Décision

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R. c. Gagnon

2021 QCCQ 11908

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

« Chambre criminelle et pénale »

 :

200-01-228667-196

 

 

 

DATE :

10 novembre 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

RÉNA ÉMOND, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

LA REINE

Poursuivante

c.

ANDRÉ GAGNON

Contrevenant

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR LA PEINE

______________________________________________________________________

 

MISE EN SITUATION

[1]            Le 15 décembre 2011, le contrevenant André Gagnon et la victime S... R... sont membres du Régiment A et participent au dîner de Noël de cette unité de la réserve des Forces armées canadiennes. Suivant cet évènement, le contrevenant agresse sexuellement la victime.  

[2]            Accusé d’agression sexuelle devant la Cour martiale, le contrevenant plaide la défense de croyance sincère mais erronée au consentement lors d’un procès tenu en août 2014 et est acquitté. Le 31 janvier 2018, la Cour d’appel de la Cour martiale juge que la défense invoquée ne satisfait pas au critère de vraisemblance et ordonne la tenue d’un nouveau procès. Le 16 octobre 2018, la Cour suprême confirme cette décision, en précisant que le contrevenant n’a pris aucune mesure raisonnable pour s’assurer du consentement de la victime de façon concomitante à chaque geste de nature sexuelle posé, comme l’exige l’alinéa 273.2b) du Code criminel.

[3]            En conséquence, en date du 15 mai 2019, devant les instances criminelles, le contrevenant est accusé d’agression sexuelle, par acte criminel. Il opte pour un procès devant juge et jury, prévu le 29 mars 2021. Quelques semaines avant cette date, il annonce son intention d’être jugé devant un juge d’une cour provinciale et d’offrir un plaidoyer de culpabilité. Le 26 mars 2021, le contrevenant reconnaît sa culpabilité à l’infraction amendée d’agression sexuelle par procédure sommaire.

[4]            Il s’agit de déterminer la peine à infliger au contrevenant pour son comportement délictueux.  

CONTEXTE

[5]            Au moment de l’infraction, le contrevenant, un adjudant âgé de 45 ans, a intégré depuis peu la force de réserve, après avoir été membre de la force régulière pendant 25 ans. La victime, une caporale âgée de 27 ans, compte environ 10 ans de service en tant que réserviste et vient de compléter son cours de caporale-chef. Ils se côtoient au travail et leur relation est strictement professionnelle.

[6]            Durant le dîner, qui a lieu dans un restaurant, le contrevenant et la victime consomment de l’alcool. Ils quittent vers 16 heures et se retrouvent plus tard, seuls, au manège militaire de Lévis, intoxiqués au point de ne pas pouvoir conduire. L’objectif de la victime est alors d’appeler un taxi. Quant au contrevenant, il souhaite laisser s’écouler le temps afin de permettre aux effets de l’alcool de se dissiper et invite la victime à l’accompagner au mess des officiers.

[7]            À cet endroit, le contrevenant embrasse la victime, qui entrouvre la bouche puis tourne son visage après une ou deux secondes. Il descend ensuite les bonnets de son soutien-gorge, lui touche les seins avec ses mains et les embrasse. La victime dit « ayoye » et le contrevenant répond « chut ». Elle exprime son malaise d’avoir des contacts sexuels avec lui et ils en discutent brièvement. Le contrevenant baisse ensuite les pantalons et les sous-vêtements de la victime. Alors qu’elle est étendue au sol, il lui fait un cunnilingus puis insère ses doigts dans son vagin. À ce moment, la victime mentionne qu’elle ne veut pas aller plus loin et il cesse les gestes.

[8]            Lorsqu’elle se lève pour récupérer ses effets personnels, le contrevenant, debout et en érection, la retourne dos à lui et tente sans succès de la pénétrer. La victime lui répète qu’elle ne veut pas et il cesse à nouveau les gestes.

[9]            Elle demeure passive du début jusqu’à la fin, affirmant avoir figé, notamment en raison du lien d’autorité du contrevenant.

DÉCLARATION DE LA VICTIME SUR LES CONSÉQUENCES DE L’INFRACTION

[10]        La victime s’exprime au sujet des conséquences de l’infraction par l’entremise d’une lettre intitulée Il y a 10 ans.

[11]        Elle intègre les Forces armées canadiennes à 16 ans et y découvre un monde de fratrie règne une loi du silence : tout est permis tant qu’on ne se fait pas prendre.

[12]        Lors des évènements, la victime constate l’application de cette idéologie. Elle ne consent pas, ne s’estime pas considérée par le contrevenant et l’étau se resserre sur elle. Elle est désemparée par les avances répétées du contrevenant, qu’elle tente de repousser, ainsi que par son statut plus haut gradé. La victime ne peut croire qu’il persiste, car elle a confiance en lui. Elle se sent piégée, utilisée et prise en otage, craignant pour sa carrière puisque les intentions sexuelles du contrevenant lui imposent un choix. En conformité avec ses principes, elle refuse les actes, non désirés et dégoûtants, tout en demeurant respectueuse et polie.

[13]        La victime retourne chez elle exténuée, estimant que les choses sont allées trop loin. Elle se perçoit comme le vulgaire objet d’un jeu de pouvoir, un bibelot. Naïvement, elle croit que le contrevenant s’excusera rapidement, mais s’ensuivent plutôt des remarques grivoises, des taquineries et des plaisanteries à caractère sexuel.  

[14]        Réalisant avoir été agressée sexuellement, la victime est placée devant une situation délicate. Toutefois, encore guidée par ses principes, elle nonce les gestes, ce qui la fait se sentir coupable, lui fait craindre de briser la vie du contrevenant ou d’anéantir sa carrière. Tout au long des procédures relatives au procès militaire, la victime se sent seule et non épaulée. Son sentiment de culpabilité perdure, mais elle demeure forte et persévérante. Elle espère un plaidoyer de culpabilité, des regrets. Plutôt, elle perd son anonymat et sacrifie son intimité. Le processus lui enlève toute dignité et l’amène à se sentir comme un paria auprès de la communauté militaire, une menteuse, une nymphomane, une femme histrionique, une bimbo et une salope. S’estimant au banc des accusés, la victime ressent alors énormément de colère, de dégoût et d’injustice. Elle considère sa réputation salie.

[15]        Ce qui l’a poussée à continuer est son désir de faire son devoir de citoyenne et de protéger le public en dénonçant un acte criminel.

[16]        La victime affirme que le contrevenant l’a forcée à mettre sa vie sur pause durant près de 10 ans, au cours desquels elle revit les évènements sans pouvoir tourner la page. Ostracisée par ses pairs et pointée du doigt, elle lui reproche la perte de sa carrière, de son réseau social, professionnel et amical. Elle recense des conséquences négatives sur son couple, ses relations familiales et sa santé. La victime a vécu beaucoup d’anxiété et de fatigue chronique, en plus de devoir tout recommencer à zéro.

[17]        Le jour de l’audience relative à la détermination de la peine, la victime n’en veut pas au contrevenant, qui ne lui fait ni chaud ni froid. Elle est maintenant libre, occupant un emploi, vivant au présent et ayant appris à composer avec une fatigue chronique, des difficultés de concentration ainsi qu’une mémoire à court terme abîmée. La victime termine sa lettre en affirmant que le contrevenant ne l’a pas détruite, qu’elle est plus forte que lui.

SITUATION DU CONTREVENANT ET PREUVE DE LA DÉFENSE

[18]        Le contrevenant intègre les Forces armées canadiennes en 1985. Au cours de sa carrière militaire, il participe à six missions internationales, dont certaines éprouvantes,  puis devient adjudant dans la réserve.

[19]        Le contrevenant atteste l’existence d’une hiérarchisation des grades au sein des Forces armées canadiennes. Au moment des faits, son titre d’adjudant est plus haut gradé que celui de la victime, caporale. De ce fait, elle lui doit respect, doit le vouvoyer et obéir à ses ordres, sous peine d’insubordination, et ce, bien qu’il n’ait pas d’autorité administrative sur elle.

[20]        Au moment de la dénonciation, le contrevenant œuvre à la Citadelle de Québec comme adjoint à la Direction des normes. Quand les médias publicisent l’affaire, il quitte ce poste à la demande de ses supérieurs, mettant fin à de probables possibilités d’avancement en grade et en responsabilité. Par la suite, malgré la passion entretenue pour ses fonctions, le comportement et le regard des autres militaires l’amènent à se retirer complètement des Forces armées canadiennes.

[21]        Depuis mars 2013, le contrevenant est préposé au lieu d’enfouissement technique d’une Municipalité régionale de comté et répond adéquatement aux exigences de la tâche.

[22]        Il est en couple depuis près de 20 ans avec sa conjointe, mère de trois enfants et en rémission d’un cancer du sein. Ensemble, bien que fortement secoués par les actions délictueuses du contrevenant et la maladie, ils surmontent les épreuves. Le contrevenant a le soutien de sa famille, à qui il a également causé du mal. La plus jeune fille de sa conjointe, qui le considère comme son père depuis son jeune âge, le décrit tel son modèle, un homme de parole, respectueux, patient et compréhensif, qui a pris soin d’elle autant qu’il la fait se sentir en sécurité.

[23]        Le contrevenant reconnaît avoir mal agi et admet sa faute, comprenant que les moyens de défense présentés devant la Cour martiale ne sont pas valables. Il s’excuse auprès de la victime, dont il est conscient des souffrances vécues.

[24]        Depuis 10 ans, son dossier est médiatisé de sorte qu’il est reconnu et associé à l’infraction qui lui est reprochée. Quand l’occasion se présente, il profite de son expérience pour sensibiliser de jeunes adultes afin, selon ses termes, qu’ils ne fassent pas la gaffe qu’il a faite, car de se retrouver à la télé et de se faire pointer n’est pas la meilleure des choses.

[25]        Finalement, deux publications sélectionnées pour un échantillonnage, parues les 12 août 2014 et 12 mars 2021, montrent que depuis une décennie, chacune des étapes des procédures judiciaires entourant le dossier est médiatisée par la presse écrite, électronique ou orale.

POSITION DES PARTIES

[26]        La défense réclame un sursis au prononcé de la peine et suggère que l’ordonnance de probation oblige le contrevenant à accomplir des travaux communautaires et à verser un don. Compte tenu de nombreux facteurs atténuants, cette mesure constitue une solution de rechange à l’emprisonnement, répondant ainsi aux critères de dénonciation et de dissuasion qui doivent primer. De manière subsidiaire, la défense recommande l’infliction d’une période d’emprisonnement discontinue ou, à défaut, dans la collectivité.

[27]        Pour sa part, la poursuivante revendique une peine d’emprisonnement ferme, se situant entre 12 et 18 mois d’incarcération. Malgré la présence de facteurs atténuants, elle relève plusieurs facteurs aggravants qui militent en faveur d’une dénonciation importante. Particulièrement, les circonstances relatives aux abus d’autorité et de confiance ainsi que la gravité des conséquences du crime empêchent de considérer l’emprisonnement dans la collectivité.

PRINCIPES ET OBJECTIFS DE DÉTERMINATION DE LA PEINE

[28]        La détermination d’une peine est un exercice délicat, qui cherche l’équilibre fondamental entre la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant. L’infliction d’une peine appropriée contribue, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre. Pour ce faire, le Code criminel prévoit les objectifs à atteindre, soit la dénonciation du comportement illégal, la dissuasion collective et personnelle, l’isolement du délinquant du reste de la société, au besoin, sa réinsertion sociale, l’éveil de sa conscience envers ses responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort causé aux victimes et à la collectivité, ainsi que la réparation de ces torts.

[29]        La règle cardinale de proportionnalité requiert que la sanction n’excède pas ce qui est nécessaire et approprié, compte tenu de la gravité de l’infraction et de la culpabilité morale du contrevenant. Afin d’imposer une peine juste, il faut examiner les circonstances atténuantes et aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ainsi que la situation du délinquant. L’individualisation de la peine, en tant que principe central, permet de préciser le degré de responsabilité du délinquant et d’adapter la sanction aux particularités de chaque affaire.

[30]        La peine doit être suffisamment dissuasive, sans toutefois venger le geste. Lorsque les circonstances le justifient, il faut envisager la possibilité de sanctions moins contraignantes qu’une privation de liberté. 

[31]        Enfin, la peine doit s’harmoniser avec celle infligée pour des infractions semblables, commises dans des circonstances similaires, tenant toutefois pour acquis que chacune des causes comporte ses distinctions.

JURISPRUDENCE EN SEMBLABLE MATIÈRE

[32]        Afin de faire ressortir la convenance de l’octroi d’un sursis de peine assorti d’une ordonnance de probation, la défense plaide deux arrêts où la Cour d’appel[1], qui, tenant compte de certains facteurs aggravants n’affectant pas la situation du présent contrevenant, inflige aux agresseurs sexuels respectifs des peines de 90 jours et de 6 mois d’emprisonnement. Toutefois, ces affaires ne dénotent pas des liens d’autorité et de confiance, des circonstances présentes en l’espèce qui permettent de placer en perspective ces exemples d’application.

[33]        Pour appuyer sa suggestion, la défense soumet également quatre jugements de la Cour du Québec dont les faits s’apparentent à ceux en cause[2]. Par contre, ces affaires sen distinguent eu égard à un ou plusieurs aspects, soit la promptitude d’un plaidoyer de culpabilité, la moindre gravité des gestes délictueux ou des conséquences pour la victime, le moment où la décision est rendue, une position plus clémente de la poursuivante ainsi que l’absence d’un lien d’autorité et/ou de confiance.  

[34]        En revanche, la poursuivante dépose deux décisions de la Cour du Québec[3] illustrant l’application des principes qui se dégagent de l’arrêt Friesen[4] à des situations où les victimes sont adultes. En effet, cette décision de la Cour suprême en est une de référence en matière de détermination de la peine pour les infractions à caractère sexuel sur les enfants ou les personnes vulnérables, mais également à l’égard des adultes.

[35]        S’il est acquis que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants devraient généralement être punies plus sévèrement que celles perpétrées contre des adultes, il est aussi un fait que les tribunaux doivent mettre l’accent sur l’ensemble des préjudices subis par la victime plutôt que sur la nature de l’atteinte à l’intégrité physique[5]. En somme, larrêt Friesen établit qu’il n’existe pas de hiérarchie des actes physiques servant à établir le degré d’atteinte physique et que les fourchettes préexistantes doivent être analysées en conséquence de cet énoncé.

[36]        Laffaire Bitemo Kifoueti, à laquelle réfère la poursuivante, revêt aussi un intérêt en raison de la similarité des faits. En résumé, le juge Serge Cimon inflige la peine de 3 mois d’emprisonnement ferme réclamée par la poursuivante[6] à un pasteur ayant agressé sexuellement une victime, pour laquelle il fait office de père spirituel. L’infraction consiste en plusieurs attouchements sexuels qui se répètent durant environ 90 minutes, au cours desquelles l’agresseur prend des pauses. Sont notamment considérés l’importance de la responsabilité pénale du contrevenant, sans antécédents judiciaires, les abus de confiance et d’autorité, la répétition des gestes illégaux, comportant l’application d’une force physique à certaines occasions, les préjudices causés à la victime ainsi qu’un risque présent de récidive.

[37]        Faut-il le rappeler, l’agression sexuelle est un fléau[7] et toutes les formes de violence sexuelle sont moralement blâmables parce qu’elles comportent l’exploitation illicite d’une victime, traitée comme un objet par un agresseur qui fait fi de sa dignité[8].

[38]        Finalement, en raison du large éventail de comportements qui constituent une agression sexuelle et des différents profils que peuvent présenter les agresseurs, les peines varient de l’absolution inconditionnelle à l’emprisonnement ferme. Étant donné la primauté des objectifs de dénonciation et de dissuasion en matière de crimes sexuels, l’emprisonnement ferme est la sanction privilégiée, sauf circonstances appropriées[9].

ANALYSE ET CONCLUSIONS

[39]        L’infraction d’agression sexuelle prévue au paragraphe 271(1)b) du Code criminel, pour laquelle le contrevenant s’est avoué coupable, est passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois.

[40]        Quant à la gravité subjective du crime, les facteurs atténuants suivants sont pris en compte.

  • Plaidoyer de culpabilité

[41]        Généralement, l’aveu de culpabilité est signe d’un début de réhabilitation et constitue un facteur favorable. En l’espèce, la valeur du plaidoyer de culpabilité est très relative, car il ne présente pas les avantages qui comptent aux fins d’atténuation de la peine. En effet, il n’est pas enregistré à la première occasion raisonnable, n’a pas évité à la victime l’épreuve d’un témoignage, ni n’a favorisé l’économie des ressources judiciaires.

[42]        Le plaidoyer de culpabilité du contrevenant fait suite au rejet de sa défense par la Cour suprême. Malgré cet échec, il démontre une prise de conscience tardive en annonçant un plaidoyer de culpabilité près de deux ans après l’ouverture du dossier devant les instances criminelles faisant suite à l’ordonnance d’un nouveau procès. De plus, cette volte-face survient à l’aube d’un procès devant un juge et un jury pour lequel la victime a dû se préparer, un processus empêchant encore qu’elle tourne la page.

[43]        Bien que le plaidoyer de culpabilité dénote une certaine prise de conscience, une décennie le sépare des évènements, retardant d’autant sa contribution à une saine administration de la justice.

  • Présence de remords

[44]        Le contrevenant, honteux de son délit, exprime de sincères remords, mais le poids de ce facteur est également diminué en raison de la tardiveté de la manifestation d’acceptation des conséquences de ses gestes pour la victime.

  • Mode de vie du contrevenant

[45]        Le contrevenant, sans antécédents judiciaires, occupe un emploi, présente un profil positif, entretient une relation conjugale stable et bénéficie du soutien de sa famille. Toutefois, ce mode de vie favorable est fréquent, car la délinquance sexuelle se manifeste dans toutes les classes sociales et n’est pas que l’apanage de personnes dépourvues. Cela étant, le risque de récidive s’avère minime.

[46]        Le contrevenant subit les procédures judiciaires rapidement après les évènements tout en adoptant un comportement respectueux des lois depuis 10 ans. Ce délai, qui a ultimement eu un effet dissuasif, peut ici constituer un facteur d’atténuation dans l’appréciation de l’objectif de réinsertion sociale du contrevenant. Par ailleurs, l’écoulement du temps n’atténue en rien la gravité de l’infraction ni n’affecte les objectifs de dénonciation ou de dissuasion générale.

  • Conséquences négatives pour le contrevenant et sa famille

[47]        Les inconvénients causés par la commission de l’infraction pour le contrevenant ainsi que sa famille, la perte de son emploi, qui a anéanti toute possibilité d’avancement, la fin abrupte d’une longue carrière militaire appréciée et la perte de la considération de la collectivité sont des conséquences négatives à considérer, mais dont la valeur atténuante doit être soupesée avec circonspection.

[48]        En l’espèce, il s’agit de conséquences indirectes inévitables[10], car son statut dans les Forces armées canadiennes commandait une conduite exemplaire. Sa responsabilité faisait le contrepoids de ses pouvoirs, mais le soir du 15 décembre 2011, le contrevenant a rompu l’équilibre.

  • Médiatisation du dossier

[49]        Depuis une décennie, chacune des étapes des procédures judiciaires entourant l’infraction commise par le contrevenant fait l’objet d’une médiatisation de tout acabit. Il appert des publications déposées que tel a été le cas à l’échelle nationale. Le dossier suscite l’intérêt en raison de la position du contrevenant et de la victime au sein des Forces armées canadiennes, non seulement parce que celle-ci dénonce les gestes, mais également parce qu’elle cherche à provoquer dans ce milieu un changement de culture et de comportement.

[50]        En raison de la médiatisation constante du procès, sous haute surveillance, le contrevenant, n’étant pas une personnalité publique, s’en dit stigmatisé puisque son identité, son image ainsi que ses actions délictueuses sont maintenant connues. La défense est d’avis qu’une publicité inhabituelle entourant le dossier du contrevenant devrait mitiger la peine. 

[51]        Or, la couverture médiatique d’une affaire criminelle ne constitue pas automatiquement un facteur atténuant. Selon la jurisprudence, si elle ne dépasse pas les limites de ce qui est acceptable dans une société civilisée, il ne s’agit pas d’une circonstance atténuante, mais d’une conséquence inévitable reliée aux conséquences découlant naturellement des gestes, même posés par une personne ordinaire.

[52]        D’abord, il n’est pas démontré que le contrevenant lui-même est l’objet d’une publicité abusive, démesurée, oppressive ou mensongère. Les journalistes couvrent bon nombre de dossiers concernant des infractions de nature sexuelle commises dans différents milieux, et ce, pour diverses raisons. À l’ère des réseaux sociaux, le contrevenant, ayant un statut de haut gradé et d’autorité dans l’armée, doit s’attendre à une grande publicité, à attirer l’opprobre et à s’exposer à l’humiliation. En l’espèce, la preuve n’établit pas que ces désavantages inhérents sont exceptionnels, au point de devenir le corollaire d’un allègement de peine. Sans nul doute, ils apparaissent à la hauteur de son statut et de la gravité de l’infraction puis résultent de la multiplicité des procédures judiciaires.

[53]        Tout au plus, la médiatisation conséquente au procès du contrevenant constitue une circonstance pertinente positive dans l’atteinte des objectifs de dénonciation et de dissuasion individuelle.

[54]        Ensuite, le contrevenant ne peut bénéficier, à titre de facteur atténuant, des conséquences résultant de l’attitude ou du comportement postérieur de la victime, laquelle entreprend ici de sensibiliser autrui en se servant, comme vecteur, de cet état dans lequel il l’a lui-même placée.

[55]        En dernier lieu, en respect du principe fondamental de proportionnalité, l’exercice de détermination de la peine s’intéresse à la gravité de l’infraction commise par le contrevenant et à son degré de responsabilité, et ce, sans considérer quelque débat parallèle.

[56]        En ce qui a trait aux circonstances aggravantes, elles se listent comme suit :

  • Nature et gravité intrinsèque de l’infraction

[57]        L’infraction est perpétrée lors d’un évènement isolé et à l’égard d’une victime. Après l’avoir embrassée sur la bouche, le contrevenant pose sans son consentement différents gestes sexuels successifs et distincts : il lui touche les seins avec ses mains et sa bouche, lui fait un cunnilingus, une pénétration digitale au vagin et tente une pénétration vaginale avec son pénis. Par opposition à un acte furtif et anodin, la preuve établit une succession de plusieurs gestes à caractère sexuel, de plus en plus intrusifs et graves, allant d’attouchements à une tentative de pénétration vaginale.

[58]        Ces gestes envahissants constituent une atteinte physique sérieuse à la victime permettant de leur attribuer une gravité importante. De surcroît, l’enchaînement d’actes répréhensibles est entrecoupé de manifestations de non-consentement, autant d’opportunités qui auraient permis au contrevenant de mettre fin à son agir délictueux. L’ensemble des attouchements sexuels posés aggravent ainsi le caractère répréhensible de la violence sexuelle perpétrée par le contrevenant.

  • Utilisation de la force physique

[59]        Outre leur violence intrinsèque, les gestes délictueux comportent l’utilisation d’une force physique lorsque le contrevenant, debout et en érection, retourne la victime dos à lui pour tenter de la pénétrer. Ces actions contraignantes dénotent l’application d’une force contre elle, dans le but de poursuivre son agression, alors qu’elle a manifesté déjà plus d’un refus. La victime doit répéter qu’elle ne veut pas afin que cessent à nouveau les gestes.

  • Abus de confiance et d’autorité

[60]        L’alinéa 718.2a)(iii) du Code criminel oblige de considérer comme des circonstances aggravantes les éléments qui établissent que l’infraction perpétrée constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard.

[61]        Le contrevenant, par son grade plus élevé que celui de la victime au sein des services militaires et du fait qu’ils travaillent dans le même environnement, abuse de son autorité et de la confiance qu’elle lui porte en conséquence. Cette situation, à l’impact majeur sur les réactions suscitées chez la victime, figée et désemparée, accroît de façon significative autant la gravité de l’infraction que le préjudice causé.

[62]        Qui plus est, tel que le souligne l’arrêt Friesen[11], l’existence d’une relation de confiance peut empêcher une victime de dénoncer son agresseur. La Cour suprême souligne également que ces abus expliquent souvent des répercussions négatives se traduisant pour les victimes par des sentiments de culpabilité et de honte, comme c’est le cas ici.

  • Vulnérabilité de la victime

[63]        Bien que consciente et en mesure de s’exprimer, la victime est intoxiquée au point de ne pas pouvoir conduire. Son état d’ébriété constitue un facteur aggravant, car elle se trouve dans une position de vulnérabilité accrue, au-delà de ce que lui confère déjà son grade militaire inférieur.

  • Conséquences pour la victime

[64]        Les conséquences de l’infraction pour la victime sont nombreuses et lourdes. Elle subit des préjudices sérieux tant sur le plan de sa santé, que sur les plans professionnel et familial. Ces conséquences sont exacerbées par le délai écoulé depuis la dénonciation et les différentes procédures pénibles subies depuis une décennie. Notamment, la victime s’est sentie exploitée, a dû affronter des préjugés et composer avec des émotions néfastes, dont un sentiment de culpabilité.

  • Intoxication volontaire du contrevenant

[65]        Selon la Cour d’appel, lorsqu’il s’agit de crimes violents, telle une agression sexuelle, la consommation d’alcool sera généralement considérée comme un facteur aggravant, au mieux, neutre[12].

[66]        En l’espèce, l’intoxication volontaire du contrevenant vaut à titre de circonstance neutre. Notamment, il ne ressort pas de la preuve que le contrevenant a déjà adopté un comportement délictueux à la suite d’une consommation d’alcool. Toutefois, son état d’intoxication ne réduit en rien sa culpabilité morale et sa responsabilité pénale.

[67]        En conclusion, la gravité subjective de l’infraction commise par le contrevenant est importante.

[68]        Du reste, eu égard au cumul des facteurs aggravants[13], dont l’enjeu primordial relatif à la coexistence d’abus de confiance et d’autorité, la responsabilité pénale du contrevenant est entière autant que blâmable sur le plan moral.

[69]        Il est vrai qu’une peine d’emprisonnement discontinue ou dans la collectivité répond parfois aux objectifs à atteindre, tout en permettant au délinquant de maintenir ses acquis. Toutefois, en l’espèce, bien que la réinsertion sociale du contrevenant ne soit pas en cause, ces mesures ne sont pas appropriées, car elles ne s’avèrent pas proportionnelles à la gravité de l’infraction et la responsabilité morale du contrevenant. Ni une peine discontinue ni l’emprisonnement dans la collectivité ne peuvent satisfaire aux critères de dénonciation et de dissuasion devant être mis de l’avant et qui commandent une sanction plus sévère.

[70]        Particulièrement en ce qui a trait à cet objectif de dénonciation, il faut accorder un poids significatif aux attitudes répréhensibles adoptées par le contrevenant, qui, en situation d’autorité, demande à la victime de se taire puis poursuit son agression malgré ses réticences verbales. Quant à l’objectif de dissuasion, le contexte révèle une pluralité de gestes à caractère sexuel qui s’aggravent au fil de l’évènement et qui causent d’importantes séquelles à la victime.

[71]        Comme l’enseignent les tribunaux supérieurs[14], l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur. En l’espèce, par contre, la nécessité de dénoncer est pressante et l’incarcération devient la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du contrevenant.

[72]        Tout en considérant que certains facteurs puissent atténuer le besoin de dénonciation et de dissuasion, et bien que les ordonnances obligatoires applicables participent à l’atteinte des objectifs pénologiques et permettent d’assurer la protection du public, la gravité de l’infraction commise ainsi que la haute culpabilité morale du contrevenant justifient l’infliction d’une peine de détention ferme. Au surplus, tenant compte du poids des facteurs aggravants, prééminents, ainsi que des éléments atténuants plutôt relatifs, l’ensemble des circonstances justifient d'infliger une peine d'emprisonnement de 6 mois.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[73]        CONDAMNE le contrevenant à une peine d’emprisonnement de 6 mois.

[74]        REND une ordonnance de probation d’une durée de 2 ans comportant les conditions énumérées à l’audience.

[75]        AUTORISE le prélèvement d’échantillons de substances corporelles du contrevenant aux fins d’analyse génétique, conformément à l’article 487.051(1) du Code criminel.

[76]        ORDONNE au contrevenant de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de 10 ans.

[77]        ORDONNE au contrevenant de s’abstenir de communiquer directement ou indirectement avec S... R... pendant la période de détention, en vertu de l’article 743.21 du Code criminel.

[78]        La suramende compensatoire n’est pas applicable.

 

 

__________________________________

RÉNA ÉMOND, J.C.Q.

 

Me Valérie Lahaie

Procureure aux poursuites criminelles et pénales

 

 

Me Sophie Dubé

Me Simon Roy

Procureurs du contrevenant

 

 

Date d’audience :

14 juillet 2021

 


[1]  Ouellet c. R. 2014 QCCA 135; R. c. Paré 2015 QCCA 849.

[2]  R. c. Tremblay, 2011 QCCQ 15751; R. c. Baldauf Bourdeau, C.Q. Montréal, n° 500-01-171920-181, 4 février 2021, j. Mastro Matteo; R. c. Côté-Nault, 2020 QCCQ 1975; R. c. Boisvert, 2021 QCCQ 286 (en appel).

[3]  R. c. Bitemo Kifoueti, 2021 QCCQ 2389; R. c. Paul, 2021 QCCQ 5231.

[4]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9.

[5]  Id., par. 137 et suivants.

[6]  R. c. Bitemo Kifoueti, préc., note 3, par. 4.

[7]  R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, par. 1.

[8]  R. c. Friesen, préc., note 4, par. 89.

[9]  R. c. Gravel, 2018 QCCA 1114, par. 13 à 15.

[10]  Marchessault c. R., J.E. 84-612 (C.A.Q.).

[11]  R. c. Friesen, préc., note 4, par. 127.

[12]  Régimballe c. R., 2012 QCCA 1290, par. 62.

[13]  R. c. L. (J.J.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.Q.).

[14]  Voir R. c. Fedele, 2018 QCCA 1901, par. 69 et suivants.

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