Décision

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Organisation de la jeunesse Chabad Loubavitch c. Ville de Mont-Tremblant

2019 QCCS 5238

 

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre criminelle et pénale)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

 

 

N° :

700-36-001304-178

(CAE140265)

 

 

 

DATE :

28 novembre 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHANTAL MASSE, j.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

L’ORGANISATION DE LA JEUNESSE

CHABAD LOUBAVITCH

APPELANTE/Défenderesse

c.

VILLE DE MONT-TREMBLANT

INTIMÉE/Poursuivante

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]           Il s’agit ici de disposer de l’appel d’une décision du juge Michel Lalande de la Cour municipale de la Ville de Mont-Tremblant rejetant une défense d’inopposabilité et déclarant l’Appelante, l’Organisation pour la jeunesse Chabad Loubavitch (« Chabad »), coupable d’avoir pratiqué ou permis que soit pratiqué l’usage dérogatoire de bâtiment de culte dans son immeuble en contravention du règlement de zonage applicable.

[2]           Faire fi de lois et règlements applicables ne devrait pas, du moins en principe, emporter d’avantages.

[3]            La liberté de religion, aussi importante soit-elle, ne comprend pas le droit absolu de choisir l’emplacement d’un lieu de culte.

[4]           Ces constats paraissent aller de soi. Les gestes et la position de Chabad les démentent pourtant.

[5]            Voilà pourquoi elle ne saurait avoir gain de cause.

1.            LE CONTEXTE

[6]           Chabad se décrit dans son mémoire comme une organisation religieuse juive qui offre des services religieux aux personnes de confession juive ayant leur domicile, résidant ou séjournant à proximité de la Station Mont-Tremblant (la « STMT »), une station de ski située sur le territoire de l’Intimée, Ville de Mont-Tremblant (la « Ville »).

[7]           Suivant le règlement de zonage de la Ville, les lieux de culte ne peuvent être établis qu’à plusieurs kilomètres de la STMT, une distance dont personne ne conteste qu’elle n’est pas à distance de marche de ce lieu de villégiature.

[8]           Chabad ayant choisi d’installer un lieu de culte, soit une synagogue, dans une unité de copropriété de la STMT, elle a été avisée, à la suite d’une plainte en 2006, que le règlement de zonage ne permettait pas un tel usage à cet endroit et qu’il lui fallait déposer une demande de changement d’usage. Aucune telle demande n’a été déposée. Le premier juge a conclu que, malgré cela, les activités de Chabad s’y sont poursuivies jusqu’en 2011, moment auquel l’unité de copropriété est devenue trop petite.

[9]           À ce moment, Chabad a acquis un autre immeuble plus grand et situé à distance de marche des lieux de résidence ou de séjour de ses fidèles dans la STMT, mais sans aucune vérification de la légalité de l’usage qu’elle entendait y faire. Chabad a fait une demande de modification du règlement de zonage pour cet immeuble après son achat, demande qui lui fût refusée. Elle l’a néanmoins utilisé comme lieu de culte, d’où le constat d’infraction émis le 22 septembre 2014, qu’elle a choisi de contester devant la Cour municipale.

[10]        Parmi les fidèles qui utilisent les services religieux de Chabad, se trouvent des personnes qui ont acquis des propriétés situées à l’intérieur ou dans les environs immédiats de la STMT et des touristes qui séjournent dans les hôtels et autres lieux d’hébergement qui y sont situés.

[11]        Chabad a plaidé, sans succès devant le juge de la Cour municipale, que le règlement de zonage auquel elle contrevenait devait être déclaré inopposable en raison des atteintes injustifiées qu’il porte à sa liberté de religion et à celle de ses fidèles.

[12]        Dans son avis d’intention suivant l’article 95 du Code de procédure civile                ( « C.p.c » ) (ancien), maintenant l’article 76 C.p.c., Chabad indiquait d’ailleurs soulever ce qui suit :

Les prétentions de la demanderesse et ses arguments sont à l’effet que l’article 16 du Règlement (2008)-102 concernant le zonage de la Ville de Mont-Tremblant est inopposable, inapplicable et inopérant au lot 2 803 635 du cadastre du Québec, propriété de la défenderesse, en ce que :

[1]         Il constitue une entrave ou un obstacle à la liberté de conscience et de religion prévue aux articles 2 a) de la Charte canadienne des droits et libertés et 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, en ce que la grille de la zone TO-820 applicable au lot 2 803 635 du cadastre du Québec, à laquelle il réfère, ne permet pas l’implantation d’un lieu de culte (synagogue) dans cette zone;

[2]         Il constitue une entrave ou un obstacle à la liberté de conscience et de religion prévue à l’article 2 a) de la Charte canadienne des droits et libertés et 3 de la Charte des droits et libertés de la personne en ce que les grilles d’usages, auxquelles il réfère, et la disponibilité des lieux ne permettent pas l’établissement d’un lieu de culte (synagogue) à proximité de la Station Mont-Tremblant;

[13]        Dans sa plaidoirie écrite déposée en Cour municipale, Chabad soutenait notamment ce qui suit :

[3] La défenderesse allègue en défense que l’interdiction prévue au Règlement de zonage d’établir un lieu de culte dans son bâtiment, et ce, même dans toutes les zones à distance raisonnable de marche de la STMT, constitue une atteinte injustifiée à la liberté de religion de la défenderesse et de ses fidèles, protégée par la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la « Charte ») et la Charte des droits et libertés de la personne, et ne  lui est pas opposable. La défenderesse soutient que la liberté de religion protège son droit d’établir un lieu de culte à distance de marche pour pouvoir exercer leur religion le jour du Sabbat, de la tombée du jour le vendredi au samedi soir.

[4] En effet, les préceptes de la religion juive, tels que les appliquent les fidèles de la défenderesse, prohibent l’utilisation d’un véhicule (notamment) le jour du Sabbat. Ceux-ci ont la croyance sincère et fondamentale qu’il faut respecter le Sabbat et les restrictions qui y sont rattachées. Pour ces personnes, cela nécessite la présence d’une synagogue à distance de marche de leur lieu de résidence. Notamment pour effectuer la prière le jour du Sabbat.

[5] En principe, une municipalité remplit son obligation de neutralité religieuse lorsque sa réglementation permet l’implantation de lieux de culte sur son territoire. En l’espèce, la seule zone à proximité de la STMT est déjà exclusivement occupée par une église catholique et les zones où est permis l’établissement d’un lieu de culte ne sont manifestement pas à distance raisonnable de marche de la STMT.

[6] En regard des croyances et pratiques religieuses particulières de la défenderesse et de ses fidèles, l’impossibilité d’établir une synagogue à proximité de la STMT, que prévoit le Règlement de zonage, constitue une entrave plus que négligeable ou insignifiante à leur capacité d’agir en conformité avec leur religion.

[7] Il s’agit de circonstances exceptionnelles où la situation géographique des zones où sont permis les lieux de culte revêt une pertinence dans l’analyse de la portée de l’entrave créée par le Règlement de zonage, en plus des pratiques et croyances particulières en cause, tel qu’évoqué par  le juge Stéphane Sansfaçon, j.c.s., en obiter dictum, dans l’affaire Ville de Montréal c. Église de Dieu Mont de Sion, confirmée par la  Cour d’appel.

[8] À défaut par le Règlement de zonage de prévoir l’implantation d’une synagogue à distance raisonnable de marche de la STMT, où sont concentrés les fidèles de la défenderesse, il porte atteinte de façon non négligeable ou non insignifiante et même directement à la liberté de religion de la défenderesse et de ses fidèles. La Municipalité a en de telles circonstances l’obligation positive de modifier le règlement, ce qu’elle a refusé de faire à 2 occasions, rejetant ainsi toute mesure d’accommodement.

[9] La défenderesse demande donc à la Cour municipale d’être acquittée de l’infraction et, pour ces mêmes raisons, demande de déclarer inopposable le Règlement (2008)-102 concernant le zonage à son endroit en ce qui concerne l’interdiction d’exercer l’usage « lieu de culte » au 110 chemin Desmarais.

[14]        L’obiter dictum du juge Sansfaçon, dans Église Mont de Sion c. Ville de Montréal[1] alors de cette Cour et maintenant à la Cour d’appel, auquel Chabad fait allusion dans sa plaidoirie écrite devant le premier juge et qu’elle invoque toujours en appel, est rendu dans le contexte de son analyse relative au fardeau de preuve concernant l’atteinte au droit. Il va comme suit :

[41]       Qu’en est-il en l’espèce? L’Église a-t-elle rencontré son fardeau de démontrer l’absence de tout immeuble, terrain ou bâtiment, où elle pourrait implanter son église?

[42]       A) Le fardeau de la preuve

[43]       Le fardeau de prouver l’absence de disponibilité de tout terrain reposait sur les épaules de l’Église et non sur celles de la Ville. Il appartient en effet à celui qui invoque une atteinte aux droits protégés par les chartes d’en faire la preuve et d’en démontrer les impacts sur sa pratique religieuse. Ici, cela se traduit par la démonstration de l’absence de tout terrain ou bâtiment disponible afin d’y implanter une église.

[44]       B) Sur quelle étendue de territoire l’absence de disponibilité de tout terrain doit-elle être faite?

[45]      Se pose ensuite la question de savoir sur quel territoire cette démonstration doit être faite : sur le territoire politique de l’arrondissement? Sur un territoire plus restreint? Ou encore sur tous les territoires de tous les arrondissements de la Ville de Montréal?

[46]      Il n’y a pas de réponse unique à cette question. De l’avis de tribunal, l’étendue de la recherche dépendra des particularités de chaque cas.

[47]      En effet, le droit protégé par les chartes de construire un lieu de culte, qu’il s’agisse d’une synagogue, d’une église ou d’une mosquée, n’est pas rattaché à un territoire politique mais plutôt à un territoire dont l’étendue dépendra des pratiques ou des croyances liées à la religion qui requièrent une conduite particulière rencontrant les critères élaborés par la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem. Chaque cas doit être analysé et constitue un cas d’espèce. Comme pour toute analyse en cette matière, l’entrave devra être analysée en fonction des pratiques et croyances qui auront été mises en preuve.

[48]      Par exemple, les membres d’une religion dont les préceptes interdisent de se véhiculer autrement qu’à pied à certaines périodes pourraient potentiellement se voir reconnaître des droits plus étendus à cet égard que les membres d’une religion qui ne prévoit pas une telle contrainte. Dans un tel cas, l’application du règlement pourrait vraisemblablement constituer une entrave même si ce règlement prévoit des zones dans lesquelles cet usage est autorisé et même si des terrains y sont disponibles, si l’accès à ces terrains est impossible dû aux pratiques ou aux croyances liées à la religion d'une part, et à l'éloignement de ces terrains d'autre part. La situation géographique de la zone pourrait, dans ce cas, devenir pertinente.

[49]      L’adoption de limites géographiques fondées sur des critères strictement politiques, tel le territoire d’une municipalité, ne trouve assise sur aucune logique juridique et peut mener à des résultats inacceptables qui peuvent être aisément illustrés.

[50]      Par exemple, imaginons deux zones contiguës dans lesquelles l’usage lieu de culte serait permis. Dans la première de ces zones, plusieurs terrains sont disponibles à cette fin alors qu’aucun ne l’est dans la seconde. Imaginons maintenant deux scénarios : dans le premier, les deux zones sont situées dans la même municipalité alors que dans le second, elles sont situées chacune dans une municipalité distincte.

[51]      Dans le premier scénario, le règlement serait valide mais non dans le second. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, aucune pratique ou croyance liée à la religion ne serait affectée, à moins que l’on décrète que les fidèles ont un droit protégé par les chartes d’établir leur église sur le territoire de chacune des municipalités et ce, nonobstant l’absence de toute atteinte réelle démontrable.

[52]      À quel aspect de la liberté de religion le règlement de zonage porterait-il atteinte si le lieu de culte peut être construit de l’autre côté de la rue, même si l’Église démontre qu’aucun terrain n’est disponible sur le territoire de sa propre municipalité?

[53]      De même, on peut imaginer qu’il serait particulièrement aisé de faire la démonstration de l’absence de disponibilité de locaux sur le territoire d’une ville possédant un tout petit territoire qui ne permettrait l’usage que dans une zone proportionnellement encore plus petite. Inversement, cette démonstration serait pratiquement irréalisable dans le cas d’une ville de la taille de la Ville de Laval, à titre d’exemple.

[54]      On peut donc aisément s’interroger sur la pertinence d’utiliser les limites territoriales de la municipalité comme seul critère pertinent pour jauger l’importance de l’atteinte à la pratique religieuse.

[55]      Il est vrai que notre Cour d’appel reconnait depuis longtemps qu’un règlement de zonage qui interdit un usage sur l'ensemble de son territoire doit être considéré comme prohibitif au sens de la jurisprudence et peut par conséquent être déclaré inopposable. Le territoire analysé correspond alors parfaitement au territoire sur lequel la municipalité a juridiction, dont la délimitation est essentiellement politique.

[56]      Dans ce cas, toutefois, le raisonnement juridique trouve assise dans le texte habilitant les municipalités à réglementer les usages, soit l'article de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, qui leur donne juridiction de prohiber par zone les usages, mais non de les prohiber dans toutes les zones. Ce raisonnement juridique s'appuie donc essentiellement sur le texte de la loi.

[57]      Or, en matière charte, la protection des droits et libertés se situe dans un tout autre contexte. La liberté de religion, tout comme les oiseaux migrateurs, ne se satisfait pas, ni n’est limitée, par des limites géographiques politiques.

[58]      Ainsi, l’atteinte à la liberté de religion protégée par les chartes ne devrait pas être analysée nécessairement à la lumière de la disponibilité de terrains ou de locaux sur un territoire dont l’étendue ne dépendrait que des limites politiques de la municipalité où l’Église veut construire ou aménager son lieu de culte.

[59]      Dans certains cas, la démonstration de l’indisponibilité de tout immeuble pouvant être utilisé à cette fin, devra couvrir un territoire débordant les frontières politiques municipales, alors que dans d’autres cas, cette démonstration pourra couvrir un territoire plus étendu ou encore plus restreint que les limites territoriales municipales.

[60]      Dans tous les cas, le facteur primordial qui devra être tenu en compte afin de déterminer l’étendue de l’étude sera celui des préceptes religieux des fidèles, de leurs pratiques et croyances liées à la religion et qui requerraient une conduite particulière rencontrant les critères élaborés dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem.

[61]      Ceci ne veut évidemment pas dire que le fidèle dont la religion n’impose pas de telles contraintes pourra être forcé de parcourir des distances déraisonnables pour se rendre au lieu de culte de son Église. Celui qui invoque une atteinte devra toutefois être en mesure de démontrer qu’elle est non négligeable.

[Les soulignements des titres A) et B) sont du juge Sansfaçon et les autres soulignements sont de la soussignée]

[15]        Notons que la Cour d’appel, si elle a confirmé la décision du juge Sansfaçon, ne dit mot sur cette question sauf pour affirmer que, dans les circonstances où les fidèles n’étaient pas réfractaires à se déplacer, le juge Sansfaçon a eu raison d’étendre l’obligation de recherches diligentes incombant à l’église en cause au-delà d’un seul secteur[2].

[16]        En l’espèce, le premier juge souligne que la Ville, si elle a bien refusé la demande de modification réglementaire, était prête à assister Chabad afin qu’elle puisse se relocaliser dans une zone autorisant les lieux de culte et a même indiqué être prête à envisager d’autres options impliquant des modifications réglementaires mais se serait heurtée à l’intransigeance de Chabad.

[17]        Le juge conclut après analyse que le règlement de zonage de la Ville ne porte pas atteinte à la liberté de religion puisqu’il prévoit plusieurs zones dans lesquelles des lieux de culte peuvent être érigés et que des établissements d’hébergement sont disponibles à distance de marche de celles-ci[3].

[18]        Le juge reconnaît que ces zones ne sont pas à distance de marche des installations de la STMT et que les fidèles, qui devraient s’héberger à distance de marche de la zone dans laquelle les lieux de culte sont permis, ne pourraient donc jouir des installations de la STMT le jour du Sabbat, et ce, en raison de leurs croyances religieuses sincères. Il est toutefois d’avis que la liberté de religion ne protège pas le droit de jouir d’installations touristiques de renom et que la Ville n’avait aucune obligation de modifier son règlement pour faire en sorte de permettre les lieux de culte à distance de marche de celles-ci[4].

[19]        Il fait valoir que les choix personnels de fréquenter la STMT pendant le Sabbat ou de se porter acquéreur d’une propriété située sur les lieux, alors qu’il n’y a pas de synagogue à distance de marche, ne bénéficient pas de la protection accordée à la liberté de religion[5] ou, en d’autres mots, ne créent pas de droit à l’installation de lieux de cultes à distance de marche. Il souligne en ce sens que « permettre, sous le couvert de la liberté de religion, l’installation de lieux de culte partout sur le territoire en fonction de la localisation de pôles d’attractions particuliers irait à l’encontre de l’intérêt public »[6].

[20]        Le premier juge ajoute en obiter que s’il y avait entrave à la liberté de religion, celle-ci serait à son avis négligeable, puisque, selon lui, « elle ne fait que rendre plus difficile, sans la compromettre, l’exercice par les fidèles de leurs pratiques       religieuses »[7].

[21]        Ayant rejeté les arguments de Chabad quant à l’inopposabilité du règlement de zonage, il déclare celle-ci coupable de l’infraction qui lui était reprochée et la condamne à payer une amende de 800 $ plus les frais.

2.            LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]        Dans son avis d’appel, son mémoire et lors de sa plaidoirie, Chabad soutient que le juge a commis plusieurs erreurs de fait manifestes et déterminantes et des erreurs de droit déterminantes et cherche à faire déclarer inopposable le règlement qui porterait atteinte à la liberté de religion sans que cette atteinte ait été justifiée. 

[23]        La décision de la Ville de refuser de modifier son règlement pour accorder une dérogation mineure en lien avec l’immeuble actuellement occupé par Chabad n’a pas été contestée. Cette décision a pris la forme d’une résolution du Conseil municipal de la Ville du 21 janvier 2013[8], laquelle a par la suite été maintenue pour les mêmes motifs en 2013 et 2014.  La nullité de ces décisions n’a pas été demandée dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire, lequel doit être intenté dans un délai raisonnable, soit, généralement, dans les 30 jours de la décision.

[24]        Chabad a en effet simplement présenté une défense visant à faire déclarer inopposable le règlement de zonage ayant donné lieu au constat d’infraction, et ce, pour le seul motif qu’il porte atteinte à sa liberté de religion et à celle de ses fidèles.

[25]        Le règlement n’est pas contesté non plus parce qu’il enfreindrait le droit à l’égalité devant la loi indépendamment de toute discrimination fondée sur la religion ou parce que le règlement aurait des effets discriminatoires[9].  Il est néanmoins clair de l’ensemble des témoignages que les fidèles fréquentant Chabad se sentent exclus du magnifique lieu de villégiature de la STMT le jour du Sabbat, le zonage de la Ville ne permettant d’établir des lieux de culte qu’à une distance que personne ne conteste être en dehors de ce qui constituerait une distance de marche[10].

[26]        Chabad demande de déclarer le règlement inopposable sur la seule base d’une atteinte injustifiée à la liberté de religion.

[27]        La première question qu’il faut résoudre ici est celle de déterminer si le premier juge a erré en droit en concluant que le règlement en cause ne porte pas atteinte à la liberté de religion autrement que, peut-être, de façon négligeable. Si la réponse à cette question s’avérait positive, il y aurait alors lieu d’aborder la preuve justificative apportée par la Ville.

[28]        Toutes les autres questions soulevées par Chabad n’ont aucune incidence sur le sort de l’appel[11].

3.            L’ANALYSE

[29]        Tel que  l’indique la Cour suprême du Canada dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[12], il s’agit de savoir, lorsqu’une mesure est contestée au motif qu’elle porte atteinte à la liberté de religion, si cette mesure nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à la capacité du plaignant de se conformer à ses croyances ou pratiques religieuses sincères. Une atteinte est négligeable lorsqu’elle ne menace pas réellement les convictions religieuses[13]. Ainsi, « les Églises et leurs membres ne sont pas dispensés de tout effort, voire de tout sacrifice »[14].

[30]        Lorsqu’un terrain est disponible dans la municipalité pour la construction d’un lieu de culte, le règlement de zonage ne constitue pas une violation de la liberté de religion[15].

[31]        Nul ne met en cause ici la sincérité de la croyance et des pratiques religieuses de Chabad et de ses fidèles et leur importance fondamentale pour ceux-ci.

 

[32]        Sans être d’accord avec tous les motifs énoncés par le premier juge[16], le Tribunal doit conclure qu’il n’a pas erré en décidant que le règlement ne porte pas atteinte à la liberté de religion de Chabad et de ses fidèles.

[33]        L’entrave, lorsque l’on considère le droit dont il s’agit ici, le droit fondamental à la liberté de religion, ne nécessite pas une intervention de la Ville puisqu’il n’y a pas d’impossibilité d’implanter un lieu de culte sur le territoire de la municipalité. Le premier juge ne commet pas d’erreur de droit ni d’erreur de fait en concluant que les efforts requis de Chabad et de ses fidèles, en tel cas, ne menacent pas véritablement leurs croyances religieuses.

[34]        Par ailleurs, l’obiter du juge Sansfaçon n’a pas, de l’avis de la soussignée, la portée que Chabad lui prête. Celle-ci soutient, en effet, que suivant le domicile, le lieu de résidence ou le lieu de séjour choisi par ses fidèles, Chabad devrait automatiquement avoir le droit d’établir un lieu de culte à distance de marche de ces lieux. Elle plaide, en conséquence, que tout règlement de zonage ayant pour effet de ne pas permettre l’usage d’un lieu de culte à distance de marche de la résidence principale ou secondaire d’un fidèle ou de l’hôtel choisi par un fidèle serait non-opposable en raison de l’atteinte à la liberté de religion qui en découle[17].

[35]        C’est un peu trop simple. Les personnes dont les croyances sont particulières, contrairement aux oiseaux migrateurs, ne peuvent faire abstraction des lois et règlements en place. Elles doivent même, suivant la jurisprudence, être prêtes à faire certains sacrifices.

[36]        Aller dans le sens de ce qui est soumis par Chabad reviendrait en réalité à accorder à ses fidèles le droit absolu de déterminer une zone située à distance de marche du lieu de résidence ou d’hébergement choisi par eux dans laquelle la Ville aurait l’obligation de permettre l’installation d’un lieu de culte pour eux. Ce droit étant absolu, ils ne devraient aucunement tenir compte des règlements de zonage applicables au moment de faire leur choix d’un lieu de résidence ou d’hébergement. Ceci est en contradiction directe avec tous les enseignements de la jurisprudence en la matière, des enseignements qui sont évoqués et appliqués par le juge Sansfaçon dans sa décision[18].

[37]        De plus, le juge Sansfaçon, au paragraphe 48 des passages de sa décision énoncés en obiter, prend bien soin d’indiquer que ce serait sur démonstration d’un « accès […] impossible » à des terrains disponibles sur lesquels l’usage est permis que la situation géographique de la zone pourrait devenir pertinente.

[38]        Or, la preuve telle qu’appréciée par le premier juge[19], montre plutôt que les zones sur lesquelles l’usage est permis en l’espèce ne sont pas si isolées -elles se situent à l’intérieur des noyaux urbains du centre-ville et villageois dans lesquels le plan d’urbanisme de la Ville prévoit une consolidation des services communautaires, par opposition au secteur de la STMT à vocation essentiellement récréotouristique- qu’elle ne puisse être accessible à distance de marche de lieux d’hébergement. Chabad ne démontre pas d’erreur manifeste et dominante quant à cette question et n’en a pas soulevé non plus dans son avis d’appel et son mémoire.

[39]        Par ailleurs, la technique du fait accompli, qui a été utilisée ici dans l’illégalité et l’irrespect du règlement de zonage, et ce, en toute connaissance de cause, ne saurait conférer un quelconque avantage à Chabad, seule partie devant la Cour[20].

[40]        Il convient également de souligner, à cet égard, que la tolérance de la municipalité et l’absence de sanction immédiate des activités illégales de Chabad ne sauraient entraîner de droits pour personne[21].

[41]        Chabad n’ayant pas démontré d’erreur du juge quant à l’absence d’atteinte à la liberté de religion, il n’y avait pas lieu pour celui-ci de traiter de la preuve relative à la justification. La soussignée n’a pas davantage à le faire.

 

 

 

 

4.            LES CONCLUSIONS

[42]        L’appel doit être rejeté en l’absence d’erreur déterminante.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]        REJETTE l’appel;

[44]        AVEC FRAIS.

 

 

 

__________________________________CHANTAL MASSE, j.c.s.

 

Me Louis Beauregard

BEAUREGARD AVOCATS

Avocats pour l’appelante/défenderesse

 

Me Carl-Éric Therrien

THERRIEN LAVOIE, AVOCATS

Avocats pour l’intimée/poursuivante

 

Date d’audience :

15 novembre 2018

Délibéré suspendu jusqu’en mai 2019 pendant les négociations des parties.

 



[1]     2011 QCCS 4281, par. 41 à 61.

[2]     Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de), 2014 QCCA 295, par. 76.

[3]     Jugement dont appel, par. 255 à 257.

[4]     Id., par. 261.

[5]     Id., par. 267-270.

[6]     Id., par. 273.

[7]     Id., par. 272.

[8]     Pièce D-2, résolution du 21 janvier 2013, que le premier juge résume comme suit au paragraphe 162 de sa décision : «[162]     La poursuivante a refusé la modification règlementaire sollicitée par la défenderesse pour les raisons suivantes, tel qu’il appert de la résolution du Conseil municipal, pièce D-2 :

·      Le secteur concerné, la base sud de la Station, est réservé à des activités touristiques en lien avec l’hébergement afin de maintenir la vocation récréotouristique de ce pôle de développement;

·      L’usage projeté par la défenderesse n’est pas compatible avec le voisinage résidentiel du secteur;

·      Il existe, ailleurs sur le territoire, des zones où les lieux de culte sont spécifiquement autorisés;

·      Le plan d’urbanisme de la Ville prévoit une consolidation des services communautaires à l’intérieur des noyaux urbains du centre-ville et villageois.»

[9]     Cette question n’a pas été plaidée en première instance (ni n’a fait, non plus, l’objet d’un avis à la Procureure Générale du Québec suivant l’art. 76 C.p.c. -autrefois l’art. 95 C.p.c.), ce qui fait en sorte que le premier juge ne pouvait aucunement en disposer et la soussignée encore moins. Voir à cet effet Doucet c.Ville de Ste-Eustache, 2018 QCCA 282, par. 28 à 35 et 85.

[10]    Voir, sur le test applicable en matière de discrimination, Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, par. 16 à 21, une preuve de justification pouvant toutefois être apportée. Conscient des éléments de preuve sur la question, le Tribunal a tenté de favoriser un règlement du dossier et incité les parties à discuter, ce qu’elles ont choisi de tenter de faire. Malgré des discussions que les parties ont tenues pendant plusieurs mois, celles-ci n’ont, malheureusement, pu en arriver à une entente. Il n’est toujours pas interdit à Chabad de s’ouvrir à d’autres possibilités que l’immeuble qu’elle occupe actuellement -peut-être l’a-t-elle fait dans le cadre des négociations confidentielles, le Tribunal n’en a évidemment pas été saisi- et de présenter des alternatives que la Ville pourrait devoir considérer en mettant en balance les valeurs des chartes et les considérations légitimes qui sont siennes en matière de zonage et d’aménagement et d’urbanisme -car c’est bien à Chabad qu’il revient en principe de présenter de telles alternatives (voir à cet effet, Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, par. 54 à 58 et  Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de), précité note 2, par. 67 à 71)-. L’immeuble que Chabad occupe actuellement, considérant le sort du présent appel et l’absence de contestation en temps utile de la décision de refuser la demande de dérogation, ne paraît toutefois pas une option. Le Tribunal invite toutefois les parties, à nouveau, à tenter de s’entendre dans le sens de la valeur d’inclusion qui fait certainement partie intégrante du droit à l’égalité. Ceci est toutefois dit sans qu’il soit acquis qu’il existe une possibilité de relocaliser Chabad à distance de marche de la STMT. Notons de plus qu’il ne s’agit pas ici, comme c’était le cas dans Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, de préserver la valeur financière et esthétique d’une propriété privée de l’impact de l’installation de souccahs pendant 9 des 365 jours que comptent une année. D’autres principes et impacts sont ici en cause. À la lumière de la preuve, il se peut très bien qu’en l’espèce le « sacrifice » prenne un sens que l’on a qualifié de moralement répugnant dans cette affaire -notons que personne ne prétend ici que le règlement de zonage présenterait une quelconque ambiguïté, ce qui n’était pas le cas de la déclaration de copropriété en cause dans Amselem-. Ces conséquences possibles expliquent que le Tribunal a incité les parties, mais au premier chef Chabad, à tout mettre en œuvre pour trouver une solution pratique acceptable pour tous à cette situation et qu’il réitère cette invitation.

[11]    Outre son désaccord quant à l’appréciation du premier juge suivant lequel Chabad aurait fait preuve d’intransigeance lors de discussions avec la Ville afin de relocaliser ses activités, Chabad soulève que le premier juge a erré en concluant que Chabad causait des inconvénients pour le voisinage et en justifiant la conduite de la Ville sur la base de son schéma d’aménagement et de son plan d’urbanisme. Ces questions n’ont pas d’impact sur le sort de l’appel. Chabad invoque également que le premier juge aurait décidé que le fait que celle-ci connaissait le zonage et a acquis l’immeuble sans vérification préalable empêcherait celle-ci de se prévaloir de sa liberté de religion. Or, si le juge fait des constats quant à cette question, il a néanmoins tranché l’argument en inopposabilité soumis par Chabad. Chabad tente donc d’engager un faux débat en soulevant la question comme elle le fait. Si cette question revêt une certaine pertinence, c’est qu’elle permet de comprendre que la situation difficile dans laquelle certains fidèles sont maintenant placés suivant la preuve, ayant acquis des propriétés dans la STMT et ses alentours immédiats en raison de la présence de la synagogue illégalement installée sur les lieux, découle des gestes posés illégalement par Chabad. C’est donc Chabad qui tente de tirer un avantage d’une situation que son comportement faisant fi de la règlementation applicable a contribué à créer, en plaidant que ses fidèles sont maintenant placés dans une situation odieuse.

[12]    [2009] 2 R.C.S. 567.

[13]    Id., par. 32. Voir aussi Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de), précité note 2, par. 42.

[14]    Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, par. 69 (le juge LeBel, dissident, dont l’opinion est reprise avec approbation et comme reflétant l’état du droit lorsqu’il y a lieu d’examiner la réglementation municipale en lien avec l’obligation de neutralité religieuse d’une Ville dans la décision de la Cour d’appel dans Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de),  précitée note 2, par. 60 à 66).

[15]    Id., par. 71-72.

[16]    La note en bas de page 10 du présent jugement, notamment, évoque des possibilités et principes qui n’ont pas été considérés par le premier juge. Ceci n’a rien d’étonnant puisqu’il n’en était pas saisi. Les motifs de sa décision doivent être analysés en tenant compte de cela.

[17]    Mémoire de Chabad, par.35, 36, 38 et 52. Suivant le paragraphe 52 de son mémoire, en particulier, Chabad plaide que ses fidèles et elle ont « le droit de pouvoir exercer leur religion à proximité de leur domicile, résidence ou lieu de séjour situé en la Ville Intimée, situé à proximité de la STMT[…] »

[18]    Église Mont de Sion c. Ville de Montréal, précité note 1, par.31 à 33, 40, 43 et les autorités qui y sont citées. Voir aussi la décision de la Cour d’appel confirmant la décision du juge Sansfaçon dans cette affaire, précitée note 2, par.39, 46 à 48, 54, 55, 57, 58 et les autorités qui y sont citées.

[19]    Jugement dont appel, par. 57-62 et 267 à 270.

[20]    Quant à la situation des fidèles, que Chabad tente d’utiliser à son avantage, parce que certains n’auraient pas connu le caractère illégal de ses activités, voir les notes en bas de page 9 à 11 et le texte correspondant.

[21]    Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de), précité, note 2, par. 88. Voir aussi Abitibi (Municipalité régionale de comté d') c. Ibitiba Ltée, [1993] R.J.Q. 1061 (C.A.), p. 1067  et Québec (Procureur général) c. Lévesque, J.E. 92-1006, p.5. Voir aussi, par analogie, la décision de la Cour suprême sous la plume du juge Wagner dans l'affaire Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville), [2014] 1 R.C.S. 784, par. 28 à 30, dans laquelle il s'agissait toutefois de la doctrine de la préclusion promissoire en droit public, laquelle a été considérée comme ne pouvant faire échec aux dispositions réglementaires municipales établissant des infractions en matière de responsabilité stricte adoptées dans l'intérêt public, ce principe valant tant dans le contexte pénal que dans une instance civile.

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