Décision

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Ville de Blainville c. Procureur général du Québec

2025 QCCA 457

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-031443-252

(700-17-021363-253)

 

DATE :

16 avril 2025

 

 

DEVANT

L'HONORABLE

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

VILLE DE BLAINVILLE

REQUÉRANTE – demanderesse

et

 

COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL

REQUÉRANTE – mise en cause

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

IMTIMÉ – défendeur

et

 

STABLEX CANADA INC.

MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE COMTÉ DE THÉRÈSE-DE-BLAINVILLE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MIS EN CAUSE – mis en cause

 

 

JUGEMENT

 

 

  1.                 Les requérantes sollicitent la permission d’appeler d’un jugement rendu le 2 avril 2025 par la Cour supérieure (l’honorable Audrey Boctor), district de Terrebonne, qui rejette une demande en sursis et en injonction interlocutoire provisoire déposée par la Ville de Blainville[1].
  2.                 Le 28 mars 2025, la Loi concernant notamment le transfert de propriété d’un immeuble de la Ville de Blainville Loi 93 »)[2] est entrée en vigueur. Cette loi autorise l’expropriation par la province d’un terrain forestier et de milieux humides qui appartiennent à la Ville. L’objectif prévu par la Loi 93 est d’autoriser une entreprise, la mise en cause Stablex Canada inc. (« Stablex »), à élargir et à aménager immédiatement un lieu de dépôt définitif de matières dangereuses qu’elle gère actuellement sur un site à proximité, afin qu’elle puisse utiliser ce nouveau site à partir du mois de janvier 2027 et pour une durée de 40 ans. La Loi 93 vise non seulement l’expropriation du terrain, elle rend aussi inapplicable à cette opération toute réglementation municipale et elle accorde une immunité partielle de poursuite judiciaire contre Stablex. L’exploitation des nouveaux emplacements autorisée par la Loi 93 nécessite de grands travaux qui vont entraîner des conséquences majeures pour l’environnement et qui vont affecter 54,7 hectares de couvert forestier et de 27,8 hectares de milieux humides.
  3.                 Les travaux ont déjà commencé.
  4.                 Le 26 mars 2025, la requérante, Ville de Blainville, a signifié à l’intimé et aux mis en cause une Demande introductive d’instance de pourvoi en contrôle judiciaire, en sursis et en injonction interlocutoire provisoire. La demande, dans sa portion sursis et injonction provisoire, a été présentée à la Cour supérieure le 31 mars 2025, trois jours après l’adoption sous le bâillon de la Loi 93.
  5.                 La conclusion recherchée dans le pourvoi en contrôle judiciaire est une déclaration d’invalidité constitutionnelle des articles 2 à 10 et 12 de la Loi 93. La Ville soutient que la loi est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés et avec la Loi constitutionnelle de 1867.
  6.                 La conclusion recherchée dans la demande en sursis et en injonction interlocutoire provisoire est la suspension de diverses dispositions de la Loi 93 dans l’attente d’un jugement sur le pourvoi en contrôle judiciaire afin d’éviter un préjudice environnemental irrémédiable.
  7.                 Le 2 avril 2025, la Cour supérieure rejette la demande de la Ville en sursis et en injonction interlocutoire provisoire. Elle conclut que la balance des inconvénients ne milite pas en faveur de la position de la Ville. C’est de ce jugement que la Ville souhaite être autorisée à interjeter appel (le pourvoi en contrôle judiciaire se poursuivant par ailleurs devant la Cour supérieure).
  8.                 Les principes qui s’appliquent à l’évaluation d’une requête de cette nature sont bien établis par le Code de procédure civile et la jurisprudence. Ces principes se déclinent en quatre temps[3].
  9.                 Dans un premier temps, l’article 31 C.p.c., applicable aux jugements rendus en cours d’instance, comme c’est ici le cas, édicte comme condition préliminaire à la permission d’appeler que celle-ci ne soit accordée que si le jugement entrepris décide en partie de la question en litige ou s’il cause un préjudice auquel un jugement sur le fond ne pourra remédier. La jurisprudence exige que le requérant démontre en outre que la permission serait conforme aux principes directeurs de la procédure, notamment à l’intérêt de la justice et à la proportionnalité. Le juge autorisateur doit également tenir compte du sérieux de la question soumise et des chances de succès de l’appel si, le cas échéant, la permission était accordée[4]. Il faut toujours se rappeler que l’article 31 C.p.c. impose au juge unique une tâche de filtrage et que le fardeau incombant au requérant est lourd.
  10.            Dans un deuxième temps, le fardeau du requérant est plus exigeant encore lorsque la demande de permission d’appeler vise un jugement statuant sur une demande de sursis, de sauvegarde ou autre mesure provisoire ou interlocutoire. En pareil cas, une permission ne sera accordée qu’exceptionnellement[5], voire très rarement. La déférence est en effet de mise parce qu’il s’agit de décisions hautement discrétionnaires[6] et qui ne lient pas le juge qui sera appelé à rendre une décision sur le fond[7]. Comme l’explique le juge Sansfaçon dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard[8], qui résume les facteurs pertinents, applicables tant au jugement qui accorde ou refuse une telle mesure :

[7] S’agissant d’un jugement rendu en cours d’instance, l’ordonnance de sursis n’est appelable que sur permission d’un juge de la Cour s’il estime que le jugement décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie. Ainsi, selon la volonté du législateur, la justesse des motifs du jugement passe alors au second rang, le législateur privilégiant l’économie des ressources judiciaires et la tenue rapide de l’audition du fond, étape où les questions en litige et les droits des parties qui en dépendent seront tranchés de façon définitive.

[8] À cet obstacle à l’octroi d’une permission d’appeler d’une ordonnance de sursis s’en ajoute un second, qui est que tant le prononcé d’une ordonnance de sursis que son refus relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour supérieure, de sorte que la Cour d’appel ne doit intervenir que s’il y a exercice erroné de cette discrétion ou encore s’il existe une erreur de droit dans la décision de la Cour supérieure. Les critères applicables à la permission d’appeler d’un tel jugement ont été résumés par le juge Kasirer, alors de notre Cour :

[4] La demande de permission est sollicitée en vertu de l’article 31 C.p.c. En application des critères énoncés à l’alinéa 2 de cet article, il est acquis qu’une demande de permission d’appeler d’un jugement ordonnant un sursis n’est accordée que dans des circonstances exceptionnelles, tout comme c’est le cas pour un jugement ordonnant une sauvegarde ou une injonction provisoire : voir, par ex., FIQ - SPSSODIM c. CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, 2018 QCCA 1857, paragr. [11] (le juge Schrager, juge unique). Les raisons justifiant cette parcimonie sont connues : un tel jugement est le reflet de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit déférence en appel; il est très souvent éphémère dans ses effets; et le juge du fond ne sera pas lié par les déterminations faites lors de ce jugement rendu en cours d’instance sur la base d’un dossier forcément incomplet : voir, généralement, PCM Sales Canada Inc. c. Botero-Rojas, 2017 QCCA 1874 (la juge Bich, juge unique). Règle générale, avant d’accorder la permission d’appeler, on exige la démonstration d’une faiblesse apparente du jugement attaqué conjuguée à l’urgence d’éviter un préjudice important : voir, par ex., Chambly (Ville de) c. Québec (Procureure générale), 2016 QCCA 94, paragr. [3] (le juge Mainville, juge unique).

[9] Enfin, la permission ne sera accordée que si le meilleur intérêt de la justice le commande en tenant compte du principe de proportionnalité.

[Renvois omis]

  1.            Il s’ensuit que, au stade de la permission d’appeler, un juge de la Cour d’appel ne peut accorder une telle permission qu’en présence d’une faiblesse apparente dans le jugement de première instance[9]. Une forte retenue s’impose donc[10].
  2.            Dans un troisième temps, le fardeau du requérant qui demande une permission d’appeler du refus d’octroyer un sursis de l’application d’une loi est encore plus serré en raison de la présomption de validité des lois et de la présomption selon laquelle les lois sont adoptées dans l’intérêt du public[11].
  3.            Enfin, dans un quatrième temps, comme le rappelle une jurisprudence constante :

[106] Lorsqu’un jugement accordant ou refusant un sursis de l’application d’une loi est porté en appel, une cour d’appel ne peut intervenir que dans de rares circonstances. En effet, la décision d’accorder ou de refuser un tel recours relève d’un pouvoir discrétionnaire du juge d’instance et une cour d’appel ne doit pas modifier la décision en découlant simplement parce qu’elle aurait exercé ce pouvoir différemment. En effet, la décision d’accorder ou de refuser un tel recours relève d’un pouvoir discrétionnaire du juge d’instance et une cour d’appel ne doit pas modifier la décision en découlant simplement parce qu’elle aurait exercé ce pouvoir différemment. Dans l’affaire Metropolitan Stores, p. 155-156, la Cour suprême du Canada a précisé les circonstances dans lesquelles l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire peut être infirmé en appel et celles-ci ont été récemment reprises par le juge Brown écrivant pour une Cour suprême unanime dans l’affaire R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196, par. 27 :

Une intervention en appel est justifiée uniquement lorsque le juge en cabinet a pris une décision qui [traduction] « repose sur une erreur de droit ou sur une interprétation erronée de la preuve produite devant lui », lorsque « le caractère erroné [d’une conclusion] peut être démontré par des éléments de preuve supplémentaires dont on dispose au moment de l’appel », lorsque les circonstances ont changé, ou lorsque la « décision du juge d’accorder ou de refuser l’injonction est à ce point aberrante qu’elle doit être infirmée pour le motif qu’aucun juge raisonnable [. . .] [n’]aurait pu la rendre »[12].

  1.            Dans la mesure où, sur le fond, une cour d’appel n’interviendra que dans des circonstances très limitées, il en découle que la permission d’appeler du refus d’un sursis ne saurait être accordée que si la partie requérante est en mesure de montrer prima facie que le jugement entrepris révèle la possibilité d’une telle erreur évidente ou que la discrétion s’est exercée d’une manière non judicieuse qui saute aux yeux[13].
  2.            Ce n’est pas le cas en l’espèce.
  3.            Personne ne suggère que la Cour supérieure s’est trompée dans l’identification des principes applicables pour les fins de sa décision. La Ville soutient toutefois que la Cour supérieure se serait trompée dans l’application de ces principes et plus spécifiquement celui de la prépondérance des inconvénients. Or, l’évaluation de ce critère est un exercice hautement factuel et, par conséquent, un juge de la Cour d’appel doit faire preuve de retenue et de déférence envers l’appréciation de la preuve par la cour d’instance.
  4.            En l’espèce, la Cour supérieure, qui reconnaît l’existence d’une question sérieuse (quoique « tout juste »[14]) et du préjudice irrémédiable allégué par la Ville, a examiné et analysé toute la preuve pertinente afin d’évaluer si la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la continuation des travaux suivant les dispositions de la Loi 93 ou, d’autre part, d’un arrêt des travaux entraînant un bris de service dans le traitement de matières dangereuses par la compagnie Stablex.
  5.            Il convient de reproduire textuellement l’analyse complète de la prépondérance des inconvénients faite par la Cour supérieure : 

[122] Le PGQ a reconnu d’emblée que la décision que le gouvernement a prise dans le présent dossier était difficile et impopulaire. Toutefois, selon le PGQ, il a agi par nécessité d’éviter un bris de service dans la gestion des MDR et les risques afférents pour le public.

[123] L’objet de la Loi reflète ces préoccupations et se lit comme suit :

1. La présente loi a pour objet d'assurer aux entreprises et organismes québécois l'accès continu et durable à un lieu de dépôt définitif des matières dangereuses résiduelles qu'elles génèrent, afin de prévenir, dans l'intérêt public, toute atteinte à l'environnement et à la sécurité des personnes et des biens que pourrait causer un bris de service dans la disposition de ces matières.

À ces fins, elle transfère à l'État la propriété d’un immeuble pour qu'un lieu de dépôt définitif de matières dangereuses résiduelles puisse y être établi.

[124] Selon la preuve administrée devant le Tribunal, la situation est la suivante.

[125] À la lumière des projections de Stablex – la seule preuve à cet égard dont le Tribunal dispose – le traitement des matières reçues par Stablex génère annuellement près de 200 000 m3 de stablex devant être éliminé de façon sécuritaire dans une cellule de placement aménagé à cette fin. En date du 1er janvier 2025, la capacité résiduelle de la cinquième cellule était d’environ 477 000 m3. Ainsi, selon les plus récentes données et projections de Stablex, la cinquième cellule atteindra sa pleine capacité en mai 2027.

[126] L’exploitation de la sixième cellule doit débuter avant que la cinquième cellule n’atteigne sa pleine capacité, car la quantité de stablex pouvant être placée quotidiennement dans la cinquième cellule diminuera progressivement dans les trois à six mois qui précèderont l’atteinte de sa pleine capacité en raison de la réduction de la surface résiduelle disponible pour placer le stablex et le laisser mûrir.

[127] Afin d'éviter un bris de service, la sixième cellule doit donc être disponible au plus tard en janvier 2027.

[128] Selon le plan de travail détaillé de Stablex, il faut compter au moins 21 mois de travaux entre le début des travaux d’aménagement de la sixième cellule et sa mise en service.

[129] Ces travaux comprennent un déboisement initial de six hectares qui ne pourra être accompli entre le 15 avril 2025 et le 1er septembre 2025 en raison de la période de nidification des oiseaux migrateurs.

[130] Ainsi, un sursis aurait pour effet de rendre impossible la mise en service de la sixième cellule avant que la cinquième n’atteigne sa pleine capacité.

[131] Quant à l’option du Site initial, selon la preuve administrée, celui-ci n’est plus viable parce que les travaux d’ingénierie nécessaires pour concevoir et réaliser cet aménagement n’ont pas été achevés, ni les permis obtenus, ce qui exigerait plusieurs mois de travail.

[132] Par ailleurs, Stablex et le gouvernement ont tous deux écarté le Site initial en raison des enjeux de nuisance et les coûts et enjeux liés au déplacement d’argile excédentaire présent sur le site.

[133] Selon la preuve, en cas de rupture de service, il existe peu ou pas de marge de manœuvre dans le marché actuel. Les entreprises du Québec ont expédié des MDR vers 22 lieux d'élimination en Amérique du Nord dont six au Canada. De ces 22 sites, sept sont spécialisés dans l'enfouissement de MDR et pourraient accueillir des résidus analogues à ceux reçus chez Stablex.

[134] Toutefois, parmi ces sept sites, seulement deux sont situés à moins de 2000 km du Québec, soit un site à Sarnia en Ontario et un autre à Belleville, Michigan. Selon la preuve, ces sites sont à pleine capacité.

[135] Selon les scénarios envisagés par la Direction générale des politiques en milieu terrestre, les entreprises et municipalités qui dépendent de Stablex devraient soit entrer dans un mode de surenchère pour tenter d’éliminer leurs MDR dans un site autorisé hors Québec, soit entreposer sur leurs sites ou dans des sites non autorisés les MDR excédentaires, soit cesser leurs opérations.

[136] Selon l'analyse d'impact réglementaire « [c]ette situation pourrait conduire le Québec dans une impasse similaire à celle rencontrée dans les années 1970 à 1980 avant le début des opérations de Stablex, soit une absence de solution locale pour certaines MDR, entraînant un enjeu d'accumulation dans les industries qui les génèrent ».

[137] Ainsi, si le sursis est accordé, il y a un préjudice non seulement présumé, mais bien réel et significatif à l’intérêt public.

[138] La Ville soutient que l’urgence en l’espèce a été entièrement créée par Stablex qui n’a pas poursuivi d’option autre que le Terrain de la Ville en temps opportun. De plus, les enjeux de nuisance ont été largement réglés et ne peuvent servir de justification pour avoir écarté le Site initial. Enfin, si Stablex devait payer la facture pour déplacer les dépôts d’argile qui devaient de toute façon être temporaires, il s’agit d’un coût d’affaires que Stablex doit assumer ou refiler à ses clients.

[139] La Ville suggère par ailleurs que Stablex pourrait simplement accepter moins de matières provenant de l’extérieur de la province et ainsi prolonger la capacité de la cinquième cellule. Enfin, la Ville soutient qu’en cas de bris de service, le fait que les clients de Stablex doivent payer plus en surenchère n’est qu’un préjudice économique.

[140] En fin de compte, la Ville remet en question que la Loi est dans l’intérêt public et reproche au gouvernement de s’être fiée uniquement aux prétentions de Stablex. Pour la Ville, la balance penche ainsi manifestement en faveur de la protection de l’environnement, qui est elle-même d’intérêt public.

[141] Avec égards pour l’opinion contraire, et bien que la Ville fasse également valoir des intérêts publics importants de protection de l’environnement et démontre des préjudices sérieux et irréparables, le Tribunal est d’avis que l’intérêt public, en l’espèce, penche en faveur du maintien en vigueur de la Loi pendant l’instance.

[142] Au-delà de la présomption selon laquelle la mesure législative a été adoptée pour le bien du public et sert un objectif d’intérêt général valable, la preuve confirme qu’il y avait une nécessité d’agir afin d’éviter un bris de service dans le traitement sécuritaire des MDR, un enjeu environnemental et de sécurité publique indéniable. 

[143] Le Tribunal ne peut ni reprocher à Blainville d’avoir changé d’avis en 2023, ni reprocher à Stablex d’avoir mis tous ses efforts afin de réaliser le Projet qu’elle poursuivait depuis 2015. La situation est ce qu’elle est, et selon la preuve, elle est urgente.

[144] La gestion des MDR est complexe, et ne peut être résolue en refusant simplement des matériaux provenant de l’extérieur du Québec. Selon la preuve, Stablex fait partie d’un réseau d’échange des MDR à des fins de traitement avec les autres provinces canadiennes et les États-Unis afin que chacun puisse profiter de l’expertise de l’autre.  Stablex est spécialisée dans le traitement des résidus inorganiques industriels. En contrepartie, l'Ontario reçoit des contaminants organiques variés provenant du Québec et destinés soit à l'incinération, soit au dépôt définitif. Les États-Unis reçoivent des MDR de nature diversifiée, notamment celles associées à la production de l'aluminium.

[145] Il n’y a pas de solution parfaite. Rappelons que l’aménagement de la sixième cellule sur le Site initial aurait également entraîné la destruction de milieux humides.

[146] Bien que le Tribunal soit sensible aux arguments de la Ville, ces derniers reviennent à remettre en question la sagesse et l’opportunité de la décision du législateur et ne font pas pencher la balance en faveur du sursis. Tel que la Cour d’appel l’a déjà exprimé, « [c]e sont des choix politiques qui lui appartiennent, et ce, peu importe le doute des uns et des autres – fussent-ils nombreux – sur la sagesse qui la guide ».

[147] Même dans l’hypothèse où le sursis forcerait Stablex et le gouvernement, devant le fait accompli, à poursuivre une autre option pour l’emplacement de la sixième cellule, ce serait là octroyer à la Ville un remède par la force des choses qui irait au-delà des droits associatifs sur lesquels le pourvoi de la Ville se fonde.

[Transcription textuelle; renvois omis]

  1.            Pour résumer les grandes lignes de cette analyse, il faut noter d’emblée que la Cour supérieure commence avec la présomption bien établie selon laquelle une loi, même une loi controversée, est validement adoptée dans l’intérêt public. Cette présomption reconnaît les intérêts et les préoccupations de la Ville et ceux du législateur.
  2.            En l’espèce, la Cour supérieure examine soigneusement la preuve et, après mûre réflexion, elle constate qu’il y a une tension frappante entre la nécessité d’éviter une interruption de service à l’établissement Stablex de Blainville et les préoccupations de la Ville quant à la protection de l’environnement. Elle souligne que la preuve démontre amplement l’urgence de continuer les travaux, compte tenu du fait que, dans un avenir prochain, la capacité dans la cinquième cellule qui est présentement active sera atteinte et qu’une nouvelle cellule doit être mise en place de façon urgente afin de recevoir les matériaux avant que la capacité de la cinquième cellule ne soit atteinte. En réalité, il est clair qu’il y aura des préjudices environnementaux si Stablex procède aux travaux, mais ne pas aménager la sixième cellule entraînerait également des conséquences environnementales importantes. Dans ce contexte, la Cour supérieure identifie bien l’importance des intérêts des deux côtés du débat et les inconvénients s’y rattachant. Elle procède ensuite à leur mise en balance.
  3.            L’examen de la preuve par la Cour supérieure à cet égard est détaillé et bien ciblé quant aux divers intérêts en jeu. Elle pondère attentivement la preuve soumise à l’aune des bons critères juridiques. Cette tâche appartient exclusivement à la juge de la Cour supérieure et la Ville, sauf à manifester son désaccord (sans doute compréhensible) avec la juge de première instance, ne montre pas ce en quoi cette analyse serait entachée d’une faiblesse si apparente qu’elle mériterait que la permission d’appeler soit accordée afin que la Cour examine la question plus avant. En réalité, compte tenu de la norme d’intervention applicable sur le fond, l’appel que projette la Ville paraît n’avoir aucune chance raisonnable de succès.
  4.            Pour toutes ces raisons, force est donc de rejeter la demande de permission d’appeler.

POUR CES MOTIFS, LE SOUSSIGNÉ :

  1.            REJETTE la demande de permission d’appeler, avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

Me Simon Vincent

Me Pierre François McNicolls

Me François Peter-Edmond Rivard

BÉLANGER SAUVÉ

Pour Ville de Blainville et Communauté métropolitaine de Montréal

 

Me Julie Sanogo

Me Nathalie Fiset

BERNARD, ROY (Justice-Québec)

Pour procureur général du Québec

 

Me François Giroux 

Me Nicolas Deslandres

Me Dominique Amyot-Bilodeau

McCARTHY TÉTRAULT

Pour Stablex Canada inc.

 

Date d’audience :

9 avril 2025

 


[1]  Ville de Blainville c. Procureur général du Québec, 2025 QCCS 1056 [jugement entrepris].

[2]  L.Q. 2025, c. 7.

[3]  Nation-huronne-wendat c. Procureur général du Québec, 2025 QCCA 258, par. 4 (juge unique).

[4]  Compagnie américaine de fer et métaux inc. c. Communauté métropolitaine de Montréal, 2025 QCCA 368, par. 4 (juge unique); Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Lapointe, 2024 QCCA 74, par. 16-20; S.N. c. Miller, 2024 QCCA 22, par. 6 (juge unique); Allianz Global Risks US Insurance Company c. SNC-Lavalin inc., 2023 QCCA 666, par. 52-53; Francoeur c. Francoeur, 2020 QCCA 1748, par. 8 (juge unique).

[5]  Nation-huronne-wendat c. Procureur général du Québec, 2025 QCCA 258 (juge unique); Hôtel & Suites Le Lincoln inc. c. Belzil, 2023 QCCA 757, par. 5-7 (juge unique); Cozak c. Barreau du Québec, 2021 QCCA 776, par. 20-24 (juge unique); PCM Sales Canada Inc. c. Botero-Rojas, 2017 QCCA 1874, par. 8-10 (juge unique); Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Manu-Utenam) c. Québec (Procureur général), 2013 QCCA 1321, par. 10 (juge unique).

[6]  Google Inc. c. Equustek Solutions inc., 2017 CSC 34, par. 22; Oeuvres de charité de l’Archevêque catholique romain de Montréal c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 393, par. 12 (juge unique); Animal Expert Maisonneuve c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2257, par. 4 (juge unique).

[7]  9014-4304 Québec inc. c. Société en commandite ACG Kaloom, 2023 QCCA 1482, par. 9 (juge unique); FLS Transportation Services Ltd c. Fuze Logistics Services Inc., 2020 QCCA 1363, par. 9-10 (juge unique).

[8]  2021 QCCA 438 (juge unique).

[9]  Inspro (9415-0174 Québec inc.) c. Desjardins, 2023 QCCA 380, par. 6-7 (juge unique).

[10]  8455716 Canada inc. c. 11078526 Canada inc., 2021 QCCA 1336, par. 3 (juge unique); Beaumier c. XIT Télécom inc., 2019 QCCA 88, par. 7 (juge unique).

[11]  A.B. c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 999, par. 32-35 (juge unique); Conseil des juifs hassidiques de Québec c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 836, par. 13 (juge unique); Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association, 2020 QCCA 1171, par. 12; Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 2145, par. 104-106 (motifs du j. Mainvile); Harper c. Canada (Procureur général), 2000 CSC 57, par. 33; RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 348-349.

[12]  Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 2145, par. 106 (motifs du j. Mainville).

[13]  Chen c. Qi, 2021 QCCA 530, par. 10 (juge unique); Jenbaz c. Daoud, 2016 QCCA 896, par. 10 (juge unique).

[14]  Jugement de première instance, par. 100. Cette question est celle qui se rapporte à l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, la juge écartant les prétentions de la Ville « en lien avec la compétence inhérente de la Cour supérieure, la primauté du droit ou le partage des compétences » (par. 104).

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