Décision

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Municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides c. Legault

2019 QCCS 2371

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

 

 

N° :

700-17-015558-181

 

 

 

DATE :

17 juin 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

gregory moore, J.C.S.

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MUNICIPALITÉ DE SAINTE-LUCIE-DES-LAURENTIDES

Demanderesse - INTIMÉE

c.

ANNE-GUYLAINE LEGAULT

Défenderesse - REQUÉRANTE

et

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 4437

            Mis en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(demande en irrecevabilité

D’UNE DEMANDE EN INJONCTION PERMANENTE)

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L’APERÇU

[1]           Anne-Guylaine Legault, la mairesse de la municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides (la « Municipalité »), avance que la demande en injonction permanente entamée contre elle par la Municipalité est irrecevable. Selon elle, certaines conclusions seraient une tentative déguisée de la destituer de ses fonctions, alors que d’autres seraient trop vagues, contradictoires ou ambiguës et donc impossible à exécuter.

[2]           La Municipalité répond que depuis son élection en novembre 2017, Mme Legault crée un environnement de travail intolérable. La demande en injonction est nécessaire afin de l’encadrer dans ses fonctions : elle doit agir de façon respectueuse envers tous les employés de la Municipalité qui ont le droit de travailler dans un environnement libre de harcèlement.

[3]           Pour les raisons qui suivent, la demande en irrecevabilité est rejetée.

1.            L’ANALYSE

[4]           Il y a lieu d’accueillir une demande en irrecevabilité afin de mettre fin à un débat judiciaire « lorsqu’il est manifeste que celui-ci est non fondé en droit. Toutefois, une telle demande ne sera accueillie que si la situation juridique est claire et sans ambiguïté. »[1]

[5]           Les tribunaux doivent faire preuve de prudence afin de ne pas mettre fin prématurément à un procès. En cas de doute, il faut laisser à la demanderesse la chance d’être entendue au fond[2].

[6]           Les arguments de Mme Legault seront évalués en deux volets :

·            l’article 513 C.p.c.; et

·            les cinq motifs soulevés dans son plan d’argumentation.

[7]           Dans son analyse, le Tribunal doit tenir pour avérés les faits relatés dans la demande en injonction permanente modifiée et déterminer si elle donne ouverture aux conclusions recherchées.

[8]           Dans le cas présent, la Municipalité cherche une conclusion générale qui ordonnerait à Mme Legault de cesser « de faire preuve de harcèlement à l’endroit de tous les employés et de la direction générale de la Municipalité »[3].

[9]           Les nombreuses autres conclusions recherchées découlent de la conclusion générale, mais décrivent en détail différentes instances où Mme Legault aurait harcelé des employés ou des membres de la direction générale de la Municipalité. Elles sont libellées comme suit :

PRONONCER une injonction permanente ordonnant à la défenderesse, Mme Anne-Guylaine Legault :

a) De respecter désormais les articles 5.4 et 6.10 du Code d’éthique des élus municipaux de la Municipalité, uniquement en ce qui concerne le respect dont elle doit faire preuve envers tous les employés de la Municipalité, y incluant la direction générale ;

b) De cesser, (...) de faire preuve de harcèlement à l’endroit de tous les employés et de la direction générale de la Municipalité;

c) De s’abstenir de tenir des propos injurieux, vexatoires et/ou diffamatoires à l’endroit des employés et de la direction générale de la Municipalité, notamment, et de manière non limitative, dans les endroits publics y incluant les assemblées du conseil ainsi que dans les courriels qu’elle transmet ;

d) De cesser d’intervenir directement auprès des employés de la Municipalité, à l’exception de la direction générale et, dans ce dernier cas, en respectant les conditions prévues par la présente ordonnance ;

e) De cesser d’entrer directement et volontairement en contact avec les employés et la direction générale de la Municipalité pour tout geste et/ou motif qui n’est pas directement lié à ses fonctions de mairesse de la Municipalité;

f) De cesser de se présenter à l’Hôtel de ville de la Municipalité sise au 2121, Chemin des Hauteurs, en la Municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides, province de Québec, JOT 2J0, du lundi au vendredi, entre 7h30 et 16h30, sauf si un rendez-vous a été convenu avec la direction générale ou sauf si une rencontre des conseillers municipaux ou une séance du conseil municipal doit se tenir durant ces heures;

g) D’adresser ses demandes, à titre de citoyenne, exclusivement à la direction générale de la Municipalité, par courriel ou écrit, et qu’elle laisse é un délai minimal de 72 heures pour la prise d’un rendez-vous suivant cette demande;

h) D’adresser ses demandes, à titre de mairesse, à la direction générale de la Municipalité, par écrit, et de laisser un délai minimal de 48 heures pour la prise d'un rendez-vous suivant cette demande;

i) Que les demandes qu’elle adresse à la direction générale de la Municipalité, à titre de mairesse, soient uniquement en lien avec ses fonctions de mairesse ;

j) Que, dans le cadre de ses demandes à titre de mairesse, elle assure la confidentialité des informations et/ou documents qui lui seront transmis par la Municipalité ;

k) Que, dans le cadre de ses demandes de documents à titre de mairesse, elle s’abstienne de quitter l’Hôtel de ville avec les originaux des documents requis ;

l) Que, dans le cadre de ses demandes de documents à titre de mairesse, elle consulte les documents requis qui ne peuvent faire l’objet d’une copie, à l’Hôtel de ville, suite à un rendez-vous convenu avec la direction générale ;

m) De s’abstenir d’intervenir de manière à empêcher un officier de la Municipalité d’effectuer une tâche qui lui incombe en vertu de la Loi ou d’un règlement;

n) De s’abstenir d’intervenir directement auprès des citoyens de la Municipalité afin de rendre des services administratifs délivrés par la Municipalité;

o) De (...) s’abstenir d’agir ou omette d’agir, dans l'exercice de ses fonctions de mairesse, d’une façon qui place la Municipalité en contravention avec ses obligations en vertu de la convention collective intervenue avec le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4437,

PERMETTRE à la direction générale d’être accompagnée d’un autre représentant de la Municipalité lors de chacune des rencontres à venir avec la défenderesse;

L’article 513 du Code de procédure civile

[10]        L’article 513 C.p.c. prévoit qu’une injonction ne peut pas être prononcée pour faire obstacle à l’exercice d’une fonction au sein d’une personne morale de droit public :

 

513. Une injonction ne peut en aucun cas être prononcée pour empêcher des procédures judiciaires, ni pour faire obstacle à l’exercice d’une fonction au sein d’une personne morale de droit public ou de droit privé, si ce n’est dans les cas prévus à l’article 329 du Code civil.

 

 

513. An injunction cannot be granted to restrain judicial proceedings or the exercise of an office within a legal person established in the public interest or for a private interest, except in the cases described in article 329 of the Civil Code.

 

 

[11]        Les auteurs Gendreau, Thibault, Ferland, Cliche et Gravel sont d’avis que cette restriction de l’étendue d’une injonction ne s’applique que lorsque le titulaire d’un office agit de façon illégale :

Cette restriction fut interprétée par la jurisprudence comme ne limitant le droit à l’ordonnance d’injonction que dans la mesure où le titulaire de la fonction agit légalement (…)[4].

[12]        Les auteurs citent deux arrêts de la Cour d’appel qui confirment que la restriction imposée par l’article 513 C.p.c. « présuppose que celui qui l’invoque exerce légalement sa charte[5]. »

[13]        Dans le cas présent, la Municipalité avance que la mairesse Legault agit illégalement lorsqu’elle fait preuve de harcèlement dans le milieu de travail.

[14]        L’injonction cherche à faire respecter les diverses obligations de la Municipalité à assurer un environnement de travail libre de harcèlement. Les lois, règlements et politiques qui énoncent ces obligations sont en soi une limite à l’exercice des fonctions de la mairesse. La demande en injonction n’est pas une limite supplémentaire, mais cherche à ramener la mairesse dans l’encadrement juridique qu’elle et la Municipalité, comme employeur, doivent respecter.

[15]        La demande de la Municipalité ne vise pas à faire obstacle à l’exercice de la fonction de la mairesse, mais à faire respecter les limites légales qui encadrent déjà cette fonction.

Les cinq motifs soulevés par la mairesse

[16]        Selon le premier motif d’irrecevabilité, la demande en injonction serait une tentative déguisée de destituer la mairesse Legault. La Municipalité voudrait interdire son accès à l’hôtel de ville pendant les heures de travail, empêcher que la mairesse Legault parle à des employés, et restreindre ses contacts avec les membres de la direction générale à des rencontres à leur convenance et après 48 heures de préavis. Selon elle, ces restrictions la priveraient de son habilité à exercer les devoirs et les fonctions de la mairesse.

[17]        Dans la mesure où la demande en injonction serait une tentative déguisée, elle n’est forcément pas claire et sans ambiguïté.

[18]        De plus, tel que libellé et suivant les explications du procureur de la Municipalité, on ne cherche pas à faire obstruction à la mairesse, mais à s’assurer qu’elle exerce ses fonctions à l’intérieur des paramètres édictés par la loi, les règlements et les politiques qui interdisent le harcèlement dans le milieu de travail.

[19]        La lecture de la demande introductive d’instance révèle que la Municipalité tente de trouver l’équilibre entre les droits de ses employés, les fonctions de la mairesse et les droits de Mme Legault en tant que citoyenne. Prenant les allégations de fait pour avérées, le recours de la Municipalité tente de rétablir l’équilibre entre ces divers droits, ainsi que ses propres obligations en tant qu’employeur. Le régime juridique en place établit déjà un équilibre, mais celui-ci est débalancé par le comportement harcelant que la Municipalité reproche à la mairesse Legault.

[20]        Ce premier motif est donc rejeté.

[21]        Le deuxième motif veut que les conclusions recherchées soient vagues, contradictoires et ne peuvent être exécutées. Les employés et la direction générale de la Municipalité pourraient les interpréter de façon différente que la mairesse, exposant celle-ci à des procédures en outrage au tribunal.

[22]        Ce motif est aussi rejeté. La question de savoir si les conclusions sont trop vastes, vagues ou difficiles d’exécution dépend des conclusions de fait que tirera le juge du fond. Dans l’éventualité où la preuve révèle une panoplie de gestes harcelants qui méritent une ordonnance générale, les conclusions recherchées pourraient être indiquées. Par contre, si la preuve ne permet que de retenir certains gestes restreints, les conclusions générales et étendues pourraient ne pas convenir. Le juge du fond accueillera les conclusions selon son appréciation de la preuve et pourra choisir d’en accepter ou d’en rejeter parmi celles avancées par la Municipalité.

[23]        Comme troisième motif, Mme Legault avance que la conclusion (a) est irrecevable puisqu’elle est fondée sur une allégation du non-respect du code d’éthique des élus municipaux, alors que la Commission municipale du Québec, qui est le tribunal administratif compétent pour décider de ces questions, n’a pas ouvert enquête sur les agissements allégués de la défenderesse. Dans l’éventualité où la Commission accepterait une plainte de la Municipalité, elle dispose de plusieurs sanctions pour corriger la situation.

[24]        La conclusion (a) est un exemple d’une conclusion spécifique qui s’adresse au comportement de la mairesse Legault. Il s’agit d’une déclinaison de la conclusion générale mentionnée au paragraphe 20 à l’effet qu’elle cesse de faire preuve de harcèlement.

[25]        Il reviendra au juge du fond de décider du niveau de spécificité requis afin de permettre l’exécution de tout jugement qui pourrait être rendu.

[26]        Mme Legault, dans son quatrième motif, avance que la conclusion (o) de l’injonction recherchée n’est pas recevable. La Municipalité cherche par cette conclusion que Mme Legault s’abstienne d’agir, dans l’exercice de ses fonctions de mairesse, d’une façon qui place la Municipalité en contravention avec ses obligations en vertu de la convention collective intervenue avec le syndicat des employés. Selon elle, aucune allégation de la demande introductive n’appuie cette conclusion. De plus, dans la mesure où il y aurait un problème avec le syndicat, ceci pourrait faire l’objet d’un grief déposé auprès d’un arbitre.

[27]        Par contre, les allégations que l’on retrouve aux paragraphes 192 à 195 de la demande introductive d’instance soulèvent des préoccupations quant aux employés syndiqués. Le problème de harcèlement dont se plaint la Municipalité peut engendrer des préoccupations du syndicat. La tentative de la Municipalité de ramener la mairesse dans le cadre de l’obligation de ne pas harceler appuie la conclusion (o).

[28]        Comme cinquième motif d’irrecevabilité, Mme Legault avance que plusieurs conclusions de la demande ne sont appuyées d’aucune allégation de fait, et plus particulièrement les conclusions (e), (g), (h), (m) et (n).

[29]        En ce qui concerne (e), (g) et (h), il s’agit d’exemples spécifiques de contextes dans lesquels la Municipalité désire éliminer le harcèlement qu’elle reproche à Mme Legault. À la lecture de la demande introductive d’instance, on comprend que la Municipalité désire protéger ses employés et les membres de la direction générale du harcèlement dont ils pourront être témoins ou victimes lors d’échanges avec Mme Legault. Les conclusions (e), (g) et (h) sont des instances particulières où cet harcèlement pourrait avoir lieu et sont donc appuyées par les faits allégués à la demande introductive.

[30]        En ce qui concerne les conclusions (m) et (n), celles-ci sont appuyées par les faits relatés aux paragraphes 55 et 62 de la demande introductive d’instance qui fournissent des exemples d’interventions directes par Mme Legault auprès de citoyens, alors que les enjeux relèvent de la juridiction d’autres employés et membres de la direction générale.

[31]        Telles que libellées, les allégations de fait contenues à la demande introductive d’instance appuient les conclusions qui font partie de l’injonction que la Municipalité recherche afin de s’assurer que Mme Legault cesse de harceler les employés et les membres de la direction générale. De plus, la Municipalité cherche à rencontrer ses obligations comme employeur de fournir à ses employés et aux membres de la direction générale un environnement de travail libre de harcèlement.

[32]        Finalement, Mme Legault recherche une déclaration voulant que la demande introductive d’instance soit abusive.  Vu le sort de sa demande en irrecevabilité, il n’est pas possible à ce stade de la procédure de conclure en ce sens. Cette demande est aussi rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]        REJETTE la demande en irrecevabilité;

[34]        AVEC LES FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________GREGORY MOORE, j.c.s.

 

Me Maxime Arcand

Prévost Fortin D’Aoust

Procureur de la demanderesse - intimée

 

Me Frédéric Legendre

Municonseil Avocats inc.

Procureur de la défenderesse - requérante

 

Date d’audience :

18 avril 2019

 

 



[1]     Fanous c. Gauthier, 2018 QCCA 293, page 5.

[2]     Id., page 4.

[3]     Voir conclusion b), page 43 sur 45 de la demande introductive modifiée.

[4]     P.-A. GENDREAU et al., L’injonction,  Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 218.

[5]     Id.

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