R. c. Bédard | 2025 QCCA 647 |
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
SIÈGE DE QUÉBEC
No : | 200-10-700133-247 |
| (150-01-071841-234) |
FORMATION : LES HONORABLES | JULIE DUTIL, J.C.A. |
CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. |
ÉRIC HARDY, J.C.A. |
PARTIE REQUÉRANTE | AVOCAT |
SA MAJESTÉ LE ROI | Me SÉBASTIEN VALLÉE (Directeur des poursuites criminelles et pénales) |
PARTIE INTIMÉE | AVOCAT |
MAXIME BÉDARD | ABSENT |
NATURE DE L’APPEL : | 1. Requête en autorisation d’appel de la sentence rendue le 15 novembre 2024 par l’honorable Richard P. Daoust de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Chicoutimi2. Trafic de substances (amende en remplacement d’une ordonnance de confiscation de biens qui constituent des produits de la criminalité) |
Greffière-audiencière : Marianne Renaud | Salle : 4.33 |
9 h 32 | Appel du dossier et identification des parties; |
| Échanges entre la Cour et Me Vallée concernant l’absence de Monsieur Bédard; |
9 h 34 | Observations de Me Vallée; |
| Échanges entre la Cour et Me Vallée; |
| Me Vallée poursuit ses observations; |
9 h 44 | Suspension; |
9 h 57 | Reprise; |
9 h 58 | Arrêt, les motifs seront consignés au procès-verbal; |
10 h 00 | Fin de l’audience. |
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Marianne Renaud, greffière-audiencière |
- L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 15 novembre 2024 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale (l’honorable Richard P. Daoust)[1], lequel condamne l’intimé à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour à être purgée dans la collectivité, mais rejette sa demande pour qu’il soit condamné au paiement d’une amende compensatoire en vertu du paragraphe 462.37(3) du Code criminel.
- L’appelant ne remet pas en question la peine imposée à l’intimé, mais uniquement le refus du juge de le condamner au paiement d’une telle amende. Selon lui, le juge se serait laissé guider par des facteurs qu’il n’aurait pas dû prendre en considération.
- Cette amende a été réclamée à la suite du plaidoyer de culpabilité de l’intimé relativement à des chefs d’accusation de trafic de méthamphétamine et de transport d’un pistolet à air comprimé dont il faisait l’objet. L’intimé a commis ces infractions alors qu’il agissait en tant que revendeur de drogue pour le compte d’une organisation criminelle du Saguenay qui a fait l’objet d’une enquête policière ayant conduit à son arrestation. Interrogé par les policiers, l’intimé a admis s’être livré au trafic de méthamphétamine pendant au moins trois ans. Il déclare en avoir vendu pour un total de 156 000 $ pendant cette période à raison de 1 000 comprimés par semaine à un prix d’un dollar l’unité.
- Le repentir de l’intimé suscite la clémence du juge. La lecture de ses motifs démontre qu’il a été fortement impressionné par la façon dont l’intimé s’est pris en main et par les efforts qu’il a déployés pour se réhabiliter. Il a réglé son problème de dépendance à la drogue et aux jeux de hasard et a payé les dettes qui le maintenaient dans la criminalité. De surcroît, il occupe un emploi au sein d’une grande entreprise et bénéficie du soutien de sa mère.
- L’amende réclamée par l’appelant était de 75 000 $, soit un peu moins de la demie des revenus de 156 000 $ que l’intimé a tirés de la vente de comprimés de méthamphétamine.
- Le juge estime que l’imposition d’une telle amende est inutile puisqu’en l’espèce, l’objectif de dissuasion est déjà atteint[2]. Bien plus, elle nuirait à la réhabilitation de l’intimé en ce qu’elle pourrait l’inciter à recommencer à faire le trafic de stupéfiants pour l’acquitter[3]. Le juge souligne que l’intimé ne s’est pas enrichi en faisant la vente de méthamphétamine puisque le produit de celle-ci a servi à payer la drogue qu’il consommait et à rembourser ses dettes de drogue et de jeu[4]. Aussi, le juge trouve injuste d’imposer à l’intimé le paiement d’une telle amende alors que ce sont ses aveux aux policiers qui ont permis à l’appelant de connaître l’ampleur de ses activités criminelles et partant, de décider de la quotité de l’amende qu’il entendait lui réclamer[5].
- La réclamation de l’appelant prend assise sur le paragraphe 462.37(3) C.cr. Cette disposition s’inscrit à l’intérieur de mesures législatives qui ont été prises afin de priver le contrevenant des produits de son crime et aussi, de le dissuader de récidiver[6]. Pour autant, l’amende compensatoire « ne fait pas partie de la peine globale imposée pour la commission d’une infraction désignée »[7]. Les dispositions qui lui sont propres « écartent partiellement les règles générales concernant la détermination de la peine »[8].
- La quotité d’une telle amende est égale à la valeur du bien illégalement transigé et non aux profits nets réalisés par le contrevenant [9], quoique le poursuivant soit autorisé à la mitiger[10]. La capacité du contrevenant de payer l’amende compensatoire n’entre pas non plus en ligne de compte[11] sauf pour ce qui est de la fixation du délai de paiement[12]. S’il ne le fait pas dans le délai imparti, l’appelant doit purger une peine d’emprisonnement dont la durée est préalablement fixée par le juge selon le barème établi par le sous-alinéa 462.37(4)(iv) C.cr.
- Cette mise en contexte étant faite, la Cour estime que l’appel est bien fondé.
- Aussi louable que puisse être le souci du juge de ne pas compromettre la réhabilitation de l’intimé, force est de constater qu’il s’est éloigné des principes juridiques établis dans R. c. Vallières[13] et qu’il avait pourtant bien identifiés. Bien plus, la portée qu’il leur donne les vide de sens.
- Refuser d’infliger une amende compensatoire à l’intimé au motif qu’elle l’inciterait à « retourner à la rue dans le trafic pour pouvoir payer une telle somme »[14] revient à prendre en considération sa capacité de payer. Justifier un tel refus au motif que l’objectif de dissuasion est déjà atteint équivaut à faire fi de l’un des deux objectifs de l’amende compensatoire, soit que le contrevenant soit privé des produits de son crime. Par ailleurs, le fait que l’intimé ait avoué qu’il avait effectué le trafic de méthamphétamine jusqu’à hauteur de 156 000 $ ne saurait non plus être un facteur à considérer tout comme le fait que les revenus qu’il en a tirés aient servi à payer la drogue qu’il consommait, à financer ses activités de jeux de hasard et à payer ses dettes. Ces erreurs de droit rendent nécessaire l’intervention de la Cour.
- Il y a donc lieu d’ordonner le paiement d’une amende compensatoire que l’appelant a accepté de réduire à 75 000 $. Eu égard aux moyens financiers de l’intimé, un délai de paiement de cinq ans lui sera accordé à compter de la date de l’expiration de sa peine d’emprisonnement. À défaut par lui de ce faire, il devra purger une peine d’emprisonnement de 18 mois.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel du jugement sur la peine rendu le 15 novembre 2024;
- ACCUEILLE l’appel;
- INFIRME en partie le jugement sur la peine rendu le 15 novembre 2024 à la seule fin de remplacer le paragraphe 77 du dispositif de ce jugement par les paragraphes 77 à 80 que voici :
[77] ORDONNE à l’intimé de payer une amende compensatoire de 75 000 $ dans un délai de cinq ans à compter de la date de l’expiration de sa peine d’emprisonnement;
[78] À défaut du paiement de l’amende compensatoire à l’expiration de son terme, INFLIGE à l’intimé une peine d’emprisonnement de dix-huit mois et ORDONNE que cette peine soit purgée après toute autre peine d’emprisonnement infligée à l’intimé ou que celui-ci est en train de purger (alinéa 462.37(4)b) C.cr.);
[79] En cas de remboursement partiel de l’amende compensatoire à l’expiration de son terme, ORDONNE que la période d’emprisonnement soit réduite du nombre de jours ayant le même rapport avec la durée totale de la période d’emprisonnement qu’entre le remboursement partiel de l’amende et son montant initial, conformément au paragraphe 734.8(2) C.cr.;
[80] ORDONNE que l’intimé se présente devant un juge de paix pour l’accomplissement des obligations prévues au paragraphe 734.2(1) C.cr.
| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. |
[1] R. c. Bédard, 2024 QCCQ 6447 [jugement entrepris].
[6] R. c. Vallières, 2022 CSC 10, [2022] 1 R.C.S. 144, paragr. 33 et 37; R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392, paragr. 10 et 16; Badaro c. R., 2021 QCCA 1353, paragr. 210, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 janvier 2023, n° 39930.
[7] R. c. Vallières, supra, note 6, paragr. 33.
[8] R. c. Lavigne, supra, note 6, paragr. 52.
[9] R. c. Vallières, supra, note 6, paragr. 26, 29, 30 et 33.
[11] Id., paragr. 37; R. c. Lavigne, supra, note 6, paragr. 35-37, 44 et 52; O'Reilly c. R., 2017 QCCA 1286, paragr. 52, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 7 juin 2018, n° 37736.
[12] R. c. Lavigne, supra, note 6, paragr. 47 et 48; Bebawi c. R., 2023 QCCA 212, paragr. 121 et 141.
[13] R. c. Vallières, supra, note 6.
[14] Jugement entrepris, paragr. 71.