Trudel Alliance société en commandite c. Ville de Québec | 2023 QCCS 869 | |||||
COUR SUPÉRIEURE (Chambre criminelle) | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT dE | québec | |||||
No : | C.S. 200-36-003082-211 C.M. 7510003723 et 7510003745 | |||||
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DATE : | 20 mars 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | NATHALIE PELLETIER, J.C.S. | ||||
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TRUDEL ALLIANCE SOCIÉTÉ EN COMMANDITE | ||||||
Appelante-défenderesse | ||||||
c. | ||||||
VILLE DE QUÉBEC | ||||||
Intimée-poursuivante | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] L’appelante se pourvoit à l’encontre d’un jugement rendu le 7 juillet 2021[1] par l’honorable Patrice Simard, juge à la Cour municipale de Québec, qui l’a déclarée coupable des constats d’infraction suivants :
7510003723
Le ou vers le 5 mars 2020, en tant que propriétaire du 552, boulevard Wilfrid-Hamel, sur le lot numéro 1 940 040 du cadastre du Québec, avoir exercé, permis ou toléré l’exercice d’un usage non autorisé dans la zone (C34 – vente ou location d’autres véhicules), contrevenant aux articles 11, 54 et 999 du Règlement de l’Arrondissement des Rivières sur l’urbanisme, R.C.A.2V.Q.4.
7510003745
Le ou vers le 6 mars 2020, en tant que propriétaire du 552, boulevard Wilfrid-Hamel, sur le lot numéro 1 940 040 du cadastre du Québec, avoir exercé, permis ou toléré l’exercice d’un usage non autorisé dans la zone (C34 – vente ou location d’autres véhicules), contrevenant aux articles 11, 54 et 999 du Règlement de l’Arrondissement des Rivières sur l’urbanisme, R.C.A.2V.Q.4.
[2] L’appelante soutient que le juge de première instance a erré en droit dans l’interprétation du Règlement de l’Arrondissement des Rivières sur l’urbanisme[2] (« Règlement ») en assimilant l’offre de vente ou de location et la vente ou la location en soi, que nulle part dans l’article régissant l’infraction il n’est mentionné que l’offre est réglementée et que seules la vente et la location sont encadrées.
[3] L’appelante ajoute que le juge ne pouvait élargir la notion de vente et de location pour conclure à sa culpabilité et qu’elle était de plus spécifiquement autorisée par le Règlement à faire l’exposition de véhicules.
[4] L’appelante considère également que la conclusion du juge de première instance, selon laquelle l’intimée a rempli son fardeau de preuve, est déraisonnable. Selon elle, l’intimée avait le fardeau de démontrer qu’il y a eu vente ou location de véhicules récréatifs. Elle soumet que la preuve circonstancielle ne permet pas de conclure qu’il y avait eu vente ou location desdits véhicules.
[5] Quant à l’intimée, elle soutient que le juge de première instance s’est bien dirigé en droit et qu’il a correctement interprété le Règlement dans son ensemble.
[6] Enfin, l’intimée considère qu’elle s’est déchargée de son fardeau de preuve en l’espèce et que le juge n’a pas commis d’erreur.
[7] Pour les motifs plus amplement expliqués dans le présent jugement, le Tribunal accueille l’appel, infirme le jugement de première instance et déclare l’appelante non coupable des deux infractions qu’on lui reproche.
[8] L’appelante est propriétaire d’un centre commercial situé à Québec et connu sous le nom de Place Fleur de Lys.
[9] À l’hiver 2019, ayant de grands locaux vides, l’appelante contracte avec l’entreprise faisant affaire sous le nom de « Les VR St-Nicolas », afin que cette dernière expose, dans un local laissé vacant par le départ d’un magasin de grande surface, ses véhicules de type « véhicules récréatifs ».
[10] Les modalités du contrat de location prévoient spécifiquement que l’utilisation des lieux doit être aux seules fins d’exposition des véhicules récréatifs motorisés[3].
[11] En janvier 2020, l’intimée, par le biais de son technicien du bâtiment et de la salubrité, monsieur Michel Roy, effectue des visites à la propriété de l’appelante et constate la présence desdits véhicules récréatifs sur lesquels la marque, le modèle, certaines caractéristiques et souvent la valeur sont indiqués.
[12] Le 29 janvier 2020, l’intimée fait parvenir à l’appelante, toujours par le biais de monsieur Michel Roy, un avis de correction[4].
[13] Cet avis comporte notamment la mention « Exercice d’un usage non autorisé de vente de véhicules récréatifs (C-34) à l’intérieur du bâtiment » et exige une correction par le passage suivant : « Cesser ou faire cesser immédiatement l’usage de vente de véhicules récréatifs (VR St-Nicolas) ».
[14] Dans les semaines suivantes, l’inspecteur retourne sur les lieux et constate que la situation est demeurée la même dans le local de l’appelante.
[15] Deux constats d’infraction sont donnés par l’intimée pour les infractions alléguées les 5 et 6 mars 2020.
[16] Le procès a lieu à la Cour municipale de Québec, le 7 juillet 2021.
[17] Lors du procès, l’inspecteur Roy témoigne qu’il a constaté la présence de véhicules récréatifs et de représentants de VR St-Nicolas et que les véhicules portaient des caractéristiques descriptives, entre autres, le prix du véhicule, comme le démontrent les photos déposées en première instance.
[18] L’appelante ne conteste pas que les lieux étaient occupés par VR St-Nicolas et qu’elle y exposait des véhicules récréatifs.
[19] La preuve révèle en l’espèce qu’aucun visiteur du local ou représentant n’a été rencontré par monsieur Michel Roy. Aucune vente ni location de véhicule n’est constatée sur les lieux.
[20] En conséquence, aucune déclaration n’est obtenue.
[21] En défense, l’appelante fait entendre madame Marilyne Thibodeau, conseillère au développement et à la location pour l’appelante, laquelle témoigne sur les circonstances entourant la conclusion de l’entente entre l’appelante et VR St-Nicolas.
[22] Le juge de première instance rend sa décision oralement le jour même du procès.
[23] Après avoir résumé les faits et la preuve aux pages 83 à 90 des notes sténographiques, il fait état des questions qu’il doit se poser eu égard aux infractions :
La première question que le Tribunal doit se poser, c’est de savoir si un usage non autorisé était en cours dans la zone en question.
Selon la fiche de propriété - - et ce n’est pas contesté - - et selon le plan de zonage, on se trouve dans la zone 23404Cd.
La poursuivante a déposé, pièce P-4, un agrandissement de l’endroit où le local se situe et, effectivement, le local se situe dans la zone 23404Cd.
Le centre commercial est tellement grand que plusieurs zones le couvrent, mais celle qui est pertinente à notre dossier est la zone 23404Cd qui tombe dans la… la zone 23404Cd, dans la catégorie commerces de consommation et de services, commerces de restauration des débits d’alcool, commerces à incidence élevée et les usages particuliers; nulle part on ne retrouve la classification C34.[5]
[24] Le juge de première instance s’attarde en premier lieu sur la classification pertinente en matière de réglementation municipale, la classe C34, et souligne que l’article 54 du Règlement précise ceci :
Le groupe C34, vente ou location d’autres véhicules, comprend les établissements dont l’activité principale est de vendre au détail ou de louer des véhicules, tels que des autocaravanes, des caravanes, des véhicules de camping, des bateaux de plaisance, des remorques utilitaires, des avions et des hélicoptères.[6]
[25] Il établit clairement que la preuve n’est pas contestée, quant aux types de véhicules qui étaient entreposés dans le local et que ceux-ci entrent dans cette catégorie.
[26] Il conclut qu’il reste donc à savoir maintenant s’il y avait un usage interdit à cet endroit, ce qui l’amène à se poser la question suivante :
Est-ce que, autrement dit, on fait la vente ou la location?[7]
[27] L’appelante soulève en défense qu’il n’y a pas eu de preuve de vente ni de location faite sur place par le locataire, ce à quoi le juge de première instance répond :
À ce sujet, le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une vente ou une location ou une transaction qui intervienne sur place. Le simple fait d’offrir en vente ou en location les véhicules prévus à C34 font partie du fait de vendre ou de louer des véhicules.
Par ailleurs, la preuve photographique démontre que ce n’est pas… on ne se limite pas à simple… aux simples expositions de véhicules, mais il y plus de cent (100) véhicules, chacun a un prix de vente, des caractéristiques, il y a également des aménagements sur place qui permettent, par exemple, à des gens de s’asseoir, il y a des tables, il y a ce qui semble être un bureau de vente également.
Donc, tous les… il y également des représentants sur place, selon le témoignage de Michel Roy qui a rencontré au moins deux représentants lors de ses visites sur les lieux.
Donc, le Tribunal est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que l’usage du local aux dates de l’infraction, soit les cinq (5) et six (6) mars vingt vingt (2020), était celui prévu à C34, soit la vente ou la location de véhicules, là, récréatifs, ce qui est prévu à C34.
Donc, l’infraction pour usage non autorisé, il y avait un usage non autorisé de type C34 aux deux dates de l’infraction.[8]
[Soulignements du Tribunal]
[28] Le juge de première instance poursuit son analyse de la preuve, eu égard à la défense de diligence raisonnable. Il se pose la question :
Il reste maintenant à savoir si la défenderesse a exercé, permis ou toléré l’exercice de cet usage.[9]
[29] Il fait la lecture du contrat de location et retient ceci :
À prime abord, donc, le contrat prévoit seulement que des véhicules seront exposés à cet endroit et qu’il n’y aura donc aucune activité de vente ou de location, aucune sol[l]icitation, aucune offre qui se fera sur place.[10]
[30] Il relève également une clause couvrant le départ précipité en cas de contravention à la réglementation municipale, ainsi qu’une clause d’indemnisation générale et une prévoyant que le locataire s’engage à occuper son local dans le respect des lois.
[31] Il en vient à la conclusion que le contrat de location ne permet pas à l’appelante de se décharger de ses obligations à titre de propriétaire.
[32] Après avoir examiné également une lettre transmise du locateur au locataire le 5 mars 2020[11], le juge conclut que l’appelante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve quant à la diligence raisonnable.
[33] Le juge conclut que, dans les circonstances, l’appelante a permis ou toléré que l’usage dérogatoire persiste les 5 et 6 mars, au-delà de la période de grâce accordée par la Ville. Il déclare par conséquent l’appelante coupable sur les deux infractions telles que portées[12].
[34] L’appelante fait valoir les deux moyens d’appel suivants :
[35] Le Tribunal modifie la première question afin d’inclure la notion d’exposition car elle fait partie intégrante des arguments des parties.
[36] Le pouvoir d’intervention du Tribunal en appel est prévu à l’article
286. Le juge accueille l’appel sur dossier s’il est convaincu par l’appelant que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu’une erreur de droit a été commise ou que justice n’a pas été rendue.
Toutefois, lorsque le poursuivant interjette appel d’un jugement d’acquittement et qu’il y a eu erreur de droit, le juge peut rejeter l’appel à moins que le poursuivant ne démontre que, sans cette erreur, le jugement aurait été différent.
Lorsque le défendeur interjette appel d’un jugement de déclaration de culpabilité ou qui conclut à l’incapacité du défendeur de subir l’instruction en raison de son état mental et qu’il y a eu erreur de droit, le juge peut rejeter l’appel si le poursuivant démontre que, sans cette erreur, le jugement aurait été le même.
[37] Lorsqu’un moyen d’appel soulève une question de droit, c’est la norme d’intervention de la décision correcte qui s’applique :
8. Dans le cas des pures questions de droit, la règle fondamentale applicable en matière de contrôle des conclusions du juge de première instance est que les cours d'appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance. La norme de contrôle applicable à une question de droit est donc celle de la décision correcte […].[14]
[38] La Cour suprême justifie la nécessité pour les tribunaux d’appel de disposer d’un large pouvoir d’intervention lorsqu’une question de droit est en cause :
9. […] Ainsi, alors que le rôle premier des tribunaux de première instance consiste à résoudre des litiges sur la base des faits dont ils disposent et du droit établi, celui des cours d’appel est de préciser et de raffiner les règles de droit et de veiller à leur application universelle. Pour s’acquitter de ces rôles, les cours d’appel ont besoin d’un large pouvoir de contrôle à l’égard des questions de droit.[15]
[39] Ainsi, les conclusions du juge d’instance sur une question de droit ne commandent pas la déférence et peuvent être révisées en appel.
[40] En matière de verdict déraisonnable, la norme d’intervention applicable est illustrée dans l’arrêt Dubourg c. R.[16] :
[18] Les principes qui s’appliquent à ce moyen d’appel sont bien connus. Un verdict est déraisonnable s’il ne peut s’appuyer sur une évaluation pondérée et soigneuse de l’ensemble des éléments de preuve ou s’il se fonde sur un raisonnement illogique. L’exercice requiert une importante déférence envers l’appréciation de la preuve faite en première instance par le juge des faits. Il ne s’agit pas de savoir si la Cour en serait arrivée au même verdict, mais si une évaluation raisonnable de la preuve peut y mener. Le passage suivant dans Richard, fréquemment cité, résume avec justesse les principes applicables :
[…]
[19] Lorsque les accusations sont fondées, en tout ou pour un élément essentiel, uniquement sur de la preuve circonstancielle, des considérations particulières s’appliquent. La Cour suprême dans Villaroman a établi qu’une preuve circonstancielle hors de tout doute raisonnable est faite lorsque la seule inférence raisonnable qu’elle peut soutenir est celle de la culpabilité de l’accusé. Si ce n’est pas le cas et qu’une inférence raisonnable est compatible avec son innocence, il subsiste forcément un doute raisonnable et il doit être acquitté. Les inférences compatibles avec l’innocence n’ont pas à être fondées sur la preuve ou sur des faits prouvés, puisque le doute raisonnable peut découler de l’absence de preuve.
[20] En combinant ces deux ensembles de principes, on conclut que, pour déterminer si un verdict fondé sur de la preuve strictement circonstancielle est raisonnable, il faut se demander si une appréciation raisonnable de toute la preuve peut mener à la conclusion que la seule inférence raisonnable mène à la culpabilité de l’accusé. En résumé, les conclusions tirées de la preuve par le juge des faits et la conclusion que la seule inférence raisonnable est celle de la culpabilité sont-elles raisonnables?
[21] Pour répondre à cette question, il faut souligner que lorsque la Cour dans Villaroman parle de la seule inférence raisonnable », il faut être exact sur le sens de ces mots. Deux précisions s’imposent. Premièrement, comme la Cour le dit, la seule inférence raisonnable se distingue de la seule inférence rationnelle puisqu’une inférence peut être rationnelle sur un plan logique sans pour autant être raisonnable après une évaluation de tous les éléments de preuve et même l’absence de la preuve. Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, la seule inférence raisonnable n’implique aucunement que cette inférence soit la seule possible dans le même sens qu’une preuve hors de tout doute raisonnable n’équivaut pas à une preuve hors de tout doute possible.
[Références omises]
[41] Les articles suivants du Règlement sont pertinents à l’analyse du présent litige :
4. Aux fins du présent règlement, n’est autorisé que ce qui est expressément prescrit.
4.0.1.[[17]] Le présent règlement énonce un ensemble de règles d’urbanisme qui sont édictées en vertu de différentes lois dont, notamment, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (RLRQ, c. A-19.1), la Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec (RLRQ, c. C-11.5), la Loi sur les compétences municipales (RLRQ, c. C-47.1), la Loi sur les cités et villes (RLRQ, c. C-19) et la Loi sur la qualité de l’environnement (RLRQ, c. Q-2). Ces règles découlent de l’exercice de compétences qui relèvent à la fois du conseil de la ville et des conseils d’arrondissement, tel que prévu à la Charte de la Ville de Québec, capitale nationale du Québec.
Le présent règlement doit donc être interprété en tenant compte du fait qu’il résulte de la mise en commun, dans un seul règlement, de pouvoirs provenant de différentes sources législatives et exercés par différentes instances décisionnelles. Ses chapitres doivent donc être lus en conjonction les uns avec les autres puisqu’un même objet est susceptible d’avoir été traité dans plus d’un chapitre, comme les règles régissant les droits acquis. […]
10. Le présent chapitre classe les usages et les constructions.
Une classe d’usages comporte plusieurs groupes d’usages.
Un groupe d’usages comprend les usages ou constructions énumérés et ceux de même nature ou qui s’y apparentent et répondent à la description du groupe d’usage, à moins que cet usage ou cette construction ne soit énuméré dans un autre groupe d’usages.
Un usage ou une construction ne fait partie que d’un groupe d’usages ou constitue un usage ou une construction particulière.
Quiconque veut exercer un usage ou ériger une construction doit établir que cet usage ou cette construction est autorisé.
11. Un groupe d’usages autorisé est inscrit sous le nom de la classe dans laquelle il est compris, dans la section intitulée « Usages autorisés » de la grille de spécifications.
27. Le groupe C2 vente au détail et services comprend les établissements dont l’activité principale est de vendre au détail ou d’offrir des services personnels ou des services après-vente de réparation ou d’installation et des services de réparation d’électroménagers et d’équipements électroniques.
Ce groupe comprend, notamment, les usages suivants :
[…]
10°une salle d’exposition;
[…]
49. La classe Commerce associé aux véhicules automobiles comprend les établissements dont l’activité principale est de louer ou de vendre au détail des véhicules automobiles ainsi que leurs pièces et accessoires, à en effectuer la réparation ou l’entretien.
Cette classe comprend les groupes d’usages suivants :
[…]
5°C34 vente ou location d’autres véhicules;
[…]
54. Le groupe C34 vente ou location d’autres véhicules comprend les établissements dont l’activité principale est de vendre au détail ou de louer des véhicules tels que des autocaravanes, des caravanes, des véhicules de camping, des bateaux de plaisance, des remorques utilitaires, des avions et des hélicoptères.
[42] Pour la partie intimée, la lecture du Règlement ainsi que son interprétation doivent être faites comme tout autre texte législatif, à savoir qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur[18].
[44] À cet effet, elle réfère aux articles 10, 27 et 54 du Règlement.
[45] Ainsi, elle soutient que la Ville n’a pas à faire la description exhaustive de tous les usages en énumérant toutes les caractéristiques, mais bien uniquement ce qui est essentiel. C’est dans ces circonstances que l’intimée a choisi de définir le groupe C34 comme étant les établissements où l’activité principale est la vente et la location de certains types de véhicules.
[46] Or, pour l’intimée, « il n’y a pas de vente sans que des biens soient offerts ou exposés pour la vente; ces composantes sont intrinsèquement liées »[19]. Elle réfère d’ailleurs à la décision Ratté rendue en matière de location de résidence de tourisme : « L’offre et le contrat forment un tout… Sans offre, il n’y a pas de contrat »[20].
[47] Ce qui amène l’intimée à comparer l’aménagement de l’appelante et de VR St‑Nicolas aux espaces chez un concessionnaire automobile. Elle affirme que :
La composante essentielle de cet établissement est d’offrir des véhicules dans le but de les vendre en les exposant, leur vente constituant uniquement la manifestation de cet usage. La qualification de l’usage doit donc être faite en évaluant la globalité des activités qui sont exercées à un endroit.
Une fois cette qualification complétée, il faut examiner quel groupe d’usages correspond le mieux à ces activités. […][21]
[48] Pour l’intimée, il est sans équivoque que l’exposition des véhicules de VR St‑Nicolas ne correspond pas au groupe d’usages C2, mais bien au groupe d’usages C34, puisque les véhicules sont exposés dans le but d’être vendus.
[49] S’il est exact qu’un règlement doit être lu dans son ensemble pour bien comprendre l’intention du législateur, le Tribunal conclut que, en l’espèce, le juge de première instance a commis une erreur en droit dans l’interprétation que nous devons donner aux articles 49 et 54 du Règlement.
[50] L’intimée assimile les notions d’« exposition », d’« offre » et de « vente ». Or, il n’est pas indiqué aux articles constituant l’infraction reprochée qu’une exposition, telle que montée en l’espèce, correspond à une offre de vente pour ainsi inférer qu’il y a eu vente.
[51] Le Tribunal constate, à l’article 54, que l’usage encadré est celui dont l’activité principale est la vente au détail ou la location de véhicules, tels que des autocaravanes.
[52] À aucun moment l’article ne fait mention que l’appelante n’était pas autorisée à exposer ses véhicules. L’exposition des véhicules ne fait pas partie des éléments énumérés à C34[22]. La grille de spécifications démontre par ailleurs que l’immeuble de l’appelante est visé par les usages autorisés C2[23]. Font partie des usages autorisés à C2 les salles d’exposition.
[53] De plus, le Tribunal attire l’attention sur la rédaction même du Règlement, puisque l’intimée a choisi, dans sa réglementation, d’encadrer des expositions où il y a de la vente.
[54] Le Tribunal réfère, par exemple, à l’article 123 concernant les marchés publics temporaires, lequel se lit comme suit :
Lorsque la mention « Marché public temporaire – article 123 » est inscrite sur la ligne intitulée « Usage spécifiquement autorisé » de la section intitulée « Usages autorisés » de la grille de spécifications, un marché public pour l’exposition et la vente de produits est autorisée à l’extérieur, […]
[Soulignement du Tribunal]
[55] On reprend également cette expression d’exposition et de vente à l’article 128 du même Règlement en matière de vente à l’extérieur d’un établissement. Il en est de même à l’article 129 où on dit ceci :
L’exposition et la vente de végétaux, de fruits ou de légumes frais, d’articles de jardinage, d’éléments qui servent à l’aménagement paysager ou d’articles de sports ou de loisirs sont autorisés à l’extérieur, à titre d’usages temporaires, sous réserve du respect des normes suivantes :
[…]
2° L’exposition et la vente de véhicules motorisés sont prohibées;
[…]
[Soulignement du Tribunal]
[56] Donc, la ville de Québec a, à plusieurs endroits dans son Règlement, circonscrit le cadre des expositions et de la vente, ce qu’elle n’a pas fait à l’article 27(10).
[57] Lorsqu’on prend connaissance de l’article 27 dudit Règlement, qui prévoit une liste d’usages inclus dans le groupe C2 – vente au détail et services, on permet l’usage de salles d’exposition, sans limiter l’objet de l’exposition ni la taille de ladite l’exposition. Également, l’article 27(10) dudit Règlement ne traite pas de la notion de la vente.
[58] Le même constat s’applique quant à la distinction à effectuer entre les termes « offre » et « vente » (ou location). Sur ce point, le Tribunal ne considère pas que les enseignements de l’affaire Ratté[24] quant à l’assimilation des notions d’« offre » et de « location » se transposent sans nuance à la situation de l’appelante.
[59] Contrairement à la décision rendue dans Ratté, où effectivement l’offre précède la location du logement, on ne peut élargir les notions de « vente » et de « location » à l’offre elle-même, sans preuve qu’il y a eu une vente ou qu’il s’agit d’un local utilisé pour faire la vente des véhicules. Dans l’affaire Ratté, la Municipalité ne gérait que l’offre, mais pas la location dans son Règlement. Il était indéniable que c’était l’offre qui était encadrée et que la publicité sur les réseaux était nécessaire afin de permettre la location de l’appartement. Ici, c’est la vente ou la location qui est réglementée.
[60] Le fait d’afficher le prix et les caractéristiques, d’avoir une table pour s’asseoir ou encore du personnel pour répondre aux questions relève davantage du marketing que de la vente en tant que telle.
[61] Ainsi, le locataire, au même type qu’il paie une publicité dans les pages du journal ou qui expose une voiture dans un centre commercial, loue un espace pour faire de la publicité.
[62] Ainsi, contrairement à l’affaire Ratté, où c’est la gestion de l’offre qui est encadrée, ici, c’est la vente ou la location du bien qui est encadrée et non l’offre.
[63] Dans les circonstances, le Tribunal conclut que le juge de première instance a commis une erreur de droit dans l’interprétation du Règlement.
[64] La Cour suprême, dans l’arrêt Villaroman[25], vient affirmer ceci quant à l’analyse qui doit être faite lorsque l’affaire repose sur une preuve circonstancielle :
[35] Il est arrivé que des tribunaux ont affirmé que, dans les affaires reposant sur des éléments de preuve circonstancielle, [traduction] « les solutions compatibles avec l’innocence de l’accusé doivent être logiques et fondées sur des déductions tirées des faits prouvés » : voir R. c. McIver, [1965] 2 O.R. 475 (C.A.), p. 479; conf., sans analyse de cette question, par
[36] Je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’un doute raisonnable, ou une autre thèse que la culpabilité, ne devient pas « conjectural » du seul fait que ce doute ou cette thèse repose sur une absence de preuve. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Lifchus, un doute raisonnable « est un doute fondé sur la raison et le bon sens, et qui doit reposer logiquement sur la preuve ou l’absence de preuve » : par. 30 (je souligne). Une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité. Mais ces inférences doivent être raisonnables compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens.
[37] Lorsqu’il apprécie des éléments de preuve circonstancielle, le juge des faits doit considérer [traduction] « [d’]autre[s] thèse[s] plausible[s] » et d’« autres possibilités raisonnables » qui ne sont pas compatibles avec la culpabilité : R. c. Comba, [1938] O.R. 200 (C.A.), p. 205 et 211, le juge Middleton, conf. par [1938] R.C.S. 396; R. c. Baigent,
[38] Il va de soi que la ligne de démarcation entre une « thèse plausible » et une « conjecture » n’est pas toujours facile à tracer. Cependant, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si la preuve circonstancielle, considérée logiquement et à la lumière de l’expérience humaine et du bon sens, peut étayer une autre inférence que la culpabilité de l’accusé.
[65] En l’absence de preuve que l’exposition a permis la vente ou la location desdits véhicules sur les lieux, les éléments essentiels de l’infraction n’ont pas été démontrés hors de tout doute raisonnable.
[66] S’il n’est pas nécessaire qu’une transaction soit intervenue pour que le local loué par VR St-Nicolas conserve son usage de local de vente ou de location, comme l’indique le juge de première instance, il fallait tout de même démontrer à quelles fins étaient utilisé ce local.
[67] Monsieur Roy n’a été témoin d’aucune offre ni de vente et n’a constaté que la présence des véhicules et des représentants. Aucun autre témoin des activités qui ont eu lieu dans le local n’a été entendu. Par exemple, il n’y a pas ce qu’on retrouve normalement lors de l’achat de type de véhicule qui requière habituellement du financement. Aucun équipement informatique n’est photographié, seul une table sans rien dessus avec chaise est prise en photo.
[68] Le juge de première instance relate qu’il y a des aménagements pour s’asseoir, des tables et qu’il « semble » également y avoir un bureau de vente dans le local. Selon la preuve déposée, ces trois qualificatifs se rapportent en réalité à une seule photo d’une table avec chaise et ce qui semble être un pupitre d’accueil[26]. Le juge relève aussi qu’il ne s’agit pas d’une simple exposition en raison de la quantité de véhicules exposés. Or, les inférences qu’il tire ne sont pas supportées et relèvent plutôt de l’hypothèse[27].
[69] Le juge ne pouvait pas conclure, avec la preuve circonstancielle qu’il avait dans ce dossier, qu’il y avait eu vente ou qu’il s’agissait d’un local de vente ni même qu’il y a eu des offres réelles faites.
[70] Il a donc erré en concluant que la poursuite a fait la preuve, hors de tout doute raisonnable, des éléments constitutifs de l’infraction.
[71] ACCUEILLE le présent appel;
[72] INFIRME le jugement de première instance;
[73] DÉCLARE l’appelante non coupable de l’infraction dans le dossier 7510003723;
[74] DÉCLARE l’appelante non coupable de l’infraction dans le dossier 7510003745;
[75] LE TOUT, sans frais de justice.
NATHALIE PELLETIER, J.C.S.
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Me Charles Lavoie Trudel Immeubles inc. Procureur de l’appelante | |
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Me Évelyne Julien Giasson et Associés Procureure de l’intimée | |
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Date d’audience : | 7 octobre 2022 |
[1] Ville de Québec c. Trudel Alliance société en commandite, C.M. Québec, nos 7510003723 et 7510003745, 7 juillet 2021, j. Simard (« jugement entrepris »).
[2] R.C.A.2V.Q.4.
[3] Pièce D-1 – Contrat de location à court terme.
[4] Pièce P-6 – Avis de correction 29 janvier 2020.
[5] Jugement entrepris, p. 90, l. 16 à 25 et 91, l. 1 à 9.
[6] Id., p. 91, l. 12 à 22.
[7] Id., p. 92, l. 4.
[8] Id., p. 92, l. 10 à 25 et 93, l. 1 à 12.
[9] Id., p. 93, l. 13 et 14.
[10] Id., p. 94, l. 11 à 15.
[11] Pièce D-2 – Lettre intervenant Ville de Québec.
[12] Jugement entrepris, p. 100, l. 4 à 12.
[13] RLRQ, c. C-25.1.
[14] Housen c. Nikolaisen,
[15] Id., par. 9.
[16]
[17] L’article 4.0.1. du Règlement est entré en vigueur le 25 juin 2021.
[18] Transport de conteneurs Garfield inc. c. Montréal (Ville de),
[19] Exposé de l’intimée, p. 8, référant à Ville de Québec c. Ratté,
[20] Ville de Québec c. Ratté,
[21] Exposé de l’intimée, p. 8.
[22] Art. 10, al. 3 et 4 du Règlement.
[23] Pièce P-5 – Grille de spécifications.
[24] Préc., note 19.
[25] R. c. Villaroman,
[26] Pièce-7, photo 26, où on peut y voir une demi-cloison et des chaises autour d’une table vide et Pièce-11 photos 58 et 63, ce qui semble être un pupitre d’accueil.
[27] Forgues c. R.,
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