Décision

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Leduc c. Municipalité de Durham-Sud

2025 QCCA 446

COUR D'APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

MONTRÉAL

 

No : 

500-09-030483-234

        (405-17-002556-186)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE : Le 11 avril 2025

 

 

 

FORMATION : LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

JUDITH HARVIE, J.C.A.

 

CHRISTIAN IMMER, J.C.A.

 

PARTIES APPELANTES

 

 

Claude Leduc

 

 

ABsent et NON-REPRÉSENTÉ

 

 

fRANÇOIS PAYETTE

 

 

ABSENT ET NON REPRÉSENTÉ

 

MICHEL MORISSETTE

 

 

ABSENT ET NON REPRÉSENTÉ

PARTIES INTIMÉES

AVOCAT

 

Municipalité de Durham-Sud

sERVICE INCENDIE DE DURHAM-SUD

 

 

Me François Barré

(WT Montréal)

 

 

En appel d’un jugement rendu le 17 février 2023 par l’honorable Geeta Narang de la Cour supérieure, district de Drummond.

 

NATURE DE L’APPEL :

Municipal – Responsabilité – Service de pompier – Incendie – Immeuble – Perte totale – Immunité relative – Loi sur la sécurité incendie.

 

Greffière-audiencière : Charlie Mc Kale

Salle : Antonio-Lamer

 

AUDITION

 

9 h30

Début de l’audience.

Continuation de l'audience du 10 avril 2025. Les parties ont été dispensées d’être présentes à la Cour.

PAR LA COUR : Arrêt – voir page 3.

Fin de l’audience.

 

 

 

 

Charlie Mc Kale, Greffière-audiencière

 


ARRÊT

 

 

 

  1.                 Les appelants se pourvoient en appel d’un jugement rejetant leur demande en dommages-intérêts[1].
  2.                 Selon eux, la municipalité de Durham-Sud (« Municipalité ») ainsi que son service d’incendie ont été négligents en omettant de mettre en œuvre, en temps utile, les mesures pour éteindre le feu qui a rasé durant la nuit du 17 au 18 mars 2019 un duplex situé dans la Municipalité et en en demandant qu’une excavatrice abatte la structure restante pourtant saine. L’appelant Claude Leduc était propriétaire de ce duplex dont il occupait le deuxième étage, l’appelant Jean-François Payette était son prêteur hypothécaire, alors que l’appelant Michel Morissette était le locataire du rez-de-chaussée. Selon eux, les intimés doivent donc être condamnés à les indemniser pour les pertes qu’ils ont subies.
  3.                 Dans un jugement bien motivé, la juge de première instance rejette le recours. Elle conclut que la Municipalité bénéficie de l’immunité relative édictée à l’article 47 de la Loi sur la sécurité incendie (LSI)[2]. Elle estime que les appelants n’ont pas établi que le service d’incendie de la Municipalité a fait preuve de « négligence grossière » qui pourrait écarter cette immunité[3]. Bien au contraire, elle est d’avis que les « pompiers ont agi de façon diligente et professionnelle » et de « façon sérieuse et attentionnée »[4].
  4.                 La Cour conclut que le cadre d’analyse adopté par la juge ne contient pas d’erreur en droit et que les appelants ne relèvent aucune erreur de fait manifeste et déterminante. L’appel doit donc être rejeté.

***

  1.                 La juge explique succinctement le régime de l’article 47 LSI[5], explication qui est conforme aux principes énoncés par notre Cour dans Ville de Trois-Rivières c. Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances. Ainsi, une municipalité sera exonérée de toute responsabilité à deux conditions : 1) si elle a adopté un plan de mise en œuvre du schéma de couverture de risques (SCR) tel que prévu à l’article 10 LSI et 2) si elle a pris ou réalisé les mesures prévues au plan de mise en œuvre du SCR[6]. Or, la juge ne commet aucune erreur manifeste et déterminante en concluant que les deux conditions sont remplies.
  2.                 La juge relève d’abord que la municipalité régionale de comté (MRC) a effectivement adopté un SCR[7] et que l’intimée a préparé un plan de mise en œuvre (Plan) reproduit dans le SCR[8]. Cela n’est pas contesté par les appelants.
  3.                 Elle s’affaire ensuite à trancher si les mesures liées aux actes reprochés n’ont pas été prises ou réalisées conformément à ce qui a été établi dans le Plan. Elle identifie deux mesures qui devaient être prises ou réalisées : i) la force de frappe et ii) l’alimentation en eau.
  4.                 Au titre de la force de frappe, la Municipalité devait déployer une force d’attaque composée de 11 pompiers sur les lieux d’incendie dans un délai de 20 minutes de l’appel logé à 3:30. Or, la juge estime que cette mesure du Plan a été prise ou réalisée. Elle s’appuie à cet égard sur le témoignage du directeur du service d’incendie, Gaston Manseau, qui énumère les noms des 17 pompiers présents sur les lieux de l’incendie bien en deçà de 20 minutes, et qui relate par quels moyens ils s’y sont rendus[9]. Les appelants le contestent en proposant une lecture sélective du témoignage de M. Manseau, pour démontrer qu’il a plutôt relaté que 10 pompiers étaient présents. Ce n’est pas ce qui ressort de l’ensemble du témoignage de M. Manseau. Les appelants échouent donc à démontrer une erreur manifeste et déterminante dans l’analyse de la juge qui conclut que la mesure relative à la force de frappe a été prise ou réalisée.
  5.                 Au titre de la deuxième mesure à prendre selon le Plan, c’est-à-dire celle reliée à l’alimentation en eau, il ressort du SCR qu’il est attendu que les bornes-incendies fournissent un débit de 1 500 l/min. Le Plan de l’intimée prévoit qu’un programme d’entretien et de réfection des infrastructures d’alimentation en eau soit mis en place avec une codification du débit des poteaux incendie[10]. Or, il est ressorti du témoignage de M. Manseau que certaines bornes, dont la borne-incendie devant le duplex, qui ont été testées, avaient un débit de moins de 1 500 litres par minute. Leur emplacement était connu du service d’incendie, bien que les codes de couleur n’aient pas été apposés comme le prévoit le Plan[11]. Or, en présence de bornes non conformes, comme le relève la juge, le Plan prévoit expressément que cette nonconformité peut être compensée par la mise en place de toute mesure alternative suffisante, tel l’ajout d’un camion-citerne supplémentaire. Elle conclut que cette mesure alternative a effectivement été prise ou réalisée par l’utilisation de la piscine et de deux camionsciternes. Les appelants ne démontrent aucune erreur manifeste et déterminante dans les motifs de la juge qui la mènent à conclure que la deuxième mesure du Plan quant à l’alimentation en eau a aussi été prise ou réalisée.
  6.            Ainsi, les appelants ne démontrent pas que la juge ait erré en concluant que l’intimée bénéficiait de l’immunité prévue à l’article 47 LSI.
  7.            Comme la juge le relève, même si la Municipalité jouit d’une telle immunité, elle demeurera néanmoins responsable si elle commet une faute lourde, c’est-à-dire une faute qui « dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières »[12]. Il revenait donc aux appelants de rencontrer le très lourd fardeau de démontrer qu’elle avait commis une telle faute lourde. Or, les appelants reprochent au service d’incendie d’avoir commis les six fautes suivantes :
  1. En employant le mauvais protocole de déploiement des ressources, soit la mise en place d’une piscine, plutôt que le branchement de boyaux à la borneincendie, le service d’incendie de Durham-Sud a gaspillé de précieuses minutes avant de s’attaquer à ce début d’incendie.
  2. Une fois qu’il a commencé à arroser, toujours en employant le mauvais protocole de déploiement des ressources, le service d’incendie a arrosé avec un débit réduit par peur de manquer d’eau pendant un minimum d’une dizaine de minutes avant que les services d’incendie de Sainte-Christine ne viennent en renfort.
  3. Le service d’incendie, par l’emploi du mauvais protocole de déploiement des ressources applicables a, du début jusqu’à la fin de l’intervention, fonctionné avec 75 % de débit d’eau.
  4. Dans les premières minutes, les plus importantes d’un incendie, le service d’incendie n’a bénéficié que d’une force de frappe maximale de sept (7) pompiers, alors que son plan de ressources en prévoyait dix.
  5. Le service d’incendie a arrêté d’arroser pendant une quinzaine de minutes pour permettre à deux pompiers de récupérer deux objets personnels des appelants.
  6. Le service d’incendie n’aurait pas dû demander à l’opérateur de l’excavatrice de raser l’édifice puisqu’il n’était pas endommagé par le feu.
  1.            Comme formulé, aucune de ces fautes, même si elles étaient établies, ne se qualifie comme faute lourde. D’ailleurs, les appelants n’ont fait témoigner aucun expert pour établir les normes de conduite appropriées dans les circonstances.
  2.            Quoi qu’il en soit, la théorie de la cause des appelants repose sur la preuve de plusieurs éléments clés que la juge a passés en revue de façon détaillée, et n’a pas retenus. Pour se convaincre du bien-fondé de leur position, les appelants invitent la Cour à reprendre toute l’analyse des témoignages et à substituer son appréciation à celle du juge de première instance tout en n’identifiant aucune erreur manifeste et déterminante dans son analyse. Ce n’est pas le rôle de notre Cour[13].
  3.            Il ressort aussi des motifs que la juge retient les témoignages des témoins de la Municipalité. Elle juge que M. Manseau, Michel Noël, le maire qui est aussi pompier, et Benoît Noël sont convaincants et offrent des explications logiques. Elle conclut en particulier que M. Manseau se souvient de faits précis, tout en admettant « qu’il ne se souvienne pas d’autres »[14] et qu’il « n’est pas opposé à relater des faits qui peuvent aller à l’encontre de ses intérêts »[15]. D’un autre côté, elle se montre critique à l’égard des appelants. Lorsque M. Leduc témoigne, « il est émotif et a tendance à exagérer »[16] et messieurs Leduc et Payette livrent un témoignage « empreint d’émotions, au procès, ils semblent davantage préoccupés par le récit d’une histoire colorée que par la relation des faits dont ils sont témoins »[17]. Évidemment, de tels constats sur la crédibilité commandent une grande déférence. Les appelants n’ont pas convaincu cette Cour qu’il y a lieu d’écarter ces constats.
  4.            Il ressort de ce qui précède que les appelants n’ont pas établi une faute lourde qui écarterait l’immunité dont la Municipalité jouit en vertu de l’article 47 LSI.
  5.            Quant aux frais de justice, considérant les circonstances particulières entourant la participation de Michel Morissette au dossier qui sont relatées par la juge de première instance, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui ordonner de verser les frais de justice[18].

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

  1.            REJETTE l’appel, avec les frais de justice contre les appelants Claude Leduc et François Payette, mais sans frais de justice contre l’appelant Michel Morissette.

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

JUDITH HARVIE, J.C.A.

 

 

 

CHRISTIAN IMMER, J.C.A.

 


[1]  Payette c. Municipalité de Durham-Sud, 2023 QCCS 538 : ci-après le « le jugement entrepris ».

[2]  RLRQ, c S-3.4.

[3]  Jugement entrepris, paragr. 6.

[4]  Jugement entrepris, paragr. 5.

[5]  Jugement entrepris, paragr. 27.

[7]  Pièces D-3 et D-4, M.A., vol. 2, p. 143 à 393.

[8]  Pièce D-4, M.A., vol. 2, p. 329-332.

[9]  Interrogatoire en chef de Gaston Manseau, 14 novembre 2022, M.A., vol. 5, p. 953-955.

[10]  Pièce D-4, M.A., vol. 2, p. 332.

[11]  Contre-interrogatoire de Gaston Manseau, M.A., vol. 5, p. 1001-1012.

[12]  Art. 1474 C.c.Q.

[13]  Niu c. American Cinema Inspires Inc., 2025 QCCA 100, paragr. 5; Fiasche c. Zaraa, 2025 QCCA 28, paragr. 5; McGill Avocats inc. c. Roch, 2024 QCCA 1581, paragr. 45-50; Airpura Industries inc. c. Tak Design industriel inc., 2024 QCCA 1729, paragr. 9.

[14]  Jugement entrepris, paragr. 54.

[15]  Id.

[16]  Jugement entrepris, paragr. 49.

[17]  Jugement entrepris, paragr. 55.

[18]  Jugement entrepris, paragr. 66.

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