Mathieu c. Société en commandite Rosemont II (Rosemont les Quartiers) | 2025 QCTAL 32897 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 470938 31 20190712 G | No demande : | 2804055 |
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Date : | 16 septembre 2025 |
Devant la juge administrative : | Sylvie Lambert |
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Rhéal Mathieu | |
Locataire - Partie demanderesse |
c. |
Société en Commandite Rosemont II FAISANT AFFAIRES SOUS LE NOM DE Rosemont Les Quartiers | |
Locatrice - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Le Tribunal était initialement saisi de deux demandes.
- Le 12 juillet 2019, le locataire demande de déclarer invalides les nouvelles clauses du règlement de l’immeuble, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel, plus les frais[1].
- Il soutient que les nouveaux règlements de l’immeuble de la locatrice sont invalides et lui sont inopposables puisque la locatrice n’a jamais suivi le mécanisme de modifications des conditions du bail prévu par la loi. Notamment, il n’a jamais reçu d’avis de modifications des conditions du bail, lui permettant de les refuser.
- Après plusieurs amendements, la demande du locataire se détaille comme suit:
- Exécution en nature des obligations de la locatrice;
- 12 000 $ en dommages-intérêts punitifs et 3 000 $ en dommages-intérêts moraux pour harcèlement et atteinte illicite et intentionnelle aux droits et libertés garantis par la Charte des droits et libertés de la personne[2] (Charte) ;
- 17 504 $ à titre de diminution de loyer pour la période du mois d’août 2018 au mois d’avril 2020[3].
- Par un recours introduit le 23 août 2019, la locatrice demande au Tribunal de rendre une ordonnance à l’encontre du locataire afin qu’il cesse de troubler la jouissance paisible des autres locataires de la résidence[4].
- Au soutien de sa demande, elle allègue :
« Le locataire a un comportement ou une attitude qui, par ses répétitions et insistances, agace, excède ou importune de façon importante la jouissance normale des autres locataires de la résidence. »
- À l’audience du 28 novembre 2022, la locatrice se désiste de cette demande puisqu’elle est devenue sans objet, le locataire ayant quitté les lieux en avril 2020.
- Pour le même motif, la demande du locataire concernant l’exécution en nature des obligations de la locatrice n’a plus d’objet.
- Il reste donc à décider des réclamations monétaires du locataire.
LES PARTIES ET LE CONTEXTE PROCÉDURAL
- La locatrice, Société en Commandite Rosemont II FASN Rosemont Les Quartiers opère une résidence privée pour aînés (RPA) autonomes et semi-autonomes détenant une certification de catégorie 3 en vertu du Règlement sur la certification des résidences pour aînés[5]. Elle faisait partie du Groupe Sélection, propriétaire de 36 résidences – toutes des RPA- comptant au total 9 214 unités locatives.
- L’immeuble où est situé le logement fait partie d’un complexe immobilier qui comporte 477 logements répartis dans 4 tours qui forment un grand « U » avec cour intérieure.
- En avril 2016, il y a ouverture des tours 1 et 2. Le locataire habite au troisième étage de cette dernière.
- Les 4 tours se relient au deuxième étage par des passerelles. À cet étage ont lieu toutes les activités et s’y trouve également la buanderie.
- En 2018, la tour Signature au Sud est ouverte et en juillet 2019, s’ouvre la tour Prestige au Nord.
- Pendant l’instance, en novembre 2022, Groupe Sélection et toutes ses sociétés affiliées et en commandites (dont la locatrice) demandent la protection en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[6] (LACC) pour leur permettre de restructurer leurs affaires tout en bénéficiant de différentes protections à l’égard de leurs créanciers.
- Les difficultés financières de Groupe Sélection et la fin de ses activités ont d’ailleurs fait les manchettes des journaux au Québec.
- En août 2023, tous les actifs de la locatrice sont transférés à un acheteur dans le cadre de l’application de la LACC.
- Le locataire est âgé d’environ 70 ans. Il a été élu, en octobre 2018 et septembre 2019, membre du Comité des résidents de l’immeuble. Lors de l’élection de 2019, il devient le coordonnateur de ce comité.
- Il était également secrétaire de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, section Rosemont-La-Petite-Patrie (AQDR). Il s’agit d’une association de bénévoles qui défend les droits des aînés contre l’exploitation. Notamment, cet organisme offre différents rabais et services à ses membres.
- Une cinquantaine de résidents de la RPA étaient membres de l’AQDR au moment des événements à l’origine du litige.
- Le locataire déclare que la location de ce logement s’inscrivait dans le cadre d’une mission militante qu’il s’est confiée, soit la défense des droits des aînés.
- Il témoigne que l’AQDR avait reçu de nombreuses plaintes concernant le fonctionnement de la locatrice. Il a donc loué le logement afin d'observer de près la situation et d’améliorer la qualité de vie de ses résidents.
- Le locataire est bien conscient des difficultés d’exécution de la présente décision si le Tribunal fait droit à ses réclamations. Il demande néanmoins que le Tribunal se prononce sur sa demande, afin dit-il, de dénoncer les abus auxquels sont confrontés les personnes âgées.
- L’audience du présent dossier s’est déroulée sur plus de sept rôles tenus entre le 25 janvier 2021 et le 11 novembre 2024.
- La locatrice était présente à toutes les audiences tenues avant le 13 novembre 2023. À cette dernière date, la locatrice devait continuer sa preuve en défense, laquelle avait à peine débuté à l’audience précédente du 12 janvier 2022. Le dossier s’est donc poursuivi en l’absence de la locatrice.
- Le Tribunal constate que les audiences auxquelles la locatrice est absente ont eu lieu après le transfert de ses actifs dans le cadre de la LACC, en août 2023. Vraisemblablement, après ce transfert d’actifs, la locatrice s’est désintéressée du présent dossier.
- Il vaut de souligner qu’en raison de l’absence de la locatrice aux audiences tenues après le 23 août, sa mandataire n’a pu être contre-interrogée. Ainsi, le Tribunal ne peut accorder de force probante à son témoignage.
- Au cours de son témoignage et de sa plaidoirie, le locataire s’est maintes fois exprimé au nom de tous les résidents de l’immeuble et, parfois, de toutes les personnes aînées qui subissent de la maltraitance ou de l’abus. Toutefois, tel qu’expliqué à l’audience, le locataire ne peut plaider pour autrui.
- Ainsi, l’examen que fait le Tribunal dans la présente décision vise à disposer uniquement des réclamations monétaires du locataire.
- Le Tribunal a bien pris note de l'ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des faits pertinents retenus pour fonder celle-ci.
ADMISSIONS
- Il est admis par les parties que lors de la signature du bail, le 10 avril 2018, la locatrice remet au locataire le Guide d’accueil des résidents, Édition octobre 2016. (Guide-octobre 2016). Ce document comprend notamment le Code d’éthique du personnel et le règlement de l’immeuble (Règlement-2016).
- Ce Guide-octobre 2016 sera modifié par la locatrice à plusieurs reprises. Après les modifications, une copie de la nouvelle édition du guide est publiée et remise aux locataires. Il faut savoir que plusieurs des modifications ainsi apportées visent les droits et obligations des locataires.
- Il n’est pas contesté que les modifications sont apportées sans suivre le mécanisme légal en matière de modifications des conditions du bail prévu aux articles 1942 et suivants du Code civil du Québec (C.c.Q.).
- Il vaut de rappeler que selon ces dispositions, un locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions du bail en donnant au locataire un avis dans le délai prévu à l'article 1942 C.c.Q. Le locataire peut refuser les modifications et en ce cas, le locateur peut demander au Tribunal de statuer sur les modifications demandées.
- Ces dispositions sont d’ordre public de protection. Elles sont impératives et la locatrice ne peut y déroger (article 1893 C.c.Q.).
CONTEXTE FACTUEL
- Le locataire emménage dans le logement en août 2018. Il s’agit d’un 3½ pièces au loyer de 1 818 $ par mois, incluant le service de repas pour le souper (358 $ par mois). Le bail est pour une période de deux ans, soit jusqu’au 31 juillet 2020.
- Dès son arrivée en 2018, le locataire est candidat pour devenir membre du conseil d’administration du Comité des résidents. Il confectionne un petit dépliant[7] pour se faire connaître puisqu’il vient d’emménager dans la résidence.
- Il distribue ses dépliants dans les boîtes aux lettres des résidents et de mains à mains. Les boîtes aux lettres sont situées dans l’entrée de l’immeuble et chacune est pourvue d’une fente permettant d’y insérer des documents.
- À compter de 2018, le locataire procure des services aux membres de l’AQDR en vertu d’un programme appelé « M. Bricole Bénévole ». Il explique que ce programme permet aux membres vieillissants, moins habiles et moins fortunés, qui ont besoin d’une aide ponctuelle, de continuer à rester à domicile, dans leur logement.
- Ce programme offre la prestation de menus travaux, tels que changer une ampoule, installer un miroir, réparer un robinet, installer un détecteur de mouvement, poser des tablettes, dépanner les résidents qui ont un problème informatique, assembler un meuble Ikea, etc.
- Le locataire explique qu’il est un bon bricoleur, qu’il a déjà été électricien et qu’il possède plusieurs années d’expérience en informatique, pour avoir travaillé dans ce domaine.
- En août 2018, le directeur de la maintenance de la locatrice (Ritchie) cogne à sa porte et, sans avoir obtenu l’autorisation d’entrer, se rend directement au balcon et ordonne au locataire de cesser d’utiliser son BBQ en le menaçant d’éviction. Le locataire témoigne que ce directeur avait une stature imposante et l’échange avec ce dernier fut particulièrement déplaisant.
- Le locataire communique avec la directrice de la locatrice qui l’informe que cette interdiction est en vigueur depuis juillet 2018. Pourtant, souligne le locataire, il n’y avait aucune interdiction au Règlement-2016 quant à l’utilisation d’un BBQ.
- Cette interdiction apparaîtra seulement dans le Guide des résidents, édition février 2019 (Guide-février 2019).
- En janvier 2019, le locataire distribue dans les boîtes aux lettres des résidents une invitation à une conférence de l’AQDR Rosemont qui portait sur les comités de milieu de vie. Il affiche aussi cette invitation sur les babillards.
- Or, peu après cette distribution, en février 2019, une interdiction est publiée dans le Journal de la Résidence, dans la section « Mot de la Directrice »[8], visant la distribution de documentation aux résidents :
« Je me permets aussi de rappeler à tous que vous ne pouvez pas afficher dans la résidence, de mettre des pamphlets, lettres ou autres documents, dans les casiers des résidents SANS l’autorisation de la Direction. Dernièrement nous avons reçu plusieurs plaintes à ce sujet. »
- Selon le locataire, cette interdiction le visait personnellement puisqu’il était le seul, avec Anéla Gramlich, une résidente membre également de l’AQDR, à distribuer de l’information par le bais de la boîte aux lettres des résidents. Pourtant, dit-il, la directrice avait autorisé la tenue de la conférence de l’AQDR. Il soumet que le seul moyen de joindre les résidents et d’obtenir leur participation est par la distribution de dépliants et par l’affichage.
- Ainsi, dit-il, compte tenu du contexte des événements, tous les résidents savaient que cette interdiction le visait personnellement.
- Il soumet que cette interdiction avait pour but de l’empêcher d’informer les résidents, alors qu’il était un membre élu du Comité des résidents, sur leurs droits et leurs conditions de vie et de censurer ses communications, en contravention de ses droits fondamentaux que sont la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association prévues par la Charte.
- À l’audience, la mandataire de la locatrice dira que l’obligation de l’autorisation de la direction est nécessaire afin « de contrôler le message », notamment pour éviter que des messages irrespectueux ou abusifs soient distribués.
- Le locataire souligne que l’essence des messages qu’il distribuait aux résidents portait sur la défense des droits des locataires et des aînés et également sur leurs conditions de vie. Il n’y avait rien dans ces documents, dit-il, qui puisse suggérer l’irrespect ou l’abus, bien au contraire.
- En avril 2019, la directrice écrit dans le Journal de la Résidence :
« Le soleil incitera à sortir à l’extérieur, il faut se rappeler qu’il est interdit d’accrocher quoi que ce soit sur la rampe du balcon drapeau, tapis, vêtements, etc.
Ceux qui en ont présentement, sont invités à décrocher le tout. »
(Notre soulignement)
- Le locataire témoigne qu’il a toujours suspendu un drapeau du Québec à son balcon, que ce soit à la Résidence ou ailleurs.
- Il témoigne que la locatrice savait qu’il avait été un ex-felquiste et que pour lui, ce drapeau revêtait une grande importance, lui permettant d’exprimer et d’exposer son opinion politique.
- En juin 2019, Ritchie (le directeur de la maintenance) cogne à sa porte. Dès qu’il ouvre la porte, Ritchie le tasse et se précipite vers le balcon. Il pointe le drapeau et lui intime l’ordre de le retirer afin de respecter la nouvelle interdiction en vigueur. Ritchie le menace de résilier son bail s’il refuse de se conformer.
- Le locataire ajoute que lors de cette intrusion dans son logement, Ritchie avait une attitude agressive qui lui faisait peur.
- Le locataire souligne que l’interdiction de suspendre un drapeau n’était pas prévue au Règlement-octobre 2016 et qu’il n’avait donc pas l’obligation de respecter le décret émis par la locatrice dans un journal, lequel n’avait aucune force obligatoire.
- Il ajoute que cette interdiction brimait sa liberté d’expression et sa liberté d’opinion (politique) prévue à la Charte.
- Il ajoute que les intrusions agressives de Ritchie dans son logement constituent des violations de son domicile et de sa vie privée, droits garantis par la Charte.
- Malgré tout, il décidera tout de même, après réflexion, de ne pas enlever son drapeau.
- En mai 2019, le directeur principal de l’exploitation de la locatrice, David Bilodeau, transmet au locataire une mise en demeure[9]. Celle-ci enjoint au locataire de cesser d’offrir aux résidents ses services, de leur remettre des dépliants, dont le journal Le Patriote ou toute forme de promotion relativement à des travaux de maintenance. Également, cette missive enjoint le locataire de cesser d’exécuter des travaux pour les résidents, sans quoi des procédures judiciaires seront intentées contre lui. Il convient de citer au long cette mise en demeure :
« OBJET : Mise en demeure contre Monsieur Réal Mathieu, locataire au sein de la résidence connue sous le nom Rosemont les Quartiers située au [...], dans la ville de Montréal, province de Québec (la « Résidence »);
Monsieur Mathieu
Il a été porté à notre connaissance que vous distribuez des dépliants aux locataires de la Résidence en vous proclamant l’ombudsman de la Résidence et ce, afin d’offrir vos services comme « Monsieur Bricole Bénévole », en échange d’une contribution volontaire de la part des résidents. Vous mentionnez dans ce dépliant que vous êtes un membre élu du comité des résidents, alors que les membres vous ont demandé de quitter puisque vous ne respectez pas toutes les valeurs de ce comité. Ainsi, vous divulguez des informations mensongères et vous induisez en erreur les résidents. Nous ne pouvons tolérer ce genre de comportement au sein de la Résidence.
De plus, vous n’êtes pas habileté et autorisé par le propriétaire pour effectuer des travaux de maintenance dans les logements de la Résidence. Par conséquent, en offrant vos services de maintenance aux locataires et en réalisant des travaux de maintenance, vous mettez à risque les installations de la Résidence. Ce que nous ne pouvons pas tolérer.
Par ailleurs, il a également été porté à notre connaissance que vous distribuez le journal Le Patriote aux résidents et ce, sans leur demander leur accord. Certains résidents se plaignent de vos agissements. Ainsi, vous devez cesser de distribuer ce journal aux résidents.
Par conséquent, nous vous demandons de cesser immédiatement toute forme de colportage auprès des résidents afin de leur offrir vos services, la remise de dépliant ou de toute forme de promotion relativement à des travaux de maintenance et d’offrir ou d’effectuer des travaux dans la Résidence, sans quoi nous n’aurons d’autre choix que d’intenter les procédures judiciaires qui s’imposent et de vous tenir responsables de tous les frais et dommages encourus le tout, sans autre avis ni délai.
VEUILLEZ AGIR EN CONSÉQUENCE.
SOCIÉTÉ EN COMMANDITE ROSEMONT II »
- Le locataire explique qu’il n’a fait aucun colportage ou sollicitation pour le programme Monsieur Bricole Bénévole, contrairement à ce que lui reproche la locatrice. Il a distribué, dit-il, des dépliants uniquement aux résidents qui sont membres de l’AQDR[10] afin qu’ils puissent connaître les services offerts en vertu de ce programme autorisé par l’AQDR.
- Les sommes qu’il reçoit dans le cadre de ce programme sont remises à l’AQDR. Il précise qu’il n’a jamais causé de dommages ou mis à risque les installations de la locatrice.
- Il souligne que, contrairement à ce que soutient la locatrice dans sa mise en demeure, les membres du Comité des résidents ne lui ont jamais demandé de quitter le Comité.
- Quant au journal Le Patriote, il n’en a jamais fait la distribution. C’est un autre membre de l’AQDR, locataire à la Résidence, qui déposait des dépliants dans les boîtes aux lettres des résidents.
- Il explique que ce journal, publié par la Société St-Jean Baptiste, offre une multitude de services et d’informations aux aînés. Depuis l’interdiction de la Direction, il ne reçoit plus ce journal qu’il appréciait.
- Selon le locataire, la direction de la résidence lui interdisait d’effectuer des travaux pour les résidents afin d’obliger ceux-ci à s’adresser au service de maintenance de la locatrice, ce qui permettait à cette dernière d’engendrer des revenus significatifs puisqu’elle facturait 50 $ l’heure pour ces mêmes travaux. Il déplore le but mercantile de la locatrice, au détriment des intérêts des résidents.
- Il ajoute que l’interdiction qu’un résident puisse recevoir des services d’un autre résident ou de toute autre personne de son choix contrevient à son droit d’association protégé par la Charte et à l’article 1900 C.c.Q.
- Le 17 juin 2019, le locataire transmet à la locatrice une mise en demeure (par la voie de son avocat) par laquelle il l’avise de cesser d’adopter et d’imposer aux locataires de l’immeuble des modifications aux règlements, sans respecter la procédure prévue par la loi.
- Également, il avise la locatrice qu’il n’est pas tenu de respecter les modifications adoptées depuis la signature du bail en 2018 puisqu’il n’a jamais reçu d’avis de modifications des conditions du bail comme l’exige la loi.
- Le locataire témoigne qu’à la suite de cette missive, le climat devient tendu et malsain dans la résidence. Des clans se forment. La directrice le présente, auprès des autres résidents, comme un trouble-fête et un insoumis qu’il vaut mieux d’éviter.
- À titre d’exemple, lors d’une Assemblée générale, la directrice a mis en doute de façon injustifiée son droit d’utiliser le logo de l’AQDR sur la publicité de M. Bricole Bénévole. Il était pourtant dûment autorisé par l’AQDR à utiliser ce logo, comme le confirme l’extrait de l’Assemblée de l’AQDR qu’il produit[11].
- Pour le locataire, ce faisant, la locatrice tentait de miner sa crédibilité et de porter atteinte à son intégrité auprès des autres résidents.
- En juin 2019, la locatrice le boycotte de toute activité à la résidence. Elle lui retire notamment la responsabilité de diffuser des films dans la salle de cinéma, même s’il est membre du Comité du cinéma.
- En réaction à ces affronts de la locatrice, plusieurs résidents deviennent hostiles envers le locataire, le pointent du doigt et vont même jusqu’à le dénoncer auprès de la direction ou lui rappeler qu’il contrevient aux différents règlements, comme par exemple, pour l’utilisation du BBQ et le port de pantoufles dans les aires communes.
- Le 12 juillet 2019, le locataire introduit son recours afin de faire déclarer invalides les règlements adoptés par la locatrice après la signature de son bail.
- Le 23 août 2019, la locatrice introduit une demande par laquelle elle requiert une ordonnance enjoignant au locataire de ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires de l’immeuble.
- En octobre 2019, malgré les tensions, le locataire est réélu comme membre et coordonnateur du Comité des résidents.
- Bien que cette élection soit organisée par la locatrice, après le résultat de l’élection, celle-ci convoque une assemblée générale au cours de laquelle elle annonce, microphone à la main, qu’il n’y aura aucune discussion de la direction avec le Comité élu. Elle déclare ainsi l’absence de toute collaboration de la direction avec le nouveau Comité des résidents dont le locataire est le coordonnateur.
- Le 2 décembre 2019, le locataire transmet une mise en demeure à la locatrice par laquelle il lui réclame des dommages pour atteinte à ses droits protégés par la Charte et une diminution de loyer pour la perte de jouissance des lieux quant à de nombreux manquements et services.
- Le 16 mars 2020, le locataire revient d’un séjour de trois semaines à l’étranger. Le 20 mars, il reçoit une mise en demeure de la locatrice l’enjoignant de respecter les directives émises par le gouvernement du Québec d’effectuer un isolement volontaire pour une période de 14 jours, en raison de son séjour à l’étranger[12]. Le locataire explique qu’il a dû se rendre à l’urgence de l’hôpital Jean-Talon pour son pied et qu’il s’agissait d’une exception aux directives d’isolement. De plus, il devait se procurer de la nourriture et un téléphone.
- Le locataire témoigne que le 3 avril 2020, il est sorti de la résidence pour se rendre à un rendez-vous chez son denturologiste. Il a complété le formulaire de sortie de la locatrice, comme il se devait.
- À son retour, l’infirmier à l’emploi de la locatrice lui a demandé la preuve de son rendez-vous. Bien qu’il lui ait présenté le document demandé, il a été questionné plusieurs heures sur son emploi du temps pendant les 4 heures de sa sortie. Vu sa réticence à répondre, l’infirmier a fait intervenir les policiers.
- ll a exhibé aux policiers la preuve de son rendez-vous. Malgré cela, les policiers ont continué à le questionner quant à son emploi du temps pendant plusieurs heures. Il a refusé de répondre et les policiers ont quitté sans lui remettre de contravention car à cette période, ils n’avaient pas ce pouvoir. Pour le locataire, il s’agit d’un acte de harcèlement de la locatrice.
- En avril 2020, le locataire abandonne son logement en alléguant qu’il est impropre à l’habitation au motif que les employés de la locatrice ne portaient pas leur masque de protection en tout temps et qu’il risquait ainsi d’être contaminé par le virus de la Covid-19.
- Le 13 juillet 2020, la locatrice introduit un recours en recouvrement du loyer perdu du mois de mai 2020.
- Le 5 janvier 2021, le Tribunal fait droit à la réclamation de la locatrice et rejette les prétentions du locataire. Selon cette décision, la preuve démontre que « le locataire ne voulait pas être confiné dans son logement ni dans la résidence et qu’il a utilisé le prétexte du non-respect des mesures sanitaires par certains employés pour quitter son logement »[13].
- Le locataire fait entendre Anéla Gramlich. Elle est une amie de longue date du locataire. Elle habite la résidence de 2018 à 2020.
- En octobre 2018, elle devient membre du Conseil d’administration du Comité des résidents. Elle ne s’est pas représentée en octobre 2019. Elle était membre également de l’AQDR Rosemont et de la Société St-Jean-Baptiste.
- Elle a distribué des promotions de l’AQDR dans les boîtes aux lettres des résidents. Il s’agissait de publicités pour promouvoir les droits des membres et la venue d’élections.
- Elle a également distribué à tous les résidents de la publicité concernant le programme « M. Bricole Bénévole » ainsi que du journal Le Patriote de la Société St-Jean Baptiste.
- Elle agit bénévolement pour le Comité des résidents. Elle croyait avoir le droit de distribuer des brochures et journaux informatifs aux locataires de l’immeuble sans obtenir l’autorisation de la locatrice.
- Elle relate qu’à l’hiver 2019, elle est victime d’un incident similaire à celui vécu par le locataire en lien avec la présence de drapeaux sur son balcon.
- Un employé de la locatrice cogne chez elle, et sans autorisation, entre brusquement, se dirige directement sur le balcon et enlève le drapeau d’Hawaï, son pays d’origine ainsi que le drapeau du Québec. Elle était choquée, dit-elle, d’un tel comportement.
- Elle ne se souvient pas d’une déclaration de la directrice à l’Assemblée générale quant au refus de collaboration avec le nouveau Comité élu.
- Toutefois, à son souvenir, la directrice de la Résidence a rencontré le Comité des résidents sans la présence du locataire, alors qu’il en était le coordonnateur, mais elle n’en est pas certaine.
- En contre-interrogatoire, elle témoigne que le Comité des résidents est formé de 7 membres. En octobre 2019, lorsque le locataire a été réélu, tout le monde était content, dit-elle, bien que surpris, considérant les tensions entre les différents clans.
- Le locataire fait également entendre Jacques Boivin qui œuvre pour la Société St-Jean Baptiste. À deux reprises, avec l’aide d’Anéla Gramlich, il a distribué des exemplaires invendus du journal Le Patriote dans les boîtes aux lettres des locataires de la résidence. Il reconnaît qu’il n’avait pas l’autorisation de la locatrice pour ce faire.
- Il ajoute que le locataire n’a pas participé à cette distribution.
- Ainsi se résume l’essentiel de la preuve.
LE FARDEAU DE PREUVE
- Selon les articles 2803 et 2804 C.c.Q., il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.
- Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal[14].
- Une partie doit donc démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue.
- Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier est placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.
1. L’ATTRIBUTION DE DOMMAGES PUNITIFS POUR HARCÈLEMENT
- L’article 1902 C.c.Q. prévoit :
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
- Dans la récente décision Société en commandite DDO c. Halaka[15], la juge administrative Stella Croteau résume bien la notion de harcèlement:
« [118] Suivant la jurisprudence de ce Tribunal, on peut définir le harcèlement en matière de location résidentielle de la façon suivante :
« Le harcèlement est un comportement volontaire, généralement répété et continu d'un locateur ou son représentent ou toute autre personne, se manifestant par des paroles, des actes ou des gestes à caractère vexatoire, méprisant ou intimidant à l'encontre d'un locataire, ses proches ou ses biens en vue de restreindre sa jouissance paisible des lieux ou qu'il quitte le logement.
Le harcèlement s'exprime donc généralement par une série d'actions malicieuses étalées dans le temps qui, analysées objectivement, ont été posées sans justification autre que provoquer le départ d'un locataire ou diminuer considérablement sa jouissance des lieux. »
[119] Le présent Tribunal n'a le pouvoir de punir le harcèlement que s'il a pour but de restreindre la jouissance des lieux ou d'obtenir que le locataire parte.
[120] L'analyse objective oblige donc le décideur à se demander si une personne raisonnablement informée des faits et du droit pourrait conclure au harcèlement. Il s'agit donc d'un lourd fardeau de preuve à rencontrer pour celui qui l'allègue. »
(Référence omise)
- Ainsi, le Tribunal doit apprécier l'ensemble des faits de façon objective et chercher à déterminer si les gestes posés peuvent raisonnablement constituer des actes de harcèlement, constituant une série de mesures systémiques ayant comme conséquence de restreindre le droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir que le locataire quitte le logement.
- Après analyse et délibéré, le Tribunal juge que le locataire s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.
- Il a rendu un témoignage sincère, crédible et détaillé quant aux événements vécus et ses prétentions sont appuyées d’une preuve documentaire pertinente.
- La preuve révèle que le locataire, en raison de sa connaissance de ses droits, de ses interventions auprès des autres résidents et de ses contestations quant à la légalité de certains règlements, était perçu par la locatrice comme un facteur de perturbation et un obstacle dans la gestion de l’immeuble. Il ne fait aucun doute que la locatrice cherchait à limiter son influence, voire à l’isoler au sein de la résidence.
- C’est le cas notamment lorsque la direction de la résidence décrète une interdiction de déposer des communications dans la boîte aux lettres des résidents ou de les afficher sans l’autorisation de la locatrice.
- Pour le Tribunal, cette interdiction, concomitante avec la distribution de l’invitation pour la conférence de l’AQDR Rosemont, visait directement le locataire sur lequel la locatrice souhaitait de toute évidence exercer un contrôle et limiter ses actions et l’expression de ses opinions.
- Le Tribunal ne croit aucunement que cette interdiction était mise en place pour éviter la distribution de messages irrespectueux ou abusifs, comme le soutient la locatrice à l’audience.
- Il ressort de la preuve que tous les documents et dépliants déposés par le locataire dans la boîte aux lettres des résidents visaient à les informer quant à leurs droits et aux services offerts, notamment par l’AQDR. Il n’y avait rien d’abusif ou d’irrespectueux dans cette documentation et les craintes soulevées par la locatrice étaient infondées.
- De l’avis du Tribunal, non seulement cette interdiction était inopposable au locataire, puisque non prévue dans le Règlement-2016, mais également, elle contrevient aux principes directeurs que l’on retrouve dans le Guide-octobre 2016 qui prévoit, dans la section du code d’éthique du personnel, l’obligation pour le personnel de la résidence de faciliter l’obtention du droit à l’information et de faciliter l’expression des opinions, critiques et suggestions dans le contexte de la vie dans la résidence[16].
- Au sujet de l’interdiction de la direction de suspendre un drapeau à la rampe du balcon décrétée par la direction de la résidence en avril 2019, celle-ci survient quelques jours avant la fête des Patriotes et quelques semaines avant la St-Jean Baptiste.
- Or, en juin 2019, peu avant la fête de la St-Jean Baptiste, la locatrice, par son préposé, fait irruption dans le logement du locataire, lui ordonnant d’enlever son drapeau.
- Le Tribunal retient le témoignage du locataire voulant que la locatrice savait qu’il était un ex-felquiste et que pour lui, le drapeau du Québec revêtait une grande importance.
- Pour le Tribunal, cette interdiction, décrétée alors que les tensions augmentaient dans la résidence entre les différents clans, n’est pas le fruit du hasard et visait directement le locataire.
- Il y a lieu de conclure que les intrusions agressives de la locatrice dans le domicile du locataire, que ce soit pour son drapeau ou son BBQ, conjuguées avec les menaces verbales de résilier son bail s’il refusait de se conformer, visaient à l’intimider et lui faire peur pour le faire entrer dans le rang de la docilité.
- Concernant les travaux, dans sa mise en demeure du mois de mai 2019, la locatrice interdit au locataire d’exécuter de menus travaux dans les logements des résidents et de faire du colportage.
- Ces interdictions n’étaient pas, elles non plus, prévues dans le règlement de l’immeuble–octobre 2016. Tout comme les autres, elles étaient inopposables au locataire.
- De plus, de l’avis du Tribunal, cette interdiction contrevient au droit de chaque résident de retenir les services de la personne de son choix, comme le prévoit l’article 1900 C.c.Q., d’autant plus qu’il incombe au locataire de procéder aux menus travaux d’entretien et de réparations[17].
- L’article 1900 C.c.Q. prévoit en effet :
« 1900. Est sans effet la clause qui limite la responsabilité du locateur, l'en exonère ou rend le locataire responsable d'un préjudice causé sans sa faute.
Est aussi sans effet la clause visant à modifier les droits du locataire en raison de l'augmentation du nombre d'occupants, à moins que les dimensions du logement n'en justifient l'application, ou la clause limitant le droit du locataire d'acheter des biens ou d'obtenir des services de personnes de son choix, suivant les modalités dont lui-même convient. »
(Notre soulignement)
- Cette disposition est d’ordre public de protection et la locatrice, ne pouvait y contrevenir, même en supposant que son règlement ait été adopté selon les règles.
- Quant au colportage, la preuve démontre que le locataire n’a fait que distribuer des documents informatifs aux résidents, sans exercer sur eux quelque pression que ce soit pour retenir les services de M. Bricole Bénévole ou pour autre chose.
- Dans sa mise en demeure, la locatrice soutient qu’en exécutant de menus travaux pour les autres résidents, le locataire met en péril les installations de la locatrice. Cet argument ne tient pas la route.
- Si tel avait été le cas, il y a fort à penser que la locatrice n’aurait pas hésité à alléguer ce motif dans le cadre du recours introduit contre le locataire plutôt que de soulever, comme elle le fait, une simple allégation générale voulant que le comportement ou l’attitude du locataire trouble la jouissance des autres locataires.
- Mais ce n’est pas tout, d’autres mesures ont été prises à l’égard du locataire.
- La locatrice lui a retiré la responsabilité de la diffusion des films, alors qu’il était membre du Comité cinéma;
- Elle a présenté le locataire, auprès des autres résidents, comme un trouble-fête en déclarant notamment, lors d'une Assemblée générale, qu’elle ne discuterait pas avec le nouveau Comité élu dont il était maintenant le coordonnateur;
- Elle a aussi déclaré en Assemblée générale, devant les autres résidents, qu’elle doutait du droit du locataire d’utiliser le logo de l’AQDR pour le programme M. Bricole Bénévole, alors que le locataire détenait cette autorisation.
- De plus, pour le Tribunal, la mise en demeure du mois de mai 2019 transmise au locataire et le recours introduit par la locatrice avaient pour but non seulement de faire peur au locataire, mais également de servir d’avertissement à tout autre locataire qui aurait voulu le suivre dans la contestation des règlements ou des décisions de la direction.
- Le locataire a témoigné de la pression sociale qu’il a subie de certains résidents en réaction aux propos et aux actions prises à son endroit par la locatrice. Certains l’ont dénoncé pour des contraventions aux règlements, alors que ceux-ci lui étaient inopposables, d’autres sont devenus hostiles à son endroit, vraisemblablement pour marquer leur distance avec les prises de position du locataire, dans un souci de se protéger ou de maintenir de bonnes relations avec la locatrice afin de ne pas subir le même sort.
- Le Groupe Sélection auquel la locatrice était associée possédait plusieurs immeubles à logements. Il s’agissait d’un locateur averti.
- Il ne fait nul doute pour le Tribunal que la locatrice savait que les règlements décrétés sans respecter le mécanisme impératif de modifications des conditions du bail ne tiendraient pas la route devant le Tribunal.
- En regroupant tous les évènements ci-haut mentionnés, le Tribunal conclut que le locataire a subi du harcèlement de la part de la locatrice dans le but de restreindre sa jouissance paisible des lieux et d’arriver au but fixé, soit de restreindre ses communications et de l’isoler afin d’empêcher que les autres résidents se rallient à lui pour faire valoir leurs droits.
- Toutefois, le Tribunal ne retient pas comme étant des actes de harcèlement, l’investigation de la locatrice et des autorités policières lors de la sortie de 4 heures du locataire pour un rendez-vous chez son denturologiste, de même que la mise en demeure de la locatrice lors de son retour de vacances.
- Ces situations sont survenues au début de la pandémie de la Covid-19, alors que tout le Québec était sur un pied d’alerte, ignorant pratiquement tout de ce virus, qui en bout de ligne, causera plusieurs décès, notamment dans les RPA. On ne peut reprocher à la locatrice d’avoir pris les mesures qu’elle croyait appropriées à cette période pour protéger la santé et la sécurité des résidents, même si la durée de l’interrogatoire paraît exagérée.
2. LES DOMMAGES PUNITIFS EN VERTU DE LA CHARTE
- L’article 49 de la Charte énonce :
« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
Dommages-intérêts punitifs.En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
(Notre soulignement)
- Dans son ouvrage[18] sur le bail résidentiel et les dommages exemplaires, Denis Lamy énonce les critères donnant ouverture à l’octroi de tels dommages en vertu de l’article 49 de la Charte :
« Ainsi, à la lecture de la jurisprudence, pour que l’article 49 précité s’applique, la Charte québécoise exige, outre qu’un droit protégé par elle ait été violé875, que la partie demanderesse prouve deux conditions : l’illicéité de l’atteinte et le caractère intentionnel de celle-ci. Cela dit, la reconnaissance d’une atteinte ne donne pas automatiquement droit à une indemnité, encore faut-il établir avoir subi un préjudice véritable876 même si celui-ci peut être minime877.
Il y a atteinte illicite à un droit protégé par la Charte québécois lorsque la violation de ce droit résulte d’un comportement fautif. Un comportement est qualifié de fautif lorsque son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même.
Pour qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’intentionnelle, il faut que le résultat du comportement fautif soit voulu. Il y a donc atteinte illicite et intentionnelle lorsque l’auteur de cet acte agit dans un état d’esprit878 qui dénote un désir, une volonté de voir se réaliser les conséquences de sa conduite fautive ou encore agit en toute connaissance des conséquences probables que cette conduite engendrera879. Ce critère dépasse la simple négligence.
Le caractère intentionnel de l’atteinte s’infère des circonstances particulières de chaque instance. Il est toutefois possible de présumer qu’une personne est réputée vouloir les conséquences naturelles de ses actes. L’atteinte doit, par ailleurs, affecter de façon plus que fugace880 l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime.
L’analyse du caractère intentionnel ou non d’une atteinte illicite à l’un des droits garantis par la Charte québécoise comporte deux volets881. Le premier, subjectif, consiste à déterminer si l’auteur de la violation souhaitait la conséquence de son acte et le second, objectif vise à évaluer si une personne raisonnable, dans la même situation que l’auteur, aurait pu prévoir les conséquences subies par la victime882.
(Références omises)
- Eu égard à la preuve soumise, il ne fait nul doute pour le Tribunal qu’il y a eu atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux du locataire, dont son droit à la liberté d’expression, d’opinion, de réunion pacifique et d’association, notamment en l’isolant, en limitant ou interdisant ses communications avec les autres résidants et en lui interdisant d’afficher son drapeau du Québec par l’adoption de règlements qui lui étaient pourtant inopposables (article 3 Charte[19]).
- La preuve démontre que la locatrice connaissait et souhaitait les conséquences de ses atteintes illicites aux droits fondamentaux du locataire, à savoir, isoler, nuire et intimider le locataire afin que les autres résidents ne s’associent pas avec lui pour faire valoir leurs droits.
- De plus, à deux reprises le représentant de la locatrice est entré dans le logement du locataire, sans autorisation. Dès que le locataire a répondu à la porte, le représentant de la locatrice l’a tassé de son chemin pour traverser de façon précitée le logement et se rendre au balcon. Là, il a semoncé le locataire quant à la présence de son BBQ et de son drapeau, tout en le menaçant de résilier son bail.
- En s’introduisant de la sorte dans le logement du locataire, sans autorisation, la locatrice, par son représentant, a violé, de façon illicite et intentionnelle, les droits du locataire à la jouissance paisible de ses biens (article 6 Charte[20]), à l’inviolabilité de sa demeure (article 7 Charte[21]) et au respect de sa propriété privée (article 8 Charte[22]).
- Cela étant, le Tribunal est donc d’avis que l’octroi de dommages-intérêts punitifs est justifié, tant en vertu de l’article 1902 C.c.Q pour le harcèlement qu’en vertu de la Charte.
La détermination du montant des dommages punitifs à accorder
- Comme le confirme la Cour d’appel en 2019 dans l’affaire Impérial Tobacco Canada Ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé][23], lorsque l’octroi de dommages-intérêts punitifs est justifié tant en vertu de la Charte que d’une autre loi, le Tribunal peut établir un montant global couvrant la contravention à la fois à la Charte et à cette autre loi, si les dommages punitifs visent à punir la même conduite répréhensible.
- En l’espèce, le Tribunal est d’avis que les dommages punitifs prévus à l’article 1902 C.c.Q. et ceux prévus à la Charte peuvent être accordés globalement puisqu’ils visent à punir la même conduite.
- Quant au montant qui peut être alloué à titre de dommages-intérêts punitifs, l'article 1621 C.c.Q. prévoit :
« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenue envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
- Me Pierre Pratte a commenté les critères pour déterminer les dommages punitifs en matière de harcèlement[24]:
« En matière de dommages punitifs, le nouvel article 1621 C.c.Q. fournit certains critères pour guider le tribunal dans la détermination du montant à attribuer. Il ne s'agit cependant pas d'une liste exhaustive. Les autres éléments élaborés par la jurisprudence et la doctrine demeurent donc pertinents. Ainsi, outre ce qui est mentionné dans cet article, on peut citer : la gravité des préjudices causés, l'impact chez la victime, la durée de la conduite, le profit réalisé par le débiteur, la conduite fautive de la victime, etc. »
- À ces critères s'ajoute l'aspect préventif, punitif et incitatif des dommages punitifs dont le Tribunal doit tenir compte[25].
- Dans l’affaire Moroz c. Brown-Johnson[26], la juge administrative Suzanne Guèvremont devait déterminer le montant des dommages-intérêts punitifs dans le cadre d’une reprise de mauvaise foi. Bien qu’il s’agisse d’un recours de nature différente, les principes énoncés sont applicables en l’instance. Elle écrit ceci:
« [99] Selon l’auteur Pierre Pratte, les tribunaux ont reconnu trois fonctions aux dommages punitifs :
« 1) une fonction préventive : le tribunal veut «décourager le contrevenant de bafouer de nouveau les droits de la victime [et] donner une leçon aux autres citoyens désirant agir selon des plans similaires»; 2) une fonction punitive : il «permet au tribunal d’exprimer concrètement son indignation face à la conduite du défendeur»; 3) une fonction incitative : “les dommages exemplaires étant octroyés à la victime en plus de ses dommages réels, cela a pour effet de l’inciter à effectuer les démarches nécessaires pour faire valoir ses droits devant les tribunaux, avec toutes les dépenses et les inconvénients que cela peut comporter »
[100] En l’instance, les locateurs ont intentionnellement bafoué le droit du locataire au maintien dans les lieux.
(…)
[102] Dans un même ordre d’idée, pour paraphraser Me Alain Klozt, conférencier lors d’un colloque sur le louage dispensé par le Barreau de Montréal le 21 novembre 2014 : « Pour dissuader toute récidive, la punition doit faire mal. La condamnation à des dommages exemplaires trop modestes banalise, voire même rentabilise la violation des droits qui prévoient des dommages punitifs. ».
(Référence omise)
- En ce qui concerne le critère de la capacité financière de la locatrice, le fait qu’elle ait eu recours à la LACC et qu’elle ait vendu tous ses actifs dans le cadre de l’application de cette loi, peut laisser croire qu’elle n’a pas la capacité financière de payer les dommages réclamés.
- Cependant, vu l’absence de la locatrice aux dernières dates d’audience, le Tribunal ignore si elle est encore en activité et si elle a procédé à l’acquisition de nouveaux actifs. Sa capacité financière à la dernière date d’audience est inconnue.
- Ainsi, en l’absence de preuve, le Tribunal doit tenir pour avéré, aux fins de la présente décision, que la locatrice a la capacité financière de s’acquitter des montants réclamés[27].
- Au soutien de son argumentaire, le locataire soumet la décision du Tribunal dans l’affaire Rochon c Résidences Soleil[28], dans laquelle le Tribunal accorde 17 000 $ au locataire, soit 12 000 $ en dommages-intérêts punitifs et 5 000 $ en dommages-intérêts moraux, tant pour le harcèlement que pour les contraventions de la locatrice aux droits garantis par la Charte.
- Dans cette affaire, le locataire avait créé un regroupement de résidents bénévoles dans une résidence privée pour aînés et initié des démarches de consultation auprès des autres locataires en vue de connaître leur intérêt à réclamer un dédommagement ou une diminution de loyer pour les services et activités inclus au bail mais non rendus pendant la pandémie de la COVID-19.
- Bien que l’on puisse relever certaines similitudes avec le présent dossier, le locataire dans cette affaire était une personne vulnérable, âgée de 82 ans et peu informée sur ses droits. Il a été profondément bouleversé par les actes de harcèlement répétés et particulièrement incisifs de la locatrice, dont le refus de percevoir le loyer pour justifier une demande éventuelle en résiliation de bail, l’interdiction de recevoir un visiteur (son bon ami) et la décision de mettre fin unilatéralement à son bail par l’envoi d’une missive en ce sens.
- En l’instance, sans minimiser ce que le locataire a vécu, sa situation est différente. Le locataire est une personne instruite, articulée, au fait de ses droits et bien outillée pour les faire valoir. Il s’était d’ailleurs confié la mission de défendre les droits des aînés en louant un logement dans cette résidence.
- Même si l’intrusion de son domicile a été un événement stressant, le locataire a décidé, après réflexion, de maintenir sa position et de laisser son drapeau en place. Pour le Tribunal, cela témoigne d’une force que n’aurait sans doute pas manifesté une personne vulnérable.
- Cela étant, le Tribunal doit s’assurer que le montant accordé permette d’atteindre les objectifs de prévention, dissuasion et dénonciation.
- Pour le Tribunal, les gestes posés par la locatrice, dans un contexte où elle exploitait une résidence destinée aux personnes âgées, sont particulièrement graves. Non seulement ces comportements constituent un abus de pouvoir, mais ils ont été dirigés contre une clientèle que la loi cherche précisément à protéger.
- Le Tribunal juge impératif de dénoncer avec vigueur les actes fautifs de la locatrice et d’envoyer un message clair à l’effet que de tels agissements ne sauraient être tolérés dans notre société.
- Le Tribunal estime juste et raisonnable d’accorder au locataire le montant réclamé de 12 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs pour la contravention à l’article 1902 C.c.Q et pour les contraventions à ses droits garantis par la Charte.
3. LES DOMMAGES MORAUX
- Le locataire réclame la somme de 3 000 $ pour les dommages moraux en lien avec le harcèlement et les atteintes à ses droits fondamentaux.
- Les dommages moraux visent à compenser les troubles, les ennuis, les inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques[29].
- Au sujet de la nature des dommages moraux, la juge administrative Linda Boucher écrit[30]:
« [55] Ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. Ce dommage est difficile à évaluer contrairement aux dommages pécuniaires, qui sont plus aisément quantifiables en raison de leur caractère objectif.
[56] Les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. En effet, « Le dommage ne se présume jamais; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance »6. S'il s'agit de dommages moraux, « ...la difficulté à chiffrer un préjudice non économique ne doit pas équivaloir à une dispense d'avoir à prouver sa survenance. (...) Le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d'une simple affirmation générale »7 expliquant qu'on a subi un quelconque préjudice. »
(Références omises)
- En l’espèce, le Tribunal donne foi au témoignage du locataire lorsqu’il explique qu’il a subi du stress en lien avec les actes posés par la locatrice, dont les intrusions agressives dans son domicile et les menaces répétées de résiliation de bail.
- Également, le locataire a dû investir temps et énergie pour se défendre à l’encontre des gestes qu’on lui reprochait, et ce, sans fondement légal.
- Il est fort probable que le climat tendu qui régnait dans la résidence, engendré par l’existence de clans opposés institués par la locatrice, l’a affecté. Il s’est senti surveillé par certains résidents qui l’ont même dénoncé à la direction de la résidence pour avoir contrevenu à des règlements qui, pourtant, lui étaient inopposables.
- Eu égard à la preuve soumise, le Tribunal accorde au locataire un montant de 2 000 $ en dommages-intérêts moraux.
4. LA DIMINUTION DE LOYER
- Le locataire réclame une diminution de loyer (17 504 $) en lien avec des modifications « illégales » au règlement adoptées unilatéralement par la locatrice, pour l’application de règlements abusifs et aussi pour des services prévus au bail non dispensés ou réduits par la locatrice.
- Le Tribunal traitera des différents règlements et services sur lesquels le locataire fonde ses réclamations.
- L’analyse de ceux-ci est divisée en trois parties : 1- Les règlements inopposables au locataire; 2- les règlements abusifs ou déraisonnables et 3- l’absence (ou la réduction) de services.
- L’évaluation des montants à octroyer, de même que les critères pertinents à cet égard sont exposés à la fin de l’analyse.
- Il convient d’abord d’énoncer les principes de droit qui doivent guider le Tribunal en matière de diminution de loyer, lesquels diffèrent de ceux applicables quant à la détermination des dommages-intérêts.
Les principes de droit applicables
- La loi impose notamment au locateur l’obligation de procurer la jouissance paisible du logement pendant toute la durée du bail (article 1854 al.1 C.c.Q.) et de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué (article 1854 al.2 C.c.Q).
- L’intensité des obligations du locateur est qualifiée d’obligation de « résultat » par la doctrine. Il s’ensuit, qu’une fois démontrés les manquements du locateur, ce dernier ne peut invoquer sa diligence à apporter un correctif aux manquements dénoncés ni invoquer qu’il a eu un comportement prudent et diligent.
- L'inexécution d'une obligation prévue par la loi ou le bail confère le droit de demander, entre autres, une diminution du loyer (article 1863 C.c.Q.).
- La diminution de loyer vise à évaluer la valeur objective de la perte locative subie par un locataire en raison de l'inexécution des obligations du locateur.
- Dans l'affaire Mirza-Rana c. Chowdhury[31], le Tribunal explique bien la distinction entre le recours en diminution de loyer et le recours en dommages :
« Le recours en diminution de loyer doit être distingué de celui en dommages en ce qu'il ne participe pas des mêmes règles d'application. L'un vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie et l'autre à compenser le préjudice subi (moral, matériel) ou à punir l'auteur d'un fait dommageable (dommage punitif).
L'attribution de dommages-intérêts compensatoires et l'évaluation des pertes subies obéissent aux règles générales du droit commun. Aussi, le tribunal doit considérer le lien de causalité qui existe entre la faute reprochée et les dommages réclamés. »
- La diminution de loyer ne sera accordée qu'en cas de perte de jouissance réelle, sérieuse, significative et substantielle[32].
- Sur ce point, l’auteur Denis Lamy, dans son ouvrage sur la diminution de loyer écrit :
« Des défectuosités mineures qui n’occasionnent qu’un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l’intervention du Tribunal. »[33]
- Il vaut de souligner que l’application par la locatrice de règlements inopposables au locataire (car décrétés sans suivre les règles obligatoires en matière de modification des conditions du bail) ou invalides (parce qu’abusifs ou déraisonnables) donne ouverture, de l’avis du Tribunal, à une diminution de loyer dans la mesure où l’application de ceux-ci a eu pour effet de limiter la jouissance normale du logement.
- En effet, l’obligation de la locatrice de procurer la jouissance paisible du logement pendant toute la durée du bail inclut celle de ne pas poser tout acte ayant pour effet de restreindre cette jouissance[34]. Or, en obligeant le locataire à se plier à des règlements illégaux, la locatrice a contrevenu à son obligation de ne pas faire et a restreint la jouissance normale des lieux du locataire.
- En l’espèce, le Tribunal conclut que le locataire démontre, par preuve prépondérante, qu’il était obligé de respecter les règlements illégaux de la locatrice ou que ceux-ci lui ont été imposés.
1- Les règlements inopposables au locataire
- Les interdictions ci-après mentionnées ne sont pas prévues au Règlement-octobre 2016 remis au locataire lors de la signature du bail. De plus, le locataire n’a jamais reçu d’avis de modifications des conditions du bail pour l’ajout de celles-ci.
- Interdiction de circuler dans les aires communes en pantoufles
- Le locataire réclame une diminution de loyer de 50 $ par mois pour la période de janvier 2019 à avril 2020.
- Cette interdiction est décrétée par la locatrice, en janvier 2019, dans la page éditoriale du journal de la résidence (L’Écho des Quartiers).
- Le locataire témoigne qu’il s’agissait d’une contrainte pour lui. Il ne pouvait pas porter ses pantoufles lorsqu’il circulait à l’intérieur de la résidence, que ce soit pour se rendre à sa boîte aux lettres ou utiliser les différents services offerts à la Résidence : salon de coiffure, pharmacie, dépanneur, etc.
- Il souligne qu’au surplus, de nos jours, certains types de pantoufles se confondent avec des souliers, tant au niveau de l’apparence que de la solidité et de la sécurité.
- À plusieurs reprises il a été interpellé, tant par des représentants de la locatrice que par des résidents, lesquels lui ont rappelé son obligation de se conformer à cette interdiction.
- Interdiction de fumer du cannabis dans le logement
- Le locataire réclame 50 $ par mois d’octobre 2018 à avril 2020.
- L’interdiction de fumer du cannabis a été décrétée par le biais d’affiches[35] installées dans les ascenseurs et sur les babillards le 21 octobre 2018. Elle est également inscrite dans le Guide des résidents, version février 2019.
- Le Règlement-2016[36] prévoit ceci quant à l’interdiction de fumer :
« Tabac
En vertu de Loi sur le tabac, il est interdit de fumer dans les aires communes de la résidence. Les obligations des résidents à cet égard sont plus amplement prévus à l’annexe E. »[37].
(Reproduit tel quel)
- Cette interdiction de fumer ne concerne donc que le tabac.
- Ainsi, selon l’article 107 de la Loi encadrant le cannabis[38], pour interdire la consommation de cannabis dans son immeuble[39], la locatrice devait transmettre un avis de modification des conditions du bail au locataire dans les délais prévus par la loi, soit entre le 17 octobre 2018 (date d'entrée en vigueur de la loi) et le 15 janvier 2019 (date d'échéance du délai de 90 jours).
- Puisque la locatrice ne s’est pas prévalue de ce droit dans le délai imparti, le locataire était en droit de fumer du cannabis dans son logement. L’interdiction affichée lui était inopposable.
- Le locataire témoigne que bien qu’il ait continué à fumer du cannabis dans son logement, il fumait moins fréquemment et avec le stress d’être pris en défaut tant par la locatrice que par d’autres résidents et de subir des menaces d’éviction.
- Il souligne sa crainte d’être dénoncé et d’avoir dû se cacher pour fumer du cannabis. Il perdait ainsi, dit-il, le plaisir de consommer en toute quiétude.
- Interdiction d’un BBQ sur le balcon
- Le locataire réclame 50 $ par mois pour la période du mois d’août 2018 à avril 2020.
- En août 2018, la locatrice avise le locataire lors d’un entretien téléphonique et ensuite par courriel[40], qu’il lui est interdit de posséder et d’utiliser un BBQ sur son balcon.
- Cette interdiction est apparue ensuite dans le Règlement-février 2019.
- Quant à l’utilisation de gaz propane, l’article 1919 C.c.Q prévoit:
« 1919. Le locataire ne peut, sans le consentement du locateur, employer ou conserver dans un logement une substance qui constitue un risque d’incendie ou d’explosion et qui aurait pour effet d’augmenter les primes d’assurance du locateur. »
- Selon la jurisprudence, le balcon fait partie intégrante du logement et l’interdiction prévue à l’article 1919 C.c.Q. s’applique également, de l’avis du Tribunal, à cette partie du logement[41].
- Ainsi, même si l’interdiction prévue au règlement était inopposable au locataire, si le BBQ de ce dernier était alimenté au gaz propane, comme c’est souvent le cas, le locataire se devait, conformément à l’article 1919 C.c.Q., d’obtenir l'autorisation de la locatrice.
- Or, en l’instance, la preuve est silencieuse quant à la source combustible du BBQ du locataire.
- Par conséquent, la preuve est insuffisante pour conclure que le locataire était en droit d’utiliser son BBQ et qu’il a subi une perte de jouissance en lien avec cet élément.
- Interdiction d’un parasol et de meubles en plastique sur le balcon
- Le locataire réclame 50 $ par mois pour la période de février 2019 à avril 2020.
- Cette interdiction apparaît pour la première fois dans la version du Règlement-février 2019.
- En août 2019, la locatrice affiche ce rappel dans les ascenseurs et sur les babillards par un message à l’attention de tous les résidents :
« Tel qu’indiqué dans le Guide des résidents, il est interdit d’avoir un parasol sur son balcon. Ceux-ci peuvent s’envoler au vent et causer de graves accidents. Dès maintenant, tous les parasols doivent être retirés des balcons. Il en va de votre sécurité à tous. »
- Le locataire témoigne qu’il a retiré son parasol par crainte de subir une nouvelle intrusion de la locatrice.
- Il souligne par ailleurs que depuis 2021, les parasols sont autorisés et leur fixation est vérifiée par les employés de la locatrice.
- Quant aux meubles en plastique, il explique avoir remplacé son ameublement en plastique par une table en verre et qu’il utilisait ses chaises de cuisine, lesquelles étaient cependant beaucoup moins confortables.
Conclusion sur les règlements inopposables
- Ainsi, puisque la locatrice n’a pas respecté les règles impératives en matière de modifications des conditions du bail concernant les interdictions ci-haut mentionnées, celles-ci étaient inopposables au locataire.
- Toutefois, concernant le BBQ, vu l’article 1919 C.c.Q. et l’insuffisance de preuve, le Tribunal ne peut conclure à une perte de jouissance des lieux donnant ouverture à compensation.
- Quant à l’interdiction de circuler en pantoufles, le Tribunal juge qu’il s’agit d’un simple désagrément qui n’affecte pas de façon importante ou substantielle la jouissance des lieux.
- Cependant, le Tribunal conclut que le locataire a subi une perte de jouissance réelle et substantielle en lien avec les interdictions visant le cannabis et les meubles sur son balcon pour les périodes visées par sa réclamation.
2- Les règlements suivants sont-ils invalides parce qu’abusifs ou déraisonnables ?
- Les règlements analysés ci-après ont été intégrés au bail du locataire conformément à la loi puisqu’ils font partie du Règlement-octobre 2016 remis au locataire à la signature du bail.
- Par ailleurs, pour être valide et opposable au locataire, une clause d’un bail ne doit pas être prohibée ni contrevenir aux dispositions impératives du Code civil du Québec (C.c.Q.) ou de toute autre loi, notamment la Loi sur le Tribunal administratif du logement , la Charte des droits et libertés de la personne, ni être abusive ou déraisonnable selon l’article 1901 C.c.Q.
- Plus précisément, les articles 1901 et 1437 C.c.Q. prévoient :
« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.
Cette clause est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible. »
« 1437. La clause abusive d'un contrat de consommation ou d'adhésion est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible.
Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l'adhérent d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre de ce qu'exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu'elle dénature celui-ci. »
- Dans son traité sur le Louage, Pierre-Gabriel Jobin énonce ce qui suit au sujet des clauses abusives :
« À notre avis, les règles sur les clauses abusives visent généralement des droits, interdictions, avantages quelconques et renonciations quelconques à des avantages qui, en soi, heurtent la conscience du juge dans les circonstances, sans qu'on ait à peser de façon spécifique les avantages réciproques. La règle sur les clauses abusives n'est pas une application de la lésion et ne permet pas de contester le prix excessif d'un contrat. »[42]
- Pour chacun des items, le locataire réclame 50 $ par mois pour la période d’août 2018 à avril 2020.
- Interdiction de fixer des antennes paraboliques
- Le locataire explique que cette interdiction est jumelée avec l’imposition d’un service de câblodistribution.
- Le Règlement-2016[43] prévoit :
« Le service de câble, avec un choix d’environ 30 postes dont les plus populaires, est inclus dans le loyer de base et ne peut faire l’objet d’un retrait ou d’une réduction dans le coût du loyer. (…) »
- Le locataire soumet que la locatrice ne peut l’obliger à prendre et payer ce service. De plus, plaide-t-il, la locatrice ne peut non plus, suivant l’article 1900 C.c.Q, l’empêcher d’acheter des biens ou d’obtenir des services de personnes de son choix, suivant les modalités dont lui-même convient.
- Au soutien de son argumentaire, il réfère le Tribunal au deuxième alinéa de l’article 1900 C.c.Q. :
« 1900. Est sans effet la clause qui limite la responsabilité du locateur, l'en exonère ou rend le locataire responsable d'un préjudice causé sans sa faute.
Est aussi sans effet la clause visant à modifier les droits du locataire en raison de l'augmentation du nombre d'occupants, à moins que les dimensions du logement n'en justifient l'application, ou la clause limitant le droit du locataire d'acheter des biens ou d'obtenir des services de personnes de son choix, suivant les modalités dont lui-même convient. »
- Le locataire ajoute que lors du renouvellement du bail, la locatrice retire le service de câblodistribution du loyer de base et l’ajoute comme un service en fixant un coût qu’elle détermine, comme s’il s’agissait d’un service à la carte.
- Bien que cette pratique apparaisse problématique, le locataire n’ayant pas été exposé à une telle situation en raison du non-renouvellement de son bail, le Tribunal juge inutile de pousser plus loin l’analyse sur ce point.
- En ce qui concerne le locataire, l’annexe 6 du bail (services offerts au locataire par le locateur) mentionne que le service de câblodistribution est inclus dans le loyer de base.
- L’article 13.2 du Règlement sur la certification des résidences privées pour aînées[44], auquel est assujettie la locatrice, prévoit :
« 13.2. L’exploitant de la résidence privée pour aînés doit utiliser le document d’informations générales sur la vie à la résidence prévu à l’article 37 afin d’identifier avec la personne qui souhaite résider dans la résidence ou, le cas échéant, avec son représentant les services, autres que ceux dont le coût est obligatoirement inclus dans le loyer, choisis en vue de la conclusion d’un bail. Le choix de ces services doit être laissé à l’entière discrétion de la personne ou, le cas échéant, de son représentant. L’exploitant de la résidence ne peut en aucun temps exiger qu’un tel service qu’il offre soit retenu par la personne en vue de la conclusion du bail.
L’exploitant doit se rendre disponible pour répondre à toute question d’une personne qui souhaite y résider ou, le cas échéant, de son représentant, avant la conclusion du bail. »
(Notre soulignement)
- Ce règlement permet donc que certains services soient inclus directement dans le loyer de base, tel un service de câblodistribution, comme en l’espèce et ce, qu’ils soient ou non utilisés par le locataire.
- Puisque chaque résident contribue au service, cette inclusion dans le loyer de base permet à un locateur d’offrir un service de câblodistribution à l’ensemble des résidents, à un coût généralement moindre qu’un service individuel de même nature.
- Il s’agit par ailleurs d’une pratique établie qui ne rencontre pas les critères de la clause abusive.
- On ne pourrait, ici, parler d’exploitation de personnes vulnérables au sens de l’article 48 de la Charte comme le soutient le locataire puisque la preuve ne permet pas de conclure à une disproportion déraisonnable de cette obligation eu égard au bénéfice escompté[45].
- Cela étant, qu’en est-il de l’interdiction de fixer des antennes paraboliques ?
- La jurisprudence a déjà déterminé qu’une clause du bail interdisant l’installation d’antennes paraboliques ou satellites sur un immeuble est valide et justifiée, car ce type d’installation est problématique en ce sens qu’il est susceptible d’endommager l’immeuble[46].
- Le Tribunal est du même avis. Cette clause n’est ni déraisonnable, ni abusive.
- Quant à l’argument du locataire voulant que la locatrice l’empêcherait de choisir son fournisseur de télédistribution en contravention de l’article 1900 C.c.Q., il n’y ici aucun empêchement, dans la mesure où la technologie utilisée par le fournisseur choisi, s’il en est, ne nécessite pas l’installation d’antennes ou de satellites sur l’immeuble.
- Interdiction de peindre, autorisation avant changement et acquittement de frais
- Le Règlement-2016[47] prévoit :
« Peinture et transformation dans l’appartement
La peinture additionnelle et les autres transformations sont à vos frais. Vous devez aviser la direction avant d’effectuer des travaux dans votre appartement et obtenir une autorisation écrite avant d’apporter des changements.
Le résident accepte, lors de son départ ou d’une relocalisation à l’interne, d’acquitter les frais encourus pour remettre l’appartement dans son état original.
Cependant, aucun changement à la structure, aux murs de l’appartement ou au balcon ne sera permis. ».
(Notre soulignement)
- Le locataire témoigne que cette clause a inhibé son désir de décorer son logement à son goût, de crainte que l’administration en profite pour l’intimider et l’opprimer davantage. Il n’a pu profiter ainsi d’un intérieur à son goût.
- À plusieurs reprises le Tribunal a décidé qu’une clause du bail qui exige que le locataire obtienne l’autorisation du locateur pour effectuer des travaux de peinture ou autres menus travaux dans son logement est abusive et déraisonnable.
- Dans Habitation Pierre et Marco Inc. c. Carpini[48], la juge administrative Santirosi conclut qu’une telle clause contrevient à l’article 1864 C.c.Q. :
« [53] L’un des arguments du locateur pour justifier le montant des dommages réclamés concerne l’engagement indiqué au bail à l’effet que la locataire ne puisse faire aucun travail sans autorisation et sans retenir les services d’un entrepreneur détenant une licence ou ses cartes de la Régie du Bâtiment du Qc. (RBQ).
[54] Ces clauses sont déraisonnables et contreviennent aux obligations respectives des parties dont en particulier celle de 1864 C.c.Q. qui mentionne que les menus travaux d’entretien sont du ressort du locataire alors que les gros travaux appartiennent au locateur.
[55] Le locateur ne pouvait donc imposer à la locataire de retenir un peintre professionnel ou un entrepreneur ou lui interdire des décorations afin de personnaliser l’intérieur du bien loué. Cette disposition du règlement ne lie pas le Tribunal dans l’évaluation du préjudice.
- Dans la décision Dominique c. Schaffer[49], le Tribunal conclut que l’exigence d’une autorisation du locateur sans mention des critères permettant au locataire d’obtenir cette autorisation, est déraisonnable :
« Clause no. 11 PEINTURE
[27] En effet, en ce qui concerne la clause no.11 qui exige l’obtention au préalable de l’autorisation du locateur pour effectuer de travaux de peinture au logement, celle-ci confère au locateur une prérogative sans condition et susceptible d’être appliquée arbitrairement.
[28] Le soussigné estime qu’Il est abusif de demander à une partie cocontractante de consentir à des exigences qui lui sont inconnues. Les critères pour l’obtention d’une autorisation n’étant pas stipulés, le locateur pourrait à sa guise, malgré une demande formelle d’un locataire, refuser d’une manière arbitraire d’autoriser l’exécution des travaux de peinture dans le logement du locataire.
[29] Pour ces motifs et les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal refuse l’ajout de ces clauses au bail. ».
- Quant à l’obligation du locataire d’acquitter les frais pour remettre l’appartement dans son état original, de l’avis du Tribunal, cette obligation est déraisonnable et contrevient à l’article 1890 C.c.Q, qui prévoit que le locataire n’est pas tenu des changements résultant de la vétusté, de l’usure normale du bien ou d’une force majeure. Ainsi, le locataire ne peut avoir l’obligation de remettre le logement dans son état original.
- Interdiction d’entreposer des effets sur le balcon
- La clause du Règlement-octobre 2016 prévoit[50] :
« Afin de préserver l’aspect esthétique de l’édifice, nous vous demandons de ne pas entreposer de poubelles, de boîtes ou autres effets de même nature sur les balcons. »
- Le locataire témoigne, avec photo à l’appui, que le garde-corps de son balcon, visible du sol, est constitué d’un mur de briques opaques d’une hauteur de 3½ pieds[51].
- Ainsi, dit-il, les effets énumérés dans le règlement ne peuvent pas nuire à l’esthétique de l'immeuble.
- Le locataire ajoute qu’en raison de cette interdiction, il a dû faire entreposer ses pneus chez un garagiste et qu’il doit garder sa poubelle à l’intérieur de son logement.
- La preuve démontre que le balcon d’autres résidents est pourvu d’un garde-corps en verre, au travers duquel on peut voir ce qui se trouve sur les balcons.
- Il vaut de rappeler que le règlement vise tous les logements de l’immeuble et non seulement celui du locataire.
- Cela étant, de l’avis du Tribunal, cette clause du règlement, tel que libellée, est trop générale et imprécise qu’elle en devient déraisonnable.
- Elle confère à la locatrice une prérogative sans condition (ou critère) lui permettant de décider ce qui constitue des effets « de même nature ». Cette clause est susceptible d’être appliquée arbitrairement.
- Par ailleurs, bien qu’une interdiction générale visant des objets usuels tels qu’une boîte de plastique apparaisse déraisonnable, l’entreposage de pneus relève d’une autre catégorie.
- Certes la locatrice ne peut s’attendre à une uniformité absolue au détriment du droit du locataire de jouir de son logement, mais elle a le droit que la façade de son immeuble conserve un aspect général propre et soigné.
- Le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas déraisonnable pour un locateur d’interdire l’entreposage de pneus sur les balcons. Un balcon n’a pas la vocation, ni généralement la structure d’un espace d’entreposage ou d’un garage.
- Les pneus sont constitués de matériaux combustibles difficiles à éteindre et, en cas d’incendie, ils constituent un risque accru pour la sécurité des occupants et pour l’intégrité de l’immeuble.
- De l’avis du Tribunal en vertu de l’obligation générale de sécurité à laquelle est tenu le locataire, ce dernier ne pouvait entreposer des pneus sur le balcon[52].
- Quant à l’interdiction d’entreposer les poubelles sur le balcon, celle-ci n’est pas déraisonnable, considérant que les déchets attirent les vermines et peuvent dégager des odeurs. De plus, chaque étage est pourvu d’une chute à déchets où, selon le règlement, le locataire doit déposer ses ordures[53].
- Ainsi, le Tribunal conclut, eu égard à la preuve soumise, que le locataire n’a pas subi de perte de jouissance réelle et substantielle des lieux en lien avec ce reproche et qu’il n’y a pas lieu de lui accorder une diminution de loyer, même si le Tribunal juge que le libellé de la clause d’interdiction la rend déraisonnable.
- Obligation de détenir une police d’assurance responsabilité civile
- Le Règlement sur la certification des résidences privées pour aînés[54] cautionne la possibilité pour une RPA d’exiger d’un résident qu’il détienne une assurance responsabilité civile.
- En l’espèce, le locataire soumet que cette clause du bail est floue, trompeuse et abusive, car le montant minimum exigé de la couverture porte à confusion.
- Cette clause prévoit ceci quant au montant:
« (…) assurance responsabilité civile d’un minimum d’un million de dollars (2 000 000). »
- Le locataire témoigne qu’il a pris une assurance de 2 000 000 $, conformément aux représentations de l’agente de location lors de la signature du bail.
- À l’audience, la mandataire de la locatrice témoigne qu’il s’agit d’une erreur. D’ailleurs, la contradiction entre la mention en lettres et celle en chiffres le démontre. Elle ajoute que le montant minimum exigé a toujours été d’un million. Dans la version du Guide-février 2019, l’erreur a été corrigée.
- Elle souligne avec justesse que la prime payée par le locataire pour la couverture de son assurance responsabilité civile est de 27 $ par année pour la première année et de 28 $ par année la deuxième année, selon les relevés de la police d’assurance-habitation produits par le locataire[55].
- Cela étant, de l’avis du Tribunal, il n’y a pas de perte de jouissance du logement en lien avec cette obligation.
- Tout au plus, le locataire pourrait prétendre avoir payé une prime d’assurances trop élevée pour laquelle il pourrait demander un remboursement. Or, en l’instance, le Tribunal n’est saisi d’aucune réclamation en dommages-intérêts matériels du locataire.
Conclusion sur les règlements abusifs ou déraisonnables
- Ainsi, quant aux éléments soulevés dans cette section, le Tribunal est d’avis que seul l’interdiction mentionnée au paragraphe b), soit l’« Interdiction de peindre, autorisation avant changement et acquittement de frais » donne ouverture à l’octroi d’une diminution de loyer.
- La diminution de loyer est accordée pour la période d’août 2018 à avril 2020.
3- Services absents ou réduits
- Il y a lieu de préciser que, bien que les règlements de l’immeuble postérieurs à 2016 ne soient pas opposables au locataire en ce qui concerne les obligations qu’ils énoncent, le Tribunal est d’avis que les services qui y sont prévus et annoncés sont au bénéfice de l’ensemble des résidents quel que soit leur date d’arrivée. Ainsi, le locataire était en droit d’en bénéficier.
- La preuve démontre que plusieurs des services prévus dans les Guides des résidents ou annoncés dans la publicité de la locatrice étaient absents ou réduits.
- Sauf pour la piscine, le locataire réclame une diminution de loyer de 50 $ pour chacun des services manquants ou réduits, pour la période d’avril 2018 à avril 2020. Pour la piscine, le même montant de 50 $ par mois est réclamé, mais pour la période réduite de décembre 2018 à juin 2019.
- Voici la liste des services manquants ou réduits :
- Absence d’un stationnement visiteur réservé aux invités[56]
- Ce service est annoncé dans le Guide-février 2019.
- Le locataire témoigne qu’en raison de l’absence de ce service, ses visiteurs étaient contraints de stationner leur véhicule dans les rues avoisinantes, où les places disponibles se faisaient rares. Cette contrainte, dit-il, dissuadait ses proches de lui rendre visite.
- Absence d’outils dans l’atelier[57]
- Ce service est annoncé dans le Guide-octobre 2016.
- Le locataire témoigne qu’il est un bon bricoleur et qu’il était contraint d’apporter son propre coffre à outils.
- Absence d’un potager sur la terrasse du toit[58]
- Ce service est annoncé dans le Guide-octobre 2016. Pendant toute la durée du bail, il n’y aura aucun potager sur le toit.
- Absence d’un salon Internet avec tablettes informatiques[59]
- Le locataire soumet que lors de sa visite prélocation, l’agente de location lui a représenté que ce service était toujours existant.
- Le Tribunal donne foi au témoignage du locataire. D’ailleurs, dans sa publicité de janvier 2018[60], la locatrice annonce ce service. La preuve démontre qu’aucune tablette informatique n’était mise à la disposition des locataires.
- Absence d’une piscine[61]
- La preuve démontre que ce service est annoncé à compter de l’automne 2018, mais ne sera disponible qu’à l’été 2019.
- Diminution du nombre de projections de films
- La preuve démontre qu’à compter de février 2019, le Guide des résidents[62] prévoit trois visionnements de films par mois, sauf pendant l’été où le nombre est réduit à deux visionnements par mois.
- La preuve révèle qu’au lieu des 33 visionnements annuels prévus au Guide, la locatrice en a offert 25[63].
- Absence d’un système de surveillance par caméra vidéo reliées à la réception
- Le Règlement-2016 prévoit qu’un tel système est en place dans la résidence.
- Il faut savoir que Le Règlement sur la certification des résidences privées pour aînés[64] ne prévoit pas l’obligation pour une résidence de la catégorie de la locatrice[65] de mettre en place ni de maintenir un système de surveillance par caméra vidéo reliée à la réception.
- Ce règlement prévoit le maintien d’un système de sécurité qui consiste à assurer la présence en tout temps dans une résidence d’une personne responsable d’y assurer une surveillance et celle d’équipements visant à assurer la sécurité des résidents. Les articles 17 et suivants de ce règlement établissent le nombre de membres du personnel qui doivent être présents à la résidence, selon sa catégorie, selon le nombre d’unités et selon les heures.
- Toutefois, dans la mesure où le règlement prévoit un service, la locatrice se doit de le fournir.
- La mandataire de la locatrice dira à l’audience qu’effectivement le système de caméra n’était pas relié à la réception et que ce règlement semble avoir été importé d’une autre résidence du Groupe Sélection.
- Le locataire ajoute que le système de surveillance était défaillant. Les alarmes des portes de secours étaient désactivées volontairement par le personnel, car elles sonnaient trop souvent et plusieurs personnes utilisaient ces portes pour sortir de la résidence.
- Absence d’enregistrement de tous les visiteurs à la réception
- Le Règlement sur la certification des résidences privées pour aînés ne prévoit pas l’exigence pour l’exploitant de tenir un registre des visiteurs. À ce sujet, le règlement prévoit seulement ce qui suit :
« 38. L’exploitant d’une résidence privée pour aînés doit permettre aux résidents de recevoir en tout temps des visiteurs.
Il doit aménager l’espace dans la résidence de façon à permettre que les visites soient effectuées dans le respect de l’intimité des résidents. »
- En février 2019, la locatrice prévoit toutefois dans le Guide des résidents[66] que ce service existe à la résidence. Il est écrit :
« Les visiteurs et les membres de votre famille sont toujours les bienvenus. Tous les visiteurs doivent s’enregistrer à la réception lors de leur arrivée durant l’ouverture de la réception de 8h à 17h. »
Conclusion sur les services absents ou réduits
- De l’avis du Tribunal, certains services pris isolément – comme la réduction des projections de films, l’absence de potager sur la terrasse, l’absence d’enregistrement de tous les visiteurs - ne justifieraient pas une diminution de loyer puisque la perte de jouissance qui en découle n’est pas substantielle.
- Toutefois, considérant le cumul des services retranchés, le Tribunal conclut à une atteinte réelle et substantielle à la jouissance des lieux pour l’ensemble des services.
- La diminution de loyer sera accordée à compter du moment où le service est annoncé comme étant offert par la locatrice.
- Ainsi, pour les services suivants la diminution de loyer sera applicable pour la période de février 2019 à avril 2020 : stationnement visiteurs, l’enregistrement des visiteurs à la réception et la diminution des projections de films.
- Pour la piscine, la diminution est accordée pour la période de décembre 2018 à juin 2019.
- Pour l’absence de potager sur la terrasse, le Tribunal applique une diminution de loyer pour les mois d’août 2018 à septembre 2018 et mai 2019 à septembre 2019.
- Pour les autres items, soit l’absence d’un système de surveillance par caméras vidéo reliées à la réception, l’absence d’outils dans l’atelier et le salon Internet sans tablettes informatiques, la diminution de loyer est accordée pour la période d’août 2018 à avril 2020.
L’évaluation du montant à titre de diminution de loyer
- Selon l’auteur Pierre-Gabriel Jobin, la diminution de loyer doit être évaluée comme suit :
« La réduction de loyer est évaluée en fonction de la jouissance, ou de la valeur locative, c'est-à-dire de la perte de l'usage et des avantages du bien loué. La méthode d'évaluation consiste à apprécier, dans les faits de chaque espèce, la diminution réelle de la jouissance par rapport à l'ensemble de la jouissance convenue; le tribunal est ainsi amené à considérer la dimension et la qualité du bien loué, tous ses accessoires, les services fournis et tous les autres avantages; si le locataire a perdu la jouissance d'une partie des lieux loués (par exemple, une pièce), l'évaluation ne se limitera pas au rapport arithmétique entre la surface perdue et la surface totale [...] »[67]
(Notre soulignement)
- Dans Gagné c. Larocque[68], le juge administratif Gilles Joly énonce ainsi les principes applicables quant au montant qui peut être alloué :
« Le recours en diminution du loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie. Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »
- Le Tribunal doit ainsi user de son pouvoir discrétionnaire, fondé sur l'analyse de la preuve soumise, en effectuant une évaluation de la perte locative de manière objective, globale et équitable[69].
- Quant au critère « globale » de la diminution de loyer, dans son ouvrage sur la Diminution de loyer, l’auteur Denis Lamy apporte les précisions suivantes:
« Pour déterminer la diminution de loyer à laquelle un locataire a droit, il faut analyser sa demande ou sa réclamation dans un contexte global. La diminution de loyer à être accordée devra ainsi tenir compte du prix, de la dimension ou de la contenance du logement, des services, des accessoires et des commodités faisant partie du bail. »[70]
- Par ailleurs, comme le mentionne Jobin :
« Quand la diminution de jouissance a plusieurs causes, le tribunal apprécie globalement la perte de jouissance et la réduction de loyer. »[71]
- Ainsi, la diminution de loyer est accordée pour les items ci-après mentionnés, pour les périodes suivantes[72] :
Interdiction de fumer du cannabis : octobre 2018 - avril 2020 = 19 mois
Interdiction parasol et meubles plastiques : février 2019 - avril 2020 =15 mois
Interdiction de peindre et autorisation avant changement : février 2019 – avril 2020= 15 mois
Absence de stationnements visiteurs : février 2019 - avril 2020=15 mois
Diminution de projections de films : février 2019 - avril 2020= 15 mois
Absence d’outils dans atelier : août 2018 - avril 2020=21 mois
Absence d’un potager sur terrasse : 7 mois
Salon Internet sans tablette : août 2018 - avril 2020=21 mois
Absence d’un système de surveillance par caméras reliées
à la réception août 2018 - avril 2020=21 mois
Absence d’enregistrement des visiteurs à la réception : février 2019 - avril 2020=15 mois
Absence de piscine : décembre 2018 - juin 2019= 7 mois
- En appliquant les principes ci-haut énoncés et eu égard à la preuve soumise, afin de rétablir l’équilibre entre les prestations respectives des parties, le Tribunal estime raisonnable d’accorder au locataire une diminution globale de loyer de 2 900 $ couvrant toutes les pertes de jouissance démontrées, et ce, pour toutes les périodes concernées.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE, en partie, la demande du locataire;
- DÉCLARE invalides et inopposables au locataire les règlements suivants :
- Interdiction de circuler dans les aires communes en pantoufles;
- Interdiction de fumer du cannabis dans le logement;
- Interdiction d’un BBQ sur le balcon;
- Interdiction d’un parasol et de meubles en plastique sur le balcon;
- Interdiction de peindre, autorisation avant changement et acquittement de frais;
- Interdiction d’entreposer des effets sur le balcon;
- CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 12 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;
- CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux;
- CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 2 900 $ à titre de diminution de loyer;
- REJETTE la demande quant au surplus.
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| Sylvie Lambert |
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Présence(s) : | le locataire la mandataire de la locatrice |
Dates des audiences : | 25 janvier 2021 20 octobre 2021 12 janvier 2022 28 novembre 2022 |
Présence(s) : | le locataire |
Dates des audiences : | 10 novembre 2021 13 novembre 2023 11 novembre 2024 |
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