Décision

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Morris c. Municipalité de Saint-Damien

2018 QCCS 441

JL 4486

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

N° :

705-17-006824-161

 

 

 

DATE :

LE 7 FÉVRIER 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE LABELLE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ALAIN MORRIS

Demandeur

c.

 

MUNICIPALITÉ DE SAINT-DAMIEN

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         INTRODUCTION

[1]           Le demandeur se pourvoit en contrôle judiciaire de la décision de la défenderesse (« Municipalité ») ayant révoqué, en cours d’exécution des travaux, un permis autorisant des travaux de rénovation et de réparation (« Permis »). Il demande l’annulation de l’avis de révocation du Permis et l’autorisation de compléter les travaux prévus.

[2]           Par la même occasion, le demandeur requiert le renouvellement du permis visant la mise en place d’une nouvelle installation septique.

[3]           Les circonstances du présent litige illustrent les limites des conditions d’exercice du droit de propriété lorsqu’elles sont opposées aux intérêts collectifs défendus par une personne morale de droit public.

2.         LE CONTEXTE

[4]           Le 21 avril 2005, le demandeur acquiert un immeuble situé dans les limites territoriales de la Municipalité[1]. L’immeuble est acquis sans garantie aucune au prix de 5 000 $. Les bâtisses érigées sur l’immeuble se composent d’un chalet modeste (« Chalet ») d’une dimension de moins de 7 mètres de côté en bordure de la rivière Noire et d’une remise.

[5]           Cet immeuble est situé en zone d’inondation avec récurrence de zéro à vingt ans. Selon la terminologie employée par la Municipalité, il s’agit d’une zone de grand ou de fort courant, expression employée indistinctement dans sa réglementation.

[6]           Le demandeur affirme avoir acquis cet immeuble dans la perspective de s’y établir au moment de sa retraite. Ainsi, au fils des ans, il acquiert divers matériaux et équipements pour éventuellement soulever le Chalet. En effet, le Chalet repose sur des blocs de béton. Il entend couler des fondations de béton et y déposer le Chalet pour le rénover.

[7]           Il s’informe de la faisabilité du projet auprès de la Municipalité. En fait, ce projet est amorcé par le demandeur à la suite d’un avis reçu de la Municipalité exigeant la mise aux normes des installations septiques[2]. Le demandeur obtient le permis requis pour la mise aux normes le 18 février 2015[3]. Par la suite, il fournit à la Municipalité la documentation nécessaire pour l’émission du Permis faisant l’objet du présent litige.

[8]           La Municipalité exige un plan d’immunisation pour les fondations préparé par un ingénieur[4]. Ces fondations doivent atteindre une hauteur suffisante pour empêcher, en cas d’inondation, que l’eau s’infiltre dans le Chalet.

[9]           Le 12 août 2015, un certificat de localisation et un relevé topographique sont préparés et seront remis à la Municipalité[5]. La réglementation prévoit une interdiction de construction d’une nouvelle habitation en zone inondable. Malgré que le Chalet ne respecte pas la réglementation municipale, le certificat mentionne que « ledit bâtiment bénéficie de droits acquis puisque sa construction (1961) est antérieure à l’entrée en vigueur du 1er règlement municipal (1991). »

[10]        Finalement, le demandeur fournit un croquis des travaux envisagés à la Municipalité[6]. Le projet peut se résumer comme suit : construction de fondations où reposera le Chalet, ajout d’un second étage et de balcons et remplacement du parement en clin de bois par un revêtement extérieur de type Canexel.

[11]        Le Permis mentionnant la description de ces travaux est émis le 1er octobre 2015. Il est signé par le demandeur et contient la déclaration suivante :

Le requérant déclare avoir été informé que l’habitation unifamiliale isolée existante doit être conservée et ne peut être démolie pour une nouvelle construction à ériger, et que dans le cas d’une démolition, le présent permis deviendrait nul et non avenue. La même remarque s’applique pour tous travaux de rénovations/réparations ultérieurs, le cas échéant, qui auraient pour effet de par leur nature et leur ampleur, d’assimiler la construction à une nouvelle habitation.

(notre soulignement)

[12]        Le demandeur relate avoir signalé au directeur de l’urbanisme de la Municipalité et inspecteur municipal, monsieur Mario Morin (« Inspecteur »), qu’il ne pouvait pas savoir comment le Chalet allait « se comporter » lorsqu’il serait détaché de sa base. L’Inspecteur lui aurait répondu qu’il ne pouvait rester qu’« un clou ou deux du bâtiment original » après le projet de rénovation.

[13]        L’Inspecteur confirme son propos mais affirme avoir ajouté que la majeure partie de la structure devait subsister.

[14]        Le 5 octobre 2015, après avoir pris possession du Permis, le demandeur entreprend le levage du Chalet à l’aide de quatre leviers hydrauliques. Les leviers montent mais la structure demeure immobile. Le demandeur déplace quelques blocs de béton et s’aperçoit que la base de la structure est pourrie et les leviers ne parviennent qu’à s’y enfoncer. Il constate la présence de milliers de fourmis charpentières. Il affirme qu’il s’attendait à voir de la pourriture, mais pas de cette ampleur.

[15]        Le demandeur examine le bas des murs à l’intérieur du Chalet après avoir retiré les moulures. Seule une portion d’un des quatre murs n’est pas pourrie. Il découpe cette portion à la scie ainsi que le pourtour du haut des murs puisque le toit sera retiré pour faire place au deuxième étage projeté.

[16]        Cette situation est confirmée par monsieur Jean-François Mills (« Mills »), l’entrepreneur engagé pour procéder à l’excavation du terrain afin de permettre la pose des formes pour couler les fondations. Il affirme qu’« il n’y avait plus de corps à la structure ». Il ajoute que le demandeur avait installé des sangles et une chaîne à la portion du mur découpé afin de lui permettre de l’enlever à l’aide de son tracteur.

[17]        Cette portion de mur est détachée du chalet et déplacée vers un arbre où elle sera appuyée[7]. Par la suite, Mills procède à l’enlèvement du toit et les murs restants s’affaissent vers l’intérieur du périmètre. À ce moment, Mills retire tout ce qui subsiste du Chalet qu’il transportera au dépotoir.

[18]        Le demandeur explique avoir conservé également une porte d’entrée extérieure, un comptoir de cuisine avec un évier, une vanité de salle de bain avec lavabo et deux calorifère électriques. Il justifie la conservation de ces parties par son désir de les intégrer à sa rénovation afin de ne pas perdre les droits acquis.

[19]        Le lendemain, le 6 octobre 2015, les formes de la semelle des fondations sont installées et le béton coulé. Le 7 octobre 2015, les formes sont retirées et le coffrage du solage est effectué et le béton coulé. Le 9 octobre 2015, le solage est décoffré et le drain français installé.

[20]        Le 10 octobre 2015, le demandeur installe une poutrelle d’acier afin de soutenir le mur porteur du Chalet. Le lendemain, les solives sont mises en place. Le 13 octobre 2015, le plancher est fixé. Vers 16 heures, l’Inspecteur se présente au chantier à la suite de la plainte d’un voisin.

[21]        À ses yeux, le Chalet est carrément démoli entraînant du même coup la perte des droits acquis. Le fait d’avoir conservé une portion de mur n’est qu’un artifice, une « valeur symbolique » pour reprendre son expression.

[22]        Le 14 octobre 2015, l’Inspecteur adresse au demandeur une lettre indiquant la révocation du Permis et lui ordonne « de cesser tous travaux se rapportant à votre projet de construction sur votre propriété. »[8]

3.         L’ANALYSE

[23]        Le demandeur invoque deux motifs pour justifier l’annulation de la révocation du Permis : l’absence de perte des droits acquis en raison des parties conservées du Chalet et des représentations de l’Inspecteur et l’exercice de la discrétion du Tribunal en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[9] (« Loi ») qui permettrait d’annuler l’avis de révocation du Permis.

3.1   Les droits acquis

[24]        De façon générale, la Municipalité interdit la construction de toute nouvelle habitation dans la zone de grand courant[10] comme en l’espèce.

[25]        Toutefois, conformément à l’article 113 de la Loi, la Municipalité a adopté diverses dispositions réglementaires visant les constructions et les usages dérogatoires protégés par les droits acquis.

[26]        Les dispositions applicables en l’espèce sont celles permettant la construction d’une installation septique et la surélévation du terrain naturel à des fins d’immunisation du bâtiment principal existant. Des dispositions particulières régissent les terrains déjà occupés par une habitation :

6.8.6     Autres dispositions applicables aux terrains déjà construit dans la zone de fort courant

6.8.6.1  Dispositions particulières régissant les rénovations et les utilisations complémentaires pour les terrains déjà construits, c’est-à-dire, déjà occupés par une habitation.

             Les travaux de réparation ne sont soumis à aucune restriction;

             Sur un terrain où existe déjà une habitation résidentielle, les travaux de rénovation et l’ajout d’un étage sont permis sur ledit bâtiment aux conditions suivantes :

Le bâtiment résidentiel doit préalablement être immunisé par surélévation du terrain ou remblai conformément aux dispositions spécifiées à l’article 6.8.4 a) applicables à la fonction résidentielle unifamiliale;

       dans le cadre de tels travaux, un bâtiment principal peut être déplacé si cela a pour effet d'améliorer sa situation par rapport aux risques que représente l'écoulement des eaux et des glaces lors des crues. L'ensemble des mesures d'immunisation prescrites à l’article 6.8.4 a) applicables à la fonction résidentielle unifamiliale doivent alors être appliquées de même que celles édictées à l’article 14.6 du règlement de construction numéro 385.

Sont aussi permises les utilisations complémentaires suivantes, dans la mesure où elles n'ont pas pour effet de rehausser le niveau naturel du terrain :

       piscine creusée;

       patio et/ou terrasse.

Les installations suivantes sont permises à condition que soient appliquées les mesures d'immunisation requises :

•           les installations septiques conformes à la réglementation provinciale sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées;

•           les puits aménagés de manière à éviter les dangers de contamination et de submersion, conformément aux prescriptions du règlement provincial sur le captage des eaux souterraines

 Les bâtiments accessoires suivants sont autorisés à condition que leur superficie au sol (cumulée) n'excède pas 50 mètres carrés et qu'ils soient détachés du bâtiment principal :

               les garages;

•           les remises;

•           les cabanons.

La surélévation du terrain ou remblai à des fins d'immunisation doit s'appliquer pour les bâtiments accessoires ci-dessus mentionnés comme s'il s'agissait d'un bâtiment principal;

Les bâtiments accessoires doivent être placés en enfilade, c'est-à-dire, dans l'alignement du bâtiment principal et conformément à l'orientation des forts courants afin de ne pas constituer un obstacle à la libre circulation des eaux;

Pour les terrains trop étroits, ils peuvent aussi être placés sur une deuxième rangée parallèlement au bâtiment principal à la condition qu'il subsiste, après aménagement, un espace libre équivalent à la largeur moyenne de la rivière et compris entre la base du remblai pour fin d'immunisation et la ligne naturelle des hautes eaux.

L'espace libre entre le bâtiment principal et le bâtiment accessoire ne doit pas excéder 5 mètres afin de favoriser un maximum de regroupement et atténuer les effets de rehaussement du terrain sur la libre circulation des eaux et des glaces;

Lorsqu'il est impossible de respecter les conditions d'implantation ci-dessus mentionnées pour les bâtiments accessoires, seul un petit cabanon d'une superficie inférieure à 9 mètres carrés, peut être implanté. Celui-ci ne peut, en aucun cas, être implanté à l'intérieur de la bande de protection riveraine.

6.8.6.2  […]

6.8.6.3  […]

6.8.6.4  Reconstruction d’un bâtiment principal

             Les mesures d’exception suivantes s’appliquent à une reconstruction dans une plaine inondable :

       lorsqu’il y a destruction d’une structure existante par catastrophe autre que l’inondation, la reconstruction est permise aux conditions d’implantation initiales;

       elle peut aussi être autorisée selon une nouvelle implantation, si cette nouvelle implantation a pour effet d’améliorer la situation en rapport avec la plaine inondable (bande de protection riveraine), sans pour autant aggraver le caractère dérogatoire du bâtiment, par ailleurs;

       les mesures d’immunisation prescrites à l’article 6.8.4 a) applicables à la fonction résidentielle unifamiliale s’appliquent à la reconstruction d’un bâtiment principal de même que celles édictées à l’article 14.6 du règlement de construction numéro 385;

       s’il s’agit d’une habitation, elle doit être desservie ou pouvoir l’être par une installation septique conforme au règlement provincial sur l’évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées.

[27]        Dans le présent cas, malgré les opérations pratiquées pour tenter de soulever le Chalet, le demandeur procède finalement à la démolition du bâtiment. En découpant une portion d’un mur pour une utilisation ultérieure, il devenait évident que l’intention du demandeur était de procéder à la démolition complète du Chalet. En effet, les murs se sont écroulés et ont été enlevés pour constituer des rebuts destinés au dépotoir. Le plancher et les solives subissent le même sort. Seules la portion du mur enlevé et une porte extérieure sont conservées afin qu’elles soient intégrées au nouveau bâtiment, selon le témoignage du demandeur.

[28]        Pourtant, il s’agit d’un tout autre projet que celui annoncé à la Municipalité. Le Permis prévoit le cas d’une démolition de l’habitation qui entraîne la nullité du Permis. Une personne raisonnable agissant de bonne foi avait l’obligation d’aviser la Municipalité du changement d’état du Chalet et de son intention de le démolir. Le demandeur évite de dénoncer la nouvelle situation de crainte, pour ne pas dire étant convaincu, que le Permis serait révoqué. La question des représentations de l’Inspecteur sera abordée plus loin.

[29]        De l’avis du Tribunal, la démolition du Chalet a fait perdre la protection des droits acquis même si certains éléments du Chalet étaient utilisés dans la nouvelle construction. À cet égard, le Tribunal ne peut que constater l’affectation différente de ces éléments quant à leur intégration à la nouvelle habitation. Leur utilité est toute autre. La porte extérieure serait devenue une porte intérieure et la portion de mur extérieur devenait un mur intérieur en clin de bois, En fait, les montants de ce mur auraient reçu le nouveau revêtement extérieur.

[30]        Pour déterminer si les droits acquis ont été conservés, il s’agit de se demander si une nouvelle habitation sera construite[11]. Le Tribunal est d’opinion que oui. L’application de ce test ne laisse place à aucun doute. Il ne s’agissait plus d’un projet de rénovation mais bien de la construction d’une nouvelle habitation.

[31]        Les choix exercés par le demandeur constituent une violation flagrante de la réglementation municipale et des conditions d’émission du Permis qui prévoyait la conservation du bâtiment principal. La démolition du chalet a entraîné du même coup la perte des droits acquis.

[32]        Le demandeur ne peut faire appel à l’exception en cas de catastrophe pouvant permettre la reconstruction du bâtiment. Le Tribunal n’est pas en présence d’un événement subit provenant de l’extérieur. La destruction du Chalet est le résultat de la démolition exécutée par le demandeur. Celui-ci a agi avec insouciance des droits de la Municipalité contenus à sa réglementation et des conditions d’émission du Permis.

[33]        Le demandeur soutient qu’il a respecté la mise en garde formulée par l’Inspecteur afin de préserver les droits acquis sur le Chalet. Dans la mesure où le demandeur ne conservait pas seulement « un clou ou deux » du Chalet, les droits acquis seraient maintenus. Ainsi, en conservant une portion de mur extérieur, une porte et des éléments intérieurs, le demandeur estime avoir respecté la mise en garde du représentant de la Municipalité et avoir conservé ses droits acquis.

[34]        L’Inspecteur confirme la mise en garde formulée au demandeur mais uniquement pour lui illustrer qu’il ne pouvait pas faire ce qu’il voulait du Chalet. L’Inspecteur ajoute avoir mentionné également que la majeure partie de la structure devait être conservée. Cette mention additionnelle n’est pas contredite par le demandeur.

[35]        Selon l’Inspecteur, ce qui fut conservé par le demandeur était purement symbolique et que le projet initial de rénovation s’est transformé en démolition du Chalet et la perte des droits acquis rattachés au bâtiment.

[36]        Le demandeur reconnaît l’ampleur des vices affectant la structure du Chalet et prétend avoir agi de bonne foi en n’avisant pas la Municipalité de la situation nouvelle puisqu’il respectait les instructions exprimées par l’Inspecteur. Le Tribunal ne partage pas l’approche et le raisonnement du demandeur. Les parties conservées par le demandeur ne sont qu’un simulacre de préservation des droits acquis.

[37]        Le demandeur invoque l’application de la doctrine de la préclusion pour demander l’annulation de la révocation du Permis. Le demandeur estime que les circonstances du présent cas découlent des représentations de l’Inspecteur.

[38]        D’une part, le Tribunal retient la version de l’Inspecteur car plus digne de foi mais surtout non contredite. D’autre part, l’argument de préclusion n’est pas admissible pour écarter l’application de normes réglementaires.

[39]        En 2014, la Cour suprême du Canada a réfuté l’application de la doctrine de la préclusion tant en droit pénal que dans le cadre d’une instance civile[12] :

[25]       Bien qu’une municipalité n’ait pas l’obligation de prendre tous les moyens à sa disposition pour assurer le respect de ses règlements, et qu’elle ne puisse être contrainte de les appliquer (art. 576 de la Loi sur les cités et villes; Hétu et Duplessis, par. 8.203), elle ne peut consentir à un justiciable le droit d’exercer un usage dérogatoire sur son territoire.  Le fait qu’un préposé ou un élu municipal ait autorisé un usage qui entraîne la violation d’une disposition réglementaire ne peut avoir pour effet de créer des droits ou d’écarter les normes réglementaires applicables (Hétu et Duplessis, par. 8.207; Sainte-Barbe (Municipalité de la paroisse) c. Cadieux, 2004 CanLII 20665 (C.S. Qué.), par. 66).

[26]         En l’espèce, dans la mesure où l’appelante prétend que le contenu de la promesse était une permission d’enfreindre le règlement de zonage (« promesse » qui découlerait des actes ou de la tolérance de l’intimée), il faut forcément conclure qu’une telle promesse ne peut donner ouverture à la préclusion en droit public. Comme une municipalité ne peut elle-même déroger à sa réglementation en matière de zonage, ni autoriser une telle dérogation (à l’exception des dérogations mineures visées à l’art. 145.1 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme), elle ne peut être contrainte de le faire par application de la doctrine de la préclusion.

[…]

 [30]       Bien qu’il ne soit pas nécessaire de le faire pour décider du sort du présent pourvoi, qui découle d’une procédure pénale, il y a également lieu d’ajouter que la préclusion ne saurait non plus être soulevée comme moyen de défense dans un recours civil concernant une disposition de nature réglementaire explicite faisant état d’un usage dérogatoire. Le principe voulant que la préclusion ne puisse être invoquée pour contrer l’application d’une disposition explicite de la loi vaut tout autant en droit pénal que dans le cadre d’une instance civile.

3.2   L’application de l’article 227 de la Loi

[40]        Le demandeur requiert l’application de la discrétion dont jouit notre Cour en vertu de l’article 227 de la Loi :

227.  La Cour supérieure peut, sur demande du procureur général, de l’organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation :

1˚   d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec :

a)   un règlement de zonage, de lotissement ou de construction;

b)   un règlement prévu à l’un ou l’autre des articles 79.1, 116 et 145.21;

c)   un règlement ou une résolution de contrôle intérimaire;

d)   un plan approuvé conformément à l’article 145.19;

e)   une entente visée à l’article 145.21, 165.4.18 ou 165.4.19;

f)   une résolution visée au deuxième alinéa de l’article 145.7, 145.34, 145.38, 165.4.9 ou 165.4.17 ou au troisième alinéa de l’article 145.42;

2˚   d’une intervention faite à l’encontre de l’article 150;

3˚   d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec les dispositions d’un plan de réhabilitation d’un terrain approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en vertu de la section IV.2.1 du chapitre I de la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2).

Elle peut également ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction conforme à la résolution, à l’entente, au règlement ou au plan visé au paragraphe 1˚ du premier alinéa ou pour rendre conforme au plan métropolitain applicable, aux objectifs du schéma applicable ou aux dispositions du règlement de contrôle intérimaire applicable l’intervention à l’égard de laquelle s’applique l’article 150 ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.

Elle peut aussi ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction compatible avec les dispositions du plan de réhabilitation mentionné au paragraphe 3˚ du premier alinéa ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.

[41]        Le cas présent ne vise pas une demande de la Municipalité afin que cesse des travaux ou que la démolition des travaux exécutés soit ordonnée. Dans les faits, les travaux ont cessé et la Municipalité a demandé la remise du terrain à son état d’origine par sa lettre du 9 novembre 2015[13]. Elle n’est pas demandée par la Municipalité par voie judiciaire. Toutefois, le demandeur requiert l’autorisation de la Cour afin qu’il puisse compléter l’exécution des travaux. Dans les circonstances, le Tribunal exercera sa discrétion pour autoriser ou non la poursuite des travaux.

[42]        Le demandeur estime que les circonstances du présent cas sont exceptionnelles et que l’intérêt de la justice commande l’annulation de la révocation du Permis selon l’enseignement préconisé par la Cour d’appel dans l’arrêt Ville de Montréal c. Chapdelaine[14].

[43]        Les critères justifiant un tribunal de rejeter une demande de démolition malgré la présence d’une dérogation importante sont regroupés en trois catégories :

a)    les agissements de la municipalité qui comprennent le délai déraisonnable et inexcusable à agir ainsi que les actions positives de sa part;

b)    les agissements du contrevenant qui incluent sa bonne foi, sa diligence et son ignorance de la contravention;

c)    les effets du maintien de la situation dérogatoire compte tenu de l’intérêt de la justice, des circonstances exceptionnelles et rarissimes de l’affaire, des conséquences pour la zone touchée ainsi que la santé et la sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité;

[44]        En l’espèce, la Municipalité a agi avec diligence dès que la situation fut portée à son attention; l’Inspecteur a appliqué sur le champ les conditions d’émission du Permis.

[45]        Le Tribunal met en doute la bonne foi du demandeur qui a préféré ne pas aviser l’Inspecteur lors de la survenance des difficultés sur le chantier qui modifiaient complètement le projet soumis. La Cour d’appel « a insisté sur l’exigence de la plus entière bonne foi de la part de celui qui demande que ce pouvoir discrétionnaire soit en sa faveur ».[15]

[46]        Suivre le raisonnement avancé par le demandeur signifierait qu’il ne pourrait jamais y avoir de perte de droits acquis pourvu qu’un morceau minime du bâtiment soit conservé.

[47]        La situation dérogatoire est majeure et est à l’encontre de la disposition générale du règlement qui interdit toute nouvelle construction en zone inondable. Permettre la poursuite des travaux enverrait un message à la population de la Municipalité que la construction en zone inondable ne souffre finalement d’aucune restriction. La réglementation en matière de zonage tient compte de l’intérêt public et doit être respectée à moins de circonstances exceptionnelles que le Tribunal ne retrouve pas en l’espèce.

[48]        Le demandeur soumet un jugement rendu par notre Cour[16] présentant plusieurs similitudes avec la présente affaire. Il s’agissait d’un projet de rénovation majeure d’un chalet non isolé situé en zone inondable et dont la construction remonte à plus de 60 ans. Malgré la démolition du chalet, la juge a estimé que les circonstances exceptionnelles militaient en faveur de l’annulation de la révocation du permis.

[49]        Toutefois, les faits de cette affaire se distinguent du présent cas. Alors que l’Inspecteur ne s’est jamais présenté sur les lieux avant l’émission du Permis, la juge souligne la visite de l’inspecteur municipal qui a pu constater l’état du chalet. Le revêtement extérieur du chalet « était détérioré avec de la moisissure et de la pourriture à certains endroits. […] À l’intérieur, il y avait une très forte odeur d’humidité, des cernes au plafond, des perforations à certains endroits sur la partie de plancher de bois et des ondulations sur le vieux prélart. »

[50]        L’inspecteur municipal s’était engagé à répondre au propriétaire sur la question du pourcentage du bâtiment qui pouvait être abattue. Aucune réponse ne fut fournie. Dans la présente affaire, aucun pourcentage ne fut discuté.

[51]        La juge retient le témoignage de l’architecte qui précise que 50 % des planchers et 20 % des murs furent conservés[17]. Dans la présente affaire, seul un mur extérieur d’une largeur de 2,6 mètres fut conservé alors que le périmètre du chalet est de 27,08 mètres. Moins de 10 % des murs fut donc gardé alors que rien ne subsiste du plancher.

[52]        Finalement la juge retient l’implication de quatre inspecteurs dans le dossier dont les avis diffèrent sur le caractère approprié de la méthode de rénovation utilisée par l’entrepreneur. De plus, plusieurs visites d’inspection ont été réalisées en cours de chantier avant de procéder à l’arrêt des travaux. Dans le présent dossier, le chantier fut arrêté dès la première visite de l’inspecteur Morin.

[53]        En conclusion, le Tribunal est d’opinion que le demandeur a créé une dérogation importante à la réglementation municipale en procédant à la démolition du Chalet. De plus, le Tribunal n’est pas en présence de circonstances tout à fait particulières, au sens de l’arrêt Chapdelaire permettant d’exercer la discrétion conférée par l’article 227 de la Loi.

[54]        Enfin, selon l’enseignement de la Cour suprême, toute représentation effectuée par l’Inspecteur de la Municipalité, telle représentation n’étant pas par ailleurs retenue par le Tribunal, ne pourraient avoir pour effet de créer des droits en faveur du demandeur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[55]        REJETTE la demande introductive d’instance en jugement déclaratoire et en mandamus;

[56]        LE TOUT avec frais de justice.

 

 

__________________________________

PIERRE LABELLE, J.C.S.

 

 

 

 

 

 

 

Me Francis Belhumeur

Arnault Thibault Cléroux

Avocats du demandeur

 

Me Denis Beaupré

Bélanger Sauvé

Avocats de la défenderesse

 

 

Dates d’audience :

30 et 31 janvier 2018

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Pièce P-9.

[3]     Pièce P-10.

[4]     Pièce P-15.

[5]     Pièce P-14, pp. 26 à 33.

[6]     Pièce P-3.

[7]     Pièces D-4 et D-7.

[8]     Pièce P-6.

[9]     RLRQ, c. A-19.

[10]    Pièce D-5, Règlement de zonage numéro 382, articles 6.8.4 et 6.8.6

[11]    Lorne GIROUX et Isabelle CHOUINARD, Collection de droit 2017-2018, Volume 8, Titre 4, Chapitre 5 - Le contrôle réglementaire des usagers, de leur intensité et leur implantation : le zonage.

[12]    Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville), [2014] 1 R.C.S. 34.

[13]    Pièce P-7.

[14]    (2003) R.J.Q. 1417 (C.A).

[15]    Municipalité de Saint-Gédéon c. Comité plage St-Jude inc., 2018 QCCA 143, par. 4.

[16]    Tétreault c. Lac-Brome (Ville de), 2015 QCCS 712.

[17]    Pièce D-7,

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