Agence du revenu du Québec c. Trans Global Warranty Corp. | 2023 QCCA 618 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-80-036241-173) | |||||
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DATE : | 2 mai 2023 | ||||
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AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC | |||||
APPELANTE – défenderesse | |||||
c. | |||||
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TRANS GLOBAL WARRANTY CORP. | |||||
INTIMÉE – demanderesse | |||||
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[1] L’agence du revenu du Québec se pourvoit contre un jugement rendu le 16 décembre 2021 par la Cour du Québec (l’honorable Gatien Fournier), qui accueille l’appel de l’intimée Trans Global Warranty Corp. et annule l’avis de nouvelle cotisation émis à son endroit pour l’année d’imposition 2013[1].
[2] Il est utile de reprendre sommairement le contexte de la présente affaire.
[3] L’intimée est une société canadienne par actions dont le siège social est situé à Edmonton, Alberta. Elle vend une gamme de programmes de garantie et de protection (collectivement les « Programmes ») aux clients qui achètent des meubles, matelas, électroménagers et appareils électroniques auprès de sa société mère, The Brick Warehouse LP (« The Brick »), laquelle exploite des magasins au Canada dont plusieurs au Québec.
[4] Les revenus générés par la vente des Programmes sont entièrement comptabilisés par l’intimée, moyennant une commission au bénéfice du magasin qui en a fait la vente en son nom. Ils sont ensuite inscrits dans les états financiers de l’intimée qui, à des fins fiscales, et s’appuyant sur l’article
[5] À la suite d’une vérification fiscale, l’ARQ refuse à l’intimée une déduction de 126 933 232 $ réclamée à titre de provision à l’égard de la partie non acquise à la fin de l’année des revenus générés de la vente des Programmes. Après avoir sans succès déposé un avis d’opposition, l’intimée porte l’affaire devant la Cour du Québec[3].
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[6] Le régime fiscal québécois oblige un contribuable à inclure dans le calcul de son revenu tout montant reçu pendant l’année dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, et ce, même si ce montant lui est versé pour des services qui ne sont pas encore rendus ou s’il peut être considéré comme n’ayant pas été gagné dans l’année[4].
[7] En certaines circonstances, la L.I. prévoit la possibilité de déduire de ce calcul un montant raisonnable à titre de provision afin d’en reporter la taxation à une année ultérieure. C’est notamment le cas de l’article
[8] L’article
152. Aucune déduction n’est admise en vertu de l’article 150 à l’égard de garanties ou d’indemnités, à l’égard d’une obligation en matière de restauration, ou lorsqu’il s’agit d’une entreprise agricole et que le contribuable se sert de la méthode de comptabilité de caisse conformément à l’article 194.
Il en est de même des provisions à l’égard de polices d’assurance, sauf qu’un assureur peut déduire à ce titre, dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition provenant d’une entreprise d’assurance qu’il exploite, autre qu’une entreprise d’assurance sur la vie, un montant qui n’excède pas le montant prescrit à son égard pour l’année.
[Soulignement ajouté] | 152. No deduction is allowed under section 150 in respect of guarantees or indemnities, in respect of a reclamation obligation, or in the case of a farming business if the taxpayer uses the cash method of accounting in accordance with section 194.
The same applies to reserves in respect of insurance policies, except that in computing an insurer’s income for a taxation year from an insurance business, other than a life insurance business, carried on by it, there may be deducted any amount not exceeding the amount prescribed in respect of the insurer for the year.
(Emphasis added) |
[9] Aux fins de la Partie I de la Loi (dont l’article
[10] À cet égard, l’article
817. Pour l’application de la présente partie [Partie I], une société est réputée exploiter une entreprise d’assurance pendant une année d’imposition si, au cours de cette année, elle est partie à un contrat d’assurance ou autre arrangement d’une catégorie particulière d’après lesquels elle peut raisonnablement être considérée comme entreprenant:
a) d’assurer d’autres personnes contre des pertes, dommages ou frais de toute nature; ou
[…] Il en est ainsi quelles que soient la forme et la portée de ce contrat ou arrangement, et même si les personnes visées sont membres ou actionnaires de la société.
[Soulignement ajouté] | 817. For the purposes of this Part
(a) to insure other persons against loss, damage or expense of any kind; or
(…)
The same applies whatever be the form and scope of such contract or arrangement, and even if the persons contemplated are members or shareholders of the corporation.
(Emphasis added) |
[11] C’est ainsi qu’une société sera réputée exploiter une entreprise d’assurance au sens de la L.I., si au cours de l’année visée, elle est partie à un contrat d’assurance ou un autre arrangement d’après lesquels elle peut raisonnablement être considérée comme entreprenant d’assurer d’autres personnes contre les pertes, dommages ou frais de toute nature[6], et ce, quelles que soit la forme et la portée du contrat ou de l’arrangement.
[12] De plus, conformément à l’article
Le jugement d’instance
[13] Après avoir analysé l’ensemble de la preuve présentée et les dispositions législatives en cause, le juge détermine que l’intimée est, suivant l’article
[14] Il rejette l’argument de l’ARQ voulant que les Programmes de l’intimée relèvent de la nature d’une garantie conventionnelle et non d’un contrat d’assurance, ce qui ne lui accorde pas le bénéfice d’être « réputée exploiter une entreprise d’assurance » au sens de l’article
[15] Le juge conclut plutôt, en se basant sur le raisonnement adopté par notre Cour dans l’arrêt Association pour la protection des automobilistes inc. c. Toyota Canada inc.[7], que les Programmes offerts par l’intimée se qualifient de contrats d’assurance au sens de la L.I. pour deux raisons. D’une part, ils ne visent pas exclusivement les défectuosités propres des biens vendus, mais offrent aussi des garanties contre divers autres risques qui ne sont pas relatifs à un défaut de fabrication du bien. En effet, et plus particulièrement, le juge réfère notamment à la protection offerte par l’intimée contre la perte de nourriture lors de la vente d’un réfrigérateur ou aux protections visant les meubles et les matelas endommagés ou tachés accidentellement ou contre les perforations, coupures, déchirures accidentelles. D’autre part, le juge soulève que ces Programmes sont offerts par une société, en l’occurrence l’intimée, qui n’a pas d’intérêt économique dans l’écoulement de ces biens ni aucune obligation légale d’en garantir la qualité auprès de l’acheteur[8].
[16] En somme, comme l’intimée offre d’autres bénéfices que la réparation des biens advenant une défectuosité et n’a pas d’intérêt économique dans l’achat du bien par le consommateur, le juge est satisfait que les Programmes répondent à la définition de contrat d’assurance en vertu de la L.I. Il ajoute que même s’il a tort sur ce point, les Programmes répondent à la définition de « autre arrangement » que l’on retrouve à l’article
[17] Le juge écarte aussi la thèse de l’ARQ selon laquelle les Programmes comportent un volet d’assurance « trop limité » pour pouvoir se qualifier de contrats d’assurance ou autres arrangements. Il estime au contraire que le libellé de l’article
[18] Le juge ajoute que cette approche est conforme à celle adoptée par l’ARQ dans une lettre d’interprétation datée de 2009 portant spécifiquement sur les articles
[19] Finalement, le juge refuse de faire toute analogie avec la décision Brick Protection Corporation v. Alberta (Provincial Treasurer)[11] de la Cour d’appel de l’Alberta et soumise par l’ARQ au soutien de sa thèse, principalement car cette décision met en cause un régime législatif différent et qu’elle soulève des enjeux étrangers à ceux de l’espèce[12]. Le fait que le plus haut tribunal albertain y ait conclu que les Programmes ne sont pas de l’assurance au sens du Insurance Act est donc sans pertinence au débat. En somme, le juge conclut qu’à titre de société réputée exploiter une entreprise d’assurance selon l’article
Questions en litige et norme d’intervention
[20] L’appelante propose de répondre aux deux questions suivantes :
1) Le juge de première instance a-t-il erré en fait et en droit en concluant que les Programmes de garantie vendus par TGW doivent être considérés comme des contrats d’assurance?
2) Le juge de première instance a-t-il erré en droit dans l’interprétation et l’application du deuxième alinéa de l’article
[21] Toutefois, de l’avis de la Cour, celles-ci ne reflètent pas adéquatement les enjeux soulevés par l’appel en plus de faire un certain double emploi entre elles. Ainsi, la question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir, eu égard à la nature des Programmes, si l’intimée est réputée exploiter une entreprise d’assurance au sens de l’article
[22] L’appelante reconnaît par ailleurs, avec raison, que la norme d’intervention applicable en pareil cas est celle de l’erreur manifeste et déterminante. En effet, la qualification des Programmes soulève ici une question mixte de fait et de droit puisqu’il s’agit d’appliquer les critères juridiques de l’article
Analyse
[23] Précisons d’abord que le mémoire et l’argumentation de l’appelante sont muets au sujet de l’article
[24] Comme le plaide l’intimée, l’usage du terme « réputée » (« deemed ») implique une fiction légale qui donne au mot choisi, un sens précis pour des fins restreintes et particulières :
Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnait implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être. (…) une disposition déterminative donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur connait habituellement et qu’il conserve là où on l’utilise.[14]
[25] Il est donc ici indéniable que l’article
[26] Cela dit, le juge applique bien les principes émis par la Cour dans l’arrêt Toyota. Il relève avec justesse les principales distinctions qui y sont faites entre un contrat de garantie et un contrat d’assurance pour les fins des présentes, notamment que contrairement à ce dernier, un contrat de garantie n’offre comme bénéfice que la réparation ou le remplacement du bien vendu advenant une défectuosité, et que ce risque est assumé par une entité ayant un lien économique dans l’achat du bien par un consommateur, comme c’est le cas du fabricant, du distributeur ou du détaillant[17].
[27] Il se prononce plus précisément en ces termes quant à la qualification des contrats à titre de contrats d’assurance :
[72] Dans le cas qui nous occupe, les Programmes de garantie, qui de surcroît ne se rapportent pas exclusivement aux défectuosités des biens vendus, sont offerts par une partie, en l’occurrence TGW, qui est étrangère à leur écoulement, qui n’est pas tenue de garantir leur qualité en raison de son rôle dans leur mise en marché et dont l’activité principale est la spéculation sur les risques. En ce sens, les Programmes de garantie doivent être considérés comme des contrats d’assurance au sens de l’article
[73] TGW est donc réputée exploiter une entreprise d’assurance. Les primes qui résultent de la vente des Programmes de garantie sont aussi réputées être reçues dans le cours de l’exploitation de cette entreprise d’assurance.
[74] Le revenu de TGW doit ainsi, sauf disposition contraire dans le Titre V - Sociétés d’assurance de la L.I., être calculé conformément aux règles applicables au calcul du revenu aux fins de la Partie I – Impôt sur le revenu de la L.I.
[Renvois omis]
[28] L’appelante ne fait voir aucune erreur manifeste et déterminante dans ce raisonnement. En effet, le juge devait qualifier les Programmes à la lumière du libellé particulier de l’article
[29] On ne peut retenir la proposition de l’appelante selon laquelle les Programmes, dans leur ensemble, ne portent pas suffisamment sur des risques non reliés à la défectuosité ou le mauvais fonctionnement d’un bien pour être qualifiés de contrats d’assurance. Les termes clairs et non équivoques de l’article
[89] (…) si le législateur avait voulu restreindre la portée de l’article
[90] Ce qui importe, c’est que la société qui est partie à un contrat d’assurance (…) peut raisonnablement, aux termes de ce contrat (…), être considérée comme entreprenant d’assurer d’autres personnes contre des pertes, dommages ou autres frais de toute nature.
[30] L’intimée a donc été partie, pendant l’année d’imposition 2013, à des contrats d’assurance d’après lesquels elle peut raisonnablement être considérée comme entreprenant d’assurer d’autres personnes contre des pertes, dommages ou frais de toute nature au sens de l’article
[31] À l’audience devant cette Cour, l’appelante fait toutefois valoir pour la première fois qu’une telle provision est néanmoins interdite puisque les Programmes, si tant est qu’ils puissent être des contrats d’assurance au sens de l’article
[32] Finalement, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si les Programmes peuvent aussi être considérés comme « d’autres arrangements » tel que mentionné à l’article
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[33] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |
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Me Normand Perreault | ||
LARIVIÈRE MEUNIER (REVENU QUÉBEC) | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Daniel Lacelle | ||
Me Guy Poitras | ||
GOWLING WLG (CANADA) | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 29 mars 2023 | |
[1] Trans Global Warranty Corp. c. Agence du revenu du Québec,
[2] RLRQ c. I-3.
[3] Conformément à l’article
[4] Art.
[5] Art.
[6] Art.
[7]
[8] Jugement entrepris, paragr. 72. Le juge se rapporte plus particulièrement aux paragraphes 60 et 61 de l’arrêt Toyota.
[9] Jugement entrepris, paragr. 81 et 87.
[10] Jugement entrepris, paragr. 96-97. Voir supra, note 4.
[11]
[12] Jugement entrepris, paragr. 99-107.
[13] Housen c. Nikolaisen,
[14] R. c. Verrette,
[15] RLRQ c. A-32.1.
[16] Supra, note 11, paragr. 8-13.
[17] Jugement entrepris, paragr. 68-70.
[18] Jugement entrepris, paragr. 81.
[19] Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances),
[20] Art.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.