Décision

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A.G. c. Fortin

2025 QCCQ 3118

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

 :

500-32-720648-239

 

 

DATE :

 22 juillet 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

A. G.

Demanderesse

c.

 

HÉLÈNE FORTIN

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

LE LITIGE

  1.                 Il s’agit d’un recours en matière de responsabilité professionnelle.
  2.                 La demanderesse réclame à titre de dommages moraux, la somme de 15 000 $ à la défenderesse dans le cadre d’une expertise médicale indépendante demandée par son assureur, SSQ Assurance, qui a été réalisée par la défenderesse Dre Fortin qui est médecin spécialisé en psychiatrie.
  3.                 Elle allègue entre autres que le rapport préparé par Dre Fortin est incomplet, truffé d’erreurs et d’insinuations.
  4.                 La demanderesse soulève la façon que Dre Fortin a conduit l’expertise, procédé à l’examen psychiatrique et rédigé son rapport manifestement erroné constitue une faute caractérisée sur le plan du droit civil.
  5.                 Selon la demanderesse, les erreurs commises par Dre Fortin sont nombreuses et pointent toutes vers sa décrédibilisation dans l’expression de ses limitations fonctionnelles à exercer ses tâches de professeure d’université. Ces manquements constituent une faute de la part de Dre Fortin, qui ne respecte pas ainsi les règles de l’art dans la rédaction d’une expertise, qui devrait être objective et indépendante.
  6.                 Elle demande au Tribunal de   :

      Déclarer que le rapport d’expertise de Dre Fortin ne respecte pas les règles de l’art;

      Condamner Dre Fortin à lui payer la somme de 15 000,00 $, à titre de dommages moraux pour atteinte à l'intégrité psychologique et atteinte à la dignité et à l'honneur.  

  1.                 Dans sa contestation modifiée, Dre Fortin soumet qu’elle a agi en tout temps pertinent comme médecin experte prudente et diligente, et ce conformément aux standards de pratique applicables. Les conclusions de son rapport sont basées sur ses observations de la demanderesse lorsqu’elle était en salle d’attente et dans son bureau, sur l’entrevue avec elle, ainsi que sur la révision de ses dossiers médicaux auxquels, elle avait accès.
  2.                 Docteure Fortin nie les manquements reprochés et elle demande le rejet du recours intenté contre elle.

QUESTIONS EN LITIGE

  1.                Les principales questions à traiter afin de disposer de ce litige sont les suivantes :

      La demanderesse a-t-elle réussi à démontrer par prépondérance de preuve que lors de son évaluation, Dre Fortin a posé des gestes qui portent atteinte à son intégrité psychologique et atteinte à sa dignité et à son honneur.  

      La demanderesse a-t-elle réussi à démontrer par prépondérance de preuve que le rapport final d’expertise rédigé par Dre Fortin ne respecte pas les règles de l’art de la médecine d’expertise?

      Dans l’affirmative, quel est le montant à accorder à la demanderesse à titre de dommages moraux ?

 

 

MOYENS PRÉLIMINAIRES

  1.            Au début de l’audience, la demanderesse présente une requête verbale pour des ordonnances de :  huis clos, non-divulgation, mise sous scellés et anonymisation de ses informations nominatives.
  2.            Voici les motifs écrits de la décision rendu verbalement à l’audience.
  3.            Il ressort de la lecture de la demande, de la contestation modifiée, des pièces produites au dossier, et plus particulièrement de la transcription complète de l’évaluation psychiatrique effectuée par la Dre Fortin, que les informations contenues dans la plupart des pièces produites au dossier de la Cour tant au soutien de la demande et de la contestation, se retrouvent des informations personnelles et privées qui concernent l’état de santé mentale de la demanderesse.
  4.            La demanderesse soulève avec justesse que la nature sensible des informations médicales nécessaires à l'exercice de ce recours s'apparente à celle d'une requête pour garde en établissement prévue à l'article 16 du Code de procédure civile (C.p.c.), pour laquelle, les causes sont entendues à huis clos.
  5.            Elle plaide qu’il s'agit d'un intérêt légitime important au sens de l'article 12 C.p.c. et de l'arrêt (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, pour lequel la publicité des débats pose un risque important qui ne peut être protégé autrement et que la balance des inconvénients milite en faveur du respect de la sauvegarde de sa dignité.
  6.            Le principe de la publicité des débats judiciaires est prévu à l’article 11 C.p.c. qui énonce :

11. La justice civile administrée par les tribunaux de l’ordre judiciaire est publique. Tous peuvent assister aux audiences des tribunaux où qu’elles se tiennent et prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux.

Il est fait exception à ce principe lorsque la loi prévoit le huis clos ou restreint l’accès aux dossiers ou à certains documents versés à un dossier.

Les exceptions à la règle de la publicité prévues au présent chapitre s’appliquent malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12).

  1.            Les exceptions aux principes de la publicité des débats judiciaires est énoncé à l’article 12 C.p.c :

12. Le tribunal peut faire exception au principe de la publicité s’il considère que l’ordre public, notamment la protection de la dignité des personnes concernées par une demande, ou la protection d’intérêts légitimes importants exige que l’audience se tienne à huis clos, que soit interdit ou restreint l’accès à un document ou la divulgation ou la diffusion des renseignements et des documents qu’il indique ou que soit assuré l’anonymat des personnes concernées.[1] 

(Nos soulignements)

  1.            Dans la cause Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (E.B.) c. 9302-6573 Québec inc. (Bar Lucky 7)[2], le Tribunal des droits de la personne, sous la plume de l’Honorable Catherine Pilon écrit :

[23]   Plusieurs renseignements ont été considérés par les tribunaux comme faisant partie de l’identité fondamentale d’une personne, de sorte que la divulgation de ceux-ci poserait un risque sérieux. La divulgation de l’historique de santé mentale14 et de l’orientation sexuelle d’une partie ont notamment été reconnues par la Cour suprême en tant que renseignements personnels pouvant entraîner un risque sérieux à la dignité de la partie s’ils étaient diffusés15.

(Citations de bas de pages omises)

  1.            Ces principes qui sont établis par la Cour suprême dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan[3],  cité par madame la juge Pilon, s’appliquent dans la présente cause.
  2.            Pour ces motifs, le Tribunal conclut que nous sommes devant une situation où les critères sont rencontrés pour donner ouverture l’exception au principe de la publicité des débats.
  3.            Hormis les pièces D-5 et D-6 qui ne contiennent pas d’information sur l’historique de santé de la demanderesse, la mise sous scellé demandé est accordée pour les autres pièces identifiées par la demanderesse.

Pour ces motifs, le Tribunal :

 

ACCEUILLE la demande de huis clos ;

ORDONNE le huis clos;

ORDONNE l’anonymat de la demanderesse;

ORDONNE la mise sous scellés des pièces (Pièces D-2, D-3, D-4), (P-1 à P-9, P-23, 27,28 et 29);

ORDONNE la confidentialité et l'accès restreint au dossier et à l'enregistrement des débats.

  1.            Comme autre moyen préliminaire la demanderesse a soulevé que la défenderesse a transmis hors délai, l’avis pour confirmer la présence de son témoin expert à l’audience.
  2.            Lors de la conférence de gestion tenue le 19 décembre 2024, la défenderesse a annoncé que son témoin expert Dr Girard serait présent au procès pour témoigner. Elle avait déposé son rapport d’expertise au dossier dès le 10 décembre 2024.
  3.            Il s'agit d'une poursuite en responsabilité professionnelle qui nécessite l'avis d'un expert sur les règles de l'art et les standards de pratique en médecine d'expertise en psychiatrie, champ d'expertise médicale surspécialisé.
  4.            Le Tribunal conclut que la demanderesse ne subit aucun préjudice, en raison de l’avis produit 5 jours hors délai.  En conséquence la défenderesse est relevée de son défaut de produire l’avis dans les délais, le Dr Girard est autorisé à témoigner à l’audience.                                                            

LES FAITS  

  1.            Il est utile de reproduire ici les faits pertinents qui sont allégués dans la demande :

[…]

La demanderesse est professeure à une Faculté de droit à l’Université […], depuis novembre 2008 et a obtenu sa titularisation en 2019.

Le 7 janvier 2019, la demanderesse est mise en arrêt de travail par son médecin traitant, Dr Michel Laramée, médecin psychiatre, qui émet aussi les certificats et rapports médicaux pertinents jusqu'à son départ à la retraite, le 30 juin 2019. Des formulaires détaillés, datés du 16 janvier 2019 et du 18 avril 2019 sont alors remplis par ce dernier et transmis à l’employeur de la demanderesse, […]

À compter du mois de juillet 2019, le suivi de la demanderesse est effectué par Dre Maroussia Groleau, sa médecin de famille.

Le 27 juin 2019, la demanderesse soumet sa demande d'indemnisation pour invalidité auprès de son assureur, SSQ, Société d’assurance-vie Inc. (ci-après «SSQ») accompagné d'un formulaire médical au soutien de celle-ci, […]

Le 11 juillet 2019, SSQ accepte la réclamation de la demanderesse reconnaissant ainsi son invalidité au travail et la demanderesse commence alors à recevoir les prestations d’invalidité de SSQ, […]

Conformément à une demande de SSQ, un résumé de dossier du Dr Laramée et les notes cliniques de Dre Groleau du 18 janvier 2019, 20 juin 2019 et 8 août 2019 lui sont ensuite transmis. […].

De même, toujours à la demande de SSQ en septembre 2019, Dre Maroussia Groleau lui soumet le 26 octobre 2019 un rapport en lien avec la condition médicale de la demanderesse, évaluée le 18 octobre 2019, […]

Le 18 octobre 2019, immédiatement après le rendez-vous médical avec Dre Groleau et avant de recevoir le rapport réclamé, SSQ téléphone à la demanderesse et exige qu’elle se soumette à une évaluation psychiatrique, le 30 octobre 2019 auprès de la Dre Hélène Fortin, médecin psychiatre, le tout par l’intermédiaire de FFA Expertises, […]

Le 30 octobre 2019, la demanderesse se rend au bureau de la défenderesse pour se soumettre à l’examen exigé. L'attente surplace s’avère très difficile pour elle, au point qu'elle déclenche chez elle une crise d’anxiété.

Compte tenu de ses appréhensions, la demanderesse choisit d’enregistrer la rencontre, sans en informer Dre Fortin, […]

  1.            Dans la demande produite au dossier, la demanderesse décrit aux paragraphes 15 à 28, les manquements reprochés à la Dre Fortin en ces termes :

II. Faute de la défenderesse

  1. Dès les premiers instants de la rencontre, la demanderesse perçoit clairement de la défenderesse qu’elle est totalement insensible à son anxiété et qu’elle n’en croit pas la sincérité.
  2. Cette perception de la demanderesse se confirme lorsque, le 30 décembre 2019, elle prend connaissance du rapport de la défenderesse consécutif à la rencontre du 30 octobre 2019 puisqu'il est truffé d’erreurs grossières, tant sur le plan médical que sur le plan factuel, […].
  3. La demanderesse soumet que la façon dont la défenderesse a conduit son expertise, procédé à l’examen psychiatrique de la demanderesse et enfin, rédigé son rapport manifestement erroné constitue une faute caractérisée sur le plan du droit civil qui témoigne de sa partialité et devrait conduire le tribunal à déclarer qu’il contient des erreurs graves, qu'il est irrégulier et qu’il doit être rejeté, tant il manque d’objectivité.
  4. En effet, les erreurs commises par la défenderesse sont nombreuses et pointent toutes vers la décrédibilisation de la demanderesse dans l’expression de ses limitations fonctionnelles à exercer ses tâches de professeure d’université.
  5. Dès le début de la rencontre, la défenderesse a admis qu’elle n’avait pas lu le dossier médical de la demanderesse.
  6. Au cours de la rencontre, la défenderesse a énoncé plusieurs commentaires désobligeants à la demanderesse, en plus d’argumenter avec elle. Ces commentaires, en plus d’être discriminatoires et abusifs, ont profondément blessé et ébranlé la demanderesse alors qu’elle était déjà en situation de grande vulnérabilité. Il en a résulté une atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique de la demanderesse. L’attitude et les commentaires de la défenderesse ont en outre biaisé l’entretien puisqu’ils obligeaient la demanderesse à être constamment sur la défensive.

Alors qu’elle devait évaluer la capacité de travailler et les limitations fonctionnelles de la demanderesse, au cours de la rencontre, la défenderesse n’a pas procédé à une anamnèse complète de la demanderesse, compromettant d’autant la qualité et l’exactitude de son rapport.

  1. Malgré ces faute imprudence et incurie dans l’examen concernant les limitations fonctionnelles de la demanderesse, la défenderesse a produit un rapport dit d’expertise indépendante et déjà produit comme pièce P-8. Ce rapport adopte le principe de la discordance et de la divergence en défaveur de la demanderesse et conclut à l’absence de limitations fonctionnelles professionnelles de la demanderesse, alors que la défenderesse n’a pas pris la peine de vérifier avec soin les données pourtant exactes et complètes rapportées par les divers médecins traitants de la demanderesse.
  2. Ces manquements constituent une faute de la défenderesse, qui ne respecte pas ainsi les règles de l’art dans la rédaction de son expertise, qui devait être objective et indépendante.
  3. Entre autres procédés démontrant un manquement aux règles de l’art, on peut noter les éléments suivants, qui orientent le lecteur et teintent l’expertise:
  1.      le style rédactionnel employé visant à miner la crédibilité de la demanderesse;
  2.      l'accent sur des faits non pertinents relevant parfois du détail;
  1.      la description caricaturale des tâches professorales, essentiellement rédigées à la « négatives » (tâches non effectuées) et qui omet presque l’entièreté des tâches réelles (enseignement, recherche, rayonnement, administration);
  2.      l'omission de mentionner des données médicales importantes des médecins traitants, y compris celles documentées sur plusieurs années;
  3.      les citations erronées;
  4.        les citations déformées;
  5.      les éléments inventés par la défenderesse;

h la discordance et des incohérences toujours au désavantage de la demanderesse.

Ces manquements sont corroborés notamment par l’enregistrement de la rencontre ou par les documents médicaux de la demanderesse.

  1. En ce qui concerne les tâches de la demanderesse, les omissions importantes compromettent la validité du rapport. Il était impossible pour la défenderesse, avec une telle définition de tâches incomplète, de se prononcer sur l’aptitude de la demanderesse à exécuter celles-ci de manière substantielle. D’ailleurs, en aucun moment la défenderesse ne se prononce sur les exigences particulières de fonctions cognitives supérieures nécessaires pour mener à bien les tâches professorales de la demanderesse.
  2. Les omissions, citations déformées, erronées ou inventées par la défenderesse constituent une faute de la part de la demanderesse. Le rapport produit est incomplet, truffés d’erreurs et d’insinuations et ne respecte pas les règles de l’art en matière de rigueur et d’objectivité. Les conclusions sont essentiellement basées sur des faits déformés, inventés ou omis par la défenderesse. Elles sont hâtives et peu motivées.
  3. Tel que le mentionne la Cour d’appel4, rédiger un rapport d’expertise avec objectivité et rigueur ne participe pas de l’exercice de la médecine, cette exigence étant la même pour toute discipline. Le juge peut donc se prononcer sur le respect de ces exigences, sans la preuve d’un expert.
  4. La défenderesse savait que SSQ utiliserait son rapport afin de priver la demanderesse de son indemnité d'invalidité.
  5. D’ailleurs, au début de la rencontre, la défenderesse a fait signe un document dans lequel elle se dégageait de toute responsabilité quant aux décisions prises par SSQ à la suite de la réception de son rapport et l’a bien expliqué à la demanderesse. Ces éléments constituent un aveu de la demanderesse de sa connaissance des impacts de son rapport.
  1.            Dans son témoignage, Dre Fortin relate qu’elle a reçu par l'entremise de FFA un mandat de la part d'une agente de recouvrement de SSQ Assurance, d’expertiser la demanderesse le 30 octobre 2019, cela pour le compte de Jacinthe Gariépy, agente de règlement, gestion de l’invalidité à la SSQ Assurance. Dans une lettre de mandat datée du 22 octobre 2019, rédigée par Mme Gariépy, elle indiquait entre autres que la demanderesse était en invalidité depuis le 7 janvier 2019 et on lui demandait de répondre aux 6 questions suivantes :

Une anamnèse.

Existe-t-il chez […] une pathologie psychiatrique spécifique encore ac­tive et cliniquement décelée? Si oui, pouvez-vous en préciser la nature ainsi que les symptômes.

Votre avis sur les traitements prescrits et vos suggestions thérapeutiques.

Croyez-vous que le contexte de travail retarde le retour de […] dans ses fonctions habituelles? Si oui, précisez.

Croyez-vous que […] présente des restrictions/limitations fonctionnelles? Dans l’affirmative, quelles ont été ou quelles sont les restrictions/limitations fonctionnelles actuelles? Pouvez-vous en préciser la nature (reliées à la pathologie, à la médication, etc.) et nous indiquer si celles-ci sont temporaires ou permanentes? Si temporaires, veuillez en indiquer la durée approximative.

Croyez-vous que l’intervention d’un autre professionnel de la santé dans ce dossier pourrait être avantageuse? Si oui, veuillez nos préciser la nature de l’intervention et le type d’intervenant que vous entrevoyez.

  1.            Elle devait entre autres évaluer au moment de l’évaluation de la demanderesse, si celle-ci présentait une pathologie psychiatrique spécifique encore active et cliniquement décelée, et se prononcer entre autres sur les traitements et les limitations / restrictions d’ordre psychiatrique.
  2.            Quoiqu’elle n’ait pas pu objectiver, lors de l’examen de restrictions ou de limitations d’ordre psychiatrique comme telles, elle a recommandé que le retour au travail de la demanderesse soit progressif, cela à la suite d’un long arrêt de travail (arrêt de plus de 10 mois);
  3.            Docteure Fortin relate qu’avant de recevoir le mandat d’expertise en lien avec la demanderesse, elle ne la connaissait pas. Elle n’avait aucune idée préconçue à son égard ou en lien avec ses futures conclusions à la suite de son examen et à l’étude du dossier que lui a fait parvenir la concernant. La demanderesse a, pour sa part, exprimé lors de leur rencontre qu’elle envisageait que sa compagnie d’assurances l’envoyait en expertise pour « ne plus la payer ».
  4.            Elle s’en remet au contenu de son rapport et nie formellement les manquements qui lui sont reprochés.
  5.            Durant son témoignage, Dre Fortin relate que la demanderesse était calme dans le corridor. Quand elle rentre dans son bureau, elle hyperventilait de manière théâtrale, ce qu’elle qualifie d’atypique.
  6.            Elle explique qu’elle est intervenue pour atténuer la crise d’anxiété, elle lui a demandé ce qui lui arrive et lui a demandé de respirer correctement et de s’asseoir.
  7.            La demanderesse manifestait de l’hostilité à son endroit, elle avait l’impression qu’elle voulait que l’entrevue ne dure pas longtemps.
  8.            Docteure Fortin nie avoir interrompu la demanderesse et l’avoir empêché de répondre en lui coupant la parole. Elle précise avoir demandé à deux reprises à la demanderesse si elle voulait ajouter quelque chose, elle n’a pas répondu. En aucun temps, la demanderesse a demandé de mettre un terme à l’entrevue.
  9.            Elle relate que le dossier de 15 pages que lui avait remis la SSQ, ne contenait qu’un résumé du dossier de Dr Laramée, le psychiatre qui avait suivi la demanderesse. Elle n’avait aucune note de ce psychiatre qui a suivi la demanderesse durant une période de 10 ans.
  10.            Suite à l’entrevue tenue le 30 octobre, elle a produit un rapport préliminaire, et a retardé la finalisation du rapport d’expertise, en attendant de recevoir les notes de suivi psychiatrique du Dr Laramée et de la psychologue de la demanderesse, qu’elle a demandé à FFA d’obtenir et de lui transmettre.
  11.            Après une attente d’un mois, le 28 novembre 2019, la FFA lui demande de produire le rapport final avec le dossier en sa possession, sans les notes de suivi psychiatrique du Dr Laramé et de la psychologue de la demanderesse.
  12.            Docteure Fortin a donné suite à cette demande, le rapport préliminaire devenu rapport final est transmis à l’assureur de la demanderesse le 4 décembre 2019.
  13.            La demanderesse relate, quand elle reçoit le rapport d’expertise rédigée par Dre Fortin au mois de décembre, elle a été très affectée, ce qui a aggravé sa situation.
  14.            La conclusion ne reflétait pas l’entrevue ni son état psychologique. Elle était dévastée, elle avait des idées suicidaires. Le conjoint de la demanderesse relate qu’il a dû prendre en charge la totalité des tâches à la maison afin de permettre à la demanderesse de récupérer et de prendre soin de sa santé.  Son retour forcé au travail de la demanderesse en janvier 2020 a été chaotique.
  15.            Les restrictions occasionnées par la Covid à partir du mois de mars ont permis à la demanderesse d’être exonérée de se rendre au travail.
  16.            La demanderesse a relaté dans son témoignage à l’audience des manquements qu’elle identifie dans le rapport d’expertise préparé par Dre Fortin qui est produite en preuve.
  17.            Au cours de son témoignage, elle répertorie une longue liste des manquements reprochés qu’elle relie à des passages dans les transcriptions écrites de l’enregistrement de sa rencontre avec Dre Fortin, d’une durée de deux heures.
  18.            Les principaux reproches adressés à la Dre Fortin que la demanderesse relate dans son témoignage portent essentiellement sur les points suivants :

a) le style rédactionnel employé visant à miner la crédibilité de la demanderesse;

b) l'accent sur des faits non pertinents relevant parfois du détail;

c) la description caricaturale des tâches professorales, essentiellement rédigées à la « négatives » (tâches non effectuées) et qui omet presque l'entièreté des tâches réelles (enseignement, recherche, rayonnement, administration);

d) l'omission de mentionner des données médicales importantes des médecins traitants, y compris celles documentées sur plusieurs années ;

e) les citations erronées;

f) les citations déformées;

g) les éléments inventés par la défenderesse;

h la discordance et des incohérences toujours au désavantage de la demanderesse.

Les conclusions sont essentiellement basées sur des faits déformés, inventés ou omis par la défenderesse. Elles sont hâtives et peu motivées.

  1.            Docteure Fortin produit un rapport d’expertise préparé par Dr Claude Girard psychiatre.
  2.            Dans son témoignage devant la Cour, l’expert relate les mêmes observations et opinion contenues dans son rapport d’expertise.
  3.            Il est utile de reproduire les extraits pertinents du rapport d’expertise :

Concernant le du rapport du Dre Hélène Fortin, nous concluons qu’il est rédigé selon les standards de pratique. La Dre Hélène Fortin indique que la durée de la rencontre a été de 11h08 à 13h09, soit une entrevue qui a duré un peu plus de deux heures. Elle décrit son mandat. Elle fait une description détaillée des documents étudiés au dossier et se rapporte entre autres aux notes du psychiatre traitant le Dr Michel Laramée ainsi que des notes de Dre Maroussia Groleau. Dans son rapport, la Dre Fortin reprend l’ensemble des informations qu'on doit retrouver dans une expertise en psychiatrie, soit l'identification de la personne, les antécédents médicaux, les antécédents psychiatriques personnels et familiaux pertinents. Elle indique les habitudes de vie et décrit la médication. Elle fait une histoire longitudinale détaillée. Elle fait ensuite l’histoire de la maladie actuelle et fait une description de la situation qui a amené Mme […] à se retrouver dans un état d’invalidité. La Dre Fortin parle du travail de Mme[…]. Elle fait une description des symptômes. Elle fait finalement une description de son état dans les dernières semaines, soit au moment de l’évaluation du 30 octobre 2019. Toujours dans le rapport du Dre Fortin, nous avons un examen mental qui apparait concordant avec ce que nous avons entendu dans l’enregistrement. Elle donne ensuite un avis en répondant aux questions du mandat, c’est-à-dire qu'elle fait une anamnèse, elle donne son opinion sur une pathologie psychiatrique et son avis sur les traitements, elle parle du contexte de travail, et si Mme […] présente des restrictions/limitations fonctionnelles.

À la lecture du rapport de Dre Hélène Fortin nous notons qu’il est conforme aux règles de l'art et reprend ce qui a été dit en entrevue. Selon notre opinion, la Dre Hélène Fortin aurait pu prendre un peu plus de temps pour évaluer l’état de madame […] dans les dernières semaines avant l’évaluation, soit concernant la symptomatologie détaillée et le fonctionnement. Par contre, étant donné le diagnostic établi par Dre Fortin mentionné au paragraphe suivant, avec lequel nous sommes d’accord, cet élément n'aurait en toute probabilité eu aucun impact sur les conclusions de Dre Fortin.

Par rapport au diagnostic établi par Dre Fortin, il est conforme aux informations qu’a obtenues la Dre Fortin durant son entrevue et à l’étude de l'ensemble du dossier. Elle conclut à une problématique de trouble de personnalité mixte du groupe B qui apparait s'être aggravé avant et durant l’arrêt de travail et qui est le diagnostic principal. Dre Fortin n'exclut pas que madame ait pu souffrir d’un léger trouble de l’humeur saisonnier. Elle en vient ensuite à la conclusion que l'examen n'a pu mettre en évidence de pathologie psychiatrique de nature invalidante chez l'assurée. En effet, vu ce diagnostic de trouble de la personnalité, des ajustements de la médication et la poursuite de l’arrêt de travail n’auraient pas entraînés d'avantages, alors qu’il faut plutôt axer les interventions sur la reprise de l’ensemble des activités dont le travail tout en continuant une psychothérapie.

Suite à notre propre évaluation du dossier et les informations disponibles, nos conclusions auraient été les mêmes que celles du Dre Fortin quant au diagnostic et à l’absence de pathologie psychiatrique de nature invalidante chez l'assurée.

Quant au diagnostic porté par le psychiatre traitant, le Dr Michel Laramée, qui a parlé d’un diagnostic de cyclothymie (pièce P-7). Il n’y a pas d’évidence dans l’étude des documents qu’il s'agissait d'une pathologie active à l’époque de l’évaluation faite par la Dre Fortin et les manifestations cliniques, comme les changements de l’humeur, pouvaient s’expliquer beaucoup plus par une problématique au plan de la personnalité.

Quant à la façon de procéder de la Dre Fortin lors de la rencontre du 30 octobre 2019, nous avons eu accès à l’enregistrement de la rencontre ainsi qu’une transcription non officielle. Nous notons premièrement que la durée de la rencontre dépasse les standards habituels en psychiatrie. Au cours de notre formation en psychiatrie, nous sommes amenés à pouvoir procéder à une évaluation complète d’un patient, comprenant une histoire longitudinale dans une entrevue de cinquante à soixante minutes. Dans la période où Dre Hélène Fortin ainsi que Dr Claude Girard ont obtenu leur diplôme de spécialiste en psychiatrie, il y avait un examen oral obligatoire tant au Collège des médecins du Québec qu’au Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada où l’exigence était de compléter un examen clinique en cinquante minutes. Il s’agit encore aujourd'hui de la durée d’une évaluation standard tant en clinique qu’en expertise. Il est donc clair que la Dre Hélène Fortin a pris beaucoup de temps pour examiner […]. Nous notons que la Dre Fortin prend le temps d’expliquer son mandat et sa façon de procéder en début de rencontre. Par la suite via le questionnaire elle obtient les informations nécessaires, tel que déjà décrit, concernant par exemple l’identification et les antécédents de madame.

  1.            Voici l’opinion du Témoin expert Dr Claude Girard à chacune des questions suivantes:

      Question : Est-ce que la conduite de la Dre Fortin lors de l’évaluation de l’expertisée respecte les règles de l’art de la médecine d’expertise?

Réponse : Notre opinion est que lors de l’évaluation de […], la Dre Fortin a respecté les règles de l’art de la médecine d’expertise mais aussi d'une évaluation standard en psychiatrie.

      Question : Est-ce que le rapport d’expertise rédigé par Dre Fortin respecte les règles de l’art de la médecine d’expertise?

      Réponse : Le rapport du Dre Fortin respecte les règles de l’art de la médecine d’expertise.

  1.            Docteure Fortin relate que la demanderesse a déposé une plainte contre elle auprès de sa corporation professionnelle, le Collège des Médecins du Québec, la plainte a été rejetée à la suite d’une enquête. Le 17 décembre 2021, le comité de révision à la conclu qu’il n’y a pas lieu de porter une plainte devant le conseil de discipline.

ANALYSE ET MOTIFS

  1.            Au sujet de la décision du syndic du Collège des Médecins et la décision du bureau de révision, qui ont disposé de la plainte déposée par la demanderesse contre Dre Fortin (Pièce D5 et D-6), la demanderesse soulève que ces documents ne sont pas admissibles en preuve car ils ne sont pas pertinents et constituent du ouï-dire.
  2.            Dans la cause Dahan c. Poirier[4] citée par la demanderesse, l’Honorable Chantal Gosselin résume les principes établis par la jurisprudence[5] sur ces questions :

[33]       Il a déjà été reconnu que l’existence d’une enquête disciplinaire ainsi que la lettre d’un syndic au CMQ faisant état de ses commentaires sur la conduite d’un médecin n’ajoutent rien au bien-fondé ou non de la demande en responsabilité contre ce médecin ni ne doivent influer sur le jugement qu’aura à rendre le juge sur le fond du litige3.

[34]       Ces allégations et pièces n’ajoutent rien à la démarche que devra suivre monsieur Dahan dans la détermination des éléments factuels conduisant aux conclusions qu’il recherche4.

[35]       La plainte de monsieur Dahan au CMQ5 ne prouve rien et ne constitue pas une preuve de faits admissible ni ne démontre un fait générateur des droits qu’il réclame6. Monsieur Dahan devra faire la démonstration des faits à l’appui de sa demande modifiée devant le juge qui entendra le fond du litige. La décision du syndic adjoint du CMQ7 ne constitue pas un fait, mais bien une opinion juridique8. Il en aurait été autrement si une décision d’un conseil de discipline avait été rendue, alors qu’il s’agirait plutôt d’un fait juridique qui n’aurait toutefois pas eu l’autorité de la chose jugée relativement à l’affaire dont le Tribunal sera saisi au fond du litige9.

(Références de bas de pages omises)

  1.            L’application de ces principes amène le Tribunal à conclure qu’elles sont fondées les prétentions de la demanderesse voulant que les documents portant sur la décision du syndic du Collège des Médecins et la décision du bureau de révision, (Pièces D-5 et D-6) ne sont pas admissibles en preuve.
  2.            Le fait par Dre Fortin de relater qu’une plainte a été déposée contre elle auprès du syndic et qu’elle a été rejetée, fait exception à la règle du ouï-dire, car il ne s’agit pas de rapporter l’opinion juridique contenue dans la lettre que le syndic lui a transmise, il en est de même pour la lettre que le comité de révision lui a fait parvenir. Il est entendu que ce fait n’ajoute rien au bien-fondé de la contestation de la demande en responsabilité contre Dre Fortin et n’a aucune incidence sur le jugement sur le fond du litige.
  3.            Le fait que la question d’admissibilité en preuve des pièces D-5 et D-6 n’a pas été tranchée en cours d’instance ou au stade préliminaires ne cause pas de préjudice à la demanderesse, car un juge siégeant à la Division des petites créances de la Cour du Québec, doit apporter une aide équitable aux parties, il ne doit pas tenir compte de pièces non pertinentes qui constituent du ouï-dire, même si une partie omet de soulever ces manquements.
  4.            Le rôle du juge à la Division des petites créances ou les parties ne sont pas représentées, est accru[6]. Il est le gardien des droits de chacune des parties[7].  Ce rôle est prévu à l'article 560 du Code de procédure civile[8],  qui énonce :

560 À l’audience, le tribunal explique sommairement aux parties les règles de preuve qu’il est tenu de suivre et la procédure qui lui paraît appropriée. À l’invitation du tribunal, chacune des parties expose ses prétentions et présente ses témoins. Le tribunal procède lui-même aux interrogatoires; il apporte à chacun une aide équitable et impartiale de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction. Il peut suppléer d’office le moyen résultant de la prescription en permettant aux parties d’y répondre.

[…]

Le tribunal peut accepter pour valoir rapport de l’expert son témoignage oral; il peut aussi accepter le dépôt de tout document, même après l’expiration du délai prescrit pour le faire.

(Soulignements ajoutés)

  1.            Le Tribunal conclut que les pièces D-5 et D-6 sont inadmissibles en preuve.

 

 

Le litige au fond

  1.            Il est utile de reproduire ici les principaux manquements reprochés à la Dre Fortin :

      La demanderesse perçoit clairement de la défenderesse qu’elle est totalement insensible à son anxiété et qu’elle n’en croit pas la sincérité;

      Dre Fortin a énoncé plusieurs commentaires désobligeants à la demanderesse, en plus d’argumenter avec elle. Ces commentaires, en plus d’être discriminatoires et abusifs, ont profondément blessé et ébranlé la demanderesse alors qu’elle était déjà en situation de grande vulnérabilité;

      Le rapport produit est incomplet, truffé d’erreurs et d’insinuations;

      Faute caractérisée sur le plan du droit civil.

  1.            Il ressort de la preuve, à l’issu de l’expertise effectuée le 30 octobre 2019, Dre Fortin a constaté en lisant le dossier de la demanderesse qu'il n'y avait aucune note de suivi du médecin psychiatre la rencontrant toutes les semaines depuis plus de 9 ans, ou de sa psychologue la rencontrant 2 fois par semaine et la suivant depuis plus de 8 ans, au dossier. Elle a questionné la demanderesse sur les problèmes vécus au travail et sur lesquels s'était positionné son psychiatre traitant, ainsi que sur ses diagnostics.
  2.            Dès le 30 octobre elle a fait une demande auprès de FFA mandaté par l’assureur SSQ, afin d’obtenir copie des notes de suivi du Dr Laramée le psychiatre qui a traité la demanderesse durant 9 ans, et aussi celles du psychologue de la demanderesse.
  3.            Le 28 novembre, quand elle transmet son rapport préliminaire à FFA, Dre Fortin était toujours en attente de recevoir les notes du Dr Laramée et de la psychologue, FFA a répliqué en lui demande de produire son rapport final d’expertise, ce qu’elle a fait le 4 décembre 2019.
  4.            Nous sommes devant une situation où le rapport préliminaire d’expertise, devient un rapport final d’expertise.
  5.            Il est logique de déduire, quand le rapport préliminaire est rédigé, il manquait certaines informations pertinentes que Dre Fortin s’attendait à obtenir des notes du psychiatre et de la psychologue de la demanderesse.
  6.            Le rapport préliminaire qui était incomplet, s’est transformé en rapport final à la demande du mandataire de l’assureur de la demanderesse, qui l’a utilisé pour mettre un terme à son indemnité d’invalidité.

Dre Fortin a-t-elle posé des gestes qui portent atteinte à son intégrité psychologique et atteinte à la dignité et à l’honneur de la demanderesse? 

  1.            La réponse à cette question est négative, c’est la conclusion à laquelle le Tribunal arrive suite à l’analyse de l’ensemble de la preuve qui consiste dans le témoignage de la demanderesse, le témoignage de Dre Fortin, le témoignage du Dr Girard et les transcriptions écrites de l’enregistrement audio de l’examen de la demanderesse effectué par Dre Fortin.
  2.            La prétention de la demanderesse voulant que Dre Fortin était totalement insensible à son anxiété et qu’elle n’en croyait pas la sincérité, n’est pas supportée par la preuve qui révèle quand elle est rentrée dans le bureau de Dre Fortin, elle hyperventilait.
  3.            L’intervention effectuée par Dre Fortin qui lui a demandé ce qui lui arrive et lui demandé de respirer correctement et de s’asseoir, était appropriée car elle avait pour but d’atténuer la crise atypique qu’elle constatait.

Dre Fortin a-t-elle énoncé plusieurs commentaires désobligeants à la demanderesse, en plus d’argumenter avec elle? Le rapport contient-il des erreurs?

  1.            L’affirmation de la demanderesse voulant que Dre Fortin ait énoncé plusieurs commentaires désobligeants à son endroit en plus d’argumenter avec elle, n’a pas à être retenue, car elle n’est pas supportée par la preuve.
  2.            Concernant les erreurs, Dre Fortin reconnait que des erreurs se sont glissées dans son rapport, elle explique qu’elle n'a pas enregistré la rencontre avec la demanderesse qui a duré deux heures. Elle prend des notes manuscrites simultanément durant la rencontre qu’elle relit lorsqu’elle rédige son rapport.
  3.            Selon Dre Fortin, ces erreurs ne sont pas déterminantes pour ses conclusions et ne devraient pas être qualifiées de fautes.
  4.            Le Tribunal juge fondée la prétention de Dre Fortin voulant qu’il faut faire une distinction entre « erreur » et « faute civile » comme l'expliquent la jurisprudence et la doctrine.
  5.            Au regard de la preuve qui révèle que le rapport attaqué par la demanderesse est un rapport préliminaire qui a tenu lieu de rapport final, la prétention de la demanderesse voulant que le rapport est incomplet, n’est pas dénuée de fondement.
  6.            Est-ce que la conduite de Dre Fortin lors de l’expertise respecte les règles de l’art de la médecine d’expertise ?

Le rapport préliminaire 

  1.            L’analyse de la preuve testimoniale et des transcriptions de l’enregistrement supportent les conclusions du témoin expert Dr Girard sur cette question.
  2.            Docteur Girard relate lors de son témoignage à l’audience après avoir écouté à 2 reprises l’enregistrement audio de l’évaluation de la demanderesse, effectuée par Dre Fortin, qu’Il ne décèle pas de manquement dans la conduite de l’entrevue, il précise qu’il n’aurait pas agi différemment et qu'il en serait venu aux mêmes conclusions que Dre Fortin quant au diagnostic et à l'absence de pathologie psychiatrique de nature invalidante chez la demanderesse.
  3.            Il ajoute lors de son témoignage, qu’il aurait retardé la finalisation du rapport en attendant de recevoir les notes du psychiatre qui a traité la demanderesse.
  4.            En ce qui concerne le rapport préliminaire, il y a preuve suffisante pour démontrer que le rapport d’expertise rédigé par Dre Fortin respecte les règles de l’art pour un rapport préliminaire. C’est ce que le Tribunal retient des témoignages de Dre Fortin, du témoignage de son expert le Dr Girard et de l’étude du rapport d’expertise de Dre Fortin.
  5.            Le Tribunal conclut que la conduite de la Dre Fortin en ce qui concerne le rapport préliminaire, ne s’écarte pas de celle qu’aurait eu un psychiatre procédant à une expertise, placé devant les mêmes circonstances.

Le rapport final

Est-ce que le rapport final respecte les règles de l’art de la médecine d’expertise?

  1.            La réponse à cette question est négative, ce pour les motifs qui suivent.
  2.            La demanderesse réfère à l’opinion de la Cour d'appel dans l’arrêt Portier c. Lavoie[9], voulant que, rédiger un rapport d'expertise avec objectivité et rigueur ne participe pas de l'exercice de la médecine, cette exigence étant la même pour toute discipline. Elle plaide que le juge peut donc se prononcer sur le respect de ces exigences, sans la preuve d'un expert.
  3.            La défenderesse plaide que l’arrêt Lavoie doit être distingué, considérant que les allégations de la demanderesse vont au-delà de la seule rédaction du rapport d'expertise avec objectivité et rigueur, puisque sont mis en cause sa conduite professionnelle et son jugement clinique.
  4.            Docteure Fortin, a estimé qu’Il lui manquait certaines informations, c’est pour cette raison qu’elle a produit un rapport préliminaire et a retardé la finalisation du rapport en attendant de recevoir les notes de suivi du psychiatre et de la psychologue de la demanderesse.
  5.            Le rapport final transmis le 4 décembre est en soi incomplet, car Dre Fortin n’a pas reçu les notes du psychiatre et de la psychologue.
  6.            Pour les motifs exprimés plus loin, la faute retenue ne remet pas en cause la conduite professionnelle et le jugement clinique de Dre Fortin. Elle est circonscrite dans la seule rédaction du rapport final qui ne contient pas d’indication claire de réserve, quant aux informations manquantes.
  1.            Dans l’arrêt Lavoie, la Cour d’appel enseigne entre autres :

[12]       Il n’est pas nécessaire de recourir à un expert pour savoir qu’un rapport doit être « objectif et rigoureux », que les données rapportées doivent être exactes et pertinentes et que les faits mettant en doute la probité d’une personne doivent avoir été vérifiés avec soin. 

  1.            Le Tribunal suit le raisonnement de la Cour d’appel dans Portier c. Lavoie qui s’applique en l’instance.

La faute

  1.            Le Tribunal retient de la preuve que c’est le rapport préliminaire incomplet qui a été converti en rapport final.
  2.            Le rapport final ne contient pas d’indication claire de réserve, quant aux informations manquantes que Dre Fortin, avait pourtant requises et s’attendait à recevoir.
  3.            Dans ce contexte, le rapport final étant incomplet, il ne rencontre pas les critères pour être qualifié comme étant un rapport qui respecte les règles de l’art.
  4.            En ayant accepté la demande de finaliser le rapport dans le contexte décrit précédemment, Dre Fortin a commis une faute extra contractuelle[10] à l’égard de la demanderesse, sa responsabilité est engagée envers elle pour les dommages que cette faute occasionne.
  5.            Elle n’est pas dénuée de fondement, la suggestion de la demanderesse voulant que Dre Fortin aurait dû savoir que son assureur SSQ utiliserait son rapport pour rendre la décision de mettre un terme à son indemnité d'invalidité.

Les dommages

  1.            La demanderesse affirme qu’elle a vécu énormément de stress, d’anxiété et de culpabilité à la suite du rapport final émis par la Dre Fortin qui a été suivi par son assureur qui a mis fin à son indemnité et l’a forcé à retourner au travail, bien qu’elle ne fût pas dans un état pour pouvoir accomplir ses tâches conformément aux standards d’excellence requis pour son poste, ce qui a causé chez elle une grande détresse psychologique et une perte de confiance envers ses chances de s’en sortir.
  2.            La demanderesse relate qu’elle s’est sentie profondément découragée que ses efforts constants et son adhérence aux traitements soient niés et même dénigrés par Dre Fortin. Elle relate qu’elle a connu une recrudescence de ses symptômes.
  3.            Elle s’est sentie prise au piège puisque si, malgré ses efforts, si elle devait rechuter, le rapport fautif et méprisant de la défenderesse lui serait toujours présenté pour nier ses limitations fonctionnelles, y compris dans le futur.
  4.            La demanderesse affirme qu’elle a été atteinte dans son intégrité psychologique. Humiliée et découragée, elle a perdu toute confiance en les intervenants ou les services d’aide en santé mentale, hormis sa médecin de famille et sa psychologue, puisqu’elle considère qu'elle ne sera jamais crue dans d’éventuelles limitations fonctionnelles ou détresse.
  5.            Elle réclame 15 000 $ à titre de compensation pour des dommages moraux découlant de l’atteinte à sa dignité, à son honneur et à son intégrité psychologique.
  6.            Le Tribunal retient de la preuve que la demanderesse a été grandement affectée par le rapport incomplet émis par la Dre Fortin, dans le contexte décrit précédemment.
  7.            Nous ne sommes pas devant une situation où il s'agit simplement des désagréments, angoisses et craintes ordinaires que toute personne vivant en société doit régulièrement accepter, fût-ce à contrecœur.
  8.            La prétention de la défenderesse qui cite plusieurs extraits de jugements sur cette question[11], n’est pas retenue car elle ne trouve pas assise dans la preuve, c’est ce que le Tribunal retient du témoignage détaillé  de la demanderesse, corroboré du témoignage concis, précis et crédible de son conjoint qui permettent d’établir qu’elle a subi un préjudice sérieux, ayant entre autres connu une recrudescence de ses symptômes incluant des idées suicidaires, suite à la réception du rapport litigieux. 
  9.       Le préjudice moral affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens. Le fait qu’il soit plus difficile à cerner, ne diminue en rien la blessure qu'il constitue[12]. 
  10.       Bien que la quantification des dommages moraux comporte un volet discrétionnaire, elle demeure régie par des principes, notamment celui de la proportionnalité par rapport à la gravité du préjudice.
  11.       La défenderesse soulève qu’il n'a pas été démontré de lien de causalité entre les fautes alléguées et les dommages allégués. La décision de l'assureur de réduire l'indemnité versée et la décision de l’employeur de ne pas verser de salaire n'est pas une décision qui a été prise par elle, mais bien par des tiers.
  12.       Cette prétention n’est pas fondée, car la faute retenue est celle d’avoir émis sans réserve claire et explicite un rapport en soi incomplet qui a guidé et orienté la décision de l’assureur.
  13.       Il est en preuve que c’est à la demande de FFA, mandaté par SSQ que le rapport préliminaire a été transformé en rapport final, qu’il a utilisé sachant qu’il était incomplet, pour rendre la décision de mettre un terme à l’indemnité d’invalidité de la demanderesse. Cette décision de la SSQ étant fondée sur un rapport incomplet est questionnable. La SSQ n’étant pas partie à ce litige, il n’y a pas lieu de s’attarder sur cette question.
  14.       L’erreur commise par Dre Fortin c’est d’avoir acquiescé à la demande de la SSQ par l’intermédiaire de FFA de finaliser le rapport sans y inscrire une réserve claire, n’ayant pas pris connaissance des notes cliniques du Dr Laramée et de la psychologue de la demanderesse auxquelles, elle n’a pas eu accès pour des raisons hors de son contrôle.
  15.       La demanderesse remet en question la valeur juridique de la note inscrite par Dre Fortin à la fin de son rapport dans laquelle, elle inscrit :

L’auteur se réserve le droit d’apporter tout changement, de modifier son rapport à la lumière de faits nouveaux qui lui permettraient de reconsidérer son opinion. L'auteur se réserve le droit de retrancher tout mot, por­tion de phrase ou section pouvant entrer en contradiction avec certains aspects légaux.

  1.       En effet, cette inscription exonératoire de nature juridique n’atténue pas la responsabilité de Dre Fortin envers la demanderesse qui a soulevé entre autres l’absence de réserve quant au manque des notes cliniques du Dr Laramée et de la psychologue dans le rapport, cet argument de la demanderesse est fondé.
  2.       Il s’agit d’un manquement significatif, si on prend en considération que Dre Fortin avait décidé de retarder durant près d’un mois la finalisation de son rapport dans l’attente de ces notes cliniques évolutives du Dr Laramée et de la psychologue qu’elle n’a jamais reçu.
  3.       La psychiatrie n’étant pas une science exacte, les notes cliniques  évolutives du psychiatre traitant de la demanderesse durant une décennie et celles de la psychologue qui l’a suivi sur une très longue période, portant sur leurs observations et les traitements qui ont permis de maintenir stable son état, sont des éléments pertinents à  prendre en compte dans le cadre d’une évaluation complète et objective pour évaluer sa capacité de retourner au travail et ses limitations fonctionnelles, suite à un long arrêt de travail.
  4.       Il est tout à l’honneur de Dre Fortin d’avoir consacré deux heures pour la rencontre avec la demanderesse, que le témoin expert Dr Girard qualifie d’une durée qui dépasse le temps consacré pour ce genre d’évaluation. Nous ne sommes pas ici devant une situation où Dre Fortin qui a en plus retardé durant plusieurs semaines la finalisation du rapport, a eu une conduite professionnelle et un jugement clinique qui s’écartent de la norme.
  5.       Dans sa contestation Dre Fortin allègue que depuis 2012, dans sa pratique privée, elle a effectué plus de 646 mandats d’arbitrage en psychiatrie et 732 mandats d’expertise en psychiatrie. Elle a particulièrement œuvré dans le domaine de la médecine au travail. Moins que 1,4 % des mandats d’arbitrage ou d’expertise qu’elle a fait depuis 2012 étaient en provenance, directe ou indirecte, de la compagnie SSQ Assurance, ou de Beneva Assurance aujourd’hui. Elle n’a par ailleurs eu aucun lien d’emploi ou autre avec SSQ Assurance ou Beneva Assurance.
  6.       Le Tribunal tient à souligner que l’intégrité, la compétence et la grande expertise de la Dre Fortin ne sont pas ici remises en cause. Sa crédibilité est demeurée intacte et elle n’a pas été ébranlée, lors de son témoignage, durant ce procès qui a duré deux jours.
  7.        Le Tribunal suit le raisonnement de l’Honorable l’Heureux-Dubé, jadis de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Lapointe c. Hôpital Le Gardeur[13], qui s'applique en l'espèce :

« Guidée seulement par la sympathie, ma tâche aurait été beaucoup plus facile. Toutefois, en tant que juge, je dois appliquer les règles de droit et la sympathie est un mauvais guide dans ces circonstances. Justice doit être rendue conformément aux règles de droit et justice doit être rendue à l’égard des deux parties à un litige, tant les demandeurs que les défendeurs. »

  1.        L’application des principes juridiques mentionnés précédemment à la trame factuelle dans cette cause amène à la conclusion que la contestation doit échouer et la demande doit être accueillie.
  2.       Vu les conclusions auxquelles le Tribunal arrive quant à l’existence d’une faute, d’un préjudice et vu l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice, la responsabilité de Dre Fortin est engagée envers la demanderesse.
  3.       Au regard de la preuve présentée, le Tribunal estime raisonnable d'accorder le montant de 15 000 $ réclamé par la demanderesse à titre de dommages moraux.

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse, la somme de 15 000 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 11 avril 2023.

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse, les frais de justice de 223 $.

 

 

 

________________________

DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

2 et 3 juillet 2025

 


[1]  RLRQ, c. C-25-01, arts 11 et 12.

[2]  2024 QCTDP 2.

[3]  2021 CSC 25, par. 77, 2021 CSC 25, par. 77.

[4]  2018 QCCQ 5154.

[5]  G.C. c. Brahm 2020 QCCS 1844; Tejeda c. Centres dentaires et d'implantologie Dr Olivier Leblond 2015 QCCS 1888.

[6]  Pierre-Claude Lafond, "L'exemple québécois de la Cour des petites créances : "cour du peuple" ou tribunal de recouvrement ?", (1996) 37 C. de D. 63, p. 81.

[7]  Carrier c. Lessard, 2008 QCCQ 1365, par. 15.

[8]  RLRQ, c. C-25-01, art, 560.

[9]  2012 QCCA.

[10]   RLRQ c CCQ-1991, art 1457.

 

 

[11]  Hinz c. Berry, {1970] 2 Q.B. 40 (C.A.), p. 42; Page c. Smith, p. 189; Linden et Feldthusen, p. 425-427.

[12]  Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (C.A.).

[13]  Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351.

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