Décision

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Rozon c. P.T.

2025 QCCA 281

 

 

COUR D'APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

MONTRÉAL

 

No :

500-09-031407-257

      (500-17-116313-217) (500-17-116682-215) (500-17-116954-218)

      (500-17-117295-215) (500-17-118516-213) (500-17-119062-217)

      (500-17-122649-224) (500-17-122650-222) (500-17-122651-220)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

(rectifié le 12 mars 2025)

 

 

DATE : Le 11 mars 2025

 

L’HONORABLE MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

AVOCATS

 

gilbert rozon

 

Me Mélanie Morin

Me Pascal A. Pelletier

(Morin Pelletier avocats)

 

Me Laurent debrun

(Spiegel Ryan)

 

PARTIES INTIMÉES

AVOCATS

 

P… t…

l… c…

D… F…

A… Ch….

AN… ch…

s… m…

g… co…

m… s…

ma… r…

 

 

Me Bruce W. Johnston

Me anne-julie asselin

me jessica lelièvre

(Trudel Johnston & Lespérance)

 

 


PARTIE MISE EN CAUSE

AVOCATS

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

Me Michel Déom

Me Amélie Bellerose

Me aurélie fortin

(Bernard, Roy (Justice-Québec))

 

 

 

 

DESCRIPTION :

Demande d'ordonnance de sauvegarde visant la suspension immédiate de l'instance, en suspension d'instance et pour permission d'appeler d'un jugement rendu en cours d'instance refusant l'administration d'une preuve dans le cadre de l'application du nouvel article 2858.1 C.c.Q. (Art. 9 al. 3, 18, 31 et 357 C.p.c.).

 

Greffière-audiencière : Mélanie Camiré

Salle : RC-18

 


AUDITION

 

9 h 29

Début de l’audience. Identification du dossier et des avocats.

Remarques préliminaires.

 

Argumentation de Me Morin sur la demande de permission d’appeler.

10 h 13

Remise par Me Johnston d’un plan d’argumentation, d’un cahier de sources et d’une clé USB.

10 h 15

Argumentation de Me Johnston.

10 h 33

Argumentation de Me Déom.

10 h 45

Réplique de Me Morin.

10 h 53

PAR LE JUGE : Jugement sera rendu sur procès-verbal et sera transmis aux parties dès qu’il sera disponible.

Fin de l’audience.

 

 

 

 

 

 

Mélanie Camiré, Greffière-audiencière

 


JUGEMENT

(rectifié le 12 mars 2025)

 

 

  1.                 Je suis saisi d’une demande de permission d’appeler d’un jugement du 7 mars 2025 rendu en cours d’instruction par la Cour supérieure (l’honorable Chantal Tremblay), district de Montréal qui interdit à la partie requérante d’administrer une preuve jugée contraire au nouvel article 2858.1 C.c.Q. La partie requérante me demande également de suspendre le déroulement de l’instruction pendant l’appel.
  2.                 Cette interdiction d’administrer une preuve découle du filtrage exigé par la nouvelle disposition. Celle-ci prévoit :

2858.1. Lorsqu’une affaire comporte des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale, sont présumés non pertinents: 

1° tout fait relatif à la réputation de la personne prétendue victime de la violence; 

2° tout fait relié au comportement sexuel de cette personne, autre qu’un fait de l’instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité; 

3° le fait que cette personne n’ait pas demandé que le comportement cesse; 

4° le fait que cette personne n’ait pas porté plainte ni exercé un recours relativement à cette violence; 

5° tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée; 

6° le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l’auteur allégué de cette violence. 

Tout débat relatif à la recevabilité en preuve d’un tel fait constitue une question de droit et se tient à huis clos, malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12). 

  1.                 Concrètement, la décision vise plusieurs sujets ou faits dans ce litige complexe, selon la qualification qu’en donne la juge, que la partie requérante souhaite mettre en preuve au soutien de sa défense ou pour contredire, atténuer ou nuancer des faits déjà avancés en preuve principale.
  2.                 Le présent jugement ne statue d’aucune manière sur la justesse de la décision, mais tranche uniquement la question de savoir si la partie requérante peut saisir la Cour des erreurs qu’elle estime commises par la juge du procès.  
  3.                 Contrairement au droit criminel, le Code de procédure civile ne permet pas à la partie qui se voit refuser le droit d’administrer une preuve lors de l’instruction de s’en plaindre au moment de l’appel du jugement final, s’il y a lieu. Conformément à l’art. 31 al. 4 C.p.c., elle doit porter la décision en appel immédiatement, ce que fait la partie requérante.
  4.                 La partie requérante reproche à la juge de lui refuser la possibilité de réfuter des faits qui ont été avancés dans la demande introductive d’instance et lors du témoignage en chef des témoins. La juge aurait exercé son rôle de filtrage trop largement et limiterait indûment la partie requérante dans l’administration d’une preuve pertinente qui répond à celle présentée par les parties intimées.
  5.                 Plus particulièrement, je cite textuellement les moyens développés dans la procédure d’appel :

i. Est-ce que la juge Tremblay a erré dans son interprétation et son application de l’article 2858.1 C.c.Q., incluant quant à la notion de « faits en l’instance », ayant pour effet non seulement d’imposer un fardeau allant au-delà de celui de la prépondérance de la preuve, mais étant encore plus lourd que celui imposé à un accusé en droit criminel?   

ii. Est-ce que la juge Tremblay, en ne soulevant pas elle-même d’office les faits visés à l’article 2858.1 C.c.Q. mis en preuve par les Intimées, dans le cadre de leurs propres témoignages ou celui de leurs témoins, ne constitue pas une reconnaissance de la pertinence de ces faits, et qu’en refusant à l’Appelant de contre-interroger et d’administrer sa propre preuve sur ces mêmes sujets pour se défendre ne crée pas un déséquilibre de l’instance civile désavantageant indûment l’Appelant eu égard à ses droits fondamentaux dans le cadre de recours en responsabilité extracontractuelle?

iii. Est-ce que le fait de rendre la Décision, fort détaillée et reprenant tous les sujets que l’Appelant souhaitait aborder notamment avec les témoins de la demande en contre-interrogatoire, de même que dans le cadre de sa propre défense, sans l’assortir d’une ordonnance de confidentialité, alors que l’audition des demandes (Annexes 3 et 4) de l’Appelant s’est déroulée à huis clos constitue un accroc aux règles d’équité procédurale ayant pour effet de placer l’Appelant en position d’inégalité et de désavantage procédural vis-à-vis des Intimées, alors que jusqu’au jugement final, il ne peut être présumé de sa responsabilité à l’égard des Intimées de quelque manière que ce soit?

  1.                 Je note que la partie requérante se réserve le droit de parfaire ses moyens. À mon avis, la décision que je dois rendre n’examine que les moyens actuellement mis de l’avant. La partie requérante devra respecter la loi et les règles pour soulever d’autres moyens.
  2.                 L’article 31 C.p.c. ainsi que la jurisprudence de la Cour exigent notamment la démonstration que la décision cause un préjudice irrémédiable. Les parties intimées plaident avec raison que ce motif d'appel n’est ni nouveau ni exceptionnel et que la permission d’appeler n’est pas toujours accordée lorsqu’une partie est privée d’administrer une preuve. J’en conviens, tout en précisant que, lorsque la permission est refusée, c’est la plupart du temps en raison de l’absence de chances de succès de l’appel.
  3.            Le problème particulier de la présente affaire provient de l’ampleur de la preuve en demande et de l’utilisation, dans une affaire civile, de la théorie des faits similaires que la partie requérante doit réfuter. Ainsi, le jugement vise une preuve sur plusieurs fronts comportant, contrairement au droit criminel, au moins trois questions litigieuses dans chaque cas : la faute, le lien causal et les dommages.
  4.            Les parties intimées m’invitent à considérer que le préjudice n’est pas ici irrémédiable vu l’ouverture de la juge à reconsidérer l’admissibilité de certains faits interdits selon le déroulement de l’instruction et les précisions que pourrait apporter la partie requérante sur leur pertinence. Elles plaident que cette voie respecte davantage le principe de proportionnalité.
  5.            L’argument est invitant. Je note également que la juge a laissé ouverte la possibilité de revoir sa décision si elle déterminait que la nouvelle disposition était inconstitutionnelle.
  6.            La proposition des parties intimées fonctionne dans la mesure où la juge ne commet aucune erreur de droit dans son interprétation de la nouvelle disposition et dans son application, qui elle aussi est une question de droit selon le texte même de la loi. Dans le cas contraire, la partie requérante est illégalement empêchée, en tout ou en partie, d’administrer une preuve importante qui est pertinente au sens du droit. Or, il s’agit d’une nouvelle disposition dont les contours n’ont jamais été débattus. Il est périlleux à ce stade d’affirmer que l’appel ne présente aucune […] chance raisonnable de succès.
  7.            Je conclus que la partie requérante a démontré que le jugement lui causait un préjudice irrémédiable. Je suis également d’avis que le principe de proportionnalité est respecté vu, d’une part, la nature complexe de l’instruction en cours et, d’autre part, les questions difficiles que soulève la nouvelle disposition législative.
  8.            Les conditions de l’art. 31 C.p.c. étant ainsi remplies, il y aura donc lieu d’accorder la permission recherchée.
  9.            Comme annoncé à l’audience, les parties seront convoquées à une conférence de gestion du dossier et le greffe communiquera avec elles afin de trouver un moment convenable.
  10.            Tout en étant conscient de l’impact de cette procédure sur l’instruction, il faut néanmoins rappeler qu’elle s’inscrit dans le cours normal et prévisible de la procédure civile.
  11.            Quant à la demande de suspendre l’instruction, l’article 31 C.p.c. al. 3 in fine ne permet pas à un juge de la Cour de l’ordonner. Il prévoit toutefois que le tribunal de première instance ne peut ni rendre jugement sur le fond ni entendre la preuve concernée avant que notre Cour ne rende son jugement sur l’appel. Dans ces circonstances, il appartiendra à la juge d’instance de décider s’il est possible et sage de poursuivre l’instruction.

POUR CES MOTIFS, LE SOUSSIGNÉ :

  1.            ACCUEILLE la demande de permission d’appeler;
  2.            ACCORDE la permission d’appeler;
  3.            REJETTE […] la demande de suspendre l’instruction pour défaut de compétence;
  4.            LE TOUT, frais à suivre selon […] le sort de l’appel.

 

 

MARTIN VAUCLAIR, j.c.a.

 

AVIS :
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