Norgéreq ltée c. Ville de Montréal |
2019 QCCA 360 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-09-026793-174 |
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(500-17-046847-086) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 28 février 2019 |
CORAM : LES HONORABLES |
NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
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APPELANTE |
AVOCAT |
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NORGÉREQ LTÉE
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me JEAN-FRANÇOIS DAGENAIS (BCF s.e.n.c.r.l.)
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INTIMÉE |
AVOCATS |
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VILLE DE MONTRÉAL |
Me CAINNECH LUSSIAÀ-BERDOU Me CHARLOTTE RICHER LEBEUF (Gagnier Guay Biron)
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En appel d'un jugement rendu le 27 mars 2017 par l'honorable Serge Gaudet de la Cour supérieure, district de Montréal. |
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NATURE DE L'APPEL : |
Municipal - Contrat - Appel d'offres - Soumission - Conformité. |
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Greffier d’audience : Robert Osadchuck |
Salle : Antonio-Lamer |
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AUDITION |
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9 h 32 |
Début de l’audition. |
9 h 34 |
Argumentation de Me Dagenais. |
10 h 34 |
Argumentation de Me Lussiaà-Berdou. |
11 h |
Suspension. |
11 h 20 |
Reprise |
11 h 20 |
Argumentation de Me Lussiaà-Berdou (suite). |
11 h 24 |
Réplique de Me Dagenais. |
11 h 29 |
Suspension. |
11 h 33 |
Reprise. |
11 h 33 |
Par la Cour : arrêt - voir page 3. |
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Robert Osadchuck |
Greffier d’audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Norgéreq ltée (« Norgéreq ») porte en appel un jugement du 27 mars 2017 rendu par l’honorable Serge Gaudet de la Cour supérieure, district de Montréal, rejetant sa réclamation contre la Ville de Montréal (« Montréal ») pour des pertes de profits qu’elle aurait subies à la suite d’une erreur alléguée dans l’attribution d’un contrat.
* * * * *
[2] Les faits pertinents sont fort simples. À l’hiver 2008, Montréal lance un appel d’offres pour un projet de restauration des mansardes et du campanile de l’hôtel de ville. L’appel d’offres prévoit plusieurs exigences, dont notamment un cautionnement de soumission conforme et des qualifications particulières pour les soumissionnaires. Quatre entrepreneurs ont répondu, dont L.M. Sauvé et l’appelante Norgéreq.
[3] Le contrat fut octroyé à L.M. Sauvé. Cette dernière a fourni un cautionnement d’exécution conforme et a débuté les travaux. Malheureusement, elle a fait par la suite faillite et les travaux furent terminés par la caution d’exécution, soit L’Unique assurances générales. Or, après l’adjudication du contrat, des vérifications permettent d’établir que la caution de soumission fournie par L.M. Sauvé n’était pas conforme aux exigences de l'appel d'offres.
[4] Norgéreq soutient donc que le contrat aurait dû lui être octroyé. Montréal se défend en soutenant que l’irrégularité à l’égard du cautionnement de soumission de L.M. Sauvé était mineure et n’a pas eu pour effet de rompre l’équilibre entre les soumissionnaires. Montréal ajoute que, de toute façon, la soumission de Norgéreq n’était pas elle-même conforme aux exigences de qualification.
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[5] Le juge de première instance conclut que la soumission de L.M. Sauvé n’est pas conforme et que le défaut de fournir un cautionnement de soumission valide est une irrégularité majeure qui aurait dû mener à la disqualification de cette entreprise. Cette conclusion n’est pas remise en question en appel.
[6] Le juge conclut aussi que la soumission de Norgéreq n’était pas conforme puisque cette dernière n’avait pas l’expérience exigée par les documents d’appel d’offres. Le juge énonce qu’il s’agit là d’une irrégularité majeure qui ne permet pas d’accorder le contrat à Norgéreq. Cette conclusion entraîne le rejet de la réclamation pour pertes de profits.
[7] Le juge se prononce néanmoins sur le montant des dommages advenant qu’une autre instance décide autrement de la question de la responsabilité de Montréal. Il conclut de la preuve que le profit de Norgéreq aurait été de 497 446 $ si le contrat lui avait été alloué. Cette conclusion n’est pas non plus remise en question en appel.
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[8] L’appel porte donc essentiellement sur la question de savoir si Norgéreq répond aux exigences de qualification de l’appel d’offres, lequel prévoit que chaque soumissionnaire doit citer dans sa soumission « deux (2) projets de construction ayant consisté à restaurer l’enveloppe d’Édifices à caractère patrimonial » et chacun de ces projets doit avoir « un volet de restauration de l’enveloppe d’une valeur supérieure à 2,0 millions de dollars »[1].
[9] La preuve révèle que Norgéreq a cité dans son appel d’offres un contrat de réfection du Marché Atwater à Montréal dont la valeur des travaux de l’enveloppe était supérieure à deux millions de dollars. Par contre, la preuve révèle également que le second projet cité, soit la restauration de la Tour de Lévis à l’Île Sainte-Hélène, était inférieur au montant exigé.
* * * * *
[10] Comme premier moyen d'appel, Norgéreq soutient que l’exigence de qualification énoncée dans l’appel d’offres n’est pas obligatoire puisque Montréal conserve une discrétion pour accepter une soumission non conforme. Ce moyen doit être rejeté. Comme l’a conclu le juge de première instance, le caractère obligatoire de cette exigence ressort clairement des documents d’appel d’offres, de sorte que les soumissionnaires étaient en droit de s’attendre à ce que le contrat soit octroyé à une personne dont les qualifications répondaient aux exigences obligatoires des Instructions spéciales aux soumissionnaires[2].
[11] Il est d’ailleurs de jurisprudence constante que l’analyse des documents de soumission relève de l’appréciation du juge de première instance et qu’une grande déférence s’impose en appel à cet égard[3]. Dans ce cas-ci, le juge n’a commis aucune erreur dans son analyse qui s’appuie sur le principe bien connu que la légitimité d’un processus d’appel d’offres repose sur l’existence, la reconnaissance et l’application d’un principe directeur voulant que tous les soumissionnaires doivent être traités sur le même pied afin d’avoir les mêmes chances de succès dans un climat de concurrence loyale[4]. Pour le juge, il coule de source que les qualifications minimales exigées de tous les soumissionnaires sont des exigences qui tombent sous ce principe directeur. À défaut par l’appelante d’identifier une erreur manifeste à cet égard, c’est-à-dire une erreur évidente qui peut être identifiée avec une grande économie de moyens et sans provoquer un long débat de sémantique[5], son appel sur cette question doit échouer.
[12] Le second moyen d’appel porte sur la décision du comité d’évaluation des soumissions de Montréal qui a conclu au caractère conforme de la soumission de Norgéreq à la suite de renseignements supplémentaires que cette dernière lui a fournis quant à ses qualifications. Or, la preuve au dossier a révélé que ces renseignements supplémentaires étaient trompeurs, sinon carrément erronés. Dans ces circonstances plutôt inusitées, le juge de première instance avait raison de conclure qu’il n’avait pas à s'en remettre au comité d’évaluation sur cette question[6].
[13] Le troisième moyen d’appel est lié au second. Norgéreq soutient que le juge a erré en concluant qu’elle aurait induit le comité d’évaluation des soumissions en erreur quant à la valeur des travaux qu’elle aurait effectués concernant la Tour de Lévis. Que Norgéreq ait ou non voulu induire en erreur le comité, il n’en demeure pas moins que la valeur réelle des travaux concernant la Tour de Lévis ne répond pas aux exigences de l’appel d’offres. L’appel ne peut donc être accueilli sur le fondement de ce moyen.
[14] Finalement, comme dernier moyen d’appel, Norgéreq avance que les conclusions de la Cour dans l’affaire Tapitec inc. c. Ville de Blainville[7] sont inapplicables au dossier. Dans Tapitec, la Cour a conclu que les exigences de qualification aux fins d’un appel d’offres devaient être respectées par les entrepreneurs[8] :
[13] L'obligation de n'accorder le contrat qu'à un soumissionnaire qui présente une soumission conforme découle implicitement du contrat intervenu entre l'auteur de l'appel d'offres et tous les soumissionnaires. L'auteur de l'appel d'offres doit évaluer les soumissions de manière équitable et uniforme afin d'éviter qu'un soumissionnaire soit avantagé au détriment d'un autre
[14] Le principe d'égalité entre les soumissionnaires tire son fondement du fait qu'en l'absence de cette obligation implicite, aucun soumissionnaire raisonnable ne s'exposerait aux risques inhérents à un appel d'offres si le donneur d'ouvrage « peut, dans les faits, contourner ce processus et accepter une soumission non conforme ».
[15] Par ailleurs, l'exigence que seules soient examinées les soumissions conformes est également « un élément favorisant l'intégrité et l'efficacité commerciale du processus d'appel d'offres ».
[Renvois omis]
[15] Il est difficile de comprendre en quoi ces propos ne sauraient être applicables au présent dossier. L’appelante, faisant écho à son second moyen d’appel, tente de distinguer Tapitec en soutenant que, dans son cas, le comité d’évaluation des soumissions avait conclu à la conformité de sa soumission. Or, tel que signalé ci-haut, cette décision du comité repose sur les renseignements trompeurs qui lui ont été fournis par l’appelante.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[16] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
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NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
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JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. |
[1] Exigence 2)a du chapitre 2.4 des Instructions spéciales aux soumissionnaires.
[2] Jugement de première instance, par. 80-84 et 106.
[3]
Canada (Procureur général) c. Constructions Bé-Con inc.,
[4] Axor
Construction Canada inc. c. Bibliothèque et archives nationales du Québec,
[5]
J.G. c. Nadeau,
[6] Jugement de première instance, par. 96-98 et 107.
[7]
Tapitec inc. c. Ville de Balinville,
[8] Ibid., par. 13-15.
AVIS :
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