Décision

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V.R. c. M.G.

2025 QCCQ 939

 

COUR DU QUÉBEC

Chambre civile

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE JOLIETTE

No :  705-22-020483-218

DATE :  Le 24 mars 2025

                                                                                                    

 

Sous la Présidence de l’Honorable Pierre-Édouard Asselin, j.c.q.

                                                                                                        

 

V.R.

Demanderesse

c.

M.G.

Défendeur

                                                                                                        

 

JUGEMENT

                                                                                                    

  1.           Conformément à l’article 12 du Code de procédure civile du Québec (CPC), le Tribunal prononce une ordonnance d’anonymisation afin d’assurer l’anonymat des parties dans le cas d’une publication ou d’une diffusion du présent jugement. Le Tribunal désire ainsi préserver les droits fondamentaux des parties et assurer le respect de leur vie privée et la sauvegarde de leur réputation.

Aperçu

  1.           Les parties se fréquentent de décembre 2020 à mai 2021.
  2.           Le défendeur M.G. (Monsieur), au cours des deux années qui ont précédé cette relation, fréquente une personne avec laquelle il a régulièrement des relations sexuelles non protégées. Or, cette personne est atteinte du virus de l’herpès génital (le virus) et Monsieur en est informé.
  3.           La demanderesse V.R. (Madame) maintient que Monsieur, au moment de lui transmettre le virus durant leur relation, commet à la fois une faute civile et une faute intentionnelle contrairement à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (Charte)[1]. Elle lui réclame une somme totale en dommages de 93 015,15 $[2].

 

  1.           Monsieur conteste la procédure tout en admettant certains faits. Il plaide que les montants réclamés sont exagérés et que Madame doit supporter une part de responsabilité pour les dommages qu’elle subit. Il nie avoir commis une faute intentionnelle au sens de la Charte.

Les Questions à Décider

  1.           Le Tribunal, pour décider du litige entre les parties, doit répondre aux questions qui suivent :
  1.   Est-ce Monsieur qui a transmis le virus à Madame ?
  2.   Si oui, Monsieur commet-il une faute civile envers Madame au moment de la transmission ?
  3.   Si une faute a été commise par Monsieur, est-ce une faute intentionnelle ou une atteinte illicite à l’intégrité physique de Madame contrairement à la Charte ?
  4.   Est-ce que Madame doit supporter une part de responsabilité pour ses dommages ?
  5.   Quels sont les dommages subis par Madame et quelles valeurs leur sont attribuées ?
  6.   Y a-t-il un lien de causalité entre la faute commise par Monsieur et les dommages subis par Madame ?
  7.   Est-il approprié d’ordonner une réserve de droit au sens de l’article 1615 du Code civil du Québec (C.c.Q.) ?

Analyse

  1.   Est-ce Monsieur qui a transmis le virus à Madame ?
  1.           Cette question ne fait pas l’objet d’une contestation vigoureuse par Monsieur.
  2.           En 2019 et 2020, il témoigne qu’il est de sa connaissance que sa conjointe de l’époque est porteuse du virus. Malgré cet état de fait, il a régulièrement des relations sexuelles non protégées avec elle.
  3.           À ce moment, Monsieur ne subit pas de test de dépistage. Il ne le fait que plus tard, au moment où il prend un engagement à cet effet dans le cadre des présentes procédures.
  4.       Le résultat alors obtenu est sans équivoque : Monsieur est porteur du virus de l’herpès simplex de type 2[3].

 

  1.       Au procès, lorsque confronté à des échanges écrits tenus avec Madame[4], Monsieur admet qu’il est maintenant honteux de lui avoir transmis le virus durant leur relation.
  2.       Ces correspondances sont effectivement éloquentes. Monsieur y écrit à Madame que ce n’était pas son but de lui « donner » la maladie, tout en ajoutant que selon lui, le virus n’est contagieux que lorsqu’ « il est sorti »[5]. Il y mentionne qu’il ignorait qu’il pouvait lui transmettre le virus lorsqu’il n’était pas lui-même atteint de symptômes apparents.
  3.       De son côté, Madame témoigne ne jamais avoir souffert de symptômes du virus avant sa relation avec Monsieur. Ils apparaissent soudainement et peu de temps après le début de sa relation avec lui. Les symptômes vécus sont alors importants, douloureux et impossibles à ignorer.
  4.       Les tests réalisés par la suite par Madame sont éloquents: elle est porteuse du virus de l’herpès simplex de type 2[6].
  5.       La correspondance entre les parties, les tests de dépistage effectués et l’apparition soudaine de nombreuses récidives annuelles de la maladie vécues par Madame à compter de décembre 2020 laissent peu de place à l’ambiguïté.  
  6.       Il ne fait pas de doute pour le Tribunal que la preuve démontre que Monsieur a transmis le virus à Madame lors de relations sexuelles non protégées que les parties ont eues à compter de décembre 2020.
  7.       C’est une preuve qui est prépondérante conformément aux articles 2803 et 2804 C.c.Q. Il ne s’agit pas d’une simple possibilité, mais bien d’une réalité probante. Aussi, la trame factuelle contient assez d’éléments pour constituer une présomption de faits graves, précis et concordants au sens de l’article 2849 C.c.Q.
  1. Si oui, Monsieur commet-il une faute civile envers Madame au moment de la transmission ?
  1.       Sur cette question, le Tribunal conclut qu’il est prouvé que Monsieur commet une faute civile lorsqu’il transmet le virus à Madame.
  2.       Avant les relations sexuelles non protégées entre les parties, la preuve est à l’effet que Madame demande spécifiquement à Monsieur s’il est « clean ». Il la rassure en affirmant qu’il est effectivement « clean » et qu’il désire avoir des relations non protégées avec elle.
  3.       Madame mentionne au Tribunal qu’à cette époque, elle a déjà subi des tests de dépistage et que la question est importante pour elle. Elle lui fait confiance au moment de le questionner et se fie sur lui pour lui communiquer des informations exactes.
  4.       Or, les réponses de Monsieur cachent une partie importante de la vérité.
  5.       En effet, il admet lors du procès qu’au moment de débuter les relations sexuelles non protégées avec Madame, il sait pertinemment que son ex-conjointe est porteuse du virus lors de leurs relations sexuelles non protégées.
  6.       Il ne révèle pas ces faits à Madame.
  7.       Le Tribunal constate que Monsieur ne divulgue pas à Madame, au moment opportun, des informations cruciales sur son passé récent en matière de relations sexuelles. Ces informations auraient certainement permis à Madame de donner un véritable consentement éclairé quant à l’opportunité ou non d’avoir des relations sexuelles non protégées avec lui.
  8.       Par ailleurs, Monsieur maintient qu’à ce moment, il ne sait pas être porteur du virus parce qu’il n’a pas subi de test de dépistage. Cela ne change pas l’appréciation du Tribunal quant à l’existence d’une faute civile commise par Monsieur.
  9.       La jurisprudence en semblable matière[7] établit depuis longtemps qu’une faute est commise dans les circonstances de la présente affaire. Toute personne doit transmettre franchement à un nouveau partenaire sexuel les informations importantes, qui sont de sa connaissance, quant à sa propre santé sexuelle. Il faut permettre à ce nouveau partenaire de prendre une décision éclairée quant à la tenue ou non de relations sexuelles et dans l’affirmative, de leurs conditions quant au degré de protection.
  10.       Pour le Tribunal, la sincérité et la transparence ont fait défaut chez Monsieur. En étant réticent à divulguer des informations aussi importantes à Madame, il n’a pas respecté les règles de conduite qui, dans les circonstances, s’imposaient à lui. Madame, quant à elle, a été privée d’un choix auquel elle avait droit.
  11.       En agissant ainsi, Monsieur n’adopte pas une conduite raisonnable, prudente et diligente. Il commet une faute civile envers Madame au sens de l’article 1457 C.c.Q. et de la jurisprudence s’y appliquant[8].
  1. Si une faute a été commise par Monsieur, est-ce une faute intentionnelle ou une atteinte illicite à l’intégrité physique de Madame contrairement à la Charte ?
  1.       Madame réclame à Monsieur des dommages punitifs pour atteinte illicite à son intégrité physique au sens de la Charte[9].
  2.       La Charte prévoit qu’en cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs à être évalués conformément aux critères édictés par l’article 1621 C.c.Q.[10].

 

  1.       Bien que Monsieur ait commis une faute envers Madame, la preuve ne démontre pas une intention spécifique de sa part de lui transmettre le virus.
  2.       L’octroi de dommages punitifs en vertu de la Charte est un régime de responsabilité indépendant du régime général de la responsabilité civile établie par le Code civil du Québec. Ce régime est exceptionnel : on vise la sanction d’une faute commise avec l’intention précise de provoquer ses conséquences.
  3.       La Cour suprême du Canada a établi que, pour prouver une atteinte illicite et intentionnelle au sens de l’article 49 de la Charte, il faut faire la preuve que « l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera[11]. ».
  4.       Monsieur témoigne qu’à l’époque de sa relation avec Madame, il n’a pas l’intention de lui transmettre le virus. Il pense alors qu’il est « clean » puisqu’il a peu de symptômes liés à la maladie et qu’il n’a pas subi de test de dépistage lui confirmant en être porteur. De toute façon, il croit alors qu’en dehors des moments où il aurait des symptômes de la maladie, il ne peut pas le transmettre.
  5.       Ses explications peuvent paraître faibles à certains égards. Cependant, elles sont suffisamment crédibles pour prouver que Monsieur n’avait pas l’intention, le désir ou la volonté précise de transmettre la maladie et ses conséquences à Madame.
  6.       Par ailleurs, est-ce que le Tribunal peut conclure que Monsieur, lors de la transmission du virus à Madame, est insouciant à un point tel que son geste devient une faute intentionnelle contraire à la Charte ? Le Tribunal ne le croit pas pour les motifs qui suivent.
  7.       Le microbiologiste-infectiologue Alex Carignan, entendu comme expert (l’expert), affirme lors de son témoignage qu’une personne peut ignorer être porteur du virus si les conséquences vécues sont peu sévères. Aussi, l’expert témoigne qu’il est possible de transmettre le virus en dehors de périodes de récidives visibles avec symptômes, mais lors de 3 % des journées de l’année seulement.
  8.       Dans l’ensemble, incluant le témoignage de l’expert, le Tribunal constate qu’il n’est pas prouvé de façon prépondérante que Monsieur aurait dû savoir que ses agissements rendaient « extrêmement probable » la transmission du virus à Madame au sens où la Cour suprême du Canada l’entend[12].
  9.       Le Tribunal conclut donc à l’absence d’une faute intentionnelle de Monsieur envers Madame au sens où la Charte le prévoit.

 

  1.   Est-ce que Madame doit supporter une part de responsabilité pour ses dommages ?
  1.       Monsieur plaide que Madame est aussi négligente dans cette histoire.
  2.       Il soumet essentiellement que Madame accepte rapidement d’avoir des relations sexuelles non protégées avec lui. Elle a ainsi, selon lui, accepté les risques et elle doit supporter une part de responsabilité dans cette affaire.
  3.       Il est vrai que les parties se rencontrent par le biais des réseaux sociaux à l’automne 2020 et que Monsieur est insistant auprès de Madame. Assez rapidement, en quelques rencontres, les parties en viennent à avoir des relations sexuelles non protégées.
  4.       Cependant, Monsieur lui affirme fautivement être « clean » après le questionnement de Madame. Elle le croit et prend la décision d’avoir avec lui des relations sexuelles non protégées en fonction des informations qui lui sont transmises.
  5.       Madame témoigne avec conviction qu’à cette époque, sa santé sexuelle est importante et qu’elle ne veut pas contracter une infection transmise sexuellement.
  6.       Le Tribunal retient que Madame n’est pas elle-même fautive. Au moment opportun, elle s’est informée auprès de Monsieur et c’est ce dernier qui ne lui révèle pas toute la vérité à laquelle elle a droit.
  7.       Pour le Tribunal, il serait inapproprié de conclure que Madame doit supporter une part de responsabilité dans ces circonstances. Même si dans les faits les parties ont effectivement des relations sexuelles non protégées plutôt rapidement dans un contexte elles se connaissent peu, ce sont les paroles fautives de Monsieur qui sont déterminantes. Ces paroles ont directement influencé le choix de Madame quant aux conditions de la tenue de leurs relations sexuelles.
  8.       À ce moment, Madame n’a aucun motif pour écarter la bonne foi de Monsieur, qui, lorsque questionné, tient des propos rassurants, mais largement incomplets.
  9.       Le Tribunal décide donc que Madame ne doit pas supporter une part de responsabilité pour les dommages qu’elle subit.
  1.      Quels sont les dommages subis par Madame et quelles valeurs leurs sont attribuées ?

5.1 Dommages non pécuniaires.

  1.       Madame réclame une somme de 65 000 $ à titre de dommages non pécuniaires pour ses troubles, ennuis et, en général, les inconvénients liés au fait d’être porteuse du virus.
  2.       Il est prouvé que Madame subit des conséquences très graves du fait qu’elle en est porteuse. Elle vit 10 à 12 récidives aiguës annuellement qui durent en moyenne 4 ou 5 jours.

 

  1.       L’expert confirme qu’avec une telle fréquence des récidives vécues, le cas de Madame se situe dans les 20 % des cas les plus graves selon la littérature médicale.

 

  1.       Madame raconte avec crédibilité que les crises qu’elle vit régulièrement sont très douloureuses : c’est comme « une torche qui brûle » au niveau des organes génitaux. C’est grandement incommodant et irritant.
  2.       Plusieurs conséquences directes du virus sont mises en preuve par Madame.
  3.       Les récidives de la maladie rendent très inconfortable le frottement des sous-vêtements. Il est souvent difficile pour elle de simplement s’asseoir.
  4.       Les récidives entravent grandement son travail d’esthéticienne qu’elle exerce, à l’époque, majoritairement assise. Aussi, elle craint de transmettre le virus à ses clientes lorsqu’elle leur prodigue des soins, par exemple au niveau des yeux. Madame raconte qu’elle a depuis changé d’emploi en raison de ses craintes.
  5.       Elle témoigne aussi que lors de la survenance de ses règles, celles-ci sont plus douloureuses et inconfortables en raison du virus et des crises qui y sont liées.
  6.       Sa vie personnelle, entre autres avec ses enfants, est affectée. Elle prend de multiples précautions pour éviter tout risque de transmission, comme l’établissement de règles avec eux concernant l’utilisation des savons à la salle de bains. 
  7.       Madame témoigne par ailleurs des impacts psychologiques pour elle. Elle a vu son estime de soi diminuée. Elle se sent répugnante et doit apprendre à vivre avec le diagnostic. Elle confirme les conséquences que toute personne peut imaginer facilement : sa vie intime est affectée directement. Son témoignage révèle une détresse palpable et compréhensible.
  8.       Elle révèle avoir de la difficulté à être en couple et avoir renoncé à son désir d’avoir à nouveau un ou des enfants avec un nouveau conjoint.
  9.       L’expert souligne en effet que si Madame devait vivre une grossesse à l’avenir, un protocole strict et contraignant doit être suivi. Le nouveau-né ne doit pas être infecté par le virus qui peut lui être mortel.
  10.       Madame explique qu’elle doit dorénavant prendre régulièrement des médicaments pour tenter de calmer les récidives qu’elle vit.
  11.       L’expert ajoute que le médicament couramment utilisé par les patients atteints du virus peut avoir des effets secondaires importants lorsque pris sur une base régulière et à long terme. Des incertitudes médicales persistent encore selon lui quant à ses effets à long terme. Madame doit vivre avec cette incertitude si elle décide de poursuivre la médication à long terme alors qu’il n’y a pas d’alternative pour l’instant.

 

  1.       Dans l’ensemble, l’expert confirme enfin que l’état de détresse psychologique de Madame est normal et attendu puisqu’elle doit vivre avec les conséquences les plus intenses du virus.
  2.       Dans son analyse, le Tribunal tient compte de l’âge de Madame (mi-trentaine au moment de l’audience) et du fait que sa situation psychologique, bien que médicalement stable, soit encore affectée sérieusement.
  3.       La jurisprudence en semblable matière confirme le large pouvoir discrétionnaire du Tribunal quant au montant à être alloué à titre de dommages non pécuniaires. Les montants octroyés dans des cas similaires varient d’ailleurs beaucoup d’un cas à l’autre[13].
  4.       Le Tribunal estime cependant que la preuve démontre que les conséquences du virus contracté par Madame sont parmi les plus graves. La condamnation doit refléter cette gravité des dommages subis par rapport aux autres cas traités par la jurisprudence.
  5.       Le Tribunal décide en conséquence que le montant octroyé à Madame pour ses dommages non pécuniaires est de 40 000 $.

5.2 Dommages pécuniaires

  1.       Madame réclame sous cette rubrique les coûts de la médication pour le passé et pour l’avenir, étalés sur 50 ans (au total 18 015,15 $ selon la demande en justice remodifiée).
  2.       Madame prend des antidépresseurs, des médicaments pour le sommeil et des antiviraux pour le virus.
  3.       Elle confirme qu’une partie des médicaments est payée par le Régime d’assurance maladie du Québec et les pièces déposées mentionnent la part assumée par l’assureur[14].
  4.       La preuve établit les coûts de la médication assumés par Madame jusqu’au procès (2 378,16 $). Un tableau basé sur les factures payées est introduit en preuve[15].
  5.       Cependant, le Tribunal constate une faiblesse apparente dans la preuve de Madame pour les coûts de la médication à venir. D’ailleurs, les montants avancés à ce sujet dans la demande en justice remodifiée[16] ne sont pas discutés lors du procès, sauf pour demander au Tribunal de les arbitrer à l’instar de la jurisprudence soumise.
  6.       Aucune expertise n’est déposée quant à cette partie de la réclamation et le Tribunal ne bénéficie pas d’une opinion médicale quant à la nécessité de conserver tous les médicaments sur une aussi longue période à venir. Il est en preuve que Madame devra continuer la prise d’antiviraux pour atténuer les crises de la maladie à l’avenir, mais pour les autres médicaments, ce n’est pas prouvé.
  7.       Sans compter qu’il n’y a pas d’analyse des coûts projetés de la médication pour les années à venir.
  8.       Pour ces raisons, le Tribunal octroie à Madame la somme de 2 378,16 $ à titre de dommages pour les coûts de la médication déjà assumés depuis qu’elle a contracté le virus jusqu’en date du procès (une période d’environ trois ans).
  9.       Usant de sa discrétion face à une preuve présentée quant aux coûts de la médication à venir, le Tribunal décide qu’un montant de 5 000 $ est approprié et doit être octroyé à Madame. 

5.3 Dommages punitifs.

  1.       Compte tenu de la décision du Tribunal quant à l’absence de faute intentionnelle de Monsieur au sens de la Charte, aucune compensation à titre de dommages punitifs ne peut être octroyée.
  1.   Y a-t-il un lien de causalité entre la faute commise par Monsieur et les dommages subis par Madame ?
  1.       Tel que mentionné, Monsieur, au moment opportun, prive Madame d’informations cruciales qui l’ont empêchée de prendre une décision éclairée sur le fait d’avoir des relations sexuelles non protégées avec lui.
  2.       Madame témoigne par ailleurs avec crédibilité qu’à ce moment, sa santé sexuelle est importante pour elle et qu’elle s’en soucie réellement. Avant de commencer sa relation avec Monsieur, elle passe des tests de dépistage et se sait non porteuse du virus.
  3.       Cependant, elle est privée du consentement éclairé auquel elle a droit et elle n’a pas pu protéger sa santé.
  4.       Si des informations complètes avaient été transmises en temps opportun par Monsieur, la preuve démontre que Madame aurait certainement agi autrement et se serait protégée. Elle aurait évité les conséquences et les dommages qu’elle subit présentement.
  5.       Le Tribunal décide donc qu’il y a une preuve prépondérante que la faute civile commise par Monsieur a directement occasionné les dommages subis et prouvés par Madame en raison du fait qu’elle est porteuse du virus.
  1.   Est-il approprié d’ordonner une réserve de droit au sens de l’article 1615 C.c.Q. ?
  1.       Le Tribunal croit qu’il n’est pas opportun d’ordonner une réserve de droit de réclamation de Madame envers Monsieur pour une période supplémentaire de trois ans, le tout conformément à l’article 1615 C.c.Q.
  2.       Bien que cette réserve de droit doive être évaluée avec souplesse par le Tribunal[17], elle ne doit pas s’appliquer en l’espèce.
  3.       La preuve démontre que la condition de santé de Madame est consolidée. Elle a contracté le virus en 2021 et les conséquences vécues sont maintenant connues et évaluables. Il n’est pas prouvé que la maladie évoluera et que des incertitudes quant aux conséquences persistent.
  4.       Au contraire, l’expert indique à ses conclusions que les conséquences vécues par Madame sont malheureuses, mais attendues pour ce diagnostic. Il ajoute qu’il est aussi prévisible que ces conséquences soient persistantes[18].
  5.       Ainsi, l’une des conditions d’application de cette réserve de droit n’est pas rencontrée vu la consolidation de la situation de santé de Madame[19] et il n’est pas approprié d’ordonner la réserve de droit telle que demandée.
  6.       POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
  7.       ACCUEILLE partiellement la demande en justice de V.R. ;
  8.       CONDAMNE M.G. à payer à V.R.; la somme de 47 378,16 $ avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle conformément à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 21 mai 2021 ;
  9.       REJETTE la réclamation de V.R. quant au surplus ;
  10.       LE TOUT, avec les frais de justice, incluant les frais d’expertise pour la préparation du rapport et le témoignage de l’expert.

 

 

__________________________________

Pierre-Édouard Asselin, J.C.Q.

 

 

Me Jean-François Lambert

Ratelle, Ratelle & Associés, sencrl

Avocats de la demanderesse

 

 

Me Raphael Paquin

Lavigne Anctil Mercier, avocats

Avocats du défendeur

 


Date d’audience : Le 2 décembre 2024


[1] LQ c. C-12.

[2] Demande introductive d’instance en dommages-intérêts et dommages punitifs remodifiée du 23 mai 2024.

[3] Pièce P-4.

[4] Pièces P-1 et P-1A.

[5] Pièce P-1, p. 3 et 4.

[6] Rapport, pièce P-6 et témoignage du Dr Alex Carignan, microbiologiste-infectiologue.

[7] J.L. c. A.N., 2007 QCCS 3226, par. 86 et 87; C.T. c. G.R., 2009 QCCS 4036, par. 36 à 40; R.L. c. P.D.-L., 2019 QCCQ 2788, par. 25 et 26 et S.E. c. M.M. 2023 QCCQ 9452, par. 23.

[8] Ciment St-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, par 21.

[9] Article 1.

[10] Article 49.

[11]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, 1996 3 R.C.S. 211, par. 121.

[12]  Idem.

[13] Tel que la décision S.E. c. M.M. (préc. note 5, par. 34) le mentionne, les montants alloués varient grandement selon la preuve et se situent à ce jour entre 6 000 $ et 20 000 $ ; J.L. c. A.N. (préc. note 5); C.T. c. G.R. (préc. note 5); R.L. c. P.D.-L. (préc. note 5); N.B. c. D.C., 2016 QCCQ 13481 et E.R. c. M.B., 2016 QCCQ 16479.

[14]  Pièces P-7, P-8 et P-10.

[15]  Pièce P-10.

[16]  Paragraphes 17 b) à 17 e) de la demande en justice.

[17]  Ski Bromont.com c. Jauvin, 2021 QCCA 1070, par. 74.

[18]  Rapport du Dr Carignan, pièce P-6, p.6.

[19]  Karim VINCENT, Les Obligations, Volume 2, 6e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2024, par. 2704, traitant de l’analyse des conditions d’application de la réserve de droit prévue à l’article 1615 C.c.Q.

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