Baillargeon Bouchard c. Autorité des marchés financiers | 2025 QCCS 3206 | ||
COUR SUPÉRIEURE | |||
(Chambre civile) | |||
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CANADA | |||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||
DISTRICT DE
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N° : | 200-17-036977-247 | ||
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DATE : | 12 juin 2025 | ||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE MARIE-HÉLÈNE MONTMINY, j.c.s. | |||
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FRANÇOIS BAILLARGEON BOUCHARD | |||
Demandeur | |||
c. | |||
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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS | |||
Défenderesse | |||
JUGEMENT (sur une demande de contrôle judiciaire) | |||
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LE CONTEXTE
[1] Des millions de Québécois, clients de la Fédération des Caisses Desjardins du Québec (« Desjardins ») ont été victimes d’une fuite de leurs renseignements personnels. Cette fuite de renseignements personnels aurait été commise par un employé de Desjardins qui aurait communiqué les données à des tiers.
[2] L’intimé, M. François Baillargeon Bouchard (« M. Baillargeon Bouchard »), représentant en assurance de personnes et en épargne collective, a admis avoir acheté en 2017 des listes contenant des renseignements sur des clients de Desjardins et de les avoir utilisées jusqu’en septembre 2019 afin de solliciter les personnes mentionnées aux listes dans le but de leur vendre des produits d’assurance.
[3] Puisque les listes contenant des renseignements personnels de clients de Desjardins achetées et utilisées par M. Baillargeon Bouchard ont possiblement été confectionnées avec des renseignements illégalement obtenus auprès de Desjardins, l’Autorité des marchés financiers (l’« Autorité ») a institué une enquête afin de faire la lumière sur cette affaire.
[4] Avant même de conclure son enquête, l’Autorité demande au Tribunal administratif des marchés financiers (« Tribunal ») d’empêcher de façon provisoire, M. François Baillargeon Bouchard d’exercer sa profession en tant que représentant en assurance de personnes et en épargne collective. Selon l’Autorité, il existe des motifs raisonnables et probables de croire que M. Baillargeon Bouchard aurait commis des manquements aux lois et qu’il n’aurait plus la probité ni les compétences requises pour continuer d’exercer sa profession sans compromettre la protection du public.
[5] Même si M. Baillargeon Bouchard a admis avoir acheté et utilisé les listes contenant des renseignements sur des clients de Desjardins, il prétend que les circonstances entourant leur achat ne laissaient rien présager de suspect ou d’anormal. Il n’avait aucune raison de se méfier du caractère illégal de la provenance des renseignements contenus aux listes.
[6] D’après M. Baillargeon Bouchard, puisqu’il a cessé d’utiliser les listes en question, la protection du public n’exige pas la suspension de ses droits d’exercice, qui serait une sanction déraisonnable et excessive.
[7] Le Tribunal devra répondre à la question en litige suivante :
La protection du public exige-t-elle une suspension provisoire des droits d’exercice de M. Baillargeon Bouchard en tant que représentant en assurance de personnes et en épargne collective et le cas échéant, quelles autres mesures sont nécessaires dans les circonstances ?
[8] Selon le Tribunal, la protection du public exige que, pendant la durée de l’enquête de l’Autorité ou jusqu’à une décision à être rendue soit par le Tribunal et/ou par le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (« CSF »), M. Baillargeon Bouchard ne devrait pas être autorisé à agir comme représentant en assurance de personnes et en épargne collective. D’autres mesures provisoires qui découlent de la suspension sont également requises afin d’assurer la protection du public.
[9] Pour conclure que la protection du public exige une suspension immédiate au droit de M. Baillargeon Bouchard d’exercer ses activités en assurance de personnes et en épargne collective, le Tribunal a tenu compte des éléments suivants :
a) Les circonstances entourant l’achat des listes contenant des renseignements personnels sur des clients de Desjardins;
b) Les circonstances entourant l’utilisation de ces listes par M. Baillargeon Bouchard, et ce, même après l’annonce de Desjardins sur la fuite des renseignements personnels de ses clients; et
c) Les circonstances entourant les informations données aux enquêteurs de l’Autorité et de la CSF en ce qui concerne les dates auxquelles M. Baillargeon Bouchard a acheté les listes et les mises à jour des listes.
[10] D’après la preuve présentée devant le Tribunal, M. Baillargeon Bouchard apparaît ne plus posséder les qualités essentielles requises pour exercer des fonctions de représentant dans le secteur financier. De plus, la probité de M. Baillargeon Bouchard apparaît sérieusement affectée, justifiant, dans l’intérêt public, le prononcé des ordonnances demandées par l’Autorité.
[Renvois omis; soulignements ajoutés; caractères gras dans l’original]
[…]
6. Durant la période sise entre février 2017 et jusqu’au mois de décembre 2017, l’intimé a acheté de l’entreprise de Masse des listes de clients, contenant environ 40 000 noms de clients, leurs adresses, villes, numéros de téléphone, âges, montant des hypothèques, montants des primes, et les ratios des primes d’assurance invalidité et vie sur l’hypothèque (%), ainsi que le ratio des primes globales sur l’hypothèque;
7. Le coût d’achat de ces listes, P-2, en liasse (« Listes ») a été d’environ 40 000$, payé par chèques du cabinet de l’intimé et sur réception de factures de l’entreprise de Masse;
[…]
9. Préalablement et au moment de l’achat des Listes, l’intimé n’a pas fait de vérification, ni posé de questions afin de s’assurer que les clients mentionnés sur les Listes avaient consenti à l’utilisation et la transmission de leurs informations personnelles et confidentielles;
10. L’utilisation des Listes a notamment permis à l’intimé d’obtenir pour son bénéfice plus de 50% de la commission que généraient les ventes faites à partir de celles-ci, notamment dans le but d’alimenter Maestro;
11. De février 2017 au mois de septembre 2019, l’intimé a utilisé et permis que soient utilisés les Listes, notamment en les confiant à des téléphonistes/recruteurs pour fins de recrutement et de vente de produits d’assurances, en négligeant de protéger les renseignements personnels contenues dans celles-ci;
12. L’intimé a cessé en septembre 2019, à la suite d’une perquisition policière de son téléphone cellulaire, d’utiliser les Listes acquises de Masse;
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés; caractères gras dans l’original]
[1] Les intimés François Baillargeon Bouchard et 9347-6760 Québec inc., faisant affaire sous la raison sociale « Groupe financier Bouchard » (le « Groupe financier Bouchard ») demandent au Tribunal administratif des marchés financiers (le « Tribunal ») de lever certaines ordonnances provisoires que ce dernier a prononcées le 28 janvier 2021 à leur égard.
[2] Plus particulièrement, ils demandent la levée des ordonnances provisoires relatives à la suspension immédiate des certificats d’exercice de François Baillargeon Bouchard, à l’interdiction d’opérations sur valeurs pour le compte d’autrui toujours à l’égard de François Baillargeon Bouchard et à la nomination d’un nouveau dirigeant responsable pour le Groupe financier Bouchard.
[…]
[6] Le Tribunal accepte de lever les ordonnances demandées par François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard. La situation qui prévalait au moment où le Tribunal a prononcé les ordonnances a changé.
[7] L’enquête de l’Autorité qui portait sur les faits et circonstances qui ont justifié le prononcé des ordonnances est terminée. L’Autorité n’a institué aucune autre procédure à l’égard de François Baillargeon Bouchard ou de Groupe financier Bouchard.
[8] Les ordonnances prononcées par le Tribunal pouvaient être révisées notamment suivant une décision finale du Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (« CSF »). Or celui-ci a rendu une décision qui est considérée finale. François Baillargeon Bouchard a purgé la peine imposée par le Comité de discipline de la CSF.
[9] De plus, les procédures pénales instituées par l’Autorité contre François Baillargeon Bouchard dans lesquelles l’Autorité lui reproche d’avoir tenté d’entraver les fonctions d’un représentant de l’Autorité dans le cours d’une enquête sont terminées. François Baillargeon Bouchard a accepté de payer l’amende imposée par la Cour du Québec.
[10] La protection du public ne nécessite plus le maintien des ordonnances dont François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard souhaitent la levée.
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
Méfait à l'égard de données informatiques
(…) Entre le 1 octobre 2016 et le 27 mai 2019, à Lévis, district de Québec, et ailleurs au Québec, ont commis un méfait à l'égard de données informatiques, soit: en dépouillant des données informatiques de leur sens, les rendant inutiles ou inopérantes et/ou en empêchant, interrompant ou gênant l'emploi légitime des données informatiques, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 430(1.1) a) du Code criminel.
Vol d'identité
(…) Entre le 1 octobre 2016 et le 27 mai 2019, à Lévis, district de Québec, et ailleurs au Québec, ont sciemment obtenu et/ou eu en leur possession des renseignements sur une autre personne, dans des circonstances qui permettaient de conclure qu'ils seraient utilisés dans l'intention de commettre un acte criminel dont l'un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 402.2(1) (5) a) du Code criminel.
Trafic de renseignements identificateurs
(…) Entre le 1 octobre 2016 et le 27 mai 2019, à Lévis, district de Québec, et ailleurs au Québec, ont transmis, rendu accessible, distribué, vendu ou offert en vente, ou ont eu en leur possession à une telle fin, des renseignements identificateurs sur une autre personne, sachant qu'ils seraient utilisés pour commettre un acte criminel dont l'un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ou ne se souciant pas de savoir si tel est le cas, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 402.2(2) (5) a) du Code criminel.
Fraude
(…) Entre le 1 octobre 2016 et le 27 mai 2019, à Lévis, district de Québec, et ailleurs au Québec, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, ont frustré la Fédération des Caisses Desjardins, le Mouvement Desjardins et leurs entités affiliées, de leur clientèle, d'une valeur dépassant 5 000 $, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 380(1) a) du Code criminel.
[Soulignements dans l’original]
(…) vous êtes accusé d’avoir commis les infractions prévues aux articles 402.2 (1), (2) et 380 (1) a) du Code criminel, à savoir des infractions de fraude, de vol d’identité et fraude à l’identité et trafic de renseignements.
À la simple lecture des infractions reprochées, il appert qu’il s’agit d’accusations objectivement graves qui peuvent mener à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans.
Ces infractions, à leur face même, sont directement liées à l’exercice de la profession de représentant et sont de nature à mettre en péril la protection du public que l’Autorité se doit de protéger. Au surplus, les données volées à Desjardins ont servi, dans votre cas, à offrir des assurances-vie accessoires à des prêts hypothécaires.
Plus encore, ces infractions soulèvent un doute sérieux quant à votre probité puisque les éléments constitutifs que sont la fraude, le mensonge ou la supercherie nécessitent tous une démonstration de malhonnêteté.
L’Autorité a noté votre volonté de transmettre toutes les informations qui seraient utiles pour apprécier le contexte global de cette poursuite et a pris acte que vous devez obtenir le consentement du DPCP ou une autorisation de la Cour du Québec pour ce faire.
L’Autorité vous rappelle cependant qu’il vous appartient de démontrer que vous possédez toujours la probité requise pour exercer vos activités.
Il n’appartient pas à l’Autorité de faire enquête pour confirmer ou écarter les doutes soulevés par cette poursuite quant à votre probité.
En l’absence des renseignements demandés ou de toute version des faits que vous pourriez communiquer, l’Autorité devra tenir compte de l’impact de la poursuite déposée contre vous, considérant la gravité des infractions déposées, sur votre probité. L’Autorité considèrera aussi les devoirs et responsabilités des procureurs du DPCP qui ne peuvent porter des accusations criminelles sans être objectivement convaincus que la preuve recueillie leur permettra de démontrer votre culpabilité au tribunal.
Au surplus, eu égard aux informations dont nous disposons actuellement, l’Autorité considère que les versions des faits que vous avez soumises en 2021 sont incompatibles avec les éléments constitutifs des infractions criminelles portées contre vous (…).
Ces éléments qui permettent actuellement de douter de votre probité sont notamment :
i. Vous avez affirmé à plusieurs reprises votre ignorance quant à la provenance de la liste de clients acquise en 2017, et utilisée jusqu’en septembre 2019. Or, les accusations portées contre vous reposent notamment sur la connaissance des éléments constitutifs des infractions de fraude, supercherie ou mensonge ou sur votre participation délibérée à de telles infractions;
ii. Vous avez affirmé avoir découvert ce vol de données par l’entremise des médias en juin 2019, alors que les accusations portées contre vous permettent de croire que vous auriez eu cette connaissance bien avant cette date;
iii. Vous avez nié à plusieurs reprises avoir eu délibérément en votre possession des données volées aux clients de Desjardins, ce que les accusations portées contre vous remettent en question;
iv. Les profits tirés de l’utilisation des données acquises apparaissent, dans ce contexte, avoir été obtenus illégalement;
v. La période visée par les infractions criminelles portées contre vous ne correspond pas à la trame factuelle que vous avez admise à plusieurs reprises.
Selon l’autorité, toutes ces constatations sont de nature à soulever un doute dans l’esprit du public quant à votre probité.
(…)
[Soulignements ajoutés]
En conséquence, l’Autorité considère, pour les motifs ci-haut discutés, que l’étude de votre dossier dans son état actuel démontre que vous ne possédez plus la probité requise, ou du moins qu’un doute sérieux affecte votre probité en raison des infractions criminelles qui ont été portées contre vous le 11 juin 2024.
Étant donné que la probité d’un représentant est essentielle au maintien de son droit de pratique, l’Autorité entend suspendre votre certificat jusqu’au dénouement de votre dossier criminel en vertu des articles 16, 184 et 218 (4) de la LDPSF.
Cette décision sera rendue sous réserve des observations et des éléments de preuve que nous vous invitons à nous faire parvenir, conformément à l’article
[Caractères gras dans l’original]
- la personne qui le supervise depuis l’émission de son permis, monsieur Denis Lanouette, fournira d’ici 48 heures, une déclaration assermentée établissant sa probité, son honnêteté, sa rigueur et son intégrité;
- avant d’entreprendre une poursuite, le DPCP n’a qu’à être convaincu qu’un juge ou un jury impartial pourrait raisonnablement conclure à la culpabilité de l’accusé à l’égard de l’infraction reprochée. Aussi, l’AMF aurait accordé un poids injustifié au fait que des accusations ont été portées contre le demandeur;
- la trame factuelle sur laquelle les accusations sont basées est exactement la même qu’en 2022, alors que l’AMF avait accepté d’émettre un certificat au demandeur, de sorte qu’il y aurait absence de faits nouveaux;
- le DPCP refuse que le demandeur communique la preuve pertinente à l’AMF, celui-ci est donc privé de la possibilité de se défendre;
- On ne peut rien conclure des périodes visées par les chefs d’accusation puisque le DPCP a pris la décision d’accuser conjointement les coaccusés alors que sa théorie de cause ne repose pas sur une aventure commune;
- les articles 402.2 et 430 du Code criminel n’impliquent pas un élément de malhonnêteté. Quant à l’article 380 du même code, le demandeur est accusé d’avoir privé Desjardins d’une clientèle et non d’avoir fraudé un particulier de sorte que « prétendre que [le demandeur] a menti à Desjardins et a usé de supercherie envers Desjardins est tout simplement impossible ».
LA POSITION DES PARTIES
- Elle aurait erronément considéré qu’il n’avait accompli aucune démarche visant à faire réviser la position du DPCP afin de transmettre une preuve qu'il aurait pu estimer pertinente au soutien du processus administratif;
- Il est faux d’affirmer que les rapports soumis par le superviseur du demandeur font état de lacunes dans l’exercice de sa profession;
- Il y a absence de preuve permettant de supporter la conclusion de l’AMF selon laquelle les accusations de méfait, de trafic de renseignements, de vol d’identité et de fraude portées contre le demandeur présentent un risque apparent pour la protection du public en raison du doute sérieux qu’elles soulèvent quant à sa probité.
- Elle n’avait aucun moyen de connaître ce que l’enquête policière a découvert entre 2019 et 2024;
- Les arguments liés à la connaissance d’office de l’AMF sont infondés;
- Les accusations criminelles portées contre le demandeur sont des faits nouveaux qui remettent en question la probité, l’honnêteté et la droiture d’une personne;
- L’AMF pouvait raisonnablement considérer que ces accusations étaient de nature à soulever un doute quant à la probité du demandeur en plus d’être susceptibles de miner la confiance du public envers les représentants qui œuvrent dans le secteur financier;
- Il appartenait au demandeur d’écarter les doutes pesant sur lui et de faire la preuve de sa probité, ce qu’il a omis de faire, et il n’appartenait pas à l’AMF de combler le défaut du demandeur à cet égard;
- La conclusion de l’AMF selon laquelle elle devait suspendre le droit d’exercice du demandeur le temps des procédures criminelles afin de maintenir la confiance du public envers les intervenants du secteur financier fait manifestement partie des issues possibles acceptables.
L’ANALYSE
Le comportement déloyal allégué
- Depuis le 1er avril 2022, le demandeur est uniquement rattaché au cabinet Opti‑Finance. De plus, Denis Lanouette, son superviseur, en est le seul et unique actionnaire de sorte que la décision de l’AMF ne peut entraîner la fermeture de « son » cabinet, comme il le soutient;
- Ce n’est qu’avant sa suspension en janvier 2021 que le demandeur exerçait ses activités au sein de son cabinet, lequel a cessé ses activités depuis plus de trois ans;
- Le demandeur exerce ses activités uniquement dans le domaine de l’assurance de personnes, car il ne détient plus l’inscription l’autorisant à exercer en tant que représentant en épargne collective depuis 2021.
Le laxisme ou le manque de collaboration du demandeur dans le processus administratif
58. À la lumière des éléments à son dossier, l’Autorité estime que le Représentant ne respecte plus l’une des obligations de délivrance d’un certificat prévue à l’article 218 (4) de la LDPSF, soit de posséder la probité nécessaire à l’exercice des activités de représentant et ce, minimalement pendant la durée de l’instance criminelle.
[Soulignements ajoutés]
[36] La Cour a statué, dans l'arrêt Bruni, que lorsque l'AMF refuse de délivrer un certificat de courtage en épargne collective à un administré parce qu'il ne possède pas la probité nécessaire, la norme de contrôle de la décision raisonnable est applicable :
L'intimée [l'Autorité des marchés financiers], en effet, est un organisme multifonctionnel et polycentrique, hautement spécialisé, chargé d'une mission et de fonctions que lui confient, en exclusivité, les articles
[Renvoi omis; soulignements dans l’original]
[21] Le contrôle judiciaire vise à réviser la légalité de la décision administrative, non son opportunité.
[22] Il n'appartient pas à la Cour supérieure, siégeant en révision judiciaire et appliquant la norme de la décision raisonnable, de trancher elle-même la question en litige soulevée devant le tribunal administratif. Elle n'agit pas à ce titre comme tribunal d'appel, encore moins comme palier de novo.
[23] Plus largement, « [l]e contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à donner effet à l'intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s'assurer que l'exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit ».
[24] L'analyse de la raisonnabilité selon le cadre établi dans l'arrêt Vavilov s'effectue en deux étapes : (1) une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent; et, (2) une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques ou factuelles qui ont une incidence sur la décision.
[25] Sur ce dernier point, il s'agit pour la cour de révision de délimiter le périmètre décisionnel administratif, c'est-à-dire « les limites et les contours de l'espace à l'intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu'il peut retenir », et d'évaluer si la décision administrative s'inscrit à l'intérieur de ce périmètre.
[26] En délimitant le périmètre décisionnel administratif, il faut tenir compte du contexte dans lequel le tribunal opère et des circonstances du cas particulier sous étude, de manière à circonscrire « la latitude du décideur administratif en matière de décision raisonnable dans un cas donné ».
[27] De manière similaire, sous l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, la décision raisonnable était celle qui appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». L'arrêt Vavilov n'écarte pas ce concept en traitant de la considération des contraintes juridiques et factuelles ayant « pour effet de circonscrire l'éventail des issues raisonnables ».
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
- commis un méfait à l’égard des données informatiques de Desjardins entre le 1er octobre 2016 et le 27 mai 2019;
- sciemment obtenu et/ou eu en sa possession des renseignements sur une autre personne, dans des circonstances qui permettaient de conclure qu'ils seraient utilisés dans l'intention de commettre un acte criminel, dont l'un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge;
- par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, frustré Desjardins de sa clientèle pour une valeur dépassant 5 000 $.
Lorsqu’il m’a vendu les listes, JLLM [Jean-Loup Leullier-Masse] ne m’a absolument pas informé de la provenance des renseignements ou sur la façon dont il les avait acquis. Toutefois, je n’ai pas fait de vérification ni posé de question afin de m’assurer que les personnes mentionnées sur les listes avaient consenti à l’utilisation et la transmission de leurs informations personnelles et confidentielles.
(…)
En juin 2019, j’ai appris par les médias que Desjardins avait été l’objet d’un vol massif de données. Je n’ai pas alors fait le lien avec les listes que j’avais acheté en 2017.
(…)
En lien avec ces données, il est important d’énoncer très clairement que je n’ai pas participé ni été associé d’aucune manière au vol des données de Desjardins.
(…)
Ce faisant, je n’ai pas détourné de fonds, je ne me suis pas approprié des sommes d’argent auxquelles je n’avais pas droit, je n’ai floué personne, je n’ai volé personne et aucune des personnes qui ont été contactées n’a été lésée de quelque façon que ce soit.
[Transcription textuelle; soulignements et caractères gras dans l’original]
[L]e procureur doit être convaincu, sur le fondement de son analyse objective de la preuve, qu’un juge ou un jury impartial et bien instruit en droit pourrait raisonnablement conclure à la culpabilité du suspect
[…]
[Transcription textuelle; italiques dans l’original]
[97] Tout cela étant considéré, il va de soi que la mission de protection confiée à l'intimée comporte un volet préventif, qui s'incarne pour partie dans l'article
[Renvoi omis; soulignements ajoutés]
[100] Enfin, compte tenu des faits que l'intimée avait en main, sa décision de considérer que l'appelant manquait de probité n'était pas déraisonnable. Du moins n'était-il pas déraisonnable de conclure qu'on pouvait avoir un doute sur cette probité, ce qui justifiait de refuser le certificat demandé par l'appelant.
[101] Voici en effet un individu accusé d'infractions (vente illégale de valeurs mises en marché sans prospectus et exercice de l'activité de courtier sans le certificat requis) qui, au contraire de ce qu'il prétend, ne sont pas techniques, mais vont au cœur du système de régulation élaboré par les lois dont l'intimée a mandat d'assurer la mise en œuvre (régulation stricte de l'information, obligation de divulgation, réglementation des intermédiaires de marché). Il s'agit là d'infractions dénotant mépris ou insouciance envers la loi, ce qui est bien loin de l'honnêteté et du professionnalisme exigés de tout représentant par l'article
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
52. En l’espèce, la seule preuve transmise par le Représentant pour écarter les doutes de l’Autorité à l’égard de sa probité repose sur son seul témoignage, via son procureur, et celui de son superviseur, lequel affirme dans sa déclaration assermentée que le Représentant a fait preuve de rigueur dans la tenue de ses dossiers, de discipline, de professionnalisme, d’honnêteté et de probité.
53. Or, l’analyse des 23 rapports de supervision transmis par M. Lanouette, le superviseur du Représentant, à l’Autorité entre juin 2022 et mai 2024 a permis de constater des lacunes dans la pratique de ce dernier.
54. En effet, les 6 premiers rapports transmis, soit de juin à décembre 2022, ne font état d’aucune activité professionnelle de la part du Représentant. Quant aux 17 rapports de supervision subséquents, l’Autorité constate que dans 13 d’entre eux, le superviseur du Représentant a consigné un total de 35 commentaires négatifs lié à la rigueur, la discipline, la tenue de dossiers et/ou aux compétences professionnelles de ce dernier.
55. Ces commentaires divergents font en sorte que l’Autorité ne peut accorder une grande crédibilité à la déclaration assermentée de M. Lanouette et, de ce fait, ne représentent pas une preuve prépondérante de la probité du Représentant.
56. Au surplus, il n’appartient pas à M. Lanouette de se prononcer sur l’évaluation de la probité du Représentant pour les fins de la détention de son certificat, cette analyse étant de la compétence de l’Autorité.
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
45. L'Autorité considère également que le refus du DPCP de permettre au Représentant de lui transmettre le précis des faits et la preuve pertinente lui ayant été communiqués ne porte pas atteinte à sa capacité de répondre au Préavis, le Représentant n'ayant au surplus accompli aucune démarche visant à faire réviser cette position du DPCP afin de transmettre une preuve qu'il aurait pu estimer pertinente au soutien du présent processus administratif.
[…]
47. L'Autorité est d'avis qu'elle applique le bon fardeau de preuve puisque la poursuite entreprise par le DPCP soulève un doute sérieux quant à la probité du Représentant. L'Autorité n'a pas à démontrer hors de tout doute raisonnable que le Représentant n'a plus cette qualité essentielle au maintien de son droit de pratique.
[…]
51. Il appartenait au Représentant de démontrer à l’Autorité, par prépondérance, que les doutes affectant sa probité n’étaient pas fondés. Le Représentant a d’ailleurs reconnu que ce fardeau lui incombait à même ses Observations.
[…]
57. […] en l’absence d’une telle preuve prépondérante, l’Autorité est d’avis que les accusations de méfaits, de trafic de renseignements, de vol d’identité et de fraude qui ont été portées contre le Représentant présentent un risque apparent pour la protection du public puisqu’elles soulèvent un doute sérieux quant à sa probité.
[Soulignements ajoutés]
Les effets de la décision sur le demandeur
38. L’article 218 (4) de la LDPSF prévoit que : « L’Autorité peut révoquer un certificat, le suspendre ou l’assortir de restrictions ou de conditions lorsque son titulaire : (…)
4o ne respecte plus une obligation relative à la délivrance ou au renouvellement du certificat prévue par la présente loi ou ses règlements. (…) »
39. À cet effet, l’une des obligations relatives à la délivrance du certificat du représentant est sa capacité à démontrer en tout temps à l’Autorité qu’il possède la probité requise pour exercer cette fonction.
40. La probité est cette qualité morale de droiture, de bonne foi et d’honnêteté qui se manifeste par l’observation rigoureuse des règles prescrites par la morale, par la loi et par la justice fondamentale.
41. L’Autorité est d’avis que les infractions reprochées au Représentant, à savoir méfait, vol d’identité, trafic de renseignements identificateurs et fraude, sont graves et soulèvent un doute sérieux quant à la probité de ce dernier, pour les motifs ci-après énoncés.
42. En effet, ces infractions dénotent un « … mépris ou insouciance envers la loi, ce qui est bien loin de l’honnêteté et du professionnalisme exigés de tout représentant par l’article
[…]
47. L’Autorité est d’avis qu’elle applique le bon fardeau de preuve puisque la poursuite entreprise par le DPCP soulève un doute sérieux quant à la probité du Représentant. L’Autorité n’a pas à démontrer hors de tout doute raisonnable que le Représentant n’a plus cette qualité essentielle au maintien de son droit de pratique.
[…]
51. Il appartenait au Représentant de démontrer à l’Autorité, par prépondérance, que les doutes affectant sa probité n’étaient pas fondés. Le Représentant a d’ailleurs reconnu que ce fardeau lui incombait à même ses Observations.
[…]
57. […] en l’absence d’une telle preuve prépondérante, l’Autorité est d’avis que les accusations de méfaits, de trafic de renseignements, de vol d’identité et de fraude qui ont été portées contre le Représentant présentent un risque apparent pour la protection du public puisqu’elles soulèvent un doute sérieux quant à sa probité.
[Transcription textuelle; renvois omis; soulignement dans l’original]
CONCLUSION
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
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MARIE-HÉLÈNE MONTMINY, j.c.s. | ||
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Me Charles Levasseur | ||
Levasseur & Associés Avocats | ||
Pour le demandeur | ||
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Me Éric Blais | ||
Contentieux de l’autorité des marchés financiers | ||
Pour la défenderesse | ||
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Date d’audience: : | 27 février 2025 | |
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[1] Pièce D-16. Bien qu’il soit demandeur, les pièces sont cotées sous la lettre D plutôt que sous la lettre P.
[2] Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard,
[3] Baillargeon Bouchard c. Tribunal administratif des marchés financiers,
[4] Pièce D-10, p. 8.
[5] Demande de contrôle judiciaire, par. 112.
[6] Pièce D-8.
[7] Pièce D-9.
[8] Id., par. 41.
[9] Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard, préc., note 2, par. 54. Le TMF conclut qu’aucune preuve ne démontre que le demandeur a participé au vol de données.
[10] Pièce D-14, p. 3. Voir également la pièce D-10 et la demande de contrôle judiciaire, par. 119.
[11] Pièce D-10, par. 14.
[12] Pièces D-14, p. 3 et D-16, par. 16.
[13] Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard,
[14] Pièce D-13.
[15] Id., p. 4.
[16] Pièce D-16, par. 19. À la pièce D-14, p. 4, il est écrit que c’est plutôt le 7 juin 2022 que l’AMF a délivré le certificat avec conditions au demandeur.
[17] Pièce D-16, par. 19.
[18] Id., par. 3.
[19] Pièce D-14, p. 6.
[20] RLRQ, c. J-3. Cet article prévoit : L’autorité administrative ne peut prendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire ou une décision défavorable portant sur un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable:
1°avoir informé l’administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée;
2°avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent;
3°lui avoir donné l’occasion de présenter ses observations et, s’il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.
(…)
[21] Pièce D-14, p. 6-7.
[22] Id., p. 7.
[23] Pièce D-16, par. 22-23.
[24] Pièce D-15.
[25] Id., p. 6.
[26] RLRQ, c. D-9.2.
[27] Baillargeon Bouchard c. Autorité des marchés financiers, C.S. Québec, no 200-17-036977-247, 28 janvier 2025, j. Paradis.
[28] Demande de contrôle judiciaire, par. 255-260.
[29] Id., par. 267-270 et 288; représentations du demandeur à l’audience.
[30] Demande de contrôle judiciaire, par. 271 et ss.
[31] Id., par. 283-284.
[32] Id., par. 285-296.
[33] Id., par. 297-320.
[34] Id., par. 322 et ss.
[35] Id., par. 381-391.
[36] Plan d’argumentation de l’AMF sur la demande en contrôle judiciaire, par. 48-49.
[37] Demande de contrôle judiciaire, par. 386.
[38] Id., par. 387.
[39] Plan d’argumentation de l’AMF sur la demande en contrôle judiciaire, par. 57-68; pièces D-13, I-1, I-3 et I‑4.
[40]
[41]
[42] Plan d’argumentation de l’AMF sur la demande en contrôle judiciaire, par. 71. L’AMF réfère à la décision Chevrier c. Drouin,
[43] Voir, à cet égard, le plan d’argumentation de l’AMF sur la demande en contrôle judiciaire, par. 81.
[44] Pièce D-16, par. 50-52 et 57.
[45] Id., par. 45.
[46] Id., par. 58.
[47] Borowski c. Canada (procureur général),
[48] Loi sur l’encadrement du secteur financier, RLRQ, c. D-9.2, art. 4; Marston c. Autorité des marchés financiers,
[49] RLRQ, c. E-6.1, art. 7.
[50] Id., art. 34.1
[51] Autorité des marchés financiers c. 9192-6899 Québec inc.,
[52] Demande de contrôle judiciaire, par. 167-168, 215 et 260-320.
[53] RLRQ, c. D-9.2, r. 7.
[54] Pièce D-16, par. 58.
[55] Voir, par exemple : demande de contrôle judiciaire, par. 313.
[56] Id., par. 217.
[57] Id., par. 216.
[58] Id., par. 219.
[59] Id., par. 174; Document commun de gestion signé par les avocats des parties les 13 et 14 janvier 2025; représentations de l’avocat du demandeur à l’audience, notamment lorsque questionné à ce sujet par le Tribunal.
[60] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 51; Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration),
[61] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 51, par. 85; M.O. c. Société de l’assurance automobile du Québec,
[62] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 51, par. 75.
[63] M.O. c. Société de l’assurance automobile du Québec, préc., note 61, par. 21-27.
[64] Loi sur l’encadrement du secteur financier, préc., note 49, par. 4(1).
[65] Id., art. 8(1).
[66] Loi sur la distribution de produits et services financiers, préc., note 26, art. 12-13.
[67] Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, RLRQ, D-9.2, r. 7, art. 13 et 55.0.1.
[68] Id., art. 61.
[69] Loi sur la distribution de produits et services financiers, préc., note 26, art. 218(4).
[70] Pièce D-16, par. 41-42. Voir également le paragraphe 43.
[71] Pièce D-14, p. 4.
[72] Demande de pourvoi en contrôle judiciaire, par. 267.
[73] Id., par. 272-273; pièce D-16, par. 48.
[74] Demande de pourvoi en contrôle judiciaire, par. 273.
[75] Id., par. 276.
[76] Pièce D-16, par. 48.
[77] Bruni c. Québec (Autorité des marchés financiers),
[78] Id., par. 100-101.
[79] L.R.C. 1985, c. C-46.
[80] Pièce D-16, par. 57.
[81] Id., par. 52-56.
[82] Demande de contrôle judiciaire, par. 333 (transcription textuelle).
[83] Id., par. 335.
[84] Id., par. 336.
[85] Id., par. 316 (transcription textuelle). Voir également les paragraphes 297 à 325.
[86] Id., par. 316-319.
[87] Pièce D-16, par. 45, 47, 51 et 57. Voir également : Autorité des marchés financiers c. 9192-6899 Québec inc., préc., note 51, par. 34 et 51.
[88] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 51, par. 100-101.
[89] Autorité des marchés financiers c. 9192-6899 Québec inc., préc., note 51, par. 23. Voir également le paragraphe 51 de cet arrêt quant au fardeau incombant au demandeur.
[90] Demande de contrôle judiciaire, par. 391.
[91] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 51, par. 133.
[92] Id.
[93] Pièce D-16, par. 38-42, 47, 51 et 57.
[94] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 51, par. 99.
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