Boily et Ville de Saguenay | 2025 QCTAT 2717 |
|
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL |
(Division de la santé et de la sécurité du travail) |
|
|
Région : | Saguenay–Lac-Saint-Jean |
|
Dossiers : | 1233354-02-2106 1311687-02-2302 |
|
Dossier CNESST : | 127394021 |
|
|
Saguenay, | le 30 juin 2025 |
______________________________________________________________________ |
|
DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE : | Chantale Girardin |
______________________________________________________________________ |
|
| |
Audrey Boily | |
Partie demanderesse | |
| |
et | |
| |
Ville de Saguenay | |
Partie mise en cause | |
| |
et | |
| |
Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail | |
Partie intervenante | |
| |
| | | |
______________________________________________________________________
DÉCISION
______________________________________________________________________
L’APERÇU
- Madame Audrey Boily est policière à l’emploi de la Ville de Saguenay.
- La travailleuse subit une lésion professionnelle le 20 janvier 2005, dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse découlant de harcèlement psychologique vécu au travail. Cette lésion est consolidée en août 2007 avec présence de séquelles permanentes. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail détermine que la travailleuse est capable d’exercer son emploi de policière patrouilleuse à compter du 6 juillet 2009.
- Le 16 février 2011, la travailleuse subit une récidive, rechute, ou aggravation de sa lésion d’origine, dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation. Cette lésion professionnelle est consolidée le 17 septembre 2013 et de nouvelles limitations fonctionnelles sont émises. Par la suite, la Commission décide que la travailleuse n’est plus apte à reprendre son emploi de policière patrouilleuse et détermine qu’elle est capable d’exercer l’emploi convenable d’agente à l’accueil chez l’employeur à compter du 13 janvier 2014.
- Le 10 décembre 2018, la travailleuse subit une autre récidive, rechute, ou aggravation, encore en raison de harcèlement psychologique vécu à son travail, tant de la part de ses collègues que de certains de ses supérieurs. Le 11 février 2019, la travailleuse retourne au travail à titre de policière affectée au poste d’accueil de quartier situé à l’arrondissement de Chicoutimi. Cette lésion professionnelle fut consolidée le 23 août 2019 sans séquelles fonctionnelles supplémentaires. Toutefois, ce n’est que le 26 janvier 2021 que le Tribunal entérine un accord de conciliation[1] et accepte cette réclamation à titre de récidive, rechute, ou aggravation.
DOSSIER 1233354-02-2106
- Le 23 mars 2020, la travailleuse prétend avoir subi une récidive, rechute, ou aggravation qu’elle relie à ses lésions professionnelles antérieures. Tant la Commission que la révision administrative refusent cette réclamation. La travailleuse conteste cette décision devant le Tribunal.
- Les parties admettent qu’il y a effectivement eu une modification négative de l’état de santé psychologique de la travailleuse à cette date.
- Toutefois, tant l’employeur que la travailleuse prétendent que celle-ci est en relation avec la fragilisation de l’état de santé psychologique de cette dernière découlant des séquelles permanentes de ses lésions antérieures et que les conséquences des blessures psychologiques sont responsables de cette modification négative de son état de santé. Ils allèguent que l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de quartier de l’arrondissement de Chicoutimi et sa nouvelle affectation au quartier général de l’arrondissement de Jonquière sont majoritairement responsables de cette modification.
- Pour sa part, la Commission est d’avis que les principaux facteurs de stress de la travailleuse, qui sont contemporains à cette réclamation, sont de nature purement personnelle et en lien avec la pandémie de la COVID-19. D’ailleurs, l’annonce du transfert de la travailleuse au poste d’accueil du quartier général situé dans l’arrondissement de Jonquière fait partie du droit de gérance de l’employeur. Ainsi, il n’y a pas de relation entre cette modification et le travail.
- Le Tribunal doit déterminer ce qui suit :
- La modification négative de l’état de santé psychologique de la travailleuse le 23 mars 2020, est-elle en lien avec ses lésions professionnelles antérieures?
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal estime que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 23 mars 2020 et qu’elle a le droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2], la Loi.
DOSSIER 1311687-02-2302
- La travailleuse produit une nouvelle réclamation à la Commission afin de faire reconnaître qu’elle a subi une récidive, rechute, ou aggravation le 14 juin 2022. Tant la Commission que la révision administrative refusent initialement de reconnaître un lien entre la modification négative de l’état de santé de la travailleuse et le travail. Celle-ci conteste cette décision devant le Tribunal.
- Encore une fois, les parties admettent que l’état psychologique de la travailleuse s’est modifié négativement à cette date.
- L’employeur et la travailleuse sont d’avis qu’il s’agit d’une récidive, rechute, ou aggravation de ses lésions professionnelles antérieures.
- Pour sa part, la Commission soutient que la travailleuse a bel et bien été victime d’une lésion professionnelle à cette date, et ce, en regard de la preuve nouvelle ayant été présentée durant l’enquête et l’audition. Cependant, elle est d’avis qu’il s’agit d’un nouvel événement et non pas d’une récidive, rechute, ou aggravation. Selon elle, les faits non contestés sont objectivement traumatisants et démontrent que la travailleuse a, de nouveau, été confrontée à du harcèlement psychologique dans son milieu de travail et que ces événements sont majoritairement responsables de la modification de son état de santé psychologique.
- Le Tribunal doit qualifier la lésion du 14 juin 2022 subie par la travailleuse. Plus précisément, s’agit-il d’un nouvel événement ou d’une récidive, rechute, ou aggravation au sens de la Loi?
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation à cette date.
LE CONTEXTE
- D’emblée, la soussignée tient à souligner l’excellent travail, la collaboration et le professionnalisme des procureures des parties en cause dans ce dossier. Leur travail acharné ainsi que leur capacité d’adaptation ont permis au Tribunal d’obtenir l’ensemble des éléments pertinents tout en respectant les circonstances particulières entourant ce dossier.
- Cela étant dit, il est opportun de rappeler la trame factuelle et médicale qui a précédé les réclamations de la travailleuse en litige afin de bien comprendre l’historique des lésions professionnelles antérieures reconnues dans ce dossier.
- Après sa formation en techniques policières et son passage à l’École nationale de police du Québec, la travailleuse débute sa carrière de policière patrouilleuse en l’an 2000, et ce, durant trois ans pour la Sûreté municipale de la Ville de Chicoutimi. Par la suite, durant une courte période, elle sera affectée à la Sûreté municipale de la Ville de La Baie. Durant ses premières années, son poste est temporaire et aucun événement particulier n'est à souligner.
- Par la suite, dans le contexte de la fusion des villes de La Baie, Chicoutimi et Jonquière, qui sont devenues la Ville de Saguenay, soit le présent employeur, la travailleuse fut affectée au poste de quartier de l’arrondissement de Jonquière en date du 1er juillet 2003, ou elle obtient un poste permanent en raison de son ancienneté.
- La preuve révèle que cette promotion a dérangé plusieurs de ses collègues de l’arrondissement de Jonquière qui voyaient une injustice à ce qu’une policière de l’arrondissement de Chicoutimi puisse obtenir sa permanence avant eux, et ce, malgré l’assentiment de l’employeur et du syndicat.
- Avant même son arrivée au poste de l’arrondissement de Jonquière, la travailleuse a été victime de dénigrement et de ragots, tant de la part de ses collègues de travail que de la direction au sein même de se poste de quartier. Dès son arrivée et jusqu’à sa première réclamation à la Commission, elle a fait l’objet de plusieurs commentaires et attitudes désobligeants à son endroit. La preuve prépondérante révèle que son nouveau milieu de travail était majoritairement masculin et que les femmes n’étaient pas les bienvenues dans leur équipe. D’autres policières avaient été transférées à ce poste de quartier durant cette période et aucune d’entre elles n’a décidé d’y rester après avoir obtenu leurs permanences.
- Malgré tout, la travailleuse tente de tolérer cette situation malsaine pendant près de deux ans en espérant que l’attitude de ses collègues et de ses supérieurs s’améliore, en vain. Durant cette période, elle ressent un sentiment d’injustice, de l’angoisse, de l’insécurité, du rejet, de la tristesse ainsi qu’une diminution significative de son estime de soi. Pourtant, avant ce transfert, elle n’avait jamais fait l’objet de représailles ou de commentaires négatifs, tant de la part de ses collègues que de la direction. Elle sera victime de divers comportements déviants de la part de ceux-ci dont notamment des commentaires désobligeants, du rejet concerté, de l’isolement, des ragots à son sujet ainsi que divers comportements ayant même mis sa sécurité physique en danger.
- Le 20 janvier 2005, la travailleuse consulte sa professionnelle de la santé, soit la docteure Johanne Gosselin, qui pose le diagnostic de trouble de l’adaptation avec anxiété. Elle recommande la prise d’un médicament antidépresseur et un arrêt de travail dans un contexte de harcèlement au travail[3]. Du point de vue clinique, la travailleuse a notamment développé une baisse d’énergie, des troubles de la concentration, une impression d’être continuellement surveillée ainsi qu’une perte d’intérêts pour ses activités de la vie quotidienne.
- Malgré les difficultés rencontrées durant ces deux années, la Commission et la révision administrative refusent de reconnaître qu’elle est victime d’une lésion professionnelle. Ce n’est que le 31 mai 2007 qu’un accord de conciliation est entériné par la Commission des lésions professionnelles[4]. Dans celui-ci, les parties reconnaissent que les circonstances décrites par la travailleuse constituent du harcèlement psychologique en milieu de travail et que celui-ci est responsable du diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse.
- En mai 2005, la travailleuse demande à la docteure Gosselin de l’autoriser à retourner au travail de manière progressive puisqu’elle a encore espoir de pouvoir réintégrer le métier qu’elle adore. À partir de cette période, elle sera jumelée avec son collègue, monsieur Christian Gobeil, en qui elle a confiance. Il semble que bien qu’elle soit fonctionnelle dans son travail, elle a maintenant besoin d’être rassurée sur les décisions qu’elle prend. Elle est beaucoup plus insécure, sentiment qui n’était pas présent au début de sa carrière. Assez fréquemment, elle utilise ses congés en même temps que monsieur Gobeil afin d’éviter d’avoir à travailler avec d’autres collègues.
- Elle a travaillé en équipe avec monsieur Gobeil durant près de deux ans, jusqu’à ce que ce dernier soit libéré de son poste de policier patrouilleur afin d’effectuer des tâches syndicales à temps plein. À ce moment, la travailleuse décide de prendre des vacances et obtient un poste de remplacement à titre d’enquêteuse, ce qui lui permet de se retirer du travail de patrouilleuse et de l’insécurité qui y est associée. Cette version est corroborée dans les notes médicales de la docteure Gosselin.
- Le 1er février 2008, le docteur Marc-André Laliberté, psychiatre, évalue la travailleuse et rédige une expertise médicale à la demande de la Commission. Après une analyse complète de la trame factuelle et médicale, il pose les diagnostics de trouble de l’adaptation avec humeur dépressive et anxiété en phase chronique et de trichotillomanie qu’il relie au harcèlement psychologique au travail. Il ajoute : « L’évolution démontre maintenant que les éléments d’anxiété, de tristesse et d’inquiétude sont présents et s’amplifient lorsque des conditions sécurisantes menacent de disparaître, ou sont absentes. ».
- Le docteur Laliberté ne retient aucun trouble ou trait de la personnalité chez la travailleuse. Il est d’avis que l’ensemble des problématiques décrites par celle-ci sont en relation avec le harcèlement psychologique au travail. Il ajoute que le travail d’enquêteuse évite à la travailleuse d’être en contact avec ses collègues patrouilleurs et diminue ainsi les interactions avec ses harceleurs. Il craint que le retour de la travailleuse dans ses fonctions de policière patrouilleuse n’induise une détérioration de son fonctionnement actuel. Il est d’avis que les séquelles permanentes de la travailleuse s’apparentent au groupe 3 (grave) des névroses[5] et lui octroie un déficit anatomophysiologique de 45 %.
- Le 27 mars 2008, la docteure Line Thiffeault, psychiatre, rédige une expertise médicale à la demande de la Commission afin de déterminer les séquelles permanentes de la lésion professionnelle initiale. Dans son rapport, elle relate avec une grande précision certains événements objectivement traumatisants auxquels la travailleuse a été confrontée dans son milieu de travail, allant même à mettre son intégrité physique en danger en raison de l’inaction de ses collègues pour la protéger. Mais il y a pire, c’est souvent la travailleuse qui subit la hargne de la direction et reçoit des sanctions disciplinaires en lien avec les comportements fautifs de ses coéquipiers. Malgré plusieurs dénonciations, l’employeur ne fait rien pour la supporter, ce qui augmente le sentiment d’insécurité et d’hypervigilance de la travailleuse, craignant de commettre des erreurs et ainsi perdre son emploi.
- La docteure Thiffeault retient des limitations fonctionnelles permanentes. Elle est d’avis que la travailleuse ne peut pas reprendre son poste de patrouilleuse dans le même contexte où elle a été harcelée, car les risques de rechutes sont importants. Elle demeure apte à reprendre son travail de policière, mais dans d’autres tâches que celles de patrouilleuse. Pour sa part, elle émet un déficit anatomophysiologique de 15 % correspondant à la classe de gravité 2 (modéré) des névroses[6].
- Le 23 mai 2008, la docteure Gosselin rédige un rapport complémentaire et se dit en accord avec les conclusions de la docteure Thiffeault quant à l’évaluation du déficit anatomophysiologique et des limitations fonctionnelles émises.
- Quant à elle, la Commission rend deux décisions qui déterminent que la travailleuse conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de 18 % et une seconde qui déclare que la travailleuse a le droit à la réadaptation professionnelle.
- Peu de temps après la consolidation de sa lésion professionnelle, soit le 27 août 2008, la docteure Gosselin rédige une attestation médicale et prescrit un arrêt de travail puisque l’affectation temporaire au travail est non favorable à la réintégration de la travailleuse.
- En octobre suivant, la psychologue Manon Marcil rédige un rapport d’évaluation psychologique. Elle conclut que la travailleuse est encore souffrante et réitère l’importance de respecter les limitations fonctionnelles émises, soit de ne pas être en contact avec ses confrères ayant été impliqués dans le harcèlement qu’elle a vécu au travail. La travailleuse retourne à son emploi prélésionnel de policière patrouilleuse à compter du 2 février 2009.
- Le 16 février 2011, la travailleuse subit une récidive, rechute, ou aggravation dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse chronique.
- De manière contemporaine à cette lésion professionnelle, la travailleuse ne désirait travailler qu’avec monsieur Gobeil. D’ailleurs, dans son témoignage, ce dernier admet que ce sentiment était réciproque puisque l’ensemble des autres patrouilleurs ne voulait pas faire équipe avec elle. Même les nouveaux employés étaient rapidement mis en garde contre cette dernière. On la surnommait « Voldemort » faisant référence à un personnage de film connu dont on doit taire le nom.
- Toutefois, au début de l’année 2011, monsieur Gobeil, en raison de ses compétences et de son ancienneté, obtient un poste sur la relève intermédiaire de jour, ne lui permettant plus de faire équipe avec la travailleuse. À ce moment, elle est anxieuse, stressée et vie énormément de rejet de la part de ses collègues de travail.
- Entretemps, le 4 mai 2011, l’employeur demande au psychiatre Michel Brochu d’évaluer la travailleuse relativement à la récidive, rechute, ou aggravation du 16 février 2011. Ce dernier retient les facteurs de stress suivants en lien avec sa lésion professionnelle, à savoir : une rupture conjugale au printemps 2010, une nouvelle relation amoureuse depuis août 2010, des problèmes professionnels multiples depuis plusieurs années avec sentiment d’être traitée de façon injuste, tant par ses collègues que par ses supérieurs, et déménagement récent.
- Le 16 janvier 2012, la travailleuse est évaluée par le docteur Richard Laliberté, psychiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce dernier retient les diagnostics de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse secondaire aux problèmes professionnels et de trichotillomanie. Il se dit en accord avec le déficit anatomophysiologique et les limitations fonctionnelles émis par la docteure Thiffeault.
- Le 27 mars 2012, la docteure Gosselin rédige un rapport médical dans lequel elle pose le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse chronique et demande que les limitations fonctionnelles de la travailleuse soient respectées. Elle émet alors un arrêt de travail.
- Encore une fois, la travailleuse a dû se défendre afin de faire reconnaître cette lésion professionnelle puisque la Commission et la révision administrative ont initialement refusé de la reconnaître. Ce n’est que le 13 janvier 2013 que la Commission des lésions professionnelles[7] déclare qu’elle a subi une récidive, rechute, ou aggravation le 16 février 2011, dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse chronique.
- Le 3 mai 2013, la docteure Gosselin rédige un rapport final et précise que les séquelles fonctionnelles de la travailleuse se sont aggravées depuis la consolidation de la dernière lésion professionnelle.
- Dans le rapport d’expertise du docteur Claude Girard, psychiatre, daté du 17 septembre 2013, on apprend que, de manière contemporaine à son arrêt de travail du mois de mars 2012, l’employeur l’a de nouveau affectée à la patrouille avec des collègues de travail mécontents d’être en sa présence.
- Le docteur Girard constate que, lorsqu’elle sera mise en arrêt de travail, ses symptômes anxiodépressifs se sont vite résorbés puisqu’elle n’était plus confrontée à ses harceleurs. À la suite de son examen clinique, il maintient les diagnostics de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse chronique, avec un dernier épisode en mars 2012 ainsi que la trichotillomanie. Il identifie les éléments de stress suivants :
Stresseurs : difficultés au travail; comme dernier événement, non-respect par l’employeur des limitations fonctionnelles émises et au long cours, histoire de harcèlement et de difficultés administratives avec l’employeur. Pas d’évidence de stresseurs au plan personnel depuis 2012.
[Transcription textuelle]
- Il consolide la lésion professionnelle sans ajouter de déficit anatomophysiologique, mais émet les limitations fonctionnelles suivantes, à savoir que la travailleuse doit effectuer son travail en solo ou du moins, elle doit éviter de travailler en contact étroit avec des collègues ou des supérieurs ayant joué un rôle dans les situations de harcèlement dans le passé. De plus, elle ne doit plus travailler de nuit.
- Ces conclusions médicales ont été retenues également par le docteur Fabien Gagnon, psychiatre, le 31 octobre 2013 à la suite de l’évaluation de la travailleuse qu’il effectue à la demande de l’employeur.
- Le 4 mai 2014, une entente est conclue entre le syndicat, soit la fraternité des policiers et policières, et l’employeur, soit la Ville de Saguenay, concernant l’emploi convenable de responsable du poste d’accueil. La travailleuse est également cosignataire de celle-ci. Il est notamment précisé que l’employeur peut affecter la travailleuse à différents postes d’accueil. En ce sens, on peut lire au paragraphe 5 de cette entente :
Elle occupe en tout temps la tâche d’agent à l’accueil au Quartier Général ou au PPC à Chicoutimi, selon les besoins du service et selon ses limitations fonctionnelles permanentes.
[Notre soulignement]
- Selon le témoignage de monsieur Gobeil, qui est cosignataire de cette entente, il a été convenu dès le départ avec l’employeur d’assigner la travailleuse au poste de quartier de l’arrondissement de Chicoutimi. Cet accommodement de l’employeur envers la travailleuse a, encore une fois, créé du mécontentement de la part de certains collègues de travail. En effet, plusieurs d’entre eux convoitaient un poste au bureau de la sécurité des milieux, puisqu’il s’agissait d’un travail sur un horaire de jour. D’ailleurs, toujours selon la version non contredite de monsieur Gobeil, il s’agissait de l’une des premières ententes d’accommodement de cette nature, conclue par l’employeur et le syndicat.
- Découlant de ces rapports d’expertises et de ladite entente du 4 mai 2014, la Commission rend une décision le 13 mai 2014[8] et détermine que la travailleuse n’est plus en mesure d’occuper son emploi de policière patrouilleuse, détermine l’emploi convenable d’agente à l’accueil et déclare qu’elle est capable d’exercer celui-ci à compter du 13 janvier 2014.
- La travailleuse est donc affectée à l’accueil du poste de quartier de l’arrondissement de Chicoutimi. Comme mentionné précédemment, il appert que ce poste relève du bureau de la sécurité des milieux qui est composée de policiers. Certains sont majoritairement responsables des plaintes jugées non urgentes, soit en guise d’exemple, des chicanes de voisinages ou des dénonciations de vols de toutes natures. Ces derniers ont à se déplacer sur tout le territoire afin de répondre à ce type d’intervention. D’autres agents sont affectés aux postes d’accueil dans les différents points de service de l’employeur sur le territoire de la Ville de Saguenay.
- À cette époque, il y avait deux agents responsables de l’accueil, un qui était affecté à l’arrondissement de Chicoutimi et l’autre au quartier général qui se situe dans l’arrondissement de Jonquière. À partir du 13 janvier 2014, la travailleuse occupe le poste à l’arrondissement de Chicoutimi, tandis que l’autre poste disponible est en rotation parmi les policiers affectés au bureau de la sécurité des milieux.
- Toutefois, la travailleuse précise que son retour au travail à ce poste à l’arrondissement de Chicoutimi s’est relativement bien déroulé. Elle entretenait une très bonne relation et un lien de confiance significatif avec son supérieur immédiat de l’époque, soit le sergent Michel Bergeron. Selon monsieur Gobeil, le sergent Bergeron se comportait en « bon père de famille » et savait rassurer la travailleuse dans ses inquiétudes. Son style de gestion était sécurisant et il encadrait la travailleuse afin qu’elle se sente rassurée.
- Cependant, à compter du mois d’octobre 2017, la travailleuse allègue avoir vécu certains événements problématiques impliquant, tant ses collègues de travail que la direction.
- La preuve prépondérante[9] démontre que ses collègues de travail surveillaient constamment les agissements de celle-ci et n’hésitaient pas à dénoncer chaque oubli, carence ou geste non conformes directement à la direction, même si ceux-ci étaient bien souvent tolérés par tous.
- Pourtant, le Tribunal souligne que ce genre de dénonciation dans son milieu de travail est très rare, pour même dire inexistant. De plus, les conséquences de certains manquements de la travailleuse étaient beaucoup plus sévères que ceux infligés à ses collègues de travail. En guise d’exemple, le Tribunal tient à mentionner certaines sanctions disciplinaires reçues par la travailleuse de manière contemporaine à sa réclamation.
- Premièrement, le 18 octobre 2018, monsieur Marc Sénéchal, capitaine à l’administration policière et aux normes professionnelles, transmet deux lettres à la travailleuse lui reprochant divers manquements disciplinaires[10].
- Une première sanction disciplinaire lui est transmise le 5 novembre 2018[11]. On impose les sanctions suivantes à la travailleuse, à savoir :
- Cinquante (50) minutes seront débitées dans une banque de congé de votre choix, concernant la prestation de travail que vous n’avez pas effectuée le 5 avril 2018 entre 15 h 50 et 16 h 42;
- Un jour de suspension sans solde de huit (8) heures en lien avec votre insubordination envers votre sergent le 5 avril 2018;
- Un jour de suspension sans solde de huit (8) heures en lien avec le non-respect de votre horaire de travail et de l’utilisation d’un véhicule du Service à des fins personnelles.
- Une deuxième sanction disciplinaire lui est remise, toujours le 5 novembre 2018, lui imposant d’autres sanctions disciplinaires[12], à savoir :
- Un jour de suspension sans solde de huit (8) heures, en lien avec votre comportement envers le plaignant;
- Un jour de suspension sans solde de huit (8) heures, en lien avec votre insubordination, reliée au non-respect du contenu de la lettre administrative qui vous a été signifiée le 18 octobre 2017;
- Un jour de suspension sans solde de huit (8) heures, en lien avec votre déresponsabilisation récurrente.
- Deux griefs ont été déposés par le syndicat concernant ces sanctions disciplinaires[13]. Ceux-ci ont fait l’objet d’une entente entre l’employeur et le syndicat le 1er août 2018[14].
- Le 10 décembre 2018, la docteure Gosselin rédige une attestation médicale et pose le diagnostic de trouble de l’adaptation secondaire à la persistance de harcèlement possible au travail. Elle recommande un arrêt de travail.
- Dans ses notes cliniques, la docteure Gosselin relate plusieurs événements stressants vécus par la travailleuse :
- Tout d’abord, elle indique qu’elle a repris son poste à l’accueil avec un sergent qui la protégeait, mais que ce dernier est parti à la retraite il y a environ deux semaines et que son état s’est par la suite détérioré grandement.
- Elle a également entendu des rumeurs à l’effet qu’elle doit être transférée au poste d’accueil du quartier général de l’arrondissement de Jonquière incessamment.
- Par ailleurs, elle précise qu’on lui a interdit d’utiliser la plateforme « Messenger » sur son ordinateur de bureau. Pourtant, il y a une tolérance à cet égard envers l’ensemble du personnel.
- De plus, elle explique avoir perdu son privilège de choisir ses vacances estivales puisqu’elle a fait des réclamations à la Commission lui faisant perdre son ancienneté.
- Elle se plaint également d’avoir reçu un avis disciplinaire puisqu’elle est allée au bureau de la Société de l’assurance automobile du Québec pendant les heures de travail, ce qui lui avait été interdit.
- Elle relate également un événement survenu en dehors des heures de travail dans une boutique de vente d’équipements sportifs où elle aurait eu une altercation verbale avec un vendeur. N’étant pas satisfaite du comportement de ce dernier, elle aurait publié sur les médias sociaux son mécontentement, sans nommer le vendeur ou la boutique en question. Malgré qu’il s’agisse d’un conflit de nature personnelle, aucunement lié à son travail de policière, son employeur l’a sanctionnée pour celui-ci.
- Finalement, elle a eu un conflit avec un collègue de travail qu’elle accuse de la harceler tandis que ce dernier lui reproche de briser l’esprit d’équipe. Elle a l’impression que lorsqu’elle se défend des attaques de ses collègues, elle passe trop souvent pour l’agresseur.
- Bien que le Tribunal n’ait pas à se prononcer sur le bien-fondé de ces sanctions disciplinaires émises par l’employeur, il tient néanmoins à souligner que la preuve démontre une certaine propension de ce dernier à sanctionner plus sévèrement la travailleuse que les autres employés.
- En guise d’exemple, il appert que le collègue qui accompagnait la travailleuse lors de l’utilisation du véhicule de l’employeur à des fins personnelles le 5 avril 2018, et qui était dans la même situation dérogatoire que cette dernière, soit d’effectuer une activité de nature personnelle sur le temps de travail en utilisant un véhicule de l’employeur, n’a reçu aucune sanction disciplinaire.
- Par ailleurs, certains faits qui sont reprochés par l’employeur à la travailleuse se sont produits uniquement dans la sphère personnelle de celle-ci sans qu’elle fasse référence à son statut d’agente de la paix. Le Tribunal ne comprend pas en quoi un désaccord entre un commerçant et un consommateur peut entacher l’image de la profession d’agente de la paix ou de l’employeur lui-même. Cette intrusion dans la vie privée de la travailleuse déborde du cadre normal du travail et démontre que l’employeur a abusé de son droit de gestion.
- Finalement, il est étonnant que l’employeur reproche à la travailleuse de se déresponsabiliser de manière récurrente, surtout après lui avoir fait subir du harcèlement psychologique au travail ainsi que de nombreuses injustices, et ce, durant plusieurs années, tant de la part de ses collègues de travail que de ses propres supérieurs. Le Tribunal estime qu’il est injuste de lui reprocher de tenter de se justifier et de défendre son point de vue en lien avec les faits qui lui sont reprochés, même si elle s’exprime avec plus de frénésie qu’une personne n’ayant pas subi de tels gestes de violence psychologique à son travail.
- Malgré son arrêt de travail, son employeur décide de lui transmettre une lettre datée du 7 janvier 2019 l’avisant de l’imposition de mesures disciplinaires qui seront appliquées lors de son retour au travail.
- Dans les notes cliniques de la docteure Gosselin du 4 février 2019, elle précise que le syndicat de la travailleuse lui aurait suggéré de retourner rapidement au travail, car elle risque de perdre beaucoup si elle ne le fait pas, allant même jusqu’à ruiner sa carrière de policière.
- Le 11 février 2019, en raison notamment du refus de la Commission de reconnaître sa nouvelle lésion professionnelle du 10 décembre 2018, la travailleuse retourne au travail dans les mêmes fonctions à titre d’agent à l’accueil au poste de l’arrondissement de Chicoutimi. Selon sa version, il semble que le retour se passe relativement bien.
- À cet égard, dans la note médicale de la docteure Gosselin du 25 février 2019, elle indique que la travailleuse est retournée au travail et que tout se passe bien. Elle précise également que l’employeur a accepté la demande du syndicat de ne pas l’affecter au quartier général de l’arrondissement de Jonquière.
- Malgré cette entente, le 29 février suivant, monsieur Sylvain Houde, capitaine du soutien aux opérations, ainsi que monsieur Denis Gilbert, inspecteur du soutien aux opérations, laissent entrevoir à la travailleuse une possibilité qu’elle soit sous peu affectée au poste d’accueil au quartier général de l’arrondissement de Jonquière. Tant la travailleuse que monsieur Gobeil confirment que cette perspective de transfert lui a créé beaucoup de stress et d’angoisse puisque cela impliquait d’avoir une plus grande proximité avec ses collègues et ses supérieurs, dont certains étaient responsables du harcèlement psychologique qu’elle avait vécu dans le passé.
- Le 1er août 2019, l’employeur transmet une lettre à la travailleuse concernant un nouveau dossier disciplinaire[15] qui implique une publication sur le média social « Facebook » de la travailleuse dans laquelle cette dernière aurait dénigré monsieur Dominic Larouche, son sergent. Pour se défendre, la travailleuse mentionne qu’elle croyait à tort avoir écrit personnellement à son ancien sergent, monsieur Bergeron. Encore une fois, c’est un collègue de travail qui a dénoncé la situation à la direction sans en parler directement avec la travailleuse.
- Le 23 août 2019, la docteure Gosselin rédige un rapport final et déclare que le diagnostic de trouble de l’adaptation est résolu sans séquelles fonctionnelles additionnelles. Dans ses notes cliniques, elle ajoute que malgré le retour au travail, le stress est encore présent, mais la travailleuse semble être en mesure de le gérer.
- Le 30 octobre 2019, la travailleuse rencontre son psychiatre, le docteur Benoit Croteau. Dans ses notes médicales, il indique que la travailleuse vit encore de l’intimidation et du harcèlement de type institutionnel. Il pose les diagnostics d’anxiété en lien avec du harcèlement et de cyclothymie dépressive contrôlée.
- Ce n’est que le 26 janvier 2021, que le Tribunal entérine un accord de conciliation[16] et déclare que la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation en date du 10 décembre 2018, puisque, tant la Commission que la révision administrative avait refusé initialement de reconnaître cette lésion professionnelle.
L’ANALYSE
- Il existe trois types de lésions professionnelles qui peuvent être reconnues en vertu de la Loi. Le premier type de lésion peut découler d’un accident du travail, le second d’une maladie professionnelle et le dernier d’une récidive, rechute, ou aggravation d’une lésion antérieure[17]. Ainsi, un travailleur peut se voir reconnaître une nouvelle lésion professionnelle bien que sa lésion initiale soit consolidée, pouvant alors bénéficier à nouveau des prestations prévues par la Loi.
- Le concept de récidive, rechute, ou aggravation ne s’applique pas uniquement dans le cadre d’une blessure physique, mais peut aussi s’appliquer à une condition de nature psychologique. Il n’est pas non plus défini par la Loi, mais la jurisprudence[18] constante en la matière interprète toutefois ces termes comme étant une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de la lésion ou de ses symptômes. Il n’est pas nécessaire qu’un fait nouveau survienne, qu’il soit accidentel ou non.
- Dans l’affaire Dubé et Entreprises du Jalaumé enr.[19], la jurisprudence a précisé qu’un travailleur qui désire faire reconnaître qu’il a été victime d’une récidive, rechute, ou aggravation, doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, deux éléments cumulatifs, soit :
- Une modification négative de son état de santé depuis la consolidation de la lésion professionnelle; et,
- L’existence d’un lien de causalité entre cette modification et la lésion professionnelle.
DOSSIER 1233354-02-2106
- Dans ce dossier, la travailleuse et l’employeur n’invoquent pas la possibilité que la travailleuse ait pu subir un nouvel accident du travail ou une maladie professionnelle à l’époque contemporaine à sa réclamation. Quant à la Commission, elle soutient qu’il n’y a pas de lésion professionnelle à cette date. De ce fait, le Tribunal doit analyser si la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation le 23 mars 2020.
- Les parties admettent que la condition médicale psychologique de la travailleuse s’est modifiée négativement en mars 2020. D’ailleurs, la preuve médicale contemporaine est à cet effet.
- En guise d’exemple, le docteur Michel Gil, psychiatre, dans son expertise médicale du 9 septembre 2022, énonce ceci :
On constate dans les notes médicales de la docteure Gosselin et du docteur Croteau que des ajustements du traitement ont dû être effectués depuis cette période avec introduction de Trintellix et par la suite remplacement du Trintellix par du Lamictal puis remplacement du Lamictal par de l’Epival avec reprise de l’antidépresseur.
[…]
L’étude du dossier m’amène à retenir que les limitations fonctionnelles permanentes s’étaient probablement aggravées en raison de la fragilisation de la capacité de gestion du stress, fragilisation des capacités de régulation émotionnelle, fragilisation des capacités d’attention et de prise de décisions. Le tout signalait également la fragilisation croissante de la structure de personnalité et des capacités d’adaptation.
[Transcription textuelle]
- De plus, le psychiatre qui fut mandaté par la Commission, soit le docteur Jean-Robert Turcotte, s’exprime ainsi dans son rapport d’expertise daté du 16 juillet 2024 :
Selon les notes du médecin traitant et selon les dires de Madame, il y a eu modification de son état de santé psychologique depuis la consolidation de sa lésion le 23 août 2019. Son état de santé s’est modifié de façon négative de façon similaire à ce qui s’était passé dans les épisodes antérieurs.
[Transcription textuelle]
- Le Tribunal n’a donc pas à se prononcer sur cette question.
- Quant à la relation entre cette modification et les lésions antérieures, la représentante de la travailleuse et celle de l’employeur sont d’avis qu’il existe un lien prépondérant, de nature médicale, à l’effet que cette modification de l’état de santé de la travailleuse est en relation avec ses lésions professionnelles antérieures.
- Pour sa part, la Commission est plutôt d’avis que cette modification négative de l’état de santé de la travailleuse est en lien avec des problèmes d’ordre personnels et des décisions de l’employeur qui ne sortent pas du cadre normal du travail et qui font partie de son droit de gestion. De ce fait, elle demande au Tribunal de déclarer que ces facteurs de stress ont été déterminants dans la modification de son état de santé et que la travailleuse n’a pas subi de récidive, rechute, ou aggravation.
- Or, le Tribunal n’est pas de cet avis. Dans les circonstances particulières du présent dossier, il a à déterminer si, de manière prépondérante, il existe un lien de causalité entre la modification négative de l’état de santé psychologique de la travailleuse et ses lésions professionnelles antérieures de même nature.
- Plus précisément, la travailleuse doit démontrer, et ce, de manière prépondérante, qu’il existe un lien plausible, logique et suffisamment étroit entre les conséquences de ses lésions antérieures et la modification de son état de santé psychologique[20]. En d’autres mots, cette modification doit découler plus probablement de ces lésions professionnelles que de toute autre cause[21].
- Il n’est donc pas nécessaire que survienne un nouvel événement au travail pour qu’une récidive, rechute, ou aggravation soit reconnue, tant pour une lésion de nature physique que psychologique.
- Dans l’affaire Boisvert et Halco inc.[22], la jurisprudence a développé certains paramètres afin d’aider le Tribunal dans l’appréciation du lien de causalité entre une récidive, rechute, ou aggravation et la lésion initiale, parmi lesquels l’on retrouve :
- la gravité de la lésion initiale;
- la continuité de la symptomatologie;
- l’existence ou non d’un suivi médical;
- le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles;
- la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
- la présence ou l’absence d’une condition personnelle;
- la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.
- Aucun de ces critères n’est à lui seul décisif. Ils ne sont que des outils mis à la disposition du décideur pour faciliter son analyse de la réclamation dont il est saisi. Ceux‑ci n’étant pas incorporés au texte législatif, il n’est pas impératif d’avoir recours à tous ni même à l’un d’entre eux[23]. Par ailleurs, au-delà de cette analyse des paramètres, il importe de garder à l’esprit que l’essentiel est de déterminer si les lésions antérieures et ses conséquences expliquent la récidive, rechute, ou aggravation par un lien de cause à effet.
- Voici l’essentiel de la preuve prépondérante retenue par le Tribunal.
- Le 23 mars 2020, la travailleuse consulte sa professionnelle de la santé, soit la docteure Gosselin, par téléphone en raison de la pandémie de la COVID-19. Dans ses notes médicales, cette dernière mentionne que son fils, qui souffre d’un trouble du spectre de l’autisme, est à la maison et qu’il va très mal, ayant même des idées suicidaires. Elle n’a pas d’aide de personne puisque ses parents sont âgés, qu’elle n’a plus de contact avec son frère et sa sœur et que le père de son fils est en quarantaine puisqu’il revient de voyage. Elle ne peut pas laisser son fils sans surveillance, et a demandé à son employeur de faire du télétravail, ce qui lui a été refusé. Un arrêt de travail lui est prescrit.
- Lors de son témoignage, monsieur Larry Boudreault, capitaine à l’administration policière et aux normes professionnelles, indique qu’il a été porté à sa connaissance d’un événement où des policiers de la Ville de Saguenay sont intervenus au domicile de la travailleuse dans les jours ayant suivi cet arrêt de travail. Le code de la carte d’appel était E-425, ce qui signifie « État mental perturbé ». Toutefois, le Tribunal n’a pas de détails concernant cet événement. Il est donc possible que cette intervention ait été en lien avec les problématiques vécues par le fils de la travailleuse souffrant du trouble du spectre de l’autisme dans le contexte de la pandémie ou d’une tierce personne. De ce fait, cet élément ne sera pas retenu comme étant pertinent en lien avec la présente analyse puisque rien n’indique que l’intervention visait personnellement la travailleuse.
- Le 7 avril 2020, la docteure Gosselin rédige un formulaire d’invalidité adressé à la compagnie d’assurance de la travailleuse en lien avec son arrêt de travail. Elle émet le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse et retient la présence de traits de la personnalité histrionique.
- Dans les notes de consultations suivantes, soit le 23 avril 2020, la docteure Gosselin décrit plusieurs éléments stressants présents dans la vie de la travailleuse. D’abord, l’état psychologique de son fils ne s’est pas amélioré. Par ailleurs, son conjoint est parti puisqu’il est d’avis qu’elle devrait suivre une thérapie pour la gestion de sa colère. Elle mentionne également qu’elle a gagné son troisième recours contre son employeur en harcèlement au travail, mais qu’elle est tannée de devoir constamment se battre avec ses supérieurs. Elle se sent rejetée de tout le monde et pleure tout au long de l’entrevue. La docteure Gosselin ajoute ceci :
Écoute, support, reflet qu’elle a subi plusieurs traumatismes psychologiques et qu’en ne travaillant pas à guérir toutes ces émotions, ça explose +++ et ses paroles dépassent sa pensée, dit des choses blessantes à ses proches et que ce comportement fait l’effet contraire de ce qui est recherché. i.e. le rejet au lieu de la compréhension, l’empathie et le support
Doit faire thérapie pour guérison de ses trauma et d’apprendre à mieux gérer sa colère
Discussion de la méditation pleine csc etc
[Transcription textuelle]
- Toujours en date du 23 avril 2020, la travailleuse consulte l’infirmière du docteur Croteau, psychiatre. Dans ses notes cliniques, cette dernière mentionne qu’elle est très émotive, qu’elle pleure, s’inquiète et semble débordée par l’ensemble des problèmes qu’elle connaît depuis quelques années, dont le harcèlement, la relation avec son ex-conjoint et la protection de son fils souffrant du trouble de l’autisme qui est maintenant adulte.
- Le 27 avril suivant, la travailleuse est réévaluée par son psychiatre, le docteur Croteau. Il soulève un trouble cyclothymique avec forte réactivité émotionnelle, de l’irritabilité et de l’hypersensibilité à l’enfance. Il ajoute qu’elle a vécu beaucoup d’événements au travail avec sentiment d’injustice, de périodes de harcèlement qui ont eu un impact sur sa vie personnelle et familiale. Il nomme les facteurs de stress suivants, à savoir, des tensions sur le plan familial et dans son couple et des réactions de peur excessive au contexte de la COVID-19.
- De manière contemporaine à son arrêt de travail, la docteure Gosselin rédige un second formulaire d’invalidité à la compagnie d’assurance de la travailleuse en date du 3 mai 2020. Dans celui-ci, le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse est posé. Dans la section du pronostic, elle fait état d’une crise de son fils souffrant du trouble de l’autisme en lien avec la pandémie de la COVID-19 et du peu de support qu’elle a de son entourage.
- Le 7 mai 2020, la docteure Gosselin rédige une note médicale, à la suite d’une consultation téléphonique. On y apprend que la travailleuse est suivie depuis peu par monsieur Nicolas Maltais, travailleur social, et qu’elle a discuté avec son psychiatre en lien avec sa réactivité émotive. Ce dernier a modifié sa médication depuis neuf jours et elle ressent déjà les bénéfices. Par ailleurs, on y apprend que son conjoint est revenu à la maison.
- Elle explique que lors de son dernier arrêt de travail en lien avec le harcèlement psychologique, elle n’a été en arrêt de travail que durant deux mois puisque la Commission avait refusé initialement cette réclamation et qu’elle avait peur et n’avait surtout pas l’énergie de se battre. Elle ajoute que ce dernier accident du travail a été pire que les deux autres puisque l’employeur et ses collègues ont joué dans sa vie privée, ce qui a été pour elle comme un viol. Elle ajoute : « N’a pas eu le temps de guérir ses blessures, est fragilisée +++ ».
- Elle ajoute que la direction l’a avisée qu’elle changerait de poste et qu’elle n’aurait plus de vacances. À cette annonce, la docteure Gosselin note : « Est de venue instable ++++ irritable ++++ ». Il semble que le milieu de travail soit malsain et que les gens sont tendus. Elle ressent une diminution de son estime de soi, du rejet ainsi qu’une diminution de la confiance en elle et en tout le monde. En ce qui concerne le problème retenu, la docteure Gosselin indique : « trouble adaptation ré exacerbé dans contexte covid mais qui part du harcèlement qu’elle depuis plusieurs années ».
- La docteure Gosselin discute au téléphone avec la travailleuse concernant un appel d’un professionnel de la santé de sa compagnie d’assurance en lien avec la possibilité de produire une réclamation à la Commission. Durant cette conversation, la travailleuse est très stressée qu’on lui coupe ses prestations et se dit complètement traumatisée de devoir discuter avec les ressources humaines. Elle pleure facilement et présente beaucoup de colère refoulée. Elle mentionne qu’elle fait du vélo et que cette activité lui est très bénéfique, tant sur l’estime d’elle qu’au niveau de la gestion de son mental. Elle craint que cette activité lui nuise dans le cadre de son arrêt de travail. Dans sa note clinique, la professionnelle de la santé se dit totalement en accord avec la pratique de ce sport durant cet arrêt de travail puisque c’est bénéfique, tant physiquement que psychologiquement pour elle.
- La travailleuse consulte la docteure Gosselin qui rédige un rapport médical le 17 juin 2020 et indique la date du 23 mars 2020 comme étant celle de la récidive, rechute, ou aggravation. Elle pose le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive à la suite de multiples épisodes de conflits (harcèlement) au travail. Elle recommande un arrêt de travail et un suivi psychologique.
- On apprend dans les notes cliniques de cette dernière qu’à la suite de la dernière consultation médicale, tant le syndicat que la procureure de la travailleuse recommandent l’ouverture d’un dossier à la Commission. Il est pertinent de reproduire les commentaires et les explications de la docteure Gosselin quant au délai de production de son premier rapport médical et de la réclamation de la travailleuse :
Lors de la consult du 23 mars , on a parlé bcp de son fils qui allait mal, mais en raison de la covid ses employeurs lui avait dit qu’elle allait changer de poste ( partir de son affectation suite séquelles CNESST) qui respectait ses limitations fonctionnelles en ne sachant pas où elle serait localisée ( dans quel poste ou si Chicoutimi ou Jonq)
Elle a proposé de faire télétravail ( ce qui était très faisable selon elle ) mais ça a été refusé
A nommé qu’elle ne pouvait pas changé de poste comme ça car elle avait des limitations permanentes mais sans changement de plan.
Est sortie dans ce contexte . M’en avait parlé mais à ce moment , aucune force de ré ouvrir CNESST , de plus , son fils a mal réagi à la covid et aussi peut-être à l’augmentation du stress chez Audrey aussi .
Depuis le dernier épisode d’harcèlement qui a été réglé à l’amiable , difficile de s’en remettre, est demeurée fragile +++ donc le fait quèlle s’est fait dire qu,elle changerait de tâche sans savoir où, comment, l’anxiété a été exacerbée +++
Son psychiatre avait changé lamictal pour épival carla difficulté de gestion de ses émotions et de sa colère ont été exacerbée suite <a tout ça et impact +++ sur ses relations ( conjoint et famille) Dr Croteau lui a fait part que l’épival était plus efficace sur stabilisation irritabilité
Mais effets neg +++ perdait ses cheveux +++ et aucune tolérance à l’effort, fatigue dyspnée. A recontacté Dr Croteau et épival cessé et reprise lamictal mais augmentation des doses progressives . Depûis arrêt épival se sent bcp mieux a repris ses capacités à l’effort habituelles
Demeure quand même très émotive fragile perte d’estime de confiance
Ne savait pas trop si c’était indiqué de rouvrir le dossier de CNESST c’est pourquoi il y a un retard dans déclaration, mais finalement on ouvre le dossier suite conseils de son avocate .
[Transcription textuelle]
- Le 8 juillet 2020, la travailleuse consulte un professionnel de la santé à la suite d’une chute qu’elle a faite à vélo le 4 juillet dernier. Cette dernière conserve une douleur à l’hémithorax droit.
- Le 20 juillet suivant, la docteure Gosselin rédige un rapport médical et pose le même diagnostic que lors du dernier rapport médical et ajoute qu’elle observe une amélioration de l’irritabilité et de l’impulsivité avec la prise de médication. Toutefois, la travailleuse demeure triste et présente une labilité émotive ainsi que de l’angoisse d’anticipation à son retour au travail. Dans ses notes cliniques, elle rapporte que la travailleuse pleure dès qu’on aborde le travail. Il semble que son travailleur social lui suggère une réorientation de carrière, mais la travailleuse aime encore son métier et ne désire pas faire autre chose. Toutefois, la docteure Gosselin mentionne : « Se sent mieux mais aussitôt qu’elle pense à son travail, anxiété+++ ».
- Le 1er septembre 2020, la docteure Gosselin rédige un rapport médical et indique que la travailleuse présente une exacerbation de son anxiété à la suite d’un malentendu avec sa compagnie d’assurance. Par la suite, dès que la situation a été réglée, la condition médicale s’est améliorée. Des traitements en ergothérapie sont recommandés en vue d’un retour au travail. Dans ses notes cliniques, on apprend que la travailleuse est partie en vacances en Colombie-Britannique en compagnie de son conjoint pour faire un voyage axé sur sa passion, le vélo de montagne. À la suite d’une dénonciation d’un de ses collègues de travail qui a vu des photographies de cette expédition sur le média social « Facebook », sa compagnie d’assurance a coupé les prestations d’assurances de la travailleuse.
- Dans une lettre adressée à la compagnie d’assurance de la travailleuse le 1er septembre, la docteure Gosselin précise que son dernier retour au travail n’a pas été facile puisqu’elle vit encore de manière régulière des conflits dans son milieu de travail et du harcèlement. De plus, lors du début de la pandémie de la COVID-19, elle a été forcée à changer de poste, ce qui ne cadrait pas avec ses limitations fonctionnelles, et le télétravail lui a été refusé. Elle précise qu’elle n’est pas encore apte à reprendre son emploi en raison de la charge émotive associée au lieu de travail.
- Le 21 septembre 2020, la docteure Ginette Lavoie, psychiatre, rédige un rapport d’expertise à la demande de l’employeur. À la suite de son examen mental, elle pose le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur mixte en rémission partielle, mais chronique. Elle observe quelques traits de personnalité histrionique. Elle ajoute : « Madame a vécu une situation de harcèlement qui a été reconnue par la CNESST et pour laquelle des limitations fonctionnelles ont été déterminées. Elle continue d’éprouver des difficultés au travail, se sent toujours dans une situation de surveillance. ». Elle est d’avis qu’elle demeure avec une certaine fébrilité, une sensibilité et une anxiété présente. Un ajustement de la médication semble indiqué. Elle ne consolide pas la lésion professionnelle et conclut :
Il s’agit d’une situation complexe qui a duré plusieurs années, mais madame ne nous est pas apparue de mauvaise foi ou en proie à une interprétation fautive en dehors de la réalité.
Nous devons toutefois reconnaître que son état dépressif et les craintes qu’elle a développées au fil des années ne l’aident pas à avoir une meilleure vision positive des événements.
[Transcription textuelle]
- Le 23 septembre 2020, la docteure Gosselin indique dans ses notes médicales que la dénonciation qui a été faite à sa compagnie d’assurance par un de ses collègues l’affecte beaucoup.
- Le 20 octobre suivant, la travailleuse discute avec l’infirmière du docteur Croteau, psychiatre. Cette dernière est d’avis que la travailleuse n’est pas prête à un retour au travail et qu’elle a développé plusieurs mécanismes de défense à la suite des diverses problématiques de harcèlement psychologique vécues au travail. Son humeur est stable et elle observe une diminution de la réactivité émotionnelle et de l’anxiété chez elle.
- Dans ses notes cliniques du 22 octobre 2020, la docteure Gosselin indique que le problème avec la compagnie d’assurance s’est finalement réglé et la travailleuse s’en porte mieux. Elle envisage un retour au travail et s’implique ardemment à cet égard avec son ergothérapeute et son travailleur social.
- Le 24 novembre 2020, la travailleuse discute à nouveau avec l’infirmière du psychiatre Croteau pour un suivi médical. Cette dernière se sent plus solide, mais appréhende le retour au travail. Elle continue ses démarches avec l’ergothérapeute et sa psychologue afin de favoriser celui-ci.
- Le 26 janvier 2021, le Tribunal entérine un accord de conciliation et détermine que la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation le 10 décembre 2018.
- Le 9 septembre 2022, la travailleuse est évaluée par le docteur Gil, psychiatre, à la demande de sa représentante. Ce dernier rédige un rapport d’expertise et est également entendu à l’audience. Son statut de témoin expert a été confirmé.
- Le Tribunal estime que son opinion est crédible et probante. Tout d’abord, à la lecture de son curriculum vitae, il constate que le docteur Gil cumule une grande expertise dans son champ de compétence. De plus, l’examen psychiatrique de la travailleuse est complet et l’entrevue à elle seule a durée plus de deux heures. Finalement, il témoigne avec aisance et justifie son opinion médicale sur une trame factuelle qui est conforme à celle présentée lors de l’enquête et l’audition et appuie son avis sur une vaste expérience clinique. De ce fait, son opinion sera privilégiée dans ce dossier.
- Quant à l’annonce de l’employeur en mars 2020 de la fermeture du poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi, le docteur Gil rapporte les conséquences suivantes sur la travailleuse :
Depuis la détermination d’un emploi convenable compatibles avec les limitations fonctionnelles permanentes émises en 2013, elle fut assignée à des fonctions d’agente d’accueil au quartier général dans lesquelles elle ne s’est jamais sentie accueillie et acceptée par ses collègues.
Elle mentionne qu’elle avait malgré tout réussi à recréer un environnement de travail dans lequel elle se sentait en sécurité, mais qu’en mars 2020, dans le contexte de la pandémie et la mise en place de mesures d’urgence, l’employeur avait décidé de fermer tous les postes d’accueil sans proposer d’alternative qui pourrait la rassurer. Madame mentionne qu’elle a vécu une exacerbation marquée de son niveau d’anxiété et dès l’annonce par l’employeur a paniqué et a contacté son syndicat et son médecin traitant qui a émis un arrêt de travail le 23 mars 2020.
[Transcription textuelle]
- Lors de son examen objectif, le docteur Gil observe une forme de perception cristallisée d’être victime de harcèlement et de victimisation chronique en milieu de travail, et ce, depuis 2003. Il émet les diagnostics de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronicisé modéré à sévère et de trichotillomanie. Il note également des traits de personnalité histrionique dont l’expression s’est amplifiée au fur et à mesure des années depuis la fragilisation installée depuis 2003. Il décrit un seul facteur de stress responsable de cette condition psychologique, soit les problèmes professionnels récurrents qu’elle vit depuis 2003.
- À cet égard, le docteur Gil fait état que depuis 2005, la travailleuse se sent de plus en plus fragilisée et cet état augmente avec chaque arrêt de travail. Elle vit constamment avec de la rage et une irritabilité qui est difficile à contrôler, même dans sa vie personnelle, ce qui amène inévitablement un sentiment de culpabilité et d’autodépréciation. Il y a également une diminution de la concentration et d’attention, ce qui lui donne l’impression de toujours être éparpillée. Elle devient indécise, ce qui lui cause des problèmes lors de la prise de décisions puisqu’elle a l’impression de ne plus être intelligente. Elle craint constamment d’être rejetée et présente une hypersensibilité à cet égard. La travailleuse indique anticiper constamment les critiques d’autrui et se dit incapable de les tolérer. Elle a peur de nouveaux échecs, de se faire passer pour une folle ou d’être critiquée ou même disciplinée. Elle a de la difficulté à affronter la société en raison de sa perte de confiance en elle.
- Sur le plan diagnostic, le docteur Gil retient, selon le « DSM-5 », les conclusions suivantes :
Axe I : Trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive chronicisé modéré à sévère.
Trichotillomanie.
Axe II : Traits de personnalité histrionique dont l’expression s’est amplifiée au fur et à mesure des années depuis la fragilisation installée depuis 2003.
Axe III : Pas de condition médicale activement contributive.
Axe IV : Problèmes professionnels récurrents depuis 2003.
Axe V : EGF à 6o.
[Transcription textuelle]
- Quant à la relation entre la modification de l’état de santé psychologique de la travailleuse en mars 2020 et les autres lésions professionnelles, le docteur Gil mentionne qu’il ne retrouve pas de facteurs de stress extrinsèques qui pourraient médicalement expliquer la fragilisation de celle-ci autre que la décision de l’assureur de couper les prestations d’assurance salaire. Cependant, le Tribunal souligne que cette interruption est encore en raison d’une dénonciation d’un collègue de travail. Il ajoute :
Si la travailleuse a vraisemblablement vécu des facteurs de stress en lien avec l’impact de la pandémie sur l’adaptation et la scolarisation de son fils autiste, il est clair qu’elle a été principalement fragilisée par la décision de l’employeur de fermer toutes les structures d’accueil dans lesquelles elle avait pu recréer un environnement pour elle sécuritaire et comptable avec les limitations fonctionnelles déjà émises. J’estime qu’il existe une relation de causalité médicale probable entre ce contexte et une fragilisation du trouble d’adaptation sur un fond de fragilisation des traits de personnalité.
[Transcription textuelle]
- Le Tribunal constate également que le docteur Gil modifie de manière importante les limitations fonctionnelles émises à la suite de cette récidive, rechute, ou aggravation. En plus de celles ayant été reconnues, tant par la docteure Gosselin et la docteure Thiffeault, le docteur Gil ajoute des limitations fonctionnelles en lien avec la récidive, rechute, ou aggravation du 23 mars 2020 :
Je retiens donc une atteinte modérée à sévère dans l’aptitude à maintenir des relations interpersonnelles dans son contexte professionnel.
Une atteinte modérée dans l’aptitude à maintenir un rythme de travail approprié en raison de la fatigabilité, de son niveau d’anxiété et de son émotivité.
Une atteinte modérée dans l’aptitude à se concentrer et maintenir une attention, dans un contexte de travail.
Une atteinte modérée dans l’aptitude à prendre des décisions.
Une atteinte modérée dans l’aptitude à composer avec les stress principalement en lien dans ses relations de travail, et ses rapports avec l’autorité, en raison notamment de son hypersensibilité relationnelle au sentiment de rejet et aux critiques.
[Transcription textuelle]
- Le 16 juillet 2024, le docteur Turcotte, psychiatre, rédige un rapport d’expertise à la demande de la Commission. Ce dernier procède à l’analyse du dossier de la travailleuse, mais effectue également deux entrevues avec celle-ci par visioconférence qui ont durées respectivement 1 heure et quart et 15 minutes.
- Dans son rapport, ce dernier mentionne ne pas être en mesure de déterminer si la travailleuse a réellement été confrontée à du harcèlement psychologique sur les lieux du travail durant toutes ses années ou s’il s’agit d’une simple perception non fondée. Il soulève toutefois que tous les spécialistes qu’elle a rencontrés n’ont pas remis sa version des faits en doute.
- Pour les fins de la rédaction de cette décision, le Tribunal retiendra uniquement l’opinion du docteur Turcotte quant à la présence réelle de harcèlement au travail. En effet, la preuve factuelle prépondérante est à l’effet que la travailleuse a effectivement été confrontée à un climat de travail malsain, teinté de harcèlement psychologique de ses confrères de travail et de certains de ses supérieurs, et ce, depuis 2003. En effet, dans son argumentation écrite, la Commission admet que cette dernière a subi du harcèlement au travail à de multiples reprises, ce qui a entraîné dans le passé plusieurs lésions professionnelles.
- Lors de son examen subjectif, la travailleuse lui relate que les raisons principales en lien avec ses nombreuses rechutes au fil du temps sont en lien avec les conditions de travail où on cherche continuellement à la prendre en défaut. Elle lui explique que l’élément déclencheur de son arrêt de travail du 23 mars 2020 est l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi[24].
- En ce qui concerne l’examen clinique du docteur Turcotte, il souligne que l’analyse de ce dossier révèle une complexité particulière. Avec raison, il confirme qu’aucune enquête formelle concernant les plaintes de la travailleuse pour harcèlement psychologique au travail n’a été réalisée.
- ll observe que l’anxiété et la tristesse de la travailleuse disparaissent assez rapidement lorsqu’on s’éloigne du sujet de son travail. Par ailleurs, le contenu de ses pensées est envahi par les problèmes qu’elle a vécus au travail et dès qu’on s’éloigne de ce sujet, elle devient souriante. Il remarque qu’elle présente des problèmes de concentration et s’emporte sur le plan émotif dès que son niveau d’anxiété augmente. Il ajoute que la travailleuse semble être une personne authentique.
- À la suite de l’analyse de cette preuve, le Tribunal estime que la travailleuse a bel et bien été victime d’une récidive, rechute, ou aggravation le 23 mars 2020, et s’en explique en reprenant les critères élaborés par la jurisprudence du Tribunal.
La gravité des lésions professionnelles antérieures
- Tout d’abord, le Tribunal tient, à trancher une question que les parties lui ont soumise dans le cadre de leurs argumentations écrites respectives.
- D’une part, les procureures de la travailleuse et de l’employeur prétendent que le Tribunal est lié par le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique, notamment puisqu’il est reconnu par la Commission des lésions professionnelles[25] et par la professionnelle de la santé ayant charge de la travailleuse.
- D’autre part, l’avocate de la Commission expose que le seul diagnostic en lien avec la présente analyse est celui de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive à la suite de multiples épisodes de conflits (harcèlement) au travail, qui fut posé par la docteure Gosselin dans son rapport médical du 17 juin 2020.
- Dans l’analyse du lien causal entre un diagnostic à titre de récidive, rechute, ou aggravation et une lésion professionnelle initialement reconnue, le Tribunal doit analyser l’ensemble de la preuve, tant factuelle que médicale, afin d’en tirer la conclusion la plus probante[26]. Dans le cadre de ce débat, les parties ne s’entendent pas sur le terme « chronique » ayant été utilisé par différents intervenants dans le dossier, dont la Commission des lésions professionnelles.
- Dans le présent dossier, la Commission allègue que la chronicisation du diagnostic de trouble de l’adaptation a déjà fait l’objet d’une indemnisation, en ce qu’elle a indemnisé la travailleuse en lui octroyant une indemnité correspondant à une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 18 % et ne devrait pas être prise en considération dans l’analyse de ce présent dossier.
- Elle appuie cette prétention conformément à l’article 224 de la Loi qui détermine que la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le professionnel de la santé ayant charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés à l’article 212 de la Loi.
- Le Tribunal retient que la première fois que le diagnostic de trouble de l’adaptation a été posé sur une attestation médicale par la professionnelle de la santé ayant charge de la travailleuse est le 20 janvier 2005. Or, ce diagnostic a été repris à maintes reprises par tous les professionnels de la santé depuis. Certes, à un certain moment, celui-ci fut consolidé avec présence de séquelles permanentes et à d’autres moments, il a été reconnu que ce trouble de l’adaptation avait été modifié négativement.
- Selon le Règlement sur le barème des dommages corporels[27], le diagnostic de trouble de l’adaptation est reconnu comme étant une névrose qui se caractérise par une adaptation névrotique au traumatisme et à ses séquelles. Le comportement de la personne qui en souffre peut être perturbé dans les limites qui sont en général socialement acceptables. Le syndrome se compose d’anxiété excessive, de phobies, de symptômes hystériques, obsessionnels et compulsifs, dépressifs et parfois d’une composante somatique.
- L’intensité d’une névrose du groupe 2, comme reconnue en l’espèce par la Commission, quoique d’ordinaire variable, oblige le patient à avoir constamment recours à des mesures thérapeutiques soulageantes, à une modification de ses activités quotidiennes conduisant à une réduction plus ou moins marquée de son rendement social et personnel. Le syndrome peut s’accompagner de désordres psychologiques fonctionnels nécessitant un traitement symptomatique et occasionnant un arrêt intermittent des activités régulières.
- Avec égard, le Tribunal est d’avis que, bien que le libellé de la névrose de groupe 2 existe afin de déterminer un déficit anatomophysiologique, ce dernier va au-delà d’une simple nomenclature d’une perte de substance psychique et précise que la travailleuse est aux prises avec une fragilité psychologique significative au quotidien et est directement en lien avec les lésions professionnelles antérieures. Les conséquences qui découlent de cette atteinte permanente à l’intégrité psychique de la travailleuse démontrent clairement que ce diagnostic s’est chronicisé dans le temps et nécessite des soins et des traitements constants. Ce diagnostic n’a jamais été résolu de manière définitive, il a simplement fait l’objet d’une consolidation avec présence de séquelles permanentes.
- D’ailleurs, dès le 1er février 2008, dans son expertise médicale, le psychiatre Laliberté est d’avis que la travailleuse présente une chronicisation d’un trouble de l’adaptation avec humeur dépressive et anxiété dont l’élément stresseur a été un harcèlement au travail. Par la suite, la docteure Thiffeault, dans son expertise médicale du 27 mars 2008, ajoute : « Mme Boily présente donc tel que reconnu par la CSST un trouble d’adaptation qui s’est chronicisé (comme reconnu également par le Dr Laliberté, psychiatre, qui a fait l’évaluation en février dernier) ».
- Encore une fois, dans l’expertise de la psychiatre Lavoie du 21 septembre 2020, cette dernière, à l’« Axe I du DSM-IV », pose le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur mixte en rémission partielle, mais chronique.
- Par conséquent, le Tribunal conclut que la preuve médicale prépondérante démontre que ce diagnostic s’est chronicisé puisqu’il a entraîné des séquelles permanentes et des conséquences tangibles dans le quotidien de la travailleuse qui a dû vivre avec celles-ci durant plusieurs années. Ne pas considérer que ce diagnostic est devenu chronique dans le temps, viendrait à nier la présence de l’ensemble des opinions médicales, dont celle de la professionnelle de la santé ayant charge de la travailleuse et de l’expert en psychiatrie, le docteur Gil, ainsi que la présence de séquelles permanentes reconnues et des conséquences qui en découlent pour la travailleuse depuis de nombreuses années.
- De ce fait, le Tribunal estime que le diagnostic qui doit être pris en considération dans l’analyse du présent dossier est celui de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique qui fut modifié de manière négative le 23 mars 2020. C’est la relation entre cette modification négative et les lésions professionnelles antérieures qui doit être analysée en l’espèce.
- Donc, en ce qui a trait à ce critère de la gravité des lésions professionnelles antérieures, le Tribunal est d’avis que le trouble de l’adaptation qui s’est effectivement chronicisé dans le temps est d’une gravité certaine. En effet, l’ensemble des agressions psychologiques qu’elle a endurées à son travail durant plus de 20 ans ont été prodiguées, tant par des collègues de travail que par des personnes en autorités, soit des personnes envers qui elle aurait dû avoir pleinement confiance. De plus, ces gestes de harcèlement ont perduré dans le temps, ayant contribué à l’émergence de divers symptômes qui ont d’importantes répercussions dans la vie personnelle de la travailleuse.
- De ce fait, le Tribunal ne peut que constater que la lésion professionnelle initiale ainsi que les récidives, rechutes, ou aggravations qui ont été reconnues au fil du temps sont significatives.
La continuité de la symptomatologie
- Le Tribunal retient la description détaillée des conséquences subies par la travailleuse tout au long de l’évolution de cette lésion professionnelle qui est réalisée par le docteur Gil dans son rapport d’expertise du 9 septembre 2022 :
Depuis 2005, elle décrit un sentiment de devenir toujours de plus en plus fragilisée, fragilité qui augmente après chaque arrêt de travail. Elle indique que son irritabilité, sentiment d’être enragée tout le temps, son agressivité, a un impact dans sa relation de couple et elle se fâche sans raison contre des amis et des membres de sa famille qui l’aiment, ce qui alimente un sentiment de culpabilité et d’autodépréciation. Depuis plusieurs années, elle constate également des difficultés de concentration, d’attention, est facilement éparpillée, ce qui n’était pas le cas dans sa vie auparavant. Elle devient également de plus en plus indécise et a de la difficulté à prendre des décisions car elle n’a plus confiance en elle-même, ce qui, encore une fois, contraste avec son fonctionnement antérieur. Ses difficultés, son niveau de fragilisation et sa confiance ont même envahi le seul secteur de sa vie dans lequel elle vivait beaucoup de gratification, soit le vélo de montagne. Ses difficultés de concentration, d’attention, son émotivité l’amènent à s’autodéprécier, elle a le sentiment qu’elle n’est pas intelligente car elle ne retient rien. Dans ses relations, elle décrit une crainte constante d’être rejetée. Elle reconnait ainsi une grande hypersensibilité à ce niveau. Elle mentionne que la région dans laquelle elle vit à Chicoutimi est un petit milieu dans lequel elle a le sentiment que tout le monde la haït alors qu’en vélo, elle est quelqu’un d’appréciée, admirée.
[Transcription textuelle]
- Il est donc manifeste que la travailleuse a continué à vivre avec des symptômes importants malgré la consolidation de ses lésions professionnelles antérieures.
L’existence ou non d’un suivi médical
- Ce critère est également satisfait. La travailleuse a été suivie depuis 2005 par sa professionnelle de la santé, soit la docteure Gosselin, et a bénéficié d’un suivi constant en psychiatrie, en ergothérapie, en psychologie ainsi qu’avec un travailleur social. Par ailleurs, tant l’employeur que la Commission ont procédé à diverses expertises médicales durant ces nombreuses années.
- Le Tribunal estime que la travailleuse a été suivie depuis la consolidation de la lésion professionnelle initiale de manière constante, notamment auprès de la docteure Gosselin.
Le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles
- Afin de se prononcer sur le lien de causalité, il est important de prendre en considération la condition psychologique de la travailleuse au moment de la dernière consolidation de sa lésion professionnelle.
- À la suite de la consolidation de la dernière récidive, rechute, ou aggravation le 23 août 2019, la docteure Gosselin, dans son rapport final, mentionne que la travailleuse est apte à reprendre son emploi convenable sans limitation fonctionnelle supplémentaire.
- Toutefois, il appert que les limitations fonctionnelles permanentes suivantes se devaient d’être respectées, à savoir que la travailleuse doit effectuer son travail en solo ou du moins, elle doit éviter de travailler en contact étroit avec des collègues ou supérieurs ayant joué un rôle dans les situations de harcèlement dans le passé et qu’elle ne doit plus travailler de nuit.
- Par conséquent, au moment de la modification négative de l’état de santé de la travailleuse le 23 mars 2020, cette dernière se devait de respecter des limitations fonctionnelles.
La présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique
- La modification négative de l’état de santé psychologique de la travailleuse en mars 2020, soit l’augmentation significative de sa symptomatologie anxieuse, est à l’origine de plusieurs facteurs de stress. La Commission a reconnu que la travailleuse conservait une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 18 %.
- Ce faisant, la Commission a reconnu que son niveau de résistance aux divers stresseurs de la vie quotidienne n’est pas le même qu’une personne n’ayant pas les séquelles permanentes. En effet, la preuve médicale prépondérante, dont notamment le témoignage de l’expert de la travailleuse, démontre qu’elle avait une diminution significative de sa capacité d’adaptation face à des événements stressants ou anxiogènes. À la suite de la consolidation de sa dernière lésion professionnelle, la travailleuse est demeurée plus vulnérable sur le plan psychologique et celle-ci est une conséquence de ses lésions professionnelles antérieures.
- De ce fait, le Tribunal estime que la travailleuse avait une importante atteinte permanente à l’intégrité psychique au moment de la survenance de sa récidive, rechute, ou aggravation du 23 mars 2020 puisqu’une névrose de gravité 2 avait été indemnisée par la Commission.
La présence ou l’absence d’une condition personnelle
- Il est vrai qu’en règle général, la théorie du crâne fragile, découlant du principe qui vise la réparation intégrale du préjudice d’une victime, ne s’applique pas lors de la détermination d’un lien de causalité entre une nouvelle lésion professionnelle et une lésion initiale.
- Or, dans le présent dossier, les problématiques d’ordre psychologique de la travailleuse ne découlent pas d’une condition personnelle préexistante, mais bien des conséquences permanentes de ses lésions professionnelles antérieures et doivent toujours faire l’objet d’une réparation, et ce, conformément à l’objectif même de la Loi qui est prévu à son article premier. Le Tribunal doit donc prendre en considération cette symptomatologie et cette vulnérabilité, non pas comme étant une condition personnelle préexistante, mais bien comme faisant partie des conséquences de ses lésions professionnelles antérieures.
- Tout d’abord, dès le 1er février 2008, le docteur Laliberté mentionne que la travailleuse ne présente pas de trouble de la personnalité, mais conclut que ses symptômes découlent directement du trouble de l’adaptation émanant du harcèlement psychologique vécu au travail.
- Ensuite, la docteure Lavoie, dans son rapport du 21 septembre 2020, indique à l’« Axe II du DSM-IV », qu’elle n’a pas mis en évidence de trouble de la personnalité sur la foi de l’entrevue. Toutefois, elle estime que la travailleuse a certains traits de personnalité histrionique.
- Par ailleurs, dans son expertise médicale du 9 septembre 2022, le docteur Gil est d’avis que les traits de personnalité histrionique de la travailleuse se sont amplifiés au fur et à mesure des années en raison de la fragilisation de son état psychologique dû au travail. Il affirme que la travailleuse ne souffre d’aucune pathologie d’origine personnelle ou héréditaire du point de vue psychologique.
- Finalement, sur ce sujet, le docteur Turcotte s’exprime ainsi dans son rapport d’expertise du mois de juillet 2024 :
Relativement à la condition personnelle de Madame, son médecin et la plupart des évaluations psychiatriques indiquent qu’elle présente au moins des traits de personnalité histrionique, ce qui constitue une fragilité potentielle. De plus, son psychiatre a diagnostiqué une cyclothymie, une condition qui partage des similitudes avec les traits histrioniques, incluant une instabilité émotionnelle, des impulsions et des problèmes relationnels. Ces diagnostics se chevauchent souvent, il faut donc être prudent avant d’affirmer qu’une personne présente l’un ou l’autre de ces diagnostics. Il est cependant clair que l’un ou l’autre des diagnostics, ou les deux à la fois, contribuent aux difficultés psychologiques de Madame Boily dans leur ensemble.
[Transcription textuelle]
- Cependant, le docteur Turcotte met le lecteur en garde sur ses conclusions puisque son opinion n’est pas supportée par une enquête formelle en lien avec les allégations de harcèlement psychologique. Celle-ci aurait, selon lui, été utile pour départager ce qui appartient à une condition personnelle préexistante et ce qui appartient aux conditions de travail. Il conclut : « Il m’est donc difficile de déterminer si le milieu de travail de Madame Boily est intrinsèquement toxique ou si elle-même est particulièrement vulnérable. ». Il ajoute :
Cela étant dit, les traits de personnalité de Madame Boily la fragilisent non seulement au travail, mais aussi dans sa vie personnelle. L’analyse de l’ensemble du dossier me laisse penser que cette fragilité explique probablement une partie des perturbations sur le plan psychologique, par exemple en lien avec la santé de son fils et ce, sans que le milieu de travail ne soit impliqué. Il m’apparaît cependant probable que, si on enlevait le stress relié à son travail, la fragilité de sa personnalité en elle-même n’entraînerait pas de perturbations psychologiques suffisamment importantes pour expliquer tous les arrêts de travail de Madame.
[Transcription textuelle et notre soulignement]
- Par conséquent, à la suite de l’analyse des différentes expertises médicales psychiatriques, le Tribunal constate que la travailleuse présente certains traits de personnalité histrionique ou cyclothymie qui se sont exacerbés en raison de la modification négative de son état de santé lors des récidives, rechutes, ou aggravations reconnues par la Commission, le tout comme clairement expliqué par le docteur Gil lors de son témoignage à titre d’expert.
- Finalement, bien que la travailleuse ait certains traits de personnalité, le Tribunal est d’avis, tout comme le docteur Gil dans son témoignage, que ceux-ci n’ont eu que très peu d’incidence dans la modification négative de son état de santé en date du 23 mars 2020.
La compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale
- Quant à ce critère, le Tribunal s’en remet à l’opinion, non contredite, du docteur Gil. Il y a effectivement une compatibilité entre la modification du diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique en date du 23 mars 2020 et les événements professionnels du passé.
- Par ailleurs, le Tribunal tient à souligner que la détermination de l’emploi convenable par la Commission, décision qui n’a pas fait l’objet d’une demande de révision et qui est donc devenue finale et irrévocable, doit être commentée dans l’analyse de la relation causale. Cette décision, qui est datée du 13 mai 2014, détermine uniquement que la travailleuse peut effectuer l’emploi convenable d’agente à l’accueil à compter du 13 janvier 2014. Dans celle-ci, la Commission ne confirme pas que le poste d’agente d’accueil au quartier général est l’emploi convenable déterminé.
- À cet égard, les séquelles permanentes reconnues en lien avec ce processus de réadaptation professionnelle sont claires. Plus précisément, dans l’expertise médicale de la docteure Thiffeault, il appert qu’une des limitations fonctionnelles permanentes de la travailleuse était d’éviter de travailler en contact étroit avec des collègues ou supérieurs ayant joué un rôle dans les situations de harcèlement dans le passé.
- C’est certainement en lien avec cette limitation fonctionnelle que le syndicat a insisté lors de la conclusion de l’entente de réintégration, afin que la travailleuse soit affectée de manière permanente au poste de quartier de l’arrondissement de Chicoutimi.
- À ce sujet, la Commission est d’avis que l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi fait partie du droit de gestion de l’employeur et que les conséquences de celle-ci, dont notamment le stress et l’angoisse vécus par la travailleuse, ne peuvent pas être reconnues comme étant une lésion professionnelle.
- À cet égard, il est généralement reconnu que l’exercice raisonnable par l’employeur de son droit de gérance ne constitue pas un élément sur lequel un travailleur peut se baser pour faire reconnaître une lésion professionnelle. À titre d’exemple, les avis disciplinaires verbaux ou écrits, les rencontres avec l’employeur, la distribution du travail et tout autre acte découlant du droit de gérance de l’employeur ne sont d’ordinaire pas considérés comme débordant du cadre normal du travail[28].
- Dans le cadre de l’analyse de ce droit de gérance, l’adjudicateur doit prendre en considération la conduite des parties, le tout afin d’évaluer s’il existe un abus déraisonnable de ce droit par l’employeur. En effet, ce dernier doit agir équitablement et de manière conséquente et proportionnée[29]. Les simples conflits interpersonnels ou les insatisfactions dans les décisions prises par l’employeur font partie des aléas du travail auxquels doit faire face tout travailleur et ne peuvent pas constituer un événement imprévu et soudain pouvant mener à une lésion professionnelle.
- Avec égard et en prenant en considération les circonstances particulières du présent dossier, le Tribunal est d’avis que l’employeur, dans bien des décisions ayant été prises dans le dossier de la travailleuse, a abusé de ce droit de gestion et ne l’a pas utilisé de manière raisonnable et équitable. Notamment, le Tribunal tient à souligner qu’à plusieurs reprises les limitations fonctionnelles de la travailleuse n’ont pas été respectées par l’employeur[30].
- Il appert que certains membres de l’état-major ont été, à maintes reprises, impliqués dans les dossiers de la travailleuse contenant des comportements de harcèlement. Le Tribunal estime que les relations entre la travailleuse et ceux-ci ainsi que plusieurs de ses collègues de travail étaient conflictuelles. Les nombreux événements de harcèlement au travail vécus par cette dernière durant de nombreuses années ont entraîné inévitablement un contexte de climat de travail malsain ainsi qu’un sentiment d’hypervigilance et de méfiance de la travailleuse envers son employeur.
- À cet égard, la jurisprudence du Tribunal[31] a conclu que des problèmes normaux peuvent être responsables d’une lésion professionnelle au sens de la Loi, dans ce genre de contexte de travail malsain. En effet, il est indispensable de prendre en considération le contexte particulier d’un climat de travail pernicieux, de sorte que même un événement pouvant être qualifié d’anodin dans des circonstances normales devient plus important et objectivement traumatisant lorsque les conditions de travail sont nocives.
- La preuve factuelle, dont notamment les différents témoignages entendus lors de l’audience, démontrent que le poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi était beaucoup moins achalandé que le quartier général de l’arrondissement de Jonquière, tant de la part des patrouilleurs, des supérieurs que des citoyens. De plus, la travailleuse n’avait pas à croiser l’ensemble de l’état-major, dont les bureaux étaient situés au quartier général. Seuls quelques patrouilleurs étaient de passage durant leur pause. De plus, le travail était également beaucoup moins exigeant, que ce soit pour la gestion des fournisseurs, des citoyens ou les différentes demandes par des collègues.
- À la suite de l’analyse de l’ensemble de la preuve médicale, il appert que la travailleuse anticipait sérieusement d’être transférée au quartier général de l’arrondissement de Jonquière, et ce, avec raison. Le Tribunal estime qu’il ne s’agissait pas simplement de vagues spéculations ou d’appréhensions non fondées. Elle allait être confrontée au quotidien à plusieurs de ses collègues qui lui attribuaient le surnom de « Voldemort » et de certains supérieurs qui ont joué un rôle important dans le harcèlement psychologique qu’elle a vécu au travail, personnes qui, selon la preuve qui a été présentée devant le Tribunal, n’ont jamais eu de conséquences en lien avec leurs comportements nocifs.
- Certes, dans l’entente conclue entre le syndicat et l’employeur et qui fut signée par la travailleuse en date du 5 mai 2014, on précise que cette dernière peut être affectée au poste d’accueil du quartier général, et ce, selon les besoins de l’employeur et en fonction des limitations fonctionnelles permanentes de la travailleuse. Or, ces limitations fonctionnelles n’ont manifestement pas été prises en considération lors de l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi faite à la travailleuse en mars 2020. En effet, il était inévitable que la travailleuse soit régulièrement en contact avec ses anciens harceleurs au quartier général puisque l’ensemble des patrouilleurs et de l’état-major y travaillait.
- Le Tribunal tient à préciser que la collaboration de la travailleuse dans ses nombreuses démarches de réintégration au cours des années a été exemplaire. Elle a toujours adoré son travail de policière et son désir de réintégrer ses fonctions l’a certainement poussée à dépasser ses limites à plusieurs reprises. Toutefois, la perspective de travailler étroitement avec certains de ses supérieurs immédiats et plusieurs de ses confrères de travail responsables de ses blessures psychologiques a, depuis fort longtemps, engendré du stress aigu et de l’angoisse.
- En guise d’exemple, dès le 10 décembre 2018, soit bien avant la réclamation pour récidive, rechute, ou aggravation du 23 mars 2020, la docteure Gosselin indique dans ses notes cliniques que la travailleuse est stressée et angoissée à la suite d’une rumeur à l’effet qu’elle soit transférée au quartier général de l’arrondissement de Jonquière.
- Par la suite, le 25 février 2019, elle obtient la confirmation que l’employeur a accepté la demande du syndicat de l’affectée, de manière permanente, au poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi.
- Néanmoins, lors d’une rencontre le 29 février suivant, avec ses supérieurs, monsieur Houde et monsieur Gilbert, ces derniers lui font entrevoir qu’il existe une possibilité qu’elle soit transférée au poste du quartier général. Lors du témoignage de monsieur Gobeil, ce dernier confirme que cette perspective a eu un impact majeur sur le niveau de fonctionnalité de la travailleuse. En effet, elle lui a fait part de ses appréhensions sérieuses à être confrontée à ses anciens harceleurs, que ce soient des policiers patrouilleurs, mais également des supérieurs, ayant joué un rôle dans ses lésions professionnelles.
- D’ailleurs, lorsque la professionnelle de la santé ayant charge de la travailleuse rédige une lettre à l’intention de la compagnie d’assurance en date du 1er septembre 2020, elle précise que l’annonce, en mars 2020, de ses supérieurs de la possibilité de son transfert au quartier général, a été une source importante de stress et d’angoisse pour la travailleuse.
- Certes, de manière contemporaine à sa réclamation, la travailleuse a vécu différents stresseurs. Toutefois, le Tribunal retient l’opinion du psychiatre Gil à l’effet que sa fragilisation psychologique et le contexte de harcèlement psychologique au travail sont les facteurs les plus prédominants dans l’aggravation de l’état de santé psychologique de la travailleuse. Cette dernière savait que lors de son transfert au quartier général, elle aurait à confronter quotidiennement l’état-major, dont les bureaux ont directement une vue sur le poste d’accueil, ainsi que certains collègues avec qui elle a eu des démêlés dans le passé. Elle devrait de plus être confrontée à d’autres collègues ayant entendu de multiples ragots à son sujet.
- Or, l’annonce de la fermeture des postes d’accueil de quartier à la travailleuse dans le contexte de la pandémie, sans lui avoir précisé qu’un poste respectant ses limitations fonctionnelles allait lui être proposé, déborde du cadre normal du travail, surtout dans un contexte de climat de travail malsain où la confiance de la travailleuse envers l’employeur a régulièrement été ébranlée par le comportement fautif de ce dernier. En effet, l’impact de ce transfert sur la travailleuse, qui était déjà fragilisée, a entraîné des conséquences désastreuses sur son état psychologique.
- Le Tribunal est d’avis que même en l’absence d’une pandémie mondiale et de ses conséquences, l’annonce du transfert de la travailleuse au quartier général aurait été suffisant pour modifier son état de santé psychologique de manière négative en raison de sa vulnérabilité découlant de ses lésions professionnelles antérieures. Surtout dans le contexte où le droit de gestion de l’employeur n’a que rarement été utilisé avec raisonnabilité et équitabilité envers la travailleuse.
- Finalement, le Tribunal retient que le docteur Turcotte, qui a été mandaté par la Commission, se dit en accord avec la relation entre la modification de l’état de santé psychologique de la travailleuse et le travail, tout comme l’ont fait les docteurs Lavoie, Gosselin et Gil. Plus spécifiquement, à la question de la Commission concernant les facteurs et stresseurs psychosociaux qui ont été déterminants dans la survenance du nouveau trouble de l’adaptation vers le 23 mars 2020, le docteur Turcotte répond : « En conclusion, si je prends tous ces éléments en considération, les facteurs prédominants pour expliquer la survenue de nouveaux troubles de l’adaptation étaient des facteurs reliés au travail. ».
- Il existe donc une compatibilité entre la modification de l’état de santé de la travailleuse et l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi fait par ses supérieurs.
Le délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale
- À la suite de la consolidation de sa dernière lésion professionnelle, la travailleuse réintègre son emploi convenable d’agente de poste à l’arrondissement de Chicoutimi, le ou vers le 23 août 2019. Bien que son intégration fût hasardeuse, elle finit par s’intégrer dans son nouveau poste, jusqu’à l’annonce de son transfert au quartier général, dans le contexte de la pandémie en mars 2020.
- Il y a donc un très court délai entre la réintégration de la travailleuse à son emploi convenable et la modification négative de son état de santé.
- Le Tribunal ne retient pas les prétentions de la Commission dans ce dossier et détermine que la preuve prépondérante milite davantage en faveur d’une reconnaissance d’une relation entre cette modification de l’état de santé de la travailleuse le 23 mars 2020 et la lésion professionnelle initiale. Il est plutôt d’avis que la modification négative de son état de santé découle des conséquences de sa lésion professionnelle initiale, soit de sa fragilité et de la vulnérabilité psychologique de celle-ci.
- Par conséquent, le Tribunal déclare que la travailleuse a donc subi une récidive, rechute, ou aggravation le 23 mars 2020 dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique.
DOSSIER 1311687-02-2302
- Dans ce dossier, tant la représentante de la travailleuse que celle de l’employeur demandent au Tribunal de déclarer que la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation le 14 juin 2022 dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique.
- Pour sa part, la représentante de la Commission est d’avis que la travailleuse a bel et bien subi une lésion professionnelle à cette date. Toutefois, elle demande au Tribunal de déclarer qu’il s’agit d’un accident du travail et non pas d’une récidive, rechute, ou aggravation. Elle soutient que l’analyse première dans ce dossier doit s’effectuer en déterminant si le diagnostic en cause peut être lié à un nouvel événement avant de s’attarder sur la notion de « récidive, rechute, ou aggravation ».
- La Commission fait une analogie avec le cas d’une blessure d’ordre physique. À cet égard, elle souligne que, dans ce genre de dossier, si un nouvel événement survenait sur les lieux du travail, le Tribunal aurait le réflexe de vérifier, avant toute chose, si le diagnostic peut être relié à ce nouvel événement. Elle produit une décision récente du Tribunal[32] qui mentionne ceci : « lorsque la preuve démontre que l’apparition de la lésion est davantage attribuable à un nouvel événement plutôt qu’à la condition antérieure, la réclamation devrait alors être acceptée comme un accident du travail. ».
- Au soutien de ce raisonnement, la Commission invoque que l’objectif de la Loi en matière d’imputation du coût des prestations reliées à une lésion professionnelle a pour but de sensibiliser et de responsabiliser les employeurs, en édictant des mécanismes de cotisation en rapport avec l’expérience de ceux-ci. Dans le présent dossier, malgré les comportements fautifs de l’employeur sur une longue période, ce dernier a été imputé des coûts des prestations reliées à cette lésion professionnelle que durant les années 2005 à 2008 puisque les autres lésions professionnelles ont été qualifiées de récidives, rechutes, ou aggravations et les prestations en lien avec celles-ci ont été imputées aux employeurs de toutes les unités.
- La Commission souligne, avec raison, que l’impact des lésions professionnelles passées, découlant de situations récurrentes de harcèlement psychologique sur les lieux du travail, est déplorable et a créé de la souffrance indue à la travailleuse sur une très longue période. Elle est d’avis que l’objectif de la Loi incite les employeurs à prévenir les lésions professionnelles et à prendre des actions concrètes pour faire cesser le harcèlement au travail, ce qui n’a manifestement pas été le cas dans le présent dossier.
- Bien que le Tribunal soit sensible aux arguments de la Commission, la détermination et la qualification d’une lésion professionnelle ne doivent pas être analysées en fonction de la faute de quiconque, sauf lorsque l’article 27 de la Loi est invoqué par une des parties, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. L’objectif de la Loi est la réparation des lésions professionnelles et de ses conséquences et non pas la punition d’une partie en raison de son comportement fautif[33].
- Le Tribunal tient à souligner que la Commission aurait très bien pu faire enquête dans ce dossier en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[34], la LSST, législation qui a pour objectif premier d’éliminer à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleurs[35]. Ainsi, à la suite de cette enquête, elle aurait pu se prévaloir des dispositions pénales prévues au chapitre XIV de cette législation, le tout, afin de faire cesser le comportement dérogatoire de l’employeur.
- À tout événement, le Tribunal, dans le présent dossier, doit déterminer si la preuve prépondérante démontre que la travailleuse a subi un accident du travail ou une récidive, rechute, ou aggravation de ses lésions antérieures en date du 14 juin 2022. Dans ce contexte, il déclare que cette preuve milite en faveur de la reconnaissance d’une récidive, rechute, ou aggravation et non pas d’un nouvel événement. En effet, l’ensemble des spécialistes en psychiatrie est de cet avis, et bien que le Tribunal ne soit pas lié par ceux-ci, il estime que les opinions émises par ces experts sont crédibles, probantes et appuyées par des compétences cliniques significatives. Il n’y a donc pas lieu de les écarter dans ce dossier.
- Quant à la modification négative de l’état de santé de la travailleuse le 14 juin 2022, les parties l’admettent. D’ailleurs, dans l’expertise du docteur Gil du 9 septembre 2022, ce dernier s’exprime ainsi sur cette question :
Les notes médicales de la docteure Gosselin apparaissent corroborer les plaintes subjectives de madame Boily. On peut ainsi documenter l’amplification et la persistance de la labilité émotive, l’irritabilité et l’hypervigilance, les difficultés d’attention et de concentration, une capacité affaissée de gestion du stress, l’insomnie, la fatigue responsables d’erreurs importantes au travail. Ceci apparait illustrer donc un certain degré d’aggravation de la condition psychologique de la travailleuse qui, rencontrée aujourd’hui presque trois mois après le dernier arrêt de travail, reste clairement symptomatique et souffrante.
[Transcription textuelle]
- Le litige se situe sur la cause de cette modification. La Commission est d’avis que celle-ci est en relation avec les facteurs et stresseurs suivants, à savoir le harcèlement psychologique au travail ainsi que la suspension administrative avec solde à durée indéterminée de la travailleuse par l’employeur sans qu’elle ne connaisse les raisons ayant mené à cette dernière.
- Pour leur part, la travailleuse et l’employeur sont encore une fois d’avis qu’il existe un lien prépondérant, de nature médicale, à l’effet que cette modification de l’état de santé de la travailleuse est en relation avec ses lésions professionnelles antérieures l’ayant grandement fragilisée.
- Dans les faits, dès la fin décembre 2020, des rencontres ont lieu avec la travailleuse, un représentant de la compagnie d’assurance de cette dernière et l’employeur afin de favoriser un retour au travail. Découlant de ces réunions, l’employeur accepte que le poste d’accueil de l’arrondissement de Jonquière soit modifié afin d’offrir plus d’intimité à la travailleuse et il accepte également qu’elle n’a plus à se rendre au bureau de la sécurité des milieux afin d’éviter de croiser certains de ses collègues. Elle revient au travail au mois de février 2021.
- La travailleuse retourne au travail en janvier 2021 au poste d’accueil du quartier général dans l’arrondissement de Jonquière. C’est la première fois qu’elle est officiellement affectée au quartier général. Le lieu physique de ce poste est d’ailleurs problématique puisque les bureaux de l’état-major sont situés à proximité de ce lieu et l’ensemble du personnel doit circuler à proximité de ce bureau afin, notamment d’aller à la salle de bain. D’ailleurs, la preuve démontre que divers aménagements ont été effectués afin d’offrir un peu plus d’intimité à la travailleuse afin qu’elle ne se sente pas constamment surveillée.
- Selon les différents témoignages, il ressort que la travailleuse vivait encore de l’isolement puisqu’elle ne pouvait pas compter sur le support de ses collègues de travail. L’employeur était d’ailleurs inflexible envers les comportements de la travailleuse.
- La santé psychologique de la travailleuse s’est rapidement détériorée à la suite de son retour au travail. Elle vivait beaucoup de stress, ce qui affectait sa capacité de concentration, sa mémoire et sa capacité décisionnelle. Elle se sentait constamment surveillée et a donc rapidement perdu confiance en ses capacités et en son propre jugement.
- La preuve factuelle démontre que dès le 7 janvier 2022, une enquête est ouverte par l’employeur concernant un radio portatif que la travailleuse aurait jeté sans permission. Découlant de celle-ci, un avis disciplinaire lui est transmis le 2 mai 2022[36], lui imposant la sanction suivante, à savoir deux jours de suspension sans solde de huit heures. Pourtant, ladite radio n’était pas utilisée depuis plusieurs mois et la travailleuse avait fait quelques démarches pour que quelqu’un vienne la récupérer, en vain.
- Par la suite, le 8 juin 2022, la travailleuse est rencontrée par deux membres de l’état-major et on lui remet une lettre de suspension administrative avec solde pour fins d’enquête[37] qui est datée du 7 juin 2022. On justifie cette décision de la relever provisoirement de ses fonctions pour une période indéterminée dans le but de sauvegarder les intérêts légitimes du service dont, notamment, son efficacité ou sa crédibilité.
- Lors de cette brève rencontre qui a duré 7 minutes, la travailleuse est accompagnée de monsieur Gobeil à titre de représentant syndical. Ce dernier témoignera que cette rencontre a été extrêmement difficile pour elle et qu’à la suite de l’annonce de suspension, elle était sous le choc. Elle dira même que lorsqu’elle est revenue chez elle, elle est demeurée sur son divan durant plusieurs heures sans être capable de bouger. D’ailleurs, dans son témoignage, le capitaine Boudreault confirme que la travailleuse était en état de choc lors de cette rencontre.
- Un résumé de la rencontre est rédigé par le capitaine Dominic Simard le 9 juin 2022. Dans celui-ci, il mentionne que la travailleuse semblait inquiète avant même d’ouvrir la lettre de suspension.
- Lorsqu’elle en prend connaissance, elle demande spontanément à monsieur Boudreault le fondement de cette décision puisqu’elle ne comprend pas pourquoi une décision aussi sérieuse a été prise. Ce dernier lui mentionne simplement : « Il y a des choses que tu as fait que tu n’avais pas à faire et il y a des choses que tu n’as pas fait et que tu avais à faire. ». Ce dernier soulève brièvement un événement concernant la livraison de sandwichs qui n’auraient pas été conservés adéquatement et un autre incident où il a été témoin que la travailleuse avait insisté auprès d’un citoyen afin qu’il ne porte pas plainte.
- Il lui mentionne qu’il doit faire enquête sur plusieurs incidents rapportés et qu’elle recevra des nouvelles de celle-ci dans les prochains jours, voire les prochaines semaines. Il l’informe que monsieur Simard récupérera son arme de service, son badge ainsi que sa carte d’identité après la rencontre.
- Ce n’est que le 15 juin 2022, soit sept jours après ladite rencontre qu’on lui remet trois lettres d’ouverture d’enquête par l’entremise de monsieur Gobeil. Dans la première lettre, l’employeur lui reproche d’avoir transmis des informations confidentielles à l’aide du Centre de renseignements policiers du Québec à une plaignante sans droit.
- Dans une seconde lettre signée par monsieur Boudreault, on lui reproche d’avoir ouvert la porte à un livreur et d’avoir déposé une boîte remplie de sandwichs destinés aux repas des détenus sur une chaise dans le hall d’entrée et d’avoir oublié de les mettre dans le réfrigérateur. Trois jours plus tard, lesdits sandwichs ont dû être jetés.
- Dans la troisième lettre, on lui reproche de ne pas avoir rédigé une demande d’ouverture de dossier d’un citoyen qui désirait porter plainte contre sa mère pour une introduction par effraction de son domicile. Il semble que la travailleuse ait considéré qu’aucun crime n’avait été commis et a ainsi refusé de consigner cette plainte pour fins d’enquête.
- Lors de son témoignage, monsieur Boudreault confirme avoir été témoin de ce dernier événement et il admet ne pas être intervenu auprès du citoyen pour l’informer de ses véritables droits. Le Tribunal déplore que cet événement ait pu justifier une suspension avec solde de la travailleuse sans que l’employeur lui-même ait jugé opportun d’intervenir auprès du citoyen afin de l’informer et de protéger les droits de ce dernier.
- De plus, il témoigne également qu’entre la rencontre du 8 juin 2022 et la remise des avis d’enquête à la travailleuse le 15 juin suivant, aucune démarche n’a été faite auprès de la travailleuse pour l’informer du suivi de cette enquête.
- Par conséquent, le Tribunal estime que la travailleuse n’a pas clairement été informée des motifs sur lesquels l’employeur se basait pour justifier sa décision de la suspendre avec solde pour une période indéterminée. Elle a craint d’être congédiée, et ce, avec raison. Ce manque d’informations et de transparence de l’employeur est un autre exemple qui démontre que celui-ci n’a pas usé de son droit de gestion de manière raisonnable.
- À cet égard, le Tribunal souligne que dans les notes cliniques de la docteure Gosselin du 11 juillet 2022, la travailleuse mentionne qu’elle ne sait pas encore si elle est congédiée officiellement ou si elle est suspendue pour fins d’enquête. En effet, c’est une importante décision que d’enlever les droits d’accès à un travailleur à son lieu de travail et de lui enlever ses outils de travail, soit son badge et son arme de service, et ce, en invoquant des événements ambigus lors d’une simple rencontre qui a duré 7 minutes[38].
- Bien que cette rencontre à elle seule pourrait être qualifiée d’objectivement traumatisante, la preuve démontre que c’est plutôt la fragilité de la travailleuse en lien avec ses lésions professionnelles antérieures, ainsi que le climat de travail néfaste et de méfiance qui s’est installé depuis des années, qui sont majoritairement responsables de la modification de l’état de santé de la travailleuse. En effet, sans la présence de ces éléments, la preuve médicale ne démontre pas que la travailleuse aurait développé une lésion professionnelle uniquement en lien avec cette rencontre du 8 juin 2022.
- Plus précisément, dans la note clinique de la docteure Gosselin du 14 juin 2022, cette dernière mentionne qu’à la suite de son retour au travail, son état s’est rapidement détérioré. Un accident de vélo de montagne l’a amené à être en arrêt de travail en juin 2021 et par la suite, elle a dû subir une seconde intervention chirurgicale en raison de complication de son état de santé. De ce fait, la preuve révèle que la travailleuse a, après son retour au travail, été sortie plusieurs mois en raison d’une blessure physique.
- Par la suite, elle a repris le travail en janvier 2022. La docteure Gosselin ajoute que malgré son poste à l’accueil, la travailleuse est demeurée anxieuse, hypervigilante, réactive avec l’impression que toutes ses erreurs et tous ses écarts sont soulignés. Elle a également l’impression qu’on la surveille et que tout le monde la déteste. Elle admet que son stress et sa diminution de concentration lui font commettre beaucoup d’erreurs dont notamment des oublis dans des rapports. Elle ne se fait plus confiance et doit constamment se faire valider par son supérieur. Elle a l’impression d’avoir perdu toute crédibilité.
- Le 15 juin 2022, la docteure Gosselin rédige un rapport médical mentionnant une récidive, rechute, ou aggravation le 7 juin 2022. Elle pose le diagnostic suivant : « exacerbation des symptômes du trouble d’adaptation de 2005, labilité émotive, irritabilité , hypervigilance, diminution concentration , diminution mémoire , anxiété, insomnie , erreurs ++ au travail ». Elle recommande un arrêt de travail et un suivi avec son travailleur social. De plus, elle prévoit que cette lésion professionnelle entraîne des séquelles permanentes additionnelles.
- Dès le 11 juillet 2022, la docteure Gosselin rédige un rapport médical et pose le diagnostic de trouble de l’adaptation chronicisé et ajoute qu’elle présente une inaptitude probable à refaire son emploi de policière. Elle prévoit que cette lésion professionnelle a entraîné des séquelles permanentes ayant aggravé celles déjà reconnues.
- Dans ses notes cliniques, elle précise que lorsqu’elle s’est présentée au poste de police, on lui aurait retiré son arme de service. Elle qualifie ce moment de « pire moment de sa vie ». Elle ajoute qu’elle a le sentiment qu’elle n’est pas traitée de la même manière que tout le monde en rapport avec les erreurs qu’elle fait au travail. Il semble que l’employeur soit très intransigeant envers elle. Elle termine en s’exprimant ainsi : « ils vont finir par avoir gagné et venir à bout de moi et de ma santé mentale ».
- Dans les notes de son travailleur social du 31 août 2022, ce dernier conclut que la situation au travail a continué de dégénérer dans un contexte de harcèlement psychologique depuis plusieurs années. La travailleuse est triste tout au long de l’entrevue, mais son affect s’améliore lorsque la discussion se tourne vers l’avenir.
- Dans le rapport d’expertise du docteur Gil du mois de septembre 2022, il est fait mention que l’employeur l’a avisée en avril 2022 qu’elle n’allait pas recevoir sa médaille pour ses 20 ans de services en raison de ses antécédents disciplinaires. Ce fut pour elle une nouvelle épreuve puisqu’elle avait maintenant la conviction que son employeur s’acharnait contre elle. À partir de ce moment, elle aura de la difficulté à gérer ses émotions, sa peine et son anxiété.
- Par la suite, on lui reproche notamment d’avoir oublié une livraison de sandwichs sur un comptoir qui ont dû être jetés. On lui a également reproché d’avoir encouragé un jeune homme souffrant de schizophrénie à abandonner une plainte qu’il avait déposée contre sa mère. Par ailleurs, on l’a blâmée d’avoir donné à une plaignante le nom d’une suspecte dans une affaire impliquant de la rage au volant.
- Lors de cette rencontre du 8 juin 2022, le docteur Gil mentionne que la travailleuse a paniqué, confrontée aux risques réels de se faire mettre dehors, soit son pire cauchemar puisqu’elle a toujours adoré son travail de policière. Elle a donc vécu un sentiment d’échec de son combat qu’elle a mené depuis tant d’années pour se maintenir au travail.
- Le docteur Gil énonce dans son rapport d’expertise la relation entre la modification négative de l’état de santé et ses lésions professionnelles antérieures :
Il apparait clairement qu’au fur et à mesure des rechutes et arrêts de travail, la condition de la travailleuse s’est fragilisée de façon croissante et n’a jamais véritablement retrouvé son niveau de base entre les épisodes. La rechute du 14 juin 2022 découle des difficultés toujours vécues en milieu de travail en lien avec les séquelles d’une condition psychologique toujours plus fragile avec dysrégulation émotionnelle, impulsivité, irritabilité, difficultés de plus en plus grandes d’attention, de concentration et de prise de décisions.
Elle fut ultimement suspendue pour fin d’enquêtes disciplinaires et reconnait une partie des reproches qui lui ont été faits semblent en lien avec les problèmes d’inattention et ses difficultés à gérer ses émotions et le stress.
[Transcription textuelle et notre soulignement]
- Il ajoute que les difficultés croissantes de la travailleuse en termes de gestion du stress, de régulation émotionnelle et de difficultés d’attention ont été à l’origine des reproches en partie légitimes faits par l’employeur. Toutefois, ceux-ci ont alimenté et exacerbé chez la travailleuse un sentiment d’être victimisée, ciblée délibérément et injustement par ce dernier.
- Dans le rapport d’expertise du docteur Turcotte daté du 16 juillet 2024, ce dernier constate qu’entre son retour au travail au début de l’année 2021 et son dernier arrêt de travail au printemps 2022, l’atmosphère au poste d’accueil du quartier général était très difficile. On lui a également fait de multiples reproches sur son fonctionnement et elle avait véritablement peur d’être congédiée, ce qui aurait constitué pour elle « l’affront ultime ».
- Elle ajoute qu’elle fonctionnait mal au travail et se sentait anxieuse, irritable et commettait possiblement des erreurs en lien avec son manque de concentration. D’ailleurs, depuis son retrait du milieu de travail, elle constate que son niveau d’anxiété a graduellement diminué.
- Encore une fois, le docteur Turcotte est d’avis que les principaux facteurs et stresseurs responsables de la modification de l’état de santé de la travailleuse le 14 juin 2022 sont en grande partie reliés à son travail. En ce qui a trait aux conséquences des séquelles permanentes antérieures de la travailleuse, il mentionne :
[…] Madame se sentait très anxieuse au travail et elle avait l’impression d’être surveillée de près et que toutes ses erreurs étaient notées. Il faut remettre tous ces éléments dans le grand contexte général de la condition de Madame qui évoluait depuis de plusieurs années. En conclusion, sur le plan psychiatrique, considérant l’ensemble du dossier, il est donc probable que la réapparition des symptômes anxieux était liée au milieu de travail avec la nuance que Madame était probablement de plus en plus fragile face au comportement de son employeur.
[Transcription textuelle et notre soulignement]
- Par conséquent, le Tribunal ne reviendra pas sur l’ensemble des critères développés par la jurisprudence dans le cadre de la reconnaissance d’une récidive, rechute, ou aggravation. La gravité de la lésion initiale, la continuité de la symptomatologie, la présence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et de limitations fonctionnelles ainsi que la condition personnelle préexistante de la travailleuse ont déjà fait l’objet d’une analyse dans le premier dossier de cette décision.
- Donc, le Tribunal constate que ce sont majoritairement les séquelles fonctionnelles découlant de ses lésions professionnelles antérieures qui sont responsables de ses erreurs ou oublis en lien avec son manque de concentration qui ont mené à sa suspension sans solde à durée indéterminée le 8 juin 2022.
- De plus, le Tribunal tient à souligner que la travailleuse a dû, en plus de subir du harcèlement psychologique de manière continue durant plus de 20 ans, se battre pour faire reconnaître, tant auprès de son employeur que de la Commission, qu’elle a été victime de lésions professionnelles.
- La question de la relation entre une lésion professionnelle et les problèmes psychiques reliés à la gestion d’une réclamation à la Commission a déjà fait l’objet de plusieurs décisions au sein de la jurisprudence[39]. La soussignée adhère à ce courant jurisprudentiel selon lequel les tracasseries administratives normales ne permettent pas d’être le fondement d’un lien causal avec une lésion professionnelle comme mentionné dans l’affaire Lemieux et Sintra inc. (Béton)[40] :
[65] Cependant, la Commission des lésions professionnelles a eu à se prononcer à maintes occasions sur le sujet et a majoritairement décidé que les tracasseries administratives, à elles seules, ne constituent pas un élément permettant de conclure à l’existence d’un lien de causalité entre un diagnostic d’ordre psychologique et une lésion d’ordre physique4.
[Note omise]
- Toutefois, dans ce dossier, le Tribunal déplore les nombreuses démarches administratives ayant dû être entreprises par la travailleuse depuis 2005 afin de faire valoir ses droits et obtenir gain de cause. Il est donc anormal qu’une travailleuse ait à contester chacune des décisions de la Commission découlant de ses réclamations au Tribunal. Ces nombreuses décisions défavorables et qui ont toujours eu une conclusion favorable débordent de ce qui est normalement acceptable dans le cadre de la gestion de ce type de dossier. Même dans le présent dossier, la Commission avait encore une fois refusé de reconnaître une lésion professionnelle en date du 14 juin 2022 et a finalement admis, dans son argumentation écrite, qu’elle a initialement rendu une mauvaise décision en raison du manque d’informations.
- Donc, en plus des faits survenus au travail, elle a dû avoir le courage de se battre à chaque réclamation contre son employeur et la Commission et même une fois contre sa compagnie d’assurance qui avait coupé ses prestations, et ce, encore une fois en lien avec une dénonciation d’un confrère de travail qui voulait lui nuire.
- C’est donc l’ensemble de ces événements, de ces séquelles fonctionnelles découlant du harcèlement psychologique subi durant des années qui sont responsables de la modification négative de l’état de santé de la travailleuse. Un fait éloquent qui démontre, de manière prépondérante, qu’il existe un lien entre cette modification et le travail, est que le docteur Turcotte, dans son rapport d’expertise du 16 juillet 2024, observe une nette amélioration de son état psychologique dès le retrait du travail et de l’acceptation de la travailleuse qu’elle ne pourra plus exercer son métier de policière, métier qu’elle adorait.
- Le Tribunal constate que les docteurs Gosselin, Gil et Turcotte sont tous d’avis que la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation le 14 juin 2022. Donc, en prenant en considération l’ensemble de la preuve factuelle et médicale, le Tribunal déclare que la travailleuse a subi une récidive, rechute, ou aggravation à cette date dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
Dossier 1233354-02-2106
ACCUEILLE la contestation de la travailleuse, madame Audrey Boily;
INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 juin 2021 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle sous forme de récidive, rechute, ou aggravation le 23 mars 2020, dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique;
DÉCLARE que la travailleuse a le droit de recevoir les prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 1311687-02-2302
ACCUEILLE la contestation de la travailleuse, madame Audrey Boily;
INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 février 2023 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle sous forme de récidive, rechute, ou aggravation le 14 juin 2022, dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive;
DÉCLARE que la travailleuse a le droit de recevoir les prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
| __________________________________ |
| Chantale Girardin |
|
|
|
Me Amélie Soulez |
RBD AVOCATS S.E.N.C.R.L. |
Pour la partie demanderesse |
|
Me Émilie Morin-Gravel |
VILLE DE SAGNENAY – CONTENTIEUX |
Pour la partie mise en cause |
|
Me Marie-Douce Fugère |
LAROCHE AVOCATS CNESST |
Pour la partie intervenante |
|
Date de la mise en délibéré : 3 mars 2025 |