Placements Pellicano inc. c. Ville de Montréal |
2017 QCCS 2625 |
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JL 4473 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-070693-125 |
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DATE : |
19 juin 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL LAMARCHE, J.C.S. |
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LES PLACEMENTS PELLICANO INC. |
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GESTION DE LA BRUÈRE INC., f.a.s.r.s. CHEZ NINO |
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SOCIÉTÉ ALTAMURA S.E.N.C. |
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9123-9699 QUÉBEC INC., f.a.s.r.s. MARCHÉ TANIA |
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LEOPOLDO SECCARECCIA |
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FRUITERIE LEOPOLDO ENR. |
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ANTONIA IASENZANIRO, f.a.s.r.s. de ULTRAFRUITS |
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FRANCINE BOIVIN, f.a.s.r.s. CHEZ LOUIS FRUITS ET LÉGUMES |
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Demandeurs |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Les demandeurs sont tous propriétaires ou locataires d’un emplacement au Marché Jean-Talon utilisé pour la vente de fruits et légumes[1].
[2] En façade de ces commerces, il y a un trottoir propriété de la Ville de Montréal faisant partie du domaine public. Les demandeurs nomment cet espace la « passerelle ».
[3] Ils y installent des étals de fruits et légumes, et ce, depuis plus de 60 ans sans détenir de permis ni payer quelque taxe ou redevance que ce soit à la Ville.
[4] Le 17 novembre 2011, la Ville leur transmet un avis (« Avis de 2011 ») exigeant qu’ils obtiennent un permis et paient la tarification pour l’occupation de la passerelle, en conformité avec le Règlement sur l’occupation du domaine public à l’égard de l’arrondissement Rosemont-La-Petite-Patrie (« VM-5 »)[2] et le Règlement sur les tarifs (« VM-6 »)[3].
[5] Les demandeurs sollicitent du Tribunal une déclaration que les règlements VM-5 et VM-6 leur sont inapplicables[4].
[6] Au soutien de leur position, les demandeurs invoquent une entente intervenue en 1994 dans une autre instance, selon laquelle la Ville reconnaîtrait le droit d’occupation des demandeurs sur la passerelle et se serait engagée à ne pas requérir quelque droit, redevance ou permis que ce soit auprès d’eux.
[7] Les demandeurs appuient également leur position sur la théorie de la préclusion promissoire (promissory estoppel). Ainsi, la Ville serait forclose de requérir l’obtention d’un permis et le paiement du tarif en vertu des règlements VM-5 et VM-6, puisqu’elle ne les a jamais requis des demandeurs par le passé.
[8] Subsidiairement, les demandeurs font valoir que si le Tribunal conclut que les règlements VM-5 et VM-6 s’appliquent, alors les articles 48 à 50 du règlement VM-5 fixent le tarif d’occupation à 0 $. Les demandeurs n’auraient qu’à obtenir le permis.
[9] Aucun des arguments des demandeurs ne convainc le Tribunal.
[10] L’entente de 1994 n’a pas la portée qu’y voient les demandeurs et la théorie de la préclusion promissoire ne s’applique pas. Enfin, l’interprétation des articles 48 et suivants du règlement VM-6 ne peut amener le Tribunal à conclure que le tarif exigible est de 0 $.
[11] Le présent dossier soulève donc les questions suivantes :
Ø Les demandeurs sont-ils exemptés des règlements VM-5 et VM-6 en raison de l’entente intervenue le 2 février 1994?
Ø Les demandeurs sont-ils exemptés de l’application des règlements VM-5 et VM-6 en raison des agissements de la Ville (préclusion promissoire)?
Ø Le tarif prévu au règlement VM-6 est-il de 0 $?
[12] En 1992, alors que certains des demandeurs et autres commerçants (« Demandeurs de 1992 ») occupent déjà la passerelle depuis plus de 40 ans, la Ville leur fait parvenir un avis exigeant qu’ils procèdent à l’enlèvement de toutes leurs installations situées sur la passerelle parce qu’ils sont en violation des règlements de l’époque sur l’occupation du domaine public. Il s’agit des versions antérieures des règlements VM-5 et VM-6. À défaut, la Ville les informe qu’elle procédera elle-même à la destruction desdites installations.
[13] Le 26 mai 1992, le juge André Denis émet une injonction provisoire, avec le consentement de la Ville, ordonnant à cette dernière de s’abstenir d’enlever les installations des Demandeurs de 1992 situées sur la passerelle[5].
[14] Cette injonction provisoire est renouvelée à plusieurs reprises jusqu’à ce que le 25 février 1994, la juge Hélène LeBel entérine un mémoire d’entente signé par la Ville et la majorité des Demandeurs de 1992 (« Mémoire d’entente »)[6]. Le Mémoire d’entente prévoit notamment :
[...]
CONSIDÉRANT que l’ordonnance d’injonction provisoire a été reconduite à plusieurs reprises, avec le consentement de l’intimée [la ville], jusqu’à ce jour, les parties en l’instance étant en période de négociations;
CONSIDÉRANT que les parties ont convenu de maximiser les efforts, les négociations et les démarches, pour tenter d’en arriver à un règlement hors Cour de tous les litiges en l’instance;
[...]
5- L’intimée s’engage par les présentes à ne pas requérir quelque droit et/ou redevance et/ou permis que ce soit, pour l’opération du commerce des requérants [Défendeurs de 1992], à ne pas tenter ni directement, ni indirectement, de démanteler les installations des requérants, situées sur le trottoir où chacun d’eux opère actuellement son fonds de commerce, et à ne prendre aucune disposition qui soit contraire aux droits des requérants, tel qu’allégué et réclamé en l’instance, et en somme, l’intimée s’engage à maintenir le statu quo actuel jusqu’à ce que la période de négociations soit terminée, et qu’un règlement soit intervenu, ou à défaut, qu’un avis de présentation de la requête pour émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire, soit signifié à l’intimée par les requérants;
6- Les procédures en l’instance sont donc en conséquence des présentes, et des intentions des parties de négocier et de tenter d’en arriver à un règlement, suspendues, jusqu’à avis contraire, des requérants ou de l’intimée, auquel cas chacun d’entre les requérants ou l’intimée pourra alors faire parvenir son avis de présentation pour toutes procédures judiciaires en l’instance, afin de continuer lesdites procédures judiciaires instituées, et de mettre le dossier en état et ainsi disposer par diverses auditions, conformément à la loi, des procédures judiciaires en l’instance;
7- L’intimée de même que les requérants, jusqu’à la réception de l’avis prévu au paragraphe précédent, s’engagent à ne prendre aucune démarche judiciaire, ni à ne faire signifier aucune procédure judiciaire, ni à ne poser aucun geste en l’instance, de la nature à faire progresser le dossier devant les tribunaux, jusqu’à ce que l’une des parties ait fait parvenir à l’autre partie, l’avis prévu aux présentes, démontrant son intention de mettre fin aux négociations et de continuer les procédures judiciaires en l’instance;
[Soulignements du Tribunal]
[15] Outre la Ville, les signataires du Mémoire d’entente sont :
- Marché général Piazza (1986) inc;
- Les entrepôts VFL Ltée. (Chez Paul Market);
- Giuseppe Romito, Giovanni Abate et Egidio Abate pour Marché Tania enr;
- Léopoldo Seccareccia pour Léopold Fruit Store;
- Ibrahim Cocelli pour Motta fruit;
- Sami fruit inc.;
- Antonio Iasenzaniro pour Dario fruit;
- Mohamed Assi pour Chez Assi enr.;
- Taher Raafat pour Chez Taher fruits et légumes enr.;
- Taher Raafat pour Taher 178 fruits.
[16] L’instance est par la suite suspendue.
[17] Le temps passe et le statu quo est maintenu. Cependant, aucun règlement hors cour de l’instance n’intervient. Aucune des parties au présent dossier ne témoigne sur la durée des négociations à la suite de la signature du Mémoire d’entente.
[18] À l’automne 2010, le rapport du Bureau du vérificateur général de la Ville de Montréal incite la Ville à modifier son approche relativement à l’émission et au contrôle des permis d’occupation du domaine public pour l’arrondissement où est situé le Marché Jean-Talon[7].
[19] Ce rapport indique notamment qu’en raison de la sécurité des citoyens et dans un souci d’équité pour tous les exploitants de commerce, la Ville devrait faire respecter les règlements VM-5 et VM-6[8]. Il y a en effet d’autres commerçants occupant la passerelle qui se conforment aux règlements VM-5 et VM-6[9].
[20] Le 17 novembre 2011, à la suite de ce rapport, la Ville transmet aux demandeurs l’Avis de 2011 les enjoignant à se soumettre aux règlements VM-5 et VM-6 avant le 1er décembre 2011[10] en obtenant un permis d’occupation pour une somme de 67 $ et en acquittant le montant de la tarification[11].
[21] Les demandeurs soutiennent que le Mémoire d’entente est devenu une entente finale liant la Ville et bénéficiant à tous les demandeurs en la présente instance même s’ils n’en sont pas les signataires, car il vise les locaux qu’ils occupent.
[22] Le Mémoire d’entente est un contrat, qui n’a d’effet qu’entre les parties signataires, excepté dans les cas prévus par la loi[12]. En l’espèce, la preuve ne démontre pas qu’une des exceptions concernant les tiers s’applique.
[23] D’autre part, les droits découlant du Mémoire d’entente sont des droits personnels et non des droits réels se rattachant à un immeuble[13].
[24] Les deux seuls signataires du Mémoire d’entente parmi les demandeurs du présent dossier dont le Tribunal est saisi, sont Leopoldo Seccareccia qui signe l’entente au nom de Leopold Fruit Store enr. ainsi qu’Antonio Iasenzaniro qui signe l’entente au nom de Dario Fruits, une raison sociale. En date de l’audience, Antonio Iasenzaniro opère le même commerce de fruits et légumes, mais sous une autre raison sociale, soit Ultrafruits. Léopold Fruit Store enr. a changé de nom pour Fruiterie Léopold enr.
[25] Les autres défendeurs au présent dossier ne sont pas signataire du Mémoire d’entente.
[26] Ainsi, la société Les Placements Pellicano inc. (« Pellicano ») est propriétaire du local loué par Gestion de la Bruère inc. qui exploite le commerce Chez Nino. Pellicano n’est pas signataire du Mémoire d’entente et ne peut donc s’en prévaloir.
[27] Quant à Gestion de la Bruère inc., elle acquiert le fonds de commerce (Chez Nino) de Madame Lafontaine et Monsieur Marcone qui l’avaient acquis d’Entrepôt VFL Ltée lequel l’opérait sous la raison social Chez Paul Market. Entrepôt VFL ltée est signataire du Mémoire d’entente. Cependant, il n’y a aucune preuve que l’achat du fonds de commerce par Madame Lafontaine et Monsieur Marcone puis par Gestion de la Bruère inc. comprend la cession des droits dans le litige de 1992. Gestion de la Bruère inc. ne peut prétendre à aucun droit découlant du Mémoire d’entente.
[28] Madame Francine Boivin opérant son commerce sous la raison sociale de Chez Louis fruits et légumes n’a jamais signé le Mémoire d’entente. Elle affirme avoir acquis le commerce de sa sœur qui, elle-même, l’a acquis de Luigi Di Furia qui exploitait alors un commerce sous le nom de Fruiterie du Marché du Nord enr. Or, Monsieur Di Furia, un des Demandeurs de 1992, n’a jamais signé le Mémoire d’entente et personne d’autre ne l’a signé au nom de Fruiterie du Marché du Nord enr. Madame Boivin ne peut donc prétendre à aucun droit découlant du Mémoire d’entente.
[29] 9123-9699 Québec inc. qui exploite un commerce sous la raison sociale Marché Tania, n’est pas signataire du Mémoire d’entente. À l’époque du Mémoire d’entente, la société 9123-9699 Québec inc. n’est pas encore créée. Les signataires du Mémoire d’entente pour Marché Tania sont trois individus. 9123-9699 Québec inc. ne peut donc bénéficier du Mémoire d’entente.
[30] Les deux seuls défendeurs qui peuvent prétendre à des droits découlant du Mémoire d’entente sont Léopoldo Seccareccia et Antonio Iasenzaniro. Cependant, tel qu’expliqué dans la section suivante, le Mémoire d’entente n’est pas de la nature d’un règlement final permettant à ces deux défendeurs de soutenir que la Ville s’est engagée à ne pas exiger qu’ils se conforment aux règlements VM-5 et VM-6 ad vitam aeternam.
[31] Le Mémoire d’entente est signé dans le contexte où les Demandeurs de 1992 obtiennent une injonction provisoire.
[32] Tel qu’il appert des considérants et notamment de la clause 6 du Mémoire d’entente, les parties maximisent les efforts pour tenter d’arriver à un règlement hors cour du dossier. Pour cette raison, elles suspendent l’instance et maintiennent le statu quo.
[33] Ainsi, la Ville n’exige pas que les Demandeurs de 1992 libèrent l’espace public et ne leur impose aucune taxe ni la nécessité d’obtenir un permis. De leur côté, les Demandeurs de 1992 s’engagent à n’entreprendre aucune autre procédure.
[34] Cette entente ne vise donc que le stade interlocutoire du litige. Sinon, pourquoi les parties négocient-elles pour tenter de conclure un règlement hors cour des litiges de l’instance? Il est de plus prévu à l’entente, deux conditions résolutoires[14]. Ainsi, celle-ci prendra fin si une des deux conditions suivantes se réalise, soit qu’un règlement final intervient, soit qu’une des parties démontre son intention de mettre fin aux négociations et de continuer les procédures judiciaires. Le texte du Mémoire d’entente est clair à l’égard de sa nature et ne peut permettre au Tribunal de conclure qu’il s’agit d’une entente finale.
[35] Par ailleurs, même si le Tribunal devait décider que le Mémoire d’entente est ambigu quant à sa nature en raison du comportement des parties depuis 1994 ou encore du texte des clauses 5 à 7, son interprétation ne peut mener le Tribunal à conclure qu’il est l’expression de la volonté des parties de régler définitivement le litige en maintenant le statu quo.
[36] Dans son exercice d’interprétation, le Tribunal doit rechercher l’intention commune des parties lors de la signature du Mémoire d’entente[15].
[37] Au moment de sa signature, les parties envisagent nécessairement un accord temporaire puisqu’elles négocient en vue de conclure une entente finale. Cette intention apparaît des considérants et notamment des clauses 5 à 8. Bien sûr, les Demandeurs de 1992 espèrent convaincre la Ville de ne pas leur imposer l’application des règlements sur l’occupation du domaine public. Toutefois, rien dans le Mémoire d’entente n’indique ou ne laisse soupçonner un tel engagement de la Ville.
[38] D’autre part, lorsque le Tribunal doit interpréter un contrat, si deux interprétations sont possibles, il doit choisir celle qui rend le contrat valide plutôt que celle qui le rend nul[16]. Or, conclure que le Mémoire d’entente vise à régler définitivement le litige entre les Demandeurs de 1992 et la Ville quant à l’occupation de la passerelle, rendrait cette entente nulle.
[39] En effet, la Ville ne peut renoncer à percevoir des taxes[17]. Si le Mémoire d’entente est considéré comme une entente finale, il équivaut à une renonciation de percevoir une taxe auprès de ses signataires. Il serait donc nul.
[40] De plus, en faisant du Mémoire d’entente un règlement final, la Ville aurait transigé afin de permettre aux Demandeurs de 1992 d’occuper le domaine public en violation des règlements VM-5 et VM-6 ainsi que de leurs versions antérieures alors que tous les autres commerces y sont soumis. La Ville ne peut agir ainsi[18].
[41] Enfin, une entente finale prévoyant que les Demandeurs de 1992 peuvent occuper le domaine public sans payer de taxes et sans obtenir de permis serait en violation de la Loi sur l’interdiction de subventions municipales[19] et ses versions antérieures. Elle serait également nulle pour cette raison[20].
[42] Le Tribunal doit donc conclure que malgré le comportement des parties qui ont laissé perdurer le Mémoire d’entente de 1994 à 2011, cette entente n’est pas une entente finale ou permanente qui règle le sort du présent litige ou qui engage la Ville à ne pas exiger que ses signataires se soumettent au règlement VM-5.
[43] Mais l’entente est-elle terminée? Les conditions résolutoires se sont-elles réalisées?
[44] Le Tribunal estime que oui.
[45] Les clauses 5 à 7 du Mémoire d’entente ne sont pas claires quant aux avis nécessaires pour que l’entente soit considérée terminée.
[46] À la clause 5, les parties prévoient qu’un « avis de présentation de la requête en injonction doit être signifiée ». À la clause 6, les parties prévoient plutôt « un avis contraire des requérants ou de l’intimé » ainsi que « l’avis de présentation pour toute procédure judiciaire en l’instance ». Enfin au paragraphe 7, les parties mentionnent que l’instance est suspendue « jusqu’à la réception de l’avis prévu au paragraphe [6] » et aussi « jusqu’à ce que l’une des parties ait fait parvenir à l’autre partie, l’avis prévu aux présentes démontrant son intention de continuer les procédures judiciaires en l’instance »[21].
[47] L’intention des parties qui ressort de ces extraits veut qu’elles s’avisent de leur désir de mettre fin à la période de négociation et de saisir le Tribunal de la question de l’assujettissement des Demandeurs de 1992 aux règlements sur l’occupation du domaine public.
[48] L’Avis de 2011 que la Ville transmet aux Demandeurs de 1992 est l’équivalent de l’avis de fin de négociations prévu au Mémoire d’entente.
[49] De plus, en s’adressant à la Cour par la présente demande en jugement déclaratoire, les demandeurs incluant les Demandeurs de 1992 recherchent une décision de la Cour sur la même question que celle recherchée dans le dossier de 1992, soit de déterminer s’ils sont soumis aux règlements sur l’occupation du domaine public et sa tarification qui sont devenus les règlements VM-5 et VM-6. Ce n’est pas parce que les défendeurs choisissent de notifier une demande de jugement déclaratoire dans le présent dossier plutôt que de transmettre un avis de présentation de la requête pour l’émission d’une injonction dans le dossier de 1992, qu’il faut conclure que le Mémoire d’entente est toujours en vigueur. Par l’Avis de 2011 que la Ville transmet et la demande de jugement déclaratoire, les parties se signifient mutuellement leur intention de continuer les procédures judiciaires à l’égard de l’assujettissement aux règlements VM-5 et VM-6, comme il est prévu au paragraphe 7 du Mémoire d’entente.
[50] Le Tribunal considère que les deux conditions résolutoires prévues au Mémoire d’entente sont maintenant présentes, soit un avis de fin de négociations et un avis de l’intention de continuer les procédures judiciaires. Le Mémoire d’entente n’est donc plus en vigueur.
[51] Étant donné la conclusion précédente, à moins d’une exemption sur la base de la théorie de la préclusion promissoire, les demandeurs en la présente instance, que ce soit ceux visés par le Mémoire d’entente ou ceux qui ne le sont pas, sont tous soumis aux règlements VM-5 et VM-6.
[52] La validité des règlements VM-5 et VM-6 n’est pas attaquée et il n’est pas contesté que les demandeurs occupent le domaine public.
[53] Les demandeurs invoquent la doctrine de la préclusion promissoire afin de justifier leur demande. Ils soutiennent que par l’omission de la Ville d’appliquer ses règlements VM-5 et VM-6 pendant plus de 60 ans, celle-ci a créé une promesse que les demandeurs n’y seraient jamais assujettis.
[54] Cette doctrine ne peut être invoquée en droit public pour contester l’application d’un règlement ou d’une loi. Dans Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville)[22] la Cour suprême se prononce comme suit :
[20] […] la doctrine de la préclusion en droit public doit céder devant un intérêt public prépondérant, et elle ne peut être invoquée pour contester l’application d’une disposition explicite de loi
[…]
[30] […] Le principe voulant que la préclusion ne puisse être invoquée pour contrer l’application d’une disposition explicite de la loi vaut tout autant en droit pénal que dans le cadre d’une instance civile.
[55] Au surplus, les conditions d’application de la préclusion promissoire ne sont pas satisfaites.
[56] Ces conditions sont les suivantes :
- l’autorité publique a fait des promesses;
- l’autorité publique a eu l’intention d’inciter le contribuable à poser certains gestes;
- le contribuable s’est fié aux promesses de l’autorité publique pour ajuster son comportement; et finalement,
- le contribuable a agi en considération des promesses qui lui sont faites[23].
[57] Selon les demandeurs, la promesse de la Ville aurait été de leur permettre d’occuper le domaine public sans permis et sans payer de tarifs, le tout contrairement aux règlements VM-5 et VM-6.
[58] Pour que la théorie de la préclusion s’applique, la promesse doit précéder les agissements et non l’inverse. Or, en l’espèce, les demandeurs ont toujours occupé l’espace public, du moins c’est ce qu’ils indiquent. Ils soutiennent que la Ville n’a jamais réagi à leur occupation en leur demandant de respecter les règlements avant le début des procédures de 1992. La preuve ne démontre pas qu’avant que les demandeurs s’installent dans l’espace public, la Ville leur avait promis qu’elle n’appliquerait pas les règlements VM-5 et VM-6 ou leurs versions antérieures. L’alléguée promesse ne précède donc pas les agissements reprochés.
[59] Par ailleurs, rien ne démontre que les demandeurs ont changé ou ajusté leur comportement en fonction de cette alléguée promesse. Au contraire, la preuve démontre qu’ils n’ont absolument rien changé. Depuis plusieurs décennies, ils occupent la passerelle et continuent de l’occuper.
[60] Par conséquent, la théorie de la préclusion ne peut servir les demandeurs.
[61] De surcroît, la jurisprudence reconnaît que la tolérance de la Ville sur l’empiètement du domaine public ne crée aucun droit[24].
[62] Le Tribunal conclut que les demandeurs ne sont pas exemptés de l’application des règlements VM-5 et VM-6.
[63] Les articles 48 à 50 du règlement VM-5 invoqués par les défendeurs prévoient ce qui suit :
48. Sous réserve de la sous-section 2, les droits et obligations créés par un règlement, une résolution du comité exécutif ou la décision d’un fonctionnaire délégué donnant effet avant le 1er août 1995, à un contrat autorisant une occupation périodique ou permanente du domaine public, sont remplacés par les droits et obligations découlant des sections I à V du présent règlement, à compter de la date de la délivrance d’un permis remplaçant ce contrat et conforme à l’article 83 ou 43 selon le cas.
Le contrat ainsi remplacé cesse d’avoir effet à la date de la délivrance de ce permis sans qu’il soit nécessaire d’en faire mention au registre foncier.
49. Le montant du loyer annuel établi au contrat remplacé en vertu de l’article 48 constitue le prix de l’occupation somme s’il avait été fixé par l’application de l’article 27 et pourra, à l’avenir, être modifié par l’application de l’article 28 ou 29, compte tenu que le permis visé à l’article 28 est, dans ce cas, celui qui est délivré en vertu de l’article 48.
50. Malgré l’article 49, lorsque le prix à payer annuellement pour une occupation permanente existant le 31 décembre 1995 est inférieur à 100 $, cette occupation est gratuite à compter du 1er janvier 1996 et le demeure aussi longtemps que l’occupation n’est pas modifiée. Dans le cas d’une modification, le prix du droit d’occuper est déterminé conformément à la section I et payable à la délivrance du permis conformément à la section IV, qu’il s’agisse du permis de remplacement prévu à l’article 48 ou d’un nouveau permis.
[64] Les articles 48 à 50 doivent être lus ensemble. Ils stipulent notamment que les droits et obligations découlant d’un contrat autorisant une occupation permanente du domaine public avant l’entrée en vigueur du règlement VM-5 sont remplacés par les droits et obligations découlant de ce règlement. Quant au loyer, celui-ci est modifié pour devenir le loyer prévu au règlement VM-5. Le règlement prévoit une exception à l’article 50, quant au loyer. Lorsque le loyer en vertu du contrat était inférieur à 100 $, le règlement établit que le loyer est gratuit tant et aussi longtemps que l’occupation n’est pas modifiée.
[65] La Ville plaide que, par l’article 50, elle applique simplement la maxime « de minimis non curat lex ».
[66] Les demandeurs invoquent plutôt que cet article leur permet de réclamer un loyer gratuit étant donné que le loyer antérieur était de 0 $, donc inférieur à 100 $.
[67] Le Tribunal n’est pas d’accord avec le point de vue des demandeurs.
[68] La condition pour que l’article 50 trouve application est l’existence d’un contrat autorisant une occupation permanente. Or, tel que le Tribunal l’a établi plus haut, ni le Mémoire d’entente ni l’occupation de la passerelle depuis plusieurs décennies ne peuvent constituer un contrat autorisant une occupation permanente du lieu public.
[69] La prémisse pour que l’article 50 du règlement VM-5 s’applique n’existant pas, les demandeurs doivent donc acquitter le tarif prévu au règlement VM-6.
[70] Étant donné les circonstances et plus particulièrement l’attitude de la Ville qui a laissé perdurer une situation depuis plusieurs années et qu’elle ne peut expliquer le délai entre la date de la signature du Mémoire d’entente et l’Avis de 2011 qu’elle envoie aux demandeurs, le Tribunal ne condamne pas les demandeurs aux frais de justice.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[71] REJETTE la demande introductive d’instance;
[72] SANS FRAIS de justice.
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__________________________________ Chantal Lamarche, j.c.s. |
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Me Pasquale Artuso |
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PASQUALE ARTUSO & ASSOCIÉS |
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Avocat des demandeurs |
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Me Mélissandre Asselin-Blain |
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GAGNIER GUAY BIRON |
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Avocate de la défenderesse |
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Date d’audience: |
6 avril 2017 |
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[1] Société Altamura s.e.n.c. s’est désistée de sa demande contre la ville.
[2] R.R.V.M. c. O-0.1. Pièce VM-5.
[3] RCA-40. Pièce VM-6.
[4]
Le 20 juin 2012, la demande d’ordonnance de sauvegarde des demandeurs
visant le maintien du statu quo pendant l’instance est rejetée par le juge
Gérard Dugré (
[5] Dossier no 500-05-008060-921.
[6] Pièces P-13 et P-16.
[7] Affirmation solennelle de Céline Lafond, agente technique en ingénierie municipale de la Ville, signée le 2 mai 2012.
[8] Affirmation solennelle de Céline Lafond, agente technique en ingénierie municipale de la Ville, signée le 2 mai 2012.
[9] Affirmation solennelle de Céline Lafond, agente technique en ingénierie municipale de la Ville, signée le 2 mai 2012.
[10] Pièce P-17.
[11] Les montants de la tarification annuelle varient entre 3 290 $ et 9 145 $, voir par. 2 de la défense.
[12]
Art.
[13] Voir la distinction entre les droits réels et les droits personnels dans Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e éd. par P.-G. JOBIN et Nathalie VÉZINA, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 4 et ss.
[14]
Art.
[15]
Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre Gabriel JOBIN,
[16]
Art.
[17] Jean HÉTU, Yvon DUPLESSIS avec la collab. de Lise VÉZINA, Droit municipal. Principes généraux et contentieux, vol. 1, 2e éd., Brossard, Publications CCH, 2003, à jour au 1er janvier 2017, ¶9.18 et ss.
[18]
Immeubles Jacques Robitaille inc. c.
Québec (Ville),
[19] RLRQ, c. I-15.
[20] J. HÉTU, Y. DUPLESSIS avec la collab. de L. VÉZINA, préc., note 17, ¶7.61 et ss., 9.26 et ss.
[21] Pièce P-16.
[22]
[23] Québec (Ville de) c. Société immobilière du Québec, préc., Id., par. 60 ; Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), préc., Id., par. 45.
[24]
J. HÉTU, Y. DUPLESSIS avec la collab. de L. VÉZINA, préc., note 17, ¶8.207
et ss.; Selvaggi c. Montréal (Ville de),
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.