Décision

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Carrières ABC Rive-Nord inc. c. Municipalité de Grenville-sur-la-Rouge

2024 QCCS 1588

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

terrebonne

 

No :

700-17-019312-239

 

 

 

DATE :

23 avril 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

STÉPHANE LACOSTE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CARRIÈRES ABC RIVE-NORD INC.

Demanderesse

c.

MUNICIPALITÉ DE GRENVILLE-SUR-LA-ROUGE

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

APERÇU

[1]                Carrières ABC Rive-Nord inc. (« ABC ») se pourvoit en contrôle judiciaire contre l’article 171 du Règlement de zonage (le « Règlement ») de la Municipalité de Grenville-sur-la-Rouge (« GSLR »).

[2]                Cette demande est entendue en même temps qu’un pourvoi en contrôle judiciaire connexe dans le dossier 700-17-018919-224 qui fait l’objet d’un jugement rendu en même temps. Cet autre dossier concerne un projet d’agrandissement de la carrière qu’exploite ABC sur le territoire de GSLR et met en cause le renvoi possible du dossier à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (« CPTAQ ») et une éventuelle demande adressée à un fonctionnaire autorisé de GSLR de confirmer ou non si le projet est conforme à la réglementation municipale.

ANALYSE

1.        QuelLE est la nature du recours entrepris et quel délai est applicable?

[3]                Le recours est intitulé Demande introductive d’instance en pourvoi en contrôle judiciaire (art. 529 al. 1 par. 1 C.p.c.). Il conclut comme suit :

DÉCLARER inopérant, inapplicable et inopposable à la demanderesse l’article 171 du Règlement de zonage RU-902-01-2015 de la municipalité de Grenville-sur-la-Rouge puisqu’il porte sur le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières et le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection adoptés en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement.

[4]                Malgré cela, le recours ne constitue-t-il pas plutôt une demande de jugement déclaratoire au sens de l’article 142 de Code de procédure civile C.p.c. »). J’ai soulevé cette question lors de l’audience. La question est importante, car si nous nous trouvons dans un cas d’application de l’article 142 C.p.c., le recours n’est pas tardif, alors que si nous nous trouvons dans un cas d’application de l’article 529 C.p.c., le recours doit être intenté dans un délai raisonnable, ce qui n’aurait pas été fait en l’instance comme le plaide GSLR.

[5]                Les arguments des parties m’amènent à conclure que le recours relève réellement de l’application de l’article 142 C.p.c. 

[6]                ABC plaide que l’article 171 du Règlement n’est tout simplement jamais entré en vigueur et que la volonté exprimée par GSLR de le lui opposer et appliquer serait alors illégale et dénuée de fondement. Il s’agit d’un recours préventif dans la mesure où la première fois où GSLR pourrait prétendre appliquer ce règlement pour faire obstruction au projet d’ABC serait dans le futur, soit lors de l’application de l’article 58.1 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[1] L.P.T.A.A. ») selon le déroulement du dossier résultant du jugement rendu ce jour dans le dossier 700-17-018919-224, soit lors d’une éventuelle demande de permis municipal qui ne pourrait venir qu’après une autorisation finale sous la L.P.T.A.A.

[7]                Il en serait autrement si ABC demandait au Tribunal d’utiliser son pouvoir discrétionnaire de contrôle judiciaire pour rendre nul ou inopérant l’article du règlement pour un motif de droit administratif (imprécision, absence de compétence, déraisonnabilité, abus de pouvoir) ou d’atteinte à un droit fondamental ou constitutionnel (en cas de violation d’une compétence fédérale ou de la Charte canadienne des droits et libertés[2] ou de la Charte des droits et libertés de la personne[3]).  Dans un tel cas, il s’agirait vraiment d’un pourvoi en contrôle judiciaire fondé sur l’article 529 C.p.c.[4].

2.        Le recours est-il entrepris dans un délai légal?

[8]                J’en conclus que le recours en jugement déclaratoire est intenté de manière préventive et ne peut donc en aucune manière être tardif ou prescrit.

3.        LE RECours en jugement déclaratoire

[9]                Un tel recours est ouvert seulement si ABC a un intérêt juridique suffisant et recherche une solution à une difficulté réelle.  Le jugement que je rendrai mettra fin à une incertitude réelle et permettra aux instances administratives (CPTAQ, Tribunal administratif du Québec TAQ »), la Cour du Québec siégeant en appel et GSLR) de savoir à quoi s’en tenir.

[10]           Les parties admettent d’ailleurs, avec raison, que la CPTAQ, et donc les instances d’appel TAQ et Cour du Québec, n’ont pas compétence pour se prononcer sur la validité ou l’interprétation d’un règlement municipal et sont liées par l’opinion du fonctionnaire municipal désigné en application de l’article 58.1 L.P.T.A.A. Cette interprétation de la loi et des règlements municipaux qui lierait la CPTAQ, le TAQ et la Cour du Québec ne lierait aucunement la Cour supérieure. À moins que je me prononce immédiatement, il demeurera une difficulté susceptible d’entraver le bon déroulement du dossier d’approbation sous la L.P.T.A.A. du projet d’ABC et aussi d’une éventuelle demande de permis soumise à GSLR. L’intérêt public et la saine administration de la justice imposent de régler immédiatement cette difficulté et d’éviter de laisser les parties et les tribunaux inférieurs dans le brouillard et d’économiser des milliers de dollars de fonds privés et publics tout en favorisant la célérité du processus (qui, il faut le rappeler, a débuté en 2017).

[11]           Il est clair que le jugement déclaratoire aura un effet pratique[5].

[12]           Les critères d’application de l’article 142 C.p.c. sont remplis.

4.                 L’Article 171 du règlement de zonage est-il en vigueur?

 

[13]           L’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement[6]  LQE ») prescrit :

118.3.3. Tout règlement pris en vertu de la présente loi prévaut sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre, auquel cas ce dernier prévaut dans la mesure que détermine le ministre. Avis de cette approbation est publié sans délai à la Gazette officielle du Québec. Le présent alinéa s’applique malgré l’article 3 de la Loi sur les compétences municipales (chapitre C-47.1).

Le ministre peut modifier ou révoquer une approbation délivrée en vertu du premier alinéa dans le cas où le gouvernement adopte un nouveau règlement relativement à une matière visée dans un règlement municipal déjà approuvé.

Avis de cette décision du ministre est publié sans délai à la Gazette officielle du Québec.

Le premier alinéa ne s’applique pas aux dispositions d’un règlement pris en vertu de la présente loi qui prévoit qu’un tel règlement ou certains articles de ce règlement sont appliqués par toutes les municipalités, par une certaine catégorie de municipalités ou par une ou plusieurs municipalités lorsque le règlement municipal vise la mise en œuvre des dispositions d’un règlement pris en vertu de la présente loi.

Au sens du premier alinéa, équivaut à une approbation du ministre, celle du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire visée à l’article 79.17 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A-19.1). Dans un tel cas, la publication à la Gazette officielle du Québec prévue à ce premier alinéa n’est pas requise.

                                                                                                        (Mes soulignés)

 

[14]           Cette disposition a pour objet d’uniformiser les règles sur tout le territoire québécois et d’empêcher les municipalités d’imposer des normes plus strictes. Il s’agit pour moi de simplement déterminer si une disposition d’un règlement municipal porte « sur le même objet » qu’un règlement adopté sous l’autorité de la LQE « indépendamment de toute question de compatibilité entre les deux règlements »[7].

[15]           Il est admis qu’aucune approbation ministérielle n’a été demandée ni obtenue quant à l’article 171 du Règlement.

[16]           Il faut aussi considérer l’effet de l’article 446 du Code municipal du Québec[8]  C.M. ») qui s’applique à GSLR et prévoit :

446. L’original de tout règlement, pour être authentique, doit être signé par le chef du conseil ou par la personne présidant le conseil lors de l’adoption de ce règlement, et par le greffier-trésorier.

Lorsqu’une disposition du présent code ou d’une autre loi générale ou spéciale prévoit qu’un règlement doit recevoir une approbation, ce règlement ne peut être publié ni entrer en vigueur tant qu’il n’a pas reçu cette approbation. Dans un tel cas, un certificat signé par le chef du conseil et par le greffier-trésorier, attestant la date de chacune des approbations requises, doit accompagner l’original du règlement et en fait partie.

                                                                                                        (Mes soulignés)

[17]           ABC plaide que l’article 171 du Règlement porte sur le même objet que des dispositions du Règlement sur les carrières et sablières[9]  R.c.s. ») et le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection[10] R.p.e.p. ») adoptés en vertu de la LQE. et n’est donc pas en vigueur. 

[18]           Qu’en est-il?

[19]           J’estime qu’ABC a raison.

[20]           L’article 171 du Règlement a pour objet d’imposer des distances minimales entre une carrière et diverses autres ressources ou emplacements. Il porte clairement sur le même objet que les articles 14 à 19 R.c.s. ou 51 et 54 et suivants R.p.e.p.  En fait, il a pour seul objet d’étendre les distances prévues au R.c.s. et R.p.e.p. 

[21]           La Cour d’appel[11] interprète le défaut d’approbation au sens de l’article 446 C.M. comme une absence de règlement :

[34]   À mon avis, l’absence d’approbation est fatale car l’expression de la volonté du Ministre est une des composantes essentielles à la création du règlement, la volonté de la municipalité est insuffisante à elle seule. La partie se joue à deux et les deux doivent être d’accord, sinon il n’y a pas de règlement qui vaille.

[22]           Je dois donc conclure que l’article 171 du Règlement n’est pas en vigueur et ne peut être opposé à ABC. Il s’agit d’un simple exercice d’interprétation qui ne fait pas appel au pouvoir de contrôle judiciaire.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[23]           ACCUEILLE partiellement la demande;

[24]           DÉCLARE que l’article 171 du Règlement de zonage RU-902-01-2015 de la municipalité de Grenville-sur-la-Rouge n’est pas en vigueur et ne peut être opposé à Carrières ABC Rive-Nord inc.

[25]           AVEC LES FRAIS DE JUSTICE.

 

 

 

 

__________________________________stéphane lacoste, j.c.s.

 

Me Martin Bouffard

Morency Société d’avocats

Avocats de la demanderesse

 

Me Jean-François Gagné

Trivium avocats

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience :

23 avril 2024

 

 

 


[1] RLRQ, c. P-41.1

[2] L.R.C. 1985, app. II, no 44, annexe B, partie I.

[3]­­­­­­­­­ RLRQ, c. C-12.

[4] Re Bertrand, 2024 QCCS 1113, par. 68-72; Tremblay c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 492, par. 18; Turbide c. Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, 2020 QCCS 3144, par 13, 17-21; Association des employés cadres de la Ville de Terrebonne inc. c. Legris, 2018 QCCS 2752, par. 45-55, confirmé sur la question du délai à Association des employés cadres de la Ville de Terrebonne inc. c. Ville de Terrebonne, 2021 QCCA 390, par. 14; Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec inc. c. Ordre des ingénieurs du Québec 2017 QCCS 1575, par. 12-14.

[5] Shot Both Sides c. Canada, 2024 CSC 12 (CanLII), par. 67.

[6] RLRQ, c. Q-2.

[7] St-Michel-Archange (Municipalité de) c. 2419-6388 Québec inc., page 22, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, le 8 octobre 1992, n° 23009; Ville de Mercier c. Sols Verelli inc., 2024 QCCS 1389, par. 210-215 et 246; Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. Séguin, 2023 QCCA 950; Ville de Sainte-Julie c. Pépin, 2022 QCCS 4694, par. 78-82; Electrolux Canada Corp. c. Ville de l'Assomption, 2018 QCCS 3945, par. 77; Municipalité de Lac-Beauport c. Communauté métropolitaine de Québec, 2018 QCCS 929, 350-351; 4410912 Canada inc. c. St-Télesphore (Municipalité de la paroisse de), 2011 QCCS 2563, par. 66.

[8] RLRQ, c. C-27.1.

[9] RLRQ, c. Q-2, r. 7.1.

[10] RLRQ, c. Q-2, r. 35.2.

[11] Beaumont (Municipalité de) c. Lévis (Ville de), 2009 QCCA 1551, qui confirme Beaumont (Municipalité de) c. Lévis (Ville de), 2008 QCCS 2395 dans lequel le juge Ross Goodwin concluait que le règlement municipal « n’est jamais entré en vigueur […] »; voir aussi Brossard (Ville de) c. Longueuil (Ville de), 2010 QCCS 2071; Ville de Sainte-Julie c. Pépin, précitée note 6, par. 82.

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