Décision

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2177 23rd Avenue Holdings c. Pival International inc.

2025 QCCA 19

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE MONTRÉAL

 

 :

500-09-030702-237

(500-17-120777-225)

 

DATE :

 9 janvier 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

2177 23RD AVENUE HOLDINGS ULC

BP COGNAC CANADA OWNER LIMITED PARTNERSHIP

APPELANTES / INTIMÉES INCIDENTES – défenderesses

c.

 

PIVAL INTERNATIONAL INC.

INTIMÉE / APPELANTE INCIDENTE – demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 7 août 2023 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Andres C. Garin), qui accueille en partie la demande introductive d’instance remodifiée de l’intimée / appelante incidente.
  2.                 Pour les motifs de la juge Gagné, auxquels souscrivent les juges Doyon et Bachand, LA COUR :
  3.                 ACCUEILLE l’appel;
  4.                 INFIRME le jugement de première instance;
  5.                 REJETTE la demande introductive d’instance remodifiée de l’intimée / appelante incidente;
  6.                 PREND ACTE de l’offre des appelantes / intimées incidentes de permettre à l’intimée / appelante incidente de continuer à occuper les lieux loués jusqu’au 31 mai 2025, moyennant un loyer de base de 10,25 $ / pied carré;
  7.                 REJETTE l’appel incident;
  8.                 LE TOUT avec les frais de justice contre l’intimée / appelante incidente, tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

Me Alexandre Forest

Me Mathieu Papineau

GOWLING WLG (CANADA)

Pour les appelantes / intimées incidentes

 

Me Matthew Mc Laughlin

Me Alexandre Katerelos

KRB AVOCATS

Pour l’intimée / appelante incidente

 

Date d’audience :

12 novembre 2024


 

 

MOTIFS DE LA JUGE GAGNÉ

 

 

  1.                 L’appel porte sur l’interprétation d’une clause dite d’option de renouvellement contenue dans un bail commercial et sur l’obligation de négocier de bonne foi qui en découle. L’appel incident, quant à lui, soulève principalement la question de savoir si une proposition de renouvellement conditionnelle à l’acceptation ultérieure de la ou des personnes autorisées par l’auteur de la proposition constitue une offre de contracter au sens de l’article 1388 C.c.Q.
  2.            Le juge de première instance répond à cette dernière question par la négative et conclut donc qu’aucune entente de renouvellement ne s’est formée. Par ailleurs, il est d’avis que la clause du bail en question constitue une véritable option de renouvellement et non un simple droit de préférence. Selon lui, l’auteur des appelantes, le Fonds de Placement Immobilier Cominar (« Cominar »), a manqué à son obligation de négocier de bonne foi le prix du loyer après la levée de l’option par l’intimée (« Locataire »). Estimant la preuve insuffisante pour lui permettre de fixer le loyer, il ordonne aux parties d’engager de bonne foi des négociations et réserve leur droit de s’adresser de nouveau à la Cour supérieure dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à s’entendre[1].
  3.            Pour les motifs qui suivent, je propose d’accueillir l’appel et de rejeter l’appel incident. Je suis en effet d’avis que la clause du bail n’accorde à la Locataire qu’un droit de préférence et que Cominar n’a pas manqué à son obligation de négocier de bonne foi. Par ailleurs, je partage l’opinion du juge selon laquelle la proposition de renouvellement ne constitue pas une offre de contracter.

I.                    Contexte

  1.            La Locataire exploite une entreprise de transport, d’entreposage, de distribution et de logistique. En juillet 2016, elle conclut un bail commercial d’une durée de cinq ans avec Cominar pour des locaux industriels situés à Lachine (« Lieux Loués »).
  2.            Le bail, tel que modifié en juillet 2017[2], comprend une clause dite d’option de renouvellement :

27.6 Option de renouvellement

À la condition que le Locataire remplisse, de bonne foi et ponctuellement, toutes les obligations qui lui incombent en vertu du bail et qu’il ne soit pas en défaut en vertu de l’une quelconque d’entre elles pendant le terme du bail, il pourra renouveler le présent bail pour une (1) période additionnelle de cinq (5) ans, soit pour la période débutant le 1er janvier 2023 et se terminant le 31 décembre 2028[3]. Un avis écrit, au moins neuf (9) mois avant l’expiration du présent bail, devra être donné au Bailleur. À défaut d’avis par le Locataire, le présent bail prendra automatiquement fin à l’arrivée du terme fixé.

Si le Locataire désire se prévaloir de l’option, le nouveau prix fixé pour son loyer devra être négocié dans un délai de soixante (60) jours de l’avis, et une nouvelle entente de location devra avoir été conclue entre les parties à l’intérieur du même délai, à défaut de quoi, l’option de renouvellement deviendra nulle et non avenue à l’expiration dudit délai de soixante (60) jours. Les taux applicables pour fixer le loyer seront les taux du marché et/ou de l’Immeuble alors en vigueur pour un terme équivalent et pour un espace comparable et d’usage similaire aux Lieux Loués et situés dans le même secteur de la ville de Montréal.

Le fait que le Locataire continue d’occuper les Lieux Loués après l’expiration de son bail sans qu’un nouveau bail n’ait été signé ne constitue pas un renouvellement de bail, le Locataire étant considéré comme Locataire au mois, et il devra payer, en sus de toute somme payable à titre de loyer additionnel prévu au bail, cent vingt-cinq pourcent (125 %) du loyer de base payable lors de la dernière année du bail. Le Locataire s’engage à quitter les Lieux Loués dans un délai maximum de trente (30) jours suite à la réception d’un avis écrit du Bailleur à cet effet.[4]

[Caractères gras dans l’original; soulignements ajoutés]

  1.            Les discussions en vue du renouvellement du bail s’amorcent au printemps 2021. Lors d’une visioconférence tenue le 28 juin 2021, M. Mario La Barbera, président de la Locataire, avise oralement M. Michael Racine, vice-président exécutif de Cominar[5], que la Locataire désire se prévaloir de l’option de renouvellement[6].
  2.            Le 27 septembre 2021, Cominar envoie à la Locataire une première proposition de renouvellement. Les loyers de base[7] qui y figurent s’appuient sur un rapport de marché de CBRE (une entreprise de services immobiliers) portant sur les locations industrielles au cours du troisième trimestre de 2021. La Locataire refuse cette proposition.
  3.            Le 18 octobre 2021, Cominar lui envoie une seconde proposition de renouvellement. Il est utile de la reproduire au long :

Bonjour,

Suite à votre demande, il nous fait plaisir de vous soumettre les conditions de location concernant un espace dans l’immeuble situé à l’adresse mentionnée en objet. Veuillez noter toutefois que la validité de ces conditions, de même que les autres conditions de la location à intervenir, sont sujettes à l’acceptation ultérieure de la ou des personnes dûment autorisées du FPI Cominar. De plus, il est expressément entendu entre les parties que le présent document ne constitue pas un contrat et ne liera pas les parties tant et aussi longtemps que l’entente complète de location énonçant tous les termes et conditions ne sera signée par le Bailleur et le Locataire.

2177, 23e avenue, Montréal, QC 220 554 pieds carrés                 200 000 pieds carrés                   60 mois                                          1er janvier 2023

 

Loyer de base calculé sur 200 000 pieds carrés

Période

Loyer de base par pied carré par année

Loyer de base mensuel

Loyer de base annuel

1er janvier 2023 au

 31 décembre 2024

9,25 $

154 166,67 $

1 850 000,00 $

1er janvier 2025 au

31 décembre 2025

9,50 $

158 333,33 $

1 900 000,00 $

1er janvier 2026 au

31 décembre 2027

9,75 $

162 500,00 $

1 950 000,00 $

 Loyer additionnel :   Estimé comme suit pour l’année 2023

     Frais d’exploitation : 0,26 $ / p.c.

     Taxes foncières : 1,76 $ / p.c.

     Total :   2,02 $ / p.c.

Travaux du Bailleur :

Le Bailleur procédera au remplacement de la toiture au printemps 2023, le tout selon les modalités de l’article 27.4 du bail.

 

Le Bailleur procédera aux réparations de la dalle de béton dans la section des quais de chargement.

 

Tous les autres travaux et aménagements seront de la seule responsabilité du Locataire, à ses frais et à l’entière exonération du Bailleur mais ce dernier devra préalablement approuver par écrit tous ces autres travaux et aménagements.

Allocation monétaire :

Le Bailleur accorde au Locataire une allocation monétaire au montant de soixante-dix mille dollars (70 000,00 $) plus les taxes applicables, pour effectuer des améliorations locatives dans les Lieux Loués.

Loyer gratuit :

Le locataire n’aura pas à payer le Loyer de base pour le mois de janvier 2023.

Option de renouvellement :

1 X 5 ans

Autres conditions :

Bail net standard du bailleur.

Sous réserve du premier paragraphe de la présente, les présentes conditions de location sont valides jusqu’au 30 novembre 2021, après quoi, elles deviendront nulles et non avenues.

Sur réception ou confirmation de votre approbation des conditions de la présente à l’intérieur du délai ci-dessus mentionné, nous vous transmettrons l’entente de location à intervenir entre les parties. […].[8]

[Caractères gras dans l’original; soulignements ajoutés]

  1.            Quelques jours plus tard, M. Racine apprend que Cominar est sur le point de conclure une opération de fermeture (« going-private transaction »). De fait, le 24 octobre 2021, Cominar signe une entente (« Arrangement Agreement ») qui l’oblige à obtenir l’accord du potentiel acquéreur avant de conclure toute entente de location. À partir de ce moment, des rencontres hebdomadaires ont lieu entre M. Racine et M. David Owen, président de Pure Industrial (« Pure »), la gestionnaire mandatée par le potentiel acquéreur.
  2.            Au fil de ces rencontres, M. Racine constate que Pure a « une opinion différente […] de l’évolution des loyers dans les marchés » pour les trimestres à venir. Il se doute donc que les loyers figurant dans la seconde proposition ne seront probablement pas acceptés par Pure. Il en informe la Locataire le 24 novembre 2021.
  3.            Le lendemain, la Locataire accepte la seconde proposition de renouvellement. Le 26 novembre 2021, Cominar présente cette proposition à Pure, qui la refuse.
  4.            Le 30 novembre 2021, M. Racine informe la Locataire de ce refus et lui rappelle que la proposition de renouvellement de Cominar était conditionnelle à l’acceptation ultérieure de la ou des personnes autorisées. Par ailleurs, il tient pour acquis que la Locataire entend se prévaloir de l’option de renouvellement et considère que le délai de 60 jours pour négocier le prix du loyer et conclure une nouvelle entente de location a commencé à courir le 25 novembre 2021 (date de l’acceptation de la seconde proposition).
  5.            Le 6 décembre 2021, l’avocat de la Locataire écrit à Cominar que sa cliente trouve « déraisonnable et infondée la répudiation par Cominar des termes qu’elle a elle-même proposés »[9].
  6.            Le 21 décembre 2021, Cominar informe la Locataire que le potentiel acquéreur « is still ready to do some work to improve the building and the site », mais que le loyer de base demandé est dorénavant de 11,75 $ / pied carré avec une augmentation de 4 % par année[10].
  7.            Suivront d’autres échanges entre les avocats des parties sur lesquels je reviendrai lorsque j’aborderai la question de la mauvaise foi de Cominar.
  8.            Le 1er mars 2022, les appelantes (« Propriétaires ») acquièrent l’immeuble où sont situés les Lieux Loués. Environ un mois plus tard, et bien que le délai de 60 jours prévu à la clause 27.6 du bail soit expiré, elles envoient à la Locataire une liste de 37 loyers comparables et lui demandent de fournir ses propres données.
  9.            Le 26 avril 2022, la Locataire dépose une demande introductive d’instance. Elle cherche, notamment, à faire déclarer que les parties sont liées par la seconde proposition de renouvellement et par le bail qui en aurait résulté.

II.                  Jugement de première instance

  1.            En premier lieu, le juge se demande si la clause 27.6 du bail accorde à la Locataire une véritable option de renouvellement, par opposition à un simple droit de préférence. Il est d’avis que oui puisque la clause renvoie aux taux du marché pour un bail comparable, ce qui, selon lui, rend le loyer déterminable au sens des articles 1373 et 1374 C.c.Q.
  2.            En deuxième lieu, il se penche sur la question de savoir si une entente de location s’est formée le 25 novembre 2021, au moment où la Locataire a accepté la seconde proposition de renouvellement. Il conclut que cette proposition ne constituait pas une offre de contracter au sens de l’article 1388 C.c.Q., donc que son acceptation par la Locataire n’a pas donné lieu à un échange de consentement. Il rejette tous les autres arguments mis en avant par la Locataire dans le but de contrer la stipulation d’acceptation ultérieure contenue dans la proposition.
  3.            En troisième lieu, le juge conclut qu’à compter du 25 novembre 2021, Cominar a manqué à son obligation de négocier de bonne foi le prix du loyer. Elle ne pouvait, selon lui, s’en laver les mains et se contenter d’être la porte-parole de Pure.
  4.            En quatrième lieu, le juge s’interroge sur le remède approprié. Il constate que, n’eût été la mauvaise foi de Cominar, la Locataire aurait conclu une nouvelle entente de location selon les taux du marché. Il estime toutefois que la preuve ne lui permet pas de fixer le loyer. Se référant au mode d’exécution qu’est l’exécution en nature de l’obligation, il ordonne aux parties d’engager de bonne foi des négociations afin de fixer le loyer selon les taux du marché et réserve leur droit de s’adresser de nouveau à la Cour supérieure dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à s’entendre.

III.                Questions en litige

  1.            Les deux parties sont insatisfaites du jugement. Comme déjà mentionné, l’appel des Propriétaires porte sur l’interprétation de la clause 27.6 et sur la conclusion du juge selon laquelle Cominar a manqué à son obligation de négocier de bonne foi. Dans son appel incident, la Locataire soutient que le juge a erré en droit en donnant effet à la stipulation d’acceptation ultérieure contenue dans la seconde proposition de renouvellement. De façon subsidiaire, elle reproche au juge de ne pas avoir fixé le loyer.
  2.            Je traiterai d’abord de la question de savoir si une entente de location s’est formée le 25 novembre 2021, au moment où la Locataire a accepté la seconde proposition de Cominar. Je me pencherai ensuite sur l’interprétation de la clause 27.6 du bail et sur la conclusion de mauvaise foi de la part de Cominar.

IV.               Analyse

A.      Une entente de location s’est-elle formée le 25 novembre 2021?

  1.            Le juge formule ainsi la question en litige :

2. WAS THE LEASE RENEWED ON NOVEMBER 25?

[21]  The second issue raised is whether the Lease was renewed by agreement between the parties on November 25, 2021, when Pival accepted a renewal proposal presented by Cominar. Irrespective of the terms of the renewal clause in section 27.6 of the Lease, to the extent that a binding offer was accepted by Pival on that date, a new contract will have been formed between the parties.

[Caractères gras et soulignement dans l’original]

  1.            Après avoir résumé les discussions entourant le renouvellement du bail, le juge s’interroge à savoir si la seconde proposition de Cominar constitue une offre de contracter. Il cite à cet égard l’article 1388 C.c.Q. :

1388. Est une offre de contracter, la proposition qui comporte tous les éléments essentiels du contrat envisagé et qui indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation.

1388. An offer to contract is a proposal which contains all the essential elements of the proposed contract and in which the offeror signifies his willingness to be bound if it is accepted.

  1.            Il répond à cette question par la négative en s’appuyant sur le texte de la proposition :

[44] The words used by Cominar stipulated that the proposed conditions were subject to further approval by duly authorised persons and that no contract would come into existence until a complete lease was signed. This language clearly indicates that Cominar did not intend to be bound by Pival’s acceptance of the Second Proposal.

[45] To be sure, the penultimate paragraph of the Second Proposal indicates that Cominar will transmit a lease agreement to Pival upon timely confirmation of its approval of the proposed terms. That said, given the clarity of the words used in the first paragraph, and the subsequent reference to that paragraph in the text stipulating the timeframe within which the proposal was open, I find that Cominar did not intend to be bound by mere acceptance of the Second Proposal.

[46] As explained by Lluelles and Moore, this sort of proposal does not constitute a true offer that, if accepted, creates a binding contact. Rather, it is the acceptance of such a proposal that itself constitutes an offer which, in turn, must be accepted to give rise to a contract:

Même si elle renferme tous les éléments essentiels du contrat projeté, la proposition ne mérite pas pour autant le label d’offre, si elle ne révèle pas une volonté ferme de son auteur d’être lié par l’acceptation du destinataire. […] Il en ira de même si l’auteur d’une offre complète, présentée comme sérieuse, l’assortit d’une stipulation selon laquelle l’offre ne constitue aucun engagement en cas d’acceptation. L’« acceptation » de cette proposition ne saurait sceller le contrat; elle serait, en réalité, elle-même une offre, laquelle devrait être acceptée pour que le contrat puisse se former.

[47] Reserves, whereby a party formulating a contractual proposal makes it subject to further approvals, are not unusual in contractual discussions.  Nor are they prohibited by any principle.

[48] Given the fact that the Second Proposal was not firm, and did not manifest Cominar’s intent to be bound if accepted, I find that it did not constitute an offer under article 1388 CCQ. Accordingly, Pival’s acceptance of the Second Proposal did not result in a binding contract being formed.

[49] In reality, Pival’s acceptance of the Second Proposal, and its communication of such acceptance to Cominar, constituted an offer within the meaning of article 1388 CCQ. That offer was not accepted by Cominar and, as a result, no contract for a renewed lease in respect of the Lease Premises was concluded.

[Renvois omis; soulignement et italiques dans l’original]

  1.            Il n’y a rien à redire à cette analyse.
  2.            Selon la Locataire, la stipulation d’acceptation ultérieure est inapplicable en raison de son caractère vague et imprécis et du fait qu’elle n’indique pas qui sont les personnes autorisées. Cet argument, qui n’est appuyé par aucune source, est sans valeur.
  3.            La Locataire soutient également que le juge a erré en fixant la date de la levée de l’option de renouvellement au 25 novembre 2021. Selon elle, l’option a plutôt été levée le 27 septembre 2021, au moment où Cominar lui a envoyé la première proposition. Cominar aurait ainsi renoncé à l’exigence d’un avis écrit. Elle reproche au juge de ne pas avoir répondu à cet argument.
  4.            Il est vrai que le juge n’en parle pas, mais un juge n’a pas à « discuter de tous les arguments des parties, certains ne méritant pas d’être traités en long et en large ni même d’être traités tout court »[11]. De toute façon, la date de la levée de l’option ne change rien à la question de savoir si la seconde proposition – la seule qui a été acceptée par la Locataire – constituait une offre de contracter au sens de l’article 1388 C.c.Q.
  5.            De façon subsidiaire, la Locataire soutient que Cominar s’est servie de la stipulation d’acceptation ultérieure comme d’un stratagème, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. Or, le juge en vient à la conclusion contraire et il s’en explique :

[52]  As a matter of course, Cominar’s standard practice was to include reserves in its proposals. It did so to allow its negotiating teams to put together deals, which would then be brought to the persons within the organization with the requisite decision-making authority. This seemed to be the optimal way of managing the volume of deals that Cominar’s staff processed. Racine was highly placed within the organization. Nevertheless, given the square footage at issue, approval of the lease renewal was required from Racine’s direct superior, as well as Cominar’s president and its board.

[53]  In the circumstances, I do not find that Cominar’s inclusion of language in its proposals that rendered them non-binding constituted bad faith.

[Renvois omis]

  1.            Rappelant le principe de la liberté contractuelle, il ajoute que rien n’empêchait Cominar de requérir l’accord du potentiel acquéreur avant de conclure une nouvelle entente de location :

[56]  In short, the freedom to decide whether to enter into a contract is “the ultimate discretionary right”. In exercising that right, nothing precluded Cominar from having regard to its other contractual obligations, including its obligation under the Acquisition Agreement to obtain the purchaser’s approval prior to concluding material contracts.

[Renvois omis]

  1.            Cette conclusion, qui en est une mixte de droit et de fait, est étayée par l’interrogatoire préalable de M. Racine et la Locataire ne démontre aucune erreur manifeste et déterminante.
  2.            À l’instar du juge, je suis d’avis que la seconde proposition de renouvellement ne constituait pas une offre de contracter au sens de l’article 1388 C.c.Q. et donc qu’aucune entente de location ne s’est formée le 25 novembre 2021.

B.      La clause 27.6 du bail confère-t-elle à la Locataire une véritable option de renouvellement ou simplement un droit de préférence?

  1.            Les Propriétaires soutiennent que le juge a commis une erreur révisable en concluant que la clause 27.6 du bail confère à la Locataire une véritable option de renouvellement plutôt qu’un droit de préférence[12].
  2.            J’estime qu’elles ont raison.
  3.            Il est vrai que la clause 27.6 ne laisse pas la négociation du nouveau bail, ni même celle du loyer, complètement ouverte, contrairement aux clauses dont il est question dans certains des arrêts invoqués par les Propriétaires. Par exemple, dans Place Lebourgneuf inc. c. Autodrome de Val Bélair inc., la clause stipulait que « chacun des termes et conditions du bail à intervenir [doit] faire l’objet d’une entente entre les parties »[13]. La clause ici est plus précise en ce qu’elle prévoit des paramètres pour la fixation du loyer. Elle se rapproche davantage des clauses d’option de renouvellement que l’on trouve en doctrine et dans une certaine jurisprudence[14].
  4.            Mais le loyer n’est pas pour autant « déterminable » au sens des articles 1373 et 1374 C.c.Q.[15] En effet, la clause 27.6 ne renvoie pas à un indice des prix connu, non plus qu’elle ne prévoit un mécanisme de détermination du loyer « objectif et extérieur aux parties »[16]. Même les mots « espace comparable et d’usage similaire » sont sujets à discussion. La détermination du loyer dépend de l’issue des négociations entre les parties.
  5.            Et il y a plus. Le juge omet de prendre en compte la partie de la clause qui prévoit la conséquence du défaut d’entente sur le loyer : « à défaut de quoi, l’option de renouvellement deviendra nulle et non avenue à l’expiration dudit délai de soixante (60) jours ».
  6.            Au soutien de son interprétation de la clause 27.6, le juge donne quelques exemples de décisions où la Cour supérieure a fixé le loyer en se fondant sur une preuve d’expertise portant sur les taux du marché :

[16]  Indeed, the case law offers a number of examples in which the Superior Court, relying on expert evidence, has set the rent payable pursuant to a clause providing for its determination in accordance with market rates.11 These cases demonstrate that language of the sort used in section 27.6 creates a determinable obligation.


11  Ibid. [90477993 Québec Inc. v. Bairaktaris, 2002 CanLII 45476 (QC CS), para. 3]; National Trust Company v. 2000 McGill College Avenue Building inc., 1998 CanLII 11451 (QC CS) [National Trust Company]; Immeubles Polaris (Canada) Ltée v. Société d’investissements Kesmat Inc., 2004 CanLII 20640 (QC CS) [Immeubles Polaris]; United States of America v. Bleury-Dorchester Realties Inc., 2009 QCCS 3835, appeal dismissed: Bleury-Dorchester Realties Inc. v. United States of America, 2011 QCCA 362 [Bleury-Dorchester Realties].

  1.            Toutefois, dans chacune de ces affaires, la clause d’option de renouvellement ne prévoyait pas la conséquence du défaut d’entente. Le juge devait tenir compte de cette distinction fondamentale pour décider si la clause 27.6 confère ou non une véritable option de renouvellement.
  2.            En l’espèce, les parties auraient pu prévoir une clause d’arbitrage obligatoire[17] ou de fixation du loyer par un expert. Au lieu de cela, elles ont convenu qu’à défaut d’entente sur le loyer dans un délai de 60 jours, l’option de renouvellement deviendrait nulle et non avenue. Comme c’était le cas pour la clause dont il est question dans l’arrêt Cité Nordelec inc. c. 9087-0593 Québec inc.[18], en l’espèce, cette partie de la clause 27.6 fait perdre à l’option de renouvellement tout caractère contraignant[19].
  3.            Dans Nordelec, la clause de renouvellement prévoyait que le loyer de base serait établi « au taux du marché pour des espaces similaires dans l’Édifice » et qu’à défaut d’entente, « le bail prendra fin à la fin du terme sans autres représentations ». Selon la Cour, « [c]ette disposition obligeait les parties à négocier et prévoyait clairement le résultat de l’échec des pourparlers : la fin du bail »[20]. Après avoir infirmé la conclusion du juge sur la mauvaise foi du locateur, la Cour écrit :

[7]  Cela dit, le juge aurait dû constater l’impasse des négociations et appliquer la sanction convenue par les parties et inscrite au dernier alinéa de la clause 9.1, la terminaison du bail.[21]

  1.            Ainsi, en présence d’une clause qui prévoit qu’à défaut d’entente, le bail prendra fin (ou l’option de renouvellement deviendra nulle et non avenue), le tribunal n’a d’autre choix que d’appliquer la conséquence prévue par les parties. Certes, une telle clause oblige les parties à négocier de bonne foi[22], mais elle ne permet pas au tribunal de fixer le loyer. Si une partie manque à son obligation de négocier de bonne foi, le tribunal pourra seulement la condamner à des dommages-intérêts pour le préjudice causé à l’autre partie par le non-respect des exigences de la bonne foi[23].
  2.            Le juge, ici, ne tient pas compte de la partie de la clause qui commence par les mots « à défaut de quoi » lorsqu’il répond à la première question : « Does the Renewal Clause Grant an Option to Renew? ». Il conclut ainsi sur cette question :

[19]  […] While the parties contemplated that the rent for the term of the renewal would be set by them pursuant to discussions, they also agreed in advance on how that rent would be set, rendering the amount of the rent determinable14.


14  Where an obligation is determinable, in case of disagreement, the courts may intervene and make the requisite determination: J.L. Baudouin and P.G. Jobin, Les obligations, 7th Ed. by P.G. Jobin and N. Vézina (Cowansville (QC): Yvon Blais, 2013), No. 26 (p. 34) [Jobin & Vézina].

  1.            En somme, le juge retient que les parties ont convenu à l’avance de la façon de fixer le loyer, mais il fait abstraction du fait qu’elles ont aussi convenu à l’avance de la conséquence du défaut d’entente.
  2.            Le juge considère cette particularité seulement à l’étape du remède[24], après avoir conclu que Cominar a manqué à son obligation de négocier de bonne foi. Il est d’avis que le raisonnement de la Cour dans Nordelec ne s’applique pas lorsque l’une des parties, par sa mauvaise foi, empêche la clause d’option de renouvellement de produire ses effets[25].
  3.            Il s’appuie en cela sur le jugement de la juge Courville de la Cour supérieure dans Desjardins Sécurité financière c. Bergeron[26]. Estimant que la locatrice a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, la juge Courville arrive à la conclusion que celle-ci ne peut être libérée de l’option de renouvellement, même si la clause prévoit qu’à défaut d’entente, « l’option de renouvellement sera réputée nulle et non exécutée »[27]. Elle fixe donc le loyer au prix du premier bail (la locatrice n’ayant pas établi les taux du marché en vigueur pour la période du renouvellement).
  4.            La juge Courville distingue l’arrêt Nordelec au motif que « les parties, bien que sans succès, avaient néanmoins négocié »[28]. Or, on l’a vu, la ratio decidendi de l’arrêt Nordelec est « la sanction convenue par les parties et inscrite au dernier alinéa de la clause 9.1, la terminaison du bail »[29]. Le fait qu’une partie ait manqué à son obligation de négocier de bonne foi ne permet pas au tribunal de réécrire la clause[30].
  5.            Le juge a donc erré de façon manifeste et déterminante en n’appliquant pas la partie de la clause 27.6 du bail selon laquelle, à défaut d’entente sur le loyer, l’option de renouvellement devient nulle et non avenue. Ainsi libellée, cette clause confère à la Locataire non pas un véritable droit au renouvellement du bail, mais tout au plus un droit de préférence[31].

C.      Cominar a-t-elle manqué à son obligation de négocier de bonne foi le prix du loyer?

  1.            Puisque la Locataire ne réclame pas de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de négocier de bonne foi, il ne serait pas nécessaire, techniquement, de répondre à cette question. Je l’aborde néanmoins, vu l’importance que les parties lui ont accordée.
  2.            Comme la Cour suprême vient tout juste de le rappeler dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, « la bonne foi est une norme législative d’ordre public qui s’applique à tous les stades de la relation contractuelle »[32]. Elle doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction[33].
  3.            Dans le cas présent, l’obligation de négocier de bonne foi découle de la clause 27.6 du bail et a donc un fondement contractuel[34]. Elle consiste à exécuter le contrat conformément à l’engagement[35], c’est-à-dire à négocier le nouveau prix du loyer selon les paramètres prévus à la clause, dans le respect des exigences de la bonne foi.
  4.            J’ouvre une parenthèse pour souligner deux points importants.
  5.            Premièrement, le fait que l’obligation de négocier de bonne foi a un fondement contractuel ne diminue pas le principe de la liberté contractuelle, « si essentielle à l’autonomie de la volonté et à la liberté de commerce »[36]. L’exécution de bonne foi d’une clause qui oblige les parties à négocier le renouvellement d’une entente ne peut servir « à exiger ou à imposer des résultats particuliers à l’issue des négociations »[37]. Les parties demeurent libres de ne pas conclure une nouvelle entente et de mettre fin à leur relation contractuelle existante, toujours dans le respect des exigences de la bonne foi[38]. Cette situation doit être distinguée de celle où une partie s’engage juridiquement à conclure un contrat (p. ex., l’emprunteur qui s’engage, dans la convention de prêt, à souscrire une assurance vie au bénéfice du prêteur). Dans un tel cas, « celui qui a cette obligation se l’est en quelque sorte imposée à lui-même, usant précisément de sa liberté contractuelle »[39]. Ce n’est pas ce dont il s’agit ici[40].
  6.            Deuxièmement, le principe de la liberté contractuelle et l’obligation de négocier de bonne foi dans l’exécution du contrat ne s’excluent pas mutuellement. Le fait que les parties demeurent libres de ne pas contracter ne diminue pas leur obligation de respecter les exigences de la bonne foi, lesquelles peuvent varier selon les circonstances et les paramètres prévus par le contrat. Si l’une des parties manque à cette obligation, elle engage sa responsabilité contractuelle et peut être condamnée à des dommages-intérêts pour le préjudice causé à l’autre partie. En ce sens, le principe de la liberté contractuelle a seulement une incidence sur le remède que le tribunal peut accorder. Je ferme la parenthèse.
  7.            Le juge conclut que Cominar n’a pas agi de bonne foi après le 25 novembre 2021. Il se fonde principalement sur le témoignage de M. Racine et sur le fait que les loyers de base exigés par Pure (11,75 $ / pied carré avec une augmentation de 4 % par année) n’étaient appuyés par aucune étude et ne reflétaient pas l’opinion de Cominar sur les taux du marché en vigueur dans le même secteur. Il s’exprime ainsi à ce sujet :

[71]  Owen himself did not rely on any market study or analysis in arriving at the $11.75 rate. In view of Racine’s testimony, I find that this rate was based solely on Pure’s experience in the Toronto market. It was not grounded on any endeavour by Cominar, or Pure for that matter, to ascertain market rates for 5-year leases of industrial properties of about 200,000 square feet in the same sector as the Leased Premises. To be sure, Pure’s experience in Toronto is of no assistance in identifying market rates for properties located in a particular sector of the City of Montreal.

[72]  In truth, the new asking base rent did not represent Cominar’s view of market rates. Cominar had formed an opinion as to what constituted market rates based on Racine’s research performed in preparing the First Proposal and subsequent discussions with Pival. As Racine indicated in his testimony, that opinion was reflected in the Second Proposal.

[73]  However, once the renewal clause was triggered, Cominar’s position was effectively dictated by Pure and its vision as to where rents were headed in Montreal. By presenting Pure’s position as its own, while knowing that this position was not based on any market studies or analysis, but rather on the latter’s experience in another market, Cominar did not act in good faith. In short, Cominar could not simply wash its hands of the matter and transform itself into a mere mouthpiece for Pure.

[Renvois omis; soulignements dans l’original]

  1.            Avec égards pour le juge, j’estime que cette conclusion est entachée d’erreurs révisables dont l’effet cumulatif justifie de reprendre l’analyse.
  2.            D’abord, le témoignage de M. Owen démontre qu’au moment des négociations, Pure gérait déjà environ 6 000 000 pieds carrés d’espaces locatifs à Montréal. Sa vision de l’évolution des taux du marché ne reposait pas uniquement sur son expérience dans le marché de Toronto. Et s’il est vrai que cette vision différait de celle de M. Racine (essentiellement en raison d’une approche différente), la preuve ne permet pas de conclure que les loyers de base exigés par Pure étaient excessifs ou déraisonnables par rapport aux taux applicables[41].
  3.            Ensuite, et surtout, le juge évalue la conduite de Cominar à travers le prisme du droit de la Locataire au renouvellement du bail. Il considère en effet que Cominar avait l’obligation contractuelle de conclure une nouvelle entente de location. Cela ressort très clairement de ses motifs lorsqu’il aborde la question du remède :

[93]  However, that reasoning does not apply here since Pival holds a true option which, upon exercise, gives a right to a renewed contract with a rent based on market rates.57 In cases like the present one, failure of one of the parties to act in good faith and to renew the contract is itself a breach of a contractual obligation.


57  This is notably what distinguishes the present case from Singh v. Kohli and the principles governing a breach of the duty to negotiate in good faith when there is no obligation to enter into a contract. As recognized by Bich J.A., there are circumstances where a party is bound to enter into a contract—usually on account of an existing contractual obligation and thus a prior exercise of freedom of contract (see para. 97; see also and Lluelles & Moore, supra, paras. 250 and 251 (p 129)). That is precisely the effect of a renewal option such as section 27.6 of the Lease.

  1.            Pourtant, dans son analyse sur la nature juridique de la seconde proposition, le juge reconnaît que Cominar n’était pas liée par celle-ci et qu’elle pouvait requérir l’accord de Pure avant de conclure une nouvelle entente de location[42].
  2.            De fait, l’obligation d’exécuter de bonne foi la clause 27.6 du bail n’obligeait pas les parties à contracter, pas plus qu’elle ne dictait l’issue des négociations. Les paramètres prévus à cette clause laissaient aux parties une certaine marge de manœuvre. Cominar était donc justifiée de revenir avec une nouvelle proposition et, comme je l’ai mentionné, la preuve n'établit pas que cette nouvelle proposition était excessive ou déraisonnable au point d’équivaloir à un mépris des intérêts de la Locataire ou à un refus de négocier.
  3.            Finalement, le juge passe sous silence la conduite de la Locataire qui, après le 25 novembre 2021, s’est enfermée dans l’idée que Cominar était liée par les loyers de base qui figuraient dans la seconde proposition. Or, comme le veut l’adage, « it takes two to tango ». Il ne tient pas compte non plus de l’ouverture démontrée par Cominar qui, visiblement, était prête à discuter des taux applicables et à négocier le prix des loyers.
  4.            Ainsi, dans un courriel envoyé à M. Racine le 20 janvier 2022 (en réponse à la nouvelle proposition de loyers du 21 décembre 2021), l’avocat de la Locataire écrit :

We reiterate again that our client’s preference is to conclude the renewal promptly, amicably, and to the exclusions of the Courts. However, if Cominar is unwilling to move forward with the accepted terms that it had proposed itself in October 2021, our client will have no alternative than to seize the Courts to adjudicate the present conflict. Therefore, we would appreciate that you respond to this email within a delay of 3 days to indicate whether Cominar is willing to renew the Lease based on the terms previously agreed upon by the parties.[43]

  1.            L’avocat de Cominar lui répond dès le lendemain. Il indique que sa cliente accepterait de prolonger le délai de 60 jours prévu à la clause 27.6, à la condition toutefois que la Locataire accepte de négocier une nouvelle entente et un nouveau prix selon les taux du marché. Il est utile de reproduire les derniers paragraphes de cette lettre :

Although Cominar could agree to a potential extension of the Renewal Period upon confirmation from Pival that it is willing to negotiate a lease agreement and rent at market price, no further extension will be granted should Pival maintain its position in its integrality. In this latter case and, should Cominar’s position prevail before the Court as to the non-binding character of the Renewal Proposal, Pival would be faced with no valid renewal of its Lease which term is expiring on December 31, 2022. At the same time, Cominar would be under no obligation to negotiate any renewal, which would compel Pival to vacate the premises. Considering the inherent delays of the Courts, we respectfully submit that it is a particularly bold judicial risk, all the while Cominar has repeatedly acted in good faith and showed its openness to negotiate and avoid litigation.

Even though our client would like to reiterate that it is convinced it will prevail in Court, it also would like to stress the fact that its preference would be to find an amicable solution. Cominar highly values its ongoing business with Pival and would very much like to continue this mutually beneficial relationship for years to come. However, our client cannot accept to be forced to strictly abide by the terms of a Renewal Proposal conditional on further approvals, which were never obtained.

Considering the above, could you please contact the undersigned at your earliest convenience in order to at least determine if additional negotiations would be worth a try so that we can discuss what potential extension to the Renewal Period could be allowed by our client? This first step is crucial considering that it will determine whether the Court will need to be seized of the matter without delay or if there is still hope for an amicable solution.[44]

  1.            L’avocat de la Locataire répond à cette lettre le 4 février 2022. Pour l’essentiel, il maintient la position de sa cliente exprimée dans le courriel du 20 janvier, tout en indiquant que celle-ci accepterait de participer à une rencontre. Il ajoute ceci: « Note however that we consider our client’s position to be legally secure and we cannot recommend entering into discussions that would be incongruous with the criteria of market rate »[45].
  2.            Le 11 février 2022, l’avocat de Cominar lui demande de clarifier sa position : « If this means that your client won’t accept any other rates but the ones included under the October Renewal Proposal, we want it clearly stated in writing »[46].
  3.            La réponse, si elle a été donnée, n’apparaît pas dans les courriels qui sont produits. On sait seulement que le 31 mars 2022, l’avocat des Propriétaires (le même qui représentait Cominar) revient à la charge avec une liste de 37 loyers comparables. Il tend la perche que voici :

Although our client maintains the position as stated in the attached letter dated January 21, 2022, in good faith and on a without prejudice basis, it is willing to meet with your client, at its convenience, so to discuss comparables with regards to the market rate applicable as per the lease. You will find attached, provided to you and your client on a without prejudice and confidential basis and strictly for the purpose of trying to find a mutually acceptable solution so to avoid protracted litigation, a list of 37 comparables amply justifying a rate over the one which was included in the initial Renewal Proposal.

Could you please confirm:

1. When your client will be providing its own comparables;

2. When your client and yourself would be available to meet.[47]

  1.            La Locataire déposera une demande introductive d’instance moins d’un mois plus tard.
  2.            Je ne dis pas que la Locataire, qui était convaincue de sa position, a elle-même agi de mauvaise foi. Comme l’écrit le juge Kasirer dans l’arrêt Takuhikan, négocier de manière intéressée et tenace peut être tout à fait compatible avec la bonne foi[48]. Seulement, le juge ne pouvait examiner la conduite de Cominar en vase clos, sans égard à celle de la Locataire. Les deux parties avaient l’obligation d’exécuter de bonne foi les négociations prévues à la clause 27.6 du bail et le juge devait évaluer leur conduite de manière contextuelle.
  3.            De l’ensemble des échanges, on constate que, dès le 24 novembre 2021, Cominar a fait preuve de transparence en communiquant à la Locataire l’opinion de Pure sur l’évolution des loyers. Par la suite, elle lui a fait une nouvelle proposition pouvant sembler agressive (elle l’était certainement aux yeux de la Locataire), mais, en tout temps, elle a démontré une ouverture à négocier. Tout ce qu’elle a exigé en retour, c’est une confirmation que la Locataire était disposée à accepter des loyers plus élevés que ceux de la seconde proposition.
  4.            J’en viens donc à la conclusion que Cominar n’a pas manqué de loyauté ni trompé la confiance légitime de la Locataire. La preuve se rapportant aux taux du marché applicables selon la clause 27.6 du bail ne permet pas non plus de qualifier sa conduite d’excessive ou de déraisonnable.

***

  1.            J’estime utile d’ajouter un dernier commentaire sur le remède accordé par le juge.
  2.            Se référant au mode d’exécution qu’est l’exécution en nature de l’obligation (articles 1590 et 1601 C.c.Q.), le juge est d’avis qu’il peut ordonner aux parties de négocier le prix du loyer :

[109]  As a matter of specific performance, Pival and the Defendants, who are Cominar’s successors by particular title and who are themselves bound by the Lease, may be ordered to engage in good faith discussions aimed at setting the rent for the renewal period in accordance with the strict parameters of section 27.6. As required by the text of the renewal clause, the rent so set—and by extension the parties’ good faith discussions—must be based on market rates for a fiveyear term in force (“alors en vigueur”) on November 25, 2021, when the renewal clause was exercised.

[Italiques dans l’original]

  1.            On peut se demander si l’exécution en nature forcée de l’obligation de négocier de bonne foi est possible. Selon la professeure Brigitte Lefebvre, cette solution, quoique concevable en théorie, n’est pas réaliste en pratique :

La question de donner ouverture à l’exécution en nature pour une obligation de moyens peut s’accepter en principe. En théorie, il est concevable que la sanction de ne pas négocier soit d’imposer aux parties de continuer les négociations. Le droit donne techniquement ouverture à une injonction mandatoire. En pratique cependant, cette solution est irréaliste. On ne peut pas faire abstraction du fait que les parties n’ont pu s’entendre et ont rompu les négociations. Il serait illusoire de croire que les forcer à continuer à négocier ait une quelconque pertinence. La négociation revêt, sous certains aspects, un caractère intuitu personae et l’exécution forcée devient impossible. M. Cedras est formel: « La seule sanction juridique admissible est l’exécution par équivalent ».[49]

[Renvois omis]

  1.            Les auteurs Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore sont du même avis, soulignant que « la liberté contractuelle ne permet pas qu'une partie ayant rompu les négociations soit, par la suite, obligée de les reprendre contre son gré »[50].
  2.            Sans répondre à la question de manière aussi tranchée, je doute que l’exécution en nature forcée de l’obligation de négocier de bonne foi puisse être efficace. Le plus souvent, compte tenu du principe de la liberté contractuelle, ce mode d’exécution risque de ramener les parties à la case départ. En règle générale, lorsqu’une partie manque à son obligation de négocier de bonne foi, le remède approprié consistera en l’octroi de dommages-intérêts et non en l’exécution en nature de l’obligation.

V.                 Conclusion

  1.            Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel des Propriétaires, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter la demande introductive d’instance de la Locataire. Il y aura lieu de prendre acte de l’offre des Propriétaires de permettre à la Locataire d’occuper les Lieux Loués jusqu’au 31 mai 2025, moyennant un loyer de base de 10,25 $ / pied carré. Enfin, je rejetterais l’appel incident de la Locataire. Le tout, avec les frais de justice contre la Locataire, tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 


[1]  Pival International inc. c. 2177 23rd Avenue Holdings, 2023 QCCS 3096 [Jugement de première instance].

[2]  Par cette modification, les parties conviennent de prolonger la durée du bail jusqu’au 31 décembre 2022. À l’exception de ce nouveau terme, les conditions du bail de 2016 demeurent pour l’essentiel inchangées.

[3] Comme le note le juge de première instance, le renouvellement du bail pour une période additionnelle de cinq ans prendrait fin le 31 décembre 2027, et non le 31 décembre 2028.

[4]  Pièce P-3, Lease Modification executed in July 2017 regarding the commercial property situated at 2177 23rd Avenue, Montreal, Quebec, p. 3-4.

[5] Le titre exact de M. Racine est vice-président exécutif, location – bureau et industriel.

[6] Selon le témoignage de M. La Barbera. De son côté, M. Racine ne se rappelle pas avoir eu une discussion précise à ce sujet. Il convient toutefois que si M. La Barbera lui a envoyé une proposition, « c’est que, probablement, il voulait possiblement exercer son option, mais ce n’est pas une confirmation qu’il l’exerce ».

[7] 9,50 $ / pied carré pour 2023-2024, 9,75 $ pour 2025-2026 et 10 $ pour 2027.

[8]  Pièce P-8, Email sent on October 18th, 2021 by Michael Racine to Plaintiff containing a revised proposal.

[9]  Pièce P-11, Letter dated December 6th, 2021 sent by Plaintiff’s attorneys to Cominar.

[10]  Pièce P-12, Email dated December 21st, 2021 sent by Cominar to Plaintiff, p. 1.

 

[11]  Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728, 1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par. 42.

[12] Jugement de première instance, par. 10-19.

[13] Place Lebourgneuf inc. c. Autodrome de Val Bélair inc., [1985] C.A. 364, p. 1 (motifs du j. Nichols). Voir également : Mutuelle des fonctionnaires du Québec c. Les immeubles G.C. Gagnon inc., 1997 CanLII 10674 (C.A.), où l’option de renouveler le bail renvoyait « aux mêmes conditions sauf le loyer qui devra être négocié ».

[14] Stanislas Bricka, Le louage immobilier – Les baux commerciaux (Art. 1851 à 1891 C.c.Q.), Montréal, Yvon Blais, 2015, no 1878 575, p. 394, citant Desjardins Sécurité financière c. Bergeron, 2011 QCCS 2204 [Desjardins] et 9047-7993 Québec inc. c. Bairaktaris, 2002 CanLII 45476 (C.S.). Voir également : Johanne Gagnon, « L’option de renouvellement : sa nature, son mécanisme et les conséquences de son existence », (2015) 23 Le bail commercial – Deuxième colloque 139, p. 144145; Mylany David et Adèle Poirier, « Le bail commercial : sa rédaction en deux temps », (2017) 1 Cours de perfectionnement du notariat 71, p. 86.

[15] Jugement de première instance, par. 15.

[16] Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, no 1049.14.

[17] M. David et A. Poirier, supra, note 14, p. 86; René Gauthier, « La rédaction de certaines clauses particulières du bail : les formulations à privilégier », (2017) 27 Le bail commercial Troisième colloque 1, p. 192.

[18] Cité Nordelec inc. c. 9087-0593 Québec inc., 2003 CanLII 72173 (C.A.) [Nordelec].

[19] S. Bricka, supra, note 14, p. 393.

[20] Nordelec, supra, note 18, par. 2.

[21]  Id., par. 7.

[22]  S. Bricka, supra, note 14, p. 392.

[23] BMW Canada inc. c. Automobiles Jalbert inc., 2006 QCCA 1068, par. 145, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 février 2007, no 31685; Brigitte Lefebvre, « Rupture des pourparlers : négociateurs, appel à la prudence! », (1998) 112 Développements récents en droit commercial 121, p. 129. Voir aussi : Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, Volume 1 – Principes généraux, 9e éd., Yvon Blais, Montréal, 2020, no 1-71; D. Lluelles et B. Moore, supra, note 16, no 249.4.

[24] Jugement de première instance, par. 88 et s.

[25] Id., par. 96.

[26] Desjardins, supra, note 14.

[27] Id., par. 5, 53-54.

[28] Id., par. 31.

[29]  Nordelec, supra, note 18, par. 7.

[30] BMW Canada inc. c. Automobiles Jalbert inc., supra, note 23, par. 145.

[31] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 16, no 2192.

[32]  Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, 2024 CSC 39, par. 104, citant Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25, par. 70. Voir aussi : Didier Lluelles, « La bonne foi dans l’exécution des contrats et la problématique des sanctions », (2004) 83 : 1 Revue du Barreau canadien 181, p. 186 (le respect de ce principe dans la mise en œuvre des obligations fait partie intégrante du droit civil).

[33] Art. 1375 C.c.Q.

[34] Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, supra, note 32, par. 109.

[35] Id., par. 112, le juge Kasirer cite l’auteur Laurent Aynès pour qui la bonne foi est « un devoir de comportement qui consiste à rendre l’exécution du contrat conforme à l’engagement » (préface de L. Aynès dans Rita Jabbour, La bonne foi dans l’exécution du contrat, Issy-les-Moulineaux, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2016).

[36] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 16, par. 249.3, cité dans Singh c. Kohli, 2015 QCCA 1135, par. 69.

[37]  Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, supra, note 32, par. 112.

[38] Ibid.

[39] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 16, par. 250-251.

[40]  Contrairement à ce que le juge écrit à l’étape du remède : Jugement de première instance, note infrapaginale no 57, infra, par. [68].

[41]  D’ailleurs, au par. 5 du jugement de première instance, le juge souligne : « the evidence adduced by the parties is insufficient to set the rent in accordance with the terms of the renewal option ». Voir aussi : Jugement de première instance, par. 107.

[42] Jugement de première instance, par. 55-56, supra, par. [40].

[43]  Pièce P-13, Email reply dated January 20th, 2022 from Plaintiff’s attorneys to Cominar, p. 1.

[44]  Pièce P-14, Letter dated January 21st, 2022 from Cominar’s attorneys to Plaintiff, p. 2-3.

[45]  Pièce P-15, Email dated February 4th, 2022 sent by Plaintiff’s attorneys to Cominar’s attorneys, p. 1.

[46]  Pièce D-1, Emails exchanged between Plaintiff’s lawyer and Defendants’ lawyer from January 21, 2022, to March 31, 2022, p. 7.

[47]  Id., p. 1.

[48] Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, supra, note 32, par. 112.

[49]  Brigitte Lefebvre, La bonne foi dans la formation du contrat, Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 155.

[50]  J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 23, no 1-71.

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