Stevens c. Holweger |
2019 QCCS 2540 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
Montréal |
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N° : |
500-17-088853-158 |
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DATE : |
Le 25 juin 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JOHANNE BRODEUR, J.C.S. |
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Jennifer Stevens |
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Demanderesse |
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c. |
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Karl Edwin Holweger |
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et |
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Abigail Leah Jacob |
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et |
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Ville de Montréal |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] La ville de Montréal (la Ville) a commis une faute engageant sa responsabilité civile en émettant un permis de construction pour l’agrandissement de l’immeuble voisin de celui de la demanderesse. Compte tenu des circonstances particulières au litige et afin de pallier aux iniquités qu’entrainerait une application stricte et rigoureuse du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Sud-Ouest[1] (Règlement), la démolition de l’agrandissement n’est pas ordonnée. Les deux parties ont subi des dommages nécessitant compensations.
[2] La demanderesse, Mme Stevens (Stevens)[2] est propriétaire d’une maison victorienne, de haute valeur architecturale.
[3] Les défendeurs, M. Holweger et Mme Jacob (H&J) sont copropriétaires d’un immeuble, du même style, immédiatement voisin de la résidence de Stevens.
[4] Les deux immeubles sont situés sur la rue Coursol dans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal. Ils font partie d’un ensemble de maisons en rangée également appelée maisons mitoyennes.
[5] Compte tenu des besoins familiaux, H&J envisagent la construction d’un agrandissement de 12 ou 14 pieds de longueur sur trois étages ce qui ajouterait approximativement 240 pieds carrés sur chacun des étages. La planification du projet débute en novembre 2014[3].
[6] L’architecte M. Simon Glew (Glew), est retenu pour la conception et supervision du projet[4].
[7] Dès le 17 novembre 2014, H&J informent Glew, qu’ils sont préoccupés par la réaction des voisins. J. s’exprime comme suit :
« The relationships with the neighbours is not perfect, they may object to the project or otherwise cause problems. »[5]
[8] H&J sont, depuis peu, résidents du Québec, ils souhaitent respecter les us et coutumes et suivent les conseils de Glew qui sont les suivants :
“The city will take a while to issue the permit, up to three months. Normally I would ask the neighbors for their cooperation right away, but in this case it might be best to wait until you have the permit in hand. Once you have it, there is nothing really they can do, except try and delay the project, but as mentioned above this is covered by the Code Civil, so there is nothing really they can do except take you to court (and probably lose, god forbid it go that far). In order to facilitate their cooperation however it is best to accommodate specific requests they might ask for. For example they might ask for the work to happen in early Spring or in Fall, so their use of the backyard during the summer is not completely ruined, etc.” »[6]
(nos soulignés)
[9] La Ville émet le 25 mars 2015, un permis de transformation permettant de construire, à l’arrière du bâtiment, un agrandissement de deux étages[7].
[10] H&J avisent leur voisine, par un courriel le 28 mars 2015, qu’ils prévoient débuter, dès la fin avril, des travaux de construction d’une extension de trois étages[8].
[11] Stevens procède à de nombreuses vérifications auprès de l’arrondissement. Le 13 avril, elle avise H&J, par écrit, que seulement deux étages et non trois peuvent être autorisés par la Ville[9].
[12] Les travaux de construction de l’extension de trois étages débutent en mai et progressent rapidement. Stevens consulte un avocat et, les 22 et 25 mai, fait signifier une mise en demeure demandant l’arrêt immédiat des travaux[10].
[13] Le 22 mai, Stevens transmet copie de la mise en demeure au maire de l’arrondissement du Sud-Ouest ainsi qu’aux fonctionnaires de la Ville. Elle demande l’arrêt des travaux afin de vérifier la légalité du permis émis. Elle soulève des problématiques concernant l’application du Plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA), des normes de construction[11]et du Règlement d’urbanisme.
[14] La Ville suspend brièvement les travaux car les fondations empiètent sur le lot voisin. Par la suite, ceux-ci se poursuivent jusqu’à l’achèvement de la construction et ce malgré les multiples interventions de Stevens.
1. Le permis de construction respecte-t-il le Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Sud-Ouest?
2. Le projet est-il sujet à l’application du Plan d’implantation et d’intégration architecturale? Dans l’affirmative, le dossier doit-il être soumis au comité consultatif d’urbanisme?
3. Le Tribunal doit-il ordonner la démolition de l’immeuble?
4. Les défendeurs ont-ils commis une faute engageant leur responsabilité? Dans l’affirmative, la demanderesse a-t-elle droit à des dommages?
A) Pour perte de valeur de l’immeuble, 90 000 $;
B) Pour perte de la qualité de l’environnement, 20 000 $;
C) Pour troubles et inconvénients, 60 000 $.
5. H&J ont-ils droit à des dommages pour atteinte à leur vie privée?
1. Le permis de construction respecte-t-il le Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Sud-Ouest?
[15] Les parties conviennent de l’application du Règlement aux faits du litige. Deux contraventions au Règlement sont soulevées. La première concerne le nombre d’étages et l’autre les marges latérales.
A) Le nombre d’étages
[16] Le Règlement d’urbanisme prévoit deux modes de mesure de hauteur qui toutes deux doivent être respectées. Il s’agit de la hauteur en mètres du bâtiment et de la hauteur en étages. L’article 21 du Règlement établit « qu’aucune construction ne doit dépasser les hauteurs en mètres et en étages… »[12]. La hauteur en mètres n’est pas en litige.
[17] La hauteur en étages doit respecter les paramètres de l’article 17 du Règlement :
« 17. La hauteur en étages est le nombre d’étages, incluant le rez-de-chaussée, compris entre le plancher du rez-de-chaussée et le plafond de l’étage le plus élevé, excluant une construction hors toi. »[13]
(nos soulignés)
[18] Il est donc nécessaire de calculer le nombre d’étages et d’établir quel étage est le rez-de-chaussée.
[19] Il est admis que le zonage prévoit, pour l’immeuble situé au 2222, rue Coursol ainsi que pour les propriétés voisines, une hauteur maximum de deux étages.
[20] Les termes « étage » et «rez-de-chaussée » sont définis au Règlement :
« 5. Dans le présent règlement, les mots suivants signifient :
(…)
« étage » : une partie d'un bâtiment comprise entre la surface d'un plancher et le plafond immédiatement au-dessus;
(…)
« rez-de-chaussée » : un espace compris entre le premier plancher, hors sol en tout ou en partie, situé au-dessus du niveau du trottoir et le plafond immédiatement au-dessus;
[21] Il est irréfutable à l’analyse des plans et des photos, que l’agrandissement comporte trois étages[14].
[22] Reste donc à qualifier l’étage situé au niveau du sol. S’il s’agit d’un deuxième sous-sol, position mise de l’avant par la Ville et H&J, l’agrandissement a deux étages en hauteur. S’il s’agit du rez-de-chaussée, il sera inclus dans le calcul[15] et l’agrandissement comportera trois étages de haut ce qui est contraire à la réglementation en vigueur.
[23] L’immeuble, d’une largeur de 5,56 m, fait face à la rue Coursol. Cette rue et le trottoir qui la borde sont en pente. À l’extrémité ouest de l’immeuble, le niveau du trottoir est de 16,64[16]. Au centre de celui-ci, il se situe à 16,58 puis à l’extrémité est s’établit à 16,54. La dénivellation du trottoir devant la largeur de la façade est donc de 10 cm[17].
[24] L’immeuble lui est droit et au niveau. À l’avant de l’immeuble, en son centre, le niveau du plancher est situé à 16,54[18]. Le plancher est donc à l’ouest, légèrement en dessous du niveau du trottoir, au centre de l’immeuble de 4 cm en dessous du niveau du trottoir et à l’est, au même niveau que le trottoir. Le rapport d’arpenteur, n’indique pas la marge d’erreur et celui-ci n’a pas témoigné.
[25] Du trottoir, l’on peut accéder directement à un étage par une porte située sous l’escalier. Pour accéder à l’étage au-dessus, par la porte d’entrée principale, il faut emprunter l’escalier extérieur en façade. La porte d’entrée principale est située plus de 2 m aux dessus de ce niveau[19].
[26] La Ville soumet que l’étage dont la porte est située à plus de 2 m du sol doit être considéré comme le rez-de-chaussée. L’étage en dessous serait un deuxième sous-sol car, l’immeuble comprend déjà un sous-sol dans lequel se situait une salle de lavage et une chambre[20].
[27] Pour justifier l’octroi du permis émis par son préposé, la Ville fait une interprétation stricte et hors contexte de son Règlement. Le Tribunal, pour plusieurs motifs, ne retient pas cette interprétation.
[28] Au moment d’analyser la demande de permis, la Ville avait en sa possession des plans[21]. Ceux-ci ne comportent aucune indication des niveaux du trottoir, du sol ou du plancher.
[29] Le préposé suite à une interprétation visuelle du plan et après discussion avec l’architecte Glew, conclut que le niveau du plancher est en-dessous du niveau du trottoir.
[30] La Ville constate, après l’introduction des procédures, que le niveau du plancher pour une section de moins, est égal à celui du trottoir. La Ville apprendra par la suite que les plans soumis ne reflètent pas correctement l’état des lieux.
[31] Au procès, l’interprétation mise de l’avant par la Ville, de la définition de rez-de-chaussée contenue au Règlement, équivaut à une réécriture du texte. La Ville soumet dans son plan d’argumentation que : « pour qu’un étage soit considéré comme rez-de-chaussée, une partie de son plancher doit être au-dessus du niveau du trottoir »[22].
[32] Cette interprétation serait valable si la définition indiquait qu’un rez-de-chaussée : est un étage dont le plancher se situe au-dessus du niveau du trottoir. Ce n’est pas ainsi qu’est rédigé la définition.
[33] La Cour suprême a conclu qu’en matière de lois municipales les interprétations bienveillantes et strictes n’ont pas leur place et qu’il faut favoriser en cette matière une interprétation large et libérale[23].
Une
interprétation téléologique large des lois sur les municipalités est également
compatible avec l’approche générale adoptée par la Cour en matière
d’interprétation législative. Selon l’analyse contextuelle, il faut interpréter
[TRADUCTION] « les termes d’une loi dans leur contexte global selon le sens
ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la
loi et l’intention du législateur » : E. A. Driedger, Construction
of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Bell
ExpressVu Limited Partnership c. Rex,
[34] Le Tribunal applique l’analyse contextuelle à la définition suivante :
« rez-de-chaussée » : un espace compris entre le premier plancher, hors sol en tout ou en partie, situé au-dessus du niveau du trottoir et le plafond immédiatement au-dessus; »
[35] Le texte prévoit donc que :
- le rez-de-chaussée est un espace;
- cet espace est compris entre le premier plancher et le plafond immédiatement au-dessus;
- cet espace doit être situé au-dessus du niveau du trottoir;
- le premier plancher doit être hors sol, en tout ou en partie.
[36] Cette interprétation de la définition est d’ailleurs celle donnée par M. Bessaih, préposé de la Ville qui procède à l’analyse du dossier, lors de son témoignage hors cour[24].
« Q- Puis un rez-de-chaussée, selon votre compréhension ou votre application du règlement, dans les faits, il faut que ce soit…bien, en fait, je vais vous demander de répéter, là, juste pour être sûr.
R- En fait, c’est l’espace, enfin, pour définir qu’un rez-de-chaussée est un étage, il faut que l’espace soit au-dessus du niveau du trottoir. »
(nos soulignés)
[37] M. Bessaih prend par la suite connaissance du plan d’arpenteur[25] sur lequel pour la première fois, il constate que le niveau du plancher est égal, pour partie, au niveau du trottoir. Durant l’instance, ce dernier, modifie sa version et déclare que le plancher est en partie en dessous du niveau du trottoir, ce qui selon lui, justifie sa décision.
[38] Le Règlement n’établit pas de relations entre le niveau du plancher et le niveau du trottoir mais bien entre l’espace de l’étage et le niveau du trottoir. Or, nulle part dans le dossier de la Ville, n’était indiqué le niveau du trottoir.
[39] Le Tribunal ignore si le sol est plus élevé ou plus bas que le niveau du trottoir. Les photos et les plans[26] semblent indiquer que le sol et le plancher seraient approximativement au même niveau que le trottoir.
[40] Le Tribunal n’accorde aucune force probante aux plans soumis par l’architecte puisque ceux déposés en pièce, portant le sceau de la Ville de Montréal, ne sont pas à l’échelle[27], ne comportent aucune indication du niveau du sol, du trottoir, ou du plancher et indiquent à l’avant une dénivellation qui paraît plus grande que celle mesurée postérieurement par l’arpenteur. De plus, soulignons que l’architecte Glew admet s’être trompé et avoir dessiné le sol à l’arrière, 30 pouces plus haut que l’état réel des lieux. Le tout donnant un effet trompe l’œil, nous amenant à percevoir une partie de l’espace sous le sol.
[41] Dans la définition de rez-de-chaussée, les mots « hors sol en tout ou en partie » sont entre virgules. Cette technique de rédaction permet d’encadrer et « mettre en apposition un groupe de mots ou propositions qui donnent des informations complémentaires»[28]. Dans le Règlement ce groupe de mots est lié à l’expression « le premier plancher ». Il faut donc lire que le premier plancher peut être hors sol en tout ou en partie. Ce sera notamment le cas lorsqu’une rue est en pente et que le premier plancher de l’immeuble se trouve au niveau du sol.
[42] Quant à l’espace qui constitue le rez-de-chaussée du 2222, rue Coursol, on peut estimer qu’il est à 95 % ou plus au-dessus du niveau du trottoir.
[43] L’incongruité à laquelle mène l’interprétation proposée par la Ville fut démontrée lors du témoignage de son employé, M. Bessaih, préposé à l’émission des permis. Ainsi, selon sa thèse, si le plancher d’une maison est d’un centimètre ou moins au-dessus du niveau du trottoir, la maison aura un étage de moins que si le plancher est égal ou en dessous du niveau du trottoir.
[44] Le Tribunal ne croit pas que l’application du Règlement et donc le nombre d’étages d’une série de maisons en rangée doit dépendre de la minutie avec laquelle les entrepreneurs en réfection de trottoirs exécutent leurs travaux.
[45] « un règlement…d’une municipalité se doit d’être interprété de façon logique et dans un objectif de permettre une application positive et conforme au but recherché par le règlement plutôt que de provoquer un résultat qui conduit à l’absurde ou à une absence totale de bon sens»[29].
[46] L’interprétation du Règlement d’urbanisme par l’autorité responsable de son application est pertinente[30]. Cependant, le témoignage de M. Bessaih a évolué en cours d’instance[31]. Le Tribunal retient la version des faits donnée par lui avant procès[32] lors de son témoignage hors cour, car elle est plus contemporaine et fut donnée avant qu’il prenne connaissance du rapport de l’arpenteur établissant le niveau du trottoir[33].
[47] Le Tribunal répond par la négative à la question posée et conclut que la construction ne respecte pas le Règlement d’urbanisme.
B) Les marges latérales
[48] Les murs latéraux de l’agrandissement sont érigés sur la limite latérale du lot[34].
[49] L’article 81 du Règlement se lit comme suit :
« 81. Un mur latéral d’un bâtiment non érigé sur la limite latérale d’un terrain doit être implanté à une distance égale ou supérieure à la marge latérale minimale suivante, qui varie en fonction des hauteurs en mètres maximales prescrites aux plans de l’annexe A. »
HAUTEUR MAXIMALE (en mètres) |
MARGE LATÉRALE MINIMALE (en mètres) |
jusqu’à 12,5 |
1,5 |
[50] La hauteur du bâtiment est inférieure à 12,5 m. M Bessaih confirme avoir appliqué la réglementation[35]. Son interprétation est conforme au texte et à la pratique dans l’arrondissement du Sud-Ouest. Les murs latéraux peuvent se situer soit sur la limite du lot, donc sans marge latérale, ou avec une marge de 1,5 m plus ou moins 15 cm, tel que prévu à l’article 60 du Règlement.
[51] Le bâtiment respecte donc la réglementation quant à ses marges latérales.
2. Le projet est-il sujet à l’application du Plan d’implantation et d’intégration architecturale? Dans l’affirmative, le dossier doit-il être soumis au comité consultatif d’urbanisme?
[52] La Ville a adopté un Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA)[36].
[53] Les articles 2 et 3 du PIIA prévoient son champ d’application :
« 2. Le présent règlement s’applique à un terrain, un bâtiment ou une construction visible du parc du Canal de Lachine ou de la voie publique adjacente au terrain.
(…)
3. Sous réserve des exemptions prévues au présent règlement, préalablement à la délivrance d’un certificat d’autorisation ou d’un permis de construction ou de lotissement, l’approbation du conseil est requise dans les cas suivants :
(…)
2° agrandissement ou réduction du volume d’un bâtiment incluant l’aménagement des terrains ; »
(nos soulignés)
[54] Le permis octroyé permet l’agrandissement d’un bâtiment portant l’adresse civique 2222 rue, Coursol[37]. L’agrandissement du bâtiment n’est pas visible du parc de Lachine. Il n’est pas visible non plus de la voie publique adjacente au terrain soit la rue Coursol.
[55] L’agrandissement est très apparent de la rue Blake située à l’arrière du bâtiment. Le débat porte donc sur la vraie nature de cette voie. Si Blake est une voie publique, le PIIA s’applique à la construction conformément à l’article 2 précité.
[56] Le dernier paragraphe de l’article 1 du PIIA incorpore par référence les définitions de « voie publique » et « ruelle » du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement Sud-Ouest.
[57] L’article 5 du Règlement contient les paragraphes suivants :
« ruelle » : une voie secondaire donnant accès à des terrains riverains déjà desservis par une voie publique;
« voie publique » : un espace public réservé à la circulation des véhicules et des piétons et donnant accès aux terrains riverains, excluant une ruelle;
[58] La division de la planification urbaine et de la réglementation de la Ville s’est dotée d’un guide nommé « Directive » comprenant des listes de rues et ruelles de la ville de Montréal[38]. La « Directive, C010-067 Rues-Ruelles (rues étroites, cadastre) » n’a pas été adoptée par les instances de la Ville et n’est pas accessible aux citoyens. Pour chaque voie, la Ville, après analyse des caractéristiques des lieux, a déterminé s’il s’agit d’une voie secondaire donnant accès à des terrains desservis par une voie publique. Dans un tel cas, celle-ci a déterminé qu’il s’agissait d’une ruelle.
[59] La rédaction de ce document découle du constat fait par la Ville, qu’il existe certaines rues très étroites qui, compte tenu de leur emplacement et surtout de leur faible largeur, ont toutes les caractéristiques d’une ruelle, bien qu’on n’y réfère par la dénomination de rue dans les plans d’utilisation du sol ou les plans de cadastre[39]. La Ville a déterminé que, pour les fins d’application du Règlement d’urbanisme, elle « ne tient pas compte du statut de rue qui apparaît sur les outils de référence que sont les plans d’utilisation du sol et du cadastre »[40].
[60] Trois employés de la Ville sont venus confirmer qu’ils utilisent la directive comme outil d’interprétation du Règlement d’urbanisme. Le préposé de la Ville et par la suite son superviseur ont eu recours à celle-ci afin de déterminer si le PIIA s’appliquait à la demande de permis du 2222, rue Coursol. L’annexe B de la directive indique que « la rue Blake, entre l’avenue Atwater et le boulevard Georges-Vanier, au nord de la rue Quesnel », est une ruelle.
[61] Monsieur Decoste, employé de la Ville depuis 1991 fut celui qui, à l’époque de la confection de la directive, devait déterminer à partir de la configuration des lieux, s’il s’agissait d’une rue ou d’une ruelle. Il avait reçu consigne de la Ville de ne pas tenir compte des propriétés publiques, notamment des parcs et des jardins. Ces immeubles ne causent pas problème au niveau de l’application du Règlement d’urbanisme car ils ne comportent généralement aucune adresse civique et ne sont pas desservis par des services[41].
[62] La détermination faite par la Ville est contestée par Stevens. L’argument principal de Stevens réfère à un lot, propriété de la Ville, adjacent à la rue Blake et qui sert de jardin communautaire. Il y a plus d’un accès au jardin communautaire, cependant aucun à partir d’une voie publique. Un des accès est situé sur une ruelle, selon M. Decoste, qui elle débouche sur la rue Quesnel[42]. L’autre accès, donne sur Blake.
[63] Or, la définition de ruelle implique que les terrains riverains sont déjà desservis par une voie publique. Si Blake est une ruelle, le lot propriété de la Ville servant de jardin communautaire, n’est desservi par aucune voie publique. Il serait enclavé, comme le confirme M. Decoste dans son témoignage. En fait, selon ses constatations, le jardin communautaire serait desservi par deux ruelles.
[64] La preuve établit que la rue Blake est identifiée par la signalisation comme rue. Elle est également qualifiée ainsi dans plusieurs autres documents dont notamment des plans. Elle porte un numéro de cadastre et elle est desservie par les égouts et l’aqueduc. Des luminaires sont situés sur son parcours.
[65] La preuve établit également qu’il s’agit d’une voie de faible largeur, sans trottoir et qui ne comporte aucune adresse civique. Les résidents, s’en servent pour avoir accès à l’arrière de leur maison et le public, pour accéder au jardin. Les photos démontrent clairement qu’il s’agit d’une voie secondaire donnant accès à des terrains riverains déjà desservis par une voie publique à l’exception du jardin communautaire qui lui n’est desservi que par deux ruelles.
[66] M. Decoste a appliqué les mêmes critères d’analyse à travers la Ville. Selon lui, il était et est toujours évident que cette voie est une ruelle pour les fins d’application du Règlement d’urbanisme.
[67] Le PIIA incorpore les définitions du Règlement d’urbanisme, il est donc approprié pour la Ville de référer à cette directive rédigée pour faciliter son interprétation. La prépondérance de la preuve nous amène à conclure qu’il s’agit d’une voie secondaire.
[68] En conséquence, l’agrandissement n’est pas soumis au PIIA.
3. Le Tribunal doit-il ordonner la démolition de l’immeuble?
[69]
L’article
227. La Cour supérieure peut sur demande du procureur général, de l’organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation :
1° d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec :
a) un règlement de zonage, de lotissement ou de construction ;
(…)
Elle peut également ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction conforme à la résolution, à l’entente, au règlement ou au plan visé au paragraphe 1° du premier alinéa ou pour rendre conforme au plan métropolitain applicable, aux objectifs du schéma applicable ou aux dispositions de règlement de contrôle intérimaire applicable l’intervention à l’égard de laquelle s’applique l’article 150 ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.
(nos soulignés)
[70]
Stevens est une personne intéressée au sens de l’article
[71] Elle demande comme remède la démolition de tout l’agrandissement puisque construit en contravention du Règlement. La Ville et H&J plaident subsidiairement qu’il s’agit d’une dérogation mineure ou d’un cas d’exception et qu’il n’y a donc pas lieu d’ordonner la démolition.
[72]
Il est reconnu de façon constante par la jurisprudence que les tribunaux
saisis de recours en vertu de l’article
[73] Le Tribunal doit déterminer si la dérogation peut être qualifiée de mineure ou s’il est en présence de circonstances exceptionnelles lui permettant -afin d’éviter l’injustice qu’entrainerait l’application stricte de la règlementation -de ne pas ordonner la démolition.
[74] Seul le dernier étage de l’immeuble est dérogatoire. La Ville soumet qu’il s’agit là d’une dérogation mineure : la hauteur totale du bâtiment est en deçà de celle permise par le Règlement et d’autres immeubles, dans le même quartier, comportent des agrandissements semblables.
[75] La position de la Ville dans ce dossier fut assimilable à celle de H&J. Bien que cette dernière ait souligné faire valoir l’intérêt public, il est indéniable qu’il est également dans son propre intérêt que la démolition soit refusée.
[76] Si la dérogation semble mineure pour la Ville, elle ne l’est pas aux yeux de Stevens qui voit une atteinte à la jouissance de son droit de propriété.
[77] Bien que le Règlement établit clairement qu’une construction doit respecter les hauteurs tant en mètres qu’en étages, le Tribunal détermine que la contravention à un seul de ces paramètres, soit le nombre d’étages, ne justifie pas le recours à la démolition, bien qu’il ne s’agisse pas d’une dérogation mineure.
[78] Le Tribunal fait siens les propos de la Cour d’appel dans l’arrêt Legris c. Doucet[47] :
La démolition de la construction n’est pas obligatoirement le remède approprié pour toute violation d’un règlement de zonage si minime soit-elle, du moins à l’initiative d’un particulier. La Cour n’est pas obligée par l’article 227 d’ordonner la démolition d’une construction chaque fois qu’un propriétaire de terrain prouve que la construction de son voisin enfreint légèrement un règlement de zonage ou de construction.
[79] Le Tribunal considère être en présence d’une situation exceptionnelle. Les propos du juge Chamberlain dans l’arrêt Chapdelaine, réfèrent à la possibilité pour le tribunal d’exercer sa discrétion en pareilles circonstances[48].
[31]
À mon avis, le recours à l’article
[32] Reprenant en cela l’idée exprimée par mon collègue Baudouin, dans l’arrêt Abitibi (municipalité régionale de comté d’), il me semble normal que les tribunaux gardent une certaine marge de pouvoir discrétionnaire de façon à pallier les injustices d’une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait parfois entraîner. [sic]. Cette discrétion me semble souhaitable, voire essentielle, pour permettre aux tribunaux de préserver, exceptionnellement et lorsque les circonstances particulières d’un dossier l’exigent, l’équilibre entre les intérêts de la communauté et ceux d’un individu.
[33]
La jurisprudence traitant à ce jour de l’article
(nos soulignés)
[80] Les critères élaborés par le juge Rochon dans cet arrêt, pour l’exercice de la discrétion, se sont imposés en jurisprudence[49].
« [53] À mon avis ces critères doivent être regroupés en trois catégories :
· Les agissements de la municipalité.
· Les agissements de la personne en contravention.
· Les effets du maintien de la situation dérogatoire.
[54] Les agissements de la municipalité comprennent le délai déraisonnable et inexcusable et des actions positives de sa part.
[55] Les agissements de la personne en contravention comprennent sa diligence, sa bonne foi et son absence de connaissance de la contravention.
[56] Les effets du maintien de la situation dérogatoire comprennent l’intérêt de la justice, les circonstances exceptionnelles et rarissimes de la situation, les conséquences pour la zone municipale touchée et finalement la santé et sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité. »
[81] Tout récemment les juges de la Cour d’appel statuaient sur la question et référaient aux propos de leur ancien collègue le juge Lorne Giroux ainsi qu’à l’auteure Me Isabelle Chouinard[50].
[25]
La jurisprudence a de tout temps reconnu « que le tribunaux gardent une
certaine marge de pouvoir discrétionnaire, de façon à pallier les iniquités
et injustices qu’une application stricte et rigoureuse de la loi et des
règlements pourrait entraîner dans certaines espèces ». Le pouvoir
discrétionnaire du juge prévu à l’article
Ainsi, lorsque la violation n’est pas mineure et de peu d’importance, ni commise par inadvertance ou lorsque l’intimé a fait preuve d’une « insouciance téméraire » du respect du règlement de zonage et d’un « désintéressement reprochable » à l’égard du droit des résidents du secteur à un environnement sain et paisible, les tribunaux n’hésiteront pas à sanctionner la violation de la réglementation. À plus forte raison lorsque la conduite du contrevenant est empreinte de mauvaise foi, notamment lorsque les usages dérogatoires qui sont à l’origine des procédures résultent essentiellement de ses comportements trompeurs et dissimulateurs. Il en est de même lorsque la situation dérogatoire est de nature à menacer la santé ou la sécurité publique.
(nos soulignements et soulignements de la Cour d’appel omis)
[82] La municipalité, bien qu’elle fut négligente et a commis une faute en émettant le permis, a agi de bonne foi.
[83] H&J ont obtenu un permis de la municipalité avant le début des travaux.
[84] Ils ont nommé comme mandataire un architecte, membre de son ordre professionnel, pour agir auprès de la Ville. Ils étaient de bonne foi, lui ont malheureusement fait confiance et ont agi sur ses recommandations. Ce dernier avait obtenu des permis pour des agrandissements semblables dans le même quartier.
[85] H&J n’ont pas fait preuve d’une insouciance téméraire ou d’un désintéressement reprochable.
[86] La municipalité, suite aux plaintes de Stevens et de M. Bernard Levasseur (Levasseur) l’autre voisin, a effectué plusieurs vérifications et permis la poursuite des travaux, ce qui a conforté les propriétaires dans la légalité de l’usage qu’ils faisaient des lieux.
[87] La dérogation n’a pas d’impact négatif sur l’environnement, la santé ou la sécurité des citoyens mais elle impacte sérieusement l’environnement immédiat en termes de bon voisinage.
[88] La Ville a choisi de ne pas soumettre ce type de construction à un comité consultatif d’urbanisme en vertu de son règlement PIIA.
[89] L’agrandissement est à vocation résidentielle ce qui est conforme à la réglementation.
[90] L’agrandissement est de même hauteur que les immeubles voisins et respecte les marges latérales prévues au Règlement.
[91] Seule la demanderesse s’est plainte de la dérogation.
[92] L’agrandissement quant à ses deux premiers étages respecte le Règlement d’urbanisme.
[93] La démolition du dernier étage engendrerait pour les propriétaires des coûts importants et constituerait une application sévère, stricte de la règlementation et ne réglerait qu’en partie les maux dont se plaint la demanderesse.
[94] Au terme de l’analyse qui précède, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la démolition.
4. Les défendeurs ont-ils commis une faute engageant leur responsabilité? Dans l’affirmative, la demanderesse a-t-elle droit à des dommages?
A) Pour perte de valeur de l’immeuble, 90 000 $
[95] Deux expertises ont été soumises concernant l’évaluation de la perte de valeur de l’immeuble de Stevens. Il n’y a pas d’entente sur le montant de perte de valeur mais tous, y compris l’architecte Glew, reconnaissent que l’agrandissement a diminué la valeur de l’immeuble de Stevens.
[96] La Ville dans son plan d’argumentation[51] soumet qu’elle n’a pas commis de faute en exerçant sa responsabilité dans sa sphère législative ou opérationnelle. Elle allègue avoir agi de bonne foi et ses préposés, selon son évaluation, ont agi en personne raisonnable. Subsidiairement, elle soutient que l’évaluation des dommages faite par l’expert de Stevens est peu fiable. En conséquence elle invite le Tribunal à retenir le montant de 35 000 $[52] établi par l’expert commun de la Ville et de H&J.
[97] Stevens ne recherche pas la responsabilité extracontractuelle de la Ville dans sa sphère législative mais uniquement dans sa sphère opérationnelle.
[98] Le Tribunal conclut que la responsabilité de la Ville est engagée car ses préposés et représentants n’ont pas agi en personne raisonnable.
[99] « La faute, nous rappelait la Cour suprême, correspond à la violation d’une obligation de moyens. Chercher la faute revient donc à comparer la conduite de l’agent à celle d’une personne normalement prudente et diligente, douée d’une intelligence et d’un jugement ordinaires, et à se demander si elle aurait pu prévoir ou éviter l’événement qui a causé le dommage »[53].
[100] La Cour d’appel a maintes fois réitéré qu’une ville est responsable des fautes commises par ses employés :
[37] Selon une jurisprudence constante, la simple faute d’un préposé dans l’exercice de ses fonctions peut entraîner la responsabilité d’une municipalité. Il faut donc se demander si le préposé de la Ville a eu une conduite qu’aurait eue une personne raisonnablement prudente, placée dans les mêmes circonstances. En principe, les municipalités doivent faire le nécessaire pour assurer l’application de leurs règlements et leur responsabilité peut être engagée lorsqu’un fonctionnaire commet une faute dans leur mise en œuvre. La bonne foi n’est pas le critère permettant de déterminer s’il y a eu faute.
[38] La responsabilité d’une Ville a déjà été retenue en matière de délivrance de permis lorsque celle-ci a été négligente en effectuant une enquête, qu’elle a agi de façon précipitée, sans prendre les précautions raisonnables, qu’elle a dérogé à sa propre réglementation ou lorsqu’elle n’a pas mis tout le soin voulu dans l’analyse d’une demande de permis. L’analyse de la faute doit tenir compte du contexte[54].
[101] L’employé de la Ville, Monsieur Bessaih, est à compter de 2010, inspecteur du cadre bâti pour la ville de Montréal. En 2015, il est assigné à l’émission de permis. Le 4 mars 2015, l’architecte Glew, se présente au bureau de la Ville. M. Bessaih reçoit la demande de permis faite par lui et remplit le formulaire approprié[55]. Il prend copie des plans[56] et c’est à partir du plan A-05 qu’il évalue la conformité de la demande avec le Règlement[57].
[102] Il appert de la demande de permis[58] qu’aucune photo ou devis n’ont été déposés. M. Bessaih admet qu’il n’a jamais eu accès, avant l’émission du permis, à un document établissant des mesures d’élévation. Aucune mesure du niveau du sol, du plancher ou d’élévation du trottoir, ne lui est soumise. Il n’en requiert d’ailleurs pas.
[103] Pourtant lorsqu’il explique ses démarches afin de valider si le projet est conforme à la réglementation, ces informations sont nécessaires. En effet dans un premier temps, lors d’un interrogatoire hors cour, il confirme fonder son analyse sur la relation entre le niveau d’un étage et le niveau du trottoir. Or il n’a ni l’un ni l’autre.
[104] Puis, lors de son interrogatoire durant l’instance, il affirme qu’il doit évaluer la relation entre le niveau du plancher du rez-de-chaussée et le niveau du trottoir. Il n’a pas ces informations.
[105] Il se fie donc aux plans soumis par l’architecte. Il fut mis en preuve qu’ils étaient erronés, l’architecte a admis avoir surestimé le niveau du sol à l’arrière de 30 pouces. Quant à la dénivellation à l’avant du bâtiment, il soumet qu’il s’en est remis au plan de l’architecte qui démontre, selon lui, une très légère dénivellation qui se situerait entre le trottoir et la porte en dessous de l’escalier. Cette dénivellation est difficile à voir à l’œil nu et aucun calcul n’a été fait.
[106] Le Tribunal a statué que l’interprétation faite par la Ville de son Règlement était erronée. Même si l’interprétation de la Ville était celle de son préposé, comment a-t-il pu conclure à la conformité de la demande sans détenir les informations concernant les niveaux (sol, plancher et trottoir) nécessaires à son analyse.
[107] Un certificat de localisation ou un plan d’architecte indiquant les différents niveaux étaient requis pour son analyse. Une personne raisonnable, prudente et diligente aurait requis ces informations. Du moins aurait-elle fait une visite des lieux ou tenté un constat visuel à partir de photographies.
[108] Il fut admis par l’employé de la Ville[59] qu’il n’avait pas, au moment de l’émission du permis, copie du plan de localisation[60], seul document identifiant les niveaux. Ce plan fut confectionné après l’introduction des procédures. Il n’en a pris connaissance que bien après les faits générateurs du litige.
[109] Il admet également qu’il n’a pas rempli la fiche d’analyse réglementaire[61]. Quant à la déclaration de conformité[62], elle fut remplie par l’architecte Glew, le 27 mars 2015 alors qu’elle comporte l’estampe de la ville de Montréal avec les initiales de Monsieur Bessaih, du 25 mars 2015. Cette date correspond à la date d’émission du permis[63]. La déclaration de conformité est donc signée par Glew postérieurement à l’émission du permis.
[110] La Ville n’a administré aucune preuve démontrant qu’une nouvelle étude ou révision du dossier, concernant le respect du Règlement, a été faite suite aux multiples plaintes et démarches de Stevens.
[111] Madame Julie Nadon, directrice par intérim et chef de division urbanisme, et sa direction ne furent pas impliquées dans le dossier sauf en ce qui concerne l’application du PIIA. Elle admet n’avoir fait aucune vérification de l’application du Règlement d’urbanisme.
[112] Pourtant durant les travaux, différents inspecteurs sont allés sur les lieux concernant notamment l’empiètement des fondations. Il semble que personne n’ait validé les niveaux.
[113] Avant et pendant les travaux, Stevens, de façon tenace et déterminée, a requis l’intervention de la Ville. Elle a interpellé les fonctionnaires, a rencontré le maire de l’arrondissement, écrit au maire de Montréal, ouvert un dossier à l’ombudsman et envoyé une multitude de courriels et de documents.
[114] Il est clair que les divers intervenants étaient exaspérés par tant d’insistance. Un préposé de la Ville lui a même demandé de cesser ses différentes demandes et interventions en échange, de la remise par lui, d’une copie de la réglementation[64].
[115] Stevens reconnaît que ces événements l’ont affecté. Ces agissements, sa persévérance voir son entêtement dépassaient ceux du citoyen moyen placé dans la même situation.
[116] Cependant, elle avait raison. Il est malencontreux que ses méthodes de communication aient rendu les intervenants municipaux sourds à son message.
[117] Monsieur Bessaih n’a jamais eu accès avant l’émission du permis à des mesures d’évaluation. Il n’en a pas reçu et n’en a pas demandé. Il admet n’avoir effectué aucun calcul de niveau. Il ignore la configuration des lieux et n’est pas en mesure d’indiquer s’il y a des paliers dans le plancher de l’étage concerné.
[118] La Ville a été négligente dans l’analyse du dossier. Elle n’a pas, par la suite, fait enquête ou de vérification adéquate. Ces agissements ne sont pas ceux d’une personne prudente et diligente et ne permettent aucunement d’excuser une erreur[65]. La Ville a commis une faute, sa responsabilité est retenue.
[119] Deux experts furent entendus sur la question d’évaluation des dommages. L’expert Tremblay a clairement et à plusieurs reprises énoncé verbalement lors de son témoignage et par écrit[66] que son mandat était d’établir la perte de valeur due à « la perte de luminosité dans la cour arrière et diminution de la lumière naturelle à l’arrière de la maison ».
[120] Donc, il n’a fait aucune analyse de la perte de valeur due à l’enclave ou à l’esthétisme.
[121] Il établit à 735 000 $ la valeur d’une propriété semblable à celle de Stevens lorsque celle-ci bénéficie d’ensoleillement. La valeur diminue à 700 000 $ lorsqu’elle bénéficie de moins ou d’aucun ensoleillement. Selon lui, une somme de 35 000 $ représente la perte de valeur de l’immeuble. En contre-interrogatoire il réitère de nouveau qu’il a établi cette perte de valeur en tenant compte seulement des effets de l’agrandissement sur la luminosité.
[122] Il ajoute également une conclusion quant à la valeur économique de la propriété, il établit celle-ci à 826 470 $[67]. Il s’agit d’une méthode d’évaluation de la valeur marchande qui prend en compte la valeur locative de l’immeuble.
[123] L’expert Nollet a procédé à établir la valeur marchande en évaluant les impacts dus à l’agrandissement. Il a tenu compte de la perte d’ensoleillement mais également de l’effet du mur neuf - fait de blocs de ciment, mur « aveugle », massif et selon lui immense - sur la valeur marchande. L’agrandissement a un impact sur ce qu’il a qualifié de « curb appeal ». C’est donc également une question de charme, d’esthétisme et d’attrait.
[124] L’agrandissement a un impact visuel important. Il est construit sur la ligne latérale et encadre, plutôt enferme la cour arrière de la propriété. Le balcon du deuxième étage avance plus que l’immeuble lui-même et diminue l’intimité de la cour. Son évaluation initiale établissait la perte de valeur à 161 000 $.
[125] Le Tribunal a demandé, avant le début de l’instance, aux experts de discuter ensemble de leurs expertises. L’expert Nollet affirme qu’après avoir échangé avec son collègue, ils convenaient d’un impact important dont la valeur minimum est 90 000 $. L’expert Tremblay n’a cependant pas reçu mandat d’accepter cette modification et devant le Tribunal, il a maintenu son évaluation initiale, n’ayant pas été convaincu, dit-il, des arguments de son confrère.
[126] Le Tribunal retient que la perte de valeur de l’immeuble de Stevens est de 90 000 $. L’expert Tremblay notamment lorsqu’il témoigne sur la valeur de l’immeuble est crédible. Cependant, son mandat est tronqué puisqu’il n’a pu retenir que l’impact de perte de lumière alors que les photos, les comparables et le témoignage de l’expert Nollet démontrent un impact important dû à l’effet d’une telle construction sur l’intimité, l’attrait, le charme ou la quiétude de l’immeuble.
[127] Il est vrai, et les deux experts en conviennent, qu’une seule vente ne permet pas d’établir le prix du marché. Cependant, le comparable situé au 2362 rue Coursol, soit l’immeuble le plus similaire à celui évalué, s’est vendu pour un prix de 842 000 $. Monsieur Nollet après ajustement établit la valeur à 811 175 $[68]. Cette valeur est également très proche de la valeur économique établie par l’expert Tremblay soit 826 470 $.
[128] La Ville est donc condamnée à payer à Madame Stevens la somme de 90 000 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 9 juin 2016.
B) Pour perte de la qualité de l’environnement, 20 000 $
[129] Stevens réclame 20 000 $ à la Ville et à H&J, pour perte d’accès à la lumière naturelle et pour la diminution de la qualité de son environnement.
[130] Le conseil d’arrondissement a décidé de ne pas soumettre cette construction à l’approbation du PIIA. La LAU permet l’adoption d’un tel Règlement, mais il appartient aux instances politiques d’en décider. Les plans d’implantation et d’intégration architecturale ont pour objet de permettre aux autorités municipales d’exercer un contrôle qualitatif sur l’implantation et l’architecture des constructions, l’aménagement des terrains et les travaux qui y sont reliés[69]. Il est probable que le projet aurait fait l’objet de quelques modifications suite à une analyse approfondie. Cependant, il n’appartient pas aux tribunaux d’arbitrer les querelles de bon goût en matière d’intégration architecturale[70].
[131] Quant à la perte de valeur économique, elle est compensée.
[132] H&J soumettent que Stevens ne bénéficiait pas de droits acquis quant à la préservation intégrale de son environnement. S’appuyant sur l’interprétation faite, par la Cour d’appel, de l’article 976 C.c.Q.[71], ils avancent que les circonstances de la présente affaire permettent de conclure à la privation d’un avantage mais pas à une atteinte dont la gravité, la raisonnabilité entraînerait leurs responsabilités.
[133] Le Tribunal rappelle que l’immeuble respecte la hauteur en mètres, en largeur ainsi que l’utilisation de l’espace, permis par la Ville.
[134] L’immeuble est situé en milieu urbain, en plein cœur de la ville de Montréal, les maisons sont mitoyennes et les terrains étroits.
[135] H&J ont choisi de ne faire aucun compromis sur la hauteur et la largeur de leur agrandissement. Ils ont été peu soucieux du bien-être de leurs voisins durant et après les travaux. Les troubles et inconvénients subis et indemnisés découlent de leurs agissements et non de la structure comme telle.
[136] Le Tribunal fait siens les propos de sa collègue Michèle Monast, dans un dossier analogue[72] :
[80] Ils se plaignent d’un manque d’esthétisme, d’être envahis par une structure qui les privent de la lumière naturelle et leur obstrue la vue à partir des fenêtres du rez-de-chaussée, de ne plus pouvoir ouvrir les fenêtres des chambres à l’étage et d’être privés de tranquillité à l’intérieur de leur maison à cause des conversations qui sont facilement audibles lorsqu’il y a des personnes sur le balcon…
(…)
[134] Il ne fait pas de doute, à entendre le témoignage des demandeurs, qu’ils ont été profondément bouleversés à la perspective de voir les demandeurs modifier l’aspect de leur environnement par l’ajout d’un balcon à l’arrière de leur propriété. Ce nouvel aménagement a eu pour conséquence de générer une animation extérieure nouvelle par l’usage normal qu’en font les défendeurs et de changer la luminosité ambiante.
[135] Rien ne permet cependant au Tribunal de conclure que cette construction occasionne aux demandeurs des inconvénients significativement plus importants que ceux causés par la présence d’une terrasse surélevée sur la propriété voisine. Il s’agit, somme toute, des inconvénients normaux que les voisins doivent supporter dans un milieu urbain comme celui dans lequel est situé l’immeuble.
(…)
[138] Malgré la frustration évidente des demandeurs, rien n’obligeait les défendeurs à tenir compte de leurs préférences esthétiques ou à partager avec eux les caractéristiques de l’ouvrage qu’il projetait [sic] réaliser sur leur propriété.
[137] L’agrandissement et ses effets n’excèdent pas les limites de la tolérance que se doivent les voisins compte tenu de la nature et de la situation de leurs fonds. Il faut également noter que d’autres immeubles sur la rue Coursol et dans le quartier ont fait l’objet d’agrandissements récents. Les usages locaux sont donc respectés.
[138] Le Tribunal n’octroie donc aucun montant quant à la perte de luminosité et la qualité de l’environnement.
C) Pour troubles et inconvénients, 60 000 $
[139] H&J[73]
soulignent que les inconvénients subis par Stevens ne sont pas anormaux ou
excessifs au sens de l’article
976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.
[140] Ils ont
été prompts à revendiquer les droits d’accès dont ils bénéficiaient en vertu
des articles
987. Tout propriétaire doit, après avoir reçu un avis, verbal ou écrit, permettre à son voisin l’accès à son fonds si cela est nécessaire pour faire ou entretenir une construction, un ouvrage ou une plantation sur le fonds voisin.
988. Le propriétaire qui doit permettre l’accès à son fonds a droit à la réparation du préjudice qu’il subit de ce seul fait et à la remise de son fonds en l’état.
(nos soulignés)
[141] Stevens a donné accès à sa propriété, H&J ont abusé de ce droit. Avoir accès au fonds voisin ne comprend pas le droit de modifier l’état des lieux et d’agir comme si on n’en était propriétaire. Leurs agissements ont excédé les limites de la tolérance que se doivent des voisins.
[142] Dans ce sens, l’honorable juge Chantal Masse s’exprime ainsi :
[30] En
l'espèce, il est clair de la preuve que les Éclusiers ont utilisé le terrain de
l'APC bien plus que nécessaire pour bâtir à la limite de leur terrain.
L'utilisation du terrain pour y stationner, pour y entreposer des matériaux
de construction et pour y entreposer la terre excavée sur le site 12.2 pendant
les travaux de construction des immeubles dépassait l'usage autorisé en vertu
de l'article
[31] Les Éclusiers devaient s'entendre avec l'APC avant d'utiliser son terrain de cette façon. Cela n'a pas été fait. Elles devraient donc en principe payer un dédommagement pour abus de droit. Nous verrons les considérations relatives au quantum ci-après[74].
(nos soulignés)
[143] Le Tribunal conclut qu’ils ont engagé leur responsabilité, en abusant de leur droit. De plus, ils ont fait défaut de réparer le préjudice subi par Stevens.
[144] H&J ont choisi de mettre leurs fondations sur la ligne latérale du lot. Ils ont mis du gravier près de celle-ci, sur une largeur approximative de deux pieds, empiétant ainsi sur le lot de Stevens. L’entrepreneur a témoigné qu’il était nécessaire, afin de faciliter l’écoulement des eaux, de mettre du gravier près de la fondation. H&J ne bénéficient d’aucun droit de propriété sur le terrain de Stevens. Ils auraient dû prévoir cet élément au moment de la conception du projet.
[145] Ils se sont engagés à retirer ce gravier ce qu’ils n’ont jamais fait jusqu’à ce jour. Les travaux sont terminés depuis bientôt quatre années et les lieux n’ont toujours pas été remis en l’état.
[146] Cette situation crée un stress important chez Stevens. Cette dernière a choisi et aménagé sa maison avec soin. Elle est designer et l’esthétique est importante pour elle. Elle a admis que tous ces épisodes l’ont grandement affectée. À terme, pour sa propre santé, elle prit la sage décision de déménager et de louer la maison. L’animosité entre les parties est palpable.
[147] Stevens est crédible lorsqu’elle affirme avoir choisi cet emplacement pour sa quiétude. Elle y vit seule avec son chien. Cette tranquillité est nécessaire à son équilibre. Les événements furent un tel bouleversement pour elle qu’il s’ensuivit une dépression et un arrêt de travail. Elle fut durant une période sans revenus et dut hypothéquer la maison.
[148] Son stress, sa maladie, les inconvénients subis par elle sont en partie dus au fait qu’elle n’a pas accepté l’agrandissement et les inconvénients qui en découlaient. Ils sont également en lien direct avec les agissements irrespectueux, insouciants et abusifs, de H&J et des gens à qui ils ont donné accès aux lieux pour les fins de construction.
[149] Le Tribunal souligne le comportement inapproprié de M. Glew, architecte et mandataire de H&J[75].
[150] Ce dernier a été désigné, avec l’entrepreneur Jim Minty (Minty), pour agir en tant qu’intermédiaire entre H&J et Stevens.
[151] Stevens n’a eu que de bons mots pour Minty qui a d’ailleurs témoigné devant la Cour de façon pondérée. Il en va tout autrement de M. Glew. À deux reprises durant son témoignage le Tribunal a dû intervenir car il était émotif et agressif. Après la deuxième intervention, le Tribunal a suspendu afin de permettre à l’avocat de discuter avec son témoin. Monsieur Glew s’est excusé pour ses agissements. Son comportement devant la Cour a corroboré le témoignage de Stevens.
[152] Si celui-ci se permet devant le Tribunal d’intimider un avocat expérimenté, il est tout à fait vraisemblable qu’il agisse de la même façon devant Stevens, personne fragile et instable à l’époque, telle qu’elle l’affirme dans son témoignage.
[153] Certes le comportement de Stevens peut être exaspérant, surtout lorsqu’elle remet en question les choix d’un architecte convaincu de posséder son art. M. Glew admet avoir dit à Stevens « Why are you such a bitch » alors que cette dernière prenait des photos de lui à partir de la voie publique. Les deux se sont par la suite excusés. Malheureusement, l’animosité développée entre ces deux personnes a contribué aux dommages subis par Stevens.
[154] Le Tribunal note que les agissements de H&J et des personnes à qui ils donnaient accès à leur demeure causaient également des inconvénients et stress à Levasseur, l’autre voisin. Celui-ci a choisi de ne pas poursuivre et a pris entente avec H&J concernant la remise en l’état de son fonds. Son témoignage est éclairant car il permet de jauger l’impact des agissements de H&J sur un autre voisin.
[155] Levasseur et sa conjointe sont propriétaires de diverses maisons, notamment en Espagne. Il réside une partie de l’année seulement au Québec. Il affirme que s’il devait vivre à longueur d’année au Québec, il aurait mis sa maison en vente compte tenu des agissements et comportements de la famille H&J.
[156] Ceux-ci ont commencé les travaux avant même de l’en avoir avisé. Lorsqu’il est arrivé chez lui, il constate que du bois et autres matériaux sont entreposés sur son terrain. Son balcon est utilisé pour la construction et du matériel y est installé de sorte que la solidité de celui-ci fut affectée.
[157] Après avoir constaté que la fondation empiétait sur son terrain, il en a demandé la démolition. On lui affirma que la fondation avait été démolie. Compte tenu des agissements de ses voisins, il décida de creuser le site afin de vérifier si la fondation avait véritablement été retirée. Il constata que seule une partie du ciment de la fondation avait été brisée, du remblaiement avait été mis afin de camoufler le reste de la fondation. Il a par la suite exigé que des travaux soient effectués.
[158] À la limite latérale du lot, Madame Levasseur avait planté différentes vivaces dont des arbustes. Le tout avait été arraché sans son autorisation. Il s’est également plaint du fait que les enfants du couple H&J lançaient sur son terrain de la nourriture. Stevens s’est également plainte du même type d’événement.
[159] Levasseur, au lieu de faire installer une clôture entre les deux propriétés, a demandé qu’un mur de briques soit érigé. Ce qui fut accepté.
[160] Levasseur, personne calme et pondérée, était également exaspéré du manque de civisme et du peu de respect de son droit de propriété par ses voisins.
[161] Durant les travaux, l’entrepreneur, les ouvriers et parfois H&J eux-mêmes stationnaient directement à l’arrière du véhicule de Stevens ou bloquaient son accès au stationnement. À de multiples reprises, Stevens dut aller rencontrer l’entrepreneur sur le site de construction afin de lui demander que les véhicules soient déplacés. La nonchalance et l’insouciance, face aux inconvénients que leur comportement causait à Stevens, sont inacceptables. Le droit d’avoir accès au fonds voisin n’inclut pas le droit d’y agir comme propriétaire et d’en prendre possession. Ce droit est limité à ce qui est nécessaire pour la construction du bâtiment.
[162] Stevens n’a pas pu jouir de son terrain du début des travaux en mai jusqu’à la fin des travaux en septembre. Par la suite, il ne fut pas remis en l’état et les inconvénients perdurent jusqu’à ce jour.
[163] H&J soumettent que les retards dans les travaux furent occasionnés par les agissements de Stevens auprès de la municipalité. Il appert plutôt que l’arrêt des travaux était dû aux erreurs commises par leur mandataire, l’architecte Glew. Les travaux de fondation ont débuté avant l’intervention d’un arpenteur-géomètre et ceux-ci empiétaient sur le lot voisin.
[164] Les défendeurs se sont engagés auprès de Stevens à :
- réparer le chemin en bois sur la propriété;
- réparer la clôture et la placer sur la ligne de lot;
- enlever 3 pieds de gravier et les remplacer par de la terre noire;
- terminer les travaux commencés en mai 2015 au plus tard le 15 octobre 2015[76].
[165] Ils n’ont tenu aucun de leurs engagements. Ils mentionnent que les travaux n’ont pas été faits, car ils attendaient de Stevens des informations concernant le choix de revêtement du mur extérieur. La remise en l’état des lieux afin que Stevens puisse jouir de sa propriété n’est pas une obligation conditionnelle.
[166] Stevens affirme que durant les travaux, les employés de l’entrepreneur se moquaient d’elle et étaient discourtois. Elle a également mentionné qu’elle ne laissait plus son chien aller dans la cour arrière car des débris alimentaires y étaient lancés. Il s’agit là d’un problème similaire à celui vécu par Levasseur.
[167] Stevens a finalement décidé de déménager et de louer son immeuble. Le Tribunal est convaincu que l’utilisation faite des fonds voisins par H&J excède de façon manifeste celle qui était strictement nécessaire pour faire la construction. Les dommages subis doivent être réparés. Le Tribunal détermine que la somme de 52 000 $ pour; stress, inconvénients, perte de jouissance et non-remise en l’état des lieux, est justifiée. Ce montant comprend les éléments suivants, 5 000 $ pour les dommages liés au stationnement, 7 000 $ pour perte de jouissance du terrain de Stevens durant les travaux, 20 000 $ pour perte de jouissance, stress et inconvénients, dus à la non-remise en l’état des lieux durant les presque quatre années subséquentes, et ce malgré l’engagement de H&J, 15 000 $ pour stress et inconvénients, 5000 $ pour les démarches auprès de la Ville et autres organismes ainsi que les rencontres avec les mandataires (Glew et Minty).
[168] Le Tribunal ordonne à Stevens de communiquer à H&J, dans les 30 jours du présent jugement, son choix de revêtement du mur adjacent à sa propriété. Elle devra s’assurer que son choix est conforme aux règlements municipaux.
[169] Stevens demande au Tribunal de condamner H&J, à lui payer directement une somme d’argent afin de pouvoir exécuter elle-même la remise en l’état des lieux. Compte tenu d’une part, qu’aucune évaluation du coût des travaux ne fut déposée et d’autre part, qu’il n’y a pas de conclusion à cet effet dans la procédure, le Tribunal ne tranche pas cette question. Il réserve à Stevens ses droits quant à la remise en l’état et ne statue que sur les dommages subis jusqu’à la date du présent jugement.
5 H&J ont-ils droit à des dommages pour atteinte à leur vie privée?
[170] H&J se portent demandeurs reconventionnels et réclament 15 000 $ pour des coûts additionnels, 2 000 $ en frais de location et 10 000 $ de dommages moraux.
[171] La réclamation de 15 000 $ de coûts additionnels, engendrés par les interventions de Stevens, est non fondée. H&J ont choisi d’informer leurs voisins de leur projet à la dernière minute. Les discussions ont donc eu lieu après le début des travaux. Les gestes posés par eux, Glew, Minty et ses employés sont les éléments déclencheurs de plusieurs discussions. Par ailleurs, il est normal, lorsque le fonds d’autrui est utilisé que du temps soit consacré à l’explication des travaux.
[172] Le montant de 2 000 $ représentant les coûts de location d’un appartement pour la famille durant le mois de septembre, n’est également pas fondé. Le retard des travaux est en partie dû au problème de fondations. En l’absence de preuves de faute et de lien de causalité, le Tribunal rejette la réclamation.
[173] Il en va autrement de la réclamation de 10 000 $ pour dommages moraux.
[174] Stevens durant les travaux a photographié les lieux. Plusieurs photos furent prises[77] alors qu’elle se trouvait sur le terrain, parfois même dans la résidence de la famille. Sur certains clichés, les enfants et J. apparaissent.
[175] Stevens a joint ces photos à des courriels dont les destinataires étaient multiples, référence est notamment faite à la pièce D-13 qui fut envoyée à six employés de la Ville. Rien ne justifie la transmission de photos, représentant des enfants mineurs et leur mère, prises à leur insu dans leur intimité.
[176] Stevens admet être entré dans la demeure de H&J. Il va sans dire qu’elle a posé ses gestes sans autorisation, ni invitation. Le 8 juillet 2015, Stevens est formellement mise en demeure de mettre fin à ses agissements[78]. Elle retourne pourtant sur les lieux.
[177] J. craint Stevens et ses agissements imprévisibles. Un système d’alarme est installé à sa demande dans sa demeure. Les enfants, à l’époque, éprouvaient également de l’appréhension face à Stevens qui leur avait déjà crié son exaspération.
[178] H&J invoquent le droit à la protection de leur demeure et son inviolabilité protégée par les Chartes.
[179] Le juge Jean-Pierre Senécal résume ainsi le droit applicable[79].
[271]
C’est ainsi que l’article
[272] L’article 6 dispose pour sa part que « toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi ».
[273]
Enfin, l’articles 5 reconnaît que « toute personne a droit au respect de
sa vie privée ». Les articles
(…)
[275] Tous ces principes ne sont pas valables qu’en matière pénale et seulement à l’encontre de l’État. Ils valent tout autant dans les relations entre citoyens. Leur consécration dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ne laisse à cet égard aucun doute. »
[180] H&J ont prouvé avoir éprouvé du stress et de l’anxiété.
[181] Le Tribunal tient compte du fait que la cour arrière durant les travaux, n’était pas toujours adéquatement sécurisée. Stevens a prouvé qu’elle devait aller sur le terrain pour parler à Minty afin que celui-ci intervienne auprès de ses ouvriers, notamment pour le stationnement.
[182] Cependant, son entrée dans la maison et, plus intrusive encore, la prise de photos ainsi que leur divulgation à un nombre important de personnes, ne sont pas justifiées.
[183] Stevens attribue ses gestes à l’état dans lequel elle se trouvait, victime elle aussi d’intrusions sur sa propriété durant plus de six mois.
[184] Le Tribunal accorde un montant de 2 000 $ à chacun des défendeurs, tenant compte du contexte particulier dans lequel ont eu lieu les violations.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[185] Accueille, en partie, la demande;
[186] Condamne la Ville de Montréal à payer à Madame Jennifer Stevens, dans les 30 jours du présent jugement, la somme de 90 000 $ avec intérêts au taux légal en plus de l’indemnité additionnelle conformément à la loi à compter de la date d’assignation soit le 9 juin 2016;
[187] Condamne Monsieur Karl Edwin Holweger et Madame Abigail Leah Jacob, in solidum, à payer à Madame Jennifer Stevens, la somme de 52 000 $;
[188] déclare la part de responsabilité à 50 % pour Monsieur Karl Edwin Holweger et 50 % pour Madame Abigail Leah Jacob;
[189] Accueille, en partie, la demande reconventionnelle;
[190] Condamne Madame Jennifer Stevens à payer à Monsieur Karl Edwin Holweger, une somme de 2 000 $;
[191] Condamne Madame Jennifer Stevens à payer à Madame Abigail Leah Jacob, une somme de 2 000 $;
[192] opère compensation entre le montant indiqué au paragraphe 187 dû par les défendeurs et les montants indiqués aux paragraphes 190 et 191 dus par la demanderesse et ordonne à Monsieur Karl Edwin Holweger et Madame Abigail Leah Jacob de payer à Madame Jennifer Stevens la somme de 48 000 $ avec intérêts au taux légal en plus de l’indemnité additionnelle conforment à la loi à compter du présent jugement;
[193] ordonne à Madame Jennifer Stevens de communiquer à Monsieur Karl Edwin Holweger et Madame Abigail Leah Jacob, un choix de recouvrement du mur adjacent à sa propriété qui soit conforme aux règlements municipaux, dans les 30 jours du présent jugement;
[194] RÉSERVE à Madame Jennifer Stevens ses recours quant à la remise en l’état des lieux;
[195] Le tout, avec frais de justice y compris les frais d’experts, in solidum, contre d’une part la Ville de Montréal et d’autre part Monsieur Karl Edwin Holweger et Madame Abigail Leah Jacob.
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__________________________________JOHANNE BRODEUR, j.c.s. |
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Me Eric Oliver |
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MUNICONSEIL AVOCATS |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Jean-François Carpentier |
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KUGLER KANDESTIN S.E.N.C.R.L., L.L.P. |
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Procureurs des défendeurs Karl Edwin Holweger et Abigail Leah Jacob |
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Me Eric Couture |
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GAGNIER GUAY BIRON |
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Procureurs de la défenderesse Ville de Montréal |
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Dates d’audition : 21, 22, 25, 26, 27 et 28 mars 2019 |
[1] Règlement R-01-280.
[2] L’utilisation des prénoms ou des noms de famille vise à alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir là aucun manque de courtoisie à l’égard des personnes ainsi désignées.
[3] Pièce P-43.
[4] Pièce P-43, p. 7.
[5] Pièce P-43, p. 7.
[6] Pièce P-43, p. 4.
[7] Pièce D-2.
[8] Pièce D-3.
[9] Pièce D-3.
[10] Pièce P-13.
[11] Pièce P-14.
[12] Art. 21 du Règlement.
[13] Art. 17 du Règlement.
[14] Pièces D-11, D-12, D-13 et P-42, P-47, P-56.
[15] Art. 17 du Règlement.
[16] Mesure non précisée mais probablement une mesure métrique à partir du niveau de la mer.
[17] Pièce D-9. Mesure confirmé par le témoin Bessaih
[18] Pièce D-9.
[19] Rapport de l’expert Gina Di Zazzo, pièce P-30.
[20] Témoins Mme Stevens et M. Levasseur.
[21] Pièce VM-2, notamment le plan V05.
[22] Plan de plaidoirie, p. 3.
[23] United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary
(Ville),
[24] Interrogatoire hors cour du 24 mars 2016, p. 49, ligne 24 à p. 50, ligne 5.
[25] Pièce D-9.
[26] Pièces P-11 et VM-2.
[27] L’échelle du plan ne correspond pas aux mesures inscrites sur celui-ci.
[28] http://www.la-ponctuation.com/.
[29]
Municipalité de Saint-Cuthbert c. Goyette,
[30]
Cayouette c. Boulianne,
[31] Première version, p. 50 et ss. de l’interrogatoire hors cour du 24 mars 2016 et deuxième version lors du témoignage devant le tribunal le 22 mars 2019.
[32] Interrogatoire hors cour du 24 mars 2016, préc., note 24.
[33] Pièce D-9, le Tribunal rejette l’objection numéro 4 de l’interrogatoire hors cour, car la question posée était pertinente et fut répétée afin d’obtenir des précisions à la réponse donnée. L’objection portait sur le caractère hypothétique de la question.
[34] Pièce D-9.
[35] Interrogatoire hors cour du 24 mars 2016, p. 62.
[36] Pièce VM-6.
[37] Application de l’art. 3. 2° du PIIA.
[38] Pièce VM-7.
[39] Pièce VM-7, p. 1.
[40] Pièce VM-7, directive C010-067, p. 1.
[41] Témoin M. Decoste.
[42] Pièce P-52, cadastre, n°4 142 085.
[43]
Association des Propriétaires des Jardins Taché Inc. et al c. Entreprises
Dasken Inc. et al., [1974] RCS 2,
[44]
Montréal (Ville) c. Chapdelaine,
[45]
Carl-Éric THERRIEN, « Le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour
supérieure suivant l'article
[46]
Municipalité de Saint-Gédéon c. Comité plage St-Jude inc.,
[47]
Legris c. Doucet,
[48]
Montréal (Ville) c. Chapdelaine,
[49]
Montréal (Ville) c. Chapdelaine, préc., note 48, motifs du
juge Rochon, par. 53 et ss.; Tétreault c. Lac-Brome (Ville de), préc.,
note 44; Sept-Îles (Ville de) c. Sept-Îles Métal ltée,
[50]
9201-6468 Québec inc. (Recycle Auto 2000 IM) c. Municipalité des
Îles-de-la-Madeleine,
[51] Plan d’argumentation de la Ville, pp. 20 et ss.
[52] Pièce D-10.
[53] Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1 « Principes généraux », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-195, pp. 191-192.
[54]
Bolduc c. Lévis (Ville de),
[55] Pièce VM-1.
[56] Pièce VM-2.
[57] Témoin M. Bessaih.
[58] Pièce VM-1.
[59] Témoin M. Bessaih.
[60] Pièce D-9.
[61] Pièce P-33.
[62] Pièce VM-3.
[63] Pièce D-2.
[64] Témoignage de Stevens.
[65] Bolduc c. Lévis (Ville de), préc., note 54, par. 36 et ss.
[66] Rapport de l’expert Tremblay, pièce D-10, p. 6 de 15.
[67] Rapport de l’expert Tremblay, pièce D-10, p. 13 de 15.
[68] Pièce P-32, rapport de l’expert Nollet, p. 3 de 5.
[69] Ferme Geléry Inc. c. Laverlochère (Municipalité), 2003 CanLII 18807 (QC CA), par. 62.
[70]
Fraticelli c. Pointe-Claire (Ville de),
[71]
Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du
Banc-de-pêche de Paspébiac,
[72]
Gagnon c. Valin,
[73] Plan d’argumentation déposé lors des plaidoiries.
[74]
Agence Parcs Canada c. Développements des Éclusiers inc.,
[75] Pièce P-35.
[76] Pièce P-31.
[77] Pièces D-12 et D-13.
[78] Pièce D-6.
[79]
Nathan c. Société hypothécaire Scotia,
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