Décision

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Gabarit CM

Communauté métropolitaine de Montréal c. Sanimax Lom inc.

2018 QCCM 204

COUR MUNICIPALE
DE LA VILLE DE MONTRÉAL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

Nos :

310-411-566, 310-411-570, 310-411-581

 

DATE :

18 septembre 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

STÉPHANE BRIÈRE

______________________________________________________________________

 

 

COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL

Poursuivante

c.

 

SANIMAX LOM INC.

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1          APERÇU

[1]          La poursuivante, la Communauté métropolitaine de Montréal « CMM », reproche à la défenderesse diverses contraventions à son Règlement 2001-10 sur les rejets à l’atmosphère et sur la délégation de son application[1] « Règlement 2001-10 ».

[2]          Elle lui reproche de ne pas avoir fourni les documents demandés par le directeur ou l’un de ses employés à la suite de deux demandes formulées les 26 juin 2014 et 27 août 2014.

[3]          Elle lui reproche aussi d’avoir émis, le 6 octobre 2014, un agent polluant dans l’atmosphère en n’ayant pas installé les ouvrages ou dispositifs de contrôle requis malgré les demandes de ses représentants.

[4]          Le 29 janvier 2015, quatre constats d’infraction sont signifiés à la défenderesse :

1)    Constat d’infraction numéro 310-411-566

« Le 26 juin 2014, SANIMAX LOM INC. a contrevenu à l’article 8.07 du RÈGLEMENT DE LA COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL 90 (CMM 2001-10), et ce, au 9900, boul. Maurice-Duplessis, à Montréal (QC), H1C 1G1, en ne fournissant pas les renseignements, plans ou devis demandés par le directeur ou un employé du service dans le délai spécifié.»

2)    Constat d’infraction numéro 310-411-570

« Le 27 août 2014, SANIMAX LOM INC. a contrevenu à l’article 8.07 du RÈGLEMENT DE LA COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL 90 (CMM 2001-10), et ce, au 9900, boul. Maurice-Duplessis, à Montréal (QC), H1C 1G1, en ne fournissant pas les renseignements, plans ou devis demandés par le directeur ou un employé du service dans le délai spécifié.»

3)    Constat d’infraction numéro 310-411-581

« Le 26 octobre 2014, SANIMAX LOM INC. a contrevenu à l’article 8.08 du RÈGLEMENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL 90 (CMM 2001-10), et ce, au 9900, boul. Maurice-Duplessis, à Montréal (QC), H1C 1G1, en étant une personne qui a émis ou laissé émettre un agent polluant dans l’atmosphère en n’ayant pas installé à l’endroit désigné tous les ouvrages ou dispositifs de contrôle requis pour le prélèvement de cet agent polluant, alors que le Directeur ou tout employé de son Service chargé de l’application du présent règlement l’avait demandé. »

4)    Constat d’infraction numéro 310-411-592

« Le 24 octobre 2014, SANIMAX LOM INC. a contrevenu à l’article 8.04 du RÈGLEMENT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL 90 (CMM 2001-10), et ce, au 9900, boul. Maurice-Duplessis, à Montréal (QC), H1C 1G1, en ayant omis de se conformer aux conditions règlementaires énumérées dans votre permis. »

[5]           Seuls trois constats font l’objet de la présente décision, le constat numéro 310-411-592 ayant fait l’objet d’un acquittement séance tenante le 23 février 2017.

2          CONTEXTE

[6]          La défenderesse exploite, depuis 1958, une entreprise d’équarrissage spécialisée dans la transformation de sous-produits d’animaux dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies à Montréal.

[7]          La poursuivante, la CMM, est une personne morale de droit public, régie notamment par sa loi constitutive, la Loi sur la Communauté métropolitaine de Montréal[2] « Loi sur la CMM ».

[8]          Parmi les compétences qui lui sont attribuées, elle possède celle en matière d’assainissement de l’atmosphère prévue notamment aux articles 119 et 159.1 de la Loi sur la CMM.

[9]          À la suite de nombreuses plaintes formulées par des citoyens du secteur où est située l’usine de la défenderesse, la poursuivante a exigé de cette dernière qu’elle lui fournisse certains renseignements concernant ses émissions d’odeurs et a exigé l’installation d’ouvrages de captation pour vérifier le niveau d’émission de ces odeurs et le respect des normes règlementaires applicables.

[10]       La défenderesse ayant refusé de répondre aux demandes de la CMM, la poursuivante initie les présentes poursuites.

[11]        La défenderesse, quant à elle, soulève l’illégalité et la non-applicabilité des dispositions règlementaires invoquées par la poursuivante au sein de quatre requêtes et invoque, quant au fond des infractions alléguées, avoir démontré une diligence raisonnable et suffisante à respecter les normes règlementaires dans l’hypothèse où celles-ci lui sont applicables.

[12]        Dans sa première requête, la défenderesse prétend que l’application du Règlement 2001-10 n’a pas été validement déléguée par la CMM à la Ville de Montréal.

[13]        Elle allègue que selon l’article 3 du Règlement 2001-10, la CMM n’a pas délégué validement à la Ville de Montréal son application, mais plutôt par l’entremise d’un protocole intervenu entre elle et la Ville de Montréal. Elle soutient que cette procédure contrevient à l’article 159.1 de la Loi sur la CMM.

[14]        Dans sa deuxième requête, la défenderesse plaide que les représentants de la poursuivante, qui ont exigé des renseignements de sa part, ne sont pas des personnes habilitées à le faire et à appliquer le Règlement 2001-10 de CMM.

[15]        En résumé, la défenderesse soutient que puisque la compétence en matière d’assainissement de l’atmosphère est confiée depuis 2002 à la CMM (alors qu’antérieurement la Communauté urbaine de Montréal (ci-après « la CUM ») en était chargée) les pouvoirs et fonctions du « Directeur du service de l’environnement et ses employés » doivent nécessairement être les pouvoirs et fonctions d’un directeur de la CMM et non pas ceux d’un directeur de la Ville de Montréal ou d’un fonctionnaire de cette dernière.

[16]        Dans sa troisième requête, la défenderesse prétend que l’article 3.04 du Règlement 2001-10 (anciennement le Règlement 90 de la CUM) est inapplicable à son égard pour divers motifs, mais principalement en raison de ses caractères déraisonnables, imprécis et discrétionnaires.

[17]        La défenderesse soumet au surplus que les demandes formulées par les représentants de la poursuivante, qui font l’objet des infractions alléguées dans les constats 310-411-566 et 310-411-570, en relation avec l’article 8.07 du Règlement 2001-10 et l’infraction alléguée à l’article 8.08 du même règlement, au constat 310-411-581, ont comme source le respect de l’article 3.04 dudit règlement. Or, la défenderesse allègue que dans la mesure où l’article 3.04 mentionné précédemment est inapplicable, il ne pourrait y avoir d’infractions telles que reprochées.

[18]        Finalement, dans sa quatrième requête, la défenderesse soutient que l’article 8.07 du Règlement 2001-10, qui exige qu’elle transmette des documents et des informations à la poursuivante, est contraire aux articles 7 et 8 de Charte canadienne des droits et libertés et au principe d’auto-incrimination.

[19]        Le Tribunal traitera des prétentions de la défenderesse au regard de chacune de ses requêtes.

3          ANALYSE

            3.1       Requête numéro 1 - Délégation

[20]        Par sa requête numéro 1, la défenderesse soulève à l’illégalité de la délégation d’application du Règlement 2001-10 de la CMM à la Ville de Montréal.

[21]        Elle prétend que cette délégation aurait été faite en vertu d’un protocole intervenu en mars 2004 plutôt que par l’adoption d’un règlement par la CMM.

[22]        La poursuivante réplique que la délégation est parfaite depuis janvier 2002 et que le protocole de mars 2004 ne vise qu’à régler les modalités administratives de l’application du Règlement 2001-10.

[23]        Depuis le 1er janvier 2002, à la suite des fusions municipales, la CMM assume dorénavant les compétences exercées par la CUM en matière d’assainissement de l’atmosphère en vertu de ce qui suit :

-      Loi sur la CMM[3];

 

-       Loi modifiant la Loi sur l’organisation territoriale municipale et d’autres dispositions législatives[4];

 

-       Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais[5].

[24]        L’article 159.1 de la Loi sur la CMM énonce :

La Communauté peut, par règlement :

 

1°  régir ou prohiber l’émission dans l’atmosphère de substances susceptibles de constituer un polluant et, notamment, déterminer pour toute catégorie de telles substances la quantité ou la concentration maximale dont l’émission dans l’atmosphère est permise;

 

2°   exiger que soit titulaire d’un permis délivré par la Communauté toute personne qui exerce une activité susceptible de causer une émission de polluant dans l’atmosphère ou qui possède ou utilise un objet dont l’usage ou le fonctionnement est susceptible de causer une telle émission; établir des classes de permis en fonction des catégories de substances émises dans l’atmosphère ou d’un autre critère;

 

3°   déterminer les qualités requises d’une personne qui demande un permis, les conditions de délivrance et de renouvellement du permis, les renseignements et les documents qu’elle doit fournir et les cas de suspension ou de révocation du permis;

 

4°  déterminer la manière dont il peut être disposé d’un polluant de l’atmosphère ou de substances susceptibles de constituer un tel polluant;

 

5°  déterminer les méthodes de prélèvement, d’analyse et de calcul d’un polluant de l’atmosphère ou de substances dont l’émission dans l’atmosphère peut constituer un polluant; habiliter le directeur du service responsable de l’assainissement de l’atmosphère ou tout autre fonctionnaire de la Communauté qu’il désigne à faire installer les ouvrages et dispositifs qu’il juge nécessaires pour permettre le prélèvement et l’analyse d’une source de pollution de l’atmosphère;

 

6°  prescrire les dispositifs dont doivent être munis les immeubles, équipements, installations et autres objets dont l’usage ou le fonctionnement est susceptible de causer l’émission d’un polluant dans l’atmosphère et établir toute autre obligation de leur propriétaire ou utilisateur en regard de ces dispositifs;

 

7°  prescrire les pouvoirs que le directeur du service responsable de l’assainissement de l’atmosphère ou que tout autre fonctionnaire de la Communauté qu’il désigne exerce lorsque l’émission d’un polluant dans l’atmosphère constitue un danger immédiat pour la vie ou la santé des personnes, des animaux ou de la flore.

 

Un règlement qui porte sur une matière prévue au paragraphe 5° du premier alinéa doit être approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs.

Un règlement adopté en vertu du présent article peut varier selon les parties du territoire de la Communauté.

La Communauté peut, par règlement approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, déléguer à une ou plusieurs municipalités de son territoire tout ou partie des compétences et pouvoirs prévus à la présente section.

[25]        Au début des années 80, c’est la CUM qui exerce cette compétence en vertu de l’article118.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement[6], de l’adoption du Décret 1466-81[7] du 27 mai 1981 et d’une entente[8] intervenue le 23 février 1981 entre la CUM et le gouvernement du Québec :

118.3 Le gouvernement peut, selon les conditions qu’il détermine, soustraire l’ensemble ou une partie du territoire de toute municipalité de l’application de certains articles de la présente loi, dans la mesure où telle municipalité a conclu un protocole d’entente avec le ministre relativement au contrôle des sources de contamination de l’environnement et des rejets de contaminants situés sur le territoire de ladite municipalité. Cette décision entre en vigueur dès sa publication à la Gazette officielle du Québec.

[26]        Jusqu’en 2002 c’est la CUM qui assume donc, en lieu et place du Ministère de l’Environnement du Québec les compétences et la responsabilité du contrôle des rejets dans l’atmosphère sur son territoire.

[27]        Depuis le 1er janvier 2002, la CMM exerce ces compétences sur le territoire de l’île de Montréal et, tant l’entente du 23 février 1981 que le Décret 1466-81, sont toujours en vigueur selon l’article 253 de la Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais[9] :

Les règlements, résolutions, procès-verbaux, ententes et autres actes de la Communauté urbaine de Montréal, de la Communauté urbaine de Québec et de la Communauté urbaine de l’Outaouais qui sont compatibles avec les dispositions de la présente loi et de tout décret du gouvernement pris en vertu de l’article 9 de l’annexe I, de l’annexe II ou de l’annexe IV, demeurent en vigueur sur le territoire pour lequel ils ont été faits jusqu’à ce que leurs objets soient accomplis ou jusqu’à ce qu’ils soient modifiés, remplacés ou abrogés conformément à la présente loi. Ils sont réputés émaner de l’autorité à laquelle, en vertu de la présente loi ou d’un tel décret, est transférée la compétence à laquelle ils sont rattachés.

[28]        Parallèlement, et de façon simultanée, le législateur prévoit que les employés de la CUM deviennent des employés de la Ville de Montréal en modifiant la Charte de la Ville de Montréal[10], à son article 7 :

Les fonctionnaires et les employés de la Communauté urbaine de Montréal et des municipalités mentionnées à l’article 5 deviennent, sans réduction de traitement, des fonctionnaires et employés de la ville et conservent leur ancienneté et leurs avantages sociaux. Ils continuent notamment de participer au régime de retraite auquel ils participaient avant la constitution de la ville.

 

Les fonctionnaires et employés de la Communauté urbaine de Montréal, qui le 31 décembre 2001 exercent leurs fonctions dans le cadre de la compétence de la communauté en matière d’aménagement du territoire ou de compétences de la communauté transférées le 1er janvier 2002 à la Communauté métropolitaine de Montréal, peuvent être intégrés à la Communauté métropolitaine de Montréal par tout décret du gouvernement pris en vertu de l’article 9.

 

Les fonctionnaires et employés visés par le présent article, autres que ceux dont l’emploi à la communauté urbaine ou à l’une de ces municipalités débute après le 15 novembre 2000, ne peuvent être mis à pied ou licenciés du seul fait de la constitution de la ville.

[29]        Dans ce nouveau cadre législatif et juridictionnel, la CMM délègue à la Ville de Montréal ses compétences et pouvoirs en matière d’assainissement de l’atmosphère en vertu du dernier alinéa de l’article 159.1 de la Loi sur la CMM et par l’adoption de son Règlement 2001-10 le 14 novembre 2001, lequel règlement a été approuvé, le 12 décembre 2001, par le ministre et entré en vigueur le 1er janvier 2002.

[30]        À cet égard les articles 1.1, 2 et 3 du Règlement 2001-10 prévoient spécifiquement que :

1.1   Les règlements adoptés par la Communauté urbaine de Montréal et inclus à l’Annexe 1 du présent règlement, pour en faire partie intégrante, à savoir :

Règlement 90, relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté, 17 décembre 1986;

Règlement 90-1, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté, 19 avril 1989;

Règlement 90-2, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté, 19 juin 1996;

Règlement 90-3, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air, 16 octobre 1996;

Règlement 90-4, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air, 17 juin 1998;

Règlement 90-5, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air, 16 août 2000;

Règlement 90-6, modifiant le règlement 90 tel que déjà modifié, relatif à l’assainissement de l’air, 22 août 2001.

deviennent les règlements de la Communauté métropolitaine de Montréal en y faisant les adaptations nécessaires. Leurs normes, droits, tarifs, redevances ou autre disposition sont ceux de la Communauté métropolitaine de Montréal.

2. Territoire

Le présent règlement s’applique au territoire de la Ville de Montréal, telle que constituée à compter du 1er janvier 2002.

3. Application

L’application du présent règlement est déléguée à la Ville de Montréal, telle que constituée à compter du 1er janvier 2002, pour agir aux termes du présent règlement, selon un protocole à intervenir à cet effet.

[31]        La défenderesse prétend que la délégation effective de pouvoirs et de compétence à la Ville de Montréal est inopérante et illégale puisqu’elle n’aurait pas été faite par règlement, mais plutôt à la suite de la conclusion d’un protocole à intervenir entre la CMM et la Ville de Montréal. Ce protocole est intervenu en mars 2004.

[32]        La poursuivante réplique que le protocole de mars 2004 ne constitue pas un acte de délégation, mais vise principalement à régler les modalités administratives et l’application de la réglementation et que la délégation de compétence et de pouvoirs a été édictée par l’adoption du Règlement 2001-10.

[33]        Quelle interprétation doit-on donner à l’article 3 du Règlement 2001-10 précité? Quelle est l’intention du législateur?

[34]        Il est établi par la jurisprudence et les auteurs qu’il faut lire les dispositions d’une loi ou d’un règlement dans un contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’effet de la loi, son objet et l’intention du législateur.

[35]        L’auteur Pierre-André Côté[11] souligne, quant à lui, que le « contexte global » d’une disposition signifie :

Il s’agit, d’abord, de l’environnement légal d’une disposition, des autres dispositions de la loi, des lois connexes, des autres règles du système juridique. C’est le contexte au sens étroit. Le contexte d’énonciation d’une disposition inclut cela, mais bien davantage : il comprend toutes les idées liées au texte que le législateur peut présumer suffisamment connues des justiciables pour se dispenser d’avoir à les exprimer. Ces idées peuvent être relatives aux circonstances qui ont amené l’énonciation du texte, à l’objet qu’il cherche à accomplir, aux valeurs auxquelles le législateur est attaché, à ses habitudes d’expression, et ainsi de suite. Un texte est lu dans son contexte global lorsque l’interprète se met, comme on doit, «sur la même longueur d’ondes» que le législateur. Une lecture d’une disposition hors contexte peut conduire à des résultats tout à fait absurdes.

[36]        Tenant compte de ce cadre d’analyse et l’ensemble des dispositions législatives précitées, le Tribunal est d’avis que la volonté du législateur était de déléguer à compter du 1er janvier 2002, les responsabilités, compétences et pouvoirs assumés auparavant par la CUM à la CMM en matière d’assainissement de l’atmosphère.

[37]        Le dernier paragraphe du dernier alinéa de l’article 159.1 de la Loi sur la CMM permet à celle-ci de déléguer par règlement ses pouvoirs et compétences à la Ville de Montréal.

[38]        D’ailleurs cette délégation est confirmée lorsque le ministre d’État à l’Environnement et à l’Eau de l’époque approuve[12] le Règlement 2001-10 le 12 décembre 2001 :

En outre, je comprends que ces mêmes règlements ont aussi pour objet de déléguer leur application à la Ville de Montréal, à compter du 1er janvier 2002. Sous l’autorité de l’article 159.1 de la Loi portant sur la réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais (2000, c.56), j’approuve le Règlement sur les rejets à l’atmosphère et la délégation de son application à la Ville de Montréal, à compter du 1er janvier 2002. Également, sous l’alinéa de l’article 159.18 de la loi précitée, j’approuve le Règlement sur le rejet des eaux dans les ouvrages d’assainissement et dans les cours d’eau ainsi que la délégation de son application à la Ville de Montréal, à compter du 1er janvier 2002.

[39]        Le préambule du protocole de mars 2004 permet aussi de comprendre la portée de la délégation[13] :

Attendu que, dans l’exercice de cette compétence, la Communauté a adopté le règlement 2001-10 sur les rejets à l’atmosphère et sur la délégation de son application (ci-après appelé « la Réglementation »);

Attendu que ce règlement a maintenu en vigueur, pour le territoire de la Ville de Montréal, les règlements de la Communauté urbaine de Montréal  en matière d’assainissement de l’air et qu’il en a délégué l’application à la Ville;

Attendu que ce règlement a été approuvé par le ministre de l’Environnement du Québec;

Attendu qu’il y a lieu pour les parties de convenir des modalités de la délégation de l’application de ce règlement;

[40]        De l’avis du Tribunal, le « contexte global » dans lequel s’inscrit le Règlement 2001-10 et son article 3, démontre que le législateur, tant provincial que municipal, avait l’intention d’assurer une continuité dans l’application des normes d’assainissement de l’atmosphère sur le territoire de la Ville de Montréal, suite aux fusions municipales, la disparition de la CUM et la création de la CMM.

[41]        La CUM étant jusqu’en 2002 l’entité responsable de cette application sur le territoire de la Ville de Montréal, il est apparu souhaitable, dans ce souci de continuité, que la CMM nouvellement créée, délègue ses nouveaux pouvoirs à la Ville de Montréal, laquelle prendrait à sa charge presque tous les employés de la CUM à compter du 1er janvier 2002.

[42]        L’article 3 du Règlement 2001-10 exprime cette volonté de continuité et le Tribunal ne peut y interpréter autre chose qu’une délégation à la Ville de Montréal des compétences, pouvoirs et responsabilités de la CMM à l’égard des rejets à l’atmosphère, lesquels étaient, jusqu’au 1er janvier 2002, dévolus à la CUM.

[43]       Quant au protocole d’entente entre la CMM et la Ville de Montréal de mars 2004[14], celui-ci prévoit les modalités d’application de la réglementation entre les parties, la CMM et la Ville de Montréal, et règle les aspects administratifs de la délégation intervenue plus de deux ans auparavant.

[44]        La CMM a donc validement délégué à la Ville de Montréal ses compétences et pouvoirs en ce qui a trait aux rejets à l’atmosphère par l’adoption de son Règlement 2001-10 et de son article 3.

[45]        En conséquence, la requête numéro 1 de la défenderesse est rejetée.

            3.2       Requête numéro 2 - Personnes habilitées

[46]        Par sa requête numéro 2, la défenderesse demande le rejet des constats d’infractions au motif que les personnes qui ont signé les demandes de renseignements et de modification à ses installations n’étaient pas habilitées à appliquer le Règlement 2001-10 de la CMM.

[47]        Plus précisément, elle soutient que le Règlement 90 de la CUM[15] devenu un règlement de la CMM en vertu de l’article 1.1 du Règlement 2001-10 prévoit que c’est le directeur du Service de l’environnement de la CUM ou l’un de ses employés et fonctionnaires qui sont habilités à formuler les demandes faisant l’objet des présentes poursuites.

[48]        En conséquence, selon la défenderesse, la seule adaptation possible est qu’un directeur de la CMM est maintenant habilité à le faire selon le Règlement 2001-10.

[49]        La défenderesse ajoute que les personnes qui ont exigé des renseignements de sa part n’agissaient pas au sein de la Direction de l’environnement de la Ville de Montréal, mais plutôt dans un autre service de la Ville, soit celui des infrastructures, du transport et de l’environnement.

[50]        L’article 1.1 du Règlement 2001-10 de la CMM prévoit ce qui suit :

1.1 Les règlements adoptés par la Communauté urbaine de Montréal et inclus à l’Annexe 1 du présent règlement, pour en faire partie intégrante, à savoir :

Règlement 90, relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté, 17 décembre 1986;

Règlement 90-1, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté, 19 avril 1989;

Règlement 90-2, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté, 19 juin 1996;

Règlement 90-3, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air, 16 octobre 1996;

Règlement 90-4, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air, 17 juin 1998;

Règlement 90-5, modifiant le règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air, 16 août 2000;

Règlement 90-6, modifiant le règlement 90 tel que déjà modifié, relatif à l’assainissement de l’air, 22 août 2001.

deviennent les règlements de la Communauté métropolitaine de Montréal en y faisant les adaptations nécessaires. Leurs normes, droits, tarifs, redevances ou autre disposition sont ceux de la Communauté métropolitaine de Montréal.

[51]        Le législateur a donc choisi de maintenir l’existence du Règlement 90 de la CUM[16] et d’en faire un règlement de la CMM en «y faisant les adaptations nécessaires».

[52]        Le Règlement 90 de la CUM fait référence à la notion du « Directeur » à l’article 1.01 ainsi[17] :

1.01.

Le mot «Directeur» signifie le directeur du Service de l’environnement de la Communauté urbaine de Montréal ou son adjoint, tel que défini à l‘article 29 de la loi sur la Communauté urbaine de Montréal.

[53]        Les articles 8.04 et 8.07 prévoient[18] :

8.04.

Nul ne peut, sans un permis :

a) construire, modifier, remplacer ou utiliser une structure, un appareil, une chose;

b) utiliser un produit ou en altérer le taux d’utilisation;

c) utiliser ou altérer un procédé; ou

d) entreprendre ou poursuivre une activité,

lorsque, dans l‘un de ces cas, il peut en résulter l’émission ou un changement de l‘émission d’un agent polluant dans l‘atmosphère. Le permis n’est émis que lorsque le Directeur s‘est assuré que le présent règlement sera observé. Cet article ne s’applique pas à un appareil de combustion utilisé exclusivement pour le chauffage résidentiel lorsque sa puissance nominale est inférieure à 3 mégawatts. Le fait de ne pas se conformer aux conditions règlementaires énumérées dans le permis constitue une infraction au présent règlement.

8.07.

Le Directeur ou tout employé du Service chargé de l’application du présent règlement ou d‘une ordonnance adoptée sous l’empire de ce règlement, peut exiger de toute personne qui est susceptible d‘émettre ou de laisser émettre un agent polluant, tous les renseignements, devis ou plans nécessaires pour connaître entre autres, l’émission et la nature de cet agent polluant, son débit, l‘endroit d’où il émane, les caractéristiques des installations ou appareils qui le produisent et des épurateurs utilisés ou requis. Quiconque ne fournit pas les renseignements demandés contrevient au présent règlement.

[54]        Quelles sont donc les « adaptations nécessaires » qui doivent être faites au Règlement 90 de la CUM considérant qu’elle n’existe plus depuis le 1er janvier 2002?

[55]        C’est la méthode d’interprétation moderne ou contextuelle qui doit guider le Tribunal dans son exercice d’interprétation.

[56]        La Cour suprême du Canada dans Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College[19] enseigne que :

La méthode qui prévaut en matière d’interprétation des lois est celle préconisée par E. A. Driedger: [TRADUCTION] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Notre Cour a fait sienne cette méthode dans de nombreux arrêts: par exemple, Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, p. 17; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33, la juge en chef McLachlin; Chieu, précité, par. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26; Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, 2003 CSC 28, par. 20; et Parry Sound, précité, par. 41. Ce principe est étayé par la loi de l’Alberta intitulée Interpretation Act, R.S.A. 2000, ch. I-8, art. 10, qui dispose ainsi : [TRADUCTION] « Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

Comme a conclu notre Cour dans l’arrêt Bell Express Vu, précité, par. 27, le contexte joue un rôle inestimable dans l’interprétation d’une disposition législative. La méthode moderne reconnaît que l’interprétation d’une disposition législative ne peut reposer uniquement sur son libellé. D’ailleurs, le texte de la disposition doit être considéré dans le contexte de la loi dans son ensemble.

[57]        Ici l’intention du législateur, la CMM en l’occurrence, est de déléguer l’application du Règlement 2001-10 et par le fait même les dispositions contenues à l’ancien Règlement 90 de la CUM à la Ville de Montréal, tel que précisé à l’article 3 du Règlement 2001-10 de la CMM :

3. Application

L’application du présent règlement est déléguée à la Ville de Montréal, telle que constituée à compter du 1er janvier 2002, pour agir aux termes du présent règlement, selon un protocole à intervenir à cet effet.

[58]        La doctrine rappelle d’ailleurs qu’il faut privilégier une interprétation donnant un « effet utile » à la disposition législative en examen plutôt que l’inverse[20].

[59]        Selon la preuve, il n’existe pas de « Service de l’Environnement » à la CMM, comme l’indique son Règlement 2001-4[21].

[60]        Adopter l’interprétation suggérée par la défenderesse mènerait à un résultat incongru où l’application du Règlement 2001-10 serait confiée à la Ville de Montréal, mais seul un directeur d’un service inexistant d’une autre autorité pourrait mettre en pratique ses dispositions dont celles prévues à l’article 8.07 du Règlement 2001-10.

[61]        De l’avis du Tribunal, ce n’était pas l’intention du législateur qui était d’assurer une continuité et une délégation complète de l’application du Règlement 2001-10 à la Ville de Montréal.

[62]        Pour donner un « effet utile » aux dispositions règlementaires en litige, la conclusion qui s’impose est que le législateur souhaitait que la Ville de Montréal et l’un de ses directeurs ou son représentant soit chargé de l’application du Règlement 2001-10.

[63]        D’ailleurs, le Tribunal note qu’un permis est délivré à la défenderesse, le 12 septembre 2001, par M. Yves Bourassa à titre de représentant de la CUM et un autre, le 27 mai 2003, par le même individu comme employé de la Ville de Montréal[22].

[64]        Quant à la prétention de la défenderesse que les signataires des demandes de renseignements et de modifications[23] n’exerçaient pas leurs fonctions au sein de la « Direction de l’Environnement » de la Ville de Montréal, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une invitation à interpréter les dispositions règlementaires de façon trop limitative et qu’une telle interprétation ferait échec à la volonté du législateur.

[65]        Enfin, le Service de l’environnement de la Ville de Montréal existe depuis le 24 mai 2014, comme le démontre l’article 1, paragraphe b, sous-paragraphe iii du Règlement sur les services de la Ville de Montréal[24] :

1. Sont établis les services suivants :

1° la Direction générale, qui est responsable de l’administration des affaires de la Ville, du Service des communications, du Service des finances, du Service de la performance organisationnelle, du Service de police, du Service des ressources humaines, du Service de sécurité incendie, du Service des technologies de l’information, du Bureau des relations internationales, du Bureau des relations gouvernementales et municipales, du Bureau de la « Ville intelligente », du Bureau des projets et programmes d’immobilisations, du Bureau de l’expérience client et du Contrôleur général. La Direction générale comprend également les directions générales adjointes suivantes :

(…)

b) la Direction générale adjointe au développement dont le rôle est de diriger, coordonner et superviser les unités administratives suivantes :

(…)

iii) le Service de l’environnement;

[66]        En conséquence, le directeur du Service de l’environnement de la Ville de Montréal, les fonctionnaires et les employés de ce service sont habilités pour appliquer le Règlement 2001-10 de CMM et formuler les demandes de renseignements et de modifications à la défenderesse.

[67]        La requête numéro 2 de la défenderesse est donc rejetée.

            3.3       Requête numéro 3 - Inapplicabilité et illégalité

[68]        Par cette requête, la défenderesse vise à faire déclarer inapplicable l’article 3.04 du Règlement 2001-10, lequel prévoit que :

3.04.

Il est interdit d’émettre ou de laisser émettre dans l‘atmosphère d’une ou de plusieurs cheminées situées sur une même propriété, un agent polluant odorant en quantité telle que la somme des valeurs L calculées selon la formule 3.04 soit supérieure à 1, hors des limites de cette propriété.

 

FORMULE 3.04

 

N = le nombre d‘unités d’odeur de l‘effluent considéré

z = hauteur du point d’impact, exprimée en mètres, à partir du sol

x, y, e, u, sy , sz , tels que définis à l‘article 3.02

H, vs, d, tels que définis à l’article 3.01

[69]        Elle invoque plusieurs motifs au soutien de ses prétentions auxquels s’oppose la poursuivante.

[70]        Bien que cet article ne soit pas à proprement parler, l’article qui est la source des plaintes de la poursuivante, la défenderesse soutient qu’il est la base sur laquelle reposent ses reproches et les infractions alléguées contre elle.

[71]        À ce stade, un bref rappel des faits s’avère nécessaire.

[72]        Dans les constats 310-411-566 et 310-411-570, la poursuivante reproche à la défenderesse d’avoir omis de lui transmettre un document et des renseignements concernant l’émission d’odeurs de son usine. Ces documents sont demandés par le service de la Ville de Montréal, chargé de l’application de la réglementation.

[73]        Il s’agit, en fait, d’une étude préparée par la défenderesse sur les odeurs émanant des cheminées de son usine et présentée dans le cadre d’une rencontre tenue avec les représentants de la poursuivante à la fin de 2013.

[74]        La preuve révèle que malgré deux demandes informelles formulées par M. Chèvrefils, représentant de la poursuivante, la défenderesse a refusé de lui transmettre l’étude sur les émissions d’odeurs, qu’elle avait préparée et présentée sommairement lors d’une rencontre en novembre 2013.

[75]        Le 9 avril 2014, M. Chevrefils transmet une demande formelle[25] à la défenderesse pour obtenir l’étude en question. On y indique que la demande de la poursuivante servira à déterminer si la défenderesse respecte la norme édictée à l’article 3.04 du Règlement 2001-10. On accorde à la défenderesse jusqu’au 23 mai 2014 pour transmettre le document en question.

[76]        Le 5 juin 2014, les procureurs de la défenderesse avisent la poursuivante que la défenderesse n’a pas à répondre à sa demande pour les motifs qui y sont mentionnés[26]. L’étude préparée par la défenderesse ne sera donc jamais transmise à la poursuivante.

[77]        C’est dans ce contexte que le 6 juin 2014, la poursuivante transmet une autre demande à la défenderesse exigeant qu’elle procède à une nouvelle étude d’échantillons de prélèvement d’odeurs et que les résultats lui soient transmis le 1er août 2014[27]. Encore une fois, cette étude doit permettre à la poursuivante de vérifier le respect de la norme de l’article 3.04 du Règlement 2001-10.

[78]        Aucune nouvelle étude ne sera transmise à la poursuivante tel que demandé.

[79]        Considenrant l’attitude de la défenderesse, la poursuivante initie des démarches pour effectuer elle-même une campagne d’échantillonnage des émissions d’odeurs des cheminées de l’usine de la défenderesse.

[80]        Malgré de nombreux échanges au cours de l’été 2014 et trois visites aux installations de la défenderesse, la campagne d’échantillonnage de la poursuivante ne sera pas réalisée en raison de la non-disponibilité de la défenderesse et parce que certains travaux préparatoires nécessaires n’ont pas été exécutés[28].

[81]        Cette nouvelle campagne d’échantillonnage avait aussi pour but de vérifier le respect de la norme de l’article 3.04 du Règlement 2001-10.

[82]        La poursuivante émet donc le constat d’infraction 310-411-581.

[83]        La défenderesse soulève l’inapplicabilité à son égard de l’article 3.04 du Règlement 2001-10 pour diverses raisons.

[84]        D’entrée de jeu, la poursuivante prétend que le débat initié par la défenderesse en ce qui a trait à l’article 3.04 est prématuré puisque la défenderesse n’est pas accusée de l’avoir enfreint et que le Tribunal n’a pas la compétence pour rendre un jugement déclaratoire sur sa validité de façon préventive.

[85]        Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[86]        Tout d’abord, il est clair que les demandes formulées par la poursuivante ont pour but de vérifier le respect de la norme édictée à l’article 3.04 du Règlement 2001-10 par la défenderesse.

[87]        L’article 3.04 de ce règlement est la source des demandes de la poursuivante et ici il n’est pas « prématuré » de soulever et d’en étudier l’applicabilité dans le cadre de la défense présentée par la défenderesse aux infractions qu’on lui reproche.

[88]        Ces infractions reposent sur une vérification du respect de l’article 3.04 du Règlement 2001-10 et les motifs invoqués par la défenderesse pour ne pas donner suite aux demandes de la poursuivante reposent sur l’inapplicabilité et l’illégalité de l’article 3.04 du Règlement 2001-10.

[89]        Dans ce contexte et pour ces raisons, le Tribunal est d’avis qu’en raison du lien entre les infractions que l’on reproche à la défenderesse et l’article 3.04 du Règlement 2001-10, l’examen de la légalité de cet article est pertinent à la défense présentée par Sanimax Lom Inc.

[90]        Le Tribunal procédera à l’analyse des moyens soulevés par la défenderesse.

                         3.3.1    L’article 3.04 excède la compétence de la CMM

[91]        La défenderesse soutient que la CMM a excédé les pouvoirs qui lui sont délégués par la législature provinciale en adoptant l’article 3.04 qui crée une norme trop sévère, puisque le résultat, tenant compte de l’environnement et de l’air ambiant, crée une infraction ou une norme qui n’en est pas une.

[92]        Or, le Règlement 2001-10 (anciennement le Règlement 90) remplace sur le territoire de la CMM le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère[29] par l’adoption du Décret 1466-81 du 27 mai 1981[30].

[93]        En d’autres termes, le territoire de la CMM est soustrait de l’application du règlement provincial et le Règlement 2001-10 est applicable en lieu et place.

[94]        L’article 159.1 de la Loi sur la CMM prévoit que :

 

159.1 La Communauté peut, par règlement :

 

1°  régir ou prohiber l’émission dans l’atmosphère de substances susceptibles de constituer un polluant et, notamment, déterminer pour toute catégorie de telles substances la quantité ou la concentration maximale dont l’émission dans l’atmosphère est permise;

 

2°   exiger que soit titulaire d’un permis délivré par la Communauté toute personne qui exerce une activité susceptible de causer une émission de polluant dans l’atmosphère ou qui possède ou utilise un objet dont l’usage ou le fonctionnement est susceptible de causer une telle émission; établir des classes de permis en fonction des catégories de substances émises dans l’atmosphère ou d’un autre critère;

 

3°   déterminer les qualités requises d’une personne qui demande un permis, les conditions de délivrance et de renouvellement du permis, les renseignements et les documents qu’elle doit fournir et les cas de suspension ou de révocation du permis;

 

4°  déterminer la manière dont il peut être disposé d’un polluant de l’atmosphère ou de substances susceptibles de constituer un tel polluant;

 

5°  déterminer les méthodes de prélèvement, d’analyse et de calcul d’un polluant de l’atmosphère ou de substances dont l’émission dans l’atmosphère peut constituer un polluant; habiliter le directeur du service responsable de l’assainissement de l’atmosphère ou tout autre fonctionnaire de la Communauté qu’il désigne à faire installer les ouvrages et dispositifs qu’il juge nécessaires pour permettre le prélèvement et l’analyse d’une source de pollution de l’atmosphère;

 

6°  prescrire les dispositifs dont doivent être munis les immeubles, équipements, installations et autres objets dont l’usage ou le fonctionnement est susceptible de causer l’émission d’un polluant dans l’atmosphère et établir toute autre obligation de leur propriétaire ou utilisateur en regard de ces dispositifs;

 

7°  prescrire les pouvoirs que le directeur du service responsable de l’assainissement de l’atmosphère ou que tout autre fonctionnaire de la Communauté qu’il désigne exerce lorsque l’émission d’un polluant dans l’atmosphère constitue un danger immédiat pour la vie ou la santé des personnes, des animaux ou de la flore.

 

Un règlement qui porte sur une matière prévue au paragraphe 5° du premier alinéa doit être approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs.

Un règlement adopté en vertu du présent article peut varier selon les parties du territoire de la Communauté.

La Communauté peut, par règlement approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, déléguer à une ou plusieurs municipalités de son territoire tout ou partie des compétences et pouvoirs prévus à la présente section.

[95]        La jurisprudence et les auteurs préconisent une interprétation large et libérale des pouvoirs règlementaires en matière environnementale[31].

[96]        Il n’est pas contesté qu’une odeur est un contaminant au sens de la Loi sur la qualité de l’environnement[32] et qu’un contaminant peut constituer un polluant si sa concentration dépasse un seuil déterminé par un règlement ou si sa présence est prohibée[33].

[97]        L’article 159.1 de la Loi sur la CMM permet à celle-ci d’adopter le Règlement 2001-10 et de déterminer la concentration maximale d’odeur au-delà duquel cette odeur devient un contaminant ou un polluant prohibé.

[98]        Quant à la sévérité de la norme édictée à l’article 3.04 du Règlement 2001-10, la preuve n’est pas prépondérante à cet égard. Même si tel est le cas, le Tribunal est d’avis que cela relève plus d’un reproche d’opportunité d’adopter une telle norme que de la légalité à le faire et à cet égard les tribunaux doivent se garder d’intervenir au risque d’empiéter sur le pouvoir législatif.

[99]        Le Tribunal est d’avis que la poursuivante a le pouvoir d’adopter l’article 3.04, et ne constate aucun excès de pouvoir de sa part.

[100]     Ce moyen de défense de la défenderesse est par conséquent rejeté.

                         3.3.2    Imprécision et aspect arbitraire de l’article 3.04

[101]     Il y a lieu de reproduire de nouveau le libellé de l’article 3.04 au bénéfice de la compréhension du moyen soulevé par la défenderesse.

3.04.

Il est interdit d’émettre ou de laisser émettre dans l‘atmosphère d’une ou de plusieurs cheminées situées sur une même propriété, un agent polluant odorant en quantité telle que la somme des valeurs L calculées selon la formule 3.04 soit supérieure à 1, hors des limites de cette propriété.

 

FORMULE 3.04

 

N = le nombre d‘unités d’odeur de l‘effluent considéré

z = hauteur du point d’impact, exprimée en mètres, à partir du sol

x, y, e, u, sy , sz , tels que définis à l‘article 3.02

H, vs, d, tels que définis à l’article 3.01.

[102]     La défenderesse allègue que certaines variables de l’équation ne comportent pas de définition et d’autres doivent être modifiées et complétées pour donner un sens au résultat recherché.

[103]     Selon elle une personne raisonnable ne peut en déterminer le sens et ajuster son comportement et sa conduite pour respecter la norme.

[104]     Enfin elle affirme que le libellé, tel qu’adopté, attribue une discrétion illégale aux personnes chargées de son application.

[105]     La poursuivante réplique que bien que la norme ou la formule adoptée à l’article 3.04 puisse nécessiter certaines adaptations, les personnes spécialisées dans le domaine de l’émission d’odeurs sont informées des adaptations nécessaires et sont à même d’appliquer cette formule et d’obtenir un résultat objectif.

[106]     Elle ajoute de plus, qu’en matière d’odeurs, le critère de la « personne raisonnable et bien informée » doit tenir compte du volet technique et sophistiqué du champ d’application de la norme et qu’il n’est pas déraisonnable de devoir requérir les services de professionnels pour en comprendre l’application.

[107]     La poursuivante rappelle d’ailleurs que tous les experts entendus ont reconnu être au courant des adaptations à être faites à l’article 3.04 et ils ont confirmé qu’il leur est possible de procéder à son application.

[108]     Enfin, elle invite le Tribunal à la prudence et à la retenue judiciaire relativement à l’interprétation de cette disposition.

[109]     Selon la Cour suprême du Canada[34], le test de l’imprécision requiert de déterminer si une norme est imprécise au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Afin de constituer un guide suffisant :

-       La norme doit être suffisamment précise pour offrir au citoyen possédant une connaissance moyenne et non spécialiste de la matière visée par l’interdiction, un avertissement raisonnable quant à la règle qui doit être respectée.

-       La norme doit aussi être suffisamment précise pour limiter le pouvoir discrétionnaire de l’autorité publique dans son application.

[110]     Les auteurs Pépin et Ouellette[35] soulignent, quant à eux, à l’égard d’une norme au caractère technique, ce qui suit :

Somme toute, il faut que l’imprécision atteigne un degré tel de gravité que le juge en vienne à la conclusion qu’un homme raisonnablement intelligent, suffisamment informé compte tenu le cas échéant du caractère technique du règlement, est dans l’impossibilité de déterminer le sens du règlement et de régler en conséquence sa conduite.

[111]     Le Tribunal reconnaît que la norme édictée à l’article 3.04 du Règlement 2001-10 possède un caractère hautement technique et elle s’adresse à un lecteur spécialisé pour en déterminer le sens.

[112]     Il suffit de faire référence aux longs et nombreux témoignages d’experts entendus par le Tribunal qui ont discuté des qualités, lacunes et défauts de la formule de calcul adoptée à l’article 3.04 du règlement en examen pour en saisir la complexité.

[113]     Plus particulièrement le témoignage des experts de la défenderesse Girard et Chonière et le rapport de ces derniers[36] illustrent certaines lacunes au sujet des variables «L», «N», «H» et «Z», employées dans la formule de calcul de l’article 3.04. Ils soulignent que des adaptations sont nécessaires pour donner un sens aux résultats recherchés et que cette formule est perfectible.

[114]     Ils évoquent que d’autres autorités publiques ont choisi différentes méthodes de calcul d’apport d’odeurs plus pertinentes, selon eux, que celle imposée par la CMM.

[115]     Toutefois, leur témoignage est aussi à l’effet que la formule, dite « 3.04 », leur est familière et qu’ils ont eu dans le cadre de leurs activités professionnelles à l’employer pour répondre à divers mandats qu’on leur a confiés en y faisant certaines adaptations qui sont généralement reconnues dans le milieu de l’olfactométrie.

[116]     De l’ensemble des témoignages d’experts entendus, le Tribunal retient ce qui suit :

-       La formule édictée à l’article 3.04 est connue et familière au domaine de l’olfactométrie;

-       Elle souffre de certaines lacunes que l’on peut combler en utilisant l’expérience et les règles de l’art en la matière;

-       Qu’il est possible et faisable d’y trouver un résultat d’apport d’odeur;

-       Que d’autres formules de calcul de cet apport d’odeur existent et peuvent être plus pertinentes;

-       Que la formule de l’article 3.04 est appliquée depuis 28 ans, sur le territoire de la CUM auparavant et maintenant celui de la CMM, par les professionnels du milieu.

[117]     Ces constats rendent-ils l’article 3.04 inapplicable pour cause d’imprécision et le rendent-ils tributaire d’une discrétion illégale?

[118]     Rappelons que la défenderesse gère son usine depuis plusieurs années et que l’une des conséquences de ses opérations est l’émission d’odeurs dans l’atmosphère.

[119]     D’ailleurs, des permis lui sont émis régulièrement par la CMM dans le cadre de ses activités[37].

[120]     Ainsi, elle ne peut ignorer le caractère hautement technique des normes qu’elle doit respecter pour conserver ses autorisations. Le Tribunal n’est pas face à un « citoyen ordinaire », mais bien à un citoyen sophistiqué, informé, qualifié et en mesure de faire appel à des professionnels pour assurer le respect de cette norme technique.

[121]     Dans un contexte comme le présent cas, l’auteur Patrice Garant[38] souligne qu’il est difficile de faire déclarer un règlement invalide ou inapplicable pour cause d’imprécision :

Lorsque le règlement s’adresse principalement à des milieux spécialisés, la jurisprudence admettra plus difficilement l’argument d’imprécision. Enfin comme le règlement forme l’accessoire et le complément de la loi en vertu duquel il a été édicté, il faut tenir compte de l’ensemble; il se peut que l’éclairage de la loi rende plus précis le contenu du règlement.

[122]     Certes, la preuve révèle certaines difficultés dans l’application de la formule de l’article 3.04, mais dans un contexte hautement spécialisé, le Tribunal n’y voit rien d’inhabituel. Un effort d’interprétation n’équivaut pas automatiquement à un degré d’imprécision illégal.

[123]     Les auteurs Dussault et Borgeat[39] mentionnent à ce sujet ce qui suit :

Mais jusqu’où doit aller le degré de précision de la norme? Il ne faut certes pas s’attendre à ce que le règlement soit précis au point de ne laisser échapper aucun détail. De plus, il faut bien faire la différence entre un règlement difficile à interpréter et un règlement imprécis. Ce n’est pas parce que un règlement est difficile à interpréter qu’il faut immédiatement conclure à son invalidité pour cause d’imprécision.

[124]     Dans un domaine hautement technique comme dans le cas présent, devoir faire appel aux services de professionnels constitue cet effort d’interprétation pour la personne suffisamment informée de la sphère d’application de règlement.

[125]     D’ailleurs, les experts de la défenderesse ont reconnu qu’ils ont fait dans le passé des analyses suivant la norme prévue à l’article 3.04 et qu’ils peuvent le faire si un mandat leur est confié[40].

[126]     Ainsi, malgré certaines lacunes et considérant le caractère hautement technique de la formule prévue à l’article 3.04, le Tribunal ne peut conclure à son invalidité pour cause d’imprécision.

[127]     Quant au choix de la formule édictée à l’article 3.04, ce choix relève de l’opportunité, et le Tribunal se réservera d’intervenir.

[128]     Pour ces motifs, ce moyen de défense de la défenderesse est aussi rejeté.

                         3.3.3    Caractère déraisonnable de l’article 3.04

[129]     La défenderesse soulève aussi le caractère déraisonnable de l’article 3.04.

[130]     Pour réussir à démontrer  la déraisonnabilité, le fardeau de la défenderesse est lourd comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District)[41].

[29] Il importe de se rappeler que, tout comme l’éventail des issues raisonnables, le processus à suivre varie selon le contexte et la nature du processus décisionnel en cause. La municipalité qui rend une décision dans l’exercice de ses fonctions quasi judiciaires doit parfois motiver sa décision par écrit. Mais cela ne s’applique pas au processus d’adoption des règlements municipaux. C’est se méprendre sur la nature du processus démocratique qui s’opère dans la salle du conseil municipal que d’exiger de conseillers municipaux sortant d’un vif débat sur le bien-fondé d’un règlement qu’ils produisent ensemble des motifs cohérents. Les motifs qui sous-tendent un règlement municipal se dégagent habituellement du débat, des délibérations et des énoncés de politique d’où il prend sa source.

[30] Contrairement à ce que prétend Catalyst, les municipalités n’ont pas non plus à justifier formellement leurs règlements. Rappelons que les conseils municipaux disposent d’une grande latitude quant aux facteurs à prendre en compte dans l’adoption de leurs règlements. En effet, ils peuvent prendre en considération non seulement des facteurs objectifs directement liés à la consommation de services, mais aussi des facteurs plus généraux d’ordre social, économique et politique qui touchent l’électorat.

[131]     La preuve administrée ne démontre pas que la norme adoptée par la CMM est aberrante ou choquante et qu’aucun organisme raisonnable n’aurait pu l’adopter.

[132]     Il se peut qu’il en existe de meilleures, de plus performantes ou de différentes, comme l’a souligné le Tribunal, mais il ne s’agit pas là de motifs suffisants pour conclure à sa déraisonnabilité. Ainsi, le Tribunal n’a pas à intervenir dans les choix d’une autorité publique qui s’inscrivent dans un éventail d’issues raisonnables.

[133]     La défenderesse prétend de plus que les exigences de la CMM à l’article 3.04 de son Règlement 2001-10 constituent une expropriation déguisée, qui vise à l’empêcher d’exercer ses activités légitimes.

[134]     Or, aucune preuve n’a été administrée à ce sujet par la défenderesse sur qui repose le fardeau de démontrer le bien-fondé de sa proposition.

[135]     Il est vrai que la norme peut être exigeante et nécessiter des efforts ainsi que des investissements, mais ces contraintes ne sont pas synonymes à une expropriation telle que le prétend la défenderesse.

[136]     La Cour d’appel écrit ce qui suit à ce sujet[42] :

Certes, pour le propriétaire, le fait de se conformer à une réglementation visant à protéger l'environnement est une charge supplémentaire et lui occasionne des tracas et des dépenses additionnelles.  C'est là simplement la rançon que tout propriétaire individuel doit payer pour la protection générale et collective de la nature.  La complexification de l'exercice du droit de propriété individuel pour cette raison ne saurait constituer une expropriation déguisée, non plus d'ailleurs qu'une réduction consécutive de la valeur commerciale de la propriété.

[137]     Vu l’absence de preuve que ces contraintes privent la défenderesse de l’exercice de ses activités et de la pleine jouissance de la propriété, le Tribunal rejet ce moyen.

[138]              Finalement, la défenderesse conteste la validité de l’article 8.07 du Règlement 2001-10 (anciennement le Règlement 90 de la CUM). Cet article prévoit que :

8.07.

Le Directeur ou tout employé du Service chargé de l’application du présent règlement ou d‘une ordonnance adoptée sous l’empire de ce règlement, peut exiger de toute personne qui est susceptible d‘émettre ou de laisser émettre un agent polluant, tous les renseignements, devis ou plans nécessaires pour connaître entre autres, l’émission et la nature de cet agent polluant, son débit, l‘endroit d’où il émane, les caractéristiques des installations ou appareils qui le produisent et des épurateurs utilisés ou requis. Quiconque ne fournit pas les renseignements demandés contrevient au présent règlement.

[139]     Le Tribunal souligne que l’article 159.1 de la Loi sur la CMM comporte à son premier paragraphe le pouvoir habilitant de régir l’émission de polluants :

159.1 La Communauté peut, par règlement :

1°  régir ou prohiber l’émission dans l’atmosphère de substances susceptibles de constituer un polluant et, notamment, déterminer pour toute catégorie de telles substances la quantité ou la concentration maximale dont l’émission dans l’atmosphère est permise;

[140]     La défenderesse prétend que l’on ne peut exiger qu’elle fournisse les documents que la CMM lui demande, ce pouvoir n’étant pas prévu à la loi.

[141]     Le Tribunal n’est pas d’accord. Le Tribunal considère que les demandes formulées à la défenderesse s’inscrivent nécessairement dans son pouvoir de régir l’émission dans l’atmosphère de substances susceptibles de constituer un polluant.

[142]     Dans un contexte de protection de l’environnement où l’on doit préconiser une interprétation libérale et large, de l’avis du Tribunal le terme « régir » employé à l’article 159.1 de la Loi sur la CMM, comporte celui de demander au citoyen des renseignements sur ses activités qu’il sait réglementées, ne serait-ce que pour vérifier s’il se conforme à la norme édictée. D’ailleurs, la Cour suprême dans R. c Fitzpatrick[43]rappelle ce principe dans le passage suivant:

En appliquant cette définition à la présente affaire, deux choses devraient ressortir immédiatement.  Premièrement, les renseignements fournis en l'espèce par l'appelant n'ont pas été fournis dans des «procédures l'opposant à l'État».  Ils ont plutôt été fournis conformément à une exigence règlementaire raisonnable se rapportant à la gestion des ressources halieutiques.  Deuxièmement, la « contrainte » exercée sur l'appelant est tout au plus indirecte, puisqu'elle n'est survenue qu'après qu'il eut choisi délibérément de participer à un domaine d'activité réglementé et d'assumer les obligations qui s'y rattachent.

[143]     Ici, les demandes formulées par la CMM en vertu de l’article 8.07 l’ont été conformément à une exigence règlementaire raisonnable qui se rapporte à une conduite que la défenderesse sait réglementée et à laquelle elle a choisi de participer.

[144]     Ce moyen est rejeté et en conséquence la requête numéro 3 de la défenderesse est rejetée.

            3.4       Requête numéro 4 - Violations à la Charte

[145]     Dans cette requête, la défenderesse soutient que les demandes formulées par la CMM en vertu de l’article 8.07 de Règlement 2001-10 violent ses droits garantis aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés lesquels prévoient :

Vie, liberté et sécurité

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Fouilles, perquisitions ou saisies

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[146]     Le Tribunal n’est pas de cet avis. En fait, la défenderesse sait qu’elle exerce ses activités dans une sphère réglementée et où les demandes formulées sont raisonnables eu égard aux pouvoirs qui soutiennent les demandes transmises.

[147]     D’ailleurs, la Cour suprême du Canada dans Irwin Toy Ltd.[44] rappelle que la défenderesse ne peut bénéficier de la protection contre l’auto-incrimination.

[148]     Dans l’arrêt Jarvis[45], la Cour suprême du Canada souligne que l’inspection et la vérification permettant de déterminer la conformité d’une activité aux objectifs visés par la réglementation ne constituent pas une violation de l’article 7 de la Charte.

[149]     Ici, par ses demandes la CMM désire vérifier la conformité des émissions d’odeurs de la défenderesse dans le cadre de ses activités.

[150]     Il n’y a donc pas de violation à un droit garanti à la défenderesse par les articles 7 et 8 de la Charte et en conséquence rejette sa requête numéro 4.

            3.5       Diligence raisonnable

[151]     La défenderesse présente une défense de diligence raisonnable aux infractions qu’on lui reproche et la poursuivante convient que ces infractions sont de responsabilité stricte donnant ouverture à la défense proposée par la défenderesse.

[152]     Il y a lieu de répéter quelles sont les infractions reprochées. La poursuivante allègue que les 26 juin 2014 et 27 août 2014 la défenderesse a omis de transmettre au représentant de la poursuivante un document qu’on lui avait demandé depuis plusieurs mois. En l’occurrence il s’agit d’un rapport concernant ses émissions d’odeurs.

[153]     À la suite de son refus, les constats 310-411-566 et 310-441-570 lui sont signifiés par la poursuivante.

[154]     C’est dans ce contexte que la poursuivante décide de procéder elle-même aux prélèvements d’échantillons d’odeurs aux installations de la défenderesse au cours de l’été 2014. Des rencontres sont fixées entre les représentants des parties, des visites préliminaires sont organisées, mais jamais les représentants de la poursuivante ou leurs mandataires ne peuvent procéder aux prélèvements nécessaires aux fins de contrôler et d’analyser les émissions de la défenderesse. En conséquence, le constat 310-411-581 lui sera signifié.

[155]     Les événements qui ont donné lieu à l’émission des constats d’infractions  ne sont pas contestés par la défenderesse.

[156]     En ce qui a trait aux infractions de ne pas avoir transmis les documents demandés par la défenderesse et qui font l’objet des constats d’infraction 310-411-566 et 310-411-570, la défenderesse admet ne pas avoir transmis les documents suite aux demandes formulées par les représentants de la CMM.

[157]     Elle explique que le climat, entre elle, les citoyens du secteur et la Ville de Montréal, est devenu tendu et qu’après consultation auprès de ses procureurs elle décide de ne pas transmettre les documents et renseignements exigés.

[158]     En invoquant une défense de diligence raisonnable, la défenderesse doit démontrer par la prépondérance des probabilités qu’elle a pris toutes les précautions pour éviter la commission de l’infraction[46].

[159]     Dans Ville de Levis c. Tétreault[47] la Cour suprême du Canada enseigne qu’il y a lieu de distinguer passivité et diligence :

Le concept de diligence repose sur l’acceptation d’un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées.  L’ignorance passive ne constitue pas un moyen de défense valable en droit pénal. 

[160]     Le fardeau de la défenderesse est plus lourd puisqu’elle exerce ses activités dans un domaine réglementé et où un permis est nécessaire comme on a déjà pu le constater.

[161]     Dans un tel cas, la Cour suprême du Canada dans R. c. Wholesale Travel Group Inc.[48] souligne :

Le concept de l'acceptation des conditions repose sur la théorie que ceux qui choisissent de se livrer à des activités réglementées ont, en agissant ainsi, établi un rapport de responsabilité à l'égard du public en général et doivent assumer les conséquences de cette responsabilité.  C'est pourquoi on devrait considérer, dit-on, que ceux qui se livrent à une activité réglementée ont accepté, dans le cadre de la conduite responsable qu'ils doivent assumer en raison de leur participation au domaine réglementé, certaines conditions applicables aux personnes qui agissent dans la sphère réglementée.

[162]     La Cour supérieure dans Struc-Fer inc. c. Commission de la santé et de la sécurité de travail[49], au par. 28 de sa décision, mentionne ce qui suit :

Il incombe à celui qui l’invoque de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’on a pris toutes les précautions nécessaires. Cela comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. Il s’agit de déterminer si l’on a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. Dans l’évaluation de la diligence raisonnable, la conduite d’un défendeur s’apprécie à l’égard de l’infraction commise et non à l’égard de la conduite générale que celui-ci aurait dû observer.

[163]     Dans le cas présent, à l’égard des infractions qu’on lui reproche, dans les constats précités, la défenderesse a-t-elle pris toutes les précautions qu’une personne raisonnable aurait prises dans les circonstances?

[164]     Le Tribunal ne le croit pas.

[165]     La preuve révèle que la défenderesse se fie aux conseils de ses procureurs pour ne pas transmettre les documents qu’on lui demande[50].

[166]      Or il est acquis que ce moyen de défense ne peut constituer la base d’une défense de diligence raisonnable[51].

[167]     Le Tribunal rappelle que les documents que l’on demande à deux occasions existent au moment où ces demandes sont transmises à la défenderesse, elle en a même fait une présentation sommaire aux représentants de la CMM à la fin de l’année 2013.

[168]     Dans ce contexte et bien que les conseils reçus de ses procureurs puissent être légitimes, la défenderesse a choisi en toute connaissance de cause de suivre les conseils de ses avocats, et ce à ses risques et périls.

[169]     Cette décision de sa part n’est pas suffisante pour supporter et rencontrer le fardeau qui lui est imposé dans ces infractions qui lui sont reprochées aux constats 310-411-566 et 310-411-570.

[170]     En ce qui a trait à l’infraction alléguée au constat 310-411-581, la preuve révèle que de façon complémentaire et parallèle, la Ville de Montréal entreprend des démarches auprès de la défenderesse pour effectuer des prélèvements et des analyses d’odeurs rejetés par certaines cheminées de son usine.

[171]     La Ville de Montréal mandate une firme spécialisée pour effectuer les prélèvements et les analyses en question. On prévoit que les travaux seront réalisés en juillet 2014. La défenderesse en est informée.

[172]     Or, faisant volte-face, la défenderesse refuse l’accès à ses installations aux représentants de la Ville de Montréal.

[173]     Les parties ont par la suite discuté et ont convenu que certains travaux préparatoires doivent être effectués aux installations de la défenderesse en vue de permettre le prélèvement d’échantillons.

[174]     On alloue un délai jusqu’au 4 septembre 2014 pour l’exécution des travaux.

[175]     Le 5 septembre 2014, le représentant de la Ville de Montréal ne peut vérifier si les travaux sont exécutés, aucun représentant de la défenderesse n’est disponible pour l’accompagner.

[176]     Le 8 septembre 2014, le représentant de la Ville de Montréal se présente de nouveau et constate que les travaux préparatoires n’ont pas été effectués rendant impossibles les prélèvements d’émissions d’odeur requis. Le représentant de la défenderesse l’informe que les travaux en question seront exécutés sous peu.

[177]     Lors d’une nouvelle visite du représentant de la Ville de Montréal le 6 octobre 2014, on constate que les travaux n’ont toujours pas été effectués.

[178]     Ce contexte donne lieu au constat 310-411-581.

[179]     La défenderesse répond qu’elle a pris des dispositions pour satisfaire la demande des représentants de la Ville de Montréal, mais certaines contraintes ont fait en sorte qu’elle n’a pas été en mesure de réaliser les travaux préparatoires qu’exigeait la demande formulée par la poursuivante.

[180]     Elle invoque entre autres la non-disponibilité de fournisseurs et le délai trop court qui lui avait été octroyé.

[181]     Elle soutient aussi avoir dû consulter ses propres experts pour vérifier les détails de la demande transmise par la poursuivante et la méthode préconisée pour effectuer les travaux préparatoires aux prélèvements d’échantillons d’odeurs émises de ses installations.

[182]     Dans ces circonstances la défenderesse a-t-elle rencontré son fardeau de démontrer une diligence raisonnable? Le Tribunal ne le croit pas.

[183]     En fais, la preuve révèle que les travaux préparatoires requis sont peu complexes. Il s’agit de préparer quelques puits de captation sur les cheminées identifiées des installations de la défenderesse.

[184]     La défenderesse n’a pas démontré qu’aucune entreprise n’était disponible pour exécuter ces travaux entre juillet et octobre 2014. Les témoignages des M.M. Caputo et Houle ne le démontrent pas, si ce n’est que pour la période des vacances estivales de la construction.

[185]      La défenderesse a plutôt choisi ici encore d’être passive en cherchant à contester et discuter de la méthode et de l’opportunité d’effectuer ces travaux. Il ne s’agit pas d’une démonstration d’une quelconque diligence.

[186]     La défenderesse a exercé un choix stratégique, dicté pas ses propres intérêts, dans un contexte où la Ville de Montréal, autorité chargée de l’application de la réglementation, décide quant à elle d’exercer un contrôle plus serré des émissions d’odeurs provenant de son installation.

[187]     La décision de la Ville de Montréal d’exercer ce contrôle est quant à elle légitime et justifiée compte tenu des plaintes qu’elle reçoit des citoyens au sujet des odeurs provenant présumément de l’usine de la défenderesse.

[188]     La défense de la défenderesse est donc rejetée.

IV         CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[189]     DÉCLARE la défenderesse Sanimax Lom Inc. coupable des infractions reprochées aux constats 310-411-566, 310-411-570 et 310-411-581.

[190]     Convoque les parties devant le Tribunal à une date ultérieure afin de déterminer la peine à imposer.

 

 

 

__________________________________

Stéphane Brière, J.C.M.

 

 

 

 

 

Me Anne-Marie McSween et Me Rosine Knafo

Procureurs pour la poursuivante

 

Me Serge Amar et Me Luc Gratton.

Procureurs pour la défenderesse

 

Dates d’audience :

9 sept. 2016, 20 oct. 2016, 13, 15 et 16 févr. 2017, 27, 28, 29, 30 et 31 mars 2017, 11, 12, 13, 14 et 15 sept. 2017

 



[1]    Règlement 2001-10 sur les rejets à l’atmosphère et sur la délégation de son application

[2]    RLRQ c. C-37.01

[3]    Id.

[4]    L.Q. 2000, c. 27

[5]    L.Q. 2000, c. 56

[6]    RLRQ c. Q-2

[7]        (1981) 113 G.O.Q., partie 2, p. 2575

[8]        Entente entre le gouvernement du Québec et la CUM du 23 février 1981

[9]    Préc., note 5

[10]   R.L.R.Q. c. C-11.4

[11]   Pierre-André Côté, Interprétation des loi, 9e ed., Montréal, éditions Thémis,  2009, p.324

[12]   Lettre d’approbation du ministre de l’Environnement du 12 décembre 2001

[13]   Protocole d’entente entre la CMM et la Ville de Montréal, mars 2004

[14]    Id.

[15]    Règlement relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté (Règlement 90 de la CUM modifié par les Règlements nos 90-1, 90-2 et 90-3)

[16]    Id.

[17]    Id., art. 1.1

[18]    Id., art. 8.04 et 8.07

[19]    [2004] 1 RCS 727, p 744-745

[20]    P. A. Côté, précité, note 11, p.433

[21]    Règlement 2001-04 concernant les services de la Communauté métropolitaine de Montréal et établissant le champ de leurs activités

[22]    Pièce I-13, différents permis délivrés aux installations de Sanimax Lom Inc

[23]    Pièce R-1, lettre des M.M. Lachance et Chevrefils du 9 avril 2014; Pièce R-2, lette des M.M. Raby et Chevrefils du 6 juin 2014; Pièce R-3, lettre des M.M. Lachance et Chevrefils du 27 juin 2014; Pièce R-4, lettre des M.M. Chevrefils et Naud du 25 juillet 2014

[24]    Règlement 14-012 sur les services de la Ville de Montréal

[25]    Pièce P-5, lettre des M. M. Lachance et Chevrefils du 9 avril 2014

[26]    Pièce D-1, lettre de Me Gratton à M. Chevrefils du 4 juin 2014

[27]    Pièce P-6, lettre des M.M. Raby et Chevrefils du 6 juin 2014

[28]    Pièces P-12, lettre des M.M. Chevrefils et Naud du 25 juillet 2014 (Avis-modification aux cheminées permettant l’échelonnage des émissions à l’atmosphère); Pièce P-13, document du rapport de visite du 17 décembre 2014

[29]    Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère, LRQ c. Q.2 R.4.1

[30]    Préc., note 7

[31]        Québec (Procureur général) c. Gestion environnementale Nord-Sud Inc., 2012 QCCA 357, Marcoux c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2015 QCCA 1119, Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165

[32]    LRQ c. Q-2

[33]     Id., art. 1

[34]     Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc, [1985] 1 R.C.S. 368, para. 399-403,        R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, para. 632-643

[35]    Gilles Pépin et Yves Ouellette, Principes de contentieux administratif, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1982, p.126

[36] Pièce D-10, rapport d’expertise du 24 mars 2017

[37]    Pièce P-10, permis

[38]    Patrice Garant, Droit administratif, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017, 3.338

[39]    René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, 2e éd., tome 1, Presses de l’Université Laval, 1984, p. 540

[40]    Témoignage de M. Chouinière du 28 mars 2017

[41]    [2012] 1 RCS 5, para 29-30

[42]    Abitibi (Municipalité régionale de comté) c. Ibitiba ltée, REJB 1993-64267

[43]    R. c Fitzpatrick, [1995] 4 RCS 154, para 34

[44]    Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 RCS 927

[45]    R. c. Jarvis, [2002] 3 RCS 757

[46]    R. c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 RCS 1299, p. 1326

[47]    [2006] 1 RCS 420, p. 422

[48]    [1991] 3 RCS 154, p. 229

[49]    2013 QCCS 152, par. 28

[50]    Témoignage de M. Eric Caputo du 28 mars 2017

[51]    Molis c. La Reine, [1980] 2 RCS 354, R. c. Pintes, [1995] 3 RCS 44, par. 34, Autorité des marchés financiers c. La Souveraine, 2012 QCCA 13, par. 243

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