Décision

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Droit de la famille — 2566

2025 QCCS 335

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUHARNOIS

 

 :

760-04-015412-225

 

 

 

DATE :

Le 29 janvier 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SERGE GAUDET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

C… B…

Demanderesse

c.

B… BE…

Défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(partage du temps parental)

______________________________________________________________________

 

  1.                 Les parties, qui ont fait commune pendant quelques années, sont les parents de X, qui est née le [...] 2019 et qui est donc aujourd’hui âgée de 5 ans et demi.
  2.                 Le litige est essentiellement relatif au partage du temps parental, mais des questions accessoires se soulèvent également.

 

 

 

  1.                 Madame, qui estime que les capacités parentales de Monsieur sont déficientes, demande d’obtenir une garde exclusive (i.e. un temps parental largement majoritaire), offrant à Monsieur des accès d’un week-end sur trois, du vendredi après l’école jusqu’au samedi à 17 heures[1].
  2.                 De son côté, Monsieur désire la mise en place d’une garde partagée selon la formule 5-2-2-5[2].
  3.                 Il y a également lieu de déterminer le paiement de pension alimentaire payable au bénéfice de l’enfant, et ce, depuis le 8 mars 2022, moment où Madame a entrepris les présentes procédures.
  4.                 Enfin, la question des frais de justice est en cause, notamment en raison des frais et honoraires encourus par Madame relativement à des fichiers audio qu’elle a produits en preuve et dont la qualité sonore laissait à désirer.
  5.                 Je précise que l’audition de la présente affaire a été suspendue à deux reprises pour l’obtention de ces transcriptions. L’audition s’est donc déroulée finalement en trois temps, soit les 5 et 6 février 2024, le 6 août 2024 et enfin les 28 et 29 octobre 2024, tel qu’expliqué plus en détail ci-après.
  1. Le partage du temps parental
  1.     Contexte
  1.                 Les parties font connaissance en 2018. Après avoir séjourné dans un appartement de Ville A, elles s’installent dans une résidence de Ville B.
  2.                 À la naissance de X, Madame indique n’avoir eu pratiquement aucune aide de Monsieur. Elle a allaité l’enfant pendant environ deux années, Monsieur refusant de la nourrir avec du lait maternel pompé. Madame passe la plupart de ses nuits sur le sofa du salon près de la bassinette de l’enfant, tandis que Monsieur dort dans le lit conjugal, disant avoir besoin de sommeil. Si Madame demandait de l’aide à Monsieur, celui-ci pouvait se montrer agressif à son endroit, ce qui a été confirmé par le témoignage de Mme Y, la fille majeure de Madame. Selon Madame et sa fille, Monsieur est alors centré sur ses propres besoins plutôt que sur ceux de l’enfant.
  3.            La séparation des parties survient au début de 2021. Monsieur quitte la résidence peu après le second anniversaire de X et va s’installer en appartement non loin de la garderie que fréquente l’enfant, à quelques pâtés de maisons de la résidence familiale. Environ neuf mois plus tard, il achète une maison à Ville C, à environ 25 minutes de voiture.
  4.            Selon Madame, après la séparation, Monsieur ne l’aide pas davantage pour les soins de l’enfant. Il va chercher X à la fin de la journée à la garderie pour la ramener chez Madame et reste à sa maison, bien qu’elle lui dise de s’en aller, en discourant de sujets souvent liés à des théories du complot. Il lui fait également des avances sexuelles qu’elle ne souhaite pas, bien qu’elle admette avoir parfois cédé à celles-ci, afin qu’il cesse de la harceler et parce qu’il pouvait se montrer agressif en cas de refus de sa part, de sorte qu’elle devait toujours se montrer prudente et agir avec doigté.
  5.            La preuve révèle que Monsieur a, en effet, des idées bien arrêtées sur de nombreux sujets dans la mouvance des théories du complot[3] et qu’il peut se montrer particulièrement têtu lorsqu’il décide d’aborder un sujet avec Madame, et ce, même lorsque celle-ci lui demande de changer de sujet ou de quitter les lieux[4]. La preuve révèle également que Monsieur a une vision très stéréotypée des femmes, pour ne pas dire carrément misogyne. Les extraits des messages publiés sur les réseaux sociaux sont éloquents à cet égard, et Monsieur semble tenir les femmes en général, mais particulièrement celles de sa génération, responsables des malheurs et de la souffrance des hommes. Dans la même veine, il a mentionné à Madame, lors d’une conversation tenue le 25 décembre 2021, que son père[5] a le même problème que la plupart des hommes, en ce que « he cannot disagree with his female». Il a également mentionné à la fille de Madame qu’il allait enseigner à X « how to treat a real man » (selon la version de Mme Y) ou encore « how to treat a man properly » (selon la version de Monsieur). Quelle que soit la version retenue, la vision stéréotypée de Monsieur envers les femmes transparaît clairement de tels propos.
  6.            En février 2022, Madame dépose des procédures pour obtenir le temps parental majoritaire de l’enfant, et aussi pour qu’il soit ordonné à Monsieur de ne pas entrer chez elle sans y avoir été invité. Elle demande également que les appels téléphoniques de Monsieur (qui ont lieu à tous les jours vers 18h) soient restreints à deux appels par semaine.
  7.            Monsieur réplique alors par sa propre demande pour la mise en place d’une garde partagée de l’enfant.
  8.            Le 25 mars 2022, le juge Alexander Pless rend un jugement intérimaire par lequel il confie la garde de l’enfant à Madame, tout en prévoyant des droits d’accès à Monsieur. Ceux-ci s’étendent graduellement dans le temps jusqu’à la mise en place, compter du 29 juillet 2022, de droits d’accès de une fin de semaine sur deux du vendredi après la garderie jusqu’au dimanche 17 heures, en plus de pouvoir ramener l’enfant de la garderie au domicile de Madame à chaque mercredi pour une période maximale de 60 minutes.
  9.            Ce jugement a été reconduit à plusieurs reprises et est toujours celui qui en vigueur quant au partage du temps parental relatif à X.
  10.            Cette dernière est désormais inscrite en maternelle à l’École A, située à quelques minutes de marche de la résidence de Madame à Ville B. Selon la preuve, l’instruction à cette école se fait à 80% en français et à 20% en langue anglaise. Tous s’entendent pour dire que X va bien à l’école et Madame précise qu’elle y a de nombreux amis.
  1.     Analyse
  1.            Toute décision relative à un enfant, et notamment la question de savoir comment effectuer le partage du temps parental, doit être prise en tenant compte de son meilleur intérêt, et ce, à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes[6].
  2.            En l’espèce, à la lumière de la preuve établie, je suis d’avis qu’il n’est pas ici dans le meilleur intérêt de l’enfant d’instaurer une garde partagée puisque les capacités parentales de Monsieur sont déficientes à plusieurs égards.
  3.            Tout d’abord, la preuve a révélé que, pendant la vie commune, Monsieur s’est complètement déchargé de ses responsabilités envers l’enfant en laissant Madame se débrouiller avec l’ensemble des tâches. La preuve a également révélé qu’après la séparation, Monsieur n’a pas davantage mis le bien-être de l’enfant à l’avant-plan et qu’il a encore plutôt privilégié ses propres besoins, incluant celui de tenter de « prouver des points » à Madame lors de longues tirades à saveur complotiste ou masculiniste, sans se soucier des besoins de l’enfant. Différents extraits des conversations enregistrées par Madame à l’insu de Monsieur le démontrent[7]. En avril 2021, il insiste auprès de Madame pour lui « prouver un point » alors que Madame lui demande quitter, notamment parce qu’il est l’heure de coucher l’enfant[8]. En juillet de la même année, alors que l’enfant est hospitalisée pour une grave pneumonie, Monsieur ne cesse d’épiloguer sur ce qu’il ressent ou sur ce qui le trouble, alors que Madame, qui est clairement exténuée et à bout de nerfs, le supplie de porter son attention sur l’enfant plutôt que sur elle[9]. Il insiste pour obtenir de l’enfant un « au revoir » qui le satisfait sans se soucier des besoins de l’enfant à ce moment précis[10].
  4.            En second lieu, on ne peut ignorer ici l’attitude misogyne de Monsieur, tel que mentionné ci-dessus. Il est difficile de penser qu’il peut être dans le meilleur intérêt d’une fillette de passer la moitié de son temps avec un parent qui entretient de telles idées sur les femmes. Or, Monsieur n’a aucunement cherché à se dissocier des idées misogynes qu’il a exprimées par le passé sur les réseaux sociaux. Il a plutôt tenté d’expliquer à la Cour qu’il ne comprenait pas pourquoi on le taxait de misogynie alors que son enfant porte un prénom qui était auparavant celui de sa mère et un deuxième prénom qui est celui d’une tante. Il est difficile de comprendre en quoi cela serait pertinent et surtout, en quoi cela peut faire oublier les publications très troublantes faites à propos des femmes sur les réseaux sociaux ou adressées directement à Madame, incluant celle-ci[11] :

I don’t respect womem without values and sure as shit not women that try to devalue me. While they prop themselves up by amy means necessary and believe me you’ve used any means necessary. So as I said, unless you’re a) going to come over here and bend over b) show the respect I deserve or c) both. Shut the fuck up and let me live please.

  1.            Troisièmement, la preuve révèle que Monsieur, après la séparation, a cherché à contrôler la vie de Madame de diverses manières, notamment en venant et en s’incrustant chez elle sans y être invité et en lui faisant des avances sexuelles, voire des attouchements non sollicités. Il y a là un élément relevant de la violence conjugale ne pouvant pas non plus être ignoré dans la détermination du partage du temps parental[12], ce que confirme d’ailleurs l’article 33 du Code civil.
  2.            Quatrièmement, il importe de souligner que Monsieur ne semble pas très sérieux dans son désir d’établir une garde partagée. Ainsi, lors de son témoignage, bien que sa procédure indique qu’il souhaite une garde partagée de type « 2-2-3 », il avoue ne pas véritablement savoir ce que cela implique au juste (notamment pour une enfant qui fréquente l’école) et demande des informations à son avocat sur ce type de garde. Au moment des plaidoiries, il demande plutôt une garde de type 5-2-2-5. De même, il reproche à Madame de lui avoir imposé l’école A alors qu’il aurait préféré une autre école dont il est cependant incapable de dire le nom à la Cour. On ne peut que sentir une certaine improvisation qui laisse perplexe quant à la réelle volonté ou capacité de Monsieur pour la mise en place d’une garde partagée.
  3.            Enfin, de toute évidence, le conflit entre les parties est important et il ne semble pas possible, encore là, d’en faire abstraction pour établir une garde partagée.

 

  1.            La garde partagée étant ainsi écartée, la question des droits d’accès de Monsieur se soulève.
  2.            Madame demande à cet égard que les droits d’accès de Monsieur qui sont en place depuis la fin de juillet 2022 – soit essentiellement un week-end sur deux plus un bref accès les mercredis –, soit réduit à une période de 24 heures aux trois semaines, du vendredi à la fin des classes jusqu’au samedi 17 heures.
  3.            Madame est d’avis que cette réduction des droits d’accès de Monsieur se justifie à la lumière des capacités parentales déficientes du père.
  4.            Je ne suis pas d’accord.
  5.            Bien que Monsieur n’ait pas les capacités parentales requises pour la mise en place d’une garde partagée, rien ne montre que les accès en vigueur depuis plus de deux années ne soient pas appropriés. Au contraire, la preuve révèle que l’enfant fonctionne bien dans ce cadre, ce que Madame a admis lors de son témoignage, et la preuve ne révèle pas d’incidents récents survenus dans le cadre des accès prévus au jugement Pless. Au surplus, l’enfant fréquente une école où les cours se donnent essentiellement en français, langue que Madame ne maîtrise pas, contrairement à Monsieur qui est bilingue, tout comme X. Il ne semble pas indiqué dans ce contexte de réduire les accès de Monsieur, ce dernier pouvant aider l’enfant avec ses devoirs et leçons en la voyant un week-end sur deux.
  6.            Je souligne que dans la jurisprudence déposée par Madame, même lorsque les juges constatent des lacunes dans les capacités parentales d’une partie justifiant d’écarter la garde partagée, et même en présence d’antécédents judiciaires[13], des droits d’accès de ce genre sont cependant généralement accordés[14].
  7.            En ce qui concerne les accès du mercredi soir conférés par le jugement intérimaire de mars 2022, j’estime toutefois que ceux-ci ne sont pas dans le meilleur intérêt de l’enfant étant donné la propension de Monsieur de s’inviter chez Madame ou de longuement parlementer avec celle-ci, alors qu’elle ne le souhaite pas et que l’enfant est souvent présente lors de ces moments de tension. Dans les circonstances de la présente affaire, la demande de Madame que les échanges ne se passent pas chez elle, mais plutôt à l’école ou au Tim Horton’s du Boulevard A à Ville B, est justifiée, ce qui écarte ces accès du mercredi.

 

  1.            Étant donné que Monsieur admet être un consommateur régulier de cannabis et occasionnel d’alcool, les accès de ce dernier seront toutefois assujettis à des ordonnances interdisant à Monsieur de consommer de l’alcool ou des drogues pendant la durée des accès et pour les six heures précédant ceux-ci, ce qui est déjà prévu dans le jugement intérimaire du juge Pless (quoiqu’au titre d’un engagement de Monsieur et non pas d’une ordonnance).
  2.            À cet égard, la demande de Madame de pouvoir garder l’enfant avec elle si elle a des raisons sérieuses de penser que Monsieur a consommé de l’alcool ou des drogues dans les 12 heures précédant un accès risque de créer encore plus de frictions entre les parties et entraîner encore là des comportements nuisibles au bien-être de l’enfant lors des échanges. Il vaut mieux que ces comportements, s’ils se produisent, soient réglés devant la Cour et dans le cadre d’une audition en bonne et due forme. Évidemment, si Monsieur se présente en état d’ébriété ou avec des facultés affaiblies pour un échange, nul ne sera tenu de laisser l’enfant partir avec lui, mais cela va de soi puisqu’il s’agit de prudence élémentaire et n’a pas besoin d’être précisé dans les conclusions d’un jugement.
  3.            Madame a par ailleurs fait valoir que les téléphones quotidiens de Monsieur à l’enfant vers 18 heures pouvaient déranger l’enfant dans ses activités quotidiennes, ce qui se comprend. Elle demande à limiter ces appels à deux par semaine pour une durée de 5 minutes. L’avocat de Monsieur a plutôt suggéré de les réduire à trois par semaine tout en les maintenant à une durée de 10 minutes. Étant donné que Monsieur verra l’enfant aux deux fins de semaine, et que des appels trop fréquents peuvent effectivement déranger la routine de l’enfant et nuire à ses activités, il semble approprié de limiter les appels aux mardis et jeudis, à 18 heures, pour une durée maximale de 10 minutes, cinq minutes étant une durée trop courte pour une enfant de maintenant presque six ans.
  4.            Finalement, Monsieur demande à la Cour de prendre acte de sa suggestion que les parties participent à une thérapie familiale ou autre thérapie en coparentalité, reconnaissant que la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner une telle chose[15].
  1. Pension alimentaire au bénéfice de l’enfant
  1.            Au niveau de la pension alimentaire, le jugement Pless a établi à titre intérimaire celle-ci à 201 $ par mois en mars 2022, tout en réservant le droit des parties de déterminer le montant payable par le jugement sur le fond de l’affaire.
  2.            Lors de son témoignage en février 2024, Madame a indiqué que ses revenus annuels de 2022 étaient de 111 697,93 $[16] et (à partir de ses relevés de paie) a estimé ses revenus pour 2023 à 116 295 $[17] et ceux de 2024 à environ 115 000 $.
  3.            Lors de l’audition tenue les 28 et 29 octobre, Monsieur a déposé l’avis de cotisation de Madame pour l’année 2023, laquelle établit plutôt les revenus annuels de celle-ci à 122 633,37 $[18]. Ce même montant sera utilisé pour les revenus de Madame en 2024, faute de preuve au contraire.
  4.            Les revenus annuels de Monsieur sont de 44 339,17 $ pour 2022[19], de 50 044 $ pour 2023[20] et du même montant pour 2024.
  5.            Madame affirme par ailleurs avoir assumé des frais de garde nets de 4 080 $ pour 2022, de 4 104 $ pour 2023 et de 7 368 $[21] du 1er janvier au 31 août 2024[22].
  6.            Monsieur indique ne pas avoir été consulté relativement à ces frais de garde, mais cette objection ne peut pas être retenue puisque, de toute évidence, Monsieur devait savoir que Madame, qui travaille à temps plein, devait assumer des frais de garde pour l’enfant avant que celle-ci ne débute la maternelle en septembre 2024.
  7.            À la lumière de ces éléments, la pension payable par Monsieur à Madame au bénéfice de l’enfant sera de :
  1.                     330,76 $ du 8 mars 2022 au 31 décembre 2022;
  2.                   358,01 $ du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2023;
  3.                 470,68 $[23] du 1er janvier 2024 au 31 août 2024;
  4.                 275,43 $ à compter du 1er septembre 2024;
  5.                   274,82 $ à compter du 1er janvier 2025;

le tout en tenant compte évidemment des montants déjà versés par Monsieur au terme du jugement intérimaire de mars 2022.

  1.            Par ailleurs, à compter du 1er septembre 2024, les frais particuliers pour l’enfant (incluant les frais de garde nets) seront payés par les parties au prorata de leurs revenus annuels.
  1. Les frais de justice
  1.            En principe, en matière familiale, chacune des parties assume ses frais de justice. Cependant, le tribunal peut en décider autrement si les circonstances le justifient[24].
  2.            En l’espèce, chacune des parties me demande de déroger à la règle, notamment en relation avec la question de la transcription de fichiers audio déposés en preuve par Madame.
  3.            Les éléments pertinents à cet égard peuvent être résumés comme suit.
  4.            Dans l’année suivant la séparation des parties, Madame a enregistré Monsieur à son insu lors de nombreuses conversations s’étalant de janvier 2021 à février 2022. À l’audience du 5 février 2024, en matinée, Madame dépose ces fichiers en preuve dont la durée totale est d’environ 45 minutes[25]. Monsieur s’objecte à ceux-ci sur la base de leur pertinence. Estimant qu’ils peuvent apporter un éclairage à l’égard des questions en litige, et notamment quant aux capacités parentales de Monsieur, j’autorise le dépôt en preuve des fichiers.
  5.            Lors de l’écoute des deux premiers extraits en salle d’audience, je constate que la qualité sonore des fichiers laisse grandement à désirer (puisque Madame a enregistré Monsieur à partir de son téléphone intelligent caché dans ses vêtements ou son sac à main) et je demande qu’on me fournisse un résumé des enregistrements.
  6.            L’avocate de Madame me fournit un tel résumé en début d’après-midi. Le lendemain, constatant à nouveau la mauvaise qualité sonore des fichiers audio (même avec des écouteurs), de telle sorte qu’il n’est même pas possible de vérifier la teneur des résumés établis par l’avocate de Madame, je décide de suspendre l’audition afin que lesdits fichiers puissent être transcrits par un sténographe officiel[26], la question des frais de cette transcription pouvant faire l’objet d’une décision dans le cadre des frais de justice. L’audition est alors fixée pour les 6 et 7 août 2024 afin de terminer la preuve en bénéficiant de la transcription des fichiers audio en question.
  7.            Le 6 août, j’apprends que, contrairement à ce qui était prévu dans le jugement du 6 février, l’avocate de Madame n’a pas fait transcrire l’ensemble des fichiers audio, mais seulement certains extraits de ceux-ci. L’avocate de Madame explique avoir mal compris le sens du jugement du 6 février, alors que celui de Monsieur insiste pour que l’ensemble des fichiers soient transcrits, comme prévu. Après discussion, Madame offre de ne pas utiliser d’autres extraits que ceux déjà mis en preuve.
  8.            Je décide alors ne pas pouvoir accepter cette manière de procéder puisque, d’une part, la preuve déjà établie l’a été sur la base que ces fichiers audio pourraient être mis en preuve et que, d’autre part, la question de savoir quelles portions précises desdits fichiers étaient déjà en preuve n’était pas simple, compte tenu de la manière dont se sont déroulés les événements et à la lumière du fait que les parties et moi-même devions bénéficier d’une transcription quant à l’ensemble des fichiers. J’ai donc réitéré l’ordonnance voulant que l’ensemble de ceux-ci soient transcrits par un sténographe comme il avait été décidé le 6 février. Cela impliquait donc malheureusement un nouveau report de l’audition, laquelle fut alors fixée aux 28 et 29 octobre 2024. Entretemps, l’ensemble des fichiers ont été transcrits (quoique plusieurs portions de ceux-ci restent inaudibles selon la sténographe).
  9.            Monsieur demande 200 $ pour le compenser d’une vacation inutile à la Cour le 5 août (et pour laquelle il a dû prendre un congé), compte tenu de l’erreur de l’avocate de Madame qui n’avait pas demandé une transcription complète des fichiers.
  10.            Je ne peux accepter cette demande.
  11.            En effet, bien que, à la lumière du procès-verbal du 6 février, il soit difficile de comprendre comment l’avocate de Madame ait pu considérer qu’elle était autorisée à ne faire transcrire que des extraits des fichiers, il reste que les notes relatives à ces extraits ont été transmises à l’avocat de Monsieur plusieurs semaines avant l’audition (soit le 26 juin) et que ce dernier était donc dès lors en mesure de savoir que l’ensemble des fichiers n’avaient pas été transcrits. Le déplacement inutile du 5 août aurait donc facilement pu être évité si cette question avait été soulevée avant le jour même de l’audience.
  12.            De son côté, Madame demande que l’entièreté des frais de transcription des fichiers soit assumée par Monsieur (un total de 1271,40 $), de même que les honoraires de son avocate en lien avec la révision desdites transcriptions, lesquels totalisent la somme de 3104, 33 $[27].

 

 

  1.            Cette demande ne peut pas davantage être acceptée.
  2.            Tout d’abord, il est difficile de voir pourquoi Monsieur devrait assumer les honoraires de l’avocate de Madame en lien avec la révision des transcriptions. On comprend que celle-ci ait voulu s’assurer que les transcriptions de la sténographe étaient conformes aux fichiers mis en preuve, mais je ne vois pas en vertu de quel principe ces honoraires devraient être assumés par Monsieur. Ce dernier n’est certainement pas responsable de la mauvaise qualité sonore d’enregistrements faits à son insu par un téléphone caché dans des vêtements ou des sacs. Par ailleurs, Monsieur était parfaitement en droit d’insister pour que l’ordonnance du 6 février soit respectée et que la transcription complète des fichiers soit déposée en preuve comme prévu. Certes, cela impliquait de part et d’autre un travail supplémentaire de vérification, mais il reste que ces fichiers ont été produits en preuve par Madame et non pas par Monsieur et que ce dernier n’a rien à voir avec la mauvaise qualité sonore des enregistrements en question.
  3.            Par ailleurs, en ce qui a trait aux frais de transcription, même si cela a été demandé par la Cour, il demeure que c’est Madame qui a choisi, au départ, de déposer ces fichiers audio dont la qualité sonore était souvent fort médiocre (ce qui est confirmé par les nombreuses portions inaudibles selon la transcription). Au surplus, le dépôt de ces fichiers audio a entraîné par deux fois le report de l’audition, sans que Monsieur n’en soit aucunement responsable, de sorte qu’une audience qui était censée durer trois jours au début de février 2024 en a finalement duré cinq et s’est terminée le 29 octobre 2024, soit presque neuf mois plus tard. Dans ces circonstances, et à la réflexion, j’estime que Madame doit assumer l’intégralité des frais de transcription.
  4.            Enfin, Madame semble reprocher à Monsieur le fait que ce dernier ait insisté pour procéder avec sa demande de sauvegarde le 17 mars 2024, alors que le juge alors présent indiquait qu’il y aurait alors probablement un encombrement du rôle forçant le report du dossier à la semaine suivante, ce qui s’est avéré. Il se peut que cette décision de Monsieur d’insister pour procéder ait été peu avisée dans les circonstances, mais je ne peux pas considérer que cela constitue « des manquements importants » dans le cadre du déroulement de l’instance au sens de l’article 342 C.p.c., surtout que la Cour d’appel dans l’arrêt Biron a établi qu’ « il faut savoir faire preuve de modération avant de conclure à un [tel] manquement »[28]. Ici, il ne s’agit que d’un seul événement au tout début de l’instance et alors que Monsieur désirait obtenir des accès à sa fille. Je ne vois pas en quoi il y aurait eu ici des « manquements importants » de la part de Monsieur dans le déroulement de la présente instance.
  5.            Chaque partie devra donc assumer ses frais de justice, selon la règle usuelle.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            ACCORDE à la demanderesse le temps parental majoritaire de l’enfant mineure des parties;
  2.            ACCORDE au défendeur les accès suivants :
  1.                     Un week-end sur deux, du vendredi fin des classes au dimanche 17 heures, selon l’horaire déjà en vigueur entre les parties;
  2.                   Un appel téléphonique d’une durée maximale de 10 minutes les mardis et jeudis à 18 heures;
  1.            ORDONNE que les échanges se fassent soit à la fin des classes soit au Tim Horton’s situé au [...] à Ville B, sauf accord mutuel des parties au contraire;
  2.            ORDONNE au défendeur de ne pas consommer d’alcool ou de drogues durant ses accès et pendant un période de six heures précédant ceux-ci;
  3.            ORDONNE au défendeur de ne pas se présenter au domicile de la demanderesse sans y avoir été invité et de quitter immédiatement les lieux lorsqu’elle le requiert;
  4.            ORDONNE aux parties, sauf accord mutuel des parties au contraire, de ne pas interférer avec le temps parental de l’un ou de l’autre, et notamment de ne pas aller chercher l’enfant à l’école lorsque c’est l’autre partie qui doit aller la récupérer;
  5.            ORDONNE aux parties de ne pas dénigrer l’autre parent en présence de l’enfant ou de tolérer qu’un tiers le fasse en présence de l’enfant;
  6.            ORDONNE au défendeur de verser à la demanderesse une pension alimentaire de :
  1.                     330,76 $ du 8 mars 2022 au 31 décembre 2022;
  2.                   358,01 $ du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2023;
  3.                 470,68 $ du 1er janvier 2024 au 31 août 2024;
  4.                 275,43 $ à compter du 1er septembre 2024;
  5.                   274,82 $ à compter du 1er janvier 2025;

, le tout en tenant compte des montants déjà versés par Monsieur au terme du jugement intérimaire de mars 2022;

  1.            ORDONNE que les frais particuliers, incluant les frais de garde nets, soient partagés au prorata des revenus des parties, et ce, à compter du 1er septembre 2024;
  2.            ORDONNE aux parties de se transmettre mutuellement leurs déclarations fiscales et avis de cotisation au plus tard le 1er août de chaque année;
  3.            PREND ACTE de la suggestion du défendeur que les parties participent à une thérapie familiale ou autre processus pouvant les aider à vivre une coparentalité plus harmonieuse;
  4.            LE TOUT sans frais de justice.

 

 

 

__________________________________

Serge Gaudet, j.c.s.

 

 

Me Marion Dana,

O’Reilly, Dana,

Avocate de la demanderesse

 

Me Jonathan Edgardo Ayala Arroyo,

Avocat du défendeur

 

 

Dates d’audience :

5 et 6 février, 6 août et 28 et 29 octobre 2024 (dernières précisions obtenues les 21 et 23 janvier 2025)

 


[1]  Voir le document intitulé « Conclusions sought by Plaintiff » déposé le 6 février 2024.

[2]  Conclusions du défendeur déposées le 29 octobre 2024.

[3]  Voir les extraits de la Pièce P-1.

[4]  Voir Pièce P-3A.

[5]  Le père de Monsieur.

[6]  Art. 33 du Code civil du Québec.

[7]  Pièces P3-A et P3-B.

[8]  Pièce P-3A, p. 1 à 11.

[9]  Pièce P-3A, p. 13 à 26.

[10]  Pièce P-3A, p. 30-33.

[11]  Pièce P-2, p. 3 (reproduit tel quel).

[12]  Droit de la famille - 221628, EYB 2022-479035, par. 72 à 76.

[13]  Idem. Je souligne que Monsieur a été acquitté d’une accusation de voies de fait dans le contexte d’une altercation avec un chauffeur de taxi survenue avant sa rencontre avec Madame.

[14]  Voir les décisions des Onglets 1 à 5 du cahier d’autorités de la demanderesse.

[15]  Monsieur demandait à la Cour d’ordonner une thérapie familiale dans sa procédure, mais il a renoncé à cette conclusion lors de l’audience.

[16]  Pièce P-6.

[17]  Pièce P-7.

[18]  Pièce P-6A.

[19]  Pièce D-9.

[20]  Pièce D-9B.

[21]  Le montant réclamé par Madame pour les frais de garde nets de 2024 était de 7 368 $, mais ce montant était établi sur la base d’une projection de ces frais sur 12 mois. Le montant sur huit mois est plutôt de 4 912 $, tel que précisé par les avocats des parties les 21 et 23 janvier 2025.

[22]  Voir à cet égard les annexes 1 déposés lors de l’audition de février 2024, signés par Madame et les documents de la Pièce P-10.

[23]  Ce montant inclut une pension alimentaire de 275,43 $ (selon le formulaire joint au présent motifs) et des frais de garde nets de 195,25 $ représentant la part de Monsieur des frais de garde nets de 614 $ par mois de janvier 2024 à août 2024, selon le prorata des revenus des parties. Je précise que le formulaire joint pour cette période n’inclut pas les frais de garde car le logiciel Jurifamille désormais utilisé par la Cour supérieure ne permet pas d’insérer dans le calcul des frais de garde nets pour une portion d’année.

[24]  Art. 340, al. 2 C.p.c.

[25]  Pièce P-3.

[26]  Procès-verbaux des 5 et 6 février 2024.

[27]  Voir Pièce P-11.

[28]  Biron c. 150 Marchand Holdings Inc., EYB 2020-366505, par. 117.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.