Décision

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Tassé c. Ville de Montréal

2022 QCTAT 3516

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

1032678-71-1904 (CM-2019-2128)

Dossier employeur :

870665

 

 

Montréal,

le 22 juillet 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Francis Hinse

______________________________________________________________________

 

 

 

Richard Tassé

 

Partie demanderesse 

 

 

 

c.

 

 

 

Ville de Montréal

 

Partie défenderesse

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

L’APERÇU

[1]                Richard Tassé, le plaignant, occupe le poste de contremaître à la voirie et parc au sein de l’arrondissement Anjou de la Ville de Montréal, l’employeur.

[2]                Le 10 avril 2019, il est destitué avec effet rétroactif au 20 mars précédent, pour vol de temps et utilisation des outils informatiques de l’employeur à des fins qui ne sont pas reliées au travail.

[3]                Par sa plainte déposée le 18 avril 2019, en vertu des articles 72 et suivants de la Loi sur les cités et villes[1] (la LCV), il prétend qu’en traitant son cas de façon strictement disciplinaire, l’employeur a omis de considérer sa cyberdépendance. En conséquence, même s’il admet les gestes qui lui sont reprochés, il plaide que sa destitution n’est pas justifiée.

[4]                En effet, selon lui, l’employeur se devait de tenter une démarche d’accommodement susceptible de l’aider à conserver son emploi. Ne l’ayant pas fait, ce dernier aurait violé la Charte des droits et libertés de la personne[2], interdisant toute discrimination fondée sur un handicap.

[5]                De son côté, l’employeur nie le fait que le plaignant soit affecté de quelque condition médicale ayant eu un impact sur les gestes posés. Il soutient au contraire que, vu l’ensemble des circonstances, la rupture du lien de confiance nécessaire au maintien de son emploi est totale et définitive.

[6]                Le Tribunal doit donc répondre aux questions en litige suivantes :

  • L’employeur était-il justifié de retenir une approche strictement disciplinaire?
  • Est-ce que la destitution du plaignant est justifiée compte tenu de l’ensemble des circonstances?

[7]                Pour les motifs exprimés dans l’analyse qui suit, le Tribunal répond à la première question par l’affirmative. Il conclut également que la destitution du plaignant est justifiée, de sorte que la plainte est rejetée.

L’ANALYSE

Le droit applicable

[8]                En vertu des articles 72 et suivants de la LCV, un fonctionnaire ou un cadre à l’emploi d’une municipalité, qui occupe son poste depuis au moins six mois, peut déposer une plainte afin de contester l’imposition de certaines mesures, dont la destitution.

[9]                Dans l’affaire Bernier c. Municipalité de Saint-Félix-de-Kingsey[3], le Tribunal a récemment résumé comme suit la jurisprudence qui s’est développée au sujet de son cadre d’analyse en pareilles circonstances :

[101]  Dans ce contexte, il y a lieu de réaffirmer le test appliqué jusqu’à ce jour en matière disciplinaire qui n’a pas été modifié par les instances juridictionnelles successivement chargées d’appliquer la loi, autrement que par termes utilisés pour qualifier une même réalité. La décision de destitution disciplinaire doit être « exempte de motifs arbitraires, discriminatoires ou déraisonnables » et être « sage, opportune, judicieuse et non précipitée ». En d’autres mots, le Tribunal doit déterminer si la destitution de madame Bernier résulte de motifs sérieux et constitue une décision justifiée par les circonstances.

 

[Notre soulignement] 

 

[10]           Ainsi, lorsque le Tribunal n’est pas convaincu que la mesure repose sur des motifs sérieux et qu’elle est justifiée compte tenu de l’ensemble des circonstances, il peut alors l’annuler et, notamment, réintégrer le fonctionnaire ou le cadre dans son emploi.

[11]           Dans le présent cas, il est admis que le plaignant est un cadre, qu’il occupe son emploi depuis plus de six mois et qu’il a déposé sa plainte dans les trente jours suivant sa destitution, tel que requis par la LCV. Les faits qui lui sont reprochés sont également admis. Le débat porte plutôt sur la façon dont ceux-ci ont été traités.

[12]           D’un côté, l’employeur soutient qu’il s’agit d’un dossier disciplinaire. Il lui appartient donc de faire la preuve que la destitution est une mesure appropriée compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[13]           De l’autre, le plaignant allègue que l’employeur devait l’accommoder en raison de sa cyberdépendance ou, à tout le moins, que cette condition médicale constitue un facteur atténuant la gravité de ses gestes qui devait être pris en considération dans l’évaluation de la mesure appropriée. Il lui appartient d’en faire la preuve.

L’application du droit au regard des faits

[14]           Le plaignant est embauché le 26 décembre 1987 au poste d’agent de stationnement. Au fil des années, il devient contremaître et ensuite chef de division au sein de l’arrondissement Anjou.

 

[15]           Son poste est cependant aboli en 2008. Comme il a obtenu sa permanence, il conserve néanmoins son emploi, mais son statut passe à celui de cadre en réaffectation.

[16]           Il réalise par la suite certains mandats dans différents arrondissements, tout en continuant d’être rattaché à l’arrondissement Anjou, auprès duquel il occupe divers postes, dans le but d’être relocalisé de façon permanente, ce qui s’avère toutefois difficile.

[17]           Quoi qu’il en soit, aux fins de la présente décision, précisons simplement que c’est le 26 mars 2018 qu’il obtient le poste de contremaître qu’il occupe toujours au moment de sa destitution. De plus, même s’il s’agit d’un poste de niveau inférieur, sa permanence lui permet de continuer à être rémunéré comme s’il était chef de division.

[18]           Le plaignant relève du chef de division, travaux publics. Il est responsable du personnel d’entretien des bâtiments municipaux et des gardiens de parcs. Il a ainsi une dizaine d’employés réguliers sous sa supervision et entre 12 et 18 employés saisonniers, selon la saison.

[19]           Son travail consiste essentiellement à s’assurer du bon déroulement des opérations, du traitement des demandes du service des loisirs et des requêtes de citoyens, en plus de planifier le travail de ses équipes, de gérer les horaires et feuilles de temps, de prévoir les remplacements, ainsi que faire certains achats de matériel.

[20]           Il travaille de 13 h 30 à 21 h du mardi au vendredi et de 10 h à 16 h le samedi et passe environ 60 % de son temps sur la route, afin de se rendre aux différents endroits où ses équipes sont déployées. Il travaille donc avec peu de supervision et se trouve même à être le seul cadre en fonction pendant une part appréciable de son temps de travail.

[21]           Au mois de juin 2018, son supérieur et le directeur des travaux publics rencontrent la conseillère en ressources humaines de l’arrondissement pour obtenir des conseils concernant la gestion de son rendement, qu’ils estiment défaillant.

[22]           En somme, ils considèrent que le plaignant passe trop de temps à l’ordinateur, qu’il commet beaucoup d’erreurs, notamment dans la planification des remplacements et que le ton de ses communications est inapproprié.

[23]           Ils apprennent alors que celui-ci a un historique disciplinaire concernant l’utilisation des outils informatiques à des fins qui ne sont pas reliées au travail et qu’il a ainsi été suspendu sans traitement pendant 10 jours au mois de mai 2016. Nous y reviendrons.

 

[24]           Pour l’instant, mentionnons seulement que le plaignant est quant à lui rencontré par son supérieur et le directeur de l’arrondissement, le 20 juillet 2018, afin de faire le point sur son rendement. Les attentes de l’employeur à son égard lui sont communiquées et il est prévenu qu’un suivi de sa performance sera fait quelques mois plus tard.

[25]           Une seconde rencontre a ainsi lieu le 21 septembre suivant. Il est alors question de différentes problématiques que le plaignant admet. Il précise cependant avoir des problèmes de concentration attribuables à une situation familiale, de sorte que l’employeur l’invite à entreprendre des démarches pour obtenir de l’aide. Il l’avise par ailleurs qu’à défaut d’amélioration, d’autres mesures pourraient lui être imposées.

[26]           En parallèle, un mandat est confié au Bureau du contrôleur général de la Ville afin qu’une surveillance de l’utilisation de son ordinateur soit réalisée. Celle-ci s’étend sur 14 jours non consécutifs, répartis entre le 23 août et le 5 octobre 2018. En somme, elle révèle qu’au cours de cette période, le plaignant passe un total de 40 h 45 sur Internet, mais que 30 % de ce temps, soit 12 h 20, est consacré à des activités qui ne sont pas reliées au travail. Il s’agit principalement de la consultation de sites de rencontre.

[27]           Le 12 octobre, il est donc convoqué à une rencontre devant avoir lieu le 16 octobre suivant au Bureau du contrôleur général, au sujet de son utilisation des outils informatiques de l’employeur.

[28]           Lorsqu’il s’y présente, le plaignant remet un billet médical daté du même jour, qui prescrit un arrêt de travail pour une période indéterminée en raison d’un trouble de l’adaptation. L’employeur lui offre donc de remettre la rencontre lorsqu’il sera rétabli, ce qu’il finit par accepter.

[29]           Le 13 mars 2019, son médecin traitant autorise un retour au travail progressif à partir du 18 mars suivant. Le lendemain, l’employeur le convoque à nouveau à une rencontre concernant son utilisation des outils informatiques. Celle-ci doit avoir lieu le 20 mars.

[30]           La veille, l’Association des cadres municipaux de Montréal (l’association), dont il est membre, transmet une lettre à l’employeur ayant pour objet « Demande d’accommodement ».

[31]           Elle écrit notamment que les billets médicaux du plaignant « indiquent clairement un problème de cyberdépendance » et demande en conséquence de retenir une approche administrative incluant une limitation de son accès à Internet et l’évaluation des mesures pouvant être mises en place « pour le supporter dans son processus de rétablissement ».

[32]           La lettre est accompagnée de plusieurs documents, dont une demande de précisions adressée au médecin traitant le 17 janvier 2019, ainsi que la réponse de cette dernière, datée du 24 janvier suivant. Nous y reviendrons.

[33]           Le 20 mars, lors de la rencontre avec l’enquêteur, le plaignant admet les faits qui lui sont reprochés. Il les explique cependant par sa dépendance à l’Internet dont il aurait repris le contrôle en suivant des thérapies, notamment dans un centre de réadaptation aux dépendances. Il est ensuite suspendu sans traitement, le temps que l’enquête soit complétée.

[34]           Le rapport d’enquête du Bureau du contrôleur général est déposé le 26 mars suivant et, le 3 avril, l’employeur reçoit copie des notes cliniques du médecin du plaignant qui avaient été demandées à l’association.

[35]           Finalement, le 10 avril 2019, l’employeur confirme au plaignant qu’il ne retient pas les explications fournies pour justifier son comportement. Il l’avise donc de sa destitution avec effet rétroactif au 20 mars précédent, en raison des manquements suivants :

  • Vous avez utilisé les outils informatiques de la Ville à des fins non reliées au travail, et ce, durant les heures de travail, ce qui constitue du vol de temps;

 

  • Vous avez réclamé et avez été rémunéré en temps supplémentaire lors de journées où vous avez utilisé les outils informatiques de la Ville à des fins non reliées au travail;

 

  • Vous avez admis avoir visionné des images et des vidéos à caractère sexuel sur des outils informatiques appartenant à la Ville;

 

  • Vois avez admis avoir installé et utilisé des applications de différents sites de rencontre sur des outils informatiques appartenant à la Ville.

[36]           Il ajoute que même si la faute reprochée est « grave en elle-même », plusieurs facteurs aggravants ne lui laisse d’autre choix que de conclure à un bris irrémédiable du lien de confiance nécessaire au maintien de son emploi.

L’employeur était-il justifié de retenir une approche strictement disciplinaire?

[37]           Le plaignant soutient que l’approche strictement disciplinaire retenue par l’employeur ne convient pas à la nature de son problème. Il ajoute qu’au contraire, ce dernier aurait dû lui offrir des mesures de soutien, comme c’était le cas dans Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 21 c. Tripap inc.[4].

[38]           Dans cette affaire, il était cependant question de l’utilisation de l’approche disciplinaire pour sanctionner les absences et retards d’un salarié souffrant d’alcoolisme,  et ce, même si l’employeur connaissait le problème.

[39]           C’est dans ce contexte que larbitre conclut que ce dernier ne pouvait se contenter de rappeler au salarié les règles applicables en matière d’assiduité et de ponctualité « et de lui infliger quelques mesures disciplinaires destinées à le ramener dans le droit chemin »[5]. Au contraire, « il aurait plutôt dû aborder franchement le problème avec lui ou lui suggérer d’avoir recours au programme d’aide aux salariés »[6].

[40]           La situation du plaignant est donc différente, puisque même s’il souffrait de cyberdépendance, ce que la preuve prépondérante ne démontre pas, rien ne permet de conclure que l’employeur connaissait la situation au moment où il a pris sa décision de le destituer.

[41]           En effet, la toute première fois où il est question d’une quelconque dépendance, c’est lors de la rencontre du 16 octobre 2018 avec l’enquêteur du Bureau du contrôleur général.

[42]           C’est alors le plaignant lui-même qui parle d’une dépendance à l’Internet. Le billet médical qu’il remet fait quant à lui état d’un trouble de l’adaptation, tout comme les billets médicaux subséquemment remis pour documenter son absence du travail.

[43]           Le 13 mars 2019, le billet médical autorisant son retour progressif porte la mention suivante : « SVP, limiter acces internet en milieu de travail pour faciliter retour (à réévaluer au besoin). Intranet autorisé. » (sic)

[44]           Manifestement, il ne s’agit toutefois pas d’une limitation fonctionnelle. Cela n’est, tout au plus, qu’une suggestion. D’ailleurs, dans sa lettre du 24 janvier 2019, le médecin traitant écrit qu’elle considère que de limiter l’accès des outils de travail du plaignant à l’Internet est « futile comme mesure ».

[45]           Ce n’est que le 19 mars que la mention de cyberdépendance est portée à l’attention de l’employeur. On la retrouve parmi les documents joints à la demande d’accommodement présentée par l’association, dont une réponse du médecin traitant à une demande de précisions, dans laquelle il est écrit, au sujet des motifs pour lesquels elle a prescrit un arrêt de travail :

 

Lorsque M Tassé est venu me consulter en date du 16 octobre 2018, j’ai conclu à un diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive, greffé sur de nombreux autres diagnostics déjà présents, soit trouble d’anxiété généralisé, trouble déficitaire de l’attention, cyberdépendance et trouble de personnalité avec traits narcissiques et dépendants.

[Notre soulignement] 

[46]           Avec égard, cela ne suffit pas pour établir que le plaignant souffre de cyberdépendance. Il ne s’agit que d’une mention, plutôt laconique, de l’existence d’un tel diagnostic. Celui-ci ne paraît pas non plus avoir été posé par le médecin qui signe la lettre.

[47]           D’ailleurs, ce qui appert de ses notes cliniques, c’est qu’il n’a aucunement été question de cyberdépendance avant la consultation du 16 octobre 2018, soit celle du même jour où le plaignant était convoqué à une rencontre concernant son utilisation des outils informatiques de l’employeur.

[48]           Là encore, rien ne permet de conclure qu’elle pose ce diagnostic. Tout au plus, il est écrit que lors de ce rendez-vous, le plaignant reconnaît son « problème de cyberdépendance/dépendance affective » et que lors de celui du 13 novembre suivant, il mentionne avoir tout bousillé « car il est malade et a un pb de dépendance ».

[49]           Il n’en est toutefois plus question par la suite. Ainsi, dès le 28 novembre, dans le « Sommaire du patient », la cyberdépendance n’apparaît pas dans la section détaillant ses « problèmes et antécédents personnels ».

[50]           L’expertise psychiatrique réalisée à la demande de l’association n’est guère plus convaincante. En plus d’avoir été effectuée sur la foi d’une rencontre avec le plaignant ayant eu lieu en mars 2021, soit près de deux ans après les faits, celle-ci demeure très théorique.

[51]           Le psychiatre y fait ainsi une révision détaillée de la littérature concernant la cyberdépendance et il explique bien que même si elle n’apparaît pas dans le DSM-5, quatre critères se sont dégagés avec le temps et sont maintenant généralement acceptés afin de la circonscrire cliniquement.

[52]           Il faut donc retrouver une utilisation excessive de l’Internet, une dysphorie, lorsque privé d’accès à l’Internet, un usage croissant de l’Internet et des répercussions néfastes de cet usage démesuré.

[53]           Par contre, son rapport se limite ensuite à relater que le plaignant « s’est ouvert à son médecin de son problème de cyberdépendance » le 16 octobre 2018, qu’une avocate de l’association a expliqué à l’employeur, le 19 mars 2019, qu’il suivait notamment « une thérapie en cyberdépendance » et que c’est au mois de juin 2015 que le plaignant situe « l’apparition de la cyberdépendance ».

[54]           Enfin, aucune des questions soulevées dans le mandat qui lui a été confié ne requiert son diagnostic ou même son opinion à ce sujet. L’association tient ainsi pour acquis que le plaignant souffre de cyberdépendance et elle demande ainsi au psychiatre si cela est une maladie, si elle l’empêche de faire son travail, quel serait le traitement différent ou supplémentaire à envisager et comment on peut l’accommoder.

[55]           Lors de l’audience, questionné sur les quatre critères cliniques qui se dégagent de la littérature, il admet ne pas avoir questionné le plaignant au sujet de sa consommation d’Internet à l’époque de sa destitution et confirme qu’il n’a pas eu accès aux détails de l’enquête faisant état du temps passé sur Internet à des fins qui ne sont pas reliées au travail.

[56]           Quant à l’usage croissant de l’Internet, il répond laconiquement que ce critère est satisfait, simplement parce que le plaignant y va tous les jours et qu’il est évident qu’il n’a pas toujours fait ça.

[57]           Enfin, questionné au sujet du critère de la dysphorie, il reconnaît s’être plus ou moins demandé si celui-ci est satisfait. Il précise avoir plutôt repris l’histoire relatée par le plaignant pour en faire ressortir ce qu’il y a de compatible avec la littérature.

[58]           Or, ce dernier s’est contredit à quelques reprises, ce qui affecte négativement la valeur probante pouvant être accordée, non seulement à sa version, mais également à l’expertise fondée sur celle-ci.

[59]           À cet égard, dans le cadre de son témoignage, le plaignant situe l’apparition de sa cyberdépendance en 2014. Pourtant, lorsqu’il rencontre le psychiatre mandaté par l’employeur, il soutient que ce serait plutôt en 2016, en raison de problèmes conjugaux.

[60]           Dans un cas comme dans l’autre, cela contredit ce qu’il a rapporté au psychiatre de l’association, puisqu’il disait alors que c’était en juin 2015, dans le cadre d’une chirurgie qu’il a subie.

[61]           De plus, le 2 mars 2021, lors de sa rencontre avec ce dernier, le plaignant se déclare toujours aux prises avec son problème et il précise même passer une heure par jour à consulter des sites de rencontre.

[62]           Toutefois, le 5 juillet suivant, lorsqu’il rencontre le psychiatre de l’employeur, il indique alors que son problème est réglé et qu’il ne consulte plus aucun site de rencontre « depuis au moins trois ou quatre mois ».

[63]           Il dit également, dans son témoignage, qu’il n’a pas du tout besoin d’Internet dans le cadre de son travail. Pourtant, durant les 14 jours pendant lesquels son ordinateur a fait l’objet de surveillance, il a quand même utilisé Internet pendant un total 28 h 25 à des fins que l’employeur lui-même considère reliées au travail.

[64]           Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal conclut qu’on ne peut reprocher à l’employeur d’avoir rejeté la demande d’accommodement de l’association ni d’avoir traité le cas du plaignant selon l’approche disciplinaire.

[65]           Cependant, comme l’affirmait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinley c. BC Tel[7], toute conclusion automatique selon laquelle le congédiement est approprié pour sanctionner un comportement malhonnête est à proscrire. Il y a donc lieu d’analyser l’ensemble du contexte entourant la faute.

Est-ce que la destitution est une sanction appropriée compte tenu de l’ensemble des circonstances?

[66]           Comme mentionné précédemment, le plaignant admet les gestes qui lui sont reprochés pour justifier sa destitution. Il les attribue cependant à sa maladie et soutient qu’à défaut de donner ouverture à l’obligation d’accommodement de l’employeur, celle-ci constitue minimalement un facteur atténuant la gravité de sa faute.

[67]           Toutefois, considérant les conclusions du Tribunal quant à l’absence de preuve prépondérante au sujet de la cyberdépendance, il y a lieu de rejeter d’emblée sa prétention selon laquelle il s’agirait d’un facteur atténuant.

[68]           Le plaignant ajoute par ailleurs que d’autres facteurs atténuants doivent être pris en considération, soit que ses gestes n’étaient pas prémédités, qu’il n’a pas cherché à s’enrichir et qu’il a collaboré avec l’employeur en admettant sa faute dès la première occasion.

[69]           Or, même s’il ne s’est pas approprié directement des sommes qui ne lui appartiennent pas, il n’en demeure pas moins qu’il a été rémunéré pour plusieurs heures qu’il n’a pas travaillées, puisqu’entre le 28 août et le 5 octobre 2018, il y a cinq jours où il lui est arrivé de passer entre 1 h 30 et 3 h sur Internet à des fins personnelles.

[70]           Le 20 septembre, il a même été rémunéré en heures supplémentaires pour trois heures, alors qu’il a pourtant consacré 1 h 50 de son temps à l’utilisation d’Internet à des fins qui ne sont pas reliées au travail.

[71]           Au surplus, tout cela survient dans le contexte où il présente un rendement qui ne satisfait pas les attentes de l’employeur et qui fait l’objet d’un suivi de la part de son supérieur.

[72]           Pour le Tribunal, le fait que le plaignant passe une part importante de son temps sur des sites de rencontre plutôt qu’à tenter d’améliorer sa prestation de travail déficiente constitue un facteur aggravant.

[73]           Par ailleurs, comme mentionné précédemment, il a déjà fait l’objet d’une suspension disciplinaire importante en raison de son utilisation des outils informatiques de l’employeur.

[74]           À cet égard, il n’est pas contesté que le 3 mars 2016, il a été rencontré à la suite de la découverte d’un virus sur son poste de travail. L’employeur lui a alors demandé de ne plus utiliser ses outils informatiques à des fins personnelles et il a répondu qu’il n’aurait plus jamais à être rencontré à ce sujet.

[75]           Malgré tout, dès le mois d’avril suivant, à la suite de la découverte de « spywares » et d’autres virus, l’employeur fait des vérifications qui confirment que pendant ses heures de travail, il consulte des sites Internet sans lien avec le travail.

[76]           Rencontré à ce sujet, il finit par admettre ses gestes et déclare qu’il s’agit d’une erreur de sa part, qu’il est désolé et qu’il avait sous-estimé les conséquences de son comportement.

[77]           En le suspendant 10 jours, l’employeur l’avise formellement que toute récidive entraînera la fin de son emploi et l’invite « à entreprendre une démarche personnelle auprès du programme d’aide aux employés ».

[78]           Ce n’est donc pas la première fois qu’il commet cette faute et l’admet, de sorte que le Tribunal ne peut accorder à sa plus récente admission le caractère atténuant que la jurisprudence reconnaît généralement à celle faite dès la première occasion. Au contraire, il y a même lieu de considérer son dossier disciplinaire comme un facteur aggravant.

[79]           Finalement, il jouit d’une grande autonomie et passe la majorité de son temps de travail sans supervision, étant même le seul cadre en fonction.

[80]           Dans les circonstances, le Tribunal estime que la destitution du plaignant résulte de motifs sérieux et qu’elle est justifiée par la rupture définitive du lien de confiance nécessaire au maintien de son emploi. En conséquence, la plainte est rejetée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE   la plainte.

 

 

__________________________________

 

Francis Hinse

 

 

 

 

Me Denis Monette

DM SERVICES JURIDIQUES DENIS MONETTE INC.

Pour la partie demanderesse

 

Me France Legault

GAGNIER GUAY BIRON AVOCATS NOTAIRES

Pour la partie défenderesse

 

Date de la mise en délibéré : 17 mai 2022

 

FH/as

 


[1]  RLRQ, c. C-19.

[2]  RLRQ, c. C-12.

[3]  2021 QCTAT 4840.

[4]  Me Marie-France Bich, arbitre, AZ-99141209.

[5]  Id., p. 22.

[6]  Ibid.

[7]  [2001] 2 R.C.S. 161.

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