- Dans le dossier 500-09-700171-234, l’appelante, Ferme B.D.R. s.e.n.c., demande la réformation du jugement rendu le 26 mai 2023 par la Cour supérieure, district de Bedford (l’honorable Claude Dallaire), jugement qui rejette sa demande en injonction, en dommages-intérêts et en jugement déclaratoire à l’encontre des intimées, la Municipalité régionale de Comté de Rouville (ci-après « MRC de Rouville ») et la Municipalité de l’Ange-Gardien (ci-après « Ange-Gardien »)[1].
- Dans le dossier 500-09-700194-236, l’appelante et Daniel Ostiguy demandent la réformation des conclusions du même jugement qui rejette la demande en injonction et en dommages-intérêts contre les intimés Daniel Larose et Karine Roy (ci-après les « Larose-Roy ») et accueille la demande reconventionnelle de ces derniers en déclaration d’abus et en dommages-intérêts découlant de cet abus[2].
- Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Dutil et Bachand, LA COUR :
- REJETTE les appels avec les frais de justice.
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| JULIE DUTIL, J.C.A. |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. |
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Me Valérie Boucher |
VBOUCHER AVOCATE |
Pour Ferme B.D.R. s.e.n.c. et Daniel Ostiguy |
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Me Armand Poupart jr |
POUPART & POUPART AVOCATS |
Pour Municipalité régionale de Comté de Rouville |
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Me Élaine Francis |
VOX AVOCATS |
Pour Municipalité de L’Ange-Gardien |
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Me Yanick Messier |
MESSIER AVOCAT |
Pour Daniel Larose et Karine Roy |
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Date d’audience : | 19 février 2025 |
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A. Premier moyen d’appel
- L’appelante soutient d’abord que la juge de première instance a erré en refusant de reconnaître que le fossé qui sépare sa propriété de celle des Larose-Roy, de même qu’un autre fossé situé en aval (« section H »), forment un cours d’eau au sens de l’article 103 de la Loi sur les compétences municipales[3] (« LCM »). La qualification de cette voie d’eau importerait puisque, s’il s’agit d’un cours d’eau au sens de cet article, la MRC de Rouville a compétence à son égard.
- En effet, l’article 103 LCM prévoit une telle compétence à l’égard des cours d’eau à débit régulier ou intermittent, y compris ceux qui ont été créés ou modifiés par une intervention humaine, sauf dans l’un ou l’autre des cas prévus aux paragraphes 1 à 4 du premier alinéa de l’article. En outre, l’article 105 LCM édicte qu’une MRC « doit réaliser les travaux requis pour rétablir l’écoulement normal des eaux d’un cours d’eau lorsqu’elle est informée de la présence d’une obstruction qui menace la sécurité des personnes ou des biens ». Or, selon l’appelante, le perré aménagé par ses voisins dans le fossé mitoyen causerait une telle obstruction.
- L’appelante soutient que la première juge a erré en concluant que le fossé en litige est un fossé mitoyen au sens de l’article 1002 C.c.Q. et dès lors est exclu de la définition de cours d’eau, comme le prévoit l’article 103 al. 1, par. 3 LCM. Elle aurait omis de considérer la jurisprudence voulant qu’un fossé, bien que creusé par la main de l’homme, soit un cours d’eau au sens de la LCM s’il est joint à son embouchure par un ruisseau, ce qui en l’espèce est le cas.
- La question de savoir si un fossé canalisant l’eau est un cours d’eau qui relève de la compétence d’une MRC est une question mixte de fait et de droit[4]. Or, l’appelante ne relève aucune erreur manifeste et déterminante dans le raisonnement de la première juge à cet égard.
- L’affirmation proposée par l’appelante n’est appuyée que par un seul jugement[5] dans lequel la juge énonce prendre appui sur le jugement de la Cour supérieure Leblanc c. Haute-Yamaska (Municipalité régionale de comté de la)[6], confirmé par la Cour[7]. Or, ce que notre Cour a reconnu, c’est que lorsque les eaux d’un cours d’eau sont détournées vers un fossé qui rejoint en aval le lit original du même cours d’eau, la désignation de cours d’eau au sens de l’article 103 LCM s’étend à la totalité du parcours de ce cours d’eau, y compris la section du fossé alors emprunté. L’affirmation voulant que le seul fait qu’un fossé drainant un ou plusieurs terrains aboutit dans un cours d’eau fasse de ce fossé un cours d’eau au sens de l’article 103 LCM est donc erronée. Le résultat contraire serait d’ailleurs étonnant puisqu’il signifierait que pratiquement tous les fossés sont des cours d’eau, étant donné qu’ils aboutissent presque tous éventuellement dans un cours d’eau[8].
- En l’espèce, la preuve permettait à la juge de tirer, comme elle l’a fait, l’inférence selon laquelle ce fossé a été conçu par l’humain pour clore les lots : le rapport d’expertise de Mme Ouellet montre que le fossé a toujours suivi de près la ligne de séparation des fonds[9] et les arpenteurs-géomètres des deux parties indiquent que la ligne de séparation des fonds se trouve dans le fossé[10]. Le fait que le fossé ne se situe pas de manière égale sur les deux terrains n’est pas un obstacle pour le qualifier de fossé mitoyen, ce que le représentant de l’appelante, Daniel Ostiguy, admet d’ailleurs[11], tout comme il reconnaît le fait que le fossé existe depuis au moins 50 ans et qu’il a toujours été mitoyen[12].
- Ainsi, l’appelante ne montre pas d’erreur manifeste et déterminante dans le raisonnement de la juge qui l’a menée à conclure que ce fossé est un fossé mitoyen au sens de l’art. 1002 C.c.Q., et qu’il est donc visé par l’exception prévue à l’article 103 al. 1, par. 3 LCM, laquelle empêche de le qualifier de cours d’eau. Qui plus est, elle ne montre pas en quoi la conclusion de la juge, selon laquelle la preuve ne lui permettait pas de conclure que ce fossé a été transformé de manière à pouvoir être considéré comme faisant partie intégrante du cours d’eau du Village, serait erronée.
- Bien que le rejet de ce moyen suffise pour ne pas retenir la qualification de cours d’eau que l’appelante souhaite accoler à cette section du fossé, il peut être utile d’ajouter qu’est aussi non fondé le reproche adressé à la juge d’avoir conclu que ce fossé et sa section H satisfont également aux exigences d’exclusion prévues à l’article 103 al. 1, par. 4 LCM, c’est-à-dire être un fossé de drainage : a) qui est utilisé aux seules fins de drainage et d’irrigation; b) qui n’existe qu’en raison d’une intervention humaine; et c) dont la superficie du bassin versant est inférieure à 100 hectares. Le reproche adressé par l’appelante voulant que la juge n’ait pas considéré la preuve selon laquelle ces fossés servent aussi à la gestion des eaux qui proviennent d’une partie du secteur résidentiel de la rue principale est non fondé, puisque la juge en traite expressément.
- Enfin, l’appelante ne démontre pas que la juge aurait erré de façon manifeste et déterminante lorsqu’elle explique que même si elle avait conclu que ce fossé était un cours d’eau au sens de l’article 103 LCM, rien n’indique que la MRC de Rouville aurait été dans l’obligation d’intervenir. En effet, l’appelante n’a pas établi que le perré aménagé par ses voisins, les Larose-Roy, bien que créant une légère restriction de l’aire d’écoulement de l’eau, constitue une obstruction qui menace la sécurité des personnes ou des biens (art. 105 LCM). L’intervention de la MRC de Rouville n’aurait donc pas été requise de toute façon.
B. Deuxième moyen d’appel
- De façon subsidiaire, l’appelante soutient que la première juge a erré en ne reconnaissant pas qu’en modifiant le tracé du fossé mitoyen, les Larose-Roy ont aggravé la servitude d’écoulement des eaux, ce qu’interdit l’article 979 C.c.Q. La preuve démontre que, depuis l’aménagement du perré, l’eau qui circule dans le fossé empiète dorénavant plus sur le terrain de l’appelante, et ce, sur toute la longueur de ce perré, soit approximativement 20 mètres, alors qu’auparavant elle circulait presque entièrement sur le terrain des Larose-Roy. La juge aurait dû conclure que l’appelante n’était pas obligée de recevoir cette eau et ainsi ordonner aux Larose-Roy de restaurer le tracé du fossé mitoyen comme il était avant l’aménagement du perré.
- Ce moyen doit être rejeté. D’abord, il est fort douteux que l’article 979 C.c.Q. puisse s’appliquer à cette légère déviation de la circulation de l’eau dans un fossé de ligne, puisque l’eau s’y écoulait déjà avant l’aménagement du perré.
- En partant toutefois de l’hypothèse que l’article 979 C.c.Q. s’applique à ce cas, encore faudrait-il que l’appelante ait démontré que le perré a modifié de manière plus que négligeable le tracé de l’eau, ce qu’elle n’a pas fait. Enfin, lorsqu’interrogé[13] sur les inconvénients découlant de la présence de ce perré, le représentant de l’appelante, Daniel Ostiguy, affirme que l’unique raison d’être de son recours initial était la crainte de problèmes futurs lors du nettoyage de cette section du fossé d’environ 20 mètres de longueur, et non l’empiétement de l’eau sur son terrain. L’appelante ne démontre pas non plus que la juge aurait erré de façon manifeste et déterminante lorsqu’elle a estimé que la preuve ne permettait pas de conclure qu’elle subissait une perte de terrain cultivable en raison de la présence de ce perré.
- De plus, si tant est que les terres de l’appelante ont réellement subi des inondations, l’appelante ne pointe pas l’erreur manifeste que la juge aurait commise et qui vicierait de façon déterminante sa conclusion voulant qu’elle n’ait pas prouvé que le perré jouait un rôle dans les problématiques de refoulements et d’inondations alléguées, que la présence de celui-ci affectait la sécurité de ses terres agricoles ou que la légère déviation occasionnée par le perré établirait un lien de causalité avec les débordements, les inondations et les pertes de récoltes alléguées, ou encore avec la diminution de la valeur de ses terres.
C. Troisième moyen d’appel
- Le troisième moyen d’appel en comporte plusieurs.
- Le premier, dirigé contre l’Ange-Gardien, prend assise une nouvelle fois sur l’article 979 C.c.Q., soit l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux. Pour bien comprendre quel en est l’objet, il importe de s’arrêter aux conclusions demandées qui s’y rattachent, tant en première instance qu’en appel :
ORDONNER également à l’intimée/défenderesse Ange-Gardien de prendre à ses frais les mesures pour éviter à l’appelante/demanderesse les inondations répétées de ses terres, notamment relocaliser l’exutoire des pluviaux. (…) prendre à sa charge, l’aménagement et l’entretien de ce fossé litigieux de manière à éviter les inondations ou tout autre moyen visant à réduire la quantité d’eau pluviale dans les fossés de la demanderesse et dans le Cours d’eau du Village dans les 45 jours du jugement à intervenir et à tous les 5 ans par la suite;
[Soulignement ajouté]
- L’appelante allègue que ses terres subissent chaque année plusieurs inondations dont l’Ange-Gardien serait responsable parce qu’elle a autorisé l’aménagement du nouveau secteur résidentiel de la rue Laurent-Barré sans avoir planifié adéquatement les besoins en matière de gestion des eaux, qu’elle aurait dirigées vers un égout pluvial qui se déverserait dans le fossé litigieux. La faute de l’Ange-Gardien serait d’autant plus grave que le niveau de ce nouveau secteur a été rehaussé, inversant sa situation par rapport au terrain de l’appelante.
- Le deuxième élément proposé dans le cadre de ce moyen d’appel prend appui sur l’article 1465 C.c.Q., soit le préjudice causé par le fait autonome de la chose, en l’espèce le système hydrique composé des égouts pluviaux de l’Ange-Gardien mentionné ci-haut et du cours d’eau du Village, dont la responsabilité incombe à la MRC de Rouville en vertu de l’article 105 LCM.
- La première juge conclut que l’appelante n’a pas fait la démonstration probante qu’elle subit des inondations dont la cause serait le mauvais entretien ou une capacité insuffisante du cours d’eau du Village. Elle estime que l’appelante n’a pas présenté de preuve prépondérante qui démontrerait que les problèmes associés à la canalisation du cours d’eau du Village avant 2015 n’ont pas été corrigés par les travaux d’envergure réalisés depuis par l’Ange-Gardien à la suite d’une délégation de compétence de la MRC de Rouville en sa faveur[14]. Elle conclut aussi que l’eau provenant de l’exutoire de l’égout pluvial d’une partie de la rue Principale qui, depuis plus de 40 ans, coule jusqu’au cours d’eau du Village, en passant par un premier fossé, puis par le fossé mitoyen en litige, n’est pas la cause de l’inondation de ses terres.
- L’appelante soutient que la première juge a erré à l’égard de chacune de ces conclusions, principalement en ne reconnaissant pas que ses terres sont régulièrement inondées, raison d’être de ses demandes contre la MRC de Rouville et l’Ange-Gardien. Elle a tort.
- La juge, qui a reçu et apprécié la preuve, écarte le témoignage de M. Ostiguy voulant que ses terres soient inondées en d’autres moments que lors de redoux l’hiver ou d’autres périodes lors desquelles l’état du cours d’eau du Village n’est pas en cause. Elle estime que la preuve démontre que la MRC de Rouville a été proactive dans la gestion qui lui incombait du cours d’eau du village, particulièrement en 2015 et 2017, alors qu’elle y a effectué d’importants travaux de remplacement de conduites et de nettoyage. Le fait que de l’eau puisse s’accumuler dans les fossés litigieux et dans le cours d’eau du Village lors de redoux ou de pluies printanières et automnales extrêmes ne peut à lui seul servir à démontrer un lien causal suffisant entre la présence d’eau dans de telles conditions météo et un défaut d’entretien du cours d’eau ou un défaut dans la capacité de canalisation. Tout le secteur est situé dans une plaine, ce qui implique que l’eau ne peut s’écouler que lentement. L’appelante ne montrant pas d’erreur manifeste et déterminante dans le raisonnement de la juge, la Cour doit déférence à cette appréciation.
- L’appelante reproche en outre à la juge d’avoir écarté le rapport de son expert, Éric Collard, pour la seule raison qu’il n’aurait pas joint à son rapport les feuilles de calcul au soutien de ses hypothèses, ce qui n’aurait que peu d’importance, sinon aucune.
- C’est la norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante qui s’applique, aussi bien aux allégations d’erreurs de fait ou d’erreurs mixtes de fait et de droit, qu’en matière d’évaluation des rapports et des témoignages d’experts : « … le juge des faits jouit d’une grande discrétion dans l’appréciation des expertises, ce qui est davantage le cas, lorsque confronté à des expertises contradictoires »[15].
- En l’espèce, la juge écarte le témoignage de l’expert non seulement pour la raison invoquée par l’appelante, mais aussi pour l’ensemble des autres raisons qu’elle explicite à la note de bas de page 116 de ses motifs, auxquelles la Cour doit déférence.
D. Quatrième moyen d’appel
- Ce moyen d’appel porte sur la conclusion de la juge déclarant que le recours des appelants contre les défendeurs Larose-Roy était abusif. L’appel ne porte pas sur le quantum de l’indemnité accordée.
- Les appelants soutiennent que la juge de première instance n’a pas réellement analysé les critères énoncés par la jurisprudence pour conclure que la demande était abusive. Le recours reposait sur une preuve d’expert qui concluait que le perré avait modifié le lit d’écoulement du fossé, qui passait dorénavant davantage sur le lot appartenant à l’appelante. Ainsi, il était raisonnable de craindre que cela aurait pour effet d’aggraver la servitude d’écoulement des eaux et la jurisprudence enseigne que cette crainte, malgré l’absence de dommage, peut tout de même fonder un recours[16]. Ils notent aussi certaines erreurs de fait que la juge aurait commises dans le raisonnement l’ayant menée à déclarer leur demande abusive.
- L’appréciation du caractère abusif d’une demande ou d’un acte de procédure est contextuelle et implique la pondération de différents facteurs, soit « la proportionnalité, les montants pécuniaires réclamés, l’acharnement durant l’instance, une assise juridique frivole, la volonté de nuire à autrui, le préjudice auquel on expose autrui et le déséquilibre des forces en présence »[17]. La Cour rappelle dans Biron c. 150 Marchand Holdings inc. que « dans tous les cas, la barre est haut placée et elle doit le demeurer au risque de banaliser ce qu’est une procédure abusive et de constituer un frein à l’accès à la justice »[18]. De ce rappel à la prudence découle le fait qu’en cas de doute, on doit laisser au juge du fond le soin de déterminer si la demande ou une procédure est abusive[19]. Pour conclure qu’un abus donne droit au remboursement des honoraires extrajudiciaires, il doit s’agir d’une conduite objectivement fautive, c’est-à-dire qu’« une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure »[20]. L’existence d’un abus de procédure étant une question de fait, la Cour n’interviendra qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante[21].
- L’argument avancé par les appelants selon lequel la déclaration d’abus serait difficilement conciliable avec le fait que la juge ait voulu que les intimés Larose-Roy restent des parties au litige, malgré la demande en sens contraire qu’ils ont présentée le premier jour du procès, ne convainc pas. La juge a préféré faire preuve de prudence et bien comprendre le litige avant de se prononcer sur la question du caractère abusif de leur recours, décision qui se justifiait[22].
- Ensuite, les appelants reprochent à la juge de ne pas s’être livrée à l’analyse des facteurs pertinents avant de conclure à l’abus. Or, au contraire, la juge aborde l’acharnement pendant l’instance[23] et l’assise juridique frivole du recours des appelants[24] contre les Larose-Roy.
- Les appelants soutiennent également que la juge aurait commis plusieurs erreurs de fait. Pour les raisons qui suivent, leurs reproches sont sans fondement.
- Selon eux, la juge aurait erronément conclu que M. Ostiguy a donné son accord à la construction du perré dans le fossé, alors que celui-ci n’avait acquiescé qu’à condition que le perré ne modifie pas l’écoulement de l’eau et que le fossé litigieux ne soit pas touché par les travaux.
- S’il s’agit là d’une erreur, elle n’est aucunement déterminante. Cela dit, l’argument des appelants voulant que M. Ostiguy n’ait donné son accord que pour la construction d’un perré qui ne toucherait pas le fossé mitoyen est difficilement recevable, puisque s’il n’avait pas été question que le perré empiète sur le fossé mitoyen, les Larose-Roy n’auraient eu aucune raison de demander l’accord de M. Ostiguy.
- Dans la même veine, les appelants soutiennent que la juge a tiré une inférence négative de leur aveu selon lequel le perré n’empiète pas sur leur terrain, alors qu’en employant le mot « empiétement », ils voulaient désigner la surface cultivable perdue en raison de la déviation du tracé du fossé.
- Cet argument n’est pas convaincant puisque leur demande introductive d’instance parle d’empiétement sans faire de distinction entre les règles relatives à l’empiétement prévues au C.c.Q et ce qu’ils soutiennent avoir voulu dire en employant ce terme[25].
- Les appelants ajoutent que la juge aurait aussi erré en tenant compte du moment choisi pour introduire leurs recours judiciaire et signifier leurs procédures. La Cour n’est pas de cet avis. Sans être déterminant, le fait que les appelants aient signifié une mise en demeure et des procédures à trois reprises juste avant la période des Fêtes pouvait être pris en compte pour conclure qu’ils faisaient peu attention au stress que celles-ci étaient susceptibles de causer aux intimés Larose-Roy.
- Selon les appelants, la juge aurait par ailleurs erré en tirant une inférence négative du fait que les représentants de l’appelante n’auraient consulté les rapports d’expertise des intimés que peu avant l’audience, alors que rien n’indiquait qu’ils n’avaient pas pris connaissance de ceux-ci préalablement et qu’ils ne les avaient lus que juste avant le procès. Les appelants semblent avoir ici raison puisque la représentante de l’appelante a affirmé non pas qu’elle avait lu le rapport peu avant le procès, mais bien qu’elle l’avait alors relu. Toutefois, étant donné la liste impressionnante de gestes reprochables imputés par la juge aux appelants, cette erreur n’apparaît pas déterminante.
- La juge aurait aussi erré en tirant une inférence négative du fait qu’ils n’auraient mis en preuve que des photos représentant des moments où la quantité d’eau sur les terres, dans le cours d’eau et dans les fossés, était anormalement élevée. Les appelants soutiennent que les photos visaient dans l’ensemble à bien représenter la situation factuelle. Cet argument est rejeté puisqu’il ne fait que contredire la conclusion de la juge sans toutefois relever d’erreur dans celle-ci.
- Les appelants plaident que la juge aurait de plus erré en concluant qu’ils ne donnaient pas suite aux différentes propositions de règlement des intimés. Ce moyen est rejeté, faute de démonstration d’éléments de preuve précis au soutien de cette affirmation.
- Enfin, la première juge aurait erré en concluant que leur recours contre les intimés Larose-Roy n’était qu’un prétexte pour en entreprendre un contre les intimés Ange-Gardien et MRC de Rouville. Les appelants plaident qu’ils n’étaient pas en mesure de déterminer la cause de la présence d’eau sur leur terrain, même avant la construction du perré, et que ce n’est qu’en 2016 qu’ils auraient appris l’existence de l’exutoire pluvial de la municipalité qui se déversait dans leur fossé. Ce moyen ne peut être retenu. Au contraire, si tel était le cas, ils auraient alors dû abandonner sans délai leur recours contre les Larose-Roy.
- En somme, les appelants ne mettent en lumière aucune erreur manifeste et déterminante dans l’énonciation faite par la juge des gestes et omissions des appelants qui l’ont menée à conclure qu’ils ont abusé de la procédure.
L’appel est-il abusif ?
- Les intimés demandent tous les quatre dans leur mémoire que l’appelante soit condamnée à leur verser une somme additionnelle de 10 000 $ chacun à titre de dommages-intérêts punitifs. Ils soutiennent qu’en appel, l’appelante ne soulève que des généralités, et que de répondre à tous ses arguments a représenté une tâche colossale. Il est évident que l’appel est quant à lui abusif, puisque des mesures élémentaires auraient permis à l’appelante de constater qu’il n’avait aucune chance de succès.
- Dans l’arrêt Vallières c. Banque de développement du Canada[26], la Cour note que les cas où les appels sont déclarés abusifs sont rares, tout comme les condamnations pécuniaires :
[38] Les circonstances dans lesquelles un appel sera déclaré abusif sont rares, même lorsqu’il est rejeté en vertu de l’art. 365 C.p.c. Sont tout aussi rares les condamnations pécuniaires. Le plus souvent, l’on considère que le rejet sommaire de l’appel ou le refus d’accorder la permission d’appeler est une sanction suffisante, même quand l’appel est abusif.[27]
- Je ne crois pas que la Cour devrait faire droit aux demandes de déclaration d’abus et de condamnations pécuniaires. La condamnation pécuniaire ordonnée par la juge de première instance à hauteur de près de 130 000 $, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle, est une sanction suffisante et nous ne sommes pas dans l’un des rares cas qui justifient une condamnation pécuniaire en appel.
- Je propose donc le rejet des appels, avec les frais de justice.
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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[1] Ferme BDR c. Larose, 2023 QCCS 1896 [jugement entrepris].
[2] Dont le quantum est établi dans Ferme BDR c. Larose, 2023 QCCS 3661.
[4] Pierre-Édouard Asselin, « Cours d’eau ou fossé de drainage ? Les méandres de la jurisprudence traitant de la qualification d’un lit d’écoulement selon l’article 103 (4o) de la Loi sur les compétences municipales » (2024) 550 Développements récents en droit municipal 5, p. 6.
[5] Municipalité de Très-Saint-Sacrement c. Tiberghien, 2020 QCCS 1754.
[7] Leblanc c. Municipalité régionale de comté de la Haute-Yamaska, 2017 QCCA 75.
[8] Voir Haute-Yamaska (Municipalité régionale de comté de la) c. Camping Granby inc., 2014 QCCA 2200, par. 7-10 citant Haute-Yamaska (Municipalité régionale de comté de la) c. Camping Granby inc., 2013 QCCS 3023, par. 31-32. Voir aussi Voghell c. Municipalité régionale de comté (MRC) de Rouville, 2019 QCCS 773, par. 306-308.
[9] Pièce D-6, Rapport d’expertise préparé par madame Audrey Ouellet, ingénieure, d’ALGP Consultants inc., daté du 6 octobre 2016.
[10] Pièce P-4, Rapport accompagnant le plan de localisation et levé topographique préparé par Daniel Touchette, arpenteur-géomètre, daté du 2 juillet 2015, conclusion 5); Contre-interrogatoire de Daniel Gélinas, p. 32, lignes 17-20.
[11] Contre-interrogatoire de Daniel Ostiguy, p. 30, lignes 14-16.
[12] Interrogatoire de Daniel Ostiguy, p. 51, lignes 1-4.
[13] Interrogatoire de Daniel Ostiguy, p. 86, lignes 16-20.
[14] Résolution 14-11-9504 de la MRC de Rouville.
[15] Entreprises d’électricité Rial inc. c. Lumen, division de Sonepar Canada inc., 2010 QCCA 655, par. 28, cité dans Thibault c. Fortin, 2018 QCCA 1573, par. 25; Ville de Mont-Tremblant c. Succession de Miron, 2020 QCCA 701, par. 42. Voir aussi Rivard c. Asselin, 2019 QCCA 302, par. 14; M.G. c. Pinsonneault, 2017 QCCA 607, par. 140; Tomassini c. Maher (Succession de), 2014 QCCA 2088, par. 4; Deschênes c. Perron, 2011 QCCA 2228, par. 18.
[16] L’appelante cite à cet égard Tremblay c. Gagnon, 2007 QCCQ 4130 et Tremblay c. Marchand (succession de), 1986 R.D.I. 703.
[17] Ste-Marie c. Québecor Média inc., 2021 QCCS 4108, par. 82, infirmé en partie (mais non sur ce point) par Ouellet c. Ste-Marie, 2022 QCCA 495. Cet enseignement a été repris dans Allard c. Raîche, 2024 QCCS 1390, par. 41; P.V. c. C.V., 2022 QCCS 4720, par. 62; Gravel c. Orlup, 2022 QCCS 3228, par. 67.
[18] Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 126.
[19] Voir Brazil c. Boileau, 2020 QCCA 84, par. 9, citant 9105-3975 Québec inc. c. Andritz Hydro Canada inc., 2018 QCCA 1968, par. 11; Roxboro Excavation inc. c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 450, par. 9.
[20] Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915, par. 46, cité dans 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807, par. 21; Vandal c. Municipalité de Boileau, 2020 QCCA 777, par. 8.
[21] Voir notamment Gestion ITR inc. c. Intact Compagnie d’assurance, 2024 QCCA 398, par. 62; Robertson c. Robertson, 2023 QCCA 679, par. 26; Municipalité de Saint-François-du-Lac c. Rainville, 2022 QCCA 1683, par. 38; Ouellet c. Ste-Marie, 2022 QCCA 495, par. 16; Syndicat de la copropriété de l’Île Bellevue Phase I c. Propriétés Belcourt inc., 2021 QCCA 92, par. 31.
[22] Brazil c. Boileau, 2020 QCCA 84, par. 9.
[23] Jugement entrepris, par. 409.
[25] Demande introductive d’instance en injonction modifiée (3) pour jugement déclaratoire et dommages-intérêts, 7 novembre 2018, par. 15.10.8.