. ») interdit de divulguer ou diffuser tout renseignement permettant d’identifier une partie ou un enfant dont l’intérêt est en jeu dans une instance en matière familiale, à moins que le tribunal ou la loi ne l’autorise ou que cette divulgation ou diffusion ne soit nécessaire pour permettre l’application d’une loi (art. 16 C.p.c.).

  1.                 L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 26 juin 2024 qui rejette sa demande de modification du temps parental des parties et prononce la déchéance de son autorité parentale[1]. 
  2.                 Essentiellement, la juge de première instance conclut que la déchéance de l’autorité parentale s’impose, car elle estime qu’il subsiste un risque (i) que l’enfant soit exposé à de la violence familiale dans le futur et (ii) que les symptômes psychologiques développés par la mère à la suite de la violence dont elle a été victime persistent tant qu’elle sera contrainte d’entretenir des contacts avec l’appelant en raison de leurs obligations conjointes à l’égard de leur enfant. La juge est d’avis qu’un tel scénario n’est pas dans l’intérêt de l’enfant.
  3.                 Pour les motifs qui suivent, il y a lieu d’intervenir. La déchéance de l’autorité parentale demeure une mesure drastique de protection de l’enfant qui ne devrait servir qu’en dernier recours. Malgré le passé de l’appelant, elle ne s’impose pas dans les circonstances du présent dossier.

LE CONTEXTE

  1.                 Les parties se rencontrent en 2017 alors qu’elles travaillent toutes deux en milieu hospitalier. L’intimée, qui habite alors chez sa mère, a un fils issu d’une union précédente.
  2.                 Les abus physiques et psychologiques envers l’intimée débutent dès le début de la relation. L’appelant admet d’ailleurs l’ensemble des actes de violence que lui reproche l’intimée, tout comme il reconnaît ceux qu’il aurait commis par le passé à l’égard d’autres conjointes.
  3.                 Le fils des parties, X, nait le [...] 2019. Les actes de violence commis à l’encontre de la mère se poursuivent après la naissance. L’appelant ne s’en prend pas physiquement à l’enfant, bien que la preuve révèle de la violence prenant la forme de menaces et d’injures proférées avant la naissance de l’enfant et dans ses premiers mois de vie, pendant la vie commune des parties.
  4.                 Le 11 mai 2019, la mère de l’intimée intervient. Elle dénonce la situation aux autorités et exige que l’appelant quitte la résidence familiale. Celui-ci est arrêté le 14 mai 2019 avant d’être libéré le lendemain, à la condition de ne pas contacter l’intimée et d’entreprendre une thérapie.
  5.                 Le 20 septembre 2019, une entente intervient relativement aux droits d’accès à l’enfant. L’appelant pourra voir son fils sur une base hebdomadaire dans un centre supervisé. Ces visites supervisées se poursuivent sur une période de quatre ans, sous réserve des quelques mois durant lesquels l’appelant est incarcéré.
  6.                 Le [...] 2021, la nouvelle conjointe de l’appelant donne naissance à leur fils, Y.
  7.            L’appelant plaide coupable aux accusations de voies de fait à l’encontre de l’intimée et, le 13 mai 2021, se voit imposer une peine de douze mois de détention.
  8.            Le 13 octobre 2021, l’appelant obtient sa libération conditionnelle et intègre une maison de transition. Il explique avoir choisi de demeurer sept mois en maison de transition plutôt que d’attendre sa libération d’office afin de pouvoir bénéficier des thérapies offertes, de travailler pour payer la pension alimentaire pour ses fils et d’exercer ses droits d’accès sous supervision durant cette période.
  9.            Sa relation avec sa nouvelle conjointe se termine en avril 2022. Une entente intervient toutefois concernant les droits d’accès à Y. La mère conserve la garde ainsi que le droit de prendre les décisions importantes concernant son éducation et son état de santé. L’appelant exerce des droits d’accès, non supervisés, dont la fréquence et la durée augmentent graduellement avec le temps. Au moment du procès, il voit son fils Y une journée par semaine et va le chercher au moins un soir par semaine à la garderie. Il a pu garder Y pour la nuit à quelques occasions.
  10.            Le 11 octobre 2022, le juge Jeffrey Edwards rejette une demande de l’appelant visant à lever la supervision lors de l’exercice de ses droits d’accès à X, mais élargit ceux-ci à deux fois par semaine, toujours dans un centre supervisé.
  11.            Le 14 août 2023, dans le cadre de la demande de modification du temps parental de l’appelant en vue de la levée de la supervision et de l’élargissement de ses droits d’accès, qui a donné lieu à la demande de déchéance de l’autorité parentale de l’intimée et au jugement entrepris, la juge Chantal Masse entérine pour une durée de 6 mois une entente intérimaire intervenue entre les parties prévoyant que l’appelant peut voir X pour une durée de 4 heures au domicile des grands-parents paternels et sous la supervision de la grand-mère maternelle. Il doit également se soumettre à des tests capillaires aux fins de détection d’alcool ou de drogue. Ces accès supervisés se sont bien déroulés, comme on le verra plus en détail plus loin.
  12.            La juge de première instance est donc saisie à la fois de la demande en modification du temps parental de l’appelant et de la demande en déchéance de l’autorité parentale présentée en réplique par l’intimée.

LE JUGEMENT ENTREPRIS

  1.            La juge de première instance rejette la demande de l’appelant et accueille celle de l’intimée en déchéance de l’autorité parentale.
  2.            Elle énonce les principes applicables à la déchéance de l’autorité parentale en rappelant qu’il revient au parent qui demande cette déchéance de démontrer l’existence d’un motif grave et l’intérêt de cette mesure pour l’enfant.
  3.            Elle rappelle ensuite que la Loi sur le divorce[2] ainsi que l’article 606 du Code civil du Québec énoncent que la présence de violence familiale est un facteur dont le juge doit tenir compte dans son analyse de l’intérêt de l’enfant.
  4.            Elle précise que la déchéance ne doit pas être octroyée à titre de sanction contre le parent fautif, mais comme une mesure de protection pour l’enfant.
  5.            Au niveau de la preuve, elle retient que la mère souffre d’un syndrome de stress post-traumatique des suites des actes de violence dont elle a été victime. La juge estime, en référant au témoignage d’une intervenante psychosociale spécialisée en violence conjugale, que les symptômes de la mère continueront à se manifester si elle demeure en contact avec l’appelant. Or, selon elle, une telle situation n’est pas dans le meilleur intérêt de l’enfant.
  6.            La juge examine le comportement passé de l’appelant. Elle se penche sur l’appréciation de la crédibilité de ce dernier, faisant siennes les conclusions du juge chargé d’imposer une peine à l’appelant en 2021, soit trois (3) ans avant l’instruction. Elle énumère aussi les démarches entreprises par l’appelant pour faire face à ses enjeux de consommation et de violence.
  7.            Tout en reconnaissant l’existence d’un lien affectif entre l’appelant et son fils, elle estime que cela n’est pas suffisant pour rejeter la demande en déchéance, l’appelant ne l’ayant pas convaincue de sa réhabilitation. Elle lui reproche notamment de ne pas avoir fait témoigner la mère de Y, de ne pas avoir convoqué certains intervenants impliqués dans son suivi et de ne pas avoir déposé de rapport d'expertise psychosociale attestant de ses capacités parentales. Elle conclut que le seul écoulement du temps ne lui permet pas de conclure que l’enfant ne court aucun risque d’être exposé à de la violence familiale si des contacts avec son père sont maintenus. Elle met également l’accent sur l’impact du maintien de tels contacts sur l’intimée.
  8.            Pour ces motifs, elle rejette la demande de l’appelant en vue de l’élargissement de ses droits d’accès et la levée de leur supervision et le déchoit de son autorité parentale.

LES MOYENS D’APPEL

  1.            L’appelant reproche essentiellement à la juge d’avoir erré dans son analyse des motifs graves et de l’intérêt de l’enfant justifiant la déchéance.

L’ANALYSE

  1.      Le droit applicable
  1.            Il ne fait aucun doute que la présence de violence conjugale ou familiale est un élément important à considérer dans l’évaluation de l’intérêt de l’enfant, que ce soit au niveau de l’octroi de droits d’accès ou, comme en l’espèce, dans le cadre d’une demande de déchéance de l’autorité parentale du parent violent.
  2.            La présence de violence familiale fait partie des facteurs devant être soupesés par le tribunal appelé à se prononcer sur l’intérêt de l’enfant en vertu de la Loi sur le divorce. L’article 16 de cette loi oblige le tribunal à examiner les effets de cette violence notamment « sur la capacité et la volonté de toute personne ayant recours à la violence familiale de prendre soin de [l’enfant] et de répondre à ses besoins »[3].
  3.            Le Code civil a récemment été modifié[4] afin d’incorporer la notion de violence familiale parmi les éléments pertinents dans l’analyse de l’intérêt de l’enfant. Cette notion englobante regroupe notamment la violence conjugale et la violence sexuelle :

33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

 

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial, incluant la présence de violence familiale, y compris conjugale, ou de violence sexuelle, ainsi que les autres aspects de sa situation.

 

[Soulignements ajoutés]

33. Every decision concerning a child shall be taken in light of the child’s interests and the respect of his rights.

 

Consideration is given, in addition to the moral, intellectual, emotional and physical needs of the child, to the child’s age, health, personality and family environment, including the presence of family violence, which includes spousal violence, or sexual violence, and to the other aspects of his situation.

[Emphasis added]

  1.            La présence de violence familiale peut également constituer un motif de déchéance de l’autorité parentale :

606. La déchéance de l’autorité parentale peut être prononcée par le tribunal, à la demande de tout intéressé, à l’égard des père et mère ou des parents, de l’un d’eux ou du tiers à qui elle aurait été attribuée, si des motifs graves et l’intérêt de l’enfant justifient une telle mesure, notamment en raison de la présence de violence familiale, y compris conjugale, ou de violence sexuelle.

 

 

La déchéance est cependant prononcée à l’égard d’une personne lorsqu’un jugement passé en force de chose jugée reconnaît sa culpabilité pour une infraction criminelle à caractère sexuel impliquant un enfant ou reconnaît sa responsabilité pour un préjudice résultant d’un acte pouvant constituer une telle infraction, à moins qu’il ne soit démontré qu’une telle mesure irait à l’encontre de l’intérêt de l’enfant de cette personne.

 

Si la situation ne requiert pas l’application d’une telle mesure, mais requiert néanmoins une intervention, le tribunal peut plutôt prononcer le retrait d’un attribut de l’autorité parentale ou de son exercice. Il peut aussi être saisi directement d’une demande de retrait.

[Soulignements ajoutés]

606. The court may, for a grave reason and in the interest of the child, including the presence of family violence, which includes spousal violence, or sexual violence, on the application of any interested person, declare the father and mother or the parents either of them, or a third person on whom parental authority may have been conferred, to be deprived of such authority.

 

The deprivation of parental authority is, however, declared with regard to a person where a judgment that has become final finds the person guilty of a criminal offence of a sexual nature involving a child or finds the person liable for injury resulting from an act which could constitute such an offence, unless it is shown that such a measure would be contrary to the interest of that person’s child.

 

 

Where such a measure is not required by the situation, but action is nevertheless necessary, the court may declare, instead, the withdrawal of an attribute of parental authority or of its exercise. A direct application for withdrawal may also be made to the court.

[Emphasis added]

  1.            Par ailleurs, la Cour suprême, dans Barendregt c. Grebliunas[5], énonce clairement que la violence familiale est révélatrice de la capacité parentale de son auteur :

[143] La suggestion selon laquelle les abus et la violence familiale n’ont pas d’incidence sur les enfants et n’ont rien à voir avec la capacité parentale de celui qui en est l’auteur est intenable. La recherche indique que les enfants exposés à la violence familiale sont à risque de souffrir de problèmes émotionnels et de comportement durant toute leur vie […]. Le préjudice peut résulter de l’exposition directe ou indirecte à des conflits familiaux, par exemple, en étant témoin de l’incident, en en subissant les conséquences, ou en en entendant parler […].

[144] Il est notoire que les allégations de violence familiale sont difficiles à prouver […]. Comme le soulignent les intervenants la West Coast LEAF Association et le Rise Women’s Legal Centre, la violence familiale survient souvent derrière des portes closes et peut ne pas se prêter à l’existence de preuve corroborante […]. Ainsi, la preuve, même d’un seul incident, peut soulever des préoccupations en matière de sécurité pour la victime, ou elle peut chevaucher ou accroître l’importance d’autres facteurs, comme la nécessité de limiter les contacts ou de garantir que la victime aura accès à du soutien.

[…]

[146] Les modifications récentes à la Loi sur le divorce reconnaissent que les conclusions de violence familiale sont des considérations cruciales dans l’analyse de l’intérêt de l’enfant : al. 16(3)j) et par. 16(4). La Loi sur le divorce définit la violence familiale dans les grandes lignes au par. 2(1) en énonçant qu’il s’agit de toute conduite violente ou menaçante, allant de l’abus physique aux mauvais traitements psychologiques et à l’exploitation financière. Les tribunaux doivent tenir compte de la violence familiale et de ses effets sur la capacité et la volonté de toute personne auteure de violence familiale de prendre soin de l’enfant et de satisfaire à ses besoins.

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

  1.            La violence conjugale est ainsi reconnue comme un indicateur de lacunes dans les capacités parentales du parent violent.
  2.            Cela dit, il convient aussi de rappeler que la Cour suprême et cette Cour ont souligné que la déchéance de l’autorité parentale constitue une « mesure exceptionnelle », « exceptionnellement grave » et « de dernier recours »[6]. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur accorde une grande latitude au tribunal pour moduler le temps parental, les droits d’accès, retirer uniquement certains attributs de l’autorité parentale ou réserver au parent déchu le droit de demander que l’autorité parentale lui soit restituée en présence de circonstances nouvelles[7].
  3.            L’analyse de l’intérêt de l’enfant, qui est au cœur de la décision à rendre en matière de déchéance de l’autorité parentale, exige de tenir compte de l’ensemble des circonstances et des facteurs pertinents. La violence conjugale et ses effets sur le parent qui en est victime doivent recevoir une attention particulière, mais il ne s’ensuit pas que ces considérations éclipsent tout le contexte et l’ensemble des circonstances. La Cour fait siennes les observations que la Cour supérieure a formulées dans un récent jugement – jurisprudence de la Cour et des tribunaux d’instance à l’appui – étant entendu que les facteurs énoncés ne sont pas exhaustifs, chaque cas en étant un d’espèce :

[17] L’ajout de la violence familiale ou conjugale à l’art. 606 al. 1— et à plusieurs autres dispositions du C.c.Q., dont l’art 33 — s’inscrit dans le courant récent qui reconnaît que (1) le bien-être d’un enfant est souvent fonction de la situation du parent; (2) la violence familiale laisse des traces chez l’enfant même s’il n’en est pas directement victime; (3) elle ne prend généralement pas fin à la séparation des parties; et (4) elle est pertinente à l’évaluation de la capacité parentale de celui qui en est l’auteur.

[18] Toutefois, le caractère répréhensible d’un acte n’est pas déterminant; tout est affaire de contexte. C’est pourquoi les tribunaux ont refusé de prononcer la déchéance dans des cas de criminalité, menaces de mort, tentative d’atteinte à l’intégrité physique de la mère et de l’enfant avec un véhicule, accusations criminelles, agression sexuelle d’un tiers, emprisonnement, agressivitéabout:// - _ftn38, troubles psychologiques, carences affectives, fragilité émotive, tentative de suicide et toxicomanie.

[…] 

[24] En principe, aucun facteur n’est plus important qu’un autre. Néanmoins, la stabilité a été jugée extrêmement importante même en l’absence de preuve des conséquences à long terme de la déchéance. L’intérêt d’un enfant de connaître et d'interagir avec ses parents plutôt qu’un seul, la sincérité du parent qui veut reprendre contact, l’impact de la déchéance ou de l’absence de déchéance sur lui compte tenu de son état de santé physique et psychologique, le souvenir ou l’attachement qu’il conserve de son parent ou son développement depuis la fin des contacts et la formation d’une nouvelle cellule familiale sont également pertinents.[8]

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

  1.            En guise d’exemple additionnel, le tribunal peut aussi tenir compte de la présence dans la vie de l’enfant du parent dont on demande la déchéance, de son implication financière et émotive auprès de celui-ci, de sa situation familiale, de la présence d’une fratrie, des démarches de réhabilitation qu’il a entreprises, etc.
  2.            Concernant ce dernier facteur, la pertinence des mesures entreprises ainsi que le sérieux du processus doivent évidemment être évalués afin de déterminer si un réel changement s’est opéré chez le parent auteur de violence. Les modifications récentes à la Loi sur le divorce vont en ce sens[9]. Le quatrième alinéa de l’article 16 de la Loi sur le divorce oblige le tribunal à tenir compte, notamment, de « la prise de mesures par l’auteur de la violence familiale pour prévenir de futurs épisodes de violence familiale et pour améliorer sa capacité à prendre soin de l’enfant et à répondre à ses besoins »[10].
  1.      Application au présent dossier
  1.            La juge de première instance amorce son analyse en posant la question suivante :

[1] Dans cette affaire, le Tribunal doit répondre à la délicate question suivante : estil dans l’intérêt d’un enfant âgé de cinq ans que sa mère, souffrant d’un stress post-traumatique et de séquelles permanentes à la suite de la violence conjugale vécue pendant la vie commune des parties, ne puisse pas se reconstruire en étant forcée de maintenir des contacts avec le père au sujet de l’enfant ?

  1.            Or, cette approche l’amène à se concentrer sur l’impact de la violence conjugale sur la mère, et accessoirement sur l’enfant, plutôt qu’à évaluer globalement l’intérêt de ce dernier en tenant compte de l’ensemble de ses circonstances. La relation de la mère avec le père n’est pas un copiercoller de celui de la relation que l’enfant peut entretenir à court, moyen et long terme avec ce dernier.
  2.            Soyons clairs, le comportement violent passé de l’appelant envers l’intimée et ses ex-conjointes est incontesté, inexcusé et inexcusable. La preuve a établi qu’il a d’ailleurs plaidé coupable aux accusations criminelles que ce comportement a entraînées, et, ajoutons-le, qu’il a purgé sa peine. Il a reconnu et reconnaît encore aujourd’hui les gestes posés et exprime ses regrets. Il affirme comprendre et respecter le fait que l’intimée ne souhaite entretenir aucun contact avec lui. Il ne veut rien bousculer, mais maintient son souhait sincère de passer plus de temps avec son fils, idéalement dans un environnement non supervisé. Il a expliqué que la naissance de ses fils a été la source de sa décision et de sa motivation à entamer des démarches de réhabilitation et il affirme être sobre depuis 2019.
  3.            Dans le cadre de ses démarches de réhabilitation, l’appelant suit une cure de réadaptation en toxicomanie à compter du 28 mai 2019. Entre le 3 juin 2019 et le 30 juillet 2019, il participe à douze (12) sessions de groupe et à six (6) sessions individuelles. Il participe ensuite à treize (13) sessions de groupe additionnelles entre août et octobre 2019. Alors qu’il est en maison de transition, il participe à des rencontres anonymes de façon hebdomadaire, durant une période de sept (7) mois s’échelonnant jusqu’après le prononcé de sa peine, soit entre les 14 octobre 2021 et le 12 mai 2022. L’attestation produite au terme de cette démarche ne permet pas de douter de son abstinence[11].
  4.            Il accepte également de se soumettre à des tests capillaires pour le dépistage d’alcool et de drogue. Sous réserve d’un test positif en août 2020, que l’appelant n’est pas en mesure d’expliquer, tous les autres tests s’avèrent négatifs[12].
  5.            Le père de l’appelant a par ailleurs témoigné que son fils semble moins agressif depuis qu’il a cessé de consommer. Les rapports rédigés dans le contexte des visites supervisées, qui s’échelonnent sur une période de près de quatre ans, ne font aucune référence à des enjeux de consommation. La mère de l’intimée, qui participe aux rencontres supervisées chez les grands-parents paternels, ne relate aucun événement permettant de croire que l’appelant ait consommé.
  6.            La juge exprime cependant des doutes sur sa sobriété en raison du fait qu’il ne participe pas aux réunions des alcooliques anonymes (« AA ») et qu’il n’a pas fait entendre son parrain auprès de ce groupe d’aide. L’appelant explique les raisons pour lesquelles il ne se sent pas à l’aise lors des réunions. Il témoigne avoir discuté avec son parrain et participé à une rencontre virtuelle la veille de l’audience afin de l’aider à gérer son stress.
  7.            Par ailleurs, au cours des années, l’appelant s’implique dans divers programmes en matière de gestion de la colère et de violence conjugale à la fois, et ce, avant, pendant et après son incarcération.

-          Janvier à août 2020 : il complète un programme de gestion de la colère offert par Via l’Anse, bien qu’il reconnaisse que cette thérapie ne lui a pas été très bénéfique;

-          Le 1er décembre 2020, il s’inscrit au service d’aide thérapeutique offert par le centre d’intervention et de recherche en violence conjugale et familiale Program. Entre mars 2021 et janvier 2022, il participe à trois rencontres d’accueil d'évaluation et à quatorze rencontres de thérapie;

-          Pendant son séjour en maison de transition, il participe à un atelier sur la violence conjugale;

-          Entre août 2022 et novembre 2022, il participe à six sessions individuelles avec une coach professionnelle certifiée afin d’apprendre à mieux gérer ses émotions et augmenter sa capacité d’introspection, notamment dans le cadre de ses relations avec les femmes.

  1.            La juge reproche à l’appelant de ne pas avoir fait entendre les différents intervenants impliqués dans les divers programmes qu’il a suivis. Elle note que les divers écrits et certificats déposés se limitent à souligner sa participation et sa bonne collaboration, sans toutefois attester formellement de sa réhabilitation.
  2.            La juge reproche par ailleurs à l’appelant de ne pas avoir fait témoigner la mère de Y, avec qui il dit entretenir une bonne relation. Or l’appelant a expliqué ne pas avoir voulu compromettre cette bonne entente en l’impliquant dans le litige concernant la garde de X. D’autres auraient pu faire un choix différent dans les circonstances, mais on ne saurait en tirer une inférence négative.
  3.            S’il est vrai que le seul écoulement du temps ne permet pas de conclure que l’enfant ne court aucun risque d’être exposé à de la violence familiale dans le futur, la juge devait néanmoins prendre en compte les efforts de réhabilitation démontrés par l’appelant dans son appréciation de l’impact du passé de violence conjugale sur l’intérêt de l’enfant et devait également pondérer les autres éléments révélés par la preuve. Avec égards, la Cour y voit une analyse tronquée de la preuve.
  4.            La preuve ne révèle pas de nouvel incident de violence physique depuis les événements ayant mené à l’arrestation de l’appelant. Ce dernier reconnaît toutefois avoir, à une occasion, injurié l’une de ses ex-conjointes lors d’une dispute. En ce qui concerne X, sous réserve de propos tenus alors qu’il avait moins de deux mois, la preuve ne permet pas de conclure qu’il a été exposé à de la violence.
  5.            L’appelant a fait face aux conséquences de ses actes et il s’est pleinement conformé aux ordonnances des tribunaux, notamment l’interdiction de communication avec l’intimée. À l’audience, il reconnaît les actes de violence qu’il a posés, admet sa responsabilité et se montre conscient du tort que son comportement a causé. Tels qu’en attestent les divers programmes suivis et complétés, l’appelant a entrepris de changer son comportement en s’engageant dans une démarche soutenue de responsabilisation et de réhabilitation. Il témoigne disposer d’outils pour l’aider à gérer les situations où il pourrait se mettre en colère.
  6.            Il importe également de rappeler que l’appelant exerce des droits d’accès depuis près de 5 ans. Pendant ces années, l’intimée s’en est accommodée et y a même consenti pour le bien de leur enfant. L’appelant n’a jamais abandonné ses enfants. Il a toujours manifesté son désir d’être présent dans la vie de ses fils. Il a respecté ses obligations financières à leur égard en payant la pension alimentaire et en offrant à X ce dont il pouvait avoir besoin. Il explique qu’il communique avec la grand-mère maternelle afin de savoir quoi offrir à son fils.
  7.            Sauf pendant la période où il a été incarcéré, il a toujours exercé ses droits d’accès et respecté les conditions dont ils étaient assortis afin de minimiser les interactions avec l’intimée. Les rapports de visites supervisées sont favorables. Ils témoignent de l’attachement mutuel entre l’appelant et son fils. L’appelant apporte le nécessaire avec lui lors des visites, il joue avec son fils et lui démontre de l’affection. Il le discipline lorsque la situation le requiert, mais sans user de violence et sans perdre patience.
  8.            Les mêmes constats s’imposent au niveau des visites chez les grandsparents paternels, qui se déroulent sous la supervision de la grand-mère maternelle. L’appelant profite de ces visites pour s’assurer que X et Y puissent jouer ensemble et apprendre à se connaître. Pendant que sa mère voit à la préparation de la majorité des repas, l’appelant consacre les quelques heures qu’il passe avec X à jouer avec les enfants, à organiser des sorties et à profiter de la présence de ses fils. Il s’assure de répondre à leurs besoins et agit de manière adéquate s’il doit les discipliner.
  9.            X, compte tenu de son âge, est heureux de voir son père avec qui il semble entretenir un bon lien. Il s’entend bien avec son demi-frère. Il est attaché à ses grandsparents paternels et à sa tante, la sœur de l’appelant. Il est aimé et bien encadré.
  10.            Le véritable enjeu, et c’est ce qui ressort de la question en litige formulée par la juge, est que l’intimée estime ne pas être en mesure de se reconstruire si les contacts avec le père sont maintenus. Elle craint que l’appelant utilise son fils « comme arme contre elle pour poursuivre ses abus physiques et psychologiques ». Elle ajoute qu’il existe un risque que l’enfant devienne une nouvelle victime du père.
  11.            La juge conclut que les symptômes de la mère continueront à se manifester en cas de maintien d’un contact direct ou indirect avec l’appelant et que cela n’est pas dans l’intérêt de l’enfant.
  12.            Or, la preuve ne permet pas d’en venir à une telle conclusion.
  13.            Personne ne remet en cause les symptômes décrits par l’intimée. Cependant, sous réserve du témoignage général de l’intervenante sociale, qui incidemment n’a jamais rencontré l’intimée ou son fils, rien ne permet d’évaluer l’impact du maintien des droits d’accès, supervisés ou non, sur l’état de santé de l’intimée ou sur le bien-être de X. À l’inverse, la preuve révèle que la déchéance de l’autorité parentale privera X de la présence d’un père qu’il aime et qui l’aime ainsi que d’un support financier.
  14.            La juge se devait de considérer l’ensemble de ces circonstances afin d’évaluer si des avenues autres que la déchéance de l’autorité parentale pouvaient être envisagées afin de permettre à X de grandir en côtoyant son père dans un environnement sécuritaire tout en minimisant l’impact de ces contacts sur l’intimée[13]. Son omission de considérer cette preuve et son analyse, largement concentrée sur l’intérêt de l’intimée, justifient d’intervenir.
  15.            En guise d’exemple, à supposer que les mesures actuelles ne soient pas suffisantes et que l’intérêt supérieur de X nécessite davantage de restrictions, le retrait de certains attributs de l’autorité parentale en lien avec certaines décisions et/ou démarches liées à son éducation et sa santé pourrait permettre de limiter les interactions entre les parents. Un tribunal pourrait ainsi décider de confier l’essentiel du temps parental ainsi que l’entièreté des responsabilités décisionnelles à l’intimée, en accordant quelques accès supervisés à l’appelant. Des modalités d’accès et d’échange peuvent aussi permettre de limiter les contacts. Les droits d’accès supervisés ou non peuvent être accrus graduellement. La juge peut décider de fixer un délai avant que l’appelant ne puisse présenter une nouvelle demande visant à accroître ses droits d’accès. La théorie des petits pas permettra de veiller à l’intérêt de l’enfant, mais également à l’intimée de cheminer et à l’appelant de démontrer qu’il est digne de confiance.
  16.            Dans ces circonstances, il y a lieu d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement prononçant la déchéance de l’autorité parentale.
  17.            Cela étant, il aurait été préférable que la Cour puisse fixer les modalités d’accès de l’appelant, mais, malgré l’invitation faite aux parties, l’intimée, par la voix de son avocate, est demeurée inflexible et celles-ci n’ont pas été en mesure de fournir à la Cour l’éclairage nécessaire pour ce faire. Une mise à jour de la situation, notamment en raison de l’état de santé de la grand-mère maternelle, est nécessaire. La Cour estime donc approprié de retourner le dossier devant la Cour supérieure afin que celle-ci se prononce sur la demande de modification des droits d’accès de l’appelant, tout en s’assurant pour le moment de limiter au maximum les contacts entre les parties. Cela n’exclut pas la possibilité du retrait de certains attributs de l’autorité parentale de l’appelant.
  18.            Enfin, dans l’intervalle, puisque l’appelant n’a pas vu son fils depuis plusieurs mois, il convient de réinstaurer les modalités d’accès au domicile et en présence des parents paternels, et, si son état de santé le permet, de la grand-mère maternelle, le tout selon les modalités intérimaires entérinées par la juge Chantal Masse le 14 août 2023 et sous réserve du pouvoir de la Cour supérieure de revoir cette entente, l’annuler ou la modifier et celui des parties de convenir de modalités différentes.
  19.            Il est par ailleurs entendu que le transport vers la résidence des grandsparents paternels et la prise en charge de X à cet endroit devront être effectués sans que les parties se croisent et que l’appelant puisse communiquer directement avec l’intimée.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

  1.            ACCUEILLE l’appel;
  2.            INFIRME le jugement de première instance prononçant la déchéance de l’autorité parentale de l’appelant;
  3.            RETOURNE le dossier à la Cour supérieure afin que celle-ci statue sur la demande de l’appelant en modification de ses droits d’accès à X, sans exclure la possibilité du retrait à l’appelant de certains attributs de l’autorité parentale;
  4.            ORDONNE de manière intérimaire, soit jusqu’à ce qu’une décision intérimaire ou sur le fond soit rendue par la Cour supérieure sur les droits d’accès et/ou le temps parental, la reprise de l’exercice par l’appelant de ses droits d’accès à X, tels qu’établis par la juge Chantal Masse de la Cour supérieure dans son jugement du 14 août 2023, étant entendu que si la grandmère maternelle n’est pas en mesure d’être présente, les droits d’accès pourront être exercés en présence et sous la supervision des grands-parents paternels;
  5.            LE TOUT, sans frais de justice compte tenu de la nature du dossier.

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

 

 

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

Me Jean Bergeron

Pour l’appelant

 

Me Pamela O’Reilly

Me Amanda Gibeault

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

1er mai 2025

 


[1]  Droit de la famille – 241080, 2024 QCCS 2554 [le « jugement entrepris »].

[2]  Loi sur le divorce, LRC (1985) ch. 3, (2e supplément), art. 16.

[3]  Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), art.16(3) j) (i).

[4]  Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d'état civil, L.Q. 2022, c. 22.

[5]  2022 CSC 22.

[6]  C.(G.) c. V.-F.(T.), [1987] 2 R.C.S. 244, p. 261; Droit de la famille – 18454, 2018 QCCA 368, paragr. 27; Droit de la famille – 17290, 2017 QCCA 257, paragr. 5; Droit de la famille – 1738, 1995 CanLII 4712 (QCCA), p. 4 de l’opinion du juge Chamberland pour la majorité.

[7]  Article 610 C.c.Q.

[8]  Droit de la famille – 241086, 2024 QCCS 2683, paragr. 17-18 et 24.

[9]  Ministère de la Justice, Modifications à la Loi sur le divorce expliquées, 21 novembre 2024, p. 107.

[10]  Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), art.16(4) g).

[11]  Pièce DW5, Attestation de suivi de la Maison de transition A.

[12]  Bien que le début de la période de sobriété soit contesté, le témoignage de l’intimée ne remet pas en question la sobriété de l’appelant en tant que telle : Témoignage de G… M…, notes sténographiques du 10 avril 2024, p. 286-287; Témoignage de S… W…, notes sténographiques du 12 avril 2024, p. 32-33 et 70-74.

[13]  Droit de la famille — 18454, 2018 QCCA 368, paragr. 27.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.