Boucal c. Rancourt-Maltais | 2025 QCCS 2301 |
COUR SUPÉRIEURE |
|
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | RIMOUSKI |
|
No : | 100-17-002583-237 |
| |
|
DATE : | 25 juin 2025 |
______________________________________________________________________ |
|
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | BERNARD TREMBLAY., J.C.S. |
______________________________________________________________________ |
|
|
LENINE BOUCAL |
Demandeur |
c. |
CHLOÉ RANCOURT-MALTAIS |
Défenderesse |
|
______________________________________________________________________ |
|
JUGEMENT
|
______________________________________________________________________ |
|
| | | | | | |
- Par sa demande introductive d’instance remodifiée du 7 mai 2025, modification que le Tribunal a autorisé séance tenante avec certains ajustements en début d’audience le 8 mai 2025, le demandeur, monsieur Lénine Boucal, recherche la responsabilité de la défenderesse, madame Chloé Rancourt-Maltais, pour des dommages moraux et punitifs qu’il aurait subi des suites d’une atteinte de cette dernière à sa réputation par diffamation découlant de la publication, le 8 février 2023, d’une photo de lui et d’un texte le concernant sur Facebook[1].
- Le demandeur y est décrit comme un agresseur sexuel.
- Ce litige soulève, entre autres, la question de savoir si la défenderesse a été fautive en retranscrivant, dans un document numérique qu’elle a créé, le témoignage d’une personne qu’elle ne connaît pas, pas plus que les faits qu’elle relate, affiché sur la page d’un groupe Facebook fermé, qu’elle a ensuite diffusé sur sa propre page Facebook, publique dans ce cas-ci, qu’elle a récemment créée sous un pseudonyme, et en se présentant comme la victime d’une agression sexuelle commise par le demandeur.
- Ce débat commande aussi de procéder à l’évaluation des dommages auxquels peut être tenue la défenderesse envers le demandeur et de déterminer si la dette en résultant en est une dont la défenderesse est ou non libérée compte tenu de sa faillite survenue le 29 avril 2025, soit environ une semaine avant le début de l’instruction.
- À cet égard, le Tribunal a rendu jugement le 5 mai 2025 par lequel il a levé la suspension des procédures à l’égard de la défenderesse, comme le permet l’article 69.4 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »)[2].
ANALYSE
La preuve
- La défenderesse a choisi de ne pas témoigner à l’audience puisque la transcription de son interrogatoire préalable tenu le 3 octobre 2023 a été intégralement produite par le demandeur[3].
- Lors de son interrogatoire préalable, la défenderesse mentionne qu’elle a choisi le pseudonyme « Klo Rophylle » pour créer la page Facebook sur laquelle elle a publié ce qu’elle dit être la retranscription fidèle d’un témoignage rendu par madame Khadidiatou Yewwi[4], dont elle a pris connaissance le 8 février 2023 sur la page Facebook du groupe privé « Féministes Bas-St-Laurent »[5], et auquel elle avait accès comme membre de ce groupe.
- La défenderesse déclare qu’elle s’est sentie interpellée à la lecture de ce témoignage, l’amenant à vouloir partager publiquement celui-ci puisqu’elle aurait elle-même eu vent de certains comportements, faits ou gestes posés par le demandeur envers d’autres femmes[6], ceci alors qu’elle ne connaît pas madame Yewwi[7], qu’elle n’est pas en mesure d’attester la véracité du contenu de son récit et qu’elle n’a jamais elle-même été victime de tel comportements de la part de celui-ci, qu’elle ne connaît pas personnellement[8].
- Le demandeur, d’origine Sénégalaise, a immigré au Canada en 2010 pour y occuper quelques emplois à divers endroits durant quelques années et ensuite s’installer de façon permanente à Rimouski, où il a fait la connaissance de sa conjointe actuelle, madame Karine Jobin, avec laquelle il a eu deux enfants, une fille et un garçon, âgés respectivement de 13 et de 5 ans.
- La famille est demeurée à Rimouski pendant environ 9 ans, jusqu’à son déménagement au cours du mois de mai 2023 dans la résidence du père de madame Karine Jobine, située à Pont Rouge, près de la ville de Québec, au motif, comme l’explique le demandeur à l’audience, que le maintien de la famille à Rimouski était devenu impossible à la suite de la publication par la défenderesse de sa photo et de ce témoignage de madame Yewwi sur les réseaux sociaux.
- Le demandeur relate à l’audience qu’il a fondé à Rimouski l’organisme Cabaret de la diversité et s’y est investi pendant plusieurs années à titre de directeur général, a remporté des prix pour son implication dans la cause des immigrants et a obtenu un emploi de consultant auprès d’un autre organisme œuvrant à Rimouski, projet collectif, au début du mois de janvier 2023, auquel il fut mis fin au mois de février 2023 à la suite de la diffusion de ce témoignage par la défenderesse sur les réseaux sociaux.
- De fait, le demandeur a reçu un avis de probation du 10 février 2023[9] de l’organisme Projet collectif qui réfère « (…) aux évènements des derniers jours et à notre rencontre du 10 février »[10] et indique que lors de cette rencontre, « (…) nous vous avons fait part de nos préoccupations en lien avec les comportements qui vous sont reprochés et l’impact négatif de ces dénonciations sur la réputation de notre organisation et la mission que nous poursuivons ».
- Par ailleurs, le 13 février 2023, le Cabaret de la diversité émet un communiqué sur les réseaux sociaux informant que son conseil d’administration a accepté la demande du demandeur de suspendre temporairement son engagement, son implication et ses fonctions à titre de directeur de l’organisme[11].
- Ce communiqué fait suite à un autre communiqué du 10 février 2023 qui mentionne que le conseil d’administration a tenu une réunion d’urgence le 9 février 2023 afin de traiter «(…) des dénonciations d’agression sexuelle contre (…) » le demandeur, que ce conseil n’a pu faire l’unanimité sur la position à prendre face à la situation, avec comme résultat la démission de la présidente de cet organisme, madame Maria Martinez-Yiya, qui indique condamner énergiquement toute forme d’agression et de violence contre les femmes[12].
- Le 15 février 2023, le demandeur fait parvenir par huissier une lettre de mise en demeure à la défenderesse[13], l’enjoignant de retirer immédiatement sa publication et de lui payer la somme de 56 600$ en dommages pécuniaires, non pécuniaires et punitifs.
- Suivant la réception de cette mise en demeure, la défenderesse publie à nouveau, cette fois-ci sur la page Facebook du groupe Féministes Bas-St-Laurent, le texte suivant : « Suite à la dernière vague de dénonciation, hier j’ai reçu une mise en demeure de l’agresseur pour diffamation. »[14].
- La défenderesse précise qu’avant la publication qu’elle a faite du témoignage de Madame Khadidiatou Yewwi sur sa page publique Facebook, ce dernier, publié la veille sur la page du groupe Féministes Bas-St-Laurent, avait déjà été lu par 64 personnes et reçu 34 commentaires dans deux groupes Facebook distincts où il fut diffusé[15]. Quant à la publication de la défenderesse, celle-ci n’avait été vue que par 47 personnes en date du 11 février 2023[16].
- Dans son interrogatoire préalable, la défenderesse indique qu’ayant reçu par le passé des commentaires négatifs sur le demandeur, la publication du témoignage de madame Yewwi lui a permis de dénoncer le demandeur en ces termes : « MERCI pour ce témoignage, ça fait (sic) des mois que je cherche un moyen d’exposer cet homme dangereux »[17], et ce, des mois avant même de publier à son tour le témoignage.
- Le demandeur soutient que c’est la défenderesse elle-même qui a inventé de toute pièce, puis rédigé et diffusé ce témoignage, ce qui en ferait donc un faux, puisque la défenderesse reconnait n’avoir jamais été agressée ou importunée par le demandeur, ni même avoir été en contact avec celui-ci.
- Le demandeur explique qu’à compter de ce moment, il a dû envisager de quitter Rimouski afin de préserver la sérénité et le bien-être de sa famille, dont sa femme qui y travaille comme infirmière, et mettre celle-ci à l’abri des conséquences néfastes de cette publication.
- Il indique avoir consulté une psychologue depuis cet évènement en raison d’une dépression, bien qu’aucun billet médical ni expertise ne soit produit pour établir ce diagnostic, et a dû prendre de la médication pour retrouver le sommeil.
- Madame Karine Jobin relate qu’avant de déménager à Pont-Rouge, elle s’est sentie observée par d’autres femmes pendant une sortie au restaurant, percevant chez elles leur empathie ou leur incompréhension de la voir ainsi en couple avec le demandeur.
- Le demandeur a pu exercer un emploi de livreur durant un certain temps en dehors de la région de Rimouski, ajoutant qu’il n’a pas effectué de véritables démarches pour se trouver d’autres emplois au motif que sa condition psychologique ne lui permettait pas de le faire.
- Le demandeur réclame un montant total de 188 526,26 $, dont 74 000$ à titre de dommages moraux, 10 000$ à titre de dommages punitifs et une somme de 68 526,26$ à titre de pertes de revenus correspondant au salaire annuel lui étant versé par l’organisme Projet Collectif qui l’a remercié en février 2023[18].
- Le demandeur réclame également des frais pour le déménagement de la famille à Pont-Rouge au mois de mai 2023, des frais de consultation en psychologie et pour de la médication pour des montants respectifs de 4 502,31$[19] et de 3 467,27$[20].
- La défenderesse, par ses procureurs d’alors, nie dans une lettre du 20 février 2023, avoir eu l’intention de nuire au demandeur, ayant plutôt agi dans une intention de protection et d’information, et que compte tenu de la notoriété du demandeur, il s’agissait d’une communication responsable concernant des questions d’intérêt public, celui-ci jouissant d’une notoriété publique considérable ou ayant créé une controverse importante[21].
- Le procureur actuel de la défenderesse soutient de plus dans sa plaidoirie que la thèse du demandeur est erronée et insoutenable puisque ce témoignage de Madame Khadidiatou Yewwi était déjà affiché dans le groupe Féministes Bas-St-Laurent lorsque la défenderesse a créé sa propre page Facebook[22] et avait déjà été vu par 64 personnes et avait reçu 34 commentaires.
- Ainsi, affirme la défenderesse, même tenus pour établis les dommages réclamés par le demandeur, ce qu’elle nie par ailleurs, il n’existe pas de lien de causalité entre ceux-ci et les gestes de la défenderesse, puisque le témoignage de madame Khadidiatou Yewwi était déjà accessible, a pu être diffusé et vu par plusieurs personnes, dont l’employeur du demandeur qui a mis fin à son emploi, indépendamment de l’intervention de la défenderesse.
Discussion et décision
Le préjudice
- Suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Prud’homme, « pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence du préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires »[23].
- Ce sera le cas si un citoyen ordinaire estime que ceux-ci, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation du demandeur, i.e. qu’ils lui ont fait perdre son estime ou sa considération ou qu’ils suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.
- En l’espèce, le Tribunal n’a aucune difficulté à conclure au caractère diffamatoire des propos véhiculés par la défenderesse.
- Ce faisant, il convient de passer à la deuxième étape de l’analyse, laquelle doit porter sur le comportement de la défenderesse afin de déterminer si celle-ci a commis une faute pouvant engendrer sa responsabilité[24].
La faute
- Suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada formulés dans l'arrêt Prud'homme, trois situations sont susceptibles d’engager la responsabilité de la personne recherchée pour des propos diffamatoires:
« La première survient lorsqu'une personne prononce des propos désagréables à l'égard d'un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l'intention de nuire à autrui. »
« La seconde situation se produit lorsqu'une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu'elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s'abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. »
« Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l'égard d'un tiers. »[25]
- Selon le demandeur, la défenderesse a publié des propos désagréables issus d’un faux témoignage, pour l’avoir elle-même créé, ce qui constitue une conduite fautive en soi ou, encore, elle a diffusé ce témoignage, même s’il pouvait s’agir d’un vrai récit, sans justes motifs, avec l’intention de nuire au demandeur.
- Pour que la situation puisse correspondre à la première catégorie identifiée ci-dessus, le demandeur doit démontrer la fausseté du témoignage de Madame Khadidiatou Yewwi, soit qu’il est irréel parce que fabriqué par la défenderesse, comme il le prétend, ou que son contenu est faux et que la défenderesse le savait faux
- Or, le Tribunal est d’avis que le demandeur n’a pas établi la fausseté du contenu de ce témoignage, ce qui ne le rend pas vrai pour autant, et le demandeur n’a pas non plus convaincu le Tribunal que la défenderesse en soit l’auteure.
- Le Tribunal ne croit pas non plus que la défenderesse se trouve dans la seconde situation identifiée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Prud’homme puisque rien dans la preuve ne démontre que la défenderesse devait savoir que le contenu de ce témoignage était faux ni qu’elle ait eu des raisons de douter de sa véracité. Les commentaires qu’elle aurait reçus de tierces personnes sur le défendeur permettent en effet d’écarter cette hypothèse.
- Toutefois, selon le Tribunal, la défenderesse est visée par la troisième situation décrite dans l’affaire Prud’homme.
- De fait, même si elle soutient avoir agi sur la foi de commentaires obtenus de tierces parties, lesquelles du reste demeurent non identifiées, le but poursuivi par la défenderesse n’apparaît non pas être de dénoncer, dans l’intérêt public[26], un individu ayant véritablement abusé d’autrui, mais plutôt d’exposer, pour reprendre ses propres termes[27], le demandeur, pour son bénéfice purement personnel, dans une intention malveillante, alors qu’elle-même dit ne pas avoir été abusée par ce dernier ni ne pouvoir attester formellement de la véracité des propos véhiculés. Cela ne saurait, de l’avis du Tribunal, constituer un juste motif justifiant la défenderesse de porter atteinte à la réputation du demandeur.
- La défenderesse n’est pas non plus un agent de la paix ni journaliste ni membre d’un comité, commission ou autre organisme d’enquête dûment mandaté, et son geste ne constitue pas une dénonciation d’un acte criminel auprès d’un corps policier.
- Elle n’a agi que dans le but de diffuser cette information au grand public, à sa façon, nourrissant le désir de le faire depuis des mois pour des motivations purement personnelles qu’elle ne peut autrement justifier puisque rien dans sa situation personnelle ou en raison de son emploi ne justifie ce geste, si ce n’est que pour ternir la réputation du demandeur.
- Le Tribunal est par conséquent d’avis que la défenderesse n’avait aucun motif valable pouvant justifier son geste qui ne pouvait avoir d’autre conséquence, ce qu’elle savait nécessairement, que celle de nuire de façon importante à la réputation du demandeur.
- Cette intention se révèle également par les propos tenus par la défenderesse durant son interrogatoire préalable ainsi que dans ses communications sur les réseaux sociaux dans lesquelles elle qualifie le demandeur notamment d’agresseur, et ce, alors qu’elle n’a fait aucune démarche particulière pour vérifier la véracité du contenu de ce témoignage qu’elle a publié.
L’évaluation des dommages et le lien de causalité
- Cela dit, la preuve des dommages subis par le demandeur en l’espèce est déficiente, voire lacunaire, à certains égards.
- En effet, outre sa mise à pied, sur laquelle nous reviendrons, et sa suspension temporaire, à sa demande, de ses fonctions de directeur général du Cabaret de la diversité, le demandeur ne réfère qu’à un seul événement concret résultant de la publication de ce témoignage par la défenderesse, soit celui relaté à l’audience par sa conjointe, madame Karine Jobin, lors d’une sortie au restaurant.
- Or, la défenderesse a raison de soutenir ici qu’il n’est pas possible d’identifier avec exactitude les allégations ayant amené le congédiement du demandeur par le Projet collectif, ni les dénonciations portées à la connaissance du Cabaret de la diversité, puisque le témoignage de madame Khadidiatou Yewwi avait déjà fait l’objet d’une publication au sein de certains groupes engagés socialement, dont certains groupes féministes[28], et ce, avant la publication faite par la défenderesse.
- Il n’en demeure pas moins que le demandeur a pu subir des dommages moraux l’ayant affecté psychologiquement, même s’ils sont difficiles à évaluer, du seul fait de la publication de ce témoignage sur les réseaux sociaux, accompagnée de celle de sa photo.
- Ainsi, le Tribunal évalue à la somme de 10 000$ dollars les dommages non pécuniaires subis par le demandeur.
- Le Tribunal accorde également les dommages pécuniaires particuliers que réclame le demandeur au titre de la médication ou du suivi psychologique, puisque même si un diagnostic de dépression n’a pas été établi comme tel, il n’en demeure pas moins que cette condition particulière conduisant le demandeur à consulter une psychologue et à prendre cette médication découle de la publication de ce témoignage sur les réseaux sociaux. Ces dommages représentent un montant total de 3 467,27$[29].
- De plus, il sera fait droit à la réclamation du demandeur pour les dommages liés à son déménagement à l’extérieur de la région. Ceux-ci représentent un total de 4 502,31$ en location de camion de déménagement, d’essence, de nourriture et de frais d’entrepôt[30].
- Enfin, en raison de l’action intentionnelle de la défenderesse et compte tenu des dispositions de l’article 49 de la Charte québécoise des droits et libertés[31], le Tribunal en vient à la conclusion que la défenderesse a causé une atteinte illicite et intentionnelle à la réputation du demandeur et, à ce titre, octroi à ce dernier une somme de 2 500$.
Les conséquences de la faillite de la défenderesse
- Reste maintenant la question de savoir si, comme le soutient la défenderesse, le recours du demandeur est irrecevable puisque s’agissant d’une dette ayant pris naissance avant sa faillite et dont elle serait libérée en vertu de l’article 178 LFI.
- La jurisprudence nous enseigne que la libération des dettes d’un failli constitue la règle et que la non-libération est l’exception[32]. L’article 178 LFI énonce des catégories de dettes précises dont le failli n’est pas libéré à la suite d’une ordonnance de libération de faillite. Il s’agit d’exceptions devant être interprétées restrictivement; les tribunaux n’ont aucun pouvoir discrétionnaire quant à leur application[33].
- La défenderesse soutient d’abord qu’il ne s’agit pas d’une dette résultant de l’obtention de biens ou de services sous de fausses représentations, qui serait visée par l’article 178 (1) e) LFI, ce avec quoi le Tribunal est d’accord.
- La défenderesse plaide également que la condamnation recherchée par le demandeur ne constitue pas une indemnité accordée par un jugement pour des lésions corporelles causées intentionnellement et visée par l’article 178 (1) (a.1) LFI.
- À cet égard, la Cour d’appel a déjà décidé que le préjudice moral ne peut être assimilé à un préjudice corporel s’il ne découle pas d’une atteinte à l’intégrité physique et que la présence de cette dernière est requise pour l’application de l’exception prévue à ce paragraphe 178 (1) (a.1) LFI[34].
- Or, il n’y a pas d’allégation d’atteinte à l’intégrité physique du demandeur en l’espèce.
- La Cour d’appel ajoute que les dommages punitifs n’entrent pas davantage dans le cadre de l’exception prévue au paragraphe 178 (1)(a) LFI qui traite de toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou autre dette en matière pénale[35].
- Ainsi, les dommages moraux et punitifs accordés au demandeur ne font pas partie des exceptions prévues aux article 178) (1) (a) et 178 (1) (a.1) LFI à titre de dettes non-libérables par la faillite.
- Cela dit, les frais de justice constituent quant à eux une dette à laquelle est tenue la partie qui succombe, en l’occurrence la défenderesse, et ce, à compter du jugement du Tribunal qui la condamne à les payer. Ce faisant, il s’agit d’une dette non visée par la faillite de la défenderesse et dont elle ne peut donc être libérée.
- Enfin, le demandeur est justifié de demander au Tribunal d’ordonner certaines mesures correctives contre la défenderesse quant à la suppression sur les réseaux sociaux de toutes diffusions de ce témoignage.
- En raison cependant de la jurisprudence prépondérante sur cette question[36] ainsi que du fait que la défenderesse n’est pas l’auteure du témoignage qu’elle a relayé et qu’elle n’en nie pas le contenu, dont la véracité n’a par ailleurs pas été établie ni démentie, il n’y a pas lieu de lui ordonner de rédiger une lettre de rétractation et d’excuses.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- DÉCLARE la défenderesse endettée envers le demandeur d’une somme totale de 20 469,78$, soit de 10 000$ à titre de dommages moraux, de 2 500$ à titre dommage punitifs et de 7 969,78$ pour les frais de déménagement, de consultation et pour de la médication.
- DÉCLARE que ces trois dettes de la défenderesse ne sont pas visées par l’article 178 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et qu’elle en sera donc libérée par l’ordonnance de libération, sauf décision contraire du Tribunal à ce moment;
- ORDONNE à la défenderesse de retirer, dans les 30 jours du présent jugement, tout matériel, tout document et tout lien internet concernant des allégations d’agression sexuelle formulées contre le demandeur qui apparaissent sur le web et sur lesquels elle a le contrôle;
- LE TOUT, avec les frais de justice contre la défenderesse.
|
| __________________________________BERNARD TREMBLAY.j.c.s. |
|
Me Lydia Olga Ntap |
Brouillard, Joyal, Rancourt et Associés |
lydieolgan.avocate@gmail.com |
|
Me Philippe D’Amour |
Dubé, Dion |
philippedamour@dubedion.ca |
|
Date d’audience : | 8 mai 2025 |
| | |
[4] Un pseudonyme également (selon la pièce D-2).
[5] Pièce D-2. Ce document, transmis il y a environ 2 ans au procureur de la défenderesse, consiste en une réponse du demandeur à un engagement souscrit lors de son interrogatoire préalable tenu le 24 mai 2023, que le procureur de la défenderesse croyait erronément être la pièce P-2 et qui de fait a été produit en partie comme pièce P-2 par le demandeur, de sorte que le Tribunal en a permis la production.
[6] P-13, pages 7-8, 15-17.
[9] L’avis portait erronément la date du 10 février 2022.
[17] Pièces P-2 et D-2, publié le 12 février 2023. Voir également la pièce P-8.
[18] Pièce P-10, voir aussi les pièces P-14, P-15, P-17 à P-25.
[21] À ce sujet, la défenderesse réfère à l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu dans l’affaire Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61.
[22] Pièce D-1. Ce document, transmis il y a environ deux ans au procureur de la défenderesse, consiste en une réponse du demandeur à un engagement souscrit lors de son interrogatoire préalable tenu le 24 mai 2023, et que le procureur de la défenderesse croyait erronément être la pièce P-2 et qui de fait a été produit en partie comme pièce P-2 par le demandeur, de sorte que le Tribunal en a permis la production.
[23] Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, par. 33.
[26] Lehouillier-Dumas c. Facebook inc., 2021 QCCS 3524.
[27] Pièces P-2 et D-2, commentaire publié le 12 février 2023. Voir également la pièce P-8.
[28] Groupe Féministes Bas-St-Laurent
[32] Dalcourt c. Zéphir, 2003 CanLII 3734 (QC CS).
[33] Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28, par. 25 à 27.
[34] Beauregard c. Langevin, 2004 CanLII 72842 (QC CA). Voir aussi Dalcourt c. Zéphir, préc., note 28.
[36] Lalande c. Dumais, 2017 QCCS 4022; Thibeault c. Ramoul, 2014 QCCS 5793.