Décision

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Benoit Tremblay Entrepreneur général inc. c. Garage Martin Gaudreault inc.

2024 QCCS 4550

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHARLEVOIX

 

 :

240-17-000529-236

 

DATE :

13 décembre 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE LISE BERGERON, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

BENOIT TREMBLAY ENTREPRENEUR GÉNÉRAL INC.

Demanderesse

 

c.

 

GARAGE MARTIN GAUDREAULT INC.

Défenderesse/défenderesse en garantie

 

et

 

LES ÉBOULEMENTS (MUNICIPALITÉ DE)

Défenderesse/demanderesse en garantie

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

  1.                 Soutenant être le plus bas soumissionnaire conforme, à la suite d’un appel d’offres public de la Municipalité des Éboulements pour le déneigement d’une partie de son territoire, la demanderesse, Benoit Tremblay Entrepreneur Général inc. (BT Entrepreneur Général) requiert l’annulation du contrat accordé à la défenderesse Garage Martin Gaudreault inc. (Garage Martin Gaudreault) et réclame des défenderesses une somme de 77 533,75 $ pour perte de profits.
  2.                 Alors que la Municipalité des Éboulements soutient que son processus d’appel d’offres est conforme, se portant demanderesse en garantie, elle demande que le soumissionnaire retenu, Garage Martin Gaudreault, soit tenu de l’indemniser à l’égard de quelque condamnation que ce soit, le cas échéant.

CONTEXTE

  1.                 La demanderesse est une entreprise œuvrant dans le domaine de l’excavation, du déneigement et de l’opération de machinerie lourde.
  2.                 En plus de machinerie lourde (loader, chargeur sur roues, camions), elle est propriétaire d’une sablière située non loin de son établissement, sur la route du Fleuve, dans la Municipalité des Éboulements.
  3.                 Benoit Tremblay, son président, œuvre dans le domaine de l’excavation et du déneigement depuis 27 ans.
  4.                 Alors que le déneigement du secteur Cap-aux-Oies[1] est réalisé depuis plusieurs années par la demanderesse et que le contrat arrive à terme, la Municipalité des Éboulements lance, le 7 juillet 2022, un appel d’offres public pour le déneigement de cette partie de son territoire pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024[2].
  5.                 Deux (2) soumissionnaires répondent à cet appel d’offres : la demanderesse, BT Entrepreneur Général, et la défenderesse Garage Martin Gaudreault.
  6.                 Au terme de cet appel d’offres, Garage Martin Gaudreault présente le prix le plus bas, soit 289 500 $, alors que BT Entrepreneur Général propose un prix de 319 000 $.
  7.                 Le 27 juillet 2022, à l’ouverture des soumissions, Benoit Tremblay est présent en même temps que la directrice générale de la Municipalité des Éboulements, madame Linda Gauthier, responsable de ce processus, accompagnée d’une employée de la Municipalité, madame Mariane Duchesne.
  8.            Comme le veut le processus, la directrice générale annonce le nom du plus bas soumissionnaire, sous réserve de la vérification de conformité des soumissions reçues.
  9.            Ainsi, elle demande au directeur adjoint du service des travaux publics, monsieur Patrick Bouchard, qui a participé à l’élaboration de l’appel d’offres, de s’assurer de la conformité des soumissions, en plus de faire elle-même son propre examen.
  10.            Il est utile de mentionner qu’à l’appel d’offres pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024, un changement important est apporté au devis, comparativement à ceux des années précédentes.
  11.            En effet, dans leurs témoignages, autant le directeur que le directeur adjoint du département des travaux publics relatent que, contrairement aux années précédentes, le soumissionnaire doit avoir en sa possession deux (2) camions chasse-neige au lieu d’un (1) seul à titre de matériel minimalement requis pour exécuter le travail, soit un (1) camion de 10 roues avec sens unique, aile de côté et équipé d’une sableuse d’une capacité de neuf (9) verges minimum et un (1) camion complémentaire avec sens unique, aile de côté et équipé d’une sableuse d’une capacité de six (6) verges minimum[3].
  12.            Le jour même, après l’ouverture des soumissions, Benoit Tremblay communique avec Patrick Bouchard, le directeur adjoint aux travaux publics. Il lui fait part de son mécontentement, à la suite de l’ouverture des soumissions, en l’informant que Garage Martin Gaudreault a obtenu, l’année précédente, un contrat de déneigement avec la Municipalité de Saint-Irénée et qu’il soupçonne, vu les exigences du devis de l’appel d’offres pour le secteur Cap-aux-Oies, qui exigent maintenant deux (2) camions chasse-neige, que Garage Martin Gaudreault ne possède pas l’équipement nécessaire pour répondre aux exigences de l’appel d’offres, alors que celle-ci assure déjà le déneigement dans la municipalité voisine.
  13.            Dans cet intervalle, Linda Gauthier obtient la confirmation des travaux publics qu’autant la soumission de Garage Martin Gaudreault que celle de BT Entrepreneur Général sont conformes.
  14.            C’est dans ce contexte, forte de sa vérification de conformité, que la directrice générale prépare les documents nécessaires et une recommandation d’attribution par le conseil municipal pour qu’il soit décidé, à sa prochaine séance, que le contrat de déneigement de Cap-aux-Oies, pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024, soit attribué à Garage Martin Gaudreault.
  15.            À la suite de ses soupçons, Benoit Tremblay demande une rencontre avec le maire de la Municipalité, alors que, parallèlement, il fait des démarches pour obtenir divers documents des municipalités des Éboulements et de Saint-Irénée pour confirmer ses doutes à l’égard des exigences de matériel et d’équipement de chacun des contrats de déneigement.
  16.            Le conseil municipal des Éboulements accepte, à sa séance du 1er août 2022, par la résolution 53-08-22, d’accorder à Garage Martin Gaudreault, soit le plus bas soumissionnaire conforme, le contrat de déneigement pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024 pour le secteur Cap-aux-Oies[4].
  17.            C’est postérieurement à l’adoption de cette résolution que Benoit Tremblay rencontre le maire des Éboulements et l’informe qu’il est d’avis que la soumission de son concurrent n’est pas conforme[5].
  18.            Il est au fait des exigences du devis de Saint-Irénée contenu à l’appel d’offres, ayant lui-même soumissionné pour ce contrat de déneigement, qui a été attribué à Garage Martin Gaudreault l’année précédente.
  19.            Or, le devis de Saint-Irénée exige, selon lui, le maintien, sur le territoire de la Municipalité de Saint-Irénée, des chasse-neige utilisés pour le déneigement. Garage Martin Gaudreault ne possède pas assez d’équipement pour répondre en même temps aux exigences du devis de la Municipalité de Saint-Irénée et de celui des Éboulements.
  20.            Dans son témoignage, le maire, Pierre Tremblay, relate avoir demandé une vérification à ce moment.
  21.            Toutefois, après avoir requis cette vérification à la directrice générale, Linda Gauthier, celle-ci lui revient et confirme que la soumission de Garage Martin Gaudreault est conforme. Le maire en informe Benoit Tremblay, tel que convenu.
  22.            Le contrat de déneigement du secteur Cap-Aux-Oies pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024 est signé le 13 septembre 2022 par Garage Martin Gaudreault[6].
  23.            Benoit Tremblay, dans ce contexte, poursuit ses démarches pour obtenir des municipalités de Saint-Irénée et des Éboulements les documents pour confirmer et prouver ses doutes.
  24.            Après certains délais et difficultés pour obtenir les documents des municipalités[7], Benoit Tremblay constate que l’article 4.1 du contrat de déneigement accordé à Garage Martin Gaudreault pour Saint-Irénée oblige deux (2) chasse-neige et que la politique de gestion contractuelle de cette municipalité exige que les camions soient laissés sur son territoire[8] :

4.1 MATÉRIEL REQUIS

L’adjudicataire doit avoir à sa disposition tout le matériel requis et approprié pour l’exécution des travaux prescrits par les clauses du présent devis. Tous ces matériels doivent être maintenus en bon état de marche, toujours être disponibles et remisés, si possible, dans des garages chauffés commodément situés sur les circuits à entretenir.

 

La Municipalité de Saint-Irénée OBLIGE l’adjudicataire à avoir deux (2) chasse-neiges en service sur le territoire de la municipalité, et ce, en tout temps et durant toute la durée du contrat.[9]

[Reproduction textuelle]

[Nos soulignements]

  1.            Le contrat des Éboulements oblige quant à lui la disponibilité de tout le matériel stipulé au devis dès le début de la saison contractuelle et pendant toute la durée de celle-ci[10] :

3.3 Équipements requis pour l’exécution du contrat et disponibilité

Aux fins de l’exécution du contrat, le soumissionnaire doit avoir en sa possession (ou la propriété), au moment du dépôt de sa soumission, le matériel disponible (le matériel et les équipements qu’il utilisera pour la réalisation du contrat), tel que décrit à l’article 12 des présentes.

Le soumissionnaire doit fournir une liste complète du matériel et des équipements en sa possession, indiquant la marque et le modèle de chacun d’eux, avec les numéros de série et la preuve d’immatriculation et d’assurance. Le défaut de produire la liste requise entraîne le rejet de la soumission.

La Municipalité se réserve le droit de vérifier la possession par le soumissionnaire des équipements exigés avant d’octroyer le permis; l’absence de vérification ne constitue pas une renonciation de la Municipalité à l’exigence de possession des équipements. Une fausse déclaration entraînera le rejet automatique de la soumission.[11]

[Nos soulignements]

  1.            Connaissant les équipements dont dispose Garage Martin Gaudreault, Benoit Tremblay poursuit ses démarches pour obtenir les documents manquants de la Municipalité de Saint-Irénée pour, entre autres, comparer les numéros de série des véhicules.
  2.            Se butant toutefois au refus de la Municipalité de Saint-Irénée, ce n’est qu’à la suite de l’introduction de la demande que des informations complémentaires sont communiquées à Benoit Tremblay à ce sujet[12].
  3.            C’est dans ce contexte que Benoit Tremblay constate que Garage Martin Gaudreault a acquis ou loué des équipements pour pouvoir réaliser le contrat des Éboulements, alors que, au moment de la soumission, ce sont les équipements devant demeurer sur le territoire de la Municipalité de Saint-Irénée qui ont été indiqués.
  4.            Identifiant une faute civile et une manœuvre trompeuse de Garage Martin Gaudreault, alors qu’elle avise à plusieurs reprises Les Éboulements de la non-conformité de la soumission de celle-ci, la demanderesse demande que soit déclaré nul le contrat de déneigement et que les défenderesses soient condamnées à payer 77 533,75 $, soit la perte de profits pour l’hiver 2022-2023[13].

POSITION DES PARTIES

  1.            Pour la demanderesse, Garage Martin Gaudreault a commis une faute civile en déclarant, dans sa soumission, les numéros d’immatriculation des chasse-neige déjà utilisés l’hiver précédent pour le déneigement sur le territoire de Saint-Irénée.
  2.            Puisque Garage Martin Gaudreault n’est pas propriétaire, au moment du dépôt de sa soumission, d’autres équipements (chasse-neige) correspondant aux exigences du devis des Éboulements, compte tenu de l’exigence de la Municipalité de Saint-Irénée de maintenir dans les limites de son territoire les chasse-neige utilisés pour le déneigement, elle fait une déclaration fausse et trompeuse.
  3.            De plus, informée, par les soupçons annoncés de BT Entrepreneur Général avant la séance du conseil, qui accorde le contrat au plus bas soumissionnaire, de la non disponibilité des équipements dénoncés dans les documents de soumission de Garage Martin Gaudreault, parce qu’ils sont requis pour l’exécution du contrat de déneigement qui lui est accordé par la Municipalité de Saint-Irénée, la Municipalité des Éboulements devait approfondir ses vérifications et constater que les équipements inclus à la soumission étaient les mêmes que ceux utilisés pour le contrat de déneigement de Saint-Irénée.
  4.            En conséquence, l’absence de vérification de la Municipalité des Éboulements sur un élément clé de la soumission entraîne la responsabilité de celle-ci.
  5.            Le contrat doit être annulé, la soumission contenant de « fausses déclarations », l’équipement requis et annoncé étant non disponible.
  6.            La preuve par le témoignage du président de BT Entrepreneur Général démontre une perte de profits de 61 580,81 $[14]. Les défenderesses doivent être condamnées à payer cette somme, en plus des intérêts.
  7.            La défenderesse Garage Martin Gaudreault conteste. Elle soutient que BT Entrepreneur Général ne peut requérir la nullité du contrat de déneigement, s’agissant du contrat « B ». S’appuyant sur les principes juridiques établis à cet égard, elle rappelle qu’une fois le contrat « B » conclu, soit le contrat visant l’exécution du déneigement par Garage Martin Gaudreault (le plus bas soumissionnaire conforme), les soumissionnaires non retenus n’ont pas l’intérêt requis pour demander la nullité d’un contrat auquel ils ne sont pas parties.
  8.            Elle soutient que non seulement BT Entrepreneur Général ne peut s’ingérer dans l’exécution du contrat « B », mais la défenderesse est en droit de soumissionner en indiquant les mêmes équipements que ceux utilisés à Saint-Irénée l’hiver précédent, alors que la substitution d’équipements n’est pas interdite au contrat de Saint-Irénée et ne l’empêche aucunement, dans le cadre de l’exécution du contrat de la Municipalité des Éboulements, de s’entendre avec celle-ci pour la substitution des équipements, le cas échéant.
  9.            Les équipements sont, par ailleurs, disponibles au moment du dépôt de la soumission pour les Éboulements et conformes aux exigences.
  10.            Finalement, outre que la demande en dommages est exagérée, il n’existe aucun lien de causalité entre la prétendue faute (fausse déclaration) et le préjudice. BT Entrepreneur Général ne démontre pas que la fausse déclaration (qui n’est pas admise), si elle existe, lui aurait permis de produire une soumission à un prix inférieur.
  11.            Quant à la Municipalité des Éboulements, elle soutient avoir respecté les principes d’équité entre les soumissionnaires, alors que Garage Martin Gaudreault a présenté la soumission la plus basse conforme.
  12.            BT Entrepreneur Général n’a pas l’intérêt juridique pour demander la nullité du contrat, s’agissant notamment du contrat « d’exécution » (contrat « B »), alors qu’il est établi que seul le soumissionnaire s’étant vu attribuer le contrat (Garage Martin Gaudreault) et, dans ce cas, la Municipalité (donneur d’ouvrage), sont liés par le contrat « d’exécution ».
  13.            Par ailleurs, non seulement la soumission de Garage Martin Gaudreault est conforme, celle-ci ayant déposé une liste d’équipements ainsi que les certificats d’immatriculation exigés confirmant la possession de ceux-ci, mais, au surplus, l’article exigeant de maintenir disponibles les équipements ne concerne que le contrat « B », alors que la Municipalité n’a aucune obligation d’effectuer des vérifications supplémentaires pour s’assurer de la conformité en communiquant avec la municipalité voisine et aller au-delà des vérifications de conformité de la soumission par une enquête quelconque, ce qui, par ailleurs, pourrait rompre l’équité entre soumissionnaires.
  14.            Finalement, outre que BT Entrepreneur Général n’a pas démontré ses dommages par une preuve prépondérante, si le Tribunal devait retenir un manquement des Éboulements, c’est plutôt Garage Martin Gaudreault qui en est responsable, en ayant déposé une soumission qu’elle savait contenir des non-conformités, le cas échéant.
  15.            Ainsi, elle doit être celle à qui incombe le paiement de toute condamnation.

ANALYSE

  1.            Dans son témoignage à l’audience, le directeur des travaux publics indique que c’est à la suite de plaintes et de discussions avec son directeur adjoint qu’il est décidé d’exiger un deuxième camion chasse-neige pour l’appel d’offres de déneigement du secteur Cap-aux-Oies pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024.
  2.            Les témoignages de Patrick Bouchard et de Grégoire Bouchard démontrent que ce secteur est très abrupt, présentant des pentes de 12, 13, voire 14 % et exigeant une surveillance constate quant à la qualité de l’entretien pour éviter toute rupture de celui-ci ou encore des délais à celui-ci, pouvant mener à la fermeture de ces chemins.
  3.            C’est pourquoi le devis de l’appel d’offres pour les hivers 2022-2023 et 2023-2024 exige un deuxième camion chasse-neige.
  4.            À cet égard, l’article 12 de la section Devis technique de l’appel d’offres se lit ainsi :

12 LISTE DU MATÉRIEL ET DES ÉQUIPEMENTS MINIMUM REQUIS

Quantité

Type de matériel et équipement

1

Camion 10 roues avec sens unique et aile de côté et équipé d’une sableuse d’une capacité de neuf (9) verges (minimum)

1

Camion complémentaire avec sens unique et aile de côté et équipé d’une sableuse d’une capacité de six (6) verges (minimum)

1

Souffleur 1 500 à 2 000 tm/h

Le matériel et les équipements doivent être disponibles en permanence, pendant la durée de la saison, du 15 octobre au 15 mai sur un site appartenant ou loué par l’entrepreneur. Un bâtiment où le premier camion sera entreposé du 1er novembre à la fin de l’hiver avec une réserve de sable sur place pour que le camion soit en service le plus rapidement possible. En cas de prévision de chute de neige, de verglas ou de pluie verglaçante dans les quinze (15) jours qui précèdent ou qui suivent ces dates, l’adjudicataire doit rendre ce matériel et ces équipements disponibles afin de réaliser les travaux prévus au contrat.

[Reproduction textuelle]

[Nos soulignements]

  1.            De même, les articles 2.13 et 3.3 des documents d’appel d’offres prévoient ce qui suit :

2.13 ÉVALUATION DES SOUMISSIONS

L’évaluation des soumissions, quant à la validité ou à leur conformité, est faite à partir des seuls documents ou renseignements fournis par le soumissionnaire, conformément aux exigences des documents d’appel d’offres.

Toutefois, en vertu des licences, des permis ou d’autres certifications ou autorisations sont requis en vertus de la loi pour l’exécution du contrat, la Municipalité se réserve le droit, à sa seule discrétion, de procéder à des vérifications avant l’adjudication du contrat. S’il appert que le soumissionnaire ne détient pas ces licences, permis, certificats ou autorisations, sa soumission sera rejetée.

(…)

3.3 ÉQUIPEMENTS REQUIS POUR L’EXÉCUTION DU CONTRAT ET DISPONIBILITÉ

Aux fins de l’exécution du contrat, le soumissionnaire doit avoir en sa possession (ou la propriété), au moment du dépôt de sa soumission, le matériel disponible (le matériel et les équipements qu’il utilisera pour la réalisation du contrat), tel que décrit à l’article 12 des présentes.

Le soumissionnaire doit fournir une liste complète du matériel et des équipements en sa possession, indiquant la marque et le modèle de chacun d’eux, avec les numéros de série et la preuve d’immatriculation et d’assurance. Le défaut de produire la liste requise entraîne le rejet de la soumission.

La Municipalité se réserve le droit de vérifier la possession par le soumissionnaire des équipements exigés avant d’octroyer le permis; l’absence de vérification ne constitue pas une renonciation de la Municipalité à l’exigence de possession des équipements. Une fausse déclaration entraînera le rejet automatique de la soumission.[15]

[Nos soulignements]

  1.            C’est dans ce contexte qu’à l’audience, Patrick Bouchard relate qu’à la suite de l’ouverture des soumissions, la directrice générale lui demande, le lendemain de l’ouverture, le 29 juillet 2022, de valider la conformité à l’égard des équipements exigés.
  2.            Ainsi, Patrick Bouchard relate faire la vérification des certificats d’enregistrement et de la validité des assurances pour les équipements exigés et informer la directrice générale de la conformité de ceux-ci[16].
  3.            Dans son témoignage, Patrick Bouchard ajoute qu’il ne fera pas de vérification ultérieure et qu’il n’est pas en mesure de confirmer si Garage Martin Gaudreault utilise ou non les équipements pour le déneigement, notamment les camions Western Star et Kenworth mentionnés aux documents de sa soumission[17].
  4.            La preuve à l’audience, par le témoignage de Martin Gaudreault, démontre qu’au moment de la soumission, Garage Martin Gaudreault détient une entente auprès de ferme Joseph-Edmond Boudreault pour la location d’un camion 10 roues de marque International[18], équipement pour lequel un contrat de location en bonne et due forme est signé le 6 octobre 2022.
  5.            Dans son témoignage, Martin Gaudreault indique que c’est lui-même, avec sa conjointe, qui prépare les soumissions.
  6.            Il repère, sur le système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (SEAO), à l’été 2022, l’appel d’offres pour le déneigement du secteur Cap-aux-Oies, secteur qu’il convoite, y ayant déjà fait le déneigement.
  7.            Bien qu’il ait obtenu, pour son entreprise, le contrat de déneigement, l’année précédente, pour une durée de cinq (5) ans, dans la municipalité voisine[19], Martin Gaudreault prépare une soumission pour l’appel d’offres de Cap-aux-Oies et indique, dans l’annexe requis indiquant la liste des équipements exigés, les deux (2) mêmes camions chasse-neige utilisés l’hiver précédent pour le contrat de déneigement de la Municipalité de Saint-Irénée.
  8.            Dans son témoignage, il précise que son intention n’est pas de faire le déneigement avec ces deux (2) camions pour le contrat de Cap-aux-Oies. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il prend entente avec Ferme Joseph-Edmond Boudreault pour louer un camion 10 roues[20] et qu’il est déjà propriétaire (ou son entreprise), en plus des camions chasse-neige Western Star 2002 gris et Kenworth 2002 bleu, d’un camion chasse-neige Kenworth 1987.
  9.            Par ailleurs, ce n’est que le 3 août 2022, postérieurement au dépôt de la soumission pour le déneigement du secteur Cap-aux-Oies, qu’il devient propriétaire d’un camion chasse-neige Western Star 2003 blanc[21].
  10.            Dans ce contexte, Martin Gaudreault relate utiliser, pour l’exécution du contrat de déneigement du secteur Cap-aux-Oies, les camions chasse-neige Western Star 2003 blanc et International 9OS 1997 en location avec Ferme Joseph-Edmond Boudreault.
  11.            Pour ce qui est de la Municipalité de Saint-Irénée, il utilise les camions chasse-neige Kenworth 2002 et Western Star 2002 gris[22].
  12.            Dans ce contexte, le Tribunal doit décider si la soumission de Garage Martin Gaudreault est conforme, alors qu’elle inclut, dans sa liste des équipements requis, les camions chasse-neige Western Star 2002 gris et Kenworth 2002 bleu, dont elle est propriétaire, alors que ces équipements ont été et seront utilisés par Garage Martin Gaudreault pour la réalisation du contrat de déneigement dans la municipalité voisine, Saint-Irénée.

La Municipalité des Éboulements a-t-elle accepté une soumission non conforme?

  1.            Comme le rappelle la Cour d’appel du Québec dans R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville de), la conformité d’une soumission déposée dans le cadre d’un appel d’offres s’apprécie en fonction des documents d’appel d’offres :

[27]           Certes, la Ville jouit d'une certaine latitude dans l'analyse de la conformité des soumissions. Ainsi, il faut éviter de l'astreindre à un formalisme qui battrait en brèche les avantages du recours aux soumissions publiques. En revanche, cette latitude ne l'autorise pas à accepter une soumission qui comporte une irrégularité majeure de nature à saper les règles énoncées précédemment et que le législateur a privilégiées. Autrement dit, la faculté reconnue à la ville d'accepter des soumissions qui comportent des irrégularités mineures, ne s'étend pas aux irrégularités majeures, à l'égard desquelles la Ville n'a aucune discrétion, et qui doivent, sous peine de nullité, entraîner le rejet de la soumission :

La municipalité doit avoir la latitude nécessaire afin que le contrat soit accordé en fonction du meilleur intérêt des contribuables. Comme les tribunaux l'ont déjà souligné : « Il existe une obligation non pas envers le plus bas soumissionnaire, mais envers le trésor public qui ne doit jamais être tenu de payer, sans une bonne raison, un prix plus élevé que nécessaire.» Si un doute se présente sur la conformité d'une soumission, il faut favoriser l'offre comportant le meilleur prix pour la municipalité. Mais dans la recherche de cet objectif, la municipalité ne doit pas affecter les principes de l'appel d'offres en faisant preuve de favoritisme et en rompant l'égalité entre les soumissionnaires. En d'autres termes, une municipalité peut faire preuve d'une certaine souplesse dans l'examen du cahier des charges et des soumissions, mais pas au point de causer un préjudice à certains soumissionnaires. C'est pourquoi la jurisprudence distingue entre les irrégularités mineures qui ne portent pas atteinte aux objectifs de l'appel d'offres et celles qui touchent les objectifs fondamentaux du processus d'adjudication par voie de soumissions. La discrétion municipale ne peut s'exercer que pour la première catégorie d'irrégularités.

Lorsqu'il s'agit d'une irrégularité majeure qui met en cause les principes qui sont à la base du processus d'adjudication des contrats municipaux par voie de demande de soumissions, la municipalité ne peut permettre aucune correction et doit refuser la soumission en la jugeant non conforme. Bref, une municipalité ne peut mettre de côté une exigence essentielle de l'appel d'offres.

[28]           Pour qualifier une irrégularité de mineure ou de majeure, le facteur déterminant est celui de l'égalité des soumissionnaires. L'irrégularité ne doit pas avoir d'effet sur le prix de la soumission; elle ne doit pas avoir rompu l'équilibre entre les soumissionnaires, l'un des principes directeurs en matière d'adjudication de contrat par voie de soumissions publiques :

Le souci d'assurer l'égalité entre les soumissionnaires et de ne pas favoriser injustement l'un d'entre eux constitue souvent l'élément déterminant en ce qui concerne la qualification d'une irrégularité comme secondaire ou accessoire ou comme portant sur un élément essentiel : il ne faut pas que l'omission ou l'erreur commise ait un effet sur le prix de la soumission ou sur une exigence de fond contenue à l'appel d'offres.[23]

[Soulignements dans l’original]

[Références omises]

  1.            Quant aux principes d’interprétation, l’honorable Carole Hallée, j.c.s., écrit, dans Constructions Gagné & Fils inc. c. Hydro-Québec :

[42]           Quelques principes de base méritent d’être rappelés.

[43]           Les droits et obligations des parties doivent être analysés à la lumière des dispositions contenues dans les documents d’appel d’offres et des dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans le cas d’appel d’offres public.

[44]           En cas de litige sur le contenu des documents d’appel d’offres, le Tribunal doit en interpréter les dispositions selon les règles usuelles. Il doit rechercher la volonté des parties en examinant les éléments intrinsèques des documents, les circonstances propres à l’espèce, les usages et l’équité.

[45]           Si des doutes subsistent sur le sens à donner à une disposition des documents d’appel d’offres et du contrat, c’est le donneur d’ouvrage qui en est l’auteur qui devra en souffrir les inconvénients et la disposition devra alors être interprétée en faveur du soumissionnaire puisqu’il sera considéré comme un adhérent.

[46]           Le maintien de l’équilibre entre les soumissionnaires est un élément essentiel pour assurer la validité du processus d’appel d’offres. Le donneur d’ouvrage doit respecter les conditions d’adjudication du contrat prévues dans les documents d’appel d’offres et ne doit pas adjuger le contrat à un soumissionnaire dont l’offre n’est pas conforme aux documents d’appel d’offres.[24]

  1.            Dans le cas en l’espèce, ce sont notamment les articles 3.3 et 12 du devis qui indiquent les conditions d’adjudication de la soumission des Éboulements :
  • Les équipements requis doivent être en possession du soumissionnaire au moment du dépôt de la soumission, tel que requis à l’article 12, soit les deux (2) chasse-neige, et le soumissionnaire doit fournir la liste des équipements avec les numéros de série et les certificats d’immatriculation et d’assurances.
  1.            Dans le cas en l’espèce, Garage Martin Gaudreault s’est conformée à ces aspects. Elle a fourni l’annexe et l’information requises, alors qu’elle est propriétaire des équipements, notamment des deux (2) chasse-neige, au moment du dépôt de la soumission et que ceux-ci rencontrent les exigences (nombre d’essieux, capacité, équipements accessoires) exigées à l’article 12 du devis d’appel d’offres.
  2.            Les défenderesses réfèrent toutes deux (2), dans leur argumentation, aux principes énoncés dans l’arrêt Double N Earthmovers Ltd c. Edmonton (Ville de)[25], à l’appui de leurs prétentions.
  3.            Dans un jugement mettant en cause une réclamation en dommages pour un soumissionnaire déchu à la suite d’un appel d’offres public, l’honorable Jean-François Émond, j.c.s., résume ainsi les principes de cet arrêt et fait les parallèles qui suivent avec l’affaire dont il est saisi :

[88]        En juin 1986, la Ville d’Edmonton lance un appel d’offres pour la fourniture de machines et de conducteurs. Les conditions de l’appel d’offres prévoient que les machines proposées doivent être obligatoirement des modèles de 1980 ou plus récents et que le défaut de se conformer à cette exigence peut entraîner le rejet des soumissions. L’entreprise qui produit la plus basse soumission, Sureway Construction of Alberta Ltd, propose des machines qui, aux yeux de la Ville [et de la Cour], remplissent cette exigence de sorte que le contrat «B» lui est adjugé. Toutefois, après que le contrat «B» lui ait été adjugé, Sureway informe la Ville que l’une des machines ne sera pas celle décrite à sa soumission. Qui plus est, cette machine ne remplit pas les conditions établies lors de l’appel d’offres en ce qu’elle est antérieure à 1980. Malgré cette lacune, la Ville ne dit mot ni n’agit. L’un des soumissionnaires rivaux, Double N Earthmovers, ne voit pas les choses du même œil. Étant d’avis que l’inaction de la Ville, à ce stade, venait compromettre le principe d’égalité entre les soumissionnaires qui doit prévaloir dans le cadre du contrat «A», i.e. au moment d’évaluer la conformité des soumissions, Double N Earthmovers la poursuit et lui réclame sa perte de profits.

[89]        Le tribunal de première instance, la Cour d’appel et la Cour suprême ont tous écarté la position défendue par Double N Earthmovers.

[90]        Pour leur part, les juges majoritaires de la Cour suprême ont estimé que le geste reproché à la Ville, soit son inaction devant le fait que l’une des machines, en plus d’être différente de celle visée à la soumission, ne respectait pas les conditions du devis, avait été posé dans le cadre de l’exécution du contrat «B», soit le contrat de service intervenu entre la Ville et l’adjudicataire Sureway, lequel contrat ne concernait pas les autres soumissionnaires ayant répondu à l’appel d’offres. Voici comment les juges Abella et Rothstein s’expriment à ce sujet :

Ce dont se plaint Double N (la levée par la Ville de l’exigence de fournir un modèle 1980) est survenu après la formation du contrat B. Le contrat A est exécuté dès lors que le propriétaire procède à une évaluation équitable et passe un contrat B fondé sur les conditions énoncées dans les documents d’appel d’offres. Ainsi, le propriétaire est entièrement libéré de ses obligations envers les soumissionnaires non retenus. Le contrat B est un contrat distinct qui ne s’applique pas aux soumissionnaires non retenus. Dans Ron Engineering, le juge Estey a déclaré qu’« il faut préserver l’intégrité du mécanisme d’appel d’offres chaque fois qu’il est possible de le faire en vertu du droit des contrats » (p. 121 (nous soulignons)). En droit des contrats, Double N ne peut exiger l’annulation d’un contrat auquel elle n’est pas partie, dans le but de préserver l’intégrité d’un mécanisme d’appel d’offres qui, par définition, a pris fin au moment de la formation du contrat B.

Si l’une des parties au contrat B ne respecte pas ses engagements, l’autre partie peut invoquer les droits et recours qui s’offrent à elle aux termes du contrat et en common law. Les soumissionnaires peuvent être tenus de respecter leurs engagements, sinon le propriétaire peut avoir le droit d’annuler le contrat. Ce sont ces recours qui servent de mesures dissuasives contre la présentation de soumissions trompeuses, puisque, en l’absence de collusion, les soumissionnaires ne peuvent savoir comment le propriétaire réagira. Si le propriétaire estime qu’il est dans son intérêt de lever une condition du contrat, il a le droit contractuel de le faire, sauf stipulation contraire dans le contrat.  […]

[91]        Bien que les faits de cet arrêt se distinguent de ceux de la présente affaire, principalement en ce que la substitution des équipements qui s’est ici opérée dans le contrat «B» respectait les termes du devis, il demeure que les enseignements de la Cour nous indiquent qu’un soumissionnaire ne peut, une fois que le donneur d’ouvrage a de bonne foi accepté une soumission valide, faire valoir de recours contre lui, si le soumissionnaire adjudicataire ne respecte pas ses obligations dans le cadre du contrat «B». En un tel cas, le manquement ne concerne que les parties au contrat «B», soit le donneur d’ouvrage et le soumissionnaire adjudicataire. À cet égard, la conclusion des juges Abella et Rothstein est fort explicite :

Nous jugeons que la soumission de Double N a été traitée équitablement tout au long de l’appel d’offres.  La soumission de Sureway proposait des machines à première vue conformes et elle pouvait être acceptée par la Ville.  Celle-ci ne s’est pas rendu compte de la tromperie de Sureway avant d’accepter sa soumission ni n’a agi de connivence avec elle durant l’appel d’offres de manière à traiter les autres soumissionnaires injustement. Une fois que la Ville a accepté l’offre de Sureway de lui fournir des machines conformes, la violation de cet engagement de la part de Sureway est une question qui ne regarde que ces deux parties. La Ville pouvait prendre les mesures qu’elle jugeait indiquées relativement aux obligations de Sureway.

[92]        C’est sans doute ce qui explique le choix de CC d’instituer un recours fondé exclusivement sur les règles de la responsabilité extracontractuelle, contre Excavation LMR, à l’exclusion de la Ville de Saguenay.

*      *      *

[93]        Ainsi, en prenant pour acquis qu’un tel recours s’avère possible, CC devait, pour avoir gain de cause, démontrer la faute de LMR et de son président, en l’occurrence la tromperie dont ils auraient fait preuve en présentant des soumissions qu’ils savaient fausses, de même que le lien de causalité entre cette faute et le dommage qu’elle prétend avoir subi.[26]

[Soulignements dans l’original]

[Caractères gras ajoutés]

  1.            Il est intéressant de noter les similitudes du présent recours avec celui des Entreprises CC c. Excavation LMR ci-avant cité, où les soumissionnaires étaient tenus de fournir, avec leur soumission, au moment du dépôt de celle-ci, une liste d’équipements utilisés pour réaliser ce contrat « d’entassement des neiges usées » dans un dépôt dédié, en indiquant la marque, le modèle et l’année de fabrication des équipements.
  2.            De plus, l’entrepreneur adjudicataire avait l’obligation de fournir, dans un délai de de cinq (5) jours, à la suite de l’ouverture des soumissions, un titre de propriété ou une promesse d’achat des équipements figurant sur la liste.
  3.            Excavation LMR, le plus bas soumissionnaire retenu, a procédé à l’acquisition des trois (3) machines qu’elle allait utiliser pour exécuter le contrat. Toutefois, plutôt que d’acquérir celles décrites dans les promesses d’achat jointes à la soumission, elle a acquis, avec l’autorisation de la Ville, d’autres équipements équivalents répondant aux exigences du devis.
  4.            Ainsi, bien qu’il s’agisse d’équipements différents de ceux de la soumission, le Tribunal ne conclut pas à une fausse déclaration ou à une déclaration trompeuse contrevenant au devis.
  5.            Pour réussir dans son recours, BT Entrepreneur Général devait démontrer la déclaration fausse ou trompeuse. Or, il n’en est rien et la demanderesse, par sa preuve à l’audience, ne réussit pas à convaincre d’une telle déclaration.
  6.            Au moment où Garage Martin Gaudreault complète les documents de soumission, elle est propriétaire des équipements mentionnés à ses document et contrat et ces équipements correspondent aux exigences du devis.
  7.            Par ailleurs, non seulement il n’y a pas lieu de tenir compte des exigences du contrat de la municipalité voisine, pour lequel aucun lien de droit ne peut être fait à l’analyse de la soumission relative à l’appel d’offres des Éboulements, au surplus, rien n’interdit la substitution des équipements en cours d’exécution du contrat, en autant qu’ils rencontrent les exigences du devis.
  8.            De plus, bien qu’il ne s’agisse pas de faire l’analyse des documents d’appel d’offres des contrats « A » et « B » pour le déneigement de Saint-Irénée, la preuve, par le témoignage du contremaître des travaux publics de Saint-Irénée permet de comprendre que la substitution d’équipements n’est pas interdite et que Garage Martin Gaudreault peut tout aussi bien respecter et honorer le contrat de Saint-Irénée en changeant ceux-ci[27].
  9.            L’analyse de la conformité d’une soumission ne peut exiger de s’immiscer dans la gestion et l’organisation de l’entreprise soumissionnaire.
  10.            L’analyse, tel que mentionné précédemment, doit s’en tenir aux documents d’appel d’offres.
  11.            Or, dans le cas en l’espèce, les équipements mentionnés à l’annexe de la soumission sont conformes aux exigences et Garage Martin Gaudreault en est propriétaire. Les équipements sont assurés et immatriculés au nom de celle-ci.
  12.            Le témoignage de Martin Gaudreault et la preuve documentaire démontrent que les déclarations à l’annexe de la soumission relative aux équipements ne sont ni fausses, ni trompeuses.
  13.            Dans le cadre de l’analyse de conformité à laquelle doit se prêter la Municipalité, on ne peut lui exiger de recourir à des informations externes aux processus tels les documents d’appel d’offres de la Municipalité voisine, alors qu’aucun de ces éléments ne fait partie des documents d’appel d’offres.
  14.            Exiger de la municipalité défenderesse de communiquer avec la municipalité voisine n’est non seulement pas une obligation ou une exigence, mais emprunter cette voie peut même avoir pour conséquence de contrevenir à la règle de l’égalité des soumissionnaires.
  15.            La Cour d’appel, dans l’arrêt Orthofab, rappelle d’ailleurs le principe selon lequel le donneur d’ouvrage n’a pas à enquêter sur la véracité des déclarations des soumissionnaires :

[23]        La prémisse de l’appelante selon laquelle certains soumissionnaires pourraient déclarer faussement s’être conformés aux exigences particulières et ainsi obtenir un contrat ne peut fonder l’apparence de droit qu’elle invoque.

[24]        D’ailleurs, dans Double N Earthmovers ltd. c. Edmonton (Ville), tant les juges majoritaires que minoritaires se sont dits d’avis que le donneur d’ouvrage n’a pas l’obligation implicite d’enquêter sur la véracité des déclarations des soumissionnaires. Voici ce qu’en disent les juges Abella et Rothstein :

Comme il n’y avait pas d’obligation expresse de vérifier, avant l’acceptation de la soumission, les machines proposées, il faut se demander s’il existe une obligation implicite de le faire.

À notre avis, le propriétaire n’est pas implicitement tenu de vérifier si les soumissionnaires respecteront vraiment les engagements qu’ils ont pris dans leur soumission. Nous approuvons le commentaire suivant fait par le juge Russell au nom de la Cour d’appel :

[Traduction] Imposer aux propriétaires l’obligation de vérifier si les soumissionnaires respecteront les modalités de leurs soumissions aurait pour effet de gêner le bon fonctionnement du mécanisme d’appel d’offres et d’y faire obstacle finalement en créant des incertitudes fâcheuses.

L’idée que le propriétaire doit vérifier les soumissions est bien loin de comporter le degré d’« évidence » nécessaire pour faire partie des intentions présumées des « parties elles-mêmes ». Les parties n’ont aucune raison de s’attendre à ce que le propriétaire vérifie si un soumissionnaire se conformera aux exigences puisque chaque soumissionnaire y est tenu en droit en cas d’acceptation de sa soumission. Il importe peu que le soumissionnaire puisse ou non, au moment de la présentation de sa soumission, respecter ses engagements étant donné

 

 

qu’il a l’obligation en droit de le faire au moment de l’acceptation de sa soumission.[28]

[Références omises]

[Nos soulignements]

  1.            Ainsi, la demanderesse ne convainc pas que Garage Martin Gaudreault, en complétant l’annexe pour les équipements requis à l’appel d’offres et en identifiant les camions chasse-neige Western Star 2002 et Kenworth 2002, dont elle est propriétaire, fait une fausse déclaration, bien que ces équipements aient été utilisés l’hiver précédent pour réaliser le déneigement à Saint-Irénée.
  2.            De plus, on ne peut exiger de la Municipalité d’enquêter sur la véracité des déclarations, de faire une enquête approfondie et encore moins de valider auprès d’un tiers, soit la municipalité voisine, la disponibilité d’équipements.
  3.            Finalement, dans Double N Earthmovers Ltd c. Edmonton (Ville), la Cour suprême écrit à ce sujet :

47 Pour démontrer l’existence de l’obligation de procéder à une vérification, Double N a signalé le droit de la Ville d’inspecter le matériel, lequel est prévu dans les documents d’appel d’offres.  La clause 11 des Exigences relatives aux machines dispose :

[traduction] Inspection : Toute machine proposée peut faire l’objet d’une inspection [. . .] visant à vérifier si elle est conforme aux normes de sécurité, si elle est adaptée pour être utilisée à la décharge et si les conditions de l’accord de location de la machine sont respectées.

Cette clause prévoit toutefois le droit, mais non l’obligation, de procéder à une inspection.  En outre, le type d’inspection qui y est envisagée ne révélerait pas nécessairement la date de fabrication du modèle.  Ainsi, cette clause n’aide en rien Double N.

48  Double N a également mentionné la clause 9 des Conditions de l’appel d’offres, qui prévoit :

[traduction] Le matériel fourni aux termes du présent appel d’offres demeure la propriété du soumissionnaire retenu jusqu’à ce qu’il y ait inspection et utilisation du matériel et/ou du service et que la Ville les juge satisfaisants.  Ils doivent être conformes aux conditions stipulées dans les présentes, respecter en tous points le cahier des charges et être de la plus haute qualité.  Si elle juge inacceptables ou non conformes au cahier des charges le matériel et/ou le service qui lui sont fournis, la Ville se réserve le droit d’annuler la commande, en tout ou en partie, sur avis écrit au soumissionnaire retenu, et de lui retourner, aux frais de ce dernier, le produit ou une partie du produit.

Là encore, il ne faut pas confondre conférer le droit d’inspecter et imposer l’obligation de procéder à une vérification.  En outre, la clause 9 est libellée de manière à permettre l’annulation d’un bon de commande, ce qui laisse entendre que c’est seulement après l’adjudication du contrat qu’on vérifie si le matériel proposé est conforme au cahier des charges.

49 Comme il n’y avait pas d’obligation expresse de vérifier, avant l’acceptation de la soumission, les machines proposées, il faut se demander s’il existe une obligation implicite de le faire.

(…)

52 L’obligation de traiter tous les soumissionnaires « équitablement et sur un pied d’égalité » a été reconnue dans Martel, en partie parce qu’elle a été jugée « compatible avec l’objectif de protéger et de promouvoir l’intégrité du mécanisme d’appel d’offres ».  Double N insiste plutôt sur l’intégrité des soumissionnaires.  Quant au mécanisme d’appel d’offres, il est entièrement protégé par l’obligation de traiter toutes les soumissions équitablement. Le meilleur moyen pour le propriétaire de s’assurer que toutes les soumissions sont traitées de façon équitable est de les évaluer d’après leur contenu réel et non en fonction des renseignements révélés ultérieurement.

53 Enfin, contrairement à ce qu’a laissé entendre Double N, les allégations des soumissionnaires rivaux ne contraignent pas les propriétaires à vérifier les autres soumissions.  Une telle pratique encouragerait des attaques injustifiées et injustes de la part de soumissionnaires rivaux et amènerait les propriétaires à traiter les soumissionnaires de manière inéquitable.  L’intégrité du mécanisme d’appel d’offres s’en trouverait compromise au lieu d’être affermie.[29]

[Références omises]

[Soulignements dans l’original]

[Caractères gras ajoutés]

  1.            Ainsi, c’est avec raison que la Municipalité déclare conforme la soumission de Garage Martin Gaudreault, ne pouvant agir autrement.
  2.            Par ailleurs, la demanderesse ne démontre pas que Garage Martin Gaudreault fait une déclaration trompeuse et, ainsi, la faute, l’un des éléments de la responsabilité civile, ici extracontractuelle, étant absente (art. 1457 C.c.Q.), il n’y a pas lieu d’en dire davantage pour rejeter la demande en dommages.
  3.            La demanderesse, dans ses conclusions, requiert que le Tribunal déclare nul le contrat. Non seulement, vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de le déclarer nul, mais, au surplus, le Tribunal est d’avis, comme l’indique l’auteur André Langlois dans son traité, alors qu’il réfère également à l’arrêt Double N, que la demanderesse n’a pas l’intérêt juridique pour faire une telle demande, s’agissant du contrat « B » :

La Cour suprême, dans un jugement majoritaire rendu à cinq juges contre quatre, a décidé qu’un donneur d’ouvrage qui donne un contrat fondé sur les conditions énoncées dans les documents d’appel d’offres était entièrement libéré de ses obligations envers les soumissionnaires et que ceux-ci ne peuvent demander l’annulation d’un contrat auquel ils ne sont pas parties. Elle a conclu que le donneur d’ouvrage pouvait modifier le contrat et accepter ainsi de lever une condition expressément prévue dans les documents d’appel d’offres lors de l’exécution du contrat, sans que l’on puisse prétendre que cela va à l’encontre de l’obligation de traiter équitablement les soumissionnaires.[30]

[Références omises]

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            REJETTE la demande;
  2.            AVEC LES FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

LISE BERGERON, j.c.s.

 

Me Antonin Roy

REXLEX Avocats inc.

Avocats de la demanderesse

 

Me Michel Perreault

Perreault Avocat (2015) inc.

Avocats de la défenderesse/défenderesse en garantie

 

Me Patrick Bérubé

Tremblay Bois Mignault Lemay

Avocats de la défenderesse/demanderesse en garantie

 

Date d’audience :

10 au 12 septembre 2024

 


[1]  C’est ainsi que toutes les parties décrivent le contrat de déneigement pour le secteur comprenant le chemin Cap-aux-Oies, le rang Cap-aux-Oies, le chemin Saint-Thomas et le rang Saint-Antoine est et ouest.

[2]  Voir les pièces P-4 et P-8.

[3]  D’autres équipements sont à prévoir dans le cadre de cet appel d’offres, mais ne font pas l’objet du litige.

[4]  Voir la pièce P-7.

[5]  Bien que la résolution pour accorder le contrat de déneigement à Garage Martin Gaudreault soit du 1er août 2022 (pièce P-7), le contrat de déneigement est signé en date du 13 septembre 2022 (pièce DGM-1).

[6]  Voir la pièce DGM-1.

[7]  La Municipalité des Éboulements transmet, le 14 septembre 2022, à la suite de la demande de Benoit Tremblay du 29 août 2022, les documents recherchés par celui-ci, alors qu’il se bute à un refus de la part de la Municipalité de Saint-Irénée; voir les pièces P-11 à P-14.

[8]  Voir la pièce P-3, art. 4.1, p. 34 des pièces, et art. 7, p. 38 des pièces.

[9]  Id., art. 4.1, p. 34 des pièces.

[10]  Voir la pièce P-8, article 12, pour la liste du matériel requis.

[11]  Id., p. 137 des pièces.

[12]  Voir les pièces P-19 et DGM-2.

[13]  Voir la demande introductive d’instance du 10 janvier 2023 et la demande introductive d’instance remodifiée du 12 septembre 2024, dans laquelle la demande de la conclusion de condamnation solidaire est abandonnée.

[14]  Montant modifié en plaidoirie : voir le calcul annexé au plan de plaidoirie et le procès-verbal du 12 septembre 2024, jour 3 de l’audience.

[15]  Voir la pièce P-8, p. 135 et 137.

[16] Voir l’annexe 2 jointe à la soumission de Garage Martin Gaudreault, pièce P-11, p. 178-179, et la pièce P-6, p. 79-89.

[17]  Voir la pièce P-6, p. 82 des pièces.

[18]  Camions 10 roues International 90S 1997 avec équipement de déneigement, sens unique, aile de côté et sableuse 12 verges; voir le témoignage de Martin Gaudreault le 10 septembre 2024, jour 1 de l’audience, vers 14 h 50, et la pièce DMG-2 : contrat de location du 6 octobre 2022 et facture/contrat du 8 novembre 2022.

[19]  Voir les pièces P-3 et P-15, p. 218.

[20]  Voir la pièce DMG-2 et le témoignage de Martin Gaudreault le 10 septembre 2024, jour 1 de l’audience, vers 14 h 50.

[21]  Voir les pièces P-15 et DMG-2.

[22]  Voir la pièce DMG-2 et le témoignage de Martin Gaudreault le 10 septembre 2024.

[23]  R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville de), J.E. 2004-1072.

[24]  Constructions Gagné & Fils inc. c. Hydro-Québec, 2013 QCCS 2960.

[25]  Double N Earthmovers Ltd. c. Edmonton (Ville), 2007 CSC 3.

[26]  9056-8841 Québec inc. (Entreprises CC) c. 2852-6648 Québec inc. (Excavation LMR)*, 2014 QCCS 228.

[27]  Voir le témoignage de monsieur Patrice Girard le 11 septembre 2024, jour 2 de l’audience.

[28]  Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2015 QCCA 810; voir également Éric OLIVIER, coll. Émie DUBUC, « Choix du soumissionnaire », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit public – Droit municipal », Règles d’adjudication, fasc. 16, Montréal, LexisNexis Canada, no 111, à jour le 29 juillet 2024 (LAd/QL).

[29]  Réf. Note préc. 25.

[30]  André LANGLOIS, Les contrats municipaux par demandes de soumissions, 4e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018, p. 425.

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