Ville de Sherbrooke c. Homans | 2021 QCCA 1866 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(450-17-004071-115) | |||||
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DATE : | 10 décembre 2021 | ||||
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VILLE DE SHERBROOKE | |||||
APPELANTE – défenderesse | |||||
c. | |||||
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SIMON HOMANS | |||||
9202-2680 QUÉBEC INC. | |||||
INTIMÉS – demandeurs | |||||
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[1] La Ville de Sherbrooke se pourvoit à l’encontre d’un jugement rendu le 25 avril 2019 par la Cour supérieure, district de Saint-François (l’honorable Robert Castiglio), lequel la condamne à indemniser les intimés à la suite de l’erreur commise par l’un de ses officiers.
[2] Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Marcotte et Cotnam, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
[4] REJETTE la demande des intimés afin que l’appel soit déclaré abusif, sans frais de justice.
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| GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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Me Catherine Cantin-Dussault | ||
VILLE DE SHERBROOKE | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Justin Gravel | ||
LAVERY, DE BILLY | ||
Pour les intimés | ||
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Date d’audience : | 21 octobre 2021 | |
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MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON |
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[5] L’appelante Ville de Sherbrooke se pourvoit contre le jugement[1] qui la condamne à indemniser les intimés à la suite de l’erreur commise par l’un de ses officiers qui aurait empêché l’adoption en temps utile d’un règlement relatif au zonage. L’appelante considère que le juge a erré en concluant que les dommages réclamés découlaient de la faute qui lui est reprochée.
[6] Afin de bien comprendre les moyens soulevés par l’appelante, il importe de rappeler les grandes lignes de la chronologie des évènements.
[7] En 1993, le propriétaire d’un terrain situé sur le territoire de la municipalité de St‑Élie-d’Orford, depuis fusionnée avec la Ville de Sherbrooke, souhaite construire une piste d’atterrissage. Dans le but d’autoriser cet usage, la municipalité adopte le Règlement nº 297 afin de créer, là où se trouve le terrain, une nouvelle zone C-53 et d’y permettre expressément les usages « commerces de détail et de services contraignants », alors que ceux-ci étaient jusqu’alors prohibés dans la zone de laquelle la nouvelle zone est détachée. Toutes les procédures entourant l’adoption de ce règlement sont accomplies, sauf la toute dernière, que l’officier de la municipalité semble ignorer, qui est l’envoi du règlement à la Municipalité régionale de comté (« la MRC ») afin qu’elle délivre un certificat de conformité du règlement avec son schéma d’aménagement et à son document complémentaire[2]. Cette omission a eu comme conséquence que le règlement n’est pas entré en vigueur[3] et donc que la nouvelle zone n’a pas été créée et que les usages contraignants que le Règlement nº 297 aurait permis ont continué d’être prohibés.
[8] Les années passent et la piste d’atterrissage est transformée en piste d’accélération et de motocross par le nouveau propriétaire du terrain, sur la foi des avis de l’officier municipal voulant que les usages alors exercés et ceux envisagés étaient permis. Ces usages sont conformes au Règlement nº 297 sous réserve du fait qu’il soit en vigueur. Ces nouveaux usages génèrent des bruits importants. Des plaintes du voisinage fusent.
[9] L’omission de la municipalité d’avoir requis et obtenu le certificat de conformité de la MRC n’est découverte qu’en 2010, soit 17 ans après l’adoption du Règlement nº 297. La Ville de Sherbrooke, fusionnée depuis 2002 avec la municipalité de St-Élie-d’Orford, tente alors de corriger son erreur en présentant, comme la loi l’y autorise[4], une demande à la Commission municipale du Québec d’attester la conformité du Règlement nº 297 avec le schéma d’aménagement et le document complémentaires de la MRC, lesquels sont demeurés inchangés à l’égard du terrain depuis l’adoption du Règlement nº 297. Le 19 septembre 2011, la Commission municipale donne son avis attestant cette conformité, avec comme effet que le règlement entre en vigueur ce jour-là[5].
[10] L’entrée en vigueur du règlement ne régularise toutefois pas la légalité des usages en litige puisque, dans l’intervalle, la MRC a adopté un règlement de contrôle intérimaire qui prohibe sur tout le territoire de la MRC les pistes de course pour véhicules motorisés.
[11] Trois recours judiciaires visant la cessation des usages exercés par les intimés sont déposés, soit les dossiers Gagnon, Danaher et Gestion Paroi inc.
[12] Dans les deux premiers, les demandeurs appuient exclusivement leur demande sur l’illégalité des usages exercés par les intimés découlant du fait que le Règlement nº 297 n’est pas entré en vigueur en temps utile dû à l’omission de la Ville de l’avoir transmis à la MRC « le plus tôt possible » après son adoption, tel que le prescrivait alors l’article
[13] Le 7 juillet 2015, la juge Line Samoisette de la Cour supérieure rend jugement dans les dossiers Gagnon et Danaher, réunis pour les fins de l’audition[6]. La juge rejette les prétentions de M. Danaher, formulées dans le cadre d’une demande pour jugement déclaratoire, selon lesquelles l’inobservation de cette formalité aurait eu l’effet d’invalider le règlement. La juge déclare que le Règlement nº 297 est valide et qu’il est entré en vigueur le jour où a été donné l’avis de la Commission municipale, soit le 19 septembre 2011[7].
[14] La juge Samoisette rejette aussi les prétentions avancées par M. Gagnon. Elle conclut d’abord que les activités de motocross et de VTT, dont celui-ci recherchait la cessation, ne pouvaient bénéficier de droits acquis étant donné l’adoption du règlement de contrôle intérimaire avant que la Commission municipale du Québec reconnaisse la conformité du Règlement nº 297 avec le schéma d’aménagement et avec son document complémentaire. Malgré cela, et faisant appel à la discrétion judiciaire « vu les circonstances exceptionnelles de la présente affaire »[8], la juge refuse d’ordonner la cessation des activités attaquées, ce qui a pour effet d’en permettre la poursuite, et déclare que les activités liées à la piste d’accélération et l’usage « piste de course » lié à celle-ci sont autorisés dans la zone, tout comme l’est « la pratique du motocross et du VTT »[9].
[15] Ce jugement de la juge Samoisette n’a pas été porté en appel.
[16] Le troisième recours, déposé par Gestion Paroi inc., se fonde initialement uniquement sur les troubles de voisinage causés par le bruit généré par les activités. Gestion Paroi inc. y ajoute en cours d’instance l’argument fondé sur l’illégalité ou l’inopposabilité qui aurait découlé de l’entrée en vigueur tardive du Règlement nº 297. Puis, environ une année et demie plus tard, elle retire ce moyen pour ne plaider que l’argument fondé sur les nuisances. Les intimés ont ainsi dû se défendre, dans ce dossier, à l’encontre des conséquences de l’omission de la Ville, pendant cette période d’un an et demi.
[17] Ayant dû se défendre à l’encontre de ces trois recours par lesquels des tiers tentaient de faire cesser leurs activités en prenant appui sur l’omission de la Ville d’avoir transmis le Règlement nº 297 à la MRC en temps utile, les intimés intentent un recours en dommages-intérêts alléguant que la faute de l’appelante les a entraînés dans une saga judiciaire les obligeant à engager des honoraires d’avocats et leur causant divers troubles et inconvénients.
[18] Le juge Castiglio fait droit à la demande des intimés. Après avoir rappelé les faits de l’affaire et la position de chacune des parties, le juge procède à l’analyse des trois éléments essentiels en matière de responsabilité civile extracontractuelle, soit la faute, le préjudice et le lien de causalité. Il retient que le retard de 17 ans dans l’accomplissement de la dernière étape requise par l’article
[19] Le juge passe ensuite à l’analyse des dommages subis par les intimés à la lumière des enseignements de la Cour dans les arrêts Bergeron c. Racette[10] et Gingras c. Pharand[11]. Il estime, au vu des conclusions que M. Danaher recherchait et du fait que tout le débat n’a porté que sur la validité du Règlement nº 297, que ce recours n’aurait pas été intenté n’eût été l’omission de l’officier de la Municipalité et accorde à titre de dommages les honoraires versés par les intimés dans le cadre de ce recours.
[20] Le juge traite ensuite des honoraires extrajudiciaires assumés par les intimés afin de se défendre à l’encontre du recours intenté par M. Gagnon. Il établit que ce recours, pris en vertu de l’article
[21] Le juge analyse ensuite les honoraires extrajudiciaires engagés dans le dossier Gestion Paroi inc. Il constate que les intimés ne réclament que le remboursement des honoraires versés à leurs avocats afin de se répondre au nouvel argument de Gestion Paroi inc. portant sur la validité du Règlement nº 297 ajouté puis retiré pendant l’instance, et non les honoraires déboursés afin de se défendre contre les arguments fondés sur les troubles de voisinage (le bruit). Il conclut de la même façon que dans les deux précédents dossiers.
[22] Le juge accorde aussi aux intimés une partie des honoraires extrajudiciaires engagés dans le dossier dont il était saisi, mais uniquement pour les travaux juridiques de recherche et d’analyse initiaux nécessaires à la bonne compréhension du problème résultant de la faute de la Ville, ainsi que pour les travaux d’accompagnement des avocats des intimés afin de rechercher, de concert avec l’appelante, une solution susceptible de pallier les conséquences de l’omission.
[23] Le juge se dit d’avis qu’il en allait autrement des honoraires pour la préparation et la transmission à la Ville de l’avis de réclamation, pour la préparation et le dépôt du recours en dommages-intérêts et pour tous les services rendus dans le cadre de ce recours, conformément à la direction prise par la Cour dans Viel c. Entreprise immobilière du terroir ltée[12]. Mais comme le souligne le juge, non seulement aucun abus de procédure n’avait été allégué ni démontré, ces derniers honoraires n’étaient, à juste titre, pas même réclamés par les intimés, leur avocat ayant d’ailleurs témoigné afin de permettre au juge de tracer le plus précisément possible la ligne entre les premiers et les seconds.
[24] Enfin, le juge accorde à M. Homans des dommages moraux liés au stress, ennuis et inconvénients supplémentaires, le juge considérant que ces dommages sont la conséquence directe de la faute de la Ville. Il rappelle que les recours de M. Danaher et M. Gagnon, et dans une moindre mesure celui de Gestion Paroi inc., n’auraient vraisemblablement pas été initiés, n’eût été la faute de la Ville, et ce, malgré les quelques conclusions supplémentaires formulées par la juge Samoisette.
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[25] Comme première question en litige, l’appelante soutient que le juge aurait erré de façon manifeste dans son analyse du lien de causalité entre la faute et les dommages réclamés par les intimés. Le juge aurait, dans ce cadre, omis de motiver en droit ses conclusions quant à l’existence d’un lien de causalité entre la faute et les dommages.
[26] Subsidiairement, l’appelante soutient qu’il y aurait eu rupture du lien de causalité puisque la faute commise par la Ville n’a entraîné aucun dommage aux intimés avant qu’ils ne troublent leur voisinage et fassent ainsi l’objet de leur exaspération et de leurs poursuites judiciaires.
[27] L’appelante a tort. Dans un jugement à la fois limpide et rigoureux, le juge motive clairement ce qui l’amène à conclure que les dommages subis par les intimés résultent directement de la faute et l’appelante ne montre pas en quoi il aurait erré, de façon manifeste ou autrement, dans son appréciation de la preuve ou son application des règles de droit en la matière.
[28] En réalité, ce que souhaitait l’appelante en première instance – et qu’elle souhaite toujours –, comme elle l’expose d’ailleurs tant dans sa déclaration d’appel que dans son mémoire, c’est que l’on tire de la preuve que ce n’est pas la faute de la Ville qui est à l’origine des dommages subis par les intimés, mais plutôt les nuisances générées par leurs activités, d’où l’absence d’un lien de causalité suffisant entre la faute et les honoraires professionnels réclamés.
[29] L’appelante n’a pas tort lorsqu’elle propose que si les activités des intimés n’avaient pas généré les bruits que leur reprochaient leurs voisins, il est vraisemblable que les trois demandeurs n’auraient pas institué leur recours visant à les faire cesser. Toutefois, l’appelante fait fausse route lorsqu’elle assimile, dans le cadre de la recherche de la causalité, la motivation des demandeurs pour intenter leur recours judiciaire avec les moyens qui leur ont permis d’y donner effet. N’eût été les conséquences légales de la faute commise par l’officier municipal, soit l’illégalité et l’inopposabilité du Règlement nº 297, l’absence de droit acquis et l’illégalité des activités qui a pu en résulter, les tiers n’auraient tout simplement pas pu mettre à exécution leur intention.
[30] Comme on le sait, la juge Samoisette a conclu que la faute commise par l’officier municipal n’avait pas eu les effets allégués par les demandeurs dans chacun des trois dossiers. Force est toutefois de constater qu’il s’en est fallu de peu pour que les moyens qu’ils invoquaient mènent à la cessation des activités attaquées, certaines d’entre elles n’ayant pu être maintenues qu’à la suite de l’appel fait par la juge à sa discrétion judiciaire.
[31] La détermination et l’appréciation du lien de causalité sont des questions de fait soumises à l’application de la norme de l’erreur manifeste et déterminante[13]. Dans l’arrêt Hogue, la Cour, référant à ses propos dans l’arrêt Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé[14], rappelle que le dommage doit être la conséquence directe, logique et immédiate de la faute[15] :
[43] La doctrine observe que les tribunaux n’ont pas développé de méthode uniforme afin d’établir le lien de causalité dans une situation donnée. Tous s’entendent néanmoins sur le point suivant : le dommage doit être la conséquence directe, logique, immédiate de la faute. Comme l’explique l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Imperial Tobacco :
[666] De manière générale, les tribunaux québécois concluent à l’existence d’un lien de causalité lorsqu’il est démontré que le dommage est la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Cette conception de la causalité se traduit le plus souvent par le rejet des théories de l’équivalence des conditions et de la causalité immédiate. La théorie de la prévision raisonnable des conséquences est parfois appliquée de concert avec celle de la causalité adéquate, mais c’est cette dernière qui a le plus largement cours en jurisprudence.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[32] En l’espèce, et tel que le juge de première instance le conclut, les recours de Danaher et Gagnon étaient fondés sur les conséquences de la faute de la Ville d’avoir transmis en temps utile le Règlement nº 297 à la MRC et sur les effets du report de son entrée en vigueur. Il en va de même des honoraires accordés par le juge dans le dossier Gestion Paroi inc. puisqu’il s’agit des honoraires facturés au moment où la problématique a été initialement portée à la connaissance des intimés et tout au long de ce dossier, mais qui ne s’y rapportaient pas. Ces honoraires auraient été payables, qu’ils soient facturés dans le contexte d’un litige existant ou indépendamment de tout litige.
[33] Les honoraires d’avocats versés par les intimés sont donc une conséquence logique, directe et immédiate de cette faute de la Ville. Les intimés n’auraient jamais été forcés de se défendre à l’encontre de ces recours si le règlement était entré en vigueur en temps utile. En réalité, les intimés ont été contraints d’expliquer et de justifier les manquements de la Ville et les mesures correctrices mises en place. Ils ont fait, dans une certaine mesure, le travail de la Ville.
[34] Ainsi, bien que les recours judiciaires aient été initiés dans un contexte de conflit de voisinage et que la finalité de ces procédures était de faire cesser les activités motorisées, le fondement de ces demandes reposait exclusivement (pour au moins deux d’entre eux) sur les conséquences de la faute de la Ville.
[35] Il en va de même des dommages moraux réclamés par l’intimé, M. Homans. L’appelante ne relève aucune erreur dans l’analyse de la preuve faite par le juge ou de sa conclusion voulant que, n’eût été la faute de l’appelante, M. Homans n’aurait vraisemblablement pas vécu tous les troubles, ennuis et inconvénients qui ont été causés par la question de la validité de la réglementation, troubles distincts et additionnels à ceux causés par la question du bruit pour lesquels il n’a reçu aucun dédommagement.
[36] Cette conclusion répond au moyen subsidiaire avancé par l’appelante selon lequel il y aurait eu rupture du lien de causalité entre la faute et les dommages. Selon la théorie avancée par l’appelante, il ne peut y avoir rupture du lien de causalité que par l’effet du novus actus interveniens, c’est-à-dire un « événement nouveau, indépendant de la volonté de l’auteur de la faute et qui rompt la relation directe entre celle-ci et le préjudice »[16]. En l’espèce, ni la première des conditions requises, soit la disparition complète du lien entre la faute initiale et le dommage subi, ni la deuxième, soit la survenance d’un lien de causalité entre un nouvel événement non lié à la faute initiale et le préjudice subi[17], ne sont présentes. Comme l’indiquent les intimés dans leur mémoire, bien que la faute de l’appelante n’ait pas causé aux intimés un dommage au moment de sa commission, elle était une condition essentielle à la matérialisation des dommages qu’ils ont subis 17 ans plus tard, car elle était en lien direct avec les recours entrepris.
[37] L’appelante propose ensuite que le juge aurait commis des erreurs dans son appréciation des faits et sa compréhension du jugement rendu par le juge François Tôth le 1er avril 2015 dans le dossier Gestion Parois inc.[18], lequel jugement a par la suite été partiellement réformé en appel[19]. Le juge aurait erré lorsqu’il affirme au paragraphe [175] de ses motifs que « la non validité du Règlement nº 297 a considérablement augmenté les risques d’une issue défavorable ». La demande de certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement afin de réduire le bruit de ses activités n’aurait pas dû être considérée par le juge de première instance lors de son évaluation des dommages moraux de M. Homans. Plusieurs éléments démontreraient que ce certificat n’avait aucun lien avec l’invalidité du Règlement nº 297. Ces erreurs auraient eu un impact déterminant sur le quantum des dommages moraux accordés à M. Homans.
[38] Avec égards, je ne peux donner raison à l’appelante. Le 18 juillet 2011, les intimés reçoivent une lettre du ministère de l’Environnement indiquant que l’aménagement d’installations afin de réduire le bruit nécessite un certificat d’autorisation. En juillet 2014, le ministère contacte les intimés et exige d’entamer le processus de délivrance d’un tel certificat d’autorisation pour réduire le bruit et pouvoir exercer leurs activités commerciales. Le 21 juillet 2014, les intimés demandent ce certificat, qui leur sera octroyé le 26 mai 2016.
[39] Toutefois, ce certificat d’autorisation comportait la condition suivante :
À noter que cette attestation demeure valide sous réserve de la décision à être rendue par la Juge Line Samoisette de la Cour supérieure du District de Saint-François relativement à la conformité dudit Règlement de zonage n° 297 actuellement en délibérée. S'il advenait que le Règlement n° 297 soit invalidé par la Cour supérieure, la zone C-53 disparaîtrait et les activités commerciales opérées dans cette zone deviendraient dérogatoires.[20]
[40] La question de la validité du Règlement nº 297 a donc bien joué un rôle déterminant dans le processus d’obtention du certificat d’autorisation et a ainsi entrainé des ennuis additionnels à l’intimé, M. Homans. La Cour a elle aussi reconnu que ce certificat était « susceptible d’avoir un effet déterminant sur le sort du litige »[21] dans le cadre du dossier Gestion Paroi inc. et elle l’a considéré afin d’établir que les conditions y figurant étaient « suffisantes pour rendre acceptables les inconvénients causés »[22] aux voisins et afin de conclure que l’entreprise pouvait poursuivre ses activités sous ces conditions[23].
[41] Le juge de première instance ne fait donc pas erreur lorsqu’il considère ce facteur parmi les inconvénients subis par M. Homans.
[42] L’appelante propose aussi que le juge aurait erré dans l’établissement des sommes octroyées au titre de dommages moraux. Or, elle ne démontre pas le caractère manifestement disproportionné ou déraisonnable de ces sommes, ni que le juge aurait erré dans l’appréciation de la preuve, notamment à l’égard de la durée des procédures, du stress occasionné par ces procédures et de la remise en question de la viabilité de l’entreprise de M. Homans.
[43] Enfin, l’appelante avance comme dernier moyen que le juge aurait erré en la condamnant au remboursement de ses honoraires d’avocats dans le cadre du dossier duquel a résulté le jugement entrepris, en l’absence de tout abus de droit ou de procédure dans le cadre de ces procédures judiciaires.
[44] L’appelante a évidemment raison lorsqu’elle expose le principe, maintes fois réitéré par la Cour, selon lequel en règle générale, les honoraires extrajudiciaires déboursés pour faire valoir ses droits auprès d’un tribunal ne peuvent être remboursés à l’occasion d’un litige[24]. Un abus sur le fond de l’affaire ne permet pas le remboursement des frais d’avocats, sauf dans des circonstances exceptionnelles[25], alors qu’un abus du droit d’ester en justice permet le remboursement des honoraires extrajudiciaires, puisque cet abus entraîne un « dommage à la partie adverse qui, pour combattre cet abus paie inutilement des honoraires judiciaires à son avocat »[26].
[45] En l’espèce, le juge a fait la distinction entre, d’une part, le travail effectué par l’avocat afin de connaître les impacts potentiels de la faute de la Ville et ainsi être en mesure de conseiller ses clients à l’égard de la poursuite de leurs affaires commerciales de même que pour trouver une solution aux conséquences de la faute commise par la Ville et, d’autre part, le travail associé à la réclamation en dommages-intérêts[27].
[46] Je propose par conséquent le rejet de l’appel, avec les frais de justice.
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[47] Les intimés demandent, avec la permission de la Cour, que l’appel soit déclaré abusif et que l’appelante soit condamnée à leur rembourser les honoraires extrajudiciaires afférents, estimés à 35 000 $. Ils soutiennent que l’appelante a adopté une position incohérente, rigide et qu’elle a faussé et étiré le litige, multipliant les frais pour les intimés.
[48] Tel que discuté précédemment, seul un abus de procédure atteignant un haut seuil de gravité ou caractère fautif peut donner lieu au remboursement des honoraires extrajudiciaires à titre de dommages-intérêts, et ce, même sous l’article
[49] Je propose donc le rejet de cette demande.
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STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
[1] Homans c. Ville de Sherbrooke,
[2] Cette même omission a aussi, à la même époque, été commise à l’égard de neuf autres règlements de zonage n’ayant aucun rapport avec ce litige.
[3] Contrairement à ce qui est ordinairement le cas, alors que les règlements entrent en vigueur le jour de leur publication (art.
[4] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c. A-19.1, art. 137.10 et s.
[5] Id., art. 137.13.
[6] Danaher c. Sherbrooke (Ville de),
[7] La juge traite aussi accessoirement d’un empiétement dans la zone contiguë.
[8] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 156.
[9] Id., paragr. 174.
[10] Bergeron c. Racette,
[11] Gingras c. Pharand,
[12] Viel c. Entreprise immobilière du terroir ltée,
[13] Housen c. Nikolaisen,
[14] Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé,
[15] Hogue c. Procureur général du Québec,
[16] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e édition, vol. 1 « Principes généraux », Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 773, paragr. 1-692, 1-693.
[17] Id. Voir également Salomon c. Matte-Thomson, supra, note 13, paragr. 91-92; Lacombe c. André,
[18] Gestion Paroi inc. c. Gestion Gérard Furse,
[19] Homans c. Gestion Paroi inc.,
[20] Pièce D-15, Certificat d’attestation de conformité délivré par la défenderesse le 15 juillet 2014.
[21] Homans c. Gestion Paroi inc., supra, note 19, paragr. 76.
[22] Id., paragr. 128.
[23] Id., paragr. 133 et 137.
[24] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., supra, note 12, paragr. 78.
[25] Id., paragr. 77 et 83.
[26] Id., paragr. 79 et 83; Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, supra, note 16, p. 441-442, paragr. 1-350.
[27] L’analyse de la preuve confirme d’ailleurs les conclusions du juge : outre le témoignage de Me Guy Achim, l’avocat des intimés, qui fait les distinctions entre les catégories de travaux juridiques accomplis, l’étude de ses notes d’honoraires permet de confirmer qu’aucun travail relié à cette réclamation en dommages-intérêts contre la Ville ou à la poursuite en dommages-intérêts n’y a été inclus, sauf huit entrées dont la valeur totale des travaux facturés est quelque peu supérieure à 2 000 $. Le juge en a bien tenu compte alors qu’il réduit la somme réclamée de 2 500 $, accordant à ce chapitre 14 398,74 $ alors que M. Homans en réclamait 16 898,74 $.
[28] Poulin c. Produit MGD inc.,
[29] Voir Biron c. 150 Marchand Holdings inc.,
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