Décision

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Ville de Saint-Constant c. Vachon

2023 QCCS 761

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 

 

No :           505-17-013491-222

 

 

 

DATE :

  15 mars 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GUYLAINE DUPLESSIS, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

VILLE DE SAINT-CONSTANT

Partie demanderesse

c.

MICHEL VACHON

Partie défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(injonction interlocutoire)

______________________________________________________________________

 


APERÇU

[1]                La demanderesse, la Ville de Saint-Constant (« la Ville »), recherche l’émission d’une injonction interlocutoire afin qu’il soit interdit à l’un de ses citoyens, le défendeur Michel Vachon, de se présenter aux séances du conseil municipal, aux évènements et aux activités de la Ville et à l’un ou l’autre des édifices de la Ville, à moins d’y avoir été spécifiquement autorisé par résolution du conseil municipal.

1. CONTEXTE

[2]                Les rapports entre la Ville et monsieur Vachon sont conflictuels depuis plusieurs années.

[3]                Dès 2016, la Ville reproche à monsieur Vachon de se montrer irrespectueux, intimidant et menaçant envers les élus, fonctionnaires et employés de la Ville, non seulement lors des séances du conseil municipal mais également à l’extérieur, peu importe où ils se trouvent sur le territoire de la Ville.

[4]                Les agissements de monsieur Vachon sont à ce point problématiques qu’en septembre 2019, la Ville dépose une demande d’injonction provisoire et permanente[1].

[5]                Le 25 septembre 2019, une injonction interlocutoire provisoire est prononcée ordonnant à monsieur Vachon[2] :

-          De cesser de formuler des menaces à l’encontre de quelque élu, fonctionnaire ou employé de la Ville, de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit;

 

-          De ne pas harceler, importuner, suivre délibérément ou intimider quelque élu, fonctionnaire ou employé de la Ville.

[6]                Le 4 octobre 2019, l’injonction interlocutoire provisoire est renouvelée. Toutefois, puisque le comportement de monsieur Vachon s’aggrave, des conclusions supplémentaires sont ajoutées et il lui est également ordonné[3] :

-          De ne plus communiquer avec Nadia Lefebvre, Nancy Trottier, Me Sophie Laflamme et Chantal Boudrias autrement que par courriel à l’adresse info@saint-constant.ca et seulement s’il a une demande à formuler;

 

-          De se conformer au règlement 1235-07 concernant la régie interne des affaires du conseil lorsqu’il est présent au conseil.

[7]                Cette ordonnance est reconduite jusqu’au 15 novembre 2019, date à laquelle une injonction interlocutoire est émise reprenant les conclusions des ordonnances en injonctions provisoires et interdisant de plus à monsieur Vachon de se présenter aux séances du conseil municipal et à l’un ou l’autre des édifices de la Ville sans y avoir été expressément autorisé[4].

[8]                Le 23 octobre 2020, monsieur Vachon est reconnu coupable d’outrage au tribunal pour avoir contrevenu à huit occasions à l’injonction interlocutoire alors en vigueur. Il est condamné par le tribunal au paiement de diverses amendes ainsi qu’à des travaux d’utilité social. À la suite de l’appel porté par le défendeur, la Cour d’appel confirme la décision de la Cour supérieure mais réduit l’amende imposée pour l’une des infractions[5].

[9]                Le 30 septembre 2021, la juge Katheryne A. Desfossés accueille la demande d’injonction permanente de la Ville et rend diverses ordonnances dont certaines sont pour une période d’une année jugement Desfossés »). Elle ordonne notamment :

-          À monsieur Vachon, de ne plus se présenter aux réunions du conseil ou évènements ou activités de la Ville ni à l’un ou l'autre des édifices de la Ville pour une période d’une année à compter de l’émission de l’ordonnance permanente;

 

-          À la Ville de procéder à l’enregistrement sonore des réunions du conseil pendant cette période d’un an où monsieur Vachon ne peut assister aux réunions et de rendre ces enregistrements disponibles aux citoyens via le site web de la Ville dans un délai de 7 jours suivants chacune des réunions;

 

-          À la Ville, pendant cette période d’un an de permettre à monsieur Vachon de poser des questions en vue de la prochaine réunion du conseil par le biais de l’adresse info@saint-constant.ca;

 

-          À la Ville de répondre aux questions de monsieur Vachon ainsi posées par monsieur Vachon lors de l’enregistrement de la séance dans la mesure où ces questions sont recevables et soumises au plus tard avant 17h le jour de la réunion prévue;

 

-          À monsieur Vachon lorsqu’il sera éventuellement présent à une séance du conseil, à l’expiration du délai d’un an imposé, de se conformer au règlement 1235-07 concernant la régie internes des affaires du conseil municipal;

 

-          À monsieur Vachon de ne plus communiquer avec les élus, fonctionnaires et employés de la Ville, directement ou indirectement autrement que par courriel à l’adresse prévue ci-devant;

 

-          À monsieur Vachon de cesser de formuler des menaces à l’encontre de quelque élu, fonctionnaire ou employé de la Ville de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit;

 

-          À monsieur Vachon de ne pas harceler, importuner, suivre délibérément ou intimider quelque élu, fonctionnaire ou employé de la Ville de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit;

 

       [Soulignements du Tribunal]

[10]           C’est donc dire que le 30 septembre 2022, les conclusions de l’injonction permanente interdisant à monsieur Vachon de se présenter aux réunions du conseil municipal, dans les évènements et activités de la Ville ainsi que dans ses édifices venaient à échéance.

[11]           Le 26 octobre 2021, la Cour du Québec, chambre criminelle, reconnaît monsieur Vachon coupable de voies de fait à l’égard d’un conseiller municipal, David Lemelin, à la suite d’évènements survenus le 9 mai 2021. Une ordonnance de probation lui impose plusieurs conditions dont celles de s’abstenir de communiquer avec David Lemelin et de se trouver en sa présence ou à son lieu de travail, soit l’hôtel de ville, et ce pour valoir jusqu’au 23 avril 2023[6].

[12]           Le 24 février 2022, monsieur Vachon est à nouveau reconnu coupable d’outrage au tribunal, pour avoir contrevenu le 9 mai 2021, à l’injonction interlocutoire rendue par cette Cour. Toutefois, en raison de l’appel porté du premier jugement le condamnant pour outrage au tribunal, la sentence sera prononcée ultérieurement[7].

[13]           Le 8 juillet 2022, à la demande du défendeur, la Cour du Québec modifie les conditions de l’ordonnance de probation du 26 octobre 2021 de façon à permettre au défendeur de se présenter aux séances du conseil municipal à compter du 1er octobre 2022, soit à l’expiration du délai d’un an prévu au jugement Desfossés lui interdisant d’être présent aux séances du conseil municipal[8].

[14]           Le 12 octobre 2022, la Ville signifie à monsieur Vachon une Demande introductive d’instante en injonction permanente, interlocutoire et provisoire, par laquelle elle recherche essentiellement que les ordonnances du jugement Desfossés limitées à une durée d’un an, soient renouvelées sans limite temporelle, alléguant que monsieur Vachon aurait contrevenu à plusieurs reprises audit jugement.

[15]           En réponse, le défendeur Vachon qui se représente seul, produit une déclaration sous serment de 95 pages contenant 1 025 paragraphes ainsi que plusieurs pièces.

[16]           Le 18 octobre 2022, la juge Lamarche accueille la demande d’injonction provisoire et interdit à monsieur Vachon de se présenter aux réunions du conseil municipal ou évènements ou activités de la Ville, ni à l’un ou l’autre de ses édifices à moins d’y avoir été spécifiquement autorisé. La transcription de son jugement rendu oralement fait état des motifs suivants :

[13] Ce n'est que le 29 septembre 2022 que la Ville apprend que monsieur Vachon a obtenu une telle modification de ses conditions.

 

[14] Le 9 mars 2022, il a aussi été reconnu coupable de voies de fait sur la personne de Sophie Laflamme, greffière de la Ville. Une autre ordonnance de probation fut rendue lui imposant des conditions, dont celles de ne pouvoir se trouver sur le lieu de travail de madame Laflamme, soit l'hôtel de ville.

 

[15]   La Ville soutient que monsieur Vachon se présentera à la première séance du conseil municipal qui aura lieu ce qu'il ne nie pas. Des employés, des élus et des fonctionnaires ont maintenant peur de lui et refusent même de se présenter au travail ou encore aux séances du conseil municipal s'il n'est pas interdit à celui-ci d'y être présent.

 

[…]

 

[18]   La Ville démontre que jusqu'à ce que monsieur Vachon obtienne les modifications de ses conditions à la suite de sa condamnation pour voies de fait sur monsieur Lemelin, il ne pouvait se présenter aux séances du conseil municipal avant le mois d'avril 2023.

 

[19] Or, la Ville n'apprend que le 29 septembre 2022 que ces conditions sont modifiées et que monsieur Vachon pourra dès le 1er octobre se présenter aux séances du conseil municipal.

 

[20] Dès qu'elle l'apprend, la Ville entreprend d'obtenir une nouvelle ordonnance pour interdire à monsieur Vachon de se présenter aux séances du Conseil municipal.

 

[23] Par ailleurs, une consultation du 4 octobre 2022 a dû être reportée notamment parce que madame Laflamme, madame Trottier et monsieur Lemelin ont refusé de s'y présenter puisque monsieur Vachon n'avait maintenant aucune interdiction d'y assister.

 

[24] De plus, une séance du conseil municipal est prévue pour le 18 octobre en soirée et la directrice générale, la greffière et plusieurs élus refusent de s'y présenter si la présence de monsieur Vachon n'y est pas interdite.

 

[25] Il est évident que monsieur Vachon se présentera aux séances du conseil municipal à la première occasion qu'il a puisqu'il l'a annoncé lors de l'audience en Cour d'appel sur sa première condamnation pour outrage et qu'il a fait modifier les ordonnances de probation afin de pouvoir y assister dès que l'injonction émise par la Cour supérieure ne lui interdirait plus.

 

[26] Le fonctionnement et la prise des décisions de la Ville sont donc mis en péril.

 

[17]           Le 29 novembre 2022, la juge Picard accueille l’ordonnance de sauvegarde présentée par la Ville pour valoir jusqu’au jugement à être rendu sur la demande en injonction interlocutoire et ordonne entre autres :

-          À monsieur Vachon de ne pas se présenter aux réunions du conseil municipal ou évènements ou activités de la Ville ni à l’un ou l’autre de ses édifices à moins d’y être spécifiquement autorisés par résolution du conseil municipal;

 

-          À la Ville de procéder à l’enregistrement sonore des réunions du conseil et de les rendre disponibles aux citoyens, dont monsieur Vachon via le site web de la Ville dans un délai de 7 jours suivant chacune des réunions;

 

-          À la Ville de permettre à monsieur Vachon de poser des questions en vue des réunions du conseil par le biais de l’adresse info@saint-constant.ca et de lui répondre lors de l’enregistrement de la séance, dans la mesure où ces questions sont recevables et ont été soumises au plus tard avant 17h le jour de la réunion;

 

-          À la Ville de permettre à monsieur Vachon d’exercer son droit de personne habile à voter par courriel;

[18]           La Ville demande qu’une injonction interlocutoire soit prononcée, en attendant qu’un jugement final soit rendu sur sa demande introductive d’instance.

[19]           Elle soumet que les agissements du défendeur depuis septembre 2021, démontrent que sans l’émission d’une injonction interlocutoire, elle ne sera pas en mesure de continuer de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des personnes à son service et la privera d’offrir une vie démocratique en toute sécurité et un milieu de travail répondant à ses obligations d’employeur.

[20]           Elle plaide que sa demande soulève une question sérieuse qui lui confère une apparence de droit suffisante pour obtenir l’émission de l’ordonnance interlocutoire recherchée et qu’à défaut, elle subira un préjudice sérieux et irréparable puisqu’elle ne pourra offrir une vie démocratique et un milieu de travail sécuritaire.

[21]           Elle ajoute que la prépondérance des inconvénients est en sa faveur puisque le préjudice qu’elle subirait si la demande était rejetée est nettement plus important que celui que monsieur Vachon pourrait subir si elle était accueillie.

[22]           Monsieur Vachon conteste le bien-fondé de cette demande, niant les faits qui lui sont reprochés.

[23]           Il nie avoir une conduite harcelante ou menaçante et reproche à la Ville de tenter par divers moyens de l’empêcher de participer aux séances du conseil municipal et de lui refuser l’accès à l’information qu’il recherche.

2.                    ANALYSE

     Le cadre juridique

[24]           Les principes applicables en matière d’injonction interlocutoire ont été énoncés à de nombreuses reprises et repris récemment par la Cour d’appel. La partie qui recherche l’émission d’une telle ordonnance doit satisfaire les trois critères suivants[9] :

-          Il existe une question sérieuse à juger;

-          Sans l’émission de l’injonction, la partie qui la requiert subirait un préjudice sérieux ou irréparable;

-          La balance des inconvénients joue en sa faveur.

[25]           Sauf circonstances exceptionnelles, ces trois critères doivent être satisfaits[10]. Ils « ne doivent pas être considérés séparément, in abstracto, mais en regard les uns des autres »[11].

           La preuve

[26]           La Ville allègue que depuis l’injonction permanente rendue le 30 septembre 2021, monsieur Vachon aurait contrevenu à plusieurs reprises aux ordonnances qui lui ont été imposées par le jugement Desfossés.

[27]           Au soutien de sa demande, la Ville produit diverses pièces ainsi que les déclarations assermentées de plusieurs de ses représentants :

-          Jean-Claude Boyer, le maire;

-          Me Sophie Laflamme, directrice des affaires juridiques, greffière et directrice générale adjointe;

-          Nancy Trottier, directrice générale;

-          David Lemelin, conseiller municipal;

-          Marie-France Lalonde, directrice de la Cour municipale;

-          Nadia Lefebvre, technicienne juridique.

[28]           Ces déclarations des représentants de la Ville, témoignent d’une conduite inappropriée et de gestes graves à leur endroit par le défendeur Vachon.

[29]           Ainsi, le 15 novembre 2021, en réponse à l’avocat de la Ville, monsieur Vachon envoie un courriel à info@saint-constant.ca, qualifiant de « névrosées par remords de conscience, Laflamme, Lefebvre et Bastien ». Il accuse également Me Sophie Laflamme et Nadia Lefebvre d’avoir manqué à leur secret professionnel inhérent à leur charge de fonctionnaires publiques[12].

[30]           Le 20 ou 21 novembre 2021, alors que Nadia Lefebvre est dans son véhicule automobile avec son conjoint et ses enfants, elle aperçoit monsieur Vachon qui circule à vélo sur le trottoir dans le sens opposé de la circulation. Lorsqu’il reconnait madame Lefebvre et son conjoint, il dévisage ce dernier avec un regard haineux, il fait demi-tour et vient circuler sur le trottoir dans le même sens que le véhicule automobile, forçant la famille de la technicienne juridique de la Ville à changer de direction afin de l’éviter.

[31]           Le 11 janvier 2022, monsieur Vachon transmet un courriel à Me Linda Chau, greffière adjointe et conseillère juridique de la Ville, dans lequel il accuse Me Chau d’avoir soumis de faux documents au soutien d’avis public sans aucune preuve au soutien de ses prétentions et se moque des dénonciations faites aux policiers par Me Sophie Laflamme et Nancy Trottier à l’encontre de ses agissements[13].

[32]           Le 27 janvier 2022, monsieur Vachon circule à vélo et apercevant Nadia Lefebvre, alors arrêté à une station-service, la dévisage et l’observe avant de continuer son chemin.

[33]           Le 2 février 2022, alors qu’elle promène son chien dans le quartier où elle habite, Me Sophie Laflamme aperçoit monsieur Vachon sur son vélo se précipiter dans sa direction. Arrivée près d’elle, il lui assène un coup de poing. Les deux se retrouvent alors au sol.

[34]           Alors qu’elle tente de se relever, monsieur Vachon la projette au sol à deux reprises et il commence à crier en l’injuriant. Lorsqu’elle réussit à se relever, elle demande l’intervention de personnes qui se trouvaient tout près afin qu’ils téléphonent les policiers. La scène est filmée par une caméra de surveillance d’une maison à proximité[14].

[35]           Le 9 mars 2022, monsieur Vachon a été reconnu coupable par la Cour du Québec, chambre criminelle, de voies de fait à l’endroit de Me Sophie Laflamme et le 28 juin suivant, une ordonnance de probation était émise par laquelle monsieur Vachon devait respecter diverses conditions dont celles de s’abstenir de communiquer avec Me Laflamme et d’être en sa présence[15].

[36]           Le 17 août 2022, malgré l’interdiction imposée au défendeur de se présenter dans un édifice de la Ville au jugement Desfossés, monsieur Vachon se présente dans l’édifice de l’hôtel de Ville, plus précisément au comptoir de la Cour municipale, pour y déposer une Requête pour permission de présenter des preuves nouvelles indispensables. La scène est enregistrée par vidéo[16].

[37]           Le 5 octobre 2022, en se rendant à un commerce situé sur le territoire de la Ville, Jean-Claude Boyer, Nancy Trottier et deux autres fonctionnaires croisent monsieur Vachon qui circule à vélo. Lorsqu’il les aperçoit, il s’arrête immédiatement et tout en leur jetant un regard haineux, il sort un calepin de notes et commence à écrire tout en les dévisageant.  

[38]           Monsieur Vachon nie avoir une conduite harcelante ou menaçante envers les représentants de la Ville. Il prétend que ces derniers provoquent des évènements afin d’obtenir des ordonnances l’empêchant d’assister aux séances du conseil.

[39]           Il soutient que les procédures de la Ville n’ont pour seul but que de le bâillonner afin d’éviter de répondre à ses questions, puisque ses interventions dérangeraient la Ville. D’ailleurs, plaide-t-il, il n’y a jamais eu aucune altercation lors des séances du conseil.

[40]           Toutefois, l’exposé des faits présenté par monsieur Vachon tant dans sa déclaration sous serment qu’à l’audience, ne permet pas au Tribunal de remettre en question la véracité des déclarations des représentants de la Ville.

[41]           Par exemple, à titre d’explication pour avoir frappé et poussé Me Laflamme le 2 février 2022, il allègue que cette dernière l’aurait provoqué en s’immobilisant sur la voie publique et en l’épiant. À l’audience il ajoute ne pas l’avoir reconnu.

[42]           Il ne nie pas s’être présenté dans les locaux de la Ville malgré l’ordonnance le lui interdisant. Il explique avoir voulu éviter de payer des frais dhuissiers.

[43]           Il se justifie d’avoir traité de névrosés trois représentants de la Ville par la véracité de ses propos.

[44]           Or, malgré les injonctions rendues, les jugements le condamnant pour outrage au Tribunal et les condamnations criminelles, monsieur Vachon ne semble pas avoir l’intention de modifier son comportement.

[45]           Au contraire, la preuve prépondérante démontre l’escalade en intensité de comportements irrespectueux, harcelants et violents de la part du défendeur à l’endroit des représentants de la Ville.

[46]           Cette situation causée par le défendeur crée un stress important aux employés et élus de la Ville. Le maire Boyer allègue avoir été interpellé par des employés et par la directrice générale de la Ville concernant les problèmes d’anxiété et la détérioration du climat de travail lié au comportement de monsieur Vachon.

[47]           D’ailleurs, lorsque les représentants de la Ville ont appris le 29 septembre 2022 que l’interdiction visant à empêcher le défendeur d’être présent au conseil municipal était échue, Me Sophie Laflamme et Nancy Trottier, respectivement greffière et directrice générale de la Ville ont immédiatement avisé le maire Boyer de leur refus de se présenter à la consultation publique du 4 octobre et à la prochaine séance du conseil du 18 octobre 2022.

[48]           À titre d’employeur, la Ville a l’obligation légale de prendre les moyens nécessaires pour protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des personnes qui sont à son emploi[17].

[49]           Elle a également l’obligation d’offrir à ses employés un milieu de travail sain et exempt de harcèlement psychologique ainsi que de prendre les moyens raisonnables afin de prévenir ou de faire cesser le harcèlement, le cas échéant[18].

[50]           En ce qui concerne les élus, la situation n’est pas vraiment différente. Bien qu’ils ne puissent être assimilés à des employés, ils sont au service de la Ville et à ce titre, ils doivent être en mesure de s’acquitter de leur charge dans un milieu exempt de harcèlement[19].

[51]           Ainsi, en raison de l’attitude de monsieur Vachon et de son incapacité de reconnaître l’impact de ses gestes il devient extrêmement difficile pour la Ville voire impossible, de procurer à ses employés et aux élus un milieu de travail adéquat.

[52]           La Ville démontre donc qu’il existe une question sérieuse à juger, à savoir si l’accès aux séances du conseil, aux évènements et activités de la Ville et à ses édifices doit être empêché afin de protéger la santé et la sécurité des employés de la Ville et des élus municipaux.

[53]           La Ville a raison lorsqu’elle plaide qu’elle subira un préjudice sérieux si l’ordonnance qu’elle recherche n’est pas rendue. Non seulement la ville est incapable d’assurer un milieu de travail sécuritaire, mais également il devient difficile de tenir les séances du conseil lorsque le défendeur est présent.

[54]           Ainsi, si rien n’est fait, il est à craindre que le climat de travail à la Ville se détériore davantage, entraînant l’absence de certains employés pour cause de maladie ou encore leur démission. Les élus et les citoyens pourraient également déserter les séances du conseil municipal.

[55]           En effet, monsieur Vachon semble incapable d’adopter un comportement respectueux, non violent et adéquat envers les employés et élus de la Ville.

[56]           Sans l’émission de l’injonction interlocutoire, la Ville ne sera pas en mesure d’assurer un environnement de travail sécuritaire à ses employés, aux élus ainsi qu’aux citoyens désireux d’assister aux séances du conseil municipal.

[57]           Quant à la balance des inconvénients, elle favorise la Ville car si l’injonction interlocutoire n’est pas émise la Ville ne pourra offrir une vie démocratique et un milieu de travail sécuritaire avec un risque de paralyser son bon fonctionnement alors que si elle est émise, monsieur Vachon ne sera pas privé de ses droits de citoyens qu’il pourra exercer sans perturber les séances du conseil selon la méthode établie depuis l’ordonnance d’injonction permanente du 30 septembre 2021.

[58]           La Ville accepte en effet que soit reconduite l’ordonnance permettant au défendeur découter les séances du conseil qui seront enregistrées et de faire parvenir ses questions à l’avance.

[59]           Considérant ce qui précède, force est de conclure que les inconvénients que pourraient subir la Ville si l’ordonnance n’était pas rendue paraissent plus importants que ceux que subiraient monsieur Vachon si elle était rendue.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[60]           ACCUEILLE la demande de la demanderesse;

[61]           ÉMET la présente ordonnance d’injonction interlocutoire pour valoir jusqu’à ce que jugement soit rendu sur la demande d’injonction permanente;

[62]           ORDONNE au défendeur, Michel Vachon, de ne pas se présenter aux séances du conseil municipal, aux évènements et aux activités de la Ville de Saint-Constant, ni à l’un ou l’autre des édifices de la Ville de Saint-Constant à moins d’y avoir été spécifiquement autorisé par résolution du conseil municipal, suivant une demande formulée à l’adresse info@saint-constant.ca;

[63]           ORDONNE à la Ville de Saint-Constant de procéder à l’enregistrement sonore des réunions du conseil municipal et rendre ces enregistrements sonores disponibles aux citoyens, incluant le défendeur Michel Vachon, via le site web de la Ville de Saint-Constant dans un délai de 7 jours à la suite de chacune des réunions;

[64]           ORDONNE à la Ville de Saint-Constant de permettre au défendeur, Michel Vachon, de poser ses questions en vue des prochaines réunions du conseil par le biais de l’adresse info@saint-constant.ca;

[65]           ORDONNE à la Ville de Saint-Constant de répondre aux questions ainsi posées par le défendeur Michel Vachon, lors de l’enregistrement de la séance dans la mesure où les questions sont recevables et ont été soumises par ce dernier, avec la documentation pertinente, le cas échéant, au plus tard avant 17h00 le jour de la réunion prévue;

[66]           ORDONNE à la Ville de Saint-Constant de permettre à Michel Vachon d’exercer son droit de personne habile à voter, notamment pour signer les registres de la Ville lors d’un référendum, et ce, par courriel avec une preuve d’identité incluant son adresse;

[67]           LE TOUT avec frais de justice contre le défendeur.

 

 

__________________________________gUYLAINE DUPLESSIS, j.c.s.

 

 

Me Pier-Olivier Fradette

Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l.

Avocat de la demanderesse

 

 

Monsieur Michel Vachon

Défendeur

 

 

Date d’audience :

 20 janvier 2023

 

 

 


[1]  Dossier de la C.S.L. : 505-17-011545-193.

[2]  Pièce P-2 a).

[3]  Pièce P-2 b).

[4]  Pièce P-2 e).

[5]  Pièce P-5.

[6]  Pièce P-7.

[7]  Pièces P-5 et P-6.

[8]  Pièce P-12.

[9]  Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard, 2018 QCCA 1063.

[10]  HRM Projet Children inc. c. Devimco Immobilier inc., 2020 QCCA 1123.

[11]  FLS Transportation Services Limited c. Fuze Logistics Services inc., 2020 QCCA 1637.

[12]  Pièce P-8.

[13]  Pièce P-9.

[14]  Pièce P-10.

[15]  Pièce P-11.

[16]  Pièce P-13.

[17]  Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1, art 51; Code civil du Québec, art 2087;

[18]  Loi sur les normes du travail, RLRQ, chapitre N-1.1, art 81.19.

[19]  Municipalité du Lac-Beauport c. Puyau, 2019 QCCS 3302.

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