Hamelin c. Municipalité de Lac-Simon | 2022 QCCS 4889 | |||
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
DISTRICT DE GATINEAU |
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NO 550-17-011848-205
DATE : 14 décembre 2022
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE SUZANNE TESSIER, J.C.S. ___________________________________________________________________
Valérie Hamelin Demanderesse
c.
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Municipalité de Lac-Simon Défenderesse | ||||
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JUGEMENT ______________________________________________________________________
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[1] Le Tribunal est saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire avec conclusions d’annuler l’article
[2] De manière subsidiaire, la demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant les conclusions suivantes :
[3] DÉCLARER que la demanderesse n’a pas contrevenu au Règlement de zonage de la défenderesse en publicisant la location de son immeuble situé au [...] à Lac-Simon, sur le média Facebook depuis janvier 2020 et;
[4] DÉCLARER que la demanderesse est en droit de louer à quiconque, pour de courtes, moyennes et longues périodes ou durées, son immeuble situé au [...] à Lac-Simon, QC, autant à des personnes résidentes que des personnes de passage ou des touristes, sur le territoire de la défenderesse, sans l’obligation d’obtenir un certificat d’autorisation de la défenderesse.
L'aperçu
[5] La demanderesse est copropriétaire de trois (3) immeubles situés aux [...], municipalité de Lac-Simon. Celle-ci réside dans l’immeuble situé au [...] et fait de la location des deux autres immeubles (ci-après les « Immeubles ») en plus de les afficher pour fins de location, entre autres, sur le site Internet Facebook et autres médias sociaux.
L’historique
[6] Le 6 juin 2018, la demanderesse présente à la municipalité une demande en changement de zonage et/ou une demande d’autorisation afin de lui permettre de faire de l’hébergement touristique dans la zone 09-H, laquelle demande lui est refusée. Poursuivant ses activités de location, elle reçoit le 26 septembre 2018 de la défenderesse un avis de courtoisie l’informant que l’usage qu’elle fait des immeubles est dérogatoire en ce que l’hébergement touristique n'est pas permis dans la zone 09-H de la municipalité.
[7] En janvier 2020, la demanderesse reçoit un avis lui demandant de retirer la publicité de location de ses immeubles pour différentes durées sur les médias sociaux.
[8] Subséquemment, vu le défaut de la demanderesse de se conformer au règlement, la défenderesse émet un constat d’infraction avec mise en demeure la sommant de cesser tout usage non conforme. Il lui est donc reproché le ou vers le 25 août 2020 :
« À la Municipalité de Lac-Simon, le ou vers le 2020-07-30, en tant que propriétaire du [...], a publicisé sur une plateforme en ligne un usage d’hébergement touristique pour ladite propriété, sans avoir obtenu au préalable un certificat d’autorisation de la municipalité, et ce, en contravention de l’article
[9] Le 27 novembre 2020, la demanderesse dépose une demande en contrôle judiciaire et demande en jugement déclaratoire afin que l’article
[10] Plusieurs questions sont soumises par la demanderesse. Elles sont les suivantes :
Questions en litige
1 – L’article
2 – L’article
3 – La demanderesse a-t-elle intenté son pourvoi en contrôle judiciaire dans un délai raisonnable ?
[11] Les principaux arguments soulevés par la demanderesse concernant l’annulation de l’article
- L’article
- L’article
- En plus, le Règlement ne précise pas les termes « courte durée » ainsi que « clientèle de passage »;
- L’article 33 porte à interprétation et une personne raisonnable n’est pas en mesure de connaître avec précision convenable l’étendue de ce qui est compris dans cette zone.
[12] Selon la défenderesse, une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou une partie de son territoire. Les immeubles de la demanderesse sont situés dans la zone 09-H du territoire permettant les usages de groupe d’habitation H-1 (logement), groupe de récréation d’extérieur R-1 (activités récréatives à faible impact) et groupe de forêt et conservation F-3 (conservation du milieu naturel). Ainsi, l’utilisation à des fins d’hébergement touristique ou de location à court terme n’est pas permise dans la zone 09-H et est exclusive à la classe d’usage C6 – sous Hébergement touristique.
[13] La défenderesse soutient qu’elle n’a pas outrepassé le pouvoir que lui confère l’article
[14] Elle ajoute que les dispositions attaquées ne sont ni imprécises ni discriminatoires, ne portent pas atteinte au droit de propriété et n’outrepassent pas ses pouvoirs de légiférer sur les activités sur son territoire.
[15] Avant même de statuer sur les présentes, il y a lieu de définir le cadre de révision de cette cour.
Intervention de la Cour supérieure
[16] Le Tribunal se rallie aux propos du juge Bachand de la Cour d’appel du Québec dans Restaurants Canada c. Ville de Montréal[2]. Dans cette affaire, le Tribunal conclut à la validité des dispositions du règlement limitant les zones où peuvent être implantés de nouveaux établissements de restauration rapide dans l’arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce à Montréal adoptées sous l’égide de l’article
[17] Le juge précise, en ce qui concerne les normes d’intervention du tribunal :
[20] À la lumière de l’arrêt Vavilov, force est de constater que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, et ce, tant à l’égard de la question de savoir si l’intimée avait le pouvoir d’adopter les dispositions réglementaires en litige qu’à l’égard de celles, subsidiaires, ayant trait à leur teneur.
1. La question de savoir si l’intimée a outrepassé son pouvoir de zoner
[21] Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour suprême avait conclu que la norme de la décision correcte était applicable lorsque le tribunal était appelé à déterminer si, en adoptant un règlement donné, un conseil municipal avait outrepassé le pouvoir que lui avait délégué la loi habilitante invoquée[8]. Elle avait réitéré ce courant jurisprudentiel dans Dunsmuir, tout en soulignant que la question de savoir si un règlement est ou non ultra vires faisait partie des questions touchant véritablement à la compétence, lesquelles étaient assujetties à la norme de la décision correcte[9]. Puis, dans Katz[10], la Cour avait précisé le cadre d’analyse applicable lorsque le caractère ultra vires d’un règlement est débattu, et elle l’avait fait sans faire appel à la norme de la décision raisonnable.
[22] L’arrêt Vavilov a toutefois marqué l’abandon de la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence, ce qui implique notamment qu’elles sont désormais assujetties, en règle générale du moins, à la norme de la décision raisonnable.
[23] Cela étant, la Cour suprême a pris soin de préciser que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « ne permet pas aux décideurs administratifs d’interpréter leur loi habilitante à leur gré et […] [d’]élargir la portée de leurs pouvoirs au‑delà de ce que souhaitait le législateur ».
Elle a également expliqué que la marge de manœuvre du décideur dépendra notamment de la formulation des dispositions pertinentes de la loi habilitante :
Même dans les cas où l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou
étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir — en les limitant peut‑être à une seule. À l’inverse, lorsque le législateur confère au décideur de vastes pouvoirs au moyen d’un texte législatif rédigé en termes généraux, et ne prévoit aucun droit d’appel devant une cour de justice, il y a lieu de donner effet à son intention d’accorder une plus grande latitude au décideur sur l’interprétation de sa loi habilitante.
[Italiques dans l’original]
[24] La Cour suprême a ensuite ajouté, dans un passage référant expressément à l’arrêt Katz, que la marge de manœuvre du décideur sera susceptible d’être limitée par les principes dégagés antérieurement par la jurisprudence :
Il coule de source que le droit — tant la loi que la common law — limitera l’éventail des options qui s’offrent légalement au décideur administratif chargé de trancher un cas particulier : voir Dunsmuir, par. 47 et 74. Par exemple, le décideur administratif qui interprète la portée de son pouvoir de réglementation dans le but de l’exercer ne peut retenir une interprétation incompatible avec les principes de common law applicables en ce qui concerne la nature des pouvoirs législatifs : voir Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée),
Néanmoins, il y a lieu de garder à l’esprit que cette jurisprudence antérieure a aussi établi qu’en raison de « l’évolution de la municipalité moderne »
et de « l’importance sociale et politique des administrations publiques locales », il fallait désormais privilégier une « interprétation téléologique large des pouvoirs municipaux ». Il a également été souligné que
les pouvoirs des autorités municipales « devaient être interprétés généreusement parce que leurs relations de proximité avec les citoyens qui habitent ou travaillent sur leur territoire les rendent plus sensibles aux problèmes qu’ils connaissent ». Notre Cour a d’ailleurs affirmé, en 2012, que « [l]es municipalités bénéficient d’un large pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de leur pouvoir de réglementation, singulièrement en matière de zonage ».
[25] Ainsi, il y a lieu de conclure, comme l’ont fait d’autres cours d’appel canadiennes ainsi que certains commentateurs particulièrement autorisés en la matière, que la norme de la décision raisonnable est généralement applicable lorsqu’il s’agit de déterminer si, en adoptant un règlement donné, un conseil municipal a outrepassé le pouvoir que lui a délégué l’assemblée législative. La norme de la décision correcte ne sera applicable que si la loi l’exige ou encore si cela s’avère nécessaire afin d’assurer la primauté du droit.
[26] Puisqu’il est clair qu’aucune de ces exceptions n’est applicable en l’espèce, la question de savoir si les dispositions pertinentes du Règlement constituent un exercice valide du pouvoir de zoner dont dispose l’intimée est assujettie à la norme de la décision raisonnable.
(Références omises)
[18] La Cour supérieure, dans l’affaire Ratté contre la Ville de Québec[3], applique la même norme d’intervention.
[38] Comme le rappelait encore récemment la Cour d’appel du Québec, les municipalités sont des créatures du législateur provincial, et elles ne sauraient avoir plus de pouvoirs que ce qui leur a été accordé. En ce sens, la recherche du pouvoir habilitant d’une municipalité pour adopter un règlement le sera sous l’angle de la norme de la décision correcte[45].
[39] Toutefois, en l’espèce, il appert que la municipalité avait compétence pour adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou une partie de son territoire, en vertu de l’article
[19] Ainsi, la norme de contrôle applicable quant à savoir si la loi est ultra vires est celle de la décision correcte et pour le reste des questions soumises, la norme applicable est celle de la décision raisonnable.
Analyse
[20] Nous procéderons à l’analyse des questions en litige soumises.
L’article
[21] La demanderesse conteste la compétence de la municipalité selon les pouvoirs qui lui sont conférés.
[22] La réponse est négative pour les motifs qui suivent :
[23] La municipalité de Lac-Simon est régie selon la Loi sur les compétences municipales[4] laquelle accorde aux municipalités le pouvoir de régir et de réglementer les activités économiques sur son territoire[5]. La municipalité de Lac-Simon est également soumise à la loi sur l'aménagement et l'urbanisme du Québec. (L.A.U.) et l’article
[24] L’article 113, alinéa 2, par. 1 et 3 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme précise :
113. Le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou partie de son territoire.
Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants:
1° pour fins de réglementation, classifier les constructions et les usages et, selon un plan qui fait partie intégrante du règlement, diviser le territoire de la municipalité en zones;
(…)
3° spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés, y compris les usages et édifices publics, ainsi que les densités d’occupation du sol.
[25] Sur la base de cette législation, la défenderesse adopte un Règlement de zonage (Règlement U-12) lequel établit un plan de zonage et la classification des usages sur son territoire.
[26] Les usages d’habitation sont précisés aux paragraphes 21 et suivants du Règlement. Ces usages sont décrits comme suit :
« 21. Groupe d’usages H – Habitation
Le groupe d’usages H – Habitation comprend les classes d’usages suivants :
[27] Les usages autorisés dans la zone d'habitation (09-H) sont décrits dans la grille des spécifications et font partie du Règlement à l’Annexe J.[6] Ils sont :
1) Logement;
2) Activités récréatives à faible impact;
3) Conservation du milieu naturel.
[28] D’emblée, il est admis que l’immeuble de la demanderesse se situe dans la zone H-Habitation (09-H), plan annexé au Règlement, Annexe I.[7] L’usage principal est celui de l’habitation. La grille n’inclut pas des activités commerciales.
[29] L’article
« 33. Classe d’usages C6 – Hébergement touristique
La classe d’usages C6 – hébergement touristique, comprend les établissements dont l’activité principale est d’offrir des services d’hébergement de courte durée à une clientèle de passage.
Cette classe d’usages comprend, par exemple, les usages ou groupes d’usages suivants :
[30] Le premier constat est que la demanderesse habite sur le territoire de la municipalité de Lac-Simon dans la zone 09-H et loue des immeubles dans la même zone. L’hébergement touristique est considéré comme étant une activité commerciale[8] et cette activité n’est pas permise dans la zone « habitation ».
[31] Quant à la validité du règlement, quelques observations s’imposent.
[32] Il est bien établi qu’un règlement municipal jouit d’une présomption de validité quant au fond et à la forme et qu’il est aussi présumé avoir été adopté de bonne foi et dans l’intérêt public. Par ailleurs, une municipalité est non seulement présumée connaître la portée et l’étendue des pouvoirs que lui confère la loi habilitante, elle est présumée avoir eu l’intention de s’y conformer ».[9]
[33] Dans l’affaire Ratté c. Ville de Québec[10], le Tribunal arrive à la conclusion que la municipalité avait compétence pour adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou une partie de son territoire, en vertu de l’article
[34] Ce faisant, elle était en mesure de classifier les constructions et usages sur son territoire et de les restreindre à certaines zones spécifiques. En ce sens, l’exercice de ce pouvoir de zonage par l’intimée relève plutôt de la norme de la décision raisonnable. (…)
[35] Le Tribunal ajoute que l’article 113, alinéa 2, paragraphes 1 et 3 de la L.A.U., accorde à l’Intimée la compétence de régir les offres de location de par sa vocation d’usage. Au surplus, le Tribunal estime qu’elle détient cette capacité en vertu de la L.C.M. et de la Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec[47].
[36] Ainsi, les dispositions législatives confient aux municipalités de réglementer les usages autorisés sur leur territoire.
[37] Le Tribunal ajoute :
45. L’article
[38] S’il y a ambigüité sur la terminologie d’usage, la Cour d’appel dans l’affaire Saint-Aubert (Municipalité) c. Poitras[11] en précise les termes :
« L’usage fait référence à l’utilisation qui est faite d’un immeuble, à sa destination, à sa vocation résidentielle, commerciale, industrielle ou institutionnelle. Elle implique aussi la notion du genre d’activité qui peut être exercée sur le terrain et dans le bâtiment érigé sur un terrain »
(les soulignés sont les miens).
L'usage fait référence à l'utilisation qui est faite d'un immeuble, à sa destination, à sa vocation résidentielle, commerciale, industrielle ou institutionnelle. Elle implique aussi la notion du genre d'activité qui peut être exercé sur le terrain et dans le bâtiment érigé sur un terrain.
[39] Les auteurs Audrey-Anne Béland et Isabelle Landry dans Développements récents en droit municipal (2018)[12] sont d’avis que « la LCM accorde une grande marge de manœuvre aux municipalités pour régir les usages de la location à court terme de type Airbnb ».
[40] Ainsi, non seulement la municipalité peut s’immiscer dans la location de courte durée et la clientèle de passage portant sur l’hébergement touristique de courte durée[13], l’activité des établissements touristiques est une activité commerciale et ce genre d’usage peut être réglementé par l’article
[41] Ainsi, le règlement 33 de la Municipalité de Lac-Simon n’est pas ultra vires, puisqu’il s’inscrit dans la mission d’une municipalité de réglementer les usages de son territoire. Les dispositions législatives accordent à la défenderesse la compétence pour régir la location à court terme sur son territoire.
[42] Le législateur a prévu par ses lois et règlements de déléguer tous les pouvoirs aux municipalités par la L.A.U. et L.C.M. pour les usages sur son territoire.
[43] Par conséquent, la location de chalet effectuée par la demanderesse constitue nettement un usage commercial que certains tribunaux qualifient de « commerce de service d'hébergement »[14].
[44] L’hébergement touristique est une activité commerciale et non permise dans la zone 09-H et par conséquent, la demanderesse contrevient aux dispositions du Règlement.
2 - Est-ce que l’article 33 contient des clauses de nullité ?
Le règlement est imprécis
[45] La demanderesse reproche à la défenderesse que le règlement est imprécis vu l’absence de définition des termes hébergement touristique, court terme et clientèle de passage au règlement. Une personne qui opère et loue des immeubles sur une base touristique tel Airbnb doit se référer au Règlement sur les établissements d’hébergement touristique, qui apporte un certain nombre de définitions[15].
[46] Cela étant, malgré que certains termes ne soient pas définis dans le règlement, cela n’en fait pas pour autant un règlement imprécis.
[47] La juge Mailhot, dans l'arrêt Côté-Paquin c. Sainte-Adèle (Ville de)[16] s’exprime ainsi en cette matière, dont le Tribunal en fait les siens :
[…] L’activité commerciale exercée par les appelants n’est pas définie expressément dans le règlement 500-1982 (800-4Z). Toutefois, les tribunaux ont généralement reconnu que l’absence de prohibition claire d’une activité de nature commerciale ne saurait faire échec à l’application d’un règlement qui interdit toute activité commerciale à l’intérieur d’une zone déterminée.
À la lumière de la preuve au dossier, je suis d’avis que le juge de première instance n’a pas erré en concluant, comme il l’a fait, qu’en offrant en location des chalets sur une base quotidienne ou hebdomadaire les appelants exerçaient une activité commerciale assimilable au commerce de l’hôtellerie, ce qui est interdit par le règlement de zonage 500-182 (800-4Z) :
Il est de commune renommée que, dans les Laurentides en général, et à Sainte-Adèle en particulier, beaucoup de maisons sont louées, par leur propriétaire, soit à l’année, soit à la saison, à des gens qui y installent leur famille pendant l’été ou occupent la maison régulièrement les fins de semaine et les jours de fête. Cette occupation présente une certaine continuité que l’on ne retrouve pas dans ce dossier. Il est clair que les locataires des intimés sont des touristes ou des citadins en villégiature.
L’intimé lui-même reconnaît ce fait explicitement, puisque le 26 avril 1990, il demanda à la requérante d’autoriser un usage d’hébergement dans cette zone, en plus de l’usage résidentiel. […]
Or un touriste n’établit pas une résidence dans une chambre d’hôtel ou dans une maison qu'il loue pour quelques jours seulement.
[48] Quant à l’argument soulevé que l’article
[49] Avec égard, une personne raisonnable est en mesure de comprendre le sens habituel et usuel de ces termes. Pour cause, la demanderesse a présenté une demande de dérogation sachant très bien qu’elle ne pouvait exercer cette activité de location dans la zone où sont situés ses immeubles.
Est-ce que le règlement indique que l’usage se rattache à une clientèle de passage et s’adresse à une catégorie de gens particuliers ?
[50] La demanderesse se méprend quant à la finalité du règlement de zonage. Les auteurs Lorne Giroux et Isabelle Chouinard apportent les précisions suivantes[17] :
La finalité propre du zonage, qui est celle de contrôler les usages, telle que conférée par la loi et les règlements.
Ainsi, le règlement de zonage ne peut s’immiscer dans le mode de « tenure » en ne permettant, dans une zone, que des habitations multifamiliales détenues en condominium. Il ne peut, non plus, déterminer qui ou quelle classe de personnes peut être propriétaire d’un terrain ou encore qui peut en faire usage. C’est le cas par exemple lorsque le règlement ne prévoit, comme seul usage dans une zone, que celui d’« Écoles publiques, sous l’égide d’une commission scolaire ».
Les tentatives d’utiliser le règlement de zonage afin d’exercer un contrôle sur les personnes et non sur les usages sont non seulement invalides eu égard à la finalité propre du zonage, mais elles ont également été jugées déraisonnables par la Cour suprême parce qu’elles avaient pour effet de soumettre les droits des citoyens ainsi assujettis à des entraves si oppressives ou arbitraires qu’elles ne peuvent se justifier dans l’opinion de gens raisonnables.
Dans Bell c. La Reine, la Cour suprême a déclaré nulles, pour ce motif, les dispositions d’un règlement de zonage visant à limiter l’occupation d’un logement résidentiel à un groupe composé de deux personnes ou plus, vivant ensemble et liées entre elles par le sang, le mariage ou l’adoption légale.
[51] Dans la présente affaire, la municipalité ne régit pas une catégorie de personnes, elle régit les usages sur son territoire dont nommément l’hébergement touristique, court terme et clientèle de passage.
[52] La clientèle de passage est définie par la jurisprudence comme étant celle n’en fait pas un domicile ou une résidence habituelle[18]. Par ailleurs les tribunaux ont déjà statué, notamment dans l’affaire Ville de Québec c. Ratté, à la validité de l’article (se référant au règlement de zonage) concernant la location de courte durée ou de passage. Ce motif soit donc échoué.
L’article
[53] Il est soulevé qu’une municipalité ne peut faire obstacle à la Charte canadienne des droits et libertés. C’est exact.
[54] Ainsi, les affirmations que le droit de propriété emporte celui de louer des immeubles à sa guise sans contrainte, le droit de non-discrimination de le louer à quiconque peu importe la durée et que le droit de la libre expression permet de publiciser sur un site les locations de ses immeubles sont des affirmations lancées sans fondement et sans apporter des arguments en droit.
[55] Bien que les règlements municipaux discriminent entre les types d’usage sur son territoire, cela n’en fait pas de les rendre illégaux [19].
[56] Les allégations de la demanderesse à l’effet que le règlement 33 de la municipalité de Lac-Simon a pour effet de porter atteinte aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, sans en faire la démonstration et sans fondement hormis celle portant sur la personne versus l’usage, déjà traité, doivent être rejetées. La demanderesse n’est pas sujette à une différence de traitement sur le territoire de la municipalité. Il appartenait à celle-ci d’établir que l'objet ou l'effet de la mesure contestée, soit l’art.
[57] La réponse à la question de savoir si la municipalité contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés doit, dans les circonstances, être négative.
[58] Ainsi, la défenderesse a compétence pour réglementer les usages sur son territoire et l’article
La demanderesse a-t-elle intenté son pourvoi en contrôle judiciaire dans un délai raisonnable ?
[59] La demanderesse a échoué dans sa demande en révision. Qu’il suffise de mentionner que dès le 6 juin 2018, la demanderesse a demandé un changement de zonage[20], a reçu son premier avis de non-conformité en date du 26 septembre 2018 et introduit sa demande en révision judiciaire le 27 novembre 2020.
[60] Le délai commence à courir en principe à compter de l’adoption du règlement, soit le 2 octobre 2012.
[61] Le délai raisonnable selon l’article
[62] Le délai en soi n’est pas raisonnable. La demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la demanderesse doit également être rejetée pour ce motif.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[63] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire et demande en jugement déclaratoire;
[64] Le tout AVEC FRAIS DE JUSTICE contre la demanderesse.
SUZANNE TESSIER, J.C.S.
Me Paul Fréchette
Procureur de la demanderesse
Me Nério De Candido
Me Geneviève Vanasse
Beaudry, Bertrand, s.e.n.c.r.l.
Avocats de la défenderesse
Dates d’audition : 14 et 15 septembre 2022
[1] Règlement No V-12
[2]
[3]
[4] (L.C.M.) RLRQ c. C-47.1 article 10 par. 2
[5] Toute municipalité locale peut, par règlement, régir les activités économiques
[6] P-11
[7] P-10
[8] Côté-Paquin c. Sainte-Adèle (Ville de), (C.A., 1995-02-17),
[9] Ville de Québec c. Ratté,
[10] QCCS 2095
[11]
[12] La réglementation municipale à l’ère de Airbnb, Barreau du Québec-Service de formation continue,
2018 page 22
[13] Ville de Québec c. Ratté,
[14] Saint-Sauveur (Ville de) c. Cloutier
[15] Chapitre E-14.2, r.
[16] Côté-Paquin c. Sainte-Adèle (Ville de), (C.A., 1995-02-17)
[17] Lorne GIROUX et Isabelle CHOUINARD, « Le contrôle réglementaire des usages, de leur intensité et de leur implantation : le zonage », Droit public et administratif, Collection de droit 2022-2023, École du Barreau du Québec, vol. 8, 2022, EYB2022CDD340
[18] Côté-Paquin c. Sainte-Adèle (Ville de), Ibid.
[19] 9064-2083 Québec inc. contre Municipalité de Val Joli
[20] D-6
[21] Ébénisterie Yvan Beauchemin inc. c. Municipalité de la paroisse de Sainte Marie Madeleine 2018
QCCS 2563 par. 21
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