Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Rozon c. P.T.

2025 QCCA 432

COUR D'APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE MONTRÉAL

 

No :

500-09-031407-257

(500-17-116313-217) (500-17-116682-215) (500-17-116954-218)

(500-17-117295-215) (500-17-118516-213) (500-17-119062-217)

(500-17-122649-224) (500-17-122650-222) (500-17-122651-220)

 

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE : Le 11 avril 2025

 

 

 

FORMATION : LES HONORABLES

GUY GAGNON, J.C.A.

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

PARTIE APPELANTE

AVOCATS

 

GILBERT ROZON

 

Me MÉLANIE MORIN

(Morin Pelletier avocats)

Me PASCAL A. PELLETIER

(Morin Pelletier avocats)

Absent

 

Me LAURENT DEBRUN, avocat-conseil

(Spiegel Ryan)

Par visioconférence

 

PARTIES INTIMÉES

AVOCATS

 

P... T...

L... C...

D... F...

A... CH...

AN… CH…

S... M...

G... CO...

M… S…

MA... R...

 

 

Me BRUCE W. JOHNSTON

Me ANNE-JULIE ASSELIN

Me JESSICA LELIÈVRE

(Trudel Johnston & Lespérance)

 

PARTIE MISE EN CAUSE

AVOCATS

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

Me AMÉLIE BELLEROSE

Me CÉDRIC THOMAS-DELAROSBIL

(Bernard, Roy (Justice-Québec))

Par visioconférence

 

Me MICHEL DÉOM

Me AURÉLIE FORTIN

(Bernard, Roy (Justice-Québec))

Absents

 

 

 

DESCRIPTION :

Requête en rejet d’appel et pour abréger le délai de présentation prévu à l’art. 365 C.p.c. (Art. 365 al. 2 et 3 C.p.c.).

 

Greffière-audiencière : Ariane Simard-Trudel

Salle : Pierre-Basile-Mignault

 


AUDITION

 

9 h 30

Début de l’audience.

Continuation de l'audience du 7 avril 2025. Les avocats ont été dispensés d’être présents à la Cour.

PAR LA COUR : Arrêt – voir page 4.

Fin de l’audience.

 

 

 

 

Ariane Simard-Trudel, Greffière-audiencière

 


ARRÊT

 

 

 

  1.                 Les intimées demandent le rejet sommaire de l’appel d’un jugement rendu le 7 mars 2025 par la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure qui refuse à l’appelant la permission d’administrer certains éléments de preuve présumés non pertinents en vertu du nouvel article 2858.1 C.c.Q.[1]. La requête en rejet intervient après qu’un juge de cette Cour eut autorisé l’appelant à se pourvoir contre ce jugement[2].
  2.                 Cette apparente incongruité s’explique toutefois par le fait que les intimées ont déposé au dossier de la Cour un acte de désistement des conclusions rendues en leur faveur dans le jugement entrepris. Peu impressionné par cette démarche, l’appelant persiste dans sa demande de poursuivre l’appel.
  3.                 Le procès dans lequel les parties sont engagées se déroule depuis le 9 décembre 2024 et 40 témoins ont déjà été entendus. Il semble que plusieurs autres semaines seront nécessaires pour compléter la preuve de part et d’autre. Or, l’adoption le 4 décembre 2024 du nouvel article 2858.1 C.c.Q. est venue modifier certaines règles de preuve avec comme conséquence de susciter chez les parties des positions divergentes quant à son application. Cette disposition est ainsi rédigée :

2858.1. Lorsqu’une affaire comporte des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale, sont présumés non pertinents: 

 

1° tout fait relatif à la réputation de la personne prétendue victime de la violence; 

 

2° tout fait relié au comportement sexuel de cette personne, autre qu’un fait de l’instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité; 

 

3° le fait que cette personne n’ait pas demandé que le comportement cesse;

 

4° le fait que cette personne n’ait pas porté plainte ni exercé un recours relativement à cette violence; 

 

5° tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée; 

 

 

6° le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l’auteur allégué de cette violence.

 

Tout débat relatif à la recevabilité en preuve d’un tel fait constitue une question de droit et se tient à huis clos, malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12).

2858.1. Where a matter contains allegations of sexual violence or spousal violence, the following facts are presumed to be irrelevant:

 

(1) any fact relating to the reputation of the person who is the alleged victim of the violence;

 

(2) any fact related to the sexual behaviour of that person, other than a fact pertaining to the proceeding, and that is invoked to attack the person’s credibility;

 

(3) the fact that the person did not ask that the behaviour cease;

 

 

(4) the fact that the person did not file a complaint or exercise a recourse regarding the violence;

 

(5) any fact in connection with the delay in reporting the alleged violence; and

 

(6) the fact that the person maintained relations with the alleged perpetrator of the violence.

 

Any debate relating to the admissibility in evidence of any such fact is an issue of law and is to be held in camera, despite section 23 of the Charter of human rights and freedoms (chapter C-12).

  1.                 Les intimées ont témoigné en preuve principale. Toutefois, lors de deux contreinterrogatoires, des objections à des questions portant sur des sujets possiblement visés par l’article 2858.1 C.c.Q. ont été soulevées. Dans un souci d’efficacité et conformément à une pratique largement répandue devant les tribunaux de première instance, la juge a préféré prendre ces objections sous réserve. Toutefois, il devenait inévitable que la portée de cette disposition soit tranchée.
  2.                 C’est ainsi que le 16 janvier 2025, la juge rend une décision portant sur le cadre juridique applicable à la disposition en cause. Dans ce jugement qui n’a pas été porté en appel et sur lequel notre Cour n’a pas eu à se pencher, la juge décide que l’article 2858.1 C.c.Q est d’application immédiate[3] et, à défaut d’une objection présentée en vertu de cette disposition, « le tribunal [devra] intervenir en exerçant son pouvoir discrétionnaire afin d’assurer que les éléments de preuve présumés non pertinents [soient] bel et bien admissibles »[4].
  3.                 Dans le même jugement, la juge précise aux parties la procédure à suivre pour renverser la présomption de non-pertinence prévue à l’article 2858.1 C.c.Q. Finalement, elle discute du moment opportun pour tenir le débat provoqué par l’avis d’inconstitutionnalité transmis par l’appelant au Procureur général du Québec. La juge mentionne que cette discussion pourra avoir lieu avant la présentation de la preuve de « faits similaires » et de la preuve de la défense. Toutefois, un changement imprévu de situation vient brouiller le contexte procédural établi et force le report du débat sur la question constitutionnelle pour se tenir qu’après la présentation de la preuve des parties. Ce nouveau cadre procédural n’est pas remis en cause en appel.
  4.                 Pour la suite du procès, les parties doivent donc se gouverner selon les prescriptions du jugement du 16 janvier. En prévision des contre-interrogatoires des témoins des intimées et de son propre témoignage, l’appelant présente différentes demandes sous l’article 2858.1 C.c.Q. selon la procédure définie par la juge. Ces demandes donnent lieu au jugement du 7 mars 2025 dans lequel la juge détermine les questions autorisées et celles qui ne le sont pas. Il s’agit du jugement entrepris.
  5.                 L’autorisation de l’appel de ce jugement conduit les intimées à s’en désister pour, disent-elles, ne pas retarder indûment le procès et permettre qu’il puisse être complété avant la fin du terme. Elles acceptent donc que leurs objections soient prises sous réserves et, de fait, elles consentent à répondre aux questions de l’appelant.
  6.                 Au soutien de leur requête en rejet, les intimées plaident que la seule fin recherchée par l’appel est de permettre l’administration d’une preuve que le jugement du 7 mars 2025 a considéré irrecevable aux termes de l’article 2858.1 C.c.Q. Selon elles, l’appel est donc devenu sans objet puisque les désistements aux droits découlant du jugement entrepris procurent à l’appelant tout ce qu’il recherche en appel. Il s’ensuit que le préjudice irrémédiable identifié dans le jugement octroyant la permission d’appeler n’existe plus. À la fin du procès, la juge du fond pourra revoir la pertinence des éléments contestés au regard de l’ensemble de la preuve et du débat constitutionnel à venir.
  7.            Toujours selon les intimées, non seulement le présent appel est inutile, mais il contrevient au principe de la proportionnalité.
  8.            Pour sa part, l’appelant plaide que le désistement n’est pas conforme à l’article 333 C.p.c. puisqu’il ne l’a pas accepté. Il ajoute que le désistement des intimées ne peut avoir pour effet de l’empêcher de contester en appel le jugement du 7 mars 2025 sans quoi, il subira « un fort préjudice ».
  9.            Au surplus, il plaide que l’article 2858.1 C.c.Q. visant la protection de l’intérêt général, les intimées ne pouvaient validement renoncer à son application aux termes de l’article 1418 C.c.Q. L’appelant s’inquiète aussi du fait que la juge a déjà refusé certaines preuves rendant ainsi son jugement au fond prévisible.

***

  1.            Tout d’abord, l’objet de l’appel ne peut dépendre du refus de l’appelant d’accepter le désistement des intimées (article 333 al. 2 C.p.c.). Pour décider de la portée de l’acte de désistement déposé au dossier de la Cour, il suffit de constater que la  renonciation des intimées aux droits que leur confère le jugement entrepris est complète et que les conclusions recherchées en appel par l’appelant sont satisfaites par le biais de cette renonciation. En l’espèce, ces deux conditions sont satisfaites.
  2.            En effet, si son appel devait être accueilli, l’appelant demande à la Cour :

49. Par ailleurs, lors de l’appel, l’Appelant entend demander à la Cour d’appel de :

a)  ACCUEILLIR l’appel;

b)  INFIRMER le jugement rendu en cours d’instance le 7 mars 2025 par l’honorable Chantal Tremblay, j.c.s. dans les dossiers portant les numéros 50017116313217, 50017116682215, 50017116954218, 50017117295215, 50017118516213, 50017119062217, 50017122649224, 50017122650222 et 50017122651220;

c)  PERMETTRE à l’Appelant d’administrer dans le cadre de l’instruction de ces dossiers sa preuve portant sur les éléments et sujets identifiés notamment dans sa Demande re-modifiée d’audition visant à mettre en preuve des éléments de faits dans le cadre du contre-interrogatoire de madame Véronique Moreau et dans le cadre de la preuve en défense concernant madame Véronique Moreau sous 2858.1 C.c.Q. et de la Demande d’audition visant à mettre en preuve des faits dans le cadre de la preuve en défense sous 2858.1 C.c.Q.;

e)  CONDAMNER les Intimées aux frais de justice.[5]

  1.            Par ailleurs, les intimées ont expressément renoncé au bénéfice du jugement entrepris comme le démontre l’acte de désistement ci-après reproduit au complet :
  1. La demanderesse déclare qu'elle se désiste en totalité des conclusions qui lui sont favorables dans le jugement rendu par l'honorable Chantal Tremblay, j.c.s., en date du 7 mars 2025, renonçant ainsi aux droits qui lui résultent de celui-ci, soit les conclusions suivantes :

[186]  REFUSE la recevabilité en preuve de tous les faits concernant le comportement postérieur de P... T... énoncé au paragraphe 48A)b) et 48B)a) de la Demande;

[188] REJETTE la demande du défendeur concernant la preuve reliée au comportement et à l'attitude de M... S... au travail énoncés au paragraphe 52A)a) de la Demande;

[190]  REFUSE la recevabilité en preuve de tous les faits concernant le comportement postérieur de M... S... énoncé au paragraphe 52A)b) de la Demande;

[191] REJETTE la demande du défendeur concernant la preuve du comportement de Ma... R... antérieur et postérieur aux agressions, et ce, à l'endroit du défendeur, au travail et lors des activités familiales tel qu'énoncés au paragraphe 60A)a) et 60 B)a) dela Demande; Citer le paragr 1 de l’acte de désistement;

[193] REJETTE la demande du défendeur eu égard à son témoignage aux sujets de la dynamique familiale en raison des problèmes de drogue et d'argent de Ma... R..., incluant la commission de larcins énoncés au paragraphe 60A)a) de la Demande;

[195]  REFUSE la recevabilité en preuve des relations professionnelles entre Julie Snyder et M. Rozan postérieures à l'agression invoquée ainsi que la pièce D-26, lesquelles sont visées au paragraphe 70A)a) et 70B)a) de la Demande;

[196] REFUSE la recevabilité en preuve de l'émission Les Échangistes animée par Pénélope McQuade qui est postérieure à l'agression invoquée et visée au paragraphe 76 de la Demande;

[199] REJETTE la demande du défendeur de contre-interroger Véronique Moreau sur les sujets énoncés au paragraphe paragraphe 25a) iii) de la Demande remodifiée;

[200] REJETTE la demande du défendeur de contre-interroger Véronique Moreau sur les sujets énoncés au paragraphe paragraphe 25b) ii) de la Demande remodifiée;

[202] REJETTE les autres demandes énoncées aux paragraphes 25c)i),ii),iii), 25k) et 27.2A)b) de la Demande remodifiée;

[203]  REJETTE les demandes énoncées aux paragraphes 25d) et 27.2A)c)i)ii) de la Demande remodifiée;

[205] REJETTE les autres demandes du défendeur énoncées aux paragraphes 25e) et 27.2A)d) de la Demande remodifiée;

[206] REJETTE les demandes du défendeur énoncées aux paragraphes 25f), 27.1 a), b) et 27.2A)e)) de la Demande remodifiée; [6]

  1.            Il est donc manifeste que la renonciation des intimées porte précisément sur le redressement recherché par l’appelant. Lorsqu’analysé sous cet angle, les intimées ont donc raison de prétendre que l’appel n’a plus d’objet.
  2.            En effet, la situation n’est plus celle qui prévalait lors du jugement pour permission d’appeler du jugement du 7 mars 2025 alors que le juge autorisateur écrivait à juste titre :

[11] Les parties intimées m’invitent à considérer que le préjudice n’est pas ici irrémédiable vu l’ouverture de la juge à reconsidérer l’admissibilité de certains faits interdits selon le déroulement de l’instruction et les précisions que pourrait apporter la partie requérante sur leur pertinence. Elles plaident que cette voie respecte davantage le principe de proportionnalité.

[12] L’argument est invitant. Je note également que la juge a laissé ouverte la possibilité de revoir sa décision si elle déterminait que la nouvelle disposition était inconstitutionnelle.

[13] La proposition des parties intimées fonctionne dans la mesure où la juge ne commet aucune erreur de droit dans son interprétation de la nouvelle disposition et dans son application, qui elle aussi est une question de droit selon le texte même de la loi. Dans le cas contraire, la partie requérante est illégalement empêchée, en tout ou en partie, d’administrer une preuve importante qui est pertinente au sens du droit. Or, il s’agit d’une nouvelle disposition dont les contours n’ont jamais été débattus. Il est périlleux à ce stade d’affirmer que l’appel ne présente aucune […] chance raisonnable de succès.

[14] Je conclus que la partie requérante a démontré que le jugement lui causait un préjudice irrémédiable. Je suis également d’avis que le principe de proportionnalité est respecté vu, d’une part, la nature complexe de l’instruction en cours et, d’autre part, les questions difficiles que soulève la nouvelle disposition législative.

[Soulignements ajoutés]

  1.            Le préjudice irrémédiable dont parle notre collègue le juge Vauclair dans son jugement d’autorisation est tout simplement disparu dès l’instant où les intimées renonçaient à se prévaloir des conclusions du jugement entrepris rendues en leur faveur.
  2.            Au regard de ce qui précède, il tombe sous le sens que l’appelant pourra administrer la preuve souhaitée et plaider, au stade du fond, sa recevabilité aux termes de l’article 2858.1 C.c.Q. La juge pourra alors trancher cette question en bénéficiant de l’ensemble de la preuve. En somme, l’appelant ne réussit pas à démontrer un quelconque préjudice puisque les renonciations en cause lui confèrent exactement les droits recherchés en appel.
  3.            On peut aussi ajouter que l’illégalité d’une preuve ne donne pas nécessairement ouverture à une intervention en appel si celle-ci est sans conséquence sur le dispositif du jugement. Or, pour apprécier cette question, il est préférable que la Cour bénéficie de toute la preuve litigieuse, de son contexte et d’une décision motivée du juge du procès appelé à trancher les positions divergentes des parties.
  4.            De plus, la continuation du procès, la terminaison de la preuve dans un avenir prévisible et la tenue du débat constitutionnel sur l’article 2858.1 C.c.Q. à la fin du procès sont autant de considérations qui s’inscrivent dans le respect de la règle de la proportionnalité.
  5.            Ajoutons que si la Cour devait donner suite à l’invitation de l’appelant, elle serait alors tenue d’interpréter la disposition litigieuse avec le risque de perturber, voire d’empiéter sur des aspects d’un débat constitutionnel qui n’a pas encore eu lieu en première instance. En effet, il n’est pas acquis que ces deux questions (interprétation et constitutionnalité) puissent évoluer en parallèle sans jamais se rejoindre ou s’influencer.
  6.            Par ailleurs, le procès devra se continuer, peu importe le résultat en appel. À supposer qu’il se termine par une position favorable à l’appelant quant à ses arguments constitutionnels, on peut raisonnablement penser que le Procureur général du Québec sera enclin à vouloir s’enquérir de l’opinion de la Cour sur cette question. Selon ce scénario, cela voudrait dire deux pourvois et peut-être même deux procès. Voilà une possibilité qui met sérieusement à mal la règle de la proportionnalité.
  7.            L’appelant plaide aussi que le jugement entrepris a rendu prévisible la position de la juge sur la pertinence de certaines preuves. L’argument néglige de considérer l’obligation d’objectivité à laquelle est tenu tout juge appelé à présider un procès. De plus, bien avant l’appel de son jugement du 7 mars, la juge prenait soin de rassurer l’appelant en lui signalant qu’un rejet de preuve ne signifiait pas pour autant qu’il était forclos de revenir à la charge avec la même question plus tard durant le procès. Cette ouverture d’esprit est bien démontrée dans ce passage du jugement entrepris :

[15] Le contexte des présentes instances est exceptionnel. Elles impliquent de nombreux témoignages de faits similaires, pris sous réserve d'objections, ainsi qu'une toute nouvelle disposition entrée en vigueur quelques jours avant le début du procès. Pour cette raison, et à la lumière du paragraphe 122 de son jugement du 16 janvier 2025, le Tribunal prend soin de mentionner que le défendeur ne sera pas forclos de présenter, oralement ou par écrit, toute nouvelle demande en vertu de l'article 2858.1 C.c.Q. concernant sa preuve en défense, advenant qu'il n'ait pas satisfait son fardeau de démonstration dans le cadre de sa Demande par manque de précisions sur la teneur de la preuve qu'il compte administrer, ou bien en raison du caractère évolutif de la preuve, à moins bien sûr qu'une telle demande soit jugée abusive.

  1.            Pour finir, l’appelant soulève un doute quant à la validité des désistements des intimées au motif que la protection conférée par l’article 2858.1 C.c.Q. pourrait, en raison de sa nature même, être d’ordre public de direction. Si tel était le cas, l’appelant suggère que les intimées ne peuvent pas renoncer à l’application de cette disposition comme leur acte de désistement le fait voir.
  2.            À première vue, cet argument peut paraître séduisant. La juge a d’ailleurs conclu dans son jugement du 16 janvier 2025 qu’elle devrait d’office soulever une objection sous 2858.1 C.c.Q. si la situation l’exigeait. Cette affirmation annonçait déjà une logique d’ordre public de direction en vertu de l’article 1418 C.c.Q.
  3.            Il demeure toutefois que la position de l’appelant ne s’impose pas à l’esprit d’emblée. Par exemple, et sans en décider formellement, il se peut qu’en matière d’objection à la preuve, la logique doive être différente. Une analogie peut ainsi être faite avec le secret professionnel qui, bien qu’il interpelle la protection de l’intérêt général, peut tout de même faire l’objet d’une renonciation par son bénéficiaire[7].
  4.            L’intérêt protégé par l’article 2858.1 C.c.Q. et son régime applicable pourront toujours être soulevés en première instance. Le cas échéant, la juge pourra trancher ces points précis au stade du fond. Encore une fois, l’éclairage qu’est susceptible d’apporter un jugement sur ces questions, si bien entendu elles se posent toujours en première instance, sera d’une grande utilité en appel advenant qu’il y en ait un.
  5.            Mais surtout, il importe de souligner le caractère plutôt singulier de cet argument dans les circonstances très particulières du dossier. Voilà que, pour convaincre la Cour de l’opportunité de poursuivre cet appel, l’appelant soulève l’éventuelle invalidité de la renonciation des intimées à leurs droits découlant du jugement entrepris en s’appuyant sur la nature de la protection prévue par l’article 2858.1 C.c.Q., alors même qu’un tel argument militerait en faveur du rejet de son pourvoi. Cela pourrait difficilement mieux illustrer l’idée selon laquelle le présent appel est devenu sans objet.
  6.            En somme, comme l’appel ne procure rien de plus à l’appelant que les renonciations des intimées ne lui accordent déjà, l’intérêt de la justice et la règle de la proportionnalité militent pour le rejet du pourvoi

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

  1.            ABRÈGE le délai de présentation de la présente requête en rejet d’appel;
  2.            ACCUEILLE la requête en rejet d’appel, avec frais de justice.
  3.            REJETTE l’appel, avec frais de justice.

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 


[1]  A.C. c. Rozon, C.S. Montréal, nos 50017116313217, 50017116682215, 50017116954218, 50017117295215, 50017118516213, 50017119062217, 50017122649224, 50017122650222, 50017122651220, 7 mars 2025, Tremblay, j.c.s.

[2]  Rozon c. P.T., 2025 QCCA 281.

[3]  A.C. c. Rozon, 2025 QCCS 63, paragr. 67.

[4]  Id., paragr. 112.

[5]  Demande [de l’appelant] d’ordonnance de sauvegarde visant la suspension immédiate de l’instance, en suspension d’instance et pour permission d’appeler d’un jugement rendu en cours d’instance refusant l’administration d’une preuve dans le cadre de l’application du nouvel article 2858.1 C.c.Q., allégation 49.

[6]  Acte de désistement d’un jugement déposé par les intimées le 17 mars 2025.

[7]  Glegg c. Smith & Nephew Inc., 2005 CSC 31; Association des pompiers professionnels de Québec inc. c. Québec (Ville de), 2013 QCCA 2084, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 17 avril 2014, no 35715; Placements Banque Nationale inc. c. Quigley, 2013 QCCA 1358, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 novembre 2018, no 38017; Biomérieux inc. c. GeneOhm Sciences Canada inc., 2007 QCCA 77, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 14 juin 2007, no 31922; StAlban (Municipalité de) c. Récupération Portneuf inc., 1999 CanLII 13284 (QC CA), [1999] R.J.Q. 2268 (C.A.).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.