LSJPA — 2514 | 2025 QCCA 468 | |||
COUR D’APPEL | ||||
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
SIÈGE DE QUÉBEC | ||||
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N° : | ||||
(200-03-025572-199) | ||||
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DATE : | 17 avril 2025 | |||
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X | ||||
APPELANT – accusé | ||||
c. | ||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | ||||
INTIMÉ – poursuivant | ||||
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MISE EN GARDE : Interdiction de publication : la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA ») interdit de publier le nom d’un adolescent ou d’un enfant ou tout autre renseignement de nature à révéler soit qu’il a fait l’objet de mesures prises sous le régime de cette loi, soit qu’il a été victime d’une infraction commise par un adolescent ou a témoigné dans le cadre de la poursuite d’une telle infraction, sauf sur ordonnance ou autorisation du tribunal (articles 110(1) et 111(1) LSJPA). Quiconque contrevient à ces dispositions est susceptible de poursuite criminelle (article 138 LSJPA).
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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| ÉRIC HARDY, J.C.A. | |
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Me Maxime Hébert Lafontaine | ||
LATOUR, DORVAL | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Hugo Breton Me Mario Giroux | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 11 avril 2024 | |
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MOTIFS DE LA JUGE GAGNÉ |
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D’emblée, pt me dit qu’il va bien, mais qu’il regrette ce qu’il a fait hier et qu’il est « un peu déçu ». Lorsque questionné sur ce qui est arrivé, pt me répond : « J’ai pris un couteau, je l’ai planté dans le cou à maman, elle a perdu tout son sang, elle est morte ». Lorsque questionné sur sa compréhension de la mort, il me répond que mourir « c’est aller au ciel ». Il me parle des funérailles et que le corps se retrouve dans un cercueil.
Il soulève l’idée que des gens pourraient être fâchés contre lui parce qu’il a tué sa mère, mais il me dit qu’il n’est pas certain.
Il me demande ensuite s’il va avoir des conséquences. Pt décrit avoir fait une crise impulsive lorsque sa mère lui a demandé de lâcher son jeu vidéo. Pt indique avoir d’abord frappé sa mère à coups de poing et à coups de pied. Elle lui aurait demandé d’arrêter, mais X dit ne pas avoir été capable de s’arrêter. Il me dit : « J’aurais voulu arrêter, mais j’étais trop fâché ». X m’explique qu’à ce moment, il aurait fait des menaces de mort à sa mère. C’est ensuite qu’il serait allé chercher un couteau et qu’il aurait attaqué sa mère a/n du cou. Pt incapable de préciser comment la suite des événements sont survenus. Il dit se rappeler que sa mère criait à l’aide et qu’elle s’est dirigée vers le couloir de l’immeuble. X indique qu’il aurait continué d’agresser sa mère durant ce temps. Selon X, des voisins au loin lui auraient crié de « lâcher sa mère » et ce seraient eux qui auraient appelé le 911. X se serait alors réfugié ds la salle de bain. Il me dit : « J’ai verrouillé les portes pour pas que les policiers entrent ». Ensuite, X m’indique avoir appelé son intervenant du CRDI. Ce dernier lui aurait dit de rester calme sur place. Lorsque je questionne clairement la compréhension de X sur le bien et le mal, il me répond : « Je sais que ce n’est pas bien de tuer quelqu’un ». Par contre, il ne sait pas pourquoi il ne s’est pas arrêté. Pt nie que les idées hétéro-agressives étaient présentes ds les derniers jours ou même, le matin même. Pt indique que hier matin, il était content de voir sa mère, n’était pas en colère contre elle et n’avait pas d’idées de vengeance. Il indique [que] son agressivité est survenue rapidement lorsque sa mère lui a retiré son jeu. Il me dit même : « Je suis un petit vite moi! ».
[…] La projection ds le futur est limitée, car le patient se demande ce qu’il va arriver ds les circonstances.[6]
[…]
À l’histoire, [pas] de tableau psychotique, [pas] évidence d’idées délirantes persécutoires, mystiques ou grandioses. Pt nie hallucinations auditives (mandatoires ou non). Il me répond même : « C’est moi à l’intérieur qui a dit de tuer ma mère ». [Pas] hallucinations visuelles non plus. […]
En fin d’entrevue, pt renomme qu’il regrette son geste et se dit conscient qu’il est trop tard. […][7]
[Transcription textuelle]
[84] De prime abord, l’enquêteur Simard lui rappelle les raisons de sa présence au poste de police et le questionne quant au motif de son arrestation :
Par l’accusé (13 h 26) :
R. Je suis arrêté parce que j’ai pas essayé de tuer ma mère, j’ai tué ma mère !
[…]
Par l’enquêteur Simard (13 h 28) :
Q. Toi là, c’est quoi un meurtre pour toi, selon toi ?
R. Un meurtre c’est tuer, couteau, fusil, mais ça peut être aussi quelqu’un qui a pu de souffle, ou mettre de l’huile à fondue dessus et le flamber.
[…]
Q. Moi, j’aimerais ça en fin de compte X que tu m’expliques du début jusqu’à la fin, qu’est-ce qui s’est passé hier, commence ta journée à partir du centre, hier matin, toute la journée, de ta mémoire ?
Par l’accusé :
R. Ça bien été au centre, ça veut dire euh… voyons. Je pars avec maman, je vais m’acheter un iPod Touch de 32 gig chez Costco, euh, iPod y m’obligeait de mettre un code, ce n’est pas moi que j’ai mis, c’est le iPod qui m’a obligé à mettre un code, pis euh… voyons…
Q. Après l’iPod, qu’est-ce que t’as fait ?
R. Y’avait comme un des, un genre de carré gris, non, sur mes lettres, voyons sur mes numéros. Pis là, maman elle pensait que, maman y pensait que j’ai bloqué mon code, mais c’était pas bloqué, pis euh, là, maman, voyons, elle m’a dit d’arrêter, j’ai dit non euh là, j’ai dit non façon bête, ça veut dire.
Après, quand maman y m’a dit d’arrêter, j’ai arrêté pis après ça, pis après ça j’ai frappé maman jusqu’à tant que y’aille pu d’énergie pis après ça j’ai sorti un gros couteau à steak ça d’épais (en désignant l’épaisseur avec ses doigts) pis là j’ai fait tac!, dans (en portant rapidement son poing fermé à son cou), non attend ah, je saute des étapes là.
Q. Prends ton temps, on n’est pas pressé.
R. Là, maman, ça se passait sur le divan en train d’écouter la TV.
Pis là, maman est ouvert la porte d’en avant, est pas descendu au deuxième, est resté au troisième pis crié tellement fort que le gens y ont entendu, tous les gens du bloc a dit : À l’aide ! Appelez la police ! C’est maman qui dit ça, pis après ça, les gens du deuxième étage y’ont appelé la police pis après ça, avant que la police y’arrive évidemment j’ai eu le temps d’aller chercher un couteau pis faire ça (en portant à nouveau son poing fermé au cou) pis après, avant que la police y arrive j’ai eu le temps de défoncer une porte d’un voisin, mais y’était pas là, je voulais aller me cacher, mais en fin de compte j’avais pas assez de cachettes pis en fin de compte, j’ai choisi, j’ai pris le téléphone à maman, j’ai été m’enfermer dans la chambre de bain, la porte barrée pis j’ai appelé [Intervenante 1] du côté de [l’Unité A].
Pis ? J’ai tout raconté ou c’est pas mal tout ?
Q. Après ça, qu’est-ce qui s’est passé, après ça, avec les policiers ?
R. Les policiers ont dit : Sort de la chambre de bain ! Pis j’ai sorti pis euh, [Intervenante 1] était encore au téléphone. Les policiers ont regardé si y avait encore quequ’un, je le sais pas si c’est moi ou si c’est [Intervenante 1] qui a raccroché, mais y’avait pu personne sur la ligne, pis là, la police y m’a mis au sol avec des menottes pis après ça, y’a m’a mis une couverture jaune pour pas que je me fasse filmer la face pour pas que ça passe à TVA aux nouvelles pour pas que j’aille en prison.
Après j’ai embarqué dans l’ambulance, avec des menottes, habillé ceinture aux pieds, aux bras, après ça j’ai arrivé au, voyons, comment ça s’appelle dont, la place ? Ah oui ! Au CHUL de Québec.
J’ai pas mal tout raconté.
Q. Comment ils ont été avec toi les policiers ?
R. Quand même gentils, pas fait mal.
Oui, les policiers répondaient à toutes mes questions, pour pas que le policier reçoive un coup de poing dans la face.
Q. Mais le policier t’as-tu expliqué pourquoi il t’a mis les menottes ?
R. Question de sécurité.
Q. Sais-tu pourquoi il t’arrêtait ?
R. Oui, j’ai demandé pourquoi il m’arrêtait il m’a dit il t’arrête parce que j’ai tué ma mère ou j’ai fait une tentative de meurtre.
[85] Puis, à la suite d’une pause, l’enquêteur Simard poursuit l’interrogatoire et demande à l’accusé de relater à nouveau ce qui s’est passé au moment où survient un problème avec son iPod :
Par l’accusé (15 h 25) :
R. Là, maman y m’a dit j’ai joué dans les réglages pour fucker mon iPod, maman y pensait que c’était bloqué, en fin de compte c’était pas bloqué, maman m’a dit de lâcher, j’ai dit oui, après ça, j’ai frappé, après ça quant y a pu eu d’énergie, après ça maman est allée sortir, est restée au troisième étage pis criée : À l’aide ! Appelez la police !
Après ça j’ai allé chercher un couteau pour (porte son poing fermé à son cou d’un geste rapide) pour faire pisser le sang.
Après ça j’ai défoncé la porte d’un locataire, mais il était pas là, j’avais le gout cacher dans chambre de bain… prendre le téléphone à maman pis j’ai l’ai pas fait… J’ai rentré dans un appartement à moi ou à maman.
J’ai pris le téléphone, j’ai m’en allé dans la chambre de bain, j’ai barré la porte, j’ai appelé du côté [de l’Unité A], ah oui, j’ai oublié une étape : j’ai barré toutes les portes pour pas que la police y rentre. J’ai barré la porte de la chambre de bain. Les polices ont dit : Sort de la chambre de bain ! Après ça la police, j’ai donné le téléphone à la police, après ça la police m’a mis au sol avec des menottes.
[…]
Q. Tu dis j’ai frappé ma mère jusqu’à tant qu’elle ait pu d’énergie ?
R. Oui c’est ça.
Q. Pourquoi tu l’as frappé ta mère, tu le sais-tu pourquoi ?
R. Je le sais pas, je le sais vraiment pas…
Q. Pis quand tu dis tu l’as frappé, tu l’as frappé où ?
R. Frappé euh, n’importe où : dans le visage, sur le nez, les dents, ici (désigne la tempe) n’importe où, sur les ongles, dans le dos, n’importe où.
Q. Tu m’expliques qu’elle était au troisième étage ?
R. Non, moi j’ai frappé sur le divan pis après ça, maman avait encore de l’énergie pour se lever pis se dépêcher à ouvrir la porte, crier : À l’aide ! Appelez la police ! C’est après que là j’ai tout de suite sorti le couteau, pour (porte son poing fermé à son cou), faire sortir le sang. C’est ça, ouin.
Q. Parle-moi du couteau ? Qu’est-ce que tu, tu te rappelles tantôt, tu m’as expliqué les coups de poing, tu m’as expliqué où, tu te rappelles-tu où t’as donné des coups de couteau ?
R. Dans le cou, jusqu’à tant qu’elle perd son sang… pis ça doit être à cause de ça qu’est morte, à cause elle a tellement perdu de sang, que y doit avoir perdu connaissance pis est morte, c’est ça.
Q. Tu sais pas pourquoi? Qu’est-ce que tu te rappelles quand t’as donné des coups de couteau à ta maman ?
R. J’étais fâché pis je voulais pas que maman m’enlève le iPod des mains, c’est pour ça que je l’ai frappé. J’ai pas aimé ça qu’elle prenne le iPod dans mes mains.
Q. Explique-moi ça ?
R. Maman a pris iPod dans mes mains, tu vas le bogger pis moi j’ai dit ça va pas le bogger. Elle comprenait pas. J’ai pas aimé ça prendre le iPod des mains.
Après ça, je l’ai frappé n’importe où.
Q. Pis après, pourquoi tu l’as frappé, elle est sortie à l’extérieur pourquoi t’as pris un couteau ?
R. Euhhh, j’étais fâché pis je voulais pas qu’elle aille le temps d’appeler la police, mais elle a eu le temps… elle a eu le temps.
[86] Au terme de l’interrogatoire, l’enquêteur Simard demande à l’accusé s’il est capable de distinguer ce qui est bien et ce qui est mal :
Par l’accusé (15 h 34) :
R. Le bien, c’est genre faire un cadeau, acheter du chocolat, un cadeau euh… acheter une rose, un iPod, pis le mal c’est genre frapper, tuer euhhh ouin, c’est ça !
[87] Aux questions de l’enquêteur quant à sa blessure à la main, l’accusé lui explique, en mimant d’un coup vers le bas, devant lui, qu’il s’agit d’un accident avec le couteau :
Par l’accusé (15 h 39) :
R. J’ai été chanceux, c’est profond, ça a failli toucher à mes… (l’accusé cherche ses mots)… nerfs, oui c’est ça !
[88] Quant à ses égratignures sur le bras, l’accusé mentionne :
Par l’accusé (15 h 40) :
[89] Ceci constitue l’intégralité des aveux de l’accusé à l’enquêteur Simard.
[Soulignement et italiques dans l’original; renvoi omis; transcription textuelle]
[110] L’autopsie fait état de deux types de lésions traumatiques : par objets contondants ou par un instrument piquant et tranchant.
[111] Dans le premier cas, la victime présente plusieurs contusions au visage, soit sur la tempe, le front, l’arcade sourcilière et en haut du nez, dont une lacération de la gencive supérieure, de son frein et de la face interne de la lèvre inférieure, causée, selon le pathologiste, possiblement par un impact subi alors que la prothèse dentaire supérieure de la victime était encore en place.
[112] Ces blessures ne sont pas à l’origine du décès.
[113] Quant aux autres lésions, le pathologiste énumère quatorze plaies distribuées à la tête, au tronc avec atteinte au poumon gauche et aux membres supérieurs. Les plaies aux poignets et aux mains sont considérées comme des plaies de défense.
[114] Sur le dessus de la tête : une coupure à la peau de 8 cm, une autre derrière, de 1 cm, mais ayant fracturé le crâne sur toute son épaisseur à cet endroit, et une autre, de 3 cm de longueur et de 2.5 cm de profondeur, ayant piqué l’os du crâne.
[115] La quatrième plaie d’une profondeur de 12.5 cm se situe à la joue droite : d’une longueur de 4 cm, elle transperce et coupe la langue à sa partie supérieure, la pointe de l’objet s’étant arrêtée à la face interne de l’autre joue.
[116] La victime présente au thorax une plaie d’une profondeur de 4.2 cm, dont l’objet piquant a enfoncé le poumon causant une hémorragie interne dans sa cavité pleurale.
[117] Une autre plaie, d’une longueur de 2.5 cm, se situe devant l’épaule gauche.
[118] Dans le dos, la victime présente une coupure de 3 cm et dont l’objet piquant a été enfoncé dans le corps à une profondeur de 6 cm, ayant fracturé une vertèbre cervicale.
[119] Une plaie d’une profondeur de 8 cm est présente sur la fesse.
[120] Le pathologiste conclut que la mort a été causée par un polytraumatisme par objet piquant et tranchant.
[Italiques dans l’original; renvois omis]
***
[L]a question de la capacité de formuler l’intention est plus large que celle qui consiste à déterminer la présence ou non de cette intention. En effet, si en raison d’un désordre mental quelconque, un accusé est incapable de former une intention, on peut conclure de façon automatique qu’il n’a pas formé cette intention. Le contraire n’est pas nécessairement vrai. Ce n’est pas parce que l’anomalie mentale n’empêche pas la capacité de former toute intention qu’on doit nécessairement conclure que, de fait, l’accusé a formé une intention spécifique. On peut aisément imaginer des situations où une maladie mentale, sans affecter la capacité d’un individu de former cette intention, puisse de fait l’avoir empêché de la former lors de la commission de l’infraction.[22]
Meurtre 229. L’homicide coupable est un meurtre dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) la personne qui cause la mort d’un être humain : (i) ou bien a l’intention de causer sa mort, (ii) ou bien a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non; […] | Murder 229. Culpable homicide is murder
(a) where the person who causes the death of a human being (i) means to cause his death, or (ii) means to cause him bodily harm that he knows is likely to cause his death, and is reckless whether death ensues or not; […] |
[49] Une déclaration de culpabilité pour meurtre exige une intention subjective, parce qu’il s’agit d’une infraction qui « entraîne les stigmates et la peine les plus sévères qui soient pour un crime dans notre société ». La loi exige la prévisibilité subjective de la mort, étant donné que la responsabilité criminelle en cas de meurtre, qui est la plus lourde qui soit, n’est justifiée que lorsque l’auteur du crime possède un état d’esprit coupable relativement à ce résultat. Ainsi, la stigmatisation et les peines sévères associées au meurtre sont réservées à « ceux qui ont choisi de causer intentionnellement la mort ou d’infliger des lésions corporelles dont ils savaient qu’elles étaient susceptibles de causer la mort ».[26]
[Renvois omis]
[4] Comme nous le constaterons ci-après, le débat est circonscrit à la seule question de savoir si la condition mentale de l’accusé le rendait incapable de juger de la nature et de la qualité des gestes reprochés.
[9] Préalablement à l’analyse de la défense de troubles mentaux, le Tribunal doit déterminer si la poursuite s’est déchargée de son fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, les éléments matériels de l’infraction, soit l’actus reus.
Un exercice qui, selon elle, aura une incidence sur la question en litige :
[12] Cet exercice nous permettra également d’être en mesure d’apprécier si le récit des événements, tels que rapportés par l’accusé, tenant compte de ses diagnostics et limitations intellectuelles, est fiable ou non. Nous verrons que cela aura une incidence lors de l’analyse de la question en litige.
[140] L’analyse de la défense de non-responsabilité criminelle procède en deux étapes :
- le rendait « incapable de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais »;
ou
- le rendait « incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission ».
[141] En l’espèce, le litige est délimité à ce dernier volet uniquement. En effet, la question portant sur la présence de « troubles mentaux » n’est pas en litige puisque la poursuite reconnaît que la déficience intellectuelle légère affectant l’accusé correspond à la définition jurisprudentielle de « maladie mentale ».
[142] Par ailleurs, l’accusé admet qu’au moment des événements, il savait que l’acte qu’il commettait était mauvais au sens de l’article 16 du Code criminel.
[143] Ainsi, seule l’incapacité de « juger de la nature et de la qualité de l’acte » en raison de cette condition est au cœur du débat.
ANALYSE
La question en litige
[189] Le Tribunal constate que les Drs Charland et Morissette partagent la même opinion quant aux aspects suivants :
[190] La question à trancher est donc la suivante :
[Renvoi omis; caractères gras dans l’original]
L’élément intentionnel de l’infraction
[238] Puisque la défense de troubles mentaux est écartée, le Tribunal doit maintenant analyser si la poursuite a également prouvé, hors de tout doute raisonnable, l’élément intentionnel de l’infraction, soit la mens rea de meurtre au deuxième degré, c’est-à-dire commis sans préméditation71.
__________________
71 Art. 231 et 235 du Code criminel : précisons qu’à cet égard, les procureurs n’ont fait aucune représentation au procès.
[Caractères gras dans l’original]
[242] Par ailleurs, cette conscience subjective chez l’accusé peut s’inférer de l’acte lui-même, sous réserve de quelque explication de la part de ce dernier, et ce, tel que l’a statué la Cour d’appel, dans l’arrêt Seck :
Ici, le fait de « poignarder un individu dans le dos de droite à gauche au point que ses organes vitaux, la moelle épinière, la colonne vertébrale et une aorte sont attaqués », sans aucune explication de la part de l’appelant, permet de déduire qu’il savait qu’il commettait un geste de nature à causer la mort et qu’il lui était indifférent que la mort s’ensuive ou non.
[243] Dans la présente affaire, il est manifeste que l’accusé a causé intentionnellement des lésions corporelles à la victime, sachant qu’elles étaient de nature à causer sa mort et que cela lui était indifférent.
[Renvoi omis]
[244] Le Tribunal tient compte des caractéristiques de l’arme utilisée, du nombre très élevé de coups portés à la victime avec ce couteau, de la force importante employée par l’accusé, ainsi que des points cruciaux qu’il a volontairement ciblés, soit la tête, le crâne, le visage, le poumon et une vertèbre cervicale.
[245] À cela s’ajoutent les aveux de l’accusé à l’enquêteur Simard, ainsi que ses nombreuses verbalisations sans équivoque quant à ses intentions ce soir-là, notamment :
[Italiques dans l’original]
[67] Bien que la déduction conforme au bon sens puisse être utile comme « repère à l’aune duquel [les juges présidant les procès] pourront mesurer le concept passablement vague de l’intention », elle ne saurait remplacer l’évaluation par ceux-ci de l’intention subjective (Walle, par. 63). Il s’agit d’une déduction facultative et non d’une présomption (R. c. Seymour,
Toutefois, en l’absence d’élément de preuve susceptible d’éclairer de façon réaliste sur l’état mental de l’accusé au moment de l’infraction ou encore dans les cas où la preuve pertinente ne soulève pas de doute raisonnable dans l’esprit du [juge des faits] concernant l’intention de l’accusé, le [juge des faits] peut alors à juste titre s’appuyer sur la déduction conforme au bon sens pour déterminer si l’intention a été prouvée. [par. 67].[29]
[Italiques dans l’original]
24 La Cour d’appel de l’Alberta était convaincue que le juge du procès savait qu’il devait prendre en considération la question de l’intention de fait, parce qu’il a affirmé à un moment donné qu’il appartenait au ministère public de prouver l’intention hors de tout doute raisonnable. Bien que le juge du procès ait vraiment affirmé cela, ses motifs, qui ont suivi cette affirmation, indiquent qu’il a cru que l’intoxication n’était pertinente que relativement à la question de la capacité, comme l’enseignaient les arrêts Beard et MacAskill. En d’autres termes, il était convaincu que le ministère public avait prouvé l’intention hors de tout doute raisonnable, parce qu’il était persuadé que les appelants avaient la capacité de former l’intention. Ce raisonnement est incorrect et a privé les appelants d’un moyen de défense que le droit leur reconnaissait.[46]
[198] Enfin, le tribunal attribue à l’expertise présentée par la défense une valeur probante limitée, et ce, pour deux motifs.
[…]
[200] Le second [motif] porte sur le fait que le rapport d’évaluation neuropsychologique du Dr Précourt n’est pas joint à celui de l’expert, ce qui ne permet pas au Tribunal d’en apprécier la teneur, alors que l’intensité de la déficience intellectuelle de l’accusé est pourtant au cœur du débat.
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SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. |
[1] LSJPA — 215,
[2] Id., par. 236.
[3] Id., par. 242.
[4] Id., par. 243.
[5] Témoignage du Dr Frédéric Charland, 24 novembre 2020, p. 90-93.
[6] Pièce P-23, Résumé du dossier médical de l’appelant, p. 24-25 du document non paginé; Jugement de première instance, par. 77.
[7] Pièce P-23, Résumé du dossier médical de l’appelant, p. 45 du document non paginé; Jugement de première instance, par. 78.
[8] Pièce D-1, Rapport d’évaluation médicolégale sur la responsabilité criminelle rédigé par le Dr Frédéric Charland, médecin psychiatre, 26 mars 2019, p. 4.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] Id., p. 6.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Pièce CP-2, Expertise psychiatrique portant sur la responsabilité criminelle rédigée par le Dr Louis Morissette, 10 juin 2019, p. 6.
[15] Id., p. 3.
[16] Id., p. 4. Voir aussi : Témoignage du Dr Louis Morissette, 24 novembre 2020, p. 136.
[17] Pièce CP-2, Expertise psychiatrique portant sur la responsabilité criminelle rédigée par le Dr Louis Morissette, 10 juin 2019, p. 3.
[18] Argumentation de l’appelant, par. 40 [Italiques dans l’original].
[19] Id., par. 41-42.
[20] Argumentation de l’intimé, par. 3.
[21] Leblanc c. R.,
[22] Anne-Marie Boisvert, « Psychanalyse d’une défense : réflexions sur l’aliénation mentale », (1990) 69 :1 Revue du Barreau canadien 46, p. 67-68, cité avec approbation dans Leblanc c. R.,
[23] Callery c. R.,
[24] Callery c. R.,
[25] R. v. Kahnapace,
[26] R. c. Hodgson,
[27] Jugement de première instance, par. 136.
[28] Id., par. 236.
[29] R. c. Hodgson,
[30] Pièce D-1, Rapport d’évaluation médicolégale sur la responsabilité criminelle rédigé par le Dr Frédéric Charland, médecin psychiatre, 26 mars 2019, p. 5.
[31] Id., p. 5-6.
[32] Id., p. 6.
[33] Témoignage du Dr Frédéric Charland, 24 novembre 2020, p. 84.
[34] Pièce D-1, Rapport d’évaluation médicolégale sur la responsabilité criminelle rédigé par le Dr Frédéric Charland, médecin psychiatre, 26 mars 2019, p. 6.
[35] Pièce CP-2, Expertise psychiatrique portant sur la responsabilité criminelle rédigée par le Dr Louis Morissette, 10 juin 2019, p. 5.
[36] Témoignage du Dr Louis Morissette, 24 novembre 2020, p. 156.
[37] Pièce D-1, Rapport d’évaluation médicolégale sur la responsabilité criminelle rédigé par le Dr Frédéric Charland, médecin psychiatre, 26 mars 2019, p. 4; Témoignage du Dr Frédéric Charland, 24 novembre 2020, p. 26 et 52.
[38] Pièce P-18, Audio de l’appel logé au Service d’urgence de la Ville B, 911, 16 février 2019; Jugement de première instance, par. 216.
[39] Témoignage de l’intervenant D, 17 novembre 2020, p. 58-60 et 66-69; Témoignage du Dr Frédéric Charland, 24 novembre 2020, p. 66-69; Jugement de première instance, par. 126, 134 et 197.
[40] Argumentation de l’intimé, par. 13.
[41] R. c. G.F.,
[42] R. c. Sheppard,
[43] R. c. McMaster,
[44] Id., par. 22 [Soulignement omis].
[45] Id., par. 23.
[46] Id., par. 24.
[47] R. c. R.V.,
[48] R. c. Trochym,
[49] Argumentation de l’appelant, par. 74.
[50] Supra, par. [57], citant R. c. Hodgson,
[51] Conférence préparatoire au procès, 15 octobre 2019, p. 7.
[52] Argumentation de l’appelant, par. 102.
[53] Id., par. 103 [Italiques omis].
AVIS :
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