Décision

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Gauthier c. Municipalité de Lanoraie

2025 QCCS 1393

COUR SUPÉRIEURE

Division de pratique

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

 :

705-17-010708-236

 

 

 

DATE :

1er mai 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ENRICO FORLINI, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

DENIS GAUTHIER

Et

ÉLYSE LAVOIE

Demandeurs/Intimés

c.

 

MUNICIPALITÉ DE LANORAIE

Défenderesse/Requérante

et

CARREFOUR CANIN DE LANAUDIÈRE

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Demande d’outrage au tribunal)

______________________________________________________________________

 

Aperçu

  1.                 Le 17 octobre 2024, les demandeurs Denis Gauthier et Élyse Lavoie (les « Demandeurs ») sont cités à comparaître pour une accusation d’outrage au tribunal à la demande de la défenderesse la Municipalité de Lanoraie (« Municipalité ») sous les chefs suivants :


  1. Le 27 août 2024, avoir permis que le chien Kaya se retrouve au [...] à Lanoraie ou à tout autre lieu de résidence de Sabrina Lelièvre situé sur le territoire de la municipalité de Lanoraie, contrevenant ainsi au paragraphe 6 de la transaction homologuée R-5 (l’« Ordonnance du 9 mars[1]»);
  2. Le 27 août 2024, avoir sciemment omis de respecter l'engagement de ne pas retourner en aucun cas le chien Kaya sur le territoire de la municipalité de Lanoraie, contrevenant ainsi au paragraphe 7 de la transaction homologuée R-5 [Ordonnance du 9 mars].
  1.                 Les demandeurs plaident non coupable à l’accusation d’outrage au tribunal.
  2.                 Ils ne contestent pas que l’Ordonnance du 9 mars soit claire.
  3.                 Toutefois, ils plaident que la Municipalité n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction d’outrage au tribunal, soit qu’ils ont eu connaissance de l’Ordonnance du 9 mars et qu’ils avaient l’intention d’y contrevenir.

Contexte

  1.                 L’Ordonnance du 9 mars est émise dans le contexte suivant.
  2.                 La Municipalité est une municipalité au sens du Code municipal du Québec (L.R.Q., c. C-27.1) et est située sur le territoire de la municipalité régionale de comté de D’Autray.
  3.                 Carrefour Canin de Lanaudière (« Carrefour Canin ») est une entreprise qui exerce la fonction de contrôleur animalier sur le territoire de la Municipalité au sens du Règlement relatif aux animaux (no 110-2021)[2] de la Municipalité. Elle a pour mandat d’appliquer sur le territoire de la Municipalité ce règlement.
  4.                 Au moment de l’émission de l’Ordonnance du 9 mars, les demandeurs sont propriétaire d’un chien de race Husky dénommé Kaya.
  5.                 Ils forment un couple et sont mariés. Ils habitent sur le territoire de la ville de Lavaltrie.
  6.            Ils ont trois enfants, dont Olivier Gauthier, âgé de 34 ans. Sabrina Lelièvre est la conjointe d’Olivier Gauthier. Ils habitent au [...] sur le territoire de la Municipalité.
  7.            Denis Gauthier et deux de ses trois fils, soit Olivier Gauthier et David Gauthier sont coactionnaires d’une société qui exploite un garage de réparation de moteurs de camions qui est situé sur le territoire de la ville de Lavaltrie (« Garage Performance »).
  8.            En 2021, Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre sont propriétaires du chien Kaya.
  9.            A un moment donné en 2021, mais avant le mois de juin de cette année, le chien Kaya est saisi par Carrefour Canin pour cause de comportement problématique sur le territoire de la Municipalité.
  10.            En juin 2021, Sabrina Lelièvre plaide coupable d’avoir contrevenu à l’article 20 du Règlement d’application de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens[3] et à l’article 5 du Règlement concernant les chiens de la Municipalité.
  11.            Comme conséquence de ces plaidoyers, le 22 juin 2021, la Cour municipale de la MRC d’Autray déclare Mme Lelièvre coupable et rend les ordonnances suivantes contre elle[4] :

RETIRE à la défenderesse son droit de posséder un animal à l’intérieur des limites de la Municipalité de Lanoraie à moins que tel animal, autrement autorisé, ne soit en tout temps maintenu à l’intérieur du domicile de la défenderesse ou de tout bâtiment ou enclos situé sur la même propriété, ainsi qu’en laisse sur ou à l’extérieur de ladite propriété;

DÉCLARE que tout défaut de la défenderesse de se conformer à la présente ordonnance constituera une infraction passible de la peine prévue à l’article 33 du Règlement d’application de la Loi visant la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens;

À DÉFAUT PAR LA DÉFENDERESSE DE SE CONFORMER À LA PRÉSENTE ORDONNANCE DANS LES 15 JOURS DE LA SIGNIFICATION DE CELLE-CI

AUTORISE, sans autre signification et dès l’écoulement dudit délai fixé, la poursuivante à pénétrer sur la propriété et d’y saisir, par ses mandataires tout animal s’y trouvant alors en contravention de la présente ordonnance;

AUTORISE l’exécution du présent jugement même en l’absence de la défenderesse;

AUTORISE la poursuivante à s’adjoindre au besoin les services d’un huissier de justice pour l’assister dans l’exécution du présent jugement;

AUTORISE ledit huissier à s’adjoindre au besoin les services de la Sûreté du Québec pour l’exécution du présent jugement;

  1.            Le 8 novembre 2022, les demandeurs Denis Gauthier et Élyse Lavoie signent un document dans lequel ils consentent à « adopter » le chien Kaya et s’engagent à ne retourner en aucun cas Kaya au [...] à Lanoraie ni à toute autre résidence de Sabrina Lelièvre située sur le territoire de la Municipalité[5].  Mme Lelièvre et Olivier Gauthier interviennent à cet acte juridique.
  2.            Le 1er mars 2023, la Municipalité fait saisir au [...] à Lanoraie le chien Kaya en raison de son agressivité[6].
  3.            Quelques jours plus tard, la Municipalité prend la décision d’euthanasier le chien Kaya.
  4.            Le 7 mars, le Carrefour Canin informe l’avocat des demandeurs (Me Nolin) de la décision de la Municipalité de procéder à l’euthanasie de Kaya le 10 mars en avant-midi vu son comportement agressif (elle a mordu un employé du Carrefour Canin)[7].
  5.            Le 8 mars 2023 en fin de journée, les demandeurs signifient à la Municipalité et à Carrefour Canin un pourvoi en contrôle judiciaire et pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde visant à faire déclarer nul la décision de procéder à l’euthanasie de Kaya (le « Pourvoi en contrôle judiciaire »).
  6.            Le Pourvoi en contrôle judiciaire est présentable à la Cour le 9 mars aux fins de la présentation d’une demande pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde par laquelle les demandeurs demandent à la Cour d’ordonner à la Municipalité et à Carrefour Canin de suspendre la décision de procéder à l’euthanasie du chien Kaya.
  7.            Le 9 mars 2023, un document intitulé « Transaction et Consentement Final » est signé entre d’une part des représentants de la Municipalité et Carrefour Canin, et d’autre part, Me Nolin à titre de représentant des demandeurs et Simon Barbeau, un ami de ces derniers (« Transaction »)[8]. La Transaction contient notamment les termes suivants :

« 6. Les demandeurs et monsieur Simon Barbeau s'engagent à ne retourner en aucun cas le Chien [Kaya] au [...] à Lanoraie, [...], ou à tout autre lieu de résidence de Sabrina Lelièvre situé sur le territoire de la municipalité de Lanoraie.

7. Les demandeurs et monsieur Simon Barbeau s'engagent à ne retourner en aucun cas le Chien sur le territoire de la municipalité de Lanoraie; »

  1.            Le 9 mars 2023, la Cour homologue la Transaction et ordonne aux parties de s’y conformer[9].
  2.            Au courant de l’été 2024, le Carrefour Canin reçoit des plaintes selon lesquelles le chien Kaya est de retour au [...].
  3.            Le 27 août 2024, à la demande de la Municipalité, des contrôleurs animaliers de Carrefour Canin se rendent à la résidence d’Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre au [...], accompagnés d’agents de la Sûreté du Québec et saisissent le chien Kaya[10].
  4.            Le 4 septembre 2024, la codemanderesse Élyse Lavoie récupère le chien Kaya du Carrefour Canin[11].
  5.            Le 7 octobre 2024, la Municipalité dépose une demande pour l’émission d’une ordonnance de citation à comparaître pour outrage au tribunal à l’égard des demandeurs.
  6.            Le 17 octobre 2024, les demandeurs sont cités pour outrage au tribunal sous deux chefs.
  7.            Le 7 novembre 2024, les demandeurs enregistrent un plaidoyer de non-culpabilité.
  8.            Le procès pour outrage au tribunal a lieu le 16 avril 2025.

Analyse

  1.      Cadre juridique
  1.            Les articles 57, 58 et 61 du Code de procédure civileC.p.c. ») régissent l’outrage au tribunal civil :

SECTION III

LE POUVOIR DE PUNIR L’OUTRAGE AU TRIBUNAL

57. Les tribunaux peuvent sanctionner la conduite de toute personne qui se rend coupable d’outrage au tribunal en sa présence ou hors celle-ci. Cependant, si l’outrage est commis envers la Cour d’appel, hors sa présence, l’affaire est portée devant la Cour supérieure.

La transaction ou tout autre acte mettant fin au litige est inopposable au tribunal en ce qui a trait à l’outrage.

58. Se rend coupable d’outrage au tribunal la personne qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.

En matière d’injonction et d’ordonnance de protection, la personne qui n’y est pas désignée ne se rend coupable d’outrage au tribunal que si elle y contrevient sciemment.

61. Le juge qui doit décider de l’outrage ne doit pas être celui devant qui cet outrage aurait été commis, à moins que l’affaire ne doive être décidée sans délai. La personne à qui il est reproché de l’avoir commis ne peut être contrainte à témoigner.

La preuve offerte relativement à l’outrage ne doit pas laisser place à un doute raisonnable.

Lorsque le jugement déclare qu’un outrage a été commis, il doit énoncer les faits sur lesquels il se fonde. La sanction qui en découle peut être prononcée dans un jugement subséquent.

Le délai d’appel d’une déclaration d’outrage court à compter de la date de l’avis du jugement qui prononce la sanction ou de la date du jugement qui prononce la sanction si celui-ci a été rendu à l’audience.

DIVISION III

POWER TO PUNISH FOR CONTEMPT OF COURT

57. The courts may punish the conduct of any person who is guilty of contempt of court, whether committed in or outside the presence of the court. In the case of contempt of the Court of Appeal committed outside the presence of the Court, the matter is brought before the Superior Court.

A transaction or any other act that puts an end to a dispute cannot be invoked against the court in a matter of contempt.

58. A person who disobeys a court order or injunction or acts in such a way as to interfere with the orderly administration of justice or undermine the authority or dignity of the court is guilty of contempt of court.

A person not named in an injunction or protection order who disobeys that injunction or protection order is guilty of contempt of court only if the person does so knowingly.

61. The judge who is to rule on a contempt of court allegation must not be the judge before whom it was allegedly committed, unless the matter must be ruled on without delay. The person charged with contempt of court cannot be compelled to testify.

The proof submitted to establish contempt of court must be beyond a reasonable doubt.

If the judgment finds that contempt of court was committed, it must set out the facts on which the finding of contempt is based. The resulting sanction may be imposed in a subsequent judgment.

The time limit for appealing a finding of contempt runs as of the date of the notice of judgment imposing the sanction or the date of the judgment imposing the sanction if the judgment was rendered at the hearing.

  1.            L’infraction d’outrage au tribunal civil comporte trois éléments, qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable[12] :
    1. L’ordonnance dont on allègue la violation formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait;
    2. La partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance doit avoir été réellement au courant de son existence;
    3. La personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige.
  2.            Dans l’arrêt Morasse c. Nadeau-Dubois[13] , la Cour suprême du Canada rappelle que l’infraction d’outrage exige la connaissance réelle ou inférée de l’ordonnance ou de l’injonction en cause. Cette connaissance peut être établie par la preuve que l’ordonnance a été signifiée personnellement à l’individu accusé d’outrage, mais elle peut aussi être inférée des circonstances ou de son comportement[14].
  3.            Dans la décision Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Côté, le juge Martin Bureau rappelle que même sans signification, on peut reprocher à une partie de ne pas respecter une ordonnance si la connaissance de l’ordonnance est confirmée pas les faits prouvés[15] :

[12]        Il semble assez bien établi, en doctrine et en jurisprudence, que bien que cela est préférable, la signification d’un jugement ou d’une ordonnance n’est pas absolument nécessaire pour que l’on puisse, par la suite, reprocher à une partie qui ne la respecte pas, d’avoir commis un outrage au Tribunal.

[13]        Il a plutôt été décidé, à quelques reprises, qu’une connaissance de l’existence de la décision est suffisante et qu’une telle connaissance peut être inférée et même circonstancielle. Ce qui est important ce n’est pas absolument une signification de l’ordonnance ou du jugement, mais plutôt que le présumé contrevenant en ait eu une connaissance réelle. De plus, cette connaissance peut exister même s’il n’y a pas eu signification de l’ordonnance.

[14]        Il est donc possible d’inférer une connaissance lorsque les faits prouvés permettent d’appuyer cette inférence.

[Références omises]

  1.            La connaissance peut en outre résulter de l’aveuglement volontaire de la personne[16].
  2.            Dans Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Entreprises M & L Vallières inc., la Cour d’appel résume comme suit la mens rea requise en matière d’outrage au tribunal civil[17] :

[10] Dans l’arrêt Chartier c. Chamandy, la Cour a tracé les tenants et aboutissants de la mens rea requise en matière d’outrage au tribunal, de même que l’impossibilité de soulever la bonne foi à titre de défense :

[11] Ainsi, la seule preuve qu’une personne a intentionnellement omis d’agir en violation d’une ordonnance claire dont elle avait connaissance est suffisante pour prouver la mens rea. En matière d’outrage civil, nul besoin de prouver l’intention de désobéir à une ordonnance de la Cour.

[12] Faut-il le rappeler, la défense de bonne foi ne peut être invoquée pour justifier l’absence de mens rea. Par contre, elle pourra être considérée au moment de l’imposition de la peine.

  1.            Seuls les deuxième et troisième éléments de l’infraction d’outrage au tribunal civil sont contestés, soit la connaissance de l’Ordonnance et l’intention d’y contrevenir.
  1.      La Municipalité a-t-elle prouvé hors de tout doute raisonnable que les demandeurs étaient réellement au courant de l’existence de l’Ordonnance du 9 mars et qu’ils ont eu l’intention d’y contrevenir?
    1. Position des parties
  1.            Les demandeurs plaident que la Municipalité n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable qu’ils ont eu connaissance de l’Ordonnance du 9 mars et qu’ils y ont contrevenu intentionnellement.
  2.            Ils affirment qu’ils n’ont jamais signé la Transaction et qu’en aucun temps ils étaient au courant de son contenu.
  3.            De plus, ils plaident qu’ils n’ont jamais permis à ce que Kaya se retrouve au [...] le 27 août 2024, ni qu’ils ont omis de respecter leur engagement de ne pas retourner le chien à cet endroit, car s’il s’y est retrouvé, c’est en raison d’un geste de leur fils Olivier, sur lequel ils n’ont aucun contrôle.
  4.            La Municipalité répond que les demandeurs avaient connaissance de l’Ordonnance ou, à tout le moins, qu’ils ont fait preuve d’aveuglement volontaire, et qu’elle a prouvé qu’ils l’ont intentionnellement violée.
    1. Discussion
  5.            L’analyse de la crédibilité et de la fiabilité de la preuve administrée est au cœur de la question de savoir si la Municipalité a prouvé hors de tout doute raisonnable que les demandeurs ont eu connaissance de l’Ordonnance du 9 mars 2023 et qu’ils l’ont intentionnellement violée.
  6.            En présence de preuve contradictoire comme en l’espèce, l’ensemble de la preuve doit être analysé à la lumière de la méthode proposée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W.(D.)[18]. Ainsi, le Tribunal doit se poser les questions suivantes :
    1. Premièrement, le Tribunal croit-il le témoignage des demandeurs ? S’il les croit, il doit les acquitter.
    2. Deuxièmement, si le témoignage des demandeurs n’est pas cru, ce témoignage soulève-t-il un doute raisonnable, considérant l'ensemble de la preuve? Si un tel doute existe, le Tribunal doit les acquitter.
    3. Troisièmement, si le témoignage des demandeurs ne soulève pas de doute raisonnable, la preuve retenue démontre-t-elle, hors de tout doute raisonnable, qu’ils ont eu connaissance de l’Ordonnance du 9 mars et qu’ils l’ont intentionnellement violée? Si un doute raisonnable subsiste, ils doivent être acquittés.
  7.            Avant d’appliquer cette grille d’analyse, il y a lieu de commenter la force probante du témoignage des demandeurs.
  8.            Notons que les deux demandeurs, Denis Gauthier et Elyse Lavoie, ont témoigné pour leur défense.
  9.            Le témoignage de Mme Lavoie a été très court et se limite à affirmer qu’elle est en accord avec tout ce qui a été dit par M. Gauthier et n’a rien à ajouter, autre que de dire qu’elle est allée récupérer le chien Kaya au Carrefour Canin le 4 septembre 2024 parce qu’Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre lui ont demandé de le faire.
    1.      La force probante du témoignage des demandeurs
  10.            La crédibilité d’un témoin relève de la véracité de ses propos. Elle est liée à la sincérité ou l’honnêteté du témoin[19].
  11.            La fiabilité se rapporte à l’exactitude du témoignage. Elle s’entend de la capacité d’un témoin d’observer, de se remémorer et de relater un fait ou un événement avec précision[20]. Un témoin sincère et honnête, donc crédible, peut tout de même rendre un témoignage non fiable[21].
  12.              Le juge doit apprécier la preuve soumise pour déterminer où se situe la vérité et pour ce faire, il examine notamment la crédibilité et la fiabilité des versions des parties et de leurs témoins en regard des divergences, des invraisemblances ou des contradictions révélées par la preuve et détermine si celles-ci portent sur des éléments importants, déterminants ou secondaires.
  13.            Pour évaluer la fiabilité et la crédibilité des témoins, la Cour d’appel enseigne que les tribunaux de première instance peuvent notamment prendre en considération les facteurs suivants :  1) l'intégrité générale et l'intelligence du témoin; 2) sa capacité d'observation; 3) sa capacité de communiquer; 4) la fidélité de la mémoire; 5) l'exactitude de sa déposition; 6) sa volonté de dire la vérité de bonne foi; 7) sa sincérité, sa franchise, ses préjugés; 8) l’intérêt du témoin; 9) le caractère évasif ou les réticences de son témoignage; 10) le comportement du témoin avec la prudence requise; 11) la compatibilité du témoignage avec l'ensemble de la preuve, y compris la preuve confirmative; 12) l'existence de contradictions avec les autres témoignages et les éléments de preuve; 13) la plausibilité du témoignage; et 14) la cohérence intrinsèque du témoignage[22].
  14.            En outre, un témoignage peut contenir certaines inexactitudes sans par ailleurs perdre toute valeur.
  15.            De plus, comme la Cour suprême la récemment énoncé dans l’affaire R. c. Kruk, le tribunal peut aussi s’appuyer sur la raison et le bon sens, ainsi que sur la logique lorsqu’il apprécie la crédibilité et la fiabilité des témoignages[23]. Elle écrit aussi que :

[73]  Pour leur part, les hypothèses logiques soustendent nécessairement toutes les appréciations de la crédibilité et de la fiabilité. La crédibilité ne peut être appréciée qu’en fonction d’une compréhension générale de [traduction] « la façon dont les choses peuvent se dérouler et se déroulent effectivement »; c’est en appliquant le bon sens et en utilisant des généralisations fondées sur ses connaissances acquises à l’égard du comportement humain que le juge du procès détermine si un récit est plausible ou « intrinsèquement improbable » (R. c. Kiss, 2018 ONCA 184, par. 31 (CanLII); R. c. Adebogun, 2021 SKCA 136, [2022] 1 W.W.R. 187, par. 24; R. c. Kontzamanis, 2011 BCCA 184, par. 38 (CanLII)). Le bon sens soustend les principes bien établis guidant l’appréciation de la crédibilité — y compris l’idée maintenant universelle que les témoins qui font des déclarations contradictoires sont moins susceptibles de dire la vérité — et contribue à évaluer la portée et l’incidence de certaines contradictions. La fiabilité exige aussi le recours à des hypothèses logiques concernant la façon dont les témoins perçoivent les renseignements, s’en souviennent, et rapportent l’information, ce qui suppose des généralisations au sujet de la façon dont les individus tendent à présenter les renseignements dont ils ont un souvenir exact et complet, par opposition aux questions à l’égard desquelles ils n’ont pas de certitude ou se trompent. Le juge du procès peut, par exemple, inférer qu’un témoin était crédible, mais non fiable, parce qu’il semblait sincère mais a donné des indices indiquant que ses souvenirs étaient flous ou incertains (p. ex., des propos ambigus, des expressions comme « hmm [. . .] voyons voir », de longues pauses ou le fait de ne pas donner beaucoup de détails).

  1.            Dans l’ensemble, les témoignages de M. Gauthier et Mme Lavoie ne sont ni crédibles, ni fiables. Voici pourquoi.
  2.            L’utilisation récurrente de questions suggestives par leur avocat, les contradictions et invraisemblances dans le témoignage de M. Gauthier et le mépris des demandeurs pour les actes juridiques qu’ils concluent amènent le Tribunal à qualifier leur témoignage de non crédible et non fiable.
  3.            Le procureur de M. Gauthier a eu recours à des questions suggestives très fréquemment sur des faits contestés et sur des points qui étaient au cœur de l’affaire.
  4.            Ces questions suggéraient une réponse précise sur des éléments principaux de l’infraction d’outrage au tribunal et de surcroît, elles étaient récurrentes. Cette façon de conduire l’interrogatoire en chef de M. Gauthier mine la crédibilité et la fiabilité de ses réponses[24].
  5.            De plus, le témoignage de M. Gauthier démontre le mépris des demandeurs à l’égard des actes juridiques qu’ils contractent concernant la propriété du chien Kaya.
  6.            Rappelons qu’en juin 2021, Sabrina Lelièvre est déclarée coupable en lien avec diverses infractions mettant en cause le chien et la Cour municipale lui retire le droit de posséder un animal sur son territoire.
  7.            À la suite de ce jugement, le 8 novembre 2022, selon M. Gauthier les demandeurs par amour pour cet animal et pour éviter qu’elle se fasse euthanasier ou qu’elle soit vendue, signent un document selon lequel ils « adoptent » le chien Kaya. Ils s’engagent dans le même acte juridique à ne pas retourner en aucun cas Kaya au [...] à Lanoraie ni à tout lieu de résidence de Mme Lelièvre situé sur le territoire de la Municipalité[25].
  8.            Nonobstant cet acte juridique, il ressort de la preuve que dans les faits, Kaya a toujours appartenu et a été en possession, sous le contrôle et la direction d’Olivier Gauthier et de sa conjointe Sabrina Lelièvre. Ce sont eux et non les demandeurs qui prennent réellement les décisions qui portent sur cet animal, notamment où il résidera.
  9.            Comme l’explique M. Gauthier, en mars 2023, il donne la permission à Olivier et Sabrina que Kaya puisse demeurer à la résidence des demandeurs à Lavaltrie.
  10.            Si le chien Kaya appartient réellement aux demandeurs comme le laisse entendre l’acte de transfert de possession du 8 novembre, alors pourquoi M. Gauthier doit-il donner la permission à Olivier et Sabrina de permettre à Kaya de demeurer à la résidence des demandeurs?
  11.            Si les demandeurs s’en remettent aux décisions d’Olivier et Sabrina quant à l’endroit où le chien Kaya demeurera, c’est bien parce qu’ils en sont les propriétaires de facto.  M. Gauthier explique bien la réalité lorsqu’il affirme que même après le 8 novembre, Olivier avait ses obligations personnelles : « alors là, à un moment donné, il faut que Kaya retourne à Lanoraie ».
  12.            C’est ce qui explique que le chien se trouve à la résidence d’Olivier et Sabrina le 1er mars 2023 alors qu’il est saisi à leur résidence sur la rue Antonio-Mondor sur le territoire de la Municipalité.
  13.            L’épisode du 1er mars soulève une contradiction dans le témoignage de M. Gauthier en ce qu’il dit que le chien Kaya se trouve à la résidence d’Olivier et Sabrina en mars 2023 puisque les demandeurs sont en vacances.
  14.            Or, cela contredit son affirmation précédente où il témoigne qu’Olivier avait l’obligation de ramener Kaya à sa résidence à Lanoraie.
  15.            De plus, en permettant à Kaya de séjourner chez Olivier et Sabrina sur le territoire de la Municipalité sous prétexte que les demandeurs sont en vacances, ces derniers violent leur engagement aux termes de l’acte de transfert de possession du 8 novembre 2022 puisqu’ils se sont engagés dans ce document « à ne retourner en aucun cas Kaya au [...] à Lanoraie ».
  16.            De plus, dans les jours suivants la saisie du chien Kaya le 27 août 2024, M. Gauthier affirme qu’il suggère à son fils Olivier de faire euthanasier Kaya pour éviter tout futur problème.
  17.            Olivier lui répond : « mon tabarnak, tu ne feras pas tuer mon chien » (Soulignement du Tribunal).
  18.            Voilà un autre fait qui confirme que l’acte de transfert de possession du 8 novembre 2022 n’est qu’un subterfuge.
  19.            Un autre exemple qui démontre que Mme Lavoie ne se comporte pas comme une véritable propriétaire survient le 4 septembre 2024 lorsqu’elle va récupérer le chien Kaya au Carrefour Canin. Si elle y va, elle tient à ajouter dans son témoignage que c’est parce que Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre lui ont demandé de le faire.
  20.            La logique et le bon sens dicte qu’un véritable propriétaire n’attendrait pas que son fils lui dise d’aller chercher un chien avant de le faire de son propre gré.
  21.            Mais il y a plus.
  22.            Les demandeurs produisent un document daté du 23 novembre 2024 qu’ils ont signé selon lequel ils cèdent le chien Kaya à un dénommé Henri Beauparlant[26]. M. Gauthier affirme qu’il a cédé la propriété du chien Kaya à cette personne à la demande de son avocat.
  23.            Avant de céder le chien, M. Gauthier affirme qu’il a demandé la permission à Olivier de le faire. Pourquoi avoir demandé cette permission si le chien Kaya appartient véritablement aux demandeurs comme ils le prétendent?
  24.            Cette cession à M. Beauparlant est faite selon M. Gauthier simplement pour « changer le nom du propriétaire » afin de leur enlever un fardeau. Dans les faits, Kaya demeure la propriété d’Olivier et Sabrina. Il n’est tout simplement pas plausible que M. Beauparlant soit verticalement le propriétaire de Kaya alors que de l’aveu même de M. Gauthier, ne veut rien savoir d’avoir un chien.
  25.            Le Tribunal conclut que l’acte de cession du 23 novembre 2024, tout comme l’acte de transfert de propriété du 8 novembre 2022, sont des faux. Ces actes juridiques démontrent que les demandeurs ne respectent pas les obligations qu’ils contractent et qu’ils sont prêts à signer de faux documents pour masquer la réalité.
  26.            Cela mine la crédibilité de l’ensemble de leur récit.
  27.            Il y a aussi de nombreuses contradictions dans le témoignage de M. Gauthier. Le Tribunal en résumera quelques-unes ci-dessous.
  28.            M. Gauthier affirme en chef qu’il ignore les termes de la Transaction et qu’il ne l’a jamais signée.
  29.            Or, en contre-interrogatoire, il admet qu’il est parfaitement au courant de la Transaction et de l’Ordonnance du 9 mars 2023. Il ajoute qu’Olivier et Sabrina aussi étaient au courant de l’Ordonnance.
  30.            Enfin, les demandeurs affirment qu’ils n’ont jamais signé les déclarations sous serment déposées à l’appui du Pourvoi en contrôle judiciaire, et ce, malgré qu’elles portent leur signature électronique. Ils affirment que c’est un tiers qui signé à leur place et à leur insu.
  31.            Cela n’est pas plausible et de surcroît, est contredit par la preuve documentaire.
  32.            La preuve documentaire versée au dossier de la Cour par leur procureur établit que la déclaration sous serment de M. Gauthier à l’appui du Pourvoi lui est transmise électroniquement par courriel à l’adresse de courriel personnelle qu’il admet être la sienne à 17 h 52 GMT le 8 mars 2023, qu’elle est visionnée à 17 h 58 GMT, signée électroniquement à 18 h GMT et qu’elle est retournée signée par courriel à ses procureurs à la même heure.
  33.            Il en est de même pour la déclaration sous serment de Mme Lavoie, quoiqu’à des heures légèrement différentes.
    1.      La connaissance par les demandeurs de l’Ordonnance du 9 mars
  34.            La Municipalité a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que les demandeurs avaient connaissance de l’Ordonnance du 9 mars.
  35.            Il n’est pas contesté qu’ils n’ont pas personnellement signé la Transaction conclue le 9 mars, transaction qui est par la suite devenu l’Ordonnance du 9 mars 2023 une fois homologuée.
  36.            Il est aussi établi que la Municipalité n’a pas signifié l’Ordonnance du 9 mars aux demandeurs.
  37.            Cela dit, la Municipalité soutient que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que les demandeurs avaient connaissance de l’Ordonnance du 9 mars vu que cette connaissance doit être inférée des circonstances de l’affaire ou encore parce qu’ils ont fait preuve d’aveuglement volontaire.
  38.            La preuve de la connaissance d’une ordonnance ou d’une injonction du tribunal peut être faite en prouvant que celle-ci a été signifiée à une partie à qui on reproche de ne pas l’avoir respectée, mais cela n’est pas le seul moyen d’en faire la preuve.
  39.            La connaissance peut aussi être inférée des circonstances de l’affaire, du comportement de la personne accusée d’outrage, ou encore elle peut résulter de l’aveuglement volontaire ou de l’ignorance délibérée de cette personne.
  40.            Dans Sansregret c. La Reine, la Cour suprême énonce que l'ignorance volontaire se produit lorsqu'une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu'elle ne veut pas connaître la vérité et préfère rester dans l'ignorance[27].
  41.            Dans R. c. Morrison, la Cour suprême résume ainsi ce qu’est l’aveuglement volontaire[28] :
  • Il y a aveuglement volontaire lorsqu’un accusé « a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais choisit délibérément de ne pas le faire »;
  • L’aveuglement volontaire est une forme d’« ignorance délibérée », étant donné qu’elle évoque l’idée [traduction] « d’un processus réel de suppression des soupçons »;
  •  Une cour peut valablement conclure à l’ignorance volontaire seulement lorsqu’on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait.
  1.            L'ignorance ou l’aveuglement volontaire survient lorsqu'une personne, confrontée à une situation ou à des faits qui peuvent normalement éveiller ses soupçons et l'amener à se poser des questions, refuse malgré tout de vérifier, de se renseigner et d'obtenir des réponses.
  2.            S’il est conclu que l’accusé a fait preuve d’aveuglement volontaire, cet état d’esprit peut se substituer à la connaissance réelle. En fait, l’aveuglement volontaire « équivaut à la connaissance[29].
  3.            En l’espèce, la Municipalité a prouvé hors de tout doute raisonnable que les demandeurs ont fait preuve d’aveuglement volontaire quant aux termes et conditions de l’Ordonnance du 9 mars.
  4.            Rappelons que le 8 mars 2023 en fin de journée, les demandeurs signifient à la Municipalité et à Carrefour Canin le Pourvoi en contrôle judiciaire.
  5.            À cette date, les demandeurs sont en vacances au Honduras.
  6.            Le 9 mars 2023, à l’occasion de la présentation du volet ordonnance de sauvegarde du pourvoi en contrôle judiciaire, la Transaction est signée par Me Nolin pour les demandeurs. Diana Aubert signe la Transaction pour Carrefour Canin et Me Alain Généreux, avocat qui représente la Municipalité à cette époque, signe le document pour la Municipalité. La Transaction est également signée par Simon Barbeau.
  7.        Il est utile de reproduire ci-dessous les termes de cette Transaction :

ATTENDU que les demandeurs sont propriétaires d'un chien de race Husky portant le nom de Kaya (Ci-après le « Chien »);

ATTENDU que le Chien a fait l'objet d'une saisie par la défenderesse Carrefour Canin en date du 1er mars 2023;

ATTENDU que le Chien est toujours sous la garde de Carrefour Canin;

ATTENDU que la défenderesse Carrefour Canin a avisé les demandeurs le 7 mars 2023 à 17h20 de son intention de procéder à l'euthanasie du Chien en date du 10 mars 2023 en avant-midi;

ATTENDU la Demande de pourvoi en contrôle judiciaire et demande pour ordonnance de sauvegarde et demande en réduction des délais de signification datée du 8 mars 2023;

ATTENDU que les demandeurs sont à l'extérieur du pays jusqu'au 12 mars 2023, mais qu'ils ont mandaté monsieur Simon Barbeau pour reprendre et s'occuper du Chien pendant leur absence;

ATTENDU QUE les parties désirent régler à l'amiable le litige qui les oppose;

ATTENDU QUE les parties consentent à signer la présente transaction et quittance en toute connaissance de cause;

LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

  1. Le préambule fait partie intégrante des présentes;
  2. Les défenderesses s'engagent à ne pas euthanasier le Chien;
  3. Les défenderesses s'engagent à remettre sans délai le Chien à la partie demanderesse, par l'entremise de monsieur Simon Barbeau;
  4. Dès la signature de la présente par toutes les parties et monsieur Simon Barbeau, ce dernier pourra se rendre au Carrefour Canin pour reprendre possession du Chien, moyennant le paiement des frais de 315$ plus taxes;
  5. Monsieur Simon Barbeau aura la garde du Chien jusqu'au 12 mars 2023, date à laquelle les demandeurs en reprendront possession;
  6. Les demandeurs et monsieur Simon Barbeau s'engagent à ne retourner en aucun cas le Chien au [...] à Lanoraie, [...], ou à tout autre lieu de résidence de Sabrina Lelièvre situé sur le territoire de la municipalité de Lanoraie;
  7. Les demandeurs et monsieur Simon Barbeau s'engagent à ne retourner en aucun cas le Chien sur le territoire de la municipalité de Lanoraie;
  8. Les parties et monsieur Simon Barbeau déclarent bien comprendre les termes de la présente transaction et consentement final et s'en déclarent satisfaits ;
  9. Les parties déclarent que la présente entente représente leur volonté et s'engagent à la respecter;
  10. La présente constitue une transaction aux termes des articles 2631 et suivants du Code civil du Québec.
  1.        M. Gauthier affirme qu’il n’a pas signé la Transaction car le 9 mars, il est en vacances avec sa conjointe Mme Lavoie au Honduras. Il ajoute qu’au courant de la journée, il reçoit un appel de leur procureur, Me Lucas Nolin, qui les représente aux fins du Pourvoi en contrôle judiciaire.
  2.        Au moment où ils reçoivent l’appel, les demandeurs ne sont pas dans un centre de villégiature, mais plutôt dans une chaloupe qui navigue dans les mangroves.
  3.        M. Gauthier prend l’appel mais le son du moteur est bruyant, de sorte qu’il a de la difficulté à entendre son interlocuteur Me Nolin. Il demande au conducteur du bateau de couper le moteur[30].
  4.        M. Gauthier affirme que la communication cellulaire est pauvre et qu’il a de la difficulté à entendre les paroles Me Nolin.
  5.        M. Gauthier demande à Me Nolin s’il peut reporter la cause, mais ce dernier lui indique que ce n’est pas possible.
  6.        M. Gauthier confirme qu’il autorise Me Nolin à signer la Transaction à la place des demandeurs.
  7.        En contre-interrogatoire, il confirme que c’est Me Nolin qui a signé la Transaction en son nom :

Question de Me Girard

Je mets devant vous la pièce R-5, la transaction et consentement final qui a été signé par Me Nolin. Vous ce que vous dites, c’est qu’au moment de la signature, si j’ai bien compris votre interrogatoire, vous étiez à l’extérieur du pays.

Réponse de M. Gauthier

Oui.

Q Bon.

R Oui.

Q Puis, Me Nolin a signé cette transaction-là pour vous?

R Oui.

Q OK. J’imagine qu’il vous a lu les termes de cette transaction-là?

R Les termes? Les termes peut, comme j’ai dit tantôt, la difficulté du cellulaire était très compliquée, euh, j’étais même pas proche d’un réseau cellulaire, d’une antenne. J’étais dans les mangroves, puis j’avais de la difficulté à comprendre vraiment, vraiment, vraiment. Faqu’il m’a dit « m’a signer pour toi » et je lui ai dit « signe ce que tu veux là », mais je sais même pas qu’est-ce que tu vas signer et par la loi, t’as-tu le droit de le signer, je sais pas. Faqu’à ce moment-là, il a signé, et là j’ai présenté le téléphone à ma conjointe dans le bateau et puis euh, ça a été la même affaire pour elle.

[Soulignement du Tribunal]

  1.        La Transaction sera effectivement signée par Me Nolin pour les demandeurs le 9 mars[31].
  2.        Le même jour, à la demande des parties, la Cour homologue la Transaction et ordonne aux parties de s’y conformer[32].
  3.        Le 12 mars, les demandeurs reviennent au Québec de leur séjour au Honduras.
  4.        En contre-interrogatoire, l’avocat de la Municipalité demande à M. Gauthier quand il a pris connaissance de la Transaction. Voici ce qu’il répond :

Q La transaction R-5 que Lucas Nolin a signé pour vous. C’est quand la première fois que vous prenez connaissance de ça?

R Bien la date même à Roatan.

Q Le 9 mars vous avez pris connaissance de cette transaction…

R Oui, oui.

Q OK.

R Bien me semble que oui. Là on recule d’un an, deux ans.

Q Vous l’avez reçue par courriel?

R Au garage.

 LA COUR

Q Vous l’avez reçue par courriel au garage?

R Au garage oui, mais moi je suis à l’autre bout. J’ai pas mes courriels. C’est les enfants qui s’occupent de ça, sont associés avec moi.

Q Mais à votre retour, vous en avez pris connaissance?

R Même pas.

Q Même pas?

R Même pas. Même pas parce que c’était quelque chose qui était déjà fermé. Qui était déjà, la page était fermée, moi je pouvais pas commencer à revérifier mes courriels quand j’en reçois d’autres. C’était quelque chose que c’était oublié dans mon cas. Le chien était revenu et…

  1.        Cette réponse étonne pour deux raisons.
  2.        Premièrement, l’extrait montre une contradiction dans le témoignage de M. Gauthier.
  3.        Tant lorsqu’il est interrogé en chef que lors de son contre-interrogatoire, M. Gauthier affirme qu’il n’a pas pris connaissance de la Transaction alors qu’il est au Honduras.  
  4.        Or, dans l’extrait ci-dessus, il indique qu’il en a pris connaissance le 9 mars alors qu’il est au Honduras.
  5.        Par ailleurs, l’extrait démontre aussi que la Transaction lui est transmise par courriel et qu’à son retour au Québec, il peut en prendre connaissance mais il décide de ne pas le faire.
  6.        Une partie commet un aveuglement volontaire lorsqu’elle introduit un recours, est informée par son procureur qu’un règlement hors cours est conclu, autorise son procureur à signer l’entente alors qu’elle en ignore les termes, mais décide sciemment de ne pas prendre connaissance des termes de la transaction lorsqu’elle est en mesure de le faire. 
  7.        Les circonstances dans lesquelles les demandeurs autorisent leur procureur à signer l’entente de règlement auraient dû faire naître un soupçon chez les demandeurs quant aux termes de la Transaction. En fait, la Cour conclut que les demandeurs ont eu des soupçons mais ont refusé de se renseigner, préférant demeurer dans l’ignorance.
  8.        S’ils n’avaient pas de soupçons à leur retour de vacances, alors la réception par les demandeurs de la lettre de la Municipalité daté du 24 mai 2023 a clairement éveillé chez eux des soupçons[33].
  9.        La lettre du 24 mai 2023 résume les paragraphes 6 et 7 de la Transaction (les paragraphes par lesquels les demandeurs s’engagent à ne pas retourner le chien Kaya au [...] sur le territoire de la Municipalité), les informent qu’il a été récemment porté à l’attention de la Municipalité que ses citoyens ont vu le chien Kaya libre et sans laisse sur le terrain du [...], et indique que ces agissements contreviennent à la Transaction entérinée par la Cour supérieure. Enfin, la lettre enjoint les demandeurs de respecter la Transaction à défaut de quoi la Municipalité entreprendra des procédures en outrage au tribunal.
  10.        La lettre du 24 mai 2023 est transmise par huissier aux demandeurs et fixée à la porte de leur domicile[34].
  11.        Le procès-verbal de signification de l’huissier est un acte authentique et crée une présomption de fait que les demandeurs ont reçu la lettre[35].
  12.        Or, non seulement les demandeurs ne renversent pas cette présomption puisqu’ils ne nient pas avoir reçu la lettre du 24 mai 2023, mais ils affirment qu’ils n’en ont pas pris connaissance.
  13.        Ce refus de prendre connaissance d’une lettre de la Municipalité avec qui ils sont en litige constitue à nouveau un aveuglement volontaire de la part des demandeurs.
  14.        La situation des demandeurs est analogue à celle de M. Matthews dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. Matthews[36].
  15.        Dans cette affaire, le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières rend une ordonnance d’interdiction d’opérations sur valeurs mobilières à l’encontre de M. Matthews. Cette ordonnance est ensuite déposée au greffe de la Cour supérieure afin qu’elle devienne l’équivalente à une ordonnance de la Cour supérieure.
  16.        Par la suite, l’Autorité des marchés financiers transmet par lettre recommandée à M. Matthews l’avis de dépôt de la décision du Bureau au greffe de la Cour supérieure. Cette lettre recommandée est reçue pas M. Matthews, mais il n’en prend pas connaissance.
  17.        En première instance, M. Matthews est acquitté de l’accusation d’outrage au tribunal puisque selon le juge du procès, il n’y a pas de preuve que M. Matthews a eu connaissance de l’ordonnance de la Cour supérieure.
  18.        La Cour d’appel accueille l’appel de ce jugement sur la base de la notion d’aveuglement volontaire et déclare M. Matthews coupable d’outrage au tribunal[37] :

[15]           N'eût été cette erreur, il aurait dû raisonnablement conclure, à tout le moins en ce qui a trait à l'intimé Matthews, que la preuve circonstancielle établissait soit la connaissance du dépôt de l'ordonnance au greffe de la Cour supérieure (réception en main propre d'une courte lettre recommandée l'avisant de ce dépôt), soit la décision d’ignorer l’avis (refus de prendre connaissance du contenu d'une lettre recommandée, peu volumineuse, pourtant remise en main propre et provenant de l'AMF avec laquelle il est en litige).

[16]           Dans le premier cas, les exigences sont satisfaites et il devait être déclaré coupable. 

[17]           Dans le deuxième cas, il n'en va pas autrement. En effet, il est bien établi en droit criminel que l'aveuglement volontaire peut équivaloir à la connaissance. On peut lire dans Glainville Williams, Criminal law : The General Part, 2e éd., 1961, London, Stevens & Sons Ltd., à la p. 159, cité avec approbation dans Sansregret c. R., 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, au paragr. 22 :

The rule that wilful blindness is equivalent to knowledge is essential, and is found throughout the criminal law. It is, at the same time, an unstable rule, because judges are apt to forget its very limited scope. A court can properly find wilful blindness only where it can almost be said that the defendant actually knew. He suspected the fact; he realized its probability; but he refrained from obtaining the final confirmation because he wanted in the event to be able to deny knowledge. This, and this alone, is wilful blindness. It requires in effect a finding that the defendant intended to cheat the administration of justice. Any wider definition would make the doctrine of wilful blindness indistinguishable from the civil doctrine of negligence in not obtaining knowledge.

(la Cour souligne)

[18]           D’ailleurs, la doctrine et la jurisprudence anglaise considèrent qu’il ne s’agit pas d’une excuse pour une personne accusée d’outrage au tribunal à qui l’on a remis l’ordonnance en question de prétendre ne pas l’avoir lue (voir : Arlidge, Eady & Smith, On Contempt, Thomson, Sweet & Maxwell, "The Common Law Librairy", London, 2005, p. 904 au paragr.12-35 et p. 920 au paragr. 12-82). Cette règle a été établie dans un jugement de 1887, Re Witten (1887) 4 T.L.R. 36, dans lequel le juge Kay déclarait :

If a man did not choose to see the terms of an order which had been made against him, and chose to act without seeing the terms of the order, he must take the consequences. Carelessness in failing to make himself acquainted with the terms of the order was as gross a contempt as if he had disobeyed the order.

[19]           En somme, l'aveuglement volontaire se produit lorsqu'une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu'elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l'ignorance. La culpabilité en l'espèce de Earl Matthews se justifie par la faute qu'il commet en omettant délibérément de se renseigner lorsqu'il sait qu'il y a des motifs de le faire, pour paraphraser le juge McIntyre dans l'arrêt Sansregret, précité, au paragr. 22.

[Renvoi omis]

  1.        Ces motifs sont transposables à la présente affaire.
  2.        La culpabilité des demandeurs se justifie par la faute qu'ils commettent en omettant délibérément de se renseigner lorsqu'ils savent qu'il y a des motifs de le faire.
  3.        M. Gauthier ne peut invoquer l’excuse de ne pas avoir lu la Transaction lorsqu’elle lui est transmise par courriel, courriel qu’il reconnaît avoir reçu.
  4.        En omettant délibérément de prendre connaissance de l’Ordonnance du 9 mars, les demandeurs font preuve d’aveuglement volontaire, ce qui établit leur connaissance de l’Ordonnance.
  5.        Par ailleurs, le tribunal est d’avis que la preuve hors de tout doute raisonnable que les demandeurs avaient connaissance de l’Ordonnance du 9 mars découle aussi du fait que leur avocat en avait connaissance.
  6.        Cette conclusion s’appuie sur la règle énoncée dans l’arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) de la Cour suprême, une affaire qui porte sur une accusation d’outrage au tribunal civil et plus particulièrement la preuve de la connaissance de l’ordonnance[38]. 
  7.        Dans l’affaire Bhatnager, la Section de première instance de la Cour fédérale émet une ordonnance qui exige au ministre de l’Emploi et de l’Immigration et le secrétaire d’État aux affaires extérieures (les appelants) d’ordonner à leurs fonctionnaires de produire un dossier à une date précise.
  8.        L’ordonnance est rendue à l’audience en présence des avocats des appelants. Elle est signifiée au procureur des appelants quelques jours plus tard.
  9.        Les appelants sont déclarés coupable d’outrage au tribunal par la Cour d’appel fédérale.
  10.        La Cour suprême du Canada accueille l’appel et conclut que les appelants n’auraient pas dû être déclarés coupable d’outrage au tribunal vu qu’il n’a pas été prouvé qu’ils avaient eu connaissance de l’ordonnance, et ce, malgré que leur procureur en avait eu connaissance.
  11.        Toutefois, comme l’extrait suivant le démontre, dans certaines circonstances, la connaissance de l’ordonnance par le procureur d’une partie permet d'inférer que le client en a eu connaissance :

Cette longue histoire d'une exigence stricte en common law imposant à la partie qui allègue l'outrage de démontrer la connaissance réelle de la part de l'auteur de l'outrage allégué est incompatible avec l'argument selon lequel une présomption simple résulte automatiquement de la signification de l'ordonnance au procureur.  À mon avis, dans certaines circonstances, le fait que le procureur en ait été informé permet d'inférer que le client en a eu connaissance.  En fait, cette inférence est normale dans le cas ordinaire d'une partie engagée dans des litiges isolés.  Dans le cas de ministres de la Couronne qui dirigent de grands ministères et qui sont engagés dans un grand nombre de procédures, il serait extraordinaire que des ordonnances soient portées systématiquement à leur attention.  Pour inférer la connaissance dans un tel cas, il doit exister des circonstances qui indiquent une raison spéciale pour porter l'ordonnance à l'attention du ministre.  Dans la plupart des cas (y compris les affaires pénales), la connaissance est démontrée de façon circonstancielle et, dans les affaires d'outrage au tribunal, on peut toujours inférer la connaissance lorsque les faits permettant d'appuyer cette inférence sont prouvés:  voir Avery v. Andrews (1882), 51 L.J. Ch. 414.

[Soulignement du Tribunal]

  1.        Les demandeurs en l’espèce ne peuvent être assimilés à des ministres de la Couronne qui dirigent de grands ministères et qui sont engagés dans un grand nombre de procédures.
  2.        L’Ordonnance du 9 mars est rendue dans un litige isolé et comme l’enseigne la Cour suprême, le tribunal peut inférer que les demandeurs avaient connaissance de cette ordonnance vu que leur procureur en a été informé ayant été présent à la Cour lorsque la Transaction est homologuée et l’Ordonnance du 9 mars est émise.
  3.        En conclusion, sur la question de la connaissance des demandeurs de l’Ordonnance du 9 mars, le Tribunal ne croit pas leur témoignage lorsqu’ils affirment qu’ils ignoraient l’existence de cette ordonnance. Leur témoignage ne soulève pas un doute non plus.
  4.        La preuve retenue démontre hors de tout doute raisonnable qu’ils ont eu connaissance de l’Ordonnance du 9 mars.
    1.      Les demandeurs ont-ils intentionnellement commis un acte interdit par l’Ordonnance du 9 mars ?
  5.         Les demandeurs plaident qu’ils n’ont jamais permis à quiconque de ramener le chien Kaya à la résidence d’Olivier et Sabrina et n’ont jamais omis de respecter leur engagement de ne pas retourner en aucun cas le chien sur le territoire de la Municipalité. Si Kaya s’est trouvé au [...] le 28 août 2024, c’est en raison de circonstances hors de leur contrôle. En effet, leur fils Olivier éprouve des problèmes de consommation de drogues, ils ont de la difficulté à le contrôler et parfois il décide de son propre chef de ramener le chien Kaya à sa résidence.
  6.        La Municipalité plaide que les demandeurs connaissaient l’existence de l’Ordonnance du 9 mars, que nonobstant le fait qu’ils savent que leur fils Olivier a tendance à faire ce qu'il veut avec le chien, ils ne prennent aucun moyen pour prévenir la violation de l’ordonnance.
  7.        Elle ajoute que le moyen d’absence de contrôle sur leur fils invoqué par les demandeurs revient à plaider la bonne foi, ce qui n’est pas un moyen de défense à une accusation d’outrage au tribunal civil.
  8.        La preuve de la mens rea n’exige pas que la Municipalité établisse hors de tout doute raisonnable que les demandeurs ont eu l’intention de désobéir à l’Ordonnance du 9 mars, mais seulement qu’ils ont volontairement permis que le chien Kaya se retrouve au [...] à Lanoraie ou qu’ils aient sciemment omis de respecter l’engagement de ne pas retourner en aucun cas le chien sur le territoire de la Municipalité[39]. En matière d’outrage au tribunal civil, « nul besoin de prouver l’intention de désobéir à une ordonnance de la Cour »[40].
  9.        Le témoignage non contredit de la contrôleuse animalière Cinthia Roy établit hors de tout doute ce qui suit.
  10.        Mme Roy est contrôleuse animalière à l’emploi du Carrefour Canin depuis le mois de janvier 2023.
  11.        Elle connaît bien le chien Kaya car Carrefour Canin a reçu de nombreuses plaintes à son égard provenant de citoyens de la Municipalité concernant son caractère agressif et parce que son propriétaire ne respecte pas la règlementation municipale applicable aux chiens. Dans le passé, Kaya a attaqué et tué des poules du voisinage.
  12.        Mme Roy est notamment intervenue au [...] en mars 2023 pour saisir le chien Kaya à la suite de plaintes des voisins. Lors de cette saisie, le chien Kaya a tenté de la mordre.
  13.        Elle connaît bien Mme Sabrina Lelièvre vu qu’elle est intervenue personnellement au [...] dans le passé et qu’elle a fait l’objet d’injures et de comportements d’agressifs de cette dernière lorsque Carrefour Canin a tenté de saisir Kaya.
  14.        Peu avant le 27 août 2024, Carrefour Canin reçoit une plainte que Kaya est de retour sur le territoire de la Municipalité, et plus spécifiquement au [...], résidence d’Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre.
  15.        Vu ces plaintes et vu l’ordonnance de la Cour municipale du 22 juin 2021[41], Mme Roy a mandat de ses supérieurs d’effectuer une saisie du chien Kaya à la résidence d’Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre.
  16.        Vu que les interventions effectuées dans le passé à cette résidence avaient mené à des altercations avec ses occupants, elle fait appel à deux agents de la Sûreté du Québec pour l’accompagner. Son collègue Danyck Joly l’assite également.
  17.        À son arrivée à la résidence d’Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre, elle aperçoit Mme Lelièvre à travers la porte courir dans la maison pour aller cacher le chien Kaya au sous-sol. Les deux agents de la SQ pénètrent dans la résidence pour récupérer Kaya.
  18.        Mme Lelièvre affirme que Carrefour Canin n’a pas le droit de saisir Kaya.
  19.        Mme Roy lui exhibe le contenu de l’ordonnance de la Cour municipale du 21 juin 2021 et lui rappelle que selon ce jugement, Carrefour Canin est en droit de pénétrer dans la résidence pour saisir le chien.
  20.        Après quelques minutes, Mme Lelièvre acquiesce et remet Kaya à Mme Roy et son collègue.
  21.        Durant cette intervention, Mme Lelièvre informe Mme Roy que Kaya était chez elle car ses beaux-parents, les demandeurs, sont en vacances.
  22.        Lorsque Mme Roy tente de mettre le lasso au cou de Kaya, celle-ci grogne et démontre des signes d’agressivité. Ultimement, Mme Roy et son collègue réussissent à faire monter Kaya dans le camion du Carrefour Canin et le chien est ramené aux locaux de l’entreprise[42].
  23.        Le 4 septembre 2024, Mme Elyse Lavoie, la codemanderesse, se présente aux locaux du Carrefour Canin pour récupérer le chien Kaya. Elle le fait moyennant le paiement de certains frais et quitte avec l’animal[43].
  24.        Ainsi, il ressort clairement de la preuve que le 27 août 2024, le chien Kaya se trouve au [...] sur le territoire de la Municipalité.
  25.        Cela étant dit, la preuve établit-elle que les demandeurs ont permis que le chien s’y retrouve à cette date?
  26.        Il ressort de l’ensemble de la preuve que la Municipalité a établi hors de tout doute raisonnable que les demandeurs ont volontairement permis que Kaya se retrouve à cet endroit ou qu’ils ont sciemment omis de respecter l’engagement de ne pas retourner le chien sur le territoire de la Municipalité.
  27.        Le Tribunal ne croit pas les demandeurs lorsqu’ils témoignent qu’ils n’ont eu aucun contrôle sur le fait que le 27 août le chien Kaya se retrouvait à la résidence d’Olivier Gauthier et Sabrina Lelièvre.
  28.        Les demandeurs affirment que depuis qu’ils ont adopté Kaya en novembre 2022, celui-ci reste avec eux à leur domicile. Cependant, il arrive que leur fils Olivier prenne le chien et l’amène chez lui, comportement sur lequel ils n’ont aucun contrôle. Le Tribunal ne les croit pas.
  29.        M. Gauthier affirme qu’à la suite de l’« adoption » du chien Kaya en novembre 2022, il autorise Olivier et Sabrina à ce que Kaya demeure à la résidence des demandeurs. Toutefois, il ajoute du même coup qu’Olivier avait ses obligations personnelles, mais qu’à un moment donné, il fallait que Kaya retourne à Lanoraie.
  30.        Il confirme de plus qu’en mars 2023, alors qu’il est en vacances à l’extérieur du pays, Olivier et Sabrina gardent Kaya à leur résidence sur le territoire de Lanoraie. Il n’est pas question ici qu’Olivier ait pris Kaya à l’insu ou hors du contrôle des demandeurs, mais plutôt qu’ils ont accepté que Kaya demeure chez Olivier et Sabrina pendant qu’ils sont en vacances à l’extérieur du pays en mars 2023.
  31.        Par ailleurs, le 27 août 2024, lorsque les préposés de Carrefour Canin effectuent la saisie de Kaya, Cinthia Roy est informée par Mme Sabrina Lelièvre que Kaya est en sa possession car ses beaux-parents sont en vacances[44]. À nouveau, Kaya se retrouve sur le territoire de la Municipalité non pas parce qu’Olivier aurait amené le chien à sa résidence à l’insu et hors du contrôle des demandeurs, mais plutôt à leur demande.
  32.        De plus, lorsque M. Gauthier est interrogé au sujet du fait que Mme Lelièvre mentionne à Cynthia Roy le 27 août 2024 qu’elle garde Kaya parce que ses beauxparents sont en vacances, il est incapable d’expliquer pourquoi elle a affirmé cela.
  33.        Par ailleurs, il ressort de l’extrait suivant du contre-interrogatoire de M. Gauthier, qu’au mois d’août 2024, le chien Kaya passe ses journées au Garage Performance alors que la nuit, il retourne systématiquement à Lanoraie pour passer la nuit à la résidence d’Olivier et Sabrina : 

Q Le matin du 27 août, le chien il est où?

R Lanoraie.

Q Il est à Lanoraie. Le 26 août, il est où?

R Garage.

Q OK. Qu’est-ce qui fait qu’il passe du garage entre le 26 et le 27?

R Parce qu’il l’a emmené chez eux.

Q Il l’a emmené chez eux le 26 ou le 27?

R Il a dû l’emmener le 26 au soir, parce que le 27 au matin il était là.

Q Non, mais vous, avez-vous été témoin de ça? Avez-vous vu votre fils partir avec le chien?

R Non, je le vois pas partir. Parce qu’on part pas toujours à la même heure et parfois il part avant, mais il va pas chez lui, mais là il est allé chez lui avec le chien.

Q OK. Donc, disons le 26 au soir ou le 27, bref, votre fils Olivier a les clés du garage à ce moment-là…

R C’est normal.

Q … le chien est là il passe la nuit là seul?

R Non. Bien là, je peux pas répondre. Le chien il s’est ramassé au, à Lanoraie le 27 au matin, mais le chien c’est sûr qu’il a probablement pas passé la nuit au garage. Je sais pas. Honnêtement, je ne peux pas répondre à ça parce que je ne suis pas mon fils. Il a 34 ans.

Q Je comprends. Je vais vous poser une autre question. En temps normal, le chien quand il est au garage dans le jour, est-ce qu’il est aussi là la nuit?

R Non, il est pas là la nuit.

Q OK. Où il va la nuit?

R La nuit il va à Lanoraie.

Q OK. Donc il passe la journée, il passe la journée au garage…

R Il passe la journée au garage du matin au soir. Le soir, il rentre dans la maison à Lanoraie et il revient le matin. Mais ce matin-là, il est resté à Lanoraie. Sabrina probablement elle voulait le faire, je sais pas, je peux pas répondre là-dessus, je peux pas répondre pour elle. Pourquoi il est resté à Lanoraie ce matin-là, je le sais pas.

R Parce que normalement, tous les jours il est au garage.

Q OK. Pour vous, c’est de respecter l’ordonnance ça de dire que le chien est là, il est pas dans la municipalité le jour mais il est là la nuit?

[Soulignement du Tribunal]

  1.        Les demandeurs savent depuis novembre 2022, sinon depuis juin 2021, que Kaya ne peut se trouver à la résidence d’Olivier et Sabrina Lelièvre.
  2.        Or, la présence du chien Kaya au [...] à Lanoraie le 27 août 2024 n’est pas un acte isolé ou unique. La preuve révèle que depuis 2023, les demandeurs permettent que Kaya se trouve à cet endroit à plusieurs reprises.
  3.        Voilà un autre élément qui amène le Tribunal à conclure au caractère intentionnel de leur geste le 27 août 2024.
  4.        Considérant l’ensemble de la preuve, les témoignages des demandeurs ne soulèvent pas un doute raisonnable sur la question de savoir s’ils ont intentionnellement commis un acte interdit par l’Ordonnance du 9 mars.
  5.        La preuve retenue par le Tribunal démontre hors de tout doute raisonnable qu’ils ont intentionnellement contrevenu à l’Ordonnance du 9 mars le 27 août 2024 lorsqu’il permettent que Kaya se retrouve au [...] à Lanoraie.

Conclusion

  1.        La Municipalité a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction en ce qui concerne le premier chef de l’ordonnance de comparaître pour outrage au tribunal et les demandeurs seront déclarés coupables.
  2.        Le Tribunal prononcera un arrêt des procédures en ce qui concerne le deuxième chef d’accusation vu le principe de l’arrêt Kienapple[45].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.        DÉCLARE les demandeurs coupables du premier chef d’accusation de l’ordonnance à comparaître pour outrage au tribunal datée du 17 octobre 2024;
  2.        PRONONCE un arrêt des procédures en ce qui concerne le deuxième chef d’accusation de l’ordonnance pour comparaître pour outrage au tribunal datée du 17 octobre 2024.

 

 

 

 

__________________________________

ENRICO FORLINI, J.C.S.

Me Jean Yianakis

Avocat des demandeurs/intimés

 

Me Hubert Girard

Roy et Asselin inc.

Avocat de la Municipalité de Lanoraie et de Carrefour Canin

 

Date d’audience :

16 avril 2025

 


[1]  L’Ordonnance du 9 mars 2023 est un jugement rendu par la Cour supérieure en cette date par lequel la Cour homologue une transaction intervenue le même jour entre, d’une part les demandeurs, et d’autre part, la Municipalité et Carrefour Canin, et ordonne aux parties de s’y conformer.

[2]  R-2 : Règlement relatif aux animaux (no 110-2021).

[3]  L’article 20 du Règlement énonce :

 20. Dans un endroit public, un chien doit en tout temps être sous le contrôle d’une personne capable de le maîtriser.

 Sauf dans une aire d’exercice canin ou lors de sa participation à une activité canine, notamment la chasse, une exposition, une compétition ou un cours de dressage, un chien doit également être tenu au moyen d’une laisse d’une longueur maximale de 1,85 m. Un chien de 20 kg et plus doit en outre porter en tout temps, attaché à sa laisse, un licou ou un harnais.

[4]  R-3 : Jugement du 22 juin 2021 de la Cour municipale de la MRC de D’Autray dans le dossier 09218.

[5]  R-1 : Acte de transfert de possession et d’adoption du 8 novembre 2022.

[6]  R-4 : Courriel du 7 mars 2023 de Mme D. Aubert (directrice du Carrefour Canin) à Me Nolin.

[8]  R-5 : Transaction.

[9]  R-5 : Ordonnance du 9 mars qui homologue la Transaction.

[10]  R-6 : Billet d’intervention de Carrefour Canin du 27 août 2024.

[11]  R-7 : Fiche de récupération d’un animal.

[12]  Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, paragr. 33-35; Voir aussi art. 61 al. 2 C.p.c. quant au fardeau de preuve.

[13]  2016 CSC 44, paragr. 25.

[14]  Id.

[15]  2013 QCCS 5700.

[16]  Carey c. Laiken, 2015 CSC 17 (CanLII), [2015] 2 RCS 79, paragr. 34; Autorité des marchés financiers c. Matthews, 2010 QCCA 563, paragr. 17-19. Montréal (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, section locale 301), 2016 QCCS 5052, paragr. 61-70.

[17]  2025 QCCA 136.

[18]  R. c. W.(D.), [1991] 1 RCS 742 ; Voir aussi : R. c. C.L.Y., 2008 CSC ; R. c. Dinardo, 2008 CSC 24 ; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51.

[19]  R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 82; Sarrazin c. Québec (Procureur général), 2010 QCCA 996.

[20]  Id.

[21]  R. c. Paradis, 2019 QCCA 1703, paragr. 11.

[22]  Foomani c. R., 2023 QCCA 232, paragr 73.

[23]  R. c. Kruk, 2024 CSC 7, paragr. 72. 

[24]  Caron c. R., 2007 QCCA 1569, paragr. 86; Trottier-Turcotte c. R., 2024 QCCQ 171, paragr. 92; Prévost c. R., 2023 QCCQ 11101, paragr. 22.

[25]  R-1 : Acte de transfert de possession et d’adoption du 8 novembre 2022.

[26]  D-1 : Acte de cession du 23 novembre 2024.

[27]  [1985] 1 R.C.S. 570, p. 584.

[28]  2019 CSC 15 (CanLII), [2019] 2 RCS 3.

[29]  Id.

[30]  Le Tribunal souligne qu’à l’origine, M. Gauthier affirme que c’est Simon Barbeau qui l’appelle. Ce n’est qu’après moult questions suggestives de son avocat qu’il se corrige et qu’il indique que l’appel provient de Me Nolin.

[31]  R-5 : Transaction.

[32]  R-5 : Ordonnance du 9 mars.

[33]  R-9 : Lettre de la Municipalité du 24 mai 2023 adressée aux demandeurs.

[34]  R-9 : Procès-verbal de signification de la lettre du 24 mai 2023.

[35]  Structures Métropolitaines (SNI) inc. c. Dai, 2017 QCCQ 10144.

[36]  2010 QCCA 563.

[37]  Id.

[38]  Bhatnager c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), 1990 CanLII 120 (CSC), [1990] 2 RCS 217.

[39]  Municipalité de Sainte-Adèle c. Société en commandite Sommet Bleu, 2020 QCCA 246, paragr. 19.

[40]  Custeau c. Marcheterre, 2020 QCCA 1300.

[41]  R-3.

[42]  P-6 : Billet d’intervention du Carrefour Canin du 27 août 2024.

[43]  R-7 : Fiche de récupération.

[44]  R-6 : Billet d’intervention du 27 août 2024.

[45]  [1975] 1 RCS 729.

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