Décision

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Municipalité de Saint-Elzéar c. Bolduc

2021 QCCA 19

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009885-184

(350-17-000053-150)

 

DATE :

 7 janvier 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

MUNICIPALITÉ DE SAINT-ELZÉAR

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

CATHY BOLDUC

CARL BERTHIAUME

INTIMÉS - Demandeurs

et

BODÉPORC S.E.N.C.

CÉCILIEN BERTHIAUME

SYLVIE BLAIS

MIS EN CAUSE - Mis en cause

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE - Défendeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 28 septembre 2018 par la Cour supérieure, district de Beauce (l’honorable Georges Taschereau) qui a accueilli le pourvoi en contrôle judiciaire des intimés demandant la nullité des actes suivants :

-       la résolution numéro 70-04-15 adoptée par le conseil municipal de l’appelante le 7 avril 2015 et accordant aux mis en cause une dérogation à l’égard du lot 5 622 775 du cadastre de Québec, en la circonscription foncière de Beauce,

-       l’attestation de conformité d’un projet de production animale à la réglementation de la municipalité appelante délivrée par le secrétaire de cette dernière le 10 juin 2015,

-       le certificat d’autorisation portant le numéro 401303847 délivré le 16 novembre 2015 à Bodéporc s.e.n.c. par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

[2]           Pour les motifs du juge Bouchard auxquels souscrivent les juges Rochette et Gagnon, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel avec les frais de justice, à l’exclusion des frais d’experts.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

Me Daniel Têtu

Cain Lamarre

Pour l’appelante

 

Me Isabelle Landry

Me Audrey-Anne Béland

BCF

Pour les intimés

 

Me Charles Laflamme

Cliche Laflamme

Pour les mis en cause

 

Me Francis Letendre

Lavoie, Rousseau

Pour le Procureur général du Québec

 

Date d’audience :

23 novembre 2020


 

 

 

MOTIFS DU JUGE BOUCHARD

 

 

[4]           Le présent appel a pour toile de fond un pourvoi en contrôle judiciaire des intimés Cathy Bolduc et Carl Berthiaume que la Cour supérieure a accueilli et qui visait notamment à faire annuler la dérogation mineure accordée par l’appelante, la Municipalité de Saint-Elzéar, au mis en cause, Cécilien Berthiaume[1].

Les faits

[5]           Les intimés résident sur le territoire de la municipalité appelante à proximité d’une ferme porcine qui, jusqu’en 2011, était exploitée par M. Gilbert Martineau et Mme Lorraine Dion. Jusqu’à cette époque, ceux-ci étaient autorisés à élever 233,09 unités animales (ou 878 porcs) conformément à un certificat d’autorisation délivré en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement[2]. En 2011, ils mettent fin à leurs activités en raison de difficultés financières.

[6]           Au mois d’août 2014, M. Cécilien Berthiaume, un producteur de porcs de Saint-Elzéar, approche M. Martineau dans le but de se porter acquéreur de ses deux bâtiments de ferme, étant entendu que ce dernier conservera sa résidence qui est située à 120 mètres de ceux-ci. M. Berthiaume témoigne qu’il lui « manquait 1800 places pour être capable de compléter la roue […] que ces 1 800 places faisaient partie de son schéma de production », lequel compte une quarantaine de bâtiments d’élevage.

[7]           On aura compris que Cécilien Berthiaume est un producteur de porcs important à Saint-Elzéar. Ses diverses entreprises, dont Bodéporc S.E.N.C., génèrent un chiffre d’affaires annuel variant entre 7 et 8 millions de dollars.

[8]           Bref, le 20 janvier 2015, Cécilien Berthiaume se porte acquéreur des bâtiments de ferme de Gilbert Martineau et Lorraine Dion dans le but d’en faire un site d’engraissement pouvant accueillir 1 800 porcs ou 453,6 unités animales, soit deux fois plus que du temps où ces derniers exploitaient le site. Le problème alors est le suivant. Vu le nombre d’unités animales projeté, la distance minimale à respecter entre le site d’élevage et toute habitation voisine doit être de 294,5 mètres en vertu de la réglementation municipale en vigueur. Or, la résidence de Gilbert Martineau et de Lorraine Dion, tel que mentionné, est à 120 mètres et celle des intimés, Cathy Bolduc et Carl Berthiaume, à 229 mètres.

[9]           Le 11 février 2015, Cécilien Berthiaume soumet donc à la municipalité de Saint-Elzéar une demande de dérogation aux « normes relatives aux distances séparatrices d’odeurs des résidences voisines ». M. Martineau et Mme Dion, à titre de propriétaires d’un immeuble voisin, sont favorables à cette demande de dérogation dont le but avoué et dénoncé à la municipalité est de « maximiser la production et le potentiel de rentabilité de l’entreprise ».

[10]        Le 23 février suivant, le comité consultatif d’urbanisme et de développement de l’appelante (CCU) recommande au conseil municipal d’accepter la demande de dérogation. Un mois plus tard, soit le 23 mars 2015, les intimés, par l’entremise de leurs avocats, informent cependant l’appelante de leur opposition à cette demande qui, à leurs yeux, constitue une dérogation majeure et, si elle est accordée, leur causera des inconvénients importants en termes d’odeurs, en plus de dévaluer leur propriété.

[11]        Le 7 août 2015, malgré l’opposition des intimés, le conseil de l’appelante accepte la demande de dérogation de Cécilien Berthiaume. Il importe de citer au long la résolution du conseil municipal qui expose à sa face même les raisons pour lesquelles elle fait droit à la demande :

Résolution 70-04-15

Demande de dérogation mineure - Cécilien Berthiaume

CONSIDÉRANT que M. Cécilien Berthiaume est devenu propriétaire du lot 5 622 775;

CONSIDÉRANT que le propriétaire souhaite augmenter le cheptel (l’ensemble des animaux d’élevage d’une exploitation agricole) du bâtiment agricole afin de maximiser la production et le potentiel de rentabilité. Celui-ci passerait de 233.09 à 453.6 unités animales;

CONSIDÉRANT que la demande vise à autoriser des distances d’éloignement moindres que la réglementation en vigueur, vis-à-vis les immeubles non-agricoles voisins.

CONSIDÉRANT que la norme réglementaire, selon le projet, est d’une distance séparatrice de deux cent quatre-vingt-quatorze virgule cinq mètres (294,5 m) pour une maison d’habitation alors que le projet comprend des distances de cent-vingt mètres (120 m) et deux cent vingt-huit mètres (228 m);

CONSIDÉRANT qu’aucune construction ou agrandissement du bâtiment n’est prévu dans le projet;

CONSIDÉRANT que le propriétaire résident à une distance de cent vingt mètres (120 m) du bâtiment agricole est l’ancien propriétaire de la ferme;

CONSIDÉRANT que ce propriétaire a signé le formulaire de consentement;

CONSIDÉRANT que le bâtiment au [...] est là depuis 1950;

CONSIDÉRANT que l’exploitation agricole porcine existe depuis au moins 1978;

CONSIDÉRANT qu’aucun facteur d’atténuation en lien avec le tableau F de la réglementation municipale n’est prévu;

CONSIDÉRANT que le demandeur s’engage à planter des arbres entre le bâtiment agricole et les résidents qui s’opposent à la demande;

CONSIDÉRANT l’avis favorable du CCU pour ce projet;

CONSIDÉRANT que les propriétaires du 220, rang Bas-Ste-Anne, soit celui à une distance de 228 m, s’opposent à cette dérogation mineure puisque selon leur appréhension, cela leur causera des inconvénients majeurs (odeurs) et dévaluera certainement leur propriété;

CONSIDÉRANT que le bâtiment agricole est situé en plein territoire agricole et loin d’ilot déstructuré;

CONSIDÉRANT qu’entre le terrain du 220, rang Bas-Ste-Anne et le bâtiment d’élevage, il y a un boisé et une petite colline;

CONSIDÉRANT que les vents dominant [sic] ne sont pas en direction de la résidence à partir du bâtiment d’élevage;

CONSIDÉRANT que la résidence est entouré [sic] de champs en culture où se fait déjà de l’épandage;

En conséquence, il est proposé par Carl Marcoux et résolu unanimement

D’accepter la demande de dérogation mineure de M. Cécilien Berthiaume, soit d’autoriser des distances d’éloignement moindres que la réglementation en vigueur, vis-à-vis les immeubles non-agricoles voisins.

De considérer conforme des distances séparatrice [sic] de cent-vingt mètres (120 m) et deux cent vingt-huit mètres (228 m) alors que la norme réglementaire, selon le projet est de deux cent quatre-vingt-quatorze virgule cinq mètres (294,5 m) pour une maison d’habitation;

[12]        Conséquemment, le 10 juin 2015, le secrétaire-trésorier de l’appelante délivre un certificat attestant de la conformité du projet des mis en cause avec la réglementation municipale et puis, le 16 novembre 2015, c’est au tour du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques d’autoriser le projet.

[13]        Ce sont ces trois dernières décisions que les intimés ont attaquées en Cour supérieure et qui ont été annulées par le juge de première instance.

Le cadre législatif et règlementaire

[14]        Pour bien comprendre la suite des choses et le raisonnement suivi par le juge, il y a lieu de citer dès à présent les dispositions pertinentes de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[3] que la municipalité a reprises dans son règlement sur les dérogations mineures[4] :

SECTION VI

LES DÉROGATIONS MINEURES AUX RÈGLEMENTS D’URBANISME

145.1. Le conseil d’une municipalité dotée d’un comité consultatif d’urbanisme peut adopter un règlement sur les dérogations mineures aux dispositions des règlements de zonage et de lotissement autres que celles qui sont relatives à l’usage et à la densité d’occupation du sol.

 

145.2. Une dérogation mineure aux règlements de zonage et de lotissement doit respecter les objectifs du plan d’urbanisme.

[…]

 

145.4. Le conseil d’une municipalité sur le territoire de laquelle est en vigueur un règlement sur les dérogations mineures peut accorder une telle dérogation.

 

La dérogation ne peut être accordée que si l’application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande. Elle ne peut non plus être accordée si elle porte atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

 

145.7. Le conseil rend sa décision après avoir reçu l’avis du comité consultatif d’urbanisme.

 

[…]

DIVISION VI

MINOR EXEMPTIONS FROM PLANNING BY-LAWS

145.1. The council of a municipality provided with an advisory planning committee may pass a by-law concerning minor exemptions from the provisions of the zoning or subdivision by-laws other than those relating to land use and land occupation density.

 


145.2.
 Every minor exemption from the zoning and subdivision by-laws shall respect the aims of the planning program.

[…]

 

145.4. The council of a municipality in whose territory a by-law concerning minor exemptions is in force may grant such an exemption.

 

 

The exemption may be granted only if the application of the by-law causes a serious prejudice to the person who applied for the exemption. Moreover, it shall not be granted where it hinders the owners of the neighbouring immovables in the enjoyment of their right of ownership.

 

145.7. The council shall render its decision after having received the advice of the advisory planning committee.

[…]

[15]        On retiendra ici que le législateur a encadré le pouvoir du conseil d’une municipalité d’accorder une dérogation mineure aux dispositions de son règlement de zonage. Le conseil doit en effet se pencher sur les critères suivants :

-       le caractère mineur de la dérogation demandée;

-       le respect des objectifs du plan d’urbanisme;

-       le préjudice subi par celui qui fait la demande de dérogation mineure si elle n’est pas accordée;

-       l’atteinte à la jouissance des propriétaires des immeubles voisins.

[16]        Ce sont ces critères que le juge de première instance a appliqués aux fins de vérifier si le conseil municipal de l’appelante avait exercé sa discrétion en conformité avec la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et son règlement sur les dérogations mineures.

Le jugement de la Cour supérieure

[17]        De l’avis du juge, la dérogation accordée n’est pas mineure, mais majeure car elle a pour effet de permettre aux mis en cause d’engraisser le double d’unités animales permises en vertu du règlement de zonage de la municipalité[5].

[18]        Le juge conclut ensuite que l’appelante, en raison de l’ampleur de la dérogation accordée, n’a pas respecté les objectifs de son plan d’urbanisme qui, bien qu’il priorise le développement agricole[6], vise aussi à préserver la cohabitation harmonieuse entre les agriculteurs et les résidents au moyen de normes portant sur les distances séparatrices[7].

[19]        Troisièmement, le juge souligne qu’en vertu de l’article 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, une dérogation mineure ne peut être accordée que si l’application du règlement de zonage a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui en fait la demande[8]. Or, aucun préjudice sérieux n’a été allégué, et encore moins prouvé selon le juge, le seul fait pour les mis en cause de vouloir maximiser la production et son potentiel de rentabilité ne pouvant, à ses yeux, constituer un tel préjudice[9].

[20]        Enfin, le juge rappelle, toujours en vertu de l’art. 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, qu’une dérogation mineure ne peut être accordée si elle porte atteinte à la jouissance du droit de propriété des propriétaires des immeubles voisins[10]. Or, la résolution du conseil municipal accordant la dérogation ne fait pas mention de ce critère[11]. Le juge retient également de la preuve que l’appelante n’a procédé à aucune vérification ni mis en place quelque mesure pour s’assurer que les odeurs ne portent pas atteinte au droit des intimés[12]. Il accorde par ailleurs peu de poids au consentement de M. Martineau et de Mme Dion, à titre de propriétaires voisins, puisqu’ils sont, selon lui, en conflit d’intérêts[13]. Il préfère s’en remettre aux témoignages des intimés[14].

[21]        Pour toutes ces raisons, le juge de première instance en vient à la conclusion que l’appelante a abusé de son pouvoir discrétionnaire en accordant aux mis en cause la dérogation mineure demandée.

L’analyse

[22]        Avant de s’attaquer aux prétentions de l’appelante et des mis en cause qui, pour l’essentiel, reprochent au juge de s’être substitué au conseil municipal dans l’appréciation des faits, il y a lieu de rappeler certains principes juridiques applicables à la solution du présent appel.

_ _ _ _ _

[23]        La notion de dérogation mineure vise à remédier à la rigidité parfois excessive de la réglementation en matière de zonage ou de lotissement sans devoir passer par la procédure longue et complexe de modification réglementaire[15].

[24]        Les auteurs Lorne Giroux et Isabelle Chouinard donnent les exemples suivants[16] :

Pour le citoyen dont l’immeuble, à cause de sa topographie, de sa forme ou de ses dimensions, ne peut satisfaire à une des normes du règlement de zonage ou de lotissement, l’impossibilité d’obtenir une modification réglementaire peut engendrer un préjudice sérieux. Il en est de même de celui dont le bâtiment, par suite d’une erreur de construction ou d’arpentage, est dérogatoire au règlement de zonage parce qu’il empiète de quelques centimètres dans une marge de recul ou d’éloignement requise par une norme règlementaire. Même si cette contravention est de peu d’importance, elle peut perdurer et affecter de façon négative un financement ou une transaction.

            Ce sont ces difficultés que visent à résoudre la dérogation mineure. Les articles 145.1 à 145.8 L.a.u. ont pour objet d’autoriser les municipalités à accorder des dérogations mineures aux dispositions des règlements de zonage et de lotissement, par simple résolution du conseil, sans devoir passer par les procédures d’une modification au règlement.

[25]        À l’inverse, l’auteur Jean-Pierre St-Amour[17] écrit que la dérogation mineure « doit aussi être démarquée par rapport à ce qu’elle n’est pas », soit :

-       un moyen de contourner les dispositions irritantes de la réglementation d’urbanisme,

-       un outil de négociation permettant à un promoteur d’accroître sa rentabilité financière,

-       un remède permettant à la municipalité d’arbitrer les problèmes privés de voisinage,

-       une technique de régularisation des erreurs ou des mauvaises décisions d’un propriétaire[18].

[26]        Cela étant, il est bien établi qu’une demande de dérogation mineure requiert du conseil municipal une analyse qualitative et non quantitative, comme le rappellent notre Cour dans l’arrêt Weldon, ainsi que les auteurs Yvon Duplessis et Jean Hétu lorsqu’ils écrivent[19] :

395.     En résumé, nous pouvons soutenir sans crainte de nous tromper que la notion de dérogation mineure est indéfinissable. Il n’existe aucune règle infaillible pour déterminer ce qu’est une dérogation mineure. En revanche, tous s’entendent pour affirmer qu’on ne peut qualifier une dérogation de mineure ou de majeure en lui appliquant une règle, formule ou équation mathématique. Il serait absurde d’établir une norme universelle qui ferait en sorte qu’en deçà d’un pourcentage donné la dérogation est mineure alors qu’au-delà elle est majeure.

396.     S’agit-il d’une dérogation mineure? C’est, à notre avis, une question de fait qui doit être étudiée en tenant compte des particularités de chaque dossier. En d’autres termes, chaque cas est un cas d’espèce qui requiert une analyse qualitative et non quantitative des éléments en présence. Les éléments à considérer pourraient être, entre autres, les suivants : l’importance ou l’étendue de la dérogation sollicitée en regard des exigences prévues au règlement, le respect des objectifs du plan d’urbanisme, le préjudice qui pourrait être causé au requérant advenant un refus sur sa demande de dérogation, l’atteinte à la jouissance du droit de propriété des voisins si la dérogation est octroyée, la bonne foi du requérant dans le cas où la demande se rapporte à des travaux en cours ou déjà exécutés.

[Références omises; soulignements ajoutés]

[27]        Toutefois, même si chaque cas doit être analysé à la lumière des circonstances qui lui sont propres, il ne saurait être question «  de substituer l’adjectif majeur à celui de mineur » ainsi que l’énonce notre Cour dans l’arrêt Carignan[20].

[28]        Enfin, et il est important de le rappeler en terminant ce bref rappel théorique, l’octroi d’une dérogation mineure relevant du conseil municipal, le tribunal appelé à réviser la décision du conseil dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire ne saurait se substituer à celui-ci dans l’appréciation des faits. La déférence, ici, est de mise[21]. D’un autre côté, puisque la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme précise de façon explicite, aux articles 145.2 et 145.4, les critères sur lesquels le conseil doit se fonder, ce dernier doit en tenir compte et appliquer ceux-ci scrupuleusement, à défaut de quoi le tribunal sera justifié d’intervenir et de casser la résolution accordant une dérogation[22].

[29]        Revenons maintenant aux faits de l’espèce et aux motifs retenus par le juge de première instance.

_ _ _ _ _

[30]        L’article 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme édicte que la dérogation ne peut être accordée que si l’application du règlement de zonage a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande. Or, comme nous l’avons vu, ce n’est pas parce que la dérogation permettrait au demandeur de mieux rentabiliser son investissement que cela constitue un préjudice sérieux[23].

[31]        À y regarder de près, les mis en cause, dans leur demande de dérogation mineure initiale, donnent pour unique raison qu’ils désirent « augmenter le cheptel du bâtiment agricole (actuellement de 233,09 unités animales pour 453,6 unités animales) afin de maximiser la production et la potentiel de rentabilité ». Bref, non seulement ils n’allèguent aucun préjudice, mais encore moins un préjudice sérieux. Quant au conseil municipal, il n’est guère plus loquace en reprenant à son compte, dans son deuxième CONSIDÉRANT, cette même motivation :

CONSIDÉRANT que le propriétaire souhaite augmenter le cheptel (l’ensemble des animaux d’élevage d’une exploitation agricole) du bâtiment agricole afin de maximiser la production et le potentiel de rentabilité. Celui-ci passerait de 233.09 à 453.6 unités animales;

[32]        Ainsi que le rappelait la Cour suprême dans Vavilov[24], un décideur administrateur n’est pas obligé cependant de reprendre expressément dans ses motifs les arguments discutés par les parties :

[91]      Une cour de révision doit se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland Nurses, par. 16. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance.

[Soulignement ajouté]

[33]        Voyons donc de manière concrète ce que le conseil municipal avait comme information.

[34]        Le maire de St-Elzéar, Richard Lehoux, a témoigné devant le juge de première instance. Il a expliqué pourquoi le conseil municipal considérait que les mis en cause subiraient un préjudice sérieux si leur demande de dérogation mineure était refusée. Voici ce que le juge rapporte à ce sujet[25] :

[83]      Le maire de la municipalité de Saint-Elzéar au moment de l’adoption de la résolution, Richard Lehoux, a témoigné à l’audience. Le procureur des demandeurs lui a demandé en contre-interrogatoire d’identifier le préjudice sérieux que l’application du règlement de zonage de la municipalité avait pour effet de causer à Bodéporc s.e.n.c., au moment où la dérogation a été accordée, et qui avait justifié qu’elle le soit. Selon monsieur Lehoux, un préjudice pouvait être causé à Bodéporc s.e.n.c. si la municipalité lui imposait l’installation d’une toiture sur la fosse à purin, dont le coût était très important, pour atténuer les odeurs. Si cette mesure avait été exigée de Bodéporc s.e.n.c., elle aurait eu sur la distance séparatrice un effet tel que l’autorisation des demandeurs n’aurait pas été requise pour accorder la dérogation. L’exigence de cette mesure a été écartée, a-t-il ajouté. Monsieur Lehoux a expliqué que l’exploitant antérieur avait eu des difficultés financières et qu’on n’avait pas voulu risquer qu’en imposant de tels coûts à Bodéporc s.e.n.c., on se retrouve dans la même situation. Son témoignage sur la question du préjudice sérieux s’est résumé à ce qui précède.

[35]        À mon avis, le juge a eu raison de rejeter ces deux explications. Premièrement, la situation des mis en cause, qui sont d’importants acteurs dans l’industrie porcine, n’a rien de comparable avec le genre d’exploitation opéré antérieurement par M. Martineau et Mme Dion qui leur ont vendu leurs deux bâtiments de ferme. Les difficultés financières de l’un, dont on ignore tout, ne sauraient, de plus, être transposables à l’autre, c’est-à-dire aux mis en cause.

[36]        Il y a ensuite toute la question de l’installation d’une toiture sur la fosse à purin dont le coût, apparemment, aurait été prohibitif, et qui, pour cette raison, n’aurait pas été exigée par le conseil municipal.

[37]        Cécilien Berthiaume, qui a comparu devant le conseil municipal et a également témoigné devant le juge de première instance, mentionne qu’il possède déjà six de ces toitures et que le véritable problème avec celles-ci n’est pas tant leur coût que leur efficacité. En mettant le purin à l’abri des eaux de pluie, on empêche sa dilution, on augmente sa concentration, et par conséquent, les odeurs.

[38]        Enfin, il ressort également du contre-interrogatoire de Cécilien Berthiaume que ce dernier, en tant que producteur aguerri et bien implanté sur le territoire de l’appelante, était au courant de l’existence d’exigences réglementaires en matière de distances séparatrices mais, pour reprendre son expression lorsqu’il parle de la localisation de la résidence des intimés, il « n’a pas vu venir la balle ». Bref, il s’est porté acquéreur des bâtiments de ferme de M. Martineau et de Mme Dion sans prendre les précautions d’usage. C’est très clairement là une situation ne pouvant donner ouverture à une demande de dérogation mineure[26].

_ _ _ _ _

[39]        Les critères prévus aux articles 145.2 et 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme sont cumulatifs. Si l’un de ceux-ci n’est pas satisfait, cela est suffisant pour que la dérogation accordée soit, comme en l’espèce, annulée. Partant, il ne devrait pas être nécessaire de commenter davantage les motifs du juge de première instance. Cela dit, je crois néanmoins utile d’ajouter ce qui suit.

[40]        Tout d’abord et tel que mentionné précédemment, le juge conclut que la dérogation accordée est majeure car elle a pour effet de permettre à Bodéporc d’engraisser le double d’unités animales permises en vertu du règlement de zonage de l’appelante[27] :

[64]      Le nombre d’unités animales permis par la municipalité de Saint-Elzéar en vertu de la résolution du 7 avril 2015 est plus que le double de ce nombre de 225 unités animales.

[…]

[67]      La permission accordée par la municipalité de Saint-Elzéar, par sa résolution du 8 avril 2015 adoptée conformément à son Règlement sur les dérogations mineures, que 453,6 unités animales soient gardées dans le site d’élevage de Bodéporc s.e.n.c. au cours d’un cycle annuel de production, alors que son Règlement de zonage en autorise 204 ou 225, selon que l’on considère qu’il s’agit d’un nouveau projet ou d’un projet d’augmentation du nombre d’unités animales, est étonnante. L’écart entre le nombre d’unités animales autorisé et la norme applicable selon son Règlement de zonage n’est certainement pas mineur, et encore moins minimal, selon l’expression utilisée par la municipalité à l’article 2.1 de son Règlement sur les dérogations mineures. En autorisant un tel écart, la municipalité, à toutes fins utiles, a évacué les paramètres applicables. La dérogation autorisée était majeure et non mineure.

[41]        Force est de constater que le juge adopte une approche quantitative ou mathématique alors que tant la doctrine et la jurisprudence sont à l’effet que le concept de dérogation mineure n’est pas strictement une question de chiffres[28].

[42]        De plus, son analyse porte sur le nombre d’unités animales alors qu’elle devrait porter sur la distance entre les bâtiments de ferme et les maisons avoisinantes. Je rappelle que la norme réglementaire pour 1800 porcs exige une distance séparatrice de 294,5 mètres et que la résidence des intimés est située à 228 mètres des bâtiments de ferme des mis en cause. Le différentiel étant de 66,5 mètres, on ne doit donc pas parler d’un écart correspondant au double de la norme réglementaire, mais plutôt d’un écart de 22,58 % par rapport à ladite norme.

[43]        À n’en pas douter, c’est néanmoins un écart important. Cette seule donnée ne saurait toutefois, selon l’état du droit, être suffisante pour qualifier une dérogation de majeure. Il s’agit d’une question de fait qui doit être étudiée en tenant compte des particularités de chaque dossier. L’extrait suivant, tiré de l’ouvrage de Marc-André LeChasseur, Le Zonage en droit québécois, qui prend appui sur un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, illustre bien cette problématique[29] :

Il faut conclure à la lecture de la jurisprudence de common law qu’aucun test objectif déterminant n’existe pour circonscrire le caractère mineur d’une dérogation. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a d’ailleurs bien résumé l’état de la question dans l’affaire Metchosin (District) v. Metchosin Board of Variance :

The central question is whether the variance granted by the board was major or minor. In my opinion, that question cannot be decided by looking at the percentage of the variation. That also appears to be the view of the British Columbia Court of Appeal.

The question whether a variance is minor is one which must be decided in relation to all the surrounding circumstances. There is no basis in law for the conclusion of the chambers judge that a set back of over 20 per cent “is not a minor variance”. In some sets of circumstances, a variance in excess of that will be minor and in others, a variance of smaller percentage will not be minor.

[Soulignement ajouté]

[44]        C’est là un premier commentaire que je voulais faire sur la méthode d’analyse du juge.

[45]        Mon second commentaire tient au fait que ce dernier semble avoir ignoré qu’il était saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire. Il a fait une visite des lieux. Il a ensuite entendu une preuve nouvelle pendant plusieurs jours qui n’était pas à la disposition du conseil municipal lorsqu’il a examiné la demande de dérogation de Bodéporc[30]. Il a également, sur certains éléments factuels du dossier, substitué son opinion à celle du conseil alors que ce dernier était majoritairement formé de cultivateurs ayant une bonne connaissance de l’élevage porcin et des lieux[31].

[46]        À la décharge du juge, force est d’admettre cependant que l’examen par le conseil municipal de la demande de dérogation souffrait de lacunes évidentes. L’accord favorable du CCU sur lequel s’appuie la résolution du conseil est muet au regard des critères énoncés aux articles 145.2 et 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui encadrent pourtant le pouvoir du conseil.

[47]        Pour ce qui est de la résolution, non seulement considère-t-elle « la question des odeurs du bout des lèvres »[32], comme le souligne le premier juge, mais en s’appuyant sur le fait « que la résidence est entouré [sic] de champs en culture où se fait déjà de l’épandage », épandage qui se déroule généralement au printemps et à l’automne, elle ferme carrément les yeux sur une situation susceptible de porter atteinte, pendant toute la période estivale, à la jouissance par les intimés de leur droit de propriété.

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[48]        En conclusion et pour les motifs qui précèdent, je suggère de rejeter l’appel avec les frais de justice, à l'exclusion des frais d'experts.

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 



[1]     Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, 2018 QCCS 4521.

[2]     RLRQ, c. Q-2.

[3]     RLRQ, c. A-19.1.

[4]     Règlement sur les dérogations mineures aux règlements d’urbanisme de Saint-Elzéar, #2007-120, adopté le 5 mars 2007, en vigueur le 19 juin 2007, article.3.2.

[5]     Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, supra, note 1, paragr. 64 et 67.

[6]     Les activités de nature agricole occupent 70 % du territoire municipal.

[7]     Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, supra, note1, paragr. 75-77.

[8]     Id., paragr. 78.

[9]     Id., paragr. 81-82, 87-88.

[10]    Id., paragr. 89.

[11]    Id., paragr. 91.

[12]    Id., paragr. 111-112.

[13]    Id., paragr. 93-96.

[14]    Id., paragr. 156.

[15]    Lorne Giroux et Isabelle Chouinard, « De certains régimes réglementaires attributifs de pouvoirs discrétionnaires de portée individuelle » dans École du Barreau, Collection de droit 2019-2020, vol. 8 « Droit public et administratif », Montréal, Yvon Blais, 2019, 419, p. 421; Jean-Pierre St-Amour, Le droit municipal de l’urbanisme discrétionnaire au Québec, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p. 161, no. 296.

[16]    Ibid.

[17]    J.P. St-Amour, supra, note 15, p. 161-162, no. 297.

[18]    L’auteur n’exclut pas toutefois que la dérogation mineure puisse servir à aucune de ces fins dans un cas donné : J.P. St-Amour, supra, note 15, p. 163, no 298.

[19]    Weldon c. Ville de Sutton, 2017 QCCA 521, paragr. 7 et 19; Yvon Duplessis et Jean Hétu, La loi sur l’aménagement et l’urbanisme (Extraits du répertoire de droit), Montréal, Chambre des notaires du Québec, 1991, p. 395-396. Voir également : Marc-André LeChasseur, Le zonage en droit québécois, Montréal, Wilson et Lafleur, 2006, p. 230.

[20]    Carignan (Ville de) c. Vallée-du-Richelieu (Municipalité régionale de comté de la), 2007 QCCA 1066, paragr. 58.

[21]    Weldon c. Ville de Sutton, supra, note 19, paragr. 9; L. Giroux, I. Chouinard, supra, note 15, p. 423.

[22]    L. Giroux, I. Chouinard, supra, note 15, p. 423.

[23]    J.P. St-Amour, supra, note 15, p. 162, no 297.

[24]    Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 91.

[25]    Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, supra, note 1, paragr. 83.

[26]    J.P. St-Amour, supra, note 15, p. 162, no 297.

[27]    Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, supra, note1, paragr. 64 et 67.

[28]    Y. Duplessis et J. Hétu, supra, note 19; M.A. LeChasseur, supra, note 19; Weldon c. Ville de Sutton, supra, note 21, paragr. 9.

[29]    Marc-André LeChasseur, Le zonage en droit québécois, Montréal, Wilson et Lafleur, 2006, p. 230, citant Metchosin (District) v. Mechosin Board of Variance, [1993] B.C.J. No 1525, 1993 Carswell BC 174, paragr. 74 (C.A.B.C.).

[30]    Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l’État, 2019 QCCA 1763, paragr. 28-29.

[31]    Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, supra, note 1, paragr. 105-110.

[32]    Id., paragr. 111.

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