Lacroix c. Toyota Canada inc. | 2025 QCCS 2704 |
COUR SUPÉRIEURE (Chambre des actions collectives) |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | QUÉBEC |
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N° : | 200-06-000261-241 |
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DATE : | 30 juillet 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L’HONORABLE CLÉMENT SAMSON, j.c.s. |
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ANDRÉ LACROIX |
Demandeur |
c. |
TOYOTA CANADA INC. et HONDA CANADA INC. et HYUNDAI AUTO CANADA CORP. et NISSAN CANADA INC. et MAZDA CANADA INC. et COMPAGNIE GENERAL MOTORS DU CANADA et FCA CANADA INC. et FORD DU CANADA LIMITÉE et AUDI CANADA INC. et BMW CANADA INC. et JAGUAR LAND ROVER CANADA ULC et KIA CANADA INC. et MERCEDES-BENZ CANADA INC. et VENTES DE VEHICULES MITSUBISHI DU CANADA0 INC. et AUTOMOBILES PORSCHE CANADA LTÉE et SUBARU CANADA INC. et GROUPE VOLKSWAGEN CANADA INC. et AUTOMOBILE VOLVO CANADA LIMITÉE |
Défenderesses |
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JUGEMENT SUR UNE DEMANDE
D’AUTORISATION D’UNE ACTION COLLECTIVE |
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- Le demandeur désire être autorisé à intenter une action collective contre plusieurs fabricants d’automobiles au nom des consommateurs qui, comme lui, se sont fait voler leur véhicule.
- La cause présumée : les signaux des clés intelligentes trop faciles à intercepter, à copier et à utiliser par des voleurs pour déverrouiller les portières, démarrer et s’enfuir avec le véhicule. De plus, dans chaque véhicule, se trouve un port OBD[1] sur lequel les concessionnaires branchent habituellement un ordinateur pour en faire un examen diagnostique, mais aussi avec lequel les voleurs peuvent prendre le contrôle du véhicule sans qu’il soit nécessaire d’en avoir la clé. Ils peuvent ainsi reprogrammer des clés avec ce port. Bref, vu ces failles de sécurité qui entraîneraient des dommages causés par le vol, le demandeur demande d’être déclaré représentant du groupe contre une bonne partie de l’industrie automobile.
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accorde partiellement l’autorisation. L’action collective se définit ainsi :
Une action collective en dommages-intérêts et dommages-intérêts punitifs contre les défenderesses afin de sanctionner le fait que les clés électroniques des véhicules commercialisés depuis le 2 mai 2021 (exception faite de celles dotées de la technologie Ultra-Wide Band) ont fait ou pourraient faire l’objet d’attaques-relais et que, à la suite de l’introduction d’un voleur, leur port OBD pourrait faciliter le démarrage du véhicule et la programmation de nouvelles clés;
- Le demandeur est autorisé à représenter le groupe suivant :
Toute personne physique, consommatrice au sens de la Loi sur la protection du consommateur, domiciliée ou résidant au Québec, victime du vol, d’un ou de plusieurs véhicules à compter du 2 mai 2021 équipés d’un système d’accès et de démarrage avec une clé électronique personnelle « key fob » (exception faite de celle dotée de la technologie Ultra-Wide Band), et fabriqués ou importés et commercialisés au Québec par l’une des défenderesses. »
- Les défenderesses Automobiles Porsche Canada Ltée, Jaguar Land Rover Canada ULC, Mercedes-Benz Canada Inc., BMW Canada Inc. et Compagnie General Motors du Canada sont exclues de l’action collective.
- La table des matières suivante peut faciliter la lecture de ce jugement.
1. Le contexte...............................................................5
A. Les reproches du demandeur................................................6
B. Le dédommagement recherché...............................................7
2. Analyse..................................................................7
A. Une objection à la preuve...................................................9
B. 2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées...................13
1) Les assises législatives et jurisprudentielles du recours du demandeur.....................15
2) Toyota n’est pas un fabricant................................................20
3) La preuve appropriée de Toyota..............................................21
I. Les ports OBD doivent être installés sur tous les véhicules vendus au Canada..............21
II. Les normes techniques relatives au vol d’automobiles et la prévention des mouvements non intentionnels 22
4) Le vol par relais dont prétend avoir été victime le demandeur est-il réel ?..................23
I. Un élément de démonstration ou une preuve formelle.............................24
II. La preuve par présomption...............................................25
III. Un nombre de vols à la hausse.............................................27
IV. Le rapport déposé à la Chambre des communes identifie des risques de sécurité des véhicules vendus au Canada 27
V. Le contexte général, exception faite du rapport déposé à la Chambre des communes.........32
VI. Les éléments immédiats du vol.............................................37
VII. Conclusion quant à la présomption de fait en regard de la défenderesse Toyota..........38
5) Le vol avec effraction et usage du port OBD......................................39
6) Le manquement à l’obligation d’information......................................40
7) Y a-t-il un lien de causalité entre le vol du véhicule du demandeur et les dommages réclamés ?....41
I. Les groupes criminels...................................................41
II. La faute contributoire ou la perte de chance....................................42
8) … les conclusions recherchées...............................................45
I. Les dommages généraux subis par les membres.................................45
II. Les dommages-intérêts punitifs............................................47
(a) En vertu de la Loi sur la protection du consommateur............................47
(b) En vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.........................48
(c) Des dommages-intérêts punitifs à être versés à un organisme......................49
III. Ordonner aux défenderesses d’effectuer un rappel des véhicules qu’elles ont mis en marché...50
9) L’action collective dirigée contre les autres défenderesses.............................50
I. L’étude de l’Allgemeiner Deutscher Automobil-Club (ADAC)..........................52
II. Le palmarès des véhicules volés............................................54
III. Les manuels du propriétaire...............................................54
(a) Hyundai Auto Canada corp. (Hyundai)......................................54
(b) Honda Canada inc. (Honda).............................................55
(c) FCA Canada inc. (FCA).................................................56
(d) Mercedes-Benz Canada inc. (Mercedes).....................................56
IV. Analyse de la preuve appropriée de certaines défenderesses autres que Toyota............57
(a) Subaru Canada inc. (Subaru)............................................57
(b) Mercedes.........................................................58
(c) BMW Canada inc. (BMW)..............................................59
(d) Jaguar Land Rover Canada ULC...........................................61
10) Conclusion générale du critère relatif aux faits allégués.............................61
C. 1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes 62
D. 3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance 69
E. 4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres 69
F. Une dernière conclusion recherchée..........................................70
- Le 26 juin 2018, le demandeur achète un véhicule Toyota Highlander 2018 chez un concessionnaire de Québec. Le manuel du propriétaire ne le met nullement en garde en ce qui concerne la sécurité reliée aux clés intelligentes associées à ce véhicule.
- Le 16 avril 2022, le demandeur stationne son véhicule dans la cour avant de la résidence de sa fille située à Boucherville et le verrouille.
- Le lendemain matin, le demandeur réalise qu’il s’est fait voler son véhicule. Il ne la retrouvera pas.
- Le véhicule était muni d’un système de verrouillage actionné par une clé intelligente appelée « key fob ». Pour y pénétrer et faire démarrer le véhicule, il n’est pas nécessaire de sortir la clé de sa poche ou de son sac à main.
- De plus, dans le véhicule, se trouve une prise de connexion électronique (port OBD), bien connue par les voleurs qui, grâce à des outils technologiques appropriés, pourraient notamment faire démarrer le véhicule, le conduire et ensuite programmer une nouvelle clé électronique.
- D’après le demandeur, deux manières de voler un véhicule seraient possibles :
- Un voleur n’aurait qu’à capter le signal de la clé intelligente pour le copier et s’introduire dans le véhicule, démarrer le moteur et s’enfuir. Une fois introduit dans le véhicule, le voleur pourrait également brancher un équipement sur le port OBD pour faire démarrer le moteur et s’enfuir ;
- Une autre variante d’un vol consisterait à forcer une portière du véhicule, en cassant une vitre par exemple, s’y introduire pour y brancher un équipement sur le port OBD pour faire démarrer le moteur et s’enfuir.
- Peu importe lequel de ces deux types de vols a eu lieu, lors d’une ultime étape, le port OBD peut servir à programmer de nouvelles clés.
- Au domicile de la fille du demandeur, il n’y avait pas de caméra de surveillance. Celui-ci prétend, vu les circonstances, avoir été victime du premier type de vol. Les conclusions de la demande d’autorisation visent tout de même ces deux scénarios qui finissent tous deux par l’usage irrégulier du port OBD, facile d’accès.
- Puisqu’il serait possible de se procurer sur Internet les équipements pour capter le signal ou se brancher sur le port OBD, le demandeur allègue que la défenderesse Toyota Canada inc. (« Toyota ») n’aurait pas pris les mesures pour rendre les clés intelligentes sécuritaires à l’abri des vols, ou du moins ne l’en aurait pas informé, ou bien la défenderesse Toyota n’aurait pas pris les moyens pour éviter un branchement trop facile au port OBD. Ces failles de sécurité seraient connues des fabricants — dont la défenderesse Toyota — depuis plusieurs années et ceux-ci n’auraient pas, malgré les risques associés pour les consommateurs, modifié les mesures de sécurité de leurs véhicules.
- Ce vol survient à une époque où l’on constate au Canada et au Québec une augmentation des vols de véhicules qui alimenteraient un trafic international.
- Au Canada, cette augmentation de vols de véhicules entraînerait des hausses de primes d’assurance contre le vol.
- En 2024, le gouvernement du Canada tient un sommet national sur la question dont le rapport est déposé au dossier de la Cour.
- Le demandeur désire représenter plus de 10 000 consommateurs québécois, victimes des vols de véhicules équipés de clés intelligentes qui auraient eu lieu au Québec au cours de chacune des trois années qui ont précédé le dépôt de la demande d’autorisation du 2 mai 2024. C’est pourquoi un grand nombre de fabricants automobiles sont désignés à titre de parties défenderesses.
- Le demandeur reproche aux défenderesses d’avoir, depuis des années, « commercialisé une technologie sans se soucier du niveau de sécurité approprié contre le vol ». Pour justifier son recours, le demandeur prend appui sur des études, des rapports, des reportages réalisés par des journalistes et des statistiques. Il invoque la responsabilité des fabricants qui connaissaient ce vice de sécurité et qui l’auraient passé sous silence.
- Le demandeur, en regard de la défenderesse Toyota, précise que le manuel d’instruction ne mentionne pas que le signal de la clé intelligente du véhicule peut être capté et copié. Le manuel ne met pas davantage en garde l’acheteur que quelqu’un puisse reprogrammer une clé en ayant accès au port OBD.
- Or, pour démontrer que la technologie de la clé intelligente pourrait être plus sécuritaire, le demandeur allègue que, par exemple, les constructeurs BMW et Tesla auraient mis au point une nouvelle clé sécuritaire ou auraient pris d’autres moyens, limitant les vols.
- Les défenderesses invoquent divers arguments pour éviter l’autorisation de l’action collective. Il en sera ultérieurement discuté.
- Le demandeur demande premièrement une déclaration de responsabilité des fabricants automobiles pour avoir commis une faute contributive de conception, permettant le vol des véhicules des membres du groupe et pour ne pas avoir au moins prévenu les consommateurs d’un défaut de sécurité de leurs clés.
- À titre de dédommagement, le demandeur désire que le Tribunal condamne les défenderesses à verser 1 500 $ en dommages compensatoires, payables aux victimes de vols de véhicules.
- De plus, le demandeur recherche des dommages punitifs de 1 500 $ pour chaque véhicule commercialisé au cours des trois années précédant le dépôt de la demande d’autorisation, payables à un organisme à but non lucratif de protection des droits des consommateurs dans le monde automobile.
- Finalement, il demande qu’il soit ordonné aux défenderesses de faire des rappels de leurs véhicules afin d’y apporter des corrections en vue de les rendre plus sécuritaires.
- Une action collective débute par une demande d’autorisation de la personne qui veut devenir le représentant d’un groupe partageant essentiellement la même situation. Pour le Tribunal, à ce stade, il s’agit d’une opération de filtrage[2].
- L’article 575 du Code de procédure civile définit les 4 critères à rencontrer :
575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que :
1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ;
2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ;
3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance ;
4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.
- La jurisprudence est venue définir la philosophie de cette procédure qui défie la règle que personne ne peut plaider au nom d’autrui. Cette procédure en est une d’accès à la justice[3]. C’est pourquoi le législateur a voulu faciliter l’exercice des actions collectives[4]. Qui, individuellement, comme dans la présente affaire, connaissant les moyens financiers des défenderesses pour assumer leur défense, poursuivrait son fabricant automobile alors, qu’après de sérieux ennuis et inconvénients découlant d’un vol, il s’en procure un autre à la suite du paiement d’une indemnité d’assurance ?
- Le juge saisi de la demande d’autorisation tranche donc une question purement procédurale. Il ne doit pas statuer sur le fond du litige. Cette étape sera subséquente à celle de l’octroi de la demande d’autorisation[5].
- La Cour suprême réitère dans Oratoire[6] qu’il faut privilégier l’interprétation et l’application large des conditions de l’art. 575 C.p.c. En cas de doute sur le bien-fondé de la demande d’autorisation, celui-ci doit bénéficier au demandeur[7].
- À l’étape de l’autorisation, le fardeau en est un de démonstration et non de preuve. La norme est moins exigeante que la prépondérance des probabilités. Il s’agit seulement pour le requérant de présenter une cause soutenable, plaidable, c’est-à-dire ayant une chance de réussite, sans qu’il doive établir une possibilité raisonnable ou réaliste de succès[8]. La vérification des critères de l’art. 575 C.p.c. est donc souple et peu exigeante.
- Les faits allégués à la demande, les pièces à son soutien et les interrogatoires sont tenus pour avérés, à moins qu’ils soient clairement contredits par une preuve au dossier[9] ou manifestement faux ou invraisemblables[10].
- Les allégations ne peuvent toutefois se limiter à des affirmations vagues, générales ou hypothétiques. Elles doivent être suffisamment précises[11]. Le Tribunal doit donc filtrer les demandes afin d’écarter la demande frivole ou manifestement mal fondée.
- De plus, si des questions de droit se soulèvent, le juge autorisateur doit y répondre, car il n’est pas utile de laisser au juge du mérite de trancher des questions qui auraient pu l’être dès le départ. Il faut éviter l’investissement d’importantes ressources judiciaires[12], que ces questions soient simples ou complexes[13].
- Bref, le seuil d’autorisation est peu élevé, mais la demande doit être analysée rigoureusement.
- Quant aux règles de preuve, le juge peut considérer utile et pertinente une preuve autrement inadmissible au procès pour apprécier les critères d’autorisation. L’application stricte des règles relatives au ouï-dire et à la production d’une expertise n’est pas de mise lors de l’examen de la demande d’autorisation[14].
- Une objection à la preuve doit être tranchée avant de discuter plus en détails de ce dossier.
- Le document P-9 est écrit en allemand. Il s’agit d’une étude de tests de sécurité du système d’accès et de démarrage des véhicules réalisée par l’association allemande ADAC. Ce document est accompagné d’une version traduite en français par un moteur d’intelligence artificielle. Est-il admissible en preuve ? Les défenderesses prétendent que, puisqu’il n’a pas été traduit par un traducteur certifié, il ne devrait pas être admis en preuve.
- Voyons les règles en cette matière.
- L’analyse de l’usage exclusif du français ou de l’anglais remonte aussi loin que l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867. Il n’y est pas question de pièces :
133 Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif ; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire ; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.
(notre soulignement)
- Même la Charte de la langue française[15] prescrit une règle quant à la langue devant les tribunaux et de nouveau, il n’y est pas davantage question de preuve :
7. Le français est la langue de la législation et de la justice au Québec sous réserve de ce qui suit :
[…]
4° toute personne peut employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Québec et dans tous les actes de procédure qui en découlent.
(notre soulignement)
- Contrairement à une certaine jurisprudence[16], dit avec respect, il existe des obligations spécifiques de traduction de documents produits à la Cour et on ne peut généraliser la règle. Par exemple, dans le Code de procédure civile, il est précisé l’obligation d’une traduction certifiée d’un acte de procédure d’un état étranger[17], d’une décision étrangère[18] ou d’une sentence arbitrale rendue dans une langue autre que le français ou l’anglais[19]. C’est aussi le cas, dans le Code civil du Québec, pour des actes de l’état civil faits hors Québec, pour les certificats d’adoption coutumière autochtone[20], un consentement donné par une mère porteuse[21], ou pour une inscription au registre foncier[22]. Bref, quand le législateur désire qu’une pièce ou un document qui n’est pas en langue française (ou, parfois, en langue anglaise) soit traduit officiellement, il l’indique spécifiquement. À défaut de ne pas être admissible au sens d’une disposition spécifique de la loi, le Tribunal est par conséquent saisi d’une question de valeur probante d’un document (une traduction non officielle) et non d’admissibilité de la preuve.
- Dans l’affaire Hafida c. Serhani[23], monsieur le juge Alexander Pless résume ainsi la règle :
[16] Bien que plusieurs formes d’écrits soient soumises à une obligation de traduction officielle en vertu de différentes sources législatives, il n’existe pas d’obligation générale de fournir une traduction des pièces en langue étrangère. Cependant, un juge ne peut prendre connaissance judiciaire d’une langue autre que l’anglais ou le français. En conséquence, à moins que la partie adverse admette le contenu d’un écrit ou d’un enregistrement sonore dans une langue autre que l’anglais ou le français, la partie qui l’invoque doit prouver son contenu par prépondérance de preuve.
[17] Les pièces en question sont des captures d’écran et des transcriptions de vidéos « FacebookLive ». Ces pièces sont des écrits rapportant des faits et peuvent donc être qualifiées de simples écrits au sens de l’article 2832 C.c.Q. Contrairement aux jugements étrangers, aux actes d’état civil et aux actes juridiques en langue étrangère par exemple, où il est spécifiquement requis de fournir une traduction, aucune disposition ne prévoit la même exigence en ce qui concerne les simples écrits.
[18] Les parties défenderesses ne déposent aucune autorité à l’appui de leur demande. Le Tribunal n’a pas trouvé de doctrine ou jurisprudence sur le sujet — lesquelles semblent complètement muettes au sujet de la traduction de ce type d’écrit lorsque la langue n’est ni le français ni l’anglais. Cependant, il est évident que si le Tribunal n’est pas en mesure de comprendre le contenu d’une pièce, sa force probante sera nulle. En conséquence, en pratique, la traduction d’une pièce en langue étrangère est nécessaire pour que la pièce puisse être considérée par le Tribunal afin de lui accorder la valeur probante appropriée. C’est en ce sens qu’on peut affirmer qu’il est nécessaire de fournir une traduction.
[19] Toutefois, le Tribunal ne peut conclure qu’il est nécessaire que la traduction doive être certifiée — c’est-à-dire produite par un traducteur agréé. Considérant que le législateur le prévoit explicitement lorsque c’est requis, le Tribunal conclut, à contrario, que ce n’est pas requis autrement.
[20] Une partie qui souhaite contester la fidélité d’une traduction doit le faire en contre-interrogeant le traducteur ou par une contre-preuve — une autre traduction certifiée, par exemple. Le Tribunal souligne que bien que les parties défenderesses plaident que la traduction est inadéquate, elles n’en donnent cependant pas un seul exemple.
(notre soulignement, références omises)
- Dans la présente affaire, le rapport a été traduit grâce à un moteur d’intelligence artificielle. Un des avocats en demande a révisé la traduction et a ajusté la traduction étant donné qu’il s’agit principalement d’un tableau actualisé en février 2024 dans lequel l’ADAC fait état de ses résultats d’étude quant à la possibilité de déverrouiller les portes et celle de faire démarrer le moteur de 648 types de véhicules différents. Outre ce tableau, le texte à proprement parler ne fait que 4 courts paragraphes[24].
- L’usage de l’intelligence artificielle n’est pas interdit devant les tribunaux. Pour preuve, le 24 octobre 2023, la Cour supérieure émet un Avis à la communauté juridique et au public[25] portant sur son utilisation. On y appelle à la prudence, mais pas à l’interdiction, car, qu’on le veuille ou non, l’usage de l’IA est un outil appelé à croître :
Intervention humaine : Afin de respecter les normes les plus strictes en matière d’exactitude et d’authenticité, les observations générées par l’IA doivent faire l’objet d’un contrôle humain rigoureux. Cette vérification peut se faire au moyen de recoupements avec des bases de données juridiques fiables pour confirmer que les références et leur contenu résistent à un examen minutieux. Une telle démarche est conforme aux pratiques de longue date des professionnels du droit.
La Cour supérieure du Québec reconnaît que les nouvelles technologies présentent à la fois des opportunités et des défis. La communauté juridique doit s’adapter en conséquence. Ainsi, nous encourageons les discussions et souhaitons une collaboration constante afin d’aborder ces enjeux de manière efficace.
- Dans le présent dossier, un des avocats du demandeur indique, en toute transparence, avoir utilisé un moteur de traduction et y avoir « apporté des adaptations linguistiques pour faciliter l’intelligibilité ». C’est ce qu’exige précisément l’avis transmis par les trois juges en chef de la Cour supérieure. Que demander de plus ?
- Une contestation du rapport a été introduite par preuve appropriée de la part de Mercedes-Benz Canada inc. Le témoin Thomas Baier déclare avoir reçu une traduction « anglaise »[26] de l’étude de l’ADAC. Il conteste les conclusions, car l’ADAC aurait oublié de considérer que leurs clés intelligentes se désactivent après 2 minutes d’inactivité, et non 5 minutes. En contestant ainsi un détail du contenu du rapport, cette défenderesse laisse à penser que la traduction déposée au dossier de la Cour pourrait être valable.
- À défaut par les défenderesses de démontrer que la traduction réalisée par l’intelligence artificielle n’est pas valable, le Tribunal accorde à ce texte une valeur probante. L’objection est rejetée.
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- Dans l’ordre, prenons un à un les 4 critères de l’art. 575 C.p.c., recadrons-les avec l’aide de la jurisprudence et analysons la preuve pertinente avant de conclure pour chacun.
- Sans minimiser l’importance des autres critères, celui-ci constitue dans le présent dossier le cœur de l’activité de filtrage que doit exercer le Tribunal.
- Dans la présente affaire, il convient d’abord de discuter des faits en lien avec le vol subi par Monsieur Lacroix par rapport à la défenderesse Toyota.[27]
- Il est établi qu’au stade de l’autorisation, le rôle du juge consiste à écarter seulement les demandes « frivoles », « manifestement mal fondées » ou « insoutenables »[28]. Les modifications apportées au fil des ans à la législation afin d’abaisser le seuil d’autorisation avaient pour objectif d’éviter que le juge saisi de la demande d’autorisation rende des décisions anticipées sur le fond.
- Monsieur le juge Brown de la Cour suprême du Canada, dans Oratoire, décrit par la négative ce que ce critère ne représente pas :
Premièrement, le demandeur n’est pas tenu d’établir l’existence d’une cause défendable selon la norme de preuve applicable en droit civil, soit celle de la prépondérance des probabilités ; en fait, le seuil de preuve requis pour établir l’existence d’une cause défendable est « beaucoup moins exigeant » : Infineon, par. 127 ; voir aussi par. 65, 89 et 94. Deuxièmement, il n’est pas nécessaire, contrairement à ce qui est exigé ailleurs au Canada, que le demandeur démontre que sa demande repose sur un « fondement factuel suffisant » : Infineon, par. 128. [29]
- Qu’arrive-t-il si des faits allégués ressemblent davantage à une opinion comme c’est le cas pour le demandeur qui prétend que le vol a eu lieu par un vol-relais rendu possible grâce à la faiblesse des moyens de sécurité des automobiles construites par les défenderesses… alors qu’il dormait ?
- Dans l’arrêt Oratoire, la Cour suprême fournit la réponse suivante :
… [les allégations] doivent alors absolument « être accompagnées d’une certaine preuve afin d’établir une cause défendable » : Infineon, par. 134. De fait, l’arrêt Infineon suggère fortement au par. 134 (sinon explicitement, du moins implicitement) que de « simples allégations » — bien qu’« insuffisantes pour satisfaire à la condition préliminaire d’établir une cause défendable » (je souligne) — peuvent être complétées par une « certaine preuve » qui — « aussi limitée qu’elle puisse être » — doit accompagner la demande « afin d’établir une cause défendable ».
(notre soulignement)
- Comme pour les victimes d’abus comme c’est le cas dans l’affaire Oratoire, le contexte doit être tenu compte.
- Voici comment l’analyse de ce critère sera faite :
- Les assises législatives et jurisprudentielles du recours du demandeur
- Un argument introductif plaidé par Toyota : elle n’est pas un fabricant
- La preuve appropriée de Toyota demande d’être analysée en regard des faits allégués par le demandeur
- Le vol par relais que prétend avoir subi le demandeur est-il réel ?
- Le vol avec effraction et l’usage du port OBD
- Le manquement à l’obligation d’information par Toyota
- Y a-t-il un lien de causalité entre le vol du véhicule du demandeur et les dommages réclamés ?
- Quels types de dommages peuvent être réclamés ?
- La preuve face aux défenderesses autres que Toyota et la preuve appropriée de ces défenderesses
- Le Code civil du Québec donne une première assise au recours du demandeur qui invoque une faute en matière de sécurité [30]:
1473. Le fabricant, distributeur ou fournisseur d’un bien meuble n’est pas tenu de réparer le préjudice causé par le défaut de sécurité de ce bien s’il prouve que la victime connaissait ou était en mesure de connaître le défaut du bien, ou qu’elle pouvait prévoir le préjudice.
Il n’est pas tenu, non plus, de réparer le préjudice s’il prouve que le défaut ne pouvait être connu, compte tenu de l’état des connaissances, au moment où il a fabriqué, distribué ou fourni le bien et qu’il n’a pas été négligent dans son devoir d’information lorsqu’il a eu connaissance de l’existence de ce défaut.
- De fait, cet article impose un fardeau aux fabricants de démontrer que le consommateur connaissait le vice. Il reprend essentiellement les termes de l’article 53 de la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.) qui n’est que plus précis.
- Le demandeur invoque également des dispositions de la L.p.c., tant en ce qui regarde les défauts de sécurité que les défauts d’information liés à la faille de sécurité possible :
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
228. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.
- Débutons par l’article 37 L.p.c. [31]. La jurisprudence l’a associé au fait que le bien doit répondre aux attentes légitimes du consommateur. Dans l’arrêt Fortin c. Mazda Canada inc.[32], la Cour d’appel rappelle que le consommateur jouit d’une forme de présomption en cas de défaut :
[62] L’article 37 L.p.c. confère au consommateur la garantie d’usage, c’est-à-dire que l’usage du bien doit répondre à ses attentes légitimes. Ainsi, dès que le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente, ce qui laisse également présumer, en application du troisième alinéa de l’article 53 L.p.c., de la connaissance par le vendeur de son existence.
[63] À mon avis, le consommateur bénéficie aussi de cette autre présomption, découlant de la lecture de l’article 37 L.p.c., relative à l’existence d’une cause occulte. En raison du résultat précis imposé au commerçant par cette disposition, la preuve du consommateur doit pour l’essentiel se concentrer sur ce résultat insuffisant ou absent, selon le cas, si, bien entendu, il s’est livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat. Ces preuves le dispensent de démontrer la cause à l’origine du déficit d’usage.
(notre soulignement)
- Quelle est donc alors la norme en vertu de l’article 37 L.p.c. ? La Cour d’appel répond ainsi :
[72] Il n’est cependant pas nécessaire que le déficit enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible. Seule la preuve d’une gravité suffisante au point de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur s’avère nécessaire. Bref, le fabricant doit concevoir le bien en conservant à l’esprit les besoins et les objectifs de sa clientèle. Telle est la norme.
(référence omise)
- Quant au système défectueux de verrouillage d’un véhicule — dans un cas qui peut présenter plusieurs similitudes avec la présente affaire —, la Cour d’appel ajoute ceci :
[105] Je réitère que le consommateur moyen est en droit de s’attendre à ce que son véhicule soit équipé d’un système de verrouillage raisonnablement efficace. En bas de ce seuil, il s’agit d’un défaut. Le fait de contourner le système de verrouillage à l’aide d’un simple coup de poing porté sur la portière par un malfaiteur dépourvu de toute sophistication appuie l’idée que le produit n’est pas à la hauteur des attentes légitimes du consommateur.
[106] En l’espèce, la nature du produit, sa destination, les attentes minimales en matière de protection élémentaire contre les intrusions malveillantes et l’état de la technique en ce domaine autorisaient le consommateur à exiger davantage.
(notre soulignement)
- Dans cet arrêt, la Cour d’appel reconnaît que le défaut peut provenir d’une cause plus large que le seul fonctionnement traditionnellement défectueux du bien[33]. Les défenderesses ont plaidé que cet arrêt ne peut fonder le recours du demandeur, car les méthodes nécessaires pour procéder aux vols par attaques-relais nécessitent des méthodes plus sophistiquées.
- Au stade de l’autorisation, il ne revient pas au juge de décider à l’avance si les systèmes technologiques plus sophistiqués utilisés par des voleurs et disponibles sur Internet annihilent la garantie d’absence de défaut de fabrication ou conception d’une composante des véhicules. Il est trop tôt pour décider si les clés intelligentes répondent ou non aux attentes légitimes des consommateurs.
- En ce qui concerne les attentes raisonnables du consommateur moyen, Toyota a raison d’affirmer que ses véhicules n’ont pas à être conçus pour « être complètement à l’épreuve du vol ». D’après Toyota, le consommateur doit s’attendre à la présence d’un « obstacle élémentaire contre les intrusions malveillantes ». Toyota a seulement en partie raison. La preuve faite par des enregistrements de caméras de surveillance[34] présente des vols au cours desquels les obstacles élémentaires ne semblent pas élevés, car les voleurs, avec des équipements technologiques pour copier les signaux, semblent procéder avec une facilité désarmante.
- D’ailleurs, le Tribunal peut concevoir que les véhicules produits par les défenderesses ne peuvent être complètement à l’épreuve des vols, notamment lorsque les voleurs forcent la portière avec de solides outils ou simplement cassent les vitres des véhicules pour s’y introduire. Nous y reviendrons à la rubrique « Le vol avec effraction et l’usage du port OBD »[35].
- Non seulement le système de sécurité des véhicules volés semble contournable, mais une autre notion doit être tenue en compte : le temps. Quand cette faille de sécurité a-t-elle été découverte ? Dès 2010, des chercheurs de Zurich[36] identifient les failles de sécurité reliées aux clés intelligentes. Or, le vol de la voiture du demandeur, qui est un modèle 2018, a lieu 12 ans plus tard, au moment où plusieurs autres véhicules sont volés par des attaques-relais. Au stade de l’autorisation, le demandeur franchit le seuil en regard de la notion d’attentes légitimes.
- Le demandeur allègue également que Toyota ne l’a même pas mis en garde de cette faille de sécurité. Dans le manuel du propriétaire, aucune mention n’est faite que le signal de la clé électronique du véhicule puisse être capté pour être relayé en vue du vol possible du véhicule[37].
- Le demandeur invoque l’article 228 L.p.c. et Toyota est d’avis que la notion de « fait important » qu’on y retrouve est uniquement associée à des éléments importants tels le prix, la garantie ou la qualité du bien. À cet égard, la Cour d’appel, dans le second arrêt Fortin33[38], portant cette fois sur l’appel du jugement qui a rejeté au mérite l’action collective, reconnaîtra de nouveau que la faiblesse du système de verrouillage peut être un fait important au sens de l’article 228 L.p.c.
- Comme le rappelle monsieur le juge Gagnon de la Cour d’appel dans Fortin, l’obligation de divulguer une information importante et celle de fournir un produit exempt de vice ont des fins distinctes, bien que la première soit en quelque sorte intégrée à la seconde, car, pour qu’il y ait obligation de divulgation d’un fait important, il faut qu’il y ait une forme de vice caché :
[129] La diminution du prix de vente, en raison de la faute de Mazda d’avoir passé sous silence une information importante (art. 228 et 272 L.p.c.), répond à des considérations distinctes de celles applicables à la garantie de qualité (art. 37 et 272 L.p.c.).
[130] Les réflexions suivantes de la Cour suprême dans l’arrêt Domtar jettent un éclairage intéressant sur la question :
Par ailleurs, dans la mesure où le vendeur manque à son obligation de dénoncer un vice, l’on peut probablement affirmer du même coup qu’il aura aussi violé son obligation générale de renseigner l’acheteur sur un élément déterminant en rapport avec le bien vendu, c’est-à-dire l’existence d’un vice caché. Le présent litige se trouve dans cette dernière situation. Dans la mesure où une partie invoque la garantie du vendeur contre les vices cachés, l’obligation de renseignement se trouve en quelque sorte subsumée dans la grille d’analyse de la responsabilité du vendeur pour vices cachés et le tribunal n’a pas à procéder à une analyse distincte de l’obligation de renseignement du vendeur. C’est pourquoi notre analyse et notre conclusion quant à la responsabilité de C.E. fondée sur la garantie contre les vices cachés suffisent pour statuer sur le présent dossier.
[Je souligne.]
[131] Selon ce qui précède, on remarque que la cause d’action liée à l’omission de divulguer un fait important ne s’estompe pas du simple fait qu’elle est accompagnée d’un recours pour défaut caché. À l’évidence, les deux causes d’action continuent à coexister, même si, dans certaines situations, elles peuvent être « subsumée[s] dans la grille d’analyse de la responsabilité du vendeur pour vices cachés ».
- Au stade de l’autorisation, il n’appartient pas de remettre en cause l’absence de divulgation d’une information importante, sans qu’aucune preuve ne soit faite. Avec à-propos, un des avocats du demandeur a tenu à remarquer que les représentations faites par les conseillers en vente des concessionnaires ne sont pas mises en cause puisqu’ils ne peuvent raisonnablement pas formuler de mises en garde à leurs clients quant à une faille de sécurité lorsque le fabricant ne le précise pas lui-même à travers les centaines de pages du manuel du propriétaire qu’il donne à ses clients.
- Juridiquement, le Tribunal se déclare satisfait des questions que génèrent les failles de sécurité alléguées en regard des articles de lois plus haut énumérés. Mais l’analyse ne fait que commencer.
- En prenant appui sur la déclaration sous serment de Monsieur Danny Ng, directeur national de Toyota, cette dernière soulève une question de lien de droit. Il déclare essentiellement que Toyota n’a ni conçu ni fabriqué les clés électroniques en cause dans la demande. En fait, Toyota Canada inc. ne fabrique aucun véhicule ; elle achète uniquement des véhicules de marque Toyota et Lexus, qu’elle distribue aux concessionnaires autorisés au Canada.
- La réponse à cet argument se trouve dans la loi. En vertu de l’article 1 de la L.p.c., un fabricant est ainsi défini :
g) « fabricant » : une personne qui fait le commerce d’assembler, de produire ou de transformer des biens, notamment :
i. une personne qui se présente au public comme le fabricant d’un bien ;
ii. lorsque le fabricant n’a pas d’établissement au Canada, une personne qui importe ou distribue des biens fabriqués à l’extérieur du Canada ou une personne qui permet l’emploi de sa marque de commerce sur un bien ;
- Les mots utilisés par Monsieur Ng démontrent que Toyota est donc un fabricant au sens de la loi.
- Par le truchement de l’article 53 de la L.p.c.[39], un consommateur peut exercer son recours contre le fabricant Toyota.
- Avant d’examiner les éléments de démonstration déposés par le demandeur, il y a lieu de disposer des arguments de Toyota en lien avec la preuve autorisée par le Tribunal le 11 mars 2025[40].
- Le Règlement sur les émissions des véhicules routiers et de leurs moteurs[41], adopté en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)[42], comporte plusieurs dispositions qui concernent explicitement les ports OBD. Pour les modèles produits à compter de 2017, les véhicules « doivent être munis d’un système de diagnostic intégré conforme aux normes applicables aux véhicules de cette année de modèle qui sont prévues à l’article 1806 de la sous-partie S, partie 86, section de chapitre C, chapitre I, titre 40 du CFR »[43].
- Toyota argumente que tous les véhicules vendus au Canada doivent posséder un port OBD et qu’un vol exécuté en utilisant ce port nécessite d’abord une infraction (forcer la portière ou casser une vitre) et que, conséquemment, ce type de vol ne devrait pas devenir le fondement d’une action collective; on s’éloignerait alors des normes de sécurité raisonnables qu’un fabricant doit mettre en place sur les véhicules qu’il vend.
- Il est vrai que les ports OBD doivent être installés sur tous les véhicules, mais cela ne veut pas dire, d’une part, qu’ils doivent être faciles d’accès à quiconque et que, d’autre part, ils puissent être utilisés pour démarrer un véhicule dont la portière aurait été ouverte par attaque-relais. L’accessibilité au port OBD est du moins une question que le juge du mérite aura à trancher.
- Rappelons de plus que, même si les défenderesses justifiaient la présence du port OBD par des normes, comme l’a rappelé la Cour d’appel dans Fortin[44], se fondant sur l’arrêt Banque de Nouvelle-Écosse c. Raymond[45], le respect de celles-ci ne signifie pas que le bien est pour autant adapté à l’usage auquel il est destiné :
Cet énoncé comporte un sophisme de droit. Ce n’est pas parce qu’un objet a été fabriqué suivant les normes de construction que l’acheteur ne pourra demander l’annulation de la vente, s’il s’avère qu’il est impropre à l’usage auquel il est destiné et pour lequel il a été acheté et vendu. Ce que les intimés ont acheté, ce n’étaient pas des objets fabriqués conformément à certaines normes, mais ce qu’on leur a représenté comme étant des maisons mobiles et partant, des bâtiments destinés à l’habitation. À savoir si en l’espèce ce fut le cas, était essentiellement une question de fait.
- Au stade de l’autorisation, il est trop tôt pour discuter de sous-questions en matière de responsabilité quant à l’accessibilité au port OBD des véhicules.
- Toyota allègue qu’au Canada, les normes relatives à la protection contre le vol et à la prévention des mouvements non intentionnels des véhicules sont principalement régies par l’article 114 du Règlement sur la sécurité des véhicules automobiles[46] (« CMVSS 114 »), lequel renvoie au Document de normes techniques n° 114 sur la protection contre le vol et la prévention des mouvements non intentionnels.
- Après examen, il appert que ce Règlement renvoie lui-même à d’autres normes, dont une publiée par les Laboratoires des assureurs du Canada et une autre publiée par les Nations unies.
- Avec respect, bien que cette réglementation soit intéressante, au stade de l’autorisation, il est trop tôt pour faire le débat si les clés intelligentes sont ou non soumises à ces normes et, si oui, si elles peuvent ou non dépasser ce plancher de normes.
- Comme on le verra, malgré ces normes réglementaires, le Rapport déposé à la Chambre des communes[47] n’identifie pas ce Règlement comme étant un frein imposé aux fabricants automobiles qui sont invités à améliorer leur système de sécurité des clés intelligentes.
- Il est primordial que le véhicule du demandeur ait lui-même fait l’objet d’une attaque-relais.
- Comme le rappelle Monsieur le juge Martin Sheehan dans Dumaio c. Fido Solutions inc.[48], le demandeur doit avoir une cause d’action pour demander une autorisation d’exercer une action collective :
[36] Au stade de l’autorisation, le recours n’existe pas encore sur une base collective. Le tribunal doit donc examiner le recours individuel de la demanderesse pour déterminer si le recours a une chance raisonnable de succès. Si la demanderesse ne détient pas elle-même une cause d’action personnelle soutenable, sa demande pourrait être rejetée même si d’autres membres du groupe peuvent théoriquement détenir une cause d’action valable.
(référence omise)
- Or, Monsieur Lacroix croit qu’il « est probable qu’il s’agisse d’un vol par relais ». Les défenderesses sont d’avis que, puisqu’il n’a pas la preuve qu’il s’agit d’un vol par relais, il n’a pas fait la preuve qu’il peut agir comme représentant et que la demande d’autorisation devrait être rejetée.
- Deux écueils soulevés par les défenderesses se dressent sur la route du demandeur : il ne serait techniquement pas membre du groupe tel que défini et n’aurait pas été victime d’un vol associé à une faille de sécurité.
- Quant au premier aspect, savoir si le demandeur est membre du groupe, il en sera traité dans le chapitre « C 1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes »[49]. Venons-en immédiatement au deuxième aspect des arguments des défenderesses : le demandeur a-t-il été victime d’une attaque par relais ?
- En principe, il faut tenir pour avérées les allégations de la demande, mais, dans le cas présent, le demandeur fait lui-même une supposition, savoir que son véhicule a été volé par attaque-relais. Vu le contexte, on ne peut lui en tenir rigueur. Doit-on la tenir pour avérée ?[50]
- Personne ne peut déclarer avoir été témoin du vol du véhicule de Monsieur Lacroix… à part peut-être le voleur. Et encore moins du vol par le relais des ondes de la clé de Monsieur Turcotte située à l’intérieur de la maison.
- Il convient dès lors de poser un regard sur les éléments de démonstration nécessaires pour franchir l’étape des « faits allégués qui paraissent justifier les conclusions recherchées ».
- D’abord, il faut tenir les faits allégués pour avérés et il n’est pas nécessaire de faire une démonstration de ce qui ne se démontre pas davantage. En principe, le Tribunal pourrait donc se satisfaire de la déclaration du demandeur : il est « probable » que le vol de son véhicule s’est fait grâce à une attaque-relais.
- Poussons un peu plus loin le raisonnement nonobstant ce qui précède et la difficulté intrinsèque d’administrer la preuve de l’attaque-relais. Alors, posons la question : « Qu’est-ce qui emmène le demandeur à faire une telle proposition ? » Le Tribunal ne peut le savoir précisément, car le demandeur n’a pas témoigné devant lui. La demande d’autorisation s’apprécie à la lumière des documents qui la justifient. De plus, les notes sténographiques des interrogatoires du demandeur n’ont pas porté sur le contexte du vol. Le Tribunal ne peut pénaliser un demandeur du fait qu’il n’ait pas répondu à des questions qui ne lui ont pas été posées. Tenons donc pour acquis uniquement ce qui a été fourni au titre de la démonstration outre cette déclaration du demandeur.
- C’est donc par une forme de preuve par présomption fondée sur les faits allégués (exception faite de la conclusion sur l’attaque-relais) que le Tribunal doit inférer le fait que le demandeur a été victime d’une attaque-relais.
- Il se pourrait fort bien qu’une fois l’action collective autorisée et déposée formellement, le demandeur ne se qualifie plus pour être indemnisé, car, en présence d’un témoignage douteux de sa part, une enquête subséquente pourrait, grâce au témoignage du voleur ou d’une captation de la scène par la caméra d’un voisin, prouver qu’il ne s’agit pas d’une attaque-relais.
- Cette situation qui peut sembler contradictoire pourrait se comparer à un recours de type Wellington[51], celui qui oblige un assureur à prendre la défense d’un assuré, fondée sur l’apparence du recours entrepris contre ce dernier, sans pour autant que l’assureur ait l’obligation de l’indemniser au terme du procès au mérite. Mais pour le moment, voyons ce dont le Tribunal dispose.
- En matière civile, le niveau de preuve repose habituellement sur la balance des probabilités[52]. En matière d’autorisation d’action collective, la démonstration exige un seuil moins élevé. Sans égard à tout ce qui précède et avec toutes les réserves qui s’imposent, faisons quand même l’exercice de procéder comme s’il s’agissait de la preuve par présomption fondée sur les réels faits avérés.
- La preuve par présomption est, comme nous le rappelle la Cour d’appel dans l’affaire Barrette c. Union canadienne (L’), compagnie d’assurances[53], une des formes de preuve qui permet de tirer des faits connus l’élément qui demeure inconnu :
[31] La preuve par présomption est l’un des cinq moyens de preuve mis à la disposition des plaideurs pour démontrer un fait. Souvent utilisée en matière civile pour démontrer un acte fautif et intentionnel, il s’agit d’un moyen de preuve qui répond à ses propres exigences.
[32] Qualifié de preuve indirecte ou indiciaire, ce moyen nécessite la mise en preuve de faits que l’on pourrait, au moyen d’une preuve directe, qualifier d’indices, suivi d’un raisonnement inductif qui permettra ou non au tribunal de conclure à l’existence du fait à prouver, selon qu’il estime que les faits prouvés sont suffisamment graves, précis et concordants pour conduire à l’inférence qu’il en fera.
[33] Larombière, encore cité récemment par la Cour, exprime avec une grande acuité ce qu’il faut entendre par des présomptions graves, précises et concordantes :
Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l’existence de l’un établit, par une induction puissante, l’existence de l’autre (…)
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S’il était également possible d’en tirer les conséquences différentes et mêmes contraires, d’en inférer l’existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n’auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l’incertitude.
Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu’il s’agit de prouver… Si… elles se contredisent… et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l’esprit du magistrat.
[34] L’exercice prévu à l’article 2849 C.c.Q. consiste en deux étapes bien distinctes. La première, établir les faits indiciels. Dans cette première étape, le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu’il estime prouvés. Dans une deuxième étape, il doit examiner si les faits prouvés et connus l’amènent à conclure, par une induction puissante, que le fait inconnu est démontré.
[35] Le juge doit se poser trois questions :
1. Le rapport entre les faits connus et le fait inconnu permet-il, par induction puissante, de conclure à l’existence de ce dernier ?
2. Est-il également possible d’en tirer des conséquences différentes ou même contraires ? Si c’est le cas, le fardeau n’est pas rencontré.
3. Est-ce que dans leur ensemble, les faits connus tendent à établir directement et précisément le fait inconnu ?
- Dans le présent dossier, le Tribunal répond à ces questions : Oui, Non et Oui.
- Voyons si la « démonstration » de ce potentiel vol par relais est suffisante. Pour ce faire, allons du général au spécifique.
- Entre 2021 et 2022, année du vol du véhicule du demandeur, en une seule année, le nombre de vols de véhicules au Québec a augmenté de 30 %[54]. Au Canada, l’augmentation a été de 53 % en 3 ans[55].
- Après Toronto, c’est dans la région de Montréal que les vols de véhicules sont le plus nombreux : 18 248 en 2023[56], enregistrant une hausse de 57,9 % en 3 ans. 60 % des véhicules volés seraient exportés et 40 % seraient revendus au Canada[57]. Boucherville, là où le vol du véhicule du demandeur a eu lieu, se trouve dans la région métropolitaine de Montréal.
- Il est à préciser que, dans le présent dossier, aux yeux du Tribunal, ce n’est pas tant la hausse des vols des véhicules qui est en cause, c’est le vol à proprement parler avec les clés intelligentes dont le demandeur doute de la sécurité. Sans embellie des vols de véhicules, l’action collective recherchée ne perdrait pas de sa pertinence. Le seul effet du nombre élevé de vols est d’augmenter le nombre de personnes faisant partie du groupe.
- Bref, on ne peut tout de même pas nier le contexte que la Cour suprême nous invite à tenir compte : un fléau de vols se produit l’année du vol de la voiture du demandeur.
- Il y a une demande accrue de véhicules sur les marchés internationaux, ce qui a eu pour conséquence que les voleurs québécois furent plus actifs.
- Ce phénomène de vols a trouvé écho à la Chambre des communes à la fin de l’année 2023 au point où le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a été invité à produire un rapport sur la question. Des experts en la matière ont été consultés.
- Dans le présent dossier, les vidéos et les articles de journaux cités ont certainement du poids, mais c’est particulièrement le cas du Rapport ci-après analysé.
- D’entrée de jeu, au premier paragraphe du sommaire de ce rapport, on peut lire :
L’augmentation des vols de véhicules au Canada est devenue une préoccupation majeure à travers le pays alors que le nombre de véhicules volés a connu une hausse significative dans les dernières années. Le vol de véhicules affecte tous les Canadiens et Canadiennes, notamment en les privant de leur moyen de transport, en entraînant une augmentation de leur prime d’assurance et en réduisant leur sentiment de sécurité. Cette tendance inquiétante peut être attribuée à divers facteurs abordés dans le rapport du Comité, notamment par l’implication du crime organisé, l’évolution des techniques de vol, la demande croissante pour les pièces détachées sur le marché noir, et les lacunes dans les systèmes de sécurité des véhicules.
(notre soulignement)
- Plus loin dans ce sommaire, une des solutions est ainsi libellée :
L’étude du Comité a permis d’explorer différentes solutions, comme la sensibilisation du public, des modifications législatives et l’amélioration de la sécurité des véhicules.
- En fait, les défenderesses ont raison de croire que la demande de véhicules volés et revendus dans d’autres pays a connu une croissance au terme de la pandémie et de la rareté des composantes électroniques. Le crime organisé canadien a flairé la bonne affaire. Le Port de Montréal est devenu le lieu d’exportation des véhicules volés et introduits dans des conteneurs, ou dit autrement, une passoire. Et, de manière systématique, notamment sur le territoire québécois, un plus grand nombre de vols de véhicule a eu lieu. Au Canada, on estime qu’un véhicule est volé en moyenne toutes les 5 minutes.
- Les recommandations formulées par le rapport ont, en très grande partie, trait aux mesures que le gouvernement du Canada peut mettre en place, notamment pour freiner l’exportation des véhicules, diminuant de ce fait la demande intérieure pour le vol de véhicules.
- Le comité est conscient que des appareils électroniques simples peuvent être vendus en toute légalité afin de capter les signaux des clés intelligentes. C’est ce pour quoi il fait la recommandation suivante :
Recommandation 27
Que le gouvernement du Canada modifie le Code criminel afin de fournir des outils supplémentaires aux services policiers et aux procureurs pour lutter contre le vol de véhicules en :
[…]
• incluant l’ajout de nouvelles infractions criminelles liées au vol de véhicules impliquant le recours à la violence ou des liens avec le crime organisé ; la possession ou la distribution d’un appareil électronique ou numérique dans le but de commettre un vol de véhicules ; et le blanchiment de produits de la criminalité au profit d’une organisation criminelle ;
(notre soulignement)
- Quant aux véhicules vendus par les fabricants, le gouvernement est invité à modifier ses normes de sécurité s’appliquant à eux :
Recommandation 41
Que le gouvernement du Canada collabore avec les fabricants pour modifier leurs obligations relatives aux normes de sécurité des véhicules, comme l’intégration de correctifs logiciels ou de dispositifs d’immobilisation dans les nouveaux véhicules, afin de mieux prévenir les vols de véhicules ;
(notre soulignement)
- Dans le Rapport, il est indiqué que les « étapes les plus courantes du parcours d’un véhicule volé » sont d’abord constituées par un repérage du véhicule convoité dans une rue ou un stationnement public. Ensuite, « le voleur s’empare du véhicule au domicile ou un stationnement privé lorsque le véhicule est moins surveillé »[58]. Voler un véhicule peut rapporter entre 3 000 $ et 20 000 $ pour celui qui s’en empare et le soutire illégalement à son propriétaire.
- Quel est le mode d’opération des voleurs ? On peut lire dans le rapport :
M. Wade [inspecteur détective auprès de la police provinciale de l’Ontario] a spécifié qu’en Ontario, l’âge moyen des voleurs de véhicules est entre 15 et 22 ans et il a ajouté que les suspects sont souvent « en possession de drogues, d’armes à feu et d’autres armes, et d’outils technologiques, comme des porte-clés de transpondeur reprogrammés pour faciliter le vol de véhicules ».
(notre soulignement)
- Dans la section traitant des suggestions pour lutter contre le vol de véhicules, la sensibilisation du public est une facette importante de la prévention. Le Club automobile et la Compagnie d’assurance du Club automobile illustrent dans le mémoire déposé auprès du comité que seulement 5 % des conducteurs utilisent une pochette Faraday[59] ou un appareil de blocage du volant[60].
- Implicitement, le rapport reconnaît qu’il est possible actuellement de posséder ou de distribuer des appareils électroniques ou numériques dans le but de commettre des vols de véhicules puisqu’il recommande même de modifier le Code criminel afin d’interdire cette pratique.
- Finalement, le Rapport souhaite que soit améliorée la sécurité des véhicules :
De nombreux témoins ont soulevé l’importance d’accroître la sécurité des véhicules en soulignant le rôle de l’industrie de la production et de la vente de véhicules.
Elliot Silverstein, directeur des relations gouvernementales et assurances de CAA, a déclaré que « [t] out le monde a un rôle à jouer, qu’il s’agisse des assureurs, des gouvernements, des forces de l’ordre, mais aussi des constructeurs ». Il a rapporté que 80 % des membres sondés estiment que les manufacturiers doivent en faire plus.
De nombreux témoins ont soutenu l’importance d’incorporer l’utilisation de la technologie à même la construction des véhicules.
- Dans le Rapport, sous le titre « Réviser les obligations en matière de technologie de protection des véhicules et du droit à la réparation », il est intéressant de lire :
Selon M. Silverstein [directeur, Relations gouvernementales, assurances, Association canadienne des automobilistes], l’ « industrie peut et devrait en faire beaucoup plus » en matière de sécurité, car il ne revient pas aux Canadiens d’« assumer les coûts du marché secondaire pour protéger leurs véhicules alors qu’ils paient déjà très cher pour ces véhicules et d’autres types de mesures dissuasives de vol dans leurs propres maisons ». M. Jack s’est dit du même avis et a spécifié que les coûts de sécurisation des véhicules ne devraient pas revenir aux consommateurs, d’autant plus que les marchés secondaires sont plus dispendieux.
Mitra Mirhassani, professeure au SHIELD [Automotive Cybersecurity Center of Excellence], centre d’excellence en cybersécurité automobile, a également été d’avis qu’il y a davantage de mesures que les constructeurs automobiles pourraient prendre, d’autant plus que certains manufacturiers prennent l’enjeu de la sécurité du véhicule plus au sérieux que d’autres. Selon elle, le retard de l’industrie en matière de sécurité provient du fait que
la technologie progresse beaucoup plus rapidement que nous ne pouvons trouver et corriger les failles dans les dispositifs de sécurité. Souvent, lorsque le véhicule arrive sur le marché, les failles de sécurité viennent juste d’être découvertes. Nous jouons un peu au chat et à la souris dans ces cas, et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les constructeurs automobiles accusent un retard dans ce domaine. Il peut leur falloir un peu de temps pour lancer le processus nécessaire pour adapter leur technologie sur le marché.
Mme O’Brien [présidente et cheffe de la direction, Équité Association] a noté qu’outre les correctifs de logiciels, il y a également des dispositifs d’immobilisation de véhicule qui sont une solution de sécurité simple pour les fabricants. Elle a souligné que le Canada pourrait s’inspirer du travail fait au Royaume-Uni où ils ont fait « d’énormes progrès en matière de technologies simples que les fabricants installent pour empêcher en premier lieu le vol de véhicules ».
M. Adams [président, Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada] a indiqué que les constructeurs automobiles travaillent constamment sur l’amélioration et la sécurité de leurs produits. Selon lui, il n’est dans l’intérêt d’aucun constructeur d’avoir l’un de ses véhicules figurer au palmarès des 10 véhicules les plus volés parce que cela nuit à sa réputation.
M. Adams et M. Kingston [président et chef de la direction, Association canadienne des constructeurs de véhicules] ont partagé des exemples de solutions technologiques qui ont été apportées par les constructeurs automobiles pour améliorer la sécurité des véhicules. Par exemple,
l’antidémarrage passif, les avertissements actifs en cas d’entrée non autorisée dans un véhicule, les caméras-témoins avec modes de surveillance, le marquage des pièces, l’inscription de numéros d’identification de véhicule, ou NIV, cachés, des services de localisation de véhicules volés, des mises à jour de logiciels, l’entrée d’un code de déverrouillage supplémentaire dans la radio et le verrouillage de logiciels pour empêcher la programmation de porte-clés supplémentaires, pour ne nommer que quelques mesures.
(notre soulignement)
- Bref, un rapport crédible qui, à de nombreuses reprises, identifie le rôle que jouent les fabricants face à ce fléau et celui qu’ils devraient normalement assumer.
- La démonstration de faits au stade de l’autorisation peut se faire d’une manière qui ne respecte pas les règles usuelles de preuve devant un tribunal. Par exemple, dans l’affaire Champagne c. Subaru Canada inc.[61], des articles de journaux ou des articles publiés dans des revues spécialisées sont acceptés pour justifier la demande d’autorisation :
[8] À l’étape de l’autorisation, celui qui se porte demandeur a un devoir de démontrer une cause défendable. La juge Bich écrit :
« [34] (…) Il ne s’agit donc pas d’exiger de celui qui demande l’autorisation d’intenter une action collective le menu détail de tout ce qu’il allègue ni celui de la preuve qu’il entend présenter au soutien de ces allégations dans le cadre du procès sur le fond, approche que la Cour suprême a rejetée dans l’arrêt Infineon en rappelant que « la norme applicable est celle de la démonstration d’une cause défendable et non celle de la présentation d’une preuve selon la prépondérance des probabilités, plus exigeante. »
(…)
[10] Est-ce que le fait d’intégrer le moteur de type FB2,5 à cette autorisation d’action collective constitue une question de faits similaires ? La Cour est de cet avis. Voici pourquoi.
[11] Tant pour l’octroi de l’autorisation pour les moteurs de type FB20 que pour le refus pour des moteurs de type FB2,5, le juge se fonde sur le résultat d’une enquête dont les résultats sont rapportés dans des articles spécialisés. Or, certains passages contenus dans ces mêmes articles établissent que les moteurs de type 2,5 FB sont affectés de la même anomalie et consomment également plus d’huile que la moyenne :
[…]
[12] Avec respect pour l’opinion contraire, ces quelques commentaires permettent de considérer que les moteurs de type 2,5 FB consommeraient aussi anormalement de l’huile.
[13] Puisqu’il est question de la même intimée et de la même anomalie, il est possible d’envisager que les dommages reliés à une consommation excessive d’huile risquent aussi de se calculer suivant la même formule. Ce sont des questions de fait connexes.
(notre soulignement)
- En plus du solide rapport déposé à la Chambre des Communes, la preuve est abondante :
- Dans une étude de 2010 réalisée par le Department of Computer Science de l’ETH Zurich (école de sciences techniques et naturelles), intitulée Relay Attacks on Passive Keyless Entry and Start Systems in Modern Cars[62], les chercheurs soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à l’accès aux véhicules et à leurs systèmes d’autorisation de conduite par des attaques-relais. Leur étude porte sur 10 modèles qui étaient alors fabriqués par autant de fabricants. Les modèles et les fabricants ne sont pas identifiés.
- Dans une présentation du 11 mai 2011[63], ces mêmes chercheurs résument les vulnérabilités des automobiles en lien avec les clés intelligentes.
- En 2016, l’ADAC publie, pour une première fois, une étude sur les failles de sécurité. Elle sera actualisée jusqu’en 2024. Nous y revenons plus loin.
- Un article publié le 31 août 2020 dans le magazine Electronic Design dans lequel on peut notamment lire :
While keyless entry is a standard on many cars sold today, the feature isn’t totally secure. For all of the convenience smart keys and smartphone access brings to drivers, it has given hackers a new way to unlock or steal cars through the wireless protocols that enable the entry. This is because current wireless protocols used for access are susceptible to criminals hijacking a car key’s signal.
- Le 19 février 2022, l’émission JE sur le réseau TVA diffuse un reportage de 30 minutes intitulé « Vols d’autos : 60 secondes pour disparaître »[64]. Ce reportage fait le lien entre le système de verrouillage et les faciles vols d’automobiles.
- Dans un article publié sur le site de Radio-Canada le 3 mars 2022[65], on associe les hausses de vols, l’augmentation des primes d’assurance et les clés intelligentes. On peut lire :
Un des modus operandi exige la présence de deux malfaiteurs. L’un d’eux se place près de la résidence du propriétaire du véhicule, avec un appareil qui permet de capter et d’amplifier les ondes de la clé intelligente qui se trouvent (sic) dans la maison. L’autre reste quant à lui près du véhicule avec un autre appareil. […] Il peut déverrouiller la portière, s’asseoir dans le véhicule, démarrer le moteur et partir […] un autre stratagème est toutefois beaucoup plus répandu. Le voleur doit forcer la porte du véhicule et ensuite se brancher au port OBD 2 […]
- Le 29 juin 2023, un article dans le Journal de Montréal est ainsi intitulé : « La technologie facilite la vie des criminels : forte hausse des vols de véhicule au Québec »[66]. On peut notamment y lire que « Le coût total des réclamations pour vol est passé de 80 millions $ en 2016 à 372 millions en 2022. Une facture salée qui se répercute sur les primes que paient les assurés ». Plus loin, on lit ce qui suit :
Est-ce que la technologie ne facilite pas trop la tâche aux voleurs ?
« La réponse, c’est un oui fracassant. La clé intelligente est une commodité très appréciée des automobilistes, mais aussi des voleurs. Leur modus operandi est de beaucoup facilité. Ce n’est pas étranger au fait qu’il y a une recrudescence ces dernières années », opine Jesse Caron, expert automobile au CAA — Québec.
- Un article dans le Journal de Montréal du 20 octobre 2023 indique que plus de 11 700 véhicules ont été volés depuis le début de l’année[67].
- En février 2024, l’ADAC actualise une étude de 2016 sur la sécurité des clés intelligentes. Le résultat est le suivant : « Seuls 50 véhicules sur 648 sont mieux protégés. »[68] Les résultats de cette étude indiquent, pour de divers modèles choisis parmi ceux fabriqués par les défenderesses, s’il est possible de déverrouiller le véhicule et s’il est possible de faire démarrer le moteur. Cette étude est composée d’un important tableau et est coiffée de 4 paragraphes qu’il est utile de reproduire :
Tous les véhicules qui terminent l’ADAC Autotest ont été examinés depuis 2016. Le fait qu’ils soient équipés d’un système sans clé dépend du fabricant. Aucune déclaration fiable ne peut être faite sur les voitures qui ne sont pas répertoriées ici.
Il est à craindre que la plupart des véhicules équipés du keyless puissent être volés de cette manière.
Jusqu’à présent, seules les voitures avec UWB (Ultra-Wide-Band) ne pouvaient pas être ouvertes et démarrées avec les appareils utilisés par l’ADAC. Dans la perspective actuelle, ils sont donc considérés comme mieux protégés.
Nous considérons que la protection des véhicules équipés d’un capteur de mouvement est plus faible, car ils peuvent toujours être volés tant que le capteur de mouvement n’a pas éteint la clé. Jusqu’à présent, nous avons pu vérifier ce système sur 79 de tous les modèles testés, mais uniquement si la clé s’éteint au plus tard après cinq minutes, car c’est à ce moment-là que le test a été effectué.
(notre soulignement)
- Dans un article paru sur le site de Radio-Canada le 7 février 2024[69], on peut lire que, de 2016 à 2024, au Québec seulement, le nombre de véhicules volés a sans cesse augmenté, passant de 222 à plus de 1550.
- Le 8 février 2024, dans un communiqué de presse gouvernemental, déplorant que le vol de véhicules touche des milliers de familles canadiennes chaque année, le gouvernement du Canada convoque la tenue d’un sommet national pour contrer ce fléau[70].
- Un article dans le Journal de Montréal du 9 février 2024[71] intitulé « Un jeu d’enfant d’acheter des gadgets pour voler des autos sur Amazon/ces dispositifs en vente libre sont régulièrement saisis par les policiers ». Ce titre est évocateur de son contenu.
- Un autre article dans le Journal de Montréal du 9 février 2024[72] intitulé « Le fléau des vols de véhicule a fait grimper la facture de plus de 100 $ en moyenne pour les Québécois ». On peut y lire que cette information a été dévoilée par la direction du Bureau de l’assurance du Canada lors du sommet tenu à Ottawa sur la question.
- Un reportage de 30 minutes diffusé le 13 février 2024 dans le cadre de l’émission JE sur le réseau TVA[73] et intitulé « Vols d’autos : une crise nationale ». Dans ce reportage, on voit des attaques-relais être réalisées en moins d’une minute avec les équipements de détection des ondes des clés intelligentes.
- Un article dans le Journal de Montréal du 9 décembre 2024[74]. Dans cet article, la journaliste explique qu’elle s’est procuré les équipements sur Internet et que, à la suite de l’écoute de tutoriels publiés sur YouTube, elle a réussi à faire démarrer un véhicule en sept minutes sans en avoir la clé.
- Un article dans le Journal de Montréal du 9 décembre 2024[75] dans lequel la journaliste interviewe le directeur de l’Association pour la protection des automobilistes qui reproche aux constructeurs automobiles un laisser-aller « qui frôle la négligence ». Un expert en cybercriminalité déclare : « Je donnais déjà des présentations à ce sujet en 2011. Ces vulnérabilités-là, les constructeurs les connaissent et les ignorent. ».
- Une image vaut mille mots, et une vidéo, encore plus. Outre ces précédents documents, les pièces P-6 (1) à P-6 (9) sont des vidéos enregistrées par des caméras de surveillance résidentielles qui montrent des vols d’automobiles avec des équipements électroniques qui captent les signaux des clés laissées dans le portique de la maison et les reproduisent pour permettre aux voleurs de s’enfuir avec le véhicule, le tout en quelques secondes. Ces images ressemblent beaucoup aux vidéos de vols diffusées dans l’émission JE. Ces images déconcertantes sont un exemple vibrant de ce que le demandeur allègue. S’il était possible d’intégrer ces vidéos à l’intérieur de ce jugement, cela permettrait de comprendre avec force le fond de ce litige évoqué par le demandeur. Les dates et les endroits de ces enregistrements ne sont pas connus, mais le paysage environnant de ces caméras de surveillance présente quelque chose de familier à des Québécois, architecture, paysage urbain et neige incluse. Cela permet de comprendre le rapide modus operandi des voleurs.
- Venons-en à Monsieur Lacroix.
- Quels sont les éléments propres au demandeur menant à la conclusion qu’il y a eu un vol par relais de son véhicule dans la nuit du 16 au 17 avril 2022 ?
- Le véhicule verrouillé est stationné devant la résidence de la fille de Monsieur Lacroix et sa disparition est constatée le lendemain matin.
- Le véhicule ne sera jamais retrouvé.
- Monsieur Lacroix a déposé une plainte pour vol auprès des policiers.
- Les clés du véhicule étaient à l’intérieur près de l’entrée de la maison, juste assez pour permettre un vol par relais.
- La clé se trouvant à l’intérieur de la maison n’a pas été volée.
- L’absence d’éclats de verre milite en faveur d’un vol par relais, plutôt qu’un commis par l’entrée forcée par effraction dans le véhicule.
- Le déplacement du véhicule ne peut se faire que de deux manières : sur son propre pouvoir avec un voleur derrière le volant ou un remorquage ou le levage d’un tel véhicule lourd pour être placé sur un camion.
- Les vols suggérés par l’avocat de Toyota, à savoir le remorquage ou le levage du véhicule pour le déposer sur une remorque, sont sûrement plus bruyants et prennent plus de temps. Or, personne n’a été éveillé par le bruit.
- De plus, les reportages déposés en preuve ne rapportent pas ce type de vol par levage ou remorquage.
- Pour déplacer un véhicule avec un voleur derrière le volant, il faut démarrer le moteur. Pour ce faire, il faut avoir la clé ou du moins son signal, et ensuite un branchement au port OBD qui permet de créer une nouvelle clé. Or, la clé est restée dans la maison de la fille du demandeur.
- La vitesse d’exécution d’un vol a été évoquée par les avocats des parties. Pour éviter d’attirer l’attention des occupants de la maison de la fille de Monsieur Lacroix ou de ses voisins, le vol par relais est étonnamment rapide comme en font foi les vidéos de tels types de vols.
- De l’avis du Tribunal, les présomptions sont suffisamment graves, précises et concordantes pour conclure au vol par attaque-relais du véhicule de Monsieur Lacroix.
- Concordantes. Le vol est évident. La rapidité de celui-ci, l’absence de verre brisé et de bruit, la présence des clés dans les poches du manteau du demandeur à l’entrée de la maison, le fléau de vols de cette nature dans la région de Montréal, il y a concordance des faits.
- Graves. La plupart des véhicules sont aujourd’hui équipés des clés intelligentes ; ce sont celles visées par le présent recours. Dans le concret, il n’y a pas mille façons de voler un véhicule dont le moteur ne peut être démarré qu’avec la clé électronique ou un système pirate. Même le voleur qui a une grue assez forte pour lever le véhicule afin de le mettre sur un camion a un jour besoin de la clé pour le revendre ou tout simplement pour le faire rouler. Le voleur veut habituellement revendre le véhicule ou plus rarement le voler pour lui-même. Dans tous les cas, il doit tôt ou tard pouvoir faire démarrer le moteur et, pour ce faire, il a copié la clé par relais ou s’est servi du port OBD.
- Précises. Les éléments de preuve plus haut présentés créent un faisceau de preuve qui est orienté dans la même direction. Le vol s’est produit. Et le mode d’opération par les voleurs fut le même que celui utilisé par plusieurs autres voleurs, dont certains captés par des caméras de surveillance et qui démontrent une certaine aisance à le faire. C’est le mode opératoire qui fait la manchette des médias. Incidemment, les médias ne présentent aucun autre mode opératoire. Bien plus, aucun élément ne contredit ce scénario le plus probable. Les scénarios de vol des avocats en défense ne trouvent aucune assise dans la preuve circonstancielle déposée par le demandeur.
- Bref, la preuve par présomption favorise le vol par relais du véhicule du demandeur.
- Le demandeur désire se porter représentant des consommateurs face à ces deux types de vols : celui par attaque-relais et celui avec effraction pour s’introduire dans le véhicule afin d’utiliser le port OBD en vue de faire démarrer le moteur et s’enfuir avec le véhicule.
- Il est nécessaire de discuter de ce dernier type de vol, d’autant plus que le demandeur n’en a pas été victime.
- Pour deux motifs, le Tribunal restreint l’action collective au premier type de vols : l’attaque-relais.
- D’entrée de jeu, le fait de fracasser une vitre du véhicule ou de forcer une portière avec un outil puissant fait porter aux défenderesses le poids de rendre les véhicules à l’épreuve des voleurs, peu importe les moyens qu’ils utilisent.
- Élargir le débat pour aborder la sécurité absolue des véhicules aurait pour effet de détourner le réel enjeu soulevé par le demandeur.
- D’ailleurs, il est nécessaire à ce stade de trancher cette question afin d’endiguer un débat non nécessaire. Dès lors que l’on admet qu’il faut utiliser la force pour casser une vitre ou forcer une portière, le juge du fond serait saisi de la question : « Jusqu’où doit aller la sécurité d’un véhicule ? »
- Dans Fortin[76], la Cour d’appel a tracé la ligne quant aux attentes raisonnables d’un consommateur :
[103] Cette conclusion fixe les limites au-delà desquelles les attentes raisonnables du consommateur cessent de l’être. Cependant, une distinction s’impose entre l’attente du consommateur à l’égard d’un système idéal de protection qui mettrait son bien « complètement » à l’abri du vol et celle moins ambitieuse, mais toutefois raisonnable, se limitant à un système de protection capable de créer un obstacle élémentaire contre les intrusions malveillantes.
[104] Cette nuance ne semble pas avoir été considérée par le Juge au moment de tirer la conclusion suivante :
[156] En effet, le système de verrouillage de la portière d’un véhicule automobile est un mécanisme ayant essentiellement pour but de la verrouiller, et non pas d’empêcher une personne mal intentionnée de trouver un moyen illégal d’y pénétrer par l’usage de la force.
[105] Je réitère que le consommateur moyen est en droit de s’attendre à ce que sa voiture soit équipée d’un système de verrouillage raisonnablement efficace. En bas de ce seuil, il s’agit d’un défaut. Le fait de contourner le système de verrouillage à l’aide d’un simple coup de poing porté sur la portière par un malfaiteur dépourvu de toute sophistication appuie l’idée que le produit n’est pas à la hauteur des attentes légitimes du consommateur.
[106] En l’espèce, la nature du produit, sa destination, les attentes minimales en matière de protection élémentaire contre les intrusions malveillantes et l’état de la technique en ce domaine autorisaient le consommateur à exiger davantage.
- À la lumière de ce commentaire, il ne serait pas sage de permettre de lancer le débat sur un type de vol violent. Mais il y a un autre motif : le demandeur lui-même ne prétend pas avoir été victime d’un tel type de vol.
- Est-il approprié d’autoriser une action collective pour un autre type de vol que celui dont le demandeur prétend avoir été victime ? Ces types de vols sont fort différents et leurs réalisations sont étrangères l’une de l’autre.
- Bien que le Tribunal écarte de l’autorisation ce deuxième type de vol, la présence du port OBD s’inscrit toutefois quand même dans le prolongement du vol par attaque-relais. Le voleur qui a réussi à capter le signal de la clé pour faire déverrouiller le véhicule et même pour en faire démarrer le moteur peut utiliser le port OBD pour reprogrammer une nouvelle clé et revendre le véhicule. Le port OBD devient un accessoire pratique pour le voleur qui a procédé par attaque-relais.
- Le manuel du propriétaire du véhicule de Monsieur Lacroix contient une discrète mise en garde en regard du vol en formulant une recommandation de ne pas laisser la clé intelligente dans le véhicule :
Les clés du véhicule contiennent une puce de transpondeur qui empêche le démarrage du moteur si la clé n’a pas été préalablement enregistrée dans l’ordinateur de bord du véhicule.
Ne laissez jamais les clés à l’intérieur du véhicule lorsque vous quittez le véhicule.
Ce système est conçu pour aider à la prévention du vol du véhicule, il ne constitue toutefois pas une garantie absolue contre les vols de véhicules.[77]
- Les autres mises en garde s’éloignent de la possibilité pour un tiers de capter le signal.
- À cet égard, cette absence d’information reliée à un fait important relatif au véhicule acheté par Monsieur Lacroix est suffisante au stade de l’autorisation.
- Les défenderesses plaident que les groupes criminels organisés seraient la principale cause de l’augmentation des vols sans égard aux failles de sécurité des clés intelligentes et des ports OBD. Ils seraient la cause de la rupture du lien de causalité.
- Or, le demandeur utilise l’expression « faute contributive » ou « faute contributoire » face aux fautes qu’auraient commises les défenderesses.
- Il est vrai qu’en 2022, le vol de véhicules devient un fléau au Canada. Certains types de véhicules neufs sont rares sur le marché à cause d’une chaîne d’approvisionnement altérée par la pandémie. Les groupes criminels organisés… s’organisent alors mieux.
- En 2024, après l’injection de fonds publics pour combattre le crime organisé, le nombre de vols diminue.
- Ce changement de tendance ne change en rien la faiblesse intrinsèque alléguée des systèmes de sécurité des véhicules équipés de clés intelligentes. D’ailleurs, il apparaît en filigrane que les mesures mises en place ont eu principalement pour effet de limiter les « exportations » de véhicules volés, ce qui aurait eu un impact sur « la demande ».
- Le contexte des premières années suivant 2020 a simplement permis au crime organisé de profiter notamment de la faille de sécurité pour rendre leur commerce florissant. Les méthodes d’attaques-relais ne semblent pas avoir être différentes lors de ces années profitables pour eux si l’on se fie aux reportages et articles de journaux qui ont été, à cette époque, publiés.
- En clair, autrefois il y avait des voleurs et aujourd’hui les groupes criminels sont composés de voleurs, mais tout simplement, apparemment mieux organisés.
- Tout ce questionnement nous ramène à une réflexion plus substantielle sur la causalité de la faille de sécurité alléguée par rapport au vol.
- Toutes les parties admettent que les vols de véhicules ne sont pas l’œuvre des défenderesses, mais bien des voleurs. Ce « métier » n’est pas tout à fait nouveau. Aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire, il y a eu des voleurs. Pensons au sympathique Robin des bois. Mais quoiqu’il en soit, dans notre société, voler demeure un crime, depuis toujours. C’est pourquoi les défenderesses ont instauré des mesures de sécurité sur les véhicules qu’elles commercialisent, que les propriétaires verrouillent les portes de leur maison ou attachent leur vélo avec des cadenas, que les commerçants installent des caméras de surveillance dans leur magasin, etc.
- Quant au lien de causalité, les parties ont exposé leur différend.
- D’une part, le demandeur est d’avis que les défenderesses ont, en voulant faciliter la vie de leurs clients qui ne sont plus obligés de manipuler leur clé pour déverrouiller leur véhicule et le faire démarrer, permis une faille de sécurité qui n’existait pas auparavant avec une bonne vieille clé. Pire, aux yeux du demandeur, informées qu’elles étaient de cette faille, elles n’ont pas modifié leur technologie depuis sa disponibilité pour y remédier. Les défenderesses n’ont même pas jugé approprié d’informer leurs clients dans les manuels du propriétaire qu’il pouvait être possible que les signaux des clés intelligentes soient captés.
- Le demandeur estime que les défenderesses ont commis « une faute contributoire […] qui les rend responsables du vol des véhicules »[78].
- D’autre part, les défenderesses considèrent qu’elles en font suffisamment pour la sécurité des véhicules vendus à leurs clients. Le lien entre les systèmes de sécurité des véhicules qu’elles fabriquent et les vols serait rompu par l’intervention du crime organisé qui a fait augmenter les vols de véhicules ; il s’agirait d’un novus actus interveniens[79]. Les voleurs auraient développé des approches innovantes avec les équipements électroniques qui relaient le signal des clés que les consommateurs déposent à l’entrée de leur maison. Les défenderesses n’en seraient donc pas responsables. Pour voler un véhicule, un voleur doit poser un geste illégal plus sophistiqué et le voleur en est seul responsable.
- Dans l’affaire Fortin[80], la Cour d’appel présente un bel exemple des nuances qui pourraient être évoquées dans la présente affaire. Un simple coup de poing bien placé autour de la poignée de la portière avant du véhicule permettait à un voleur de déverrouiller le véhicule et de subtiliser son contenu, ce qui pourrait entraîner la faute du fabricant.
- En présence de fautes contributoires[81], celle du fabricant qui rend plus facile le vol d’un véhicule et celle du voleur, lesquelles mènent à un seul et même préjudice, le juge du mérite aura une latitude d’évaluer la part de chacun, si tel était son souhait. Mais, au stade de l’autorisation, il n’est pas approprié d’en discuter plus avant.
- Une autre notion pourrait peut-être exceptionnellement trouver application : celle de la perte de chance.
- Dans l’arrêt Laferrière c. Lawson[82], la Cour suprême discute d’un dommage appelé « perte de chance » :
(…) ce n’est pas tant la perte effective que le tribunal cherche à compenser, mais plutôt la disparition, en raison de la survenance de l’acte fautif, de la chance soit d’éviter une perte (…)
- Dans l’arrêt Lemieux c. Aon Parizeau inc.[83], reprenant un commentaire fait par la Cour en regard de l’arrêt Laferrière, il est affirmé que pourrait être compensée une perte de chance établie suivant la prépondérance des probabilités :
[81] En d’autres mots, une perte de chance peut devenir un préjudice indemnisable si elle répond aux règles habituelles de la responsabilité civile, c’est-à-dire s’il est démontré par prépondérance des probabilités, que n’eut été la faute, la chance se serait concrétisée. La doctrine reconnaît d’ailleurs cette interprétation.
[82] L’arrêt Dupuis c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 130, rendu en 2008 par la Cour explique bien la nuance entre la perte de chance et la démonstration du lien de causalité :
[99] Aux fins du présent dossier, je retiens de l’opinion du juge Gonthier et des autorités qu’il cite la distinction à faire entre la perte de chance, maintenant reconnue comme chef de dommage, et le lien de causalité réel entre la faute entraînant cette perte de chance et le dommage pour lequel on réclame. La perte de chance constitue aujourd’hui un chef de dommage reconnu. Le lien de causalité, par ailleurs, doit s’établir sur la base de la preuve au dossier et par l’analyse de la balance des probabilités qui, quant à elle, peut résulter du droit strict ou s’inférer de statistiques et de présomptions.
[100] En résumé sommaire, il y a donc lieu de refuser de compenser la « perte de chance » chaque fois que la chance n’était, selon la preuve, que de 50 % ou moins. On risquerait autrement, en matière médicale comme dans tout autre domaine d’activités humaines, de compenser des dommages à l’égard desquels la preuve du lien de causalité, qui doit être prépondérante, n’a pas été ou ne peut être faite.
(références omises)
- Si ce dommage était établi de manière statistique, le lien de causalité pourrait relier la faille de sécurité au dommage causé. Qui sait?
- Au passage, dans l’affaire Fortin[84], le recours final a été rejeté, car le juge d’instance n’a pas donné foi aux statistiques relatives à la diminution du prix de vente de véhicules équipés d’un système de sécurité défaillant.
- À la lumière de ces enseignements de la Cour suprême du Canada, le lien de causalité pourrait être considéré par le juge du mérite comme non rompu par l’intervention d’un voleur.
- Ces deux notions juridiques interviennent pour créer peut-être un pont entre la faute primaire commise par le voleur et celle du fabricant, et le dommage. Au stade de l’autorisation, il n’est pas nécessaire de trancher cette question. Chose certaine, ces règles de droit rendent possible le recours du demandeur. Du moins, cela démontre que son recours n’est pas frivole.
- Les défenderesses contestent le fait que le juge du mérite pourrait rendre les conclusions recherchées. Il y en a trois types, examinons-les.
- Le demandeur allègue différents dommages, comme le temps passé à tenter de se véhiculer à la suite d’un vol, le temps consacré à le dénoncer auprès des autorités policières et de son assureur, le paiement d’une franchise d’assurance-dommages (s’il était assuré, sinon le dommage est élevé), une augmentation du coût de l’assurance à la suite d’un vol, l’achat d’un véhicule neuf ou usagé, les dommages causés à son véhicule lorsqu’il est possiblement retrouvé, le temps passé à se trouver un nouveau véhicule, l’atteinte au sentiment de sécurité d’un propriétaire de véhicule, ainsi que les dépenses qu’un consommateur qui se fait voler un premier véhicule ne veut plus revivre assume par la suite :
91. Les dépenses en équipements qui doivent être assumées pour pallier ce défaut de sécurité sont décrites comme suit, tel qu’il appert de la copie des recherches effectuées pour I'acquisition de ces équipements, en liasse, pièce p-26 :
- Achat et installation d’un système de repérage d’un véhicule (système TAG ou équivalent) : le prix varie entre 250 $ et un peu plus de 400 $ ;
- Burinage du véhicule : selon un magazine spécialisé, le prix est un peu plus de 250 $ ;
- Barre de protection du volant de direction : les prix varient de 25 à plus de 100 $ ;
- Sacoche ou caisse de protection des ondes de communication : les prix varient de 20 à plus de 100 $ ;
- Dispositif de protection du port OBD : un détaillant reconnu vend ce produit entre 200 $ et 254 $ ; jusqu’à 426 $ sur Amazon ;
- Détecteur de traceurs GPS (certains voleurs utilisent un traceur pour géolocaliser en tout temps le véhicule), les prix varient de B0 à plus de 150 $ ;
- Installation d’un système d’alarme : 230 $, à I'exclusion des frais d’installation ;
- Interrogé sous serment, le demandeur reconnaît ne pas avoir acquis de tels biens pour sa nouvelle voiture. Qu’à cela ne tienne, le juge du mérite pourra disposer de ces questions.
- La défenderesse Toyota allègue qu’il n’y a aucun lien causal entre la faute alléguée et ces différents biens. On peut concevoir qu’il n’y a pas un lien parfaitement direct entre ces biens et la faille de sécurité des clés intelligentes, mais cela constitue des exemples de dommages qui pourraient aider à démontrer les moyens de pallier le manque de sécurité des clés intelligentes.
- Par ces exemples, ce que le demandeur tente de démontrer, c’est qu’il existe des modes de protection des automobiles — à défaut que les défenderesses ne le fassent suffisamment — et leur coût d’acquisition pour le consommateur.
- Même si le seuil est peu élevé, il n’en demeure pas moins qu’il appartient au demandeur de prouver l’essentiel et l’indispensable[85]. C’est ce qu’il a fait.
- Les défenderesses contestent l’existence possible des dommages-intérêts punitifs recherchés par le demandeur.
- Dans l’affaire Richard c. Time Inc.[86], la Cour suprême du Canada reconnaît à des consommateurs, dans le cadre d’une action collective, le droit de réclamer des dommages-intérêts punitifs :
[180] Dans le cas d’une demande de dommages-intérêts punitifs fondée sur l’art. 272 L.p.c., la méthode analytique ci-haut mentionnée s’applique comme suit :
• Les dommages-intérêts punitifs prévus par l’art. 272 L.p.c. seront octroyés en conformité avec l’art. 1621 C.c.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables ;
• Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la L.p.c., les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs.
- Or, la notion d’insouciance reconnue par la Cour suprême du Canada trouve écho dans la procédure de demande d’autorisation en ce que le demandeur associe cette insouciance au fait que la connaissance de la faille de sécurité perdurerait depuis longtemps, tout comme l’inertie des défenderesses pour la corriger :
23. Les attaques par relais qui exploitent ce défaut de sécurité des véhicules visés par la présente demande sont connues de l’industrie de la sécurité depuis plusieurs années ;
- Pour appuyer la notion de « temps » qui s’est écoulé depuis que les défenderesses ont pris connaissance ou auraient dû prendre connaissance de la faille de sécurité, de nombreuses références sont faites dans la preuve, en commençant par l’étude de 2010 du Department of Computer Science de l’ETH Zurich (école de sciences techniques et naturelles), intitulée Relay Attacks on Passive Keyless Entry and Start Systems in Modern Cars et également dans l’étude de l’ADAC[87]. Dans le rapport déposé à la Chambre des communes, on recommande de créer un crime pour la possession d’équipements pour relayer les ondes, c’est dire que cela n’a pas commencé il y a seulement quelques mois. Lorsqu’un expert automobile du Club Automobile du Québec déclare que les vols ont connu « une recrudescence ces dernières années »[88], il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau.
- L’inertie des fabricants depuis tout ce temps constitue donc le fondement des dommages-intérêts punitifs.
- Conséquemment, pour fonder son recours en dommages punitifs, outre l’article 272 de la L.p.c., le demandeur invoque les articles 6 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne ainsi que l’article 1621 du Code civil du Québec.
- L’article 6 prescrit que toute personne a droit à la jouissance paisible de ses biens. Toute contravention, en cas d’atteinte illicite et intentionnelle, peut mener à une condamnation en dommages-intérêts punitifs.
- Le demandeur allègue ce qui suit à cet égard :
94. Le vol et ses conséquences excèdent largement le cadre d’un « usage normal » (Loi sur la protection du consommateur, article 38) d’un véhicule et sont une atteinte à la « jouissance paisible » d’un tel bien (Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C -12, article 6) ;
95. La conduite des défenderesses depuis plusieurs années constitue une insouciance, une négligence et un écart considérable par rapport à la norme générale de prudence et de diligence vis-à-vis des droits du demandeur et des membres du groupe ;
96. Les défenderesses ont également commis une faute intentionnelle en continuant depuis plusieurs années d’équiper les véhicules d’un système d’accès et de démarrage avec une clé électronique personnelle « key fob » dont elles connaissent ou ne peuvent ignorer le défaut de sécurité, tout en omettant d’en informer les membres du groupe ;
- De nouveau, l’insouciance alléguée, pendant plusieurs années, est, aux yeux du demandeur, un motif pour réclamer des dommages punitifs, ce qui justifie à la seule lecture de la demande d’autorisation et de la preuve déposée à son soutien.
- Le demandeur souhaite que la somme déterminée par le Tribunal à titre de dommages-intérêts punitifs soit versée à « un organisme à but non lucratif de protection des droits des consommateurs dans le domaine automobile, ou à tout autre organisme public ou privé désigné par la cour ».
- Cette somme de dommages à raison de 1 500 $ par véhicule commercialisé aurait pu être attribuée à tous les consommateurs qui se sont procuré un véhicule au cours des trois dernières années, mais ce n’est pas le choix fait par le demandeur.
- Le versement à un organisme spécialisé dans la protection des automobilistes est tout de même une « mesure réparatrice »[89] que le Tribunal peut ordonner.
- La jurisprudence est venue valider cette manière de procéder. Ainsi, le juge Donald Bisson, dans l’affaire Buist c. Rona inc.[90], a rappelé qu’il s’agit d’une mesure réparatrice et que, pour ce faire, l’organisme proposé doit avoir un lien avec la problématique visée par l’action collective.
- Dans l’affaire Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique c. Groupe Volkswagen du Canada inc.[91], le juge Daniel Dumais avait accordé des dommages versés à des projets environnementaux en sol québécois, plutôt que d’indemniser tous les Québécois[92].
- En conséquence, l’action collective est autorisée afin que, si des dommages punitifs étaient accordés, ils pourront être versés à un organisme voué à la protection des automobilistes.
- Finalement, le demandeur recherche une conclusion visant à forcer les défenderesses d’effectuer un rappel des véhicules équipés d’une clé intelligente.
- Le Code de procédure civile permet au Tribunal d’ordonner l’exécution d’une mesure réparatrice appropriée[93].
- Le demandeur lui-même reconnaît que cette conclusion pourrait être limitée aux « véhicules qui s’y prêtent ». Ce n’est pas au stade de l’autorisation qu’il incombe de circonscrire plus avant cette conclusion.
- De quoi dispose le Tribunal pour viser l’industrie automobile de façon générale plutôt que simplement la défenderesse Toyota ?
- Pour chaque défenderesse dans une action collective, comme ici pour Toyota, les faits allégués doivent paraître justifier les conclusions recherchées par le biais d’une « cause d’action minimalement soutenable contre chacun d’entre eux »[94].
- Dans Oratoire, la Cour suprême rappelle cette nécessité en ces mots :
Il incombe au demandeur d’établir l’existence d’une cause défendable contre chacune des entités qu’il poursuit. L’interprétation souple et l’application large des conditions d’autorisation, dont celle de l’art. 575(2) C.p.c., ne vont pas jusqu’à permettre de présumer l’existence d’un élément essentiel à la démonstration d’une cause défendable.[95]
- Comme le rappelle monsieur le juge Jacques J. Lévesque dans Charles c. Boiron Canada inc., « de simples affirmations sans assise factuelle sont insuffisantes pour établir une cause défendable »[96].
- Par ailleurs, un représentant n’a pas nécessairement besoin d’une cause directe contre chaque défenderesse.
- L’article 85[97] du Code de procédure civile exige un intérêt suffisant dans la procédure engagée. Cet article doit être interprété en harmonie avec les autres dispositions relatives aux actions collectives et le principe de proportionnalité.
- La Cour suprême du Canada, dans Banque de Montréal c. Marcotte[98], a reconnu le droit d’un représentant de poursuivre d’autres défendeurs que celui avec lequel il a fait affaire, pour y inclure, par le truchement de la notion de « questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes », des parties défenderesses qui sont dans la même situation :
[43] Rien dans la nature du recours collectif ou dans les critères d’autorisation prévus à l’art. 1003 n’exige une cause d’action directe par le représentant contre chaque défendeur ou un lien de droit entre eux. L’article 1003 C.p.c. appelle l’analyse suivante : Les recours soulèvent-ils des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ? Quelqu’un est-il en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres ? Un nombre suffisant de faits justifient-ils la conclusion recherchée ? Enfin, la situation rend-elle difficile le simple recours joint, prévu à l’art. 67 C.p.c., ou le mandat, prévu à l’art. 59 C.p.c. ? Comme elle l’indique dans l’arrêt Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, notre Cour privilégie une interprétation et une application larges des critères d’autorisation du recours collectif et « la jurisprudence a clairement voulu faciliter l’exercice des recours collectifs comme moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes » (par. 60). L’alinéa 1003 d) exige cependant du représentant qu’il soit « en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres ». Cette disposition confère donc au tribunal le pouvoir de décider si le représentant proposé pourrait assurer une représentation adéquate des membres du groupe à l’égard des défendeurs contre lesquels il n’aurait pas en d’autres circonstances le statut pour poursuivre.
- Le critère de la proportionnalité appuie également une telle démarche inclusive. Il doit d’ailleurs en être tenu compte dans l’appréciation de chacun des 4 critères de l’article 575 C.p.c.[99]
- En effet, il faut éviter que des recours semblables à celui de Monsieur Lacroix ne soient introduits en regard de chacune des défenderesses qui équipent leurs véhicules de clés intelligentes, dont la sécurité est ici remise en doute.
- Quelle est donc la démonstration qui a trait aux autres défenderesses ? Une preuve générale s’applique, sans compter que certaines pièces évoquent tantôt l’une ou l’autre des défenderesses. Mais certainement l’étude de l’ADAC constitue la pièce maîtresse de la demande d’autorisation contre les autres défenderesses.
- L’ADAC e.V. est une association européenne de 21 000 000 de membres automobilistes[100]. C’est un organisme digne de confiance aux fins de l’autorisation d’une action collective.
- Le test de fiabilité des systèmes de clés intelligentes réalisé par l’ADAC[101] répertorie un très grand nombre de modèles étudiés qui peuvent faire l’objet d’une attaque-relais : 598 sur 648. L’étude porte sur la possibilité de les déverrouiller et celle de les faire démarrer. Dans la presque majorité des cas, lorsqu’il est possible de déverrouiller le véhicule, il est aussi possible de le faire démarrer.
- Non seulement de nombreux modèles de la plupart des défenderesses sont analysés, mais il est important de remarquer que les années de fabrication des modèles visés sont diverses, certains remontant à une dizaine d’années. Cela démontre que la technologie des clés intelligentes a été introduite dans le marché par certaines défenderesses et que les autres ont emboîté le pas.
- Il y a des exceptions :
- Un certain nombre de modèles ne sont pas sujets à de telles attaques-relais, soit 50 sur 648 modèles testés ;
- Plus spécifiquement, les véhicules équipés de clés munies de la technologie UWB[102] ne sont pas sujets à de telles attaques ;
- De plus, les clés munies d’un capteur de mouvement ne s’actionnent que lorsque la clé est manipulée. Or, les attaques-relais dont se plaint le demandeur se font quand les clés sont devenues immobiles, accrochées à l’entrée de la maison. En principe, ces clés ne sont pas susceptibles d’être utilisées pour ces attaques-relais.
- En fait, toutes les défenderesses, exception faite de Compagnie General Motors du Canada (GM) et Automobiles Porsche Canada Ltée (Porsche), sont visées par cette étude qui est le pivot de la demande d’autorisation. De façon générale, elles fabriquent des véhicules susceptibles d’être volés par attaques-relais. À noter que, nulle part ailleurs dans la preuve, il n’est question des défenderesses GM et Porsche. Concluons : il n’y a pas quelque démonstration à leur égard.
- Les défenderesses contestent cette étude, car, disent-elles, elle porte sur des véhicules commercialisés sur le marché européen. Cet argument est rejeté. Les véhicules présentés dans cette étude correspondent pour la grande majorité à des modèles qui circulent sur nos routes. Aucune preuve ne permet de prétendre que ce sont des technologies différentes, surtout en ce qui concerne le verrouillage du véhicule et du moteur.
- Il est vrai que la demande d’autorisation ne discute pas de façon spécifique de telle ou telle défenderesse, de tel ou tel modèle, de telle ou telle année, mais cette étude ne manque pas d’analyser plusieurs modèles qu’elles fabriquent.
- Il est aussi vrai que la demande d’autorisation ne fait pas de distinction entre les modèles commercialisés par les défenderesses. Rappelons que le présent dossier ne ressemble pas à une affaire où, par exemple, tel ou tel modèle consomme plus d’essence que celle représentée au consommateur. Ce sont les systèmes de sécurité qui se retrouvent dans leurs véhicules et aucune défenderesse, sauf BMW, n’a fait de distinction entre les modèles commercialisés. Il n’appartient pas au Tribunal à ce stade de discriminer entre les modèles visés par l’étude de l’ADAC et ceux qui n’ont pas été analysés. Les résultats de cette étude ne permettent que d’écarter la technologie UWB et soulèvent des doutes quant aux clés qui se désactivent après un certain temps d’inaction.
- Cette étude qui démontre les failles de sécurité, peu importe la marque, le modèle ou l’année, est le facteur de rattachement qui relie les défenderesses (autres que Toyota) au recours que veut intenter Monsieur Lacroix. Les autres éléments de démonstration, notamment des articles, photos ou vidéos, rattachent aussi tantôt telle ou telle autre défenderesse, mais à eux seuls ces éléments ne sont pas suffisants. En fait, comme dans l’affaire Subaru, le nombre important de véhicules examinés et le résultat probant des failles de sécurité constatées créent un contexte que le Tribunal ne saurait écarter.
- Certains éléments de preuve appropriée permettent d’apporter des nuances face à certaines défenderesses. Nous y reviendrons plus loin.
- Les parties tant en demande qu’en défense ont déposé des statistiques produites par Équité, une organisation formée par les compagnies d’assurance. Le tableau statistique démontre les vols de tel ou tel type de véhicule, année après année. Cet organisme a fourni aux parties un fichier numérique pouvant permettre de produire des tableaux de manière infinie.
- Lors des plaidoiries, chacune des défenderesses a fait remarquer que les véhicules qu’elles fabriquaient apparaissaient peu ou pas dans ce palmarès.
- Le Tribunal accorde peu d’importance à cette preuve qui n’est pas en lien avec les vols par attaque-relais.
- En fait, le Tribunal peut concevoir que tel type de véhicule de telle défenderesse pour telle année soit plus « populaire » auprès des voleurs, non pas à cause des clés intelligentes, mais à cause de la forme, de la force du moteur, de sa couleur, de son confort, bref, de données qui relèvent de la demande du « marché », soit des considérations qui nous éloignent du cœur de la présente affaire.
- De plus, le demandeur a déposé des manuels du propriétaire de nombreux modèles d’automobiles[103] dans lesquels on ne retrouve aucune mise en garde contre les risques que représentent les clés intelligentes.
- Le manuel du propriétaire du modèle Tucson[104] de Hyundai reconnaît que le véhicule est équipé d’une clé intelligente et que les avertissements qui y sont contenus ne traitent pas que les ondes peuvent être captées par attaques-relais :
Avertissements concernant l’utilisation de la clé intelligente
La clé intelligente ne fonctionnera pas dans les situations suivantes :
• Si elle se trouve près d’un émetteur radio, comme près d’une station de radio ou d’un aéroport, car les ondes peuvent interférer avec le fonctionnement normal de la clé intelligente.
• Si elle se trouve près d’une radio CB ou d’un téléphone cellulaire.
• Si la clé intelligente d’un autre véhicule est actionnée en même temps, à une faible distance. Si la clé intelligente ne fonctionne pas correctement, verrouiller et déverrouiller la portière à l’aide de la clé mécanique. Pour tout problème avec la clé intelligente, contacter un concessionnaire HYUNDAI agréé.
Si la clé intelligente se trouve à proximité d’un téléphone cellulaire, le signal pourrait être bloqué par les signaux du téléphone en fonctionnement. [105]
Il se peut que le système ne reconnaisse pas le codage de la clé si une autre clé d’antidémarrage ou un autre objet de métal (c.-à-d. un porte-clés) se trouve près de la clé. Il se peut que le moteur refuse de démarrer, parce que le métal pourrait interrompre la transmission normale du signal du transpondeur.[106]
- Le modèle CR-V de Honda est équipé d’un « système d’entrée intelligente ». De nombreuses mises en garde sont faites dans le manuel[107], mais aucune ne concerne le fait que le signal peut être relayé afin de déverrouiller le véhicule. En voici des exemples :
Les clés contiennent des éléments électroniques de précision.
Adopter les recommandations suivantes afin de prévenir le bris des éléments électroniques :
• Ne pas laisser les clés exposées aux rayons du soleil, ni à des endroits où la température ou le taux d’humidité sont élevés.
• Ne pas laisser tomber les clés ou mettre des objets lourds sur celles-ci.
• Éloigner les clés de tout liquide.
• Ne pas désassembler les clés sauf pour remplacer la pile.
Si les circuits dans les clés sont endommagés, cela peut empêcher le moteur de démarrer et par conséquent la télécommande pourrait ne pas fonctionner.
Faire vérifier les clés par un concessionnaire si elles ne fonctionnent pas correctement.
- Le manuel du propriétaire du modèle Civic de Honda est au même effet. Les textes sont pratiquement les mêmes[108] : les clés intelligentes et le vol n’auraient aucun rapport.
- FCA fabrique notamment les véhicules Jeep comme il appert du manuel du propriétaire du modèle Jeep Wrangler[109], dans lequel les mises en garde en ce qui concerne les clés intelligentes sont absentes :
Votre véhicule est équipé d’un porte-clés qui prend en charge le système Passive Entry, le système Remote Keyless Entry (RKE), le système Keyless Enter-N-Go (selon l’équipement) et le démarrage à distance (selon l’équipement). Le porte-clés vous permet de verrouiller ou déverrouiller les portes et le hayon basculant à des distances allant jusqu’à environ 20 m (66 pieds). Il n’est pas nécessaire de pointer le porte-clés vers le véhicule pour activer le système.
- Mercedes, dans le cadre de l’autorisation donnée pour la production d’une preuve appropriée, a déposé des manuels du propriétaire d’un grand nombre de modèles qu’elle fabrique. Aucune mise en garde n’est faite quant aux clés intelligentes dont le signal pourrait être capté. Des commentaires spécifiques quant à cette défenderesse sont toutefois formulés plus loin dans ce jugement.
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- En conclusion, le constat est le même pour ces défenderesses : aucune de ces 4 défenderesses, ni Toyota, ne met en garde le consommateur que les signaux des clés intelligentes peuvent être captés, pour être relayés afin d’en faciliter le vol.
- Qu’en est-il des autres défenderesses eu égard au manquement à l’obligation d’information et dont le demandeur ne dépose pas copie des manuels du propriétaire ?
- Contrairement à l’étude de l’ADAC qui suscite une forme de démonstration que les clés intelligentes peuvent mener, par attaques-relais, au déverrouillage et au démarrage des véhicules fabriqués par la majorité des défenderesses, le Tribunal fait face à une absence de preuve à cet égard.
- Bref, seules les défenderesses pour lesquels des manuels du propriétaire ont été déposés seront susceptibles d’engager leur responsabilité pour défaut d’information au sens de l’article 278 de la L.p.c. Les autres défenderesses sont exclues de cette portion de la réclamation.
- Rappelons que les défenderesses commercialisent de façon générale des véhicules équipés de clés intelligentes. Seuls certains modèles de certaines défenderesses sont peut-être équipés de clés traditionnelles avec pour conséquence que leurs propriétaires ne sont pas membres du groupe.
- Tel qu’autorisé par le Tribunal, certaines défenderesses ont administré une preuve appropriée et il convient d’en disposer avant de conclure.
- Subaru a produit la déclaration sous serment d’une de ses gestionnaires, Madame Sadiyya Edoo. Cette déclaration indique que Subaru a commencé à équiper ses véhicules d’une clé intelligente en 2013. Encore aujourd’hui, ce ne sont pas tous les véhicules commercialisés par Subaru qui sont équipés de clés intelligentes.
- Ce témoin a également produit un tableau interactif démontrant les vols de véhicules par année et par modèle. Le nombre de vols semble relativement peu élevé depuis plusieurs années et même que les statistiques seraient à l’effet que les véhicules avec une clé conventionnelle seraient plus susceptibles de vols que les véhicules avec des clés intelligentes.
- Avec respect, aux yeux du Tribunal, les statistiques de vols ne sont pas un indicateur fiable justifiant ou non le fondement du recours de demandeur.
- Subaru insiste sur le fait que le demandeur n’a pas réalisé de recherche particulière à son égard. En fait, ce qui rattache Subaru est l’étude de l’ADAC qui réfère à des modèles Subaru qui ont été déverrouillés et mis en marche par attaque-relais.
- Le nombre de clients de Subaru ne serait pas significatif, prétend-elle. Pour soutenir sa thèse, elle réfère à des décisions de rejet d’une action collective d’un groupe minime. Quant aux véhicules Subaru, le seul tableau produit permet d’identifier, au bas mot, une vingtaine de clients qui se seraient fait voler des véhicules fabriqués après 2020.
- Puisque, d’après l’étude de l’ADAC, ce sont les mêmes clés intelligentes qui sont utilisées pour tous les véhicules fabriqués par l’industrie automobile (sauf celles dotées de la technologie UWB), le nombre de vols totaux est élevé et justifie une action collective.
- Mercedes a produit une preuve appropriée qui démontre essentiellement ce qui suit :
- Dans les manuels du propriétaire des véhicules produits par cette défenderesse, il est expliqué comment l’on peut désactiver et réactiver les clés intelligentes de leurs véhicules ;
- Une clé intelligente désactivée n’émet aucun signal qui puisse être reproduit ;
- Le port OBD est conçu de manière à éviter les vols par effraction dans le véhicule ;
- Leurs véhicules sont équipés de systèmes de géolocalisation en cas de vols ;
- 19 des 41 véhicules produits par Mercedes ne sont pas considérés par l’étude de l’ADAC comme pouvant faire l’objet d’une attaque-relais ;
- Les modèles E200 sont équipés de la technologie UWB ;
- La technologie de la désactivation automatique des clés est introduite sur certains modèles en 2018 et sur tous les modèles depuis 2019. Depuis ce temps, tous les véhicules Mercedes sont équipés d’une technologie qui désactivent le signal après 2 minutes d’inactivité;
- Mercedes n’a reçu aucune plainte de clients qui auraient été victimes d’attaques-relais.
- De plus, l’interrogatoire du demandeur confirme qu’il n’a pas personnellement vérifié s’il était possible de voler un véhicule de marque Mercedes par le biais d’un port OBD, pas plus qu’il n’a pris connaissance des manuels du propriétaire des véhicules fabriqués par Mercedes.
- La désactivation (manuelle par un consommateur) de la clé pour la rendre invisible aux voleurs n’est pas recommandée pour faire face à de possibles attaques-relais. Ce moyen est rejeté.
- Le Tribunal retient toutefois que la technologie UWB est sécuritaire. Cela vise un certain nombre de véhicules que Mercedes produit.
- Qu’en est-il des modèles dans lesquels la technologie UWB n’a pas été intégrée?
- Les clés de tous les modèles produits par Mercedes depuis 2019 se désactivent automatiquement après 2 minutes d’inactivité. En fait, il y a une période de deux minutes au cours de laquelle la clé déposée par le consommateur à l’entrée d’une résidence pourrait faire l’objet d’une attaque-relais, après quoi elle n’émet plus de signal. Il est concevable que les vols ne se réalisent pas dans les deux minutes qui suivent l’entrée d’une propriétaire dans sa maison. Ce n’est pas le genre de crime mis en preuve par le demandeur.
- À cause de ce qui précède, la démonstration d’une faute commise par Mercedes dans le cadre de la présente action collective ne convainc pas le Tribunal que l’action collective doive être autorisée contre cette dernière.
- Par conséquent, l’absence d’indication d’une faille de sécurité dans le manuel du propriétaire de Mercedes ne justifie pas à elle seule d’autoriser le recours contre cette dernière.
- BMW a produit la déclaration sous serment de Monsieur Cristian Rusu qui fait état des efforts faits pour intégrer le plus possible des mesures innovantes technologiques pour réduire les vols des véhicules fabriqués :
- Depuis 2019, tous les nouveaux modèles sont équipés de clés avec capteur de mouvement. Comme pour Mercedes, après 2 minutes d’inactivité, la clé tombe en veille et n’émet plus de signaux ;
- Pour émettre de nouveau des signaux, elle doit être manipulée, ce qui n’est évidemment pas le cas lorsque les attaques-relais ont lieu ;
- De plus, en 2021, BMW a intégré « progressivement » la technologie UWB dans ses clés, technologie que l’étude de l’ADAC associe à un système qui résiste aux attaques-relais.
- À cet égard, d’après cette déclaration, le fait que les clés intelligentes soient, depuis 2019, équipées d’un système de mise en veille, rend impossibles les attaques-relais.
- D’ailleurs, ce fabricant semble avoir demandé à l’ADAC d’intégrer dans son étude une déclaration qui fait état des efforts qu’il réalise :
Depuis mars 2018, une nouvelle génération de télécommandes radio est disponible pour augmenter la sécurité antivol des véhicules équipés de la fonction "ouverture confort". La sécurité est accrue par le fait que la télécommande se désactive après deux minutes en position de repos et n’est donc plus vulnérable à l’extension des ondes radio.
Nous avons progressivement introduit les radiocommandes en série sur les modèles BMW Série 5, Série 6, Série 7, Série 8, X3, X4, X5, i3 et i8 ainsi que sur les nouvelles générations de modèles des Séries 3 et Z4.
Depuis le printemps 2019, les dérivés X1, X2, Série 2 Active Tourer, Série 2 Gran Tourer et les modèles MINI sont également équipés de la nouvelle télécommande radio.
Pour les véhicules produits avant la production en série de la nouvelle télécommande radio, BMW propose un équipement ultérieur pour les séries 5, 6, 7, X3, X4 (série G), X1, X2, Série 2 Active Tourer, Série 2 Gran Tourer, Mini (série F) et les dérivés i3 et i8 sur le marché.
De plus, les modèles X5 (F15) et X6 (F16) peuvent être mis à jour et ainsi bénéficier des développements techniques dans le secteur de la sécurité. Avec une telle mise à jour, toutes les clés numériques du client sont remplacées par de nouvelles. Les anciennes clés seront désactivées.
De plus, le véhicule est reprogrammé et recodé. Cela nécessite un séjour en atelier d’environ une journée. BMW prend en charge 70 % du coût des nouvelles clés. Les 30 % restants reviennent au client. Ce prix varie selon le type de clé.
De plus, le client doit débourser environ 150 euros pour effectuer les modifications logicielles sur le véhicule […]
- Dans sa procédure en demande d’autorisation, le demandeur reconnaît les efforts faits par BMW.
- Une analyse pointue de l’étude de l’ADAC permet de constater que, à cause des clés munies d’un détecteur de mouvement et de la technologie UWB, il n’y a pratiquement plus de vol de voitures récentes.
- En fait, il subsiste un angle couvert par la demande d’autorisation qui vise les véhicules BMW : comme pour Mercedes, les véhicules fabriqués avant 2018 pourraient avoir été volés au Québec à compter du 2 mai 2021. Le Tribunal estime que cette situation est marginale.
- Vu ce qui précède, le Tribunal n’estime pas que l’action collective devrait être autorisée contre BMW.
- Dans l’étude de l’ADAC, les statistiques démontrent que les véhicules Jaguar et Land Rover, tous équipés de la technologie UWB, ne peuvent être déverrouillés et mis en marche.
- Cette défenderesse est écartée du recours.
- Le syllogisme juridique du demandeur peut se résumer ainsi. La sécurité des véhicules doit être à la hauteur des facilités offertes aux clients des fabricants automobiles. Or, les fabricants automobiles savaient ou auraient dû savoir que, depuis quelques années, les systèmes de verrouillage des véhicules qu’ils fabriquent sont sujets à des failles de sécurité qui les rendent vulnérables au vol. Les signaux des clés intelligentes peuvent être relayés ou les ports OBD peuvent être utilisés pour le faire démarrer et s’enfuir avec un véhicule. Cette faille de sécurité facilite les vols et c’est une faute contributoire. Ne pas avoir corrigé la situation constitue une faute pour laquelle les défenderesses doivent compenser pour les dommages causés.
- Rappelons que s’il subsiste le moindre doute, le demandeur doit bénéficier de ce doute puisque les tribunaux « devraient pécher par excès de prudence et autoriser l’action en cas de doute quant au respect de la norme »[110].
- En conclusion, à la lumière de la jurisprudence large et libérale quant à l’autorisation d’une action collective, les faits allégués par Monsieur Lacroix paraissent justifier les conclusions recherchées.
- Pour contenir la portée de cette autorisation à ce qui est nécessaire, puisque le demandeur a lui-même administré la preuve que la technologie UWB ne permet pas les attaques-relais, le présent jugement exclut de l’autorisation tous les véhicules dont les clés sont munies de cette technologie.
- Les questions communes proposées par le demandeur sont les suivantes :
a) Les défenderesses ont-elles commis une faute en équipant leurs véhicules d’une technologie qui rend ces véhicules particulièrement vulnérables au vol ?
b) Les défenderesses ont-elles manqué à leur obligation en vertu de I‘article 228 de la Loi sur la protection du consommateur (RLRQ, c. P- 40.1) de porter à I‘attention des membres du groupe tout fait important, notamment la possibilité de capter et relayer le signal de la clé électronique personnelle vers un autre dispositif permettant de déverrouiller et démarrer le véhicule ?
c) Les défenderesses ont-elles commis une atteinte illicite et intentionnelle au droit à I'information et à la paisible jouissance du demandeur et des membres du groupe sur leur bien, en continuant d’équiper les véhicules d’une technologie dont elles connaissent ou dont elles ne peuvent ignorer le défaut de sécurité qui les rend vulnérables aux attaques par relais et par accès au port OBD ?
d) Les défenderesses ont-elles manqué à leur obligation de mettre en œuvre des mesures de sécurité raisonnables et suffisantes pour sécuriser le système d’accès et de démarrage avec une clé électronique personnelle « key fob » ?
e) Les défenderesses ont-elles manqué à leur obligation édictée à I‘article 38 de la Loi sur la protection du consommateur ?
f) Les défenderesses sont-elles responsables par leur faute contributoire au vol des véhicules ?
g) Un montant forfaitaire de mille cinq cents dollars (1 500 $) à chaque membre du groupe, sauf à parfaire, est-il approprié à titre de dommages et intérêts compensatoires ?
h) Quel est le montant approprié des dommages-intérêts punitifs à recouvrer de chaque défenderesse ? Une somme de mille cinq cents dollars (1 500 $) par véhicule commercialisé au courant des trois (3) dernières années à compter des présentes assurerait-elle la fonction préventive poursuivie par le législateur ?
- Voyons d’abord la règle. Pour autoriser une action collective, les membres d’un groupe doivent minimalement partager une question commune qui règle une partie non négligeable du litige. La jurisprudence de la Cour suprême rappelle à cet égard que les questions communes n’ont pas à être prépondérantes par rapport aux questions individuelles[111].
- De même, il n’est pas nécessaire que chaque membre du groupe possède une cause d’action personnelle contre chacun des défendeurs, mais que le groupe soit suffisamment nombreux :
[77] Le requérant devra aussi démontrer que même s’il n’a pas une cause d’action personnelle contre certains défendeurs, il existe un nombre suffisant de personnes dans le groupe qu’il propose qui l’auront si le recours est accueilli sur le fond ([art. 1003c] C.p.c.). Le/la juge doit aussi s’assurer de l’existence de questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes à l’égard de tous les défendeurs recherchés ([art. 1003a] C. p.c.).[112]
- Dans le présent dossier, quant au nombre nécessaire de membres, vu le nombre de vols rapportés, il ne fait pas de doute que le recours, s’il était accueilli, viserait un grand nombre de personnes. De manière générale, les défenderesses manufacturent des véhicules, dont plusieurs modèles avec des clés intelligentes. Des relevés statistiques ont été produits sur la « popularité » des vols de certains modèles. Plusieurs défenderesses ont insisté pour démontrer que les modèles qu’elles fabriquent ne figurent pas au palmarès des 10 véhicules les plus volés. Il n’en demeure pas moins que, dès qu’elles vendent des véhicules avec des clés intelligentes (sauf celles dotées de la technologie UWB), elles sont susceptibles de mettre à risque les véhicules de leurs clients, c’est du moins la prétention du demandeur.
- La multiplication des modèles à chaque année de chaque défenderesse. Les défenderesses insistent sur le fait que l’action collective ne devrait pas être autorisée, car, si c’est le cas, les technologies des clés intelligentes auraient possiblement évolué suivant les modèles, les années de chaque modèle et pour chacune des défenderesses. L’audition deviendrait ingérable.
- La défenderesse Toyota est d’avis que, se fondant sur le jugement dans Dufresne c. Ville de Montréal[113], il y aurait plusieurs types de faute, ce qui rendrait la demande d’action collective irrecevable.
- Avec respect, contrairement à cette affaire où plusieurs réseaux d’aqueduc différents étaient gérés par la Ville de Montréal et qu’une action collective aurait été plus appropriée pour chacun de ses réseaux, dans le présent dossier, il n’existerait que trois technologies[114] bien connues et intégrées aux clés intelligentes, ce qui n’est pas énorme, et deux de ces trois technologies faciliteraient le vol. Comme l’étude de l’ADAC écarte la technologie UWB, avec les deux autres technologies, le résultat serait le même : les vols par attaque-relais sont possibles. Et si la technologie a autant évolué en 10 ans comme le prétendent les défenderesses avec des modèles de plus en plus performants en matière de sécurité, comment se fait-il que, au moins douze ans après l’introduction des clés intelligentes, les vols par attaque-relais semblent demeurer aussi faciles à exécuter ? Il s’agit probablement de la question la plus cruciale de ce dossier.
- Au demeurant, il est vrai que les études déposées au dossier pour justifier l’autorisation démontrent qu’il existerait deux technologies qui ne résistent pas aux attaques-relais et que les défenderesses insistent sur le fait qu’au mérite, ces technologies — et peut-être d’autres qui n’ont pas été mises en preuve — risquent de transformer l’audition au mérite en dédales sans fond. Rappelons ceci : les défenderesses font face à une obligation de garantie dont le résultat est le même : un vol de véhicules apparemment facilité. Ce n’est pas telle ou telle technologie de la clé qui est mise en cause, mais les conséquences de la clé en quelque sorte défectueuse au niveau de la sécurité, peu importe sa technologie[115]. Qu’il y en ait deux ou trois technologies différentes importe peu si le résultat est le même :
[437] Ce fardeau résulte de la nature même de l’article 53 L.p.c., qui établit, on le sait, une obligation de garantie : garantie de qualité, dans son premier alinéa, et, par extension (« il en est ainsi/the same rule applies, dit le second alinéa), garantie de sécurité. Or, en principe, le créancier d’une obligation de garantie n’a qu’à établir le défaut de résultat (preuve que le débiteur peut bien entendu tenter de contredire), sans se soucier d’en établir la source ou l’origine. En outre, une fois le défaut prouvé (c’est-à-dire les conditions de l’enclenchement de la garantie établies), le débiteur de l’obligation dispose d’un unique moyen de défense, qui consiste à démontrer que le « manquement obligationnel n’en est pas un, qu’il “se situe complètement en dehors du champ de l’obligation assumée” ». Transposé à l’article 53 al. 2 L.p.c., ce principe signifie que le consommateur qui poursuit le fabricant doit prouver l’existence du danger que présente le bien, preuve que le fabricant peut évidemment contredire. Lorsque le défaut de sécurité (c’est-à-dire le danger ou le risque) est établi, cependant, il y a, naturellement, renversement du fardeau de preuve. C’est alors le fabricant qui doit démontrer que le danger était apparent ou encore qu’il était connu du consommateur ou ne pouvait être ignoré.[116]
- Un recours limité aux véhicules volés au cours des 3 dernières années. Les défenderesses voudraient, sans une preuve appropriée qui écarte leur responsabilité, emmener le débat sur l’évolution des techniques de vol. Peut-être que les techniques de vol se sont raffinées avec le temps; la preuve au mérite le démontrera. Rappelons que la demande d’autorisation ne vise que les véhicules volés au cours des 3 dernières années. C’est dire que, si ces techniques se sont raffinées, les défenderesses voudront peut-être administrer une preuve qui démontre qu’elles ont déployé les efforts pour raffiner elles aussi les mesures de sécurité mises en place pour protéger les véhicules. Mais cela ne regarde pas le juge responsable de l’autorisation.
- Une question qui n’en est peut-être pas une. Les défenderesses soulèvent le fait que la technologie aurait beaucoup évolué et qu’il serait difficile d’arrêter dans le temps la technologie que chacune aurait utilisée en parallèle avec la technologie constamment évolutive que les voleurs auraient pour leur part utilisée. Conséquemment, d’après les défenderesses, il ne pourrait peut-être pas y avoir de question commune sur cet enjeu central. Le Tribunal se permet de rappeler ceci :
[430] (…) Le fabricant est donc assujetti à une règle très sévère (qui participe d’ailleurs à la qualification de « garantie » rattachée à l’article 53 L.p.c.) et, à la différence du droit commun, il n’est pas admis à s’excuser de son ignorance en faisant valoir que les connaissances scientifiques ou techniques à l’époque de la mise en marché (ou même subséquemment) ne lui permettaient pas de détecter le danger en question (ou le vice, la même règle s’appliquant dans ce cas) : la défense du « risque de développement » qu’envisagent l’article 1473 al. 2 et, possiblement, le droit prétorien antérieur ne peut être opposé au recours fondé sur l’article 53 L.p.c..[117]
- Cet argument ne convainc pas le Tribunal d’une difficulté insurmontable à l’égard de cette question centrale.
- Une commission d’enquête. Il est reconnu par la jurisprudence qu’une action collective ne doit pas prendre l’allure d’une commission d’enquête sur un pan de l’industrie. Ainsi l’a rappelé la Cour d’appel — et le soussigné de manière préventive dans le jugement sur la preuve appropriée[118] — dans l’affaire Tessier c. Economical, compagnie mutuelle d’assurance[119], le forum d’une action collective ne doit pas devenir une commission d’enquête :
[79] Selon les intimées, le recours que l’appelant souhaite leur intenter a tout d’une commission d’enquête, ce qui n’est pas le rôle de ce véhicule procédural qu’est l’action collective. Elles n’ont pas tort et je serais moi-même tentée de voir dans l’action qu’envisage l’appelant une vaste « expédition de pêche », qui servirait à établir le fondement d’une réclamation qui en est dépourvue. Or, les actions collectives, pas plus que les actions individuelles, n’ont cette vocation et ne peuvent être autorisées à cette fin. Même en appliquant l’art. 575 C.p.c. de la manière la plus libérale et généreuse possible, dans la perspective d’un filtrage léger, la demande de l’appelant ne passe pas l’épreuve.
(notre soulignement)
- Dans cette affaire Tessier c. Economical, les faits n’étaient qu’un « échafaudage d’hypothèses et de suppositions ». Contrairement à cette dernière, dans le présent dossier, l’analyse de la preuve permet d’identifier une cause d’action apparemment valable qui franchit avec succès le filtre de la demande d’autorisation.
- Deux méthodes de vols complémentaires ? Les défenderesses soulèvent que l’on ne connaît pas les méthodes de vols employées en regard des autres membres du groupe. D’après elles, ne sachant pas comment le vol s’est produit, il serait donc impossible de les indemniser pour des attaques-relais et non pour des vols avec effraction. Avec respect, comme pour le demandeur, les règles de la présomption pourront s’appliquer si le Tribunal, au mérite, jugeait qu’il y a responsabilité de la part des défenderesses. Il resterait alors à définir la preuve que les membres devraient avancer pour réclamer une indemnité. Tout cela relève du juge du mérite.
- Comme le suggère le demandeur, les principales questions communes auront trait : 1) à la relative facilité de copier les signaux des clés en fonction de la technologie propre, lesquelles ne seraient qu’au nombre de deux, 2) au fait que cette faille de sécurité possible soit connue depuis un certain temps, 3) aux mesures prises par les défenderesses pour atténuer le risque de vol, 4) à la causalité entre la faute et les dommages causés aux membres, 5) le quantum des dommages des membres du groupe, 6) la nécessité de condamner à des dommages-intérêts punitifs et finalement 7) à une conclusion possible imposant aux défenderesses de modifier les mesures de sécurité reliées aux clés intelligentes. Pour certaines défenderesses, le manquement à l’obligation d’information génère une question spécifique.
- Les questions soumises par le demandeur sont légèrement modifiées dans les conclusions de ce jugement. Voici comment et pourquoi.
- La question a) mérite d’être ainsi précisée.
- Les défenderesses ont-elles commis une faute en équipant leurs véhicules de clés intelligentes (munies d’une technologie autre qu’UWB) et en donnant accès au port OBD, rendant ainsi les véhicules plus vulnérables au vol ?
- La question d) n’a pas besoin d’être retenue compte tenu de cette réécriture.
- Dans l’ordre, il est préférable de discuter de la question e) ainsi revue.
e) Les défenderesses ont-elles manqué à leur obligation édictée à l’article 37 de la Loi sur la protection du consommateur ?
- Vu le fait que les vols de véhicules sont l’œuvre de voleurs, la responsabilité des défenderesses devrait être alors discutée.
f) Les défenderesses sont-elles responsables par leur faute contributoire de la perte du véhicule ?
- La question c) est le passage obligé pour réclamer des dommages punitifs réclamés. Le comportement des défenderesses, vraisemblablement informées depuis un certain temps de la faille de sécurité des clés intelligentes, peut-il équivaloir à une « atteinte illicite et intentionnelle » au droit garantissant « la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens » ?
c) Les défenderesses ont-elles commis une atteinte illicite et intentionnelle au droit à la paisible jouissance d’un bien par le demandeur ou des membres du groupe, en continuant d’équiper les véhicules d’une technologie dont elles connaissent ou dont elles ne peuvent ignorer le défaut de sécurité qui les rend vulnérables au vol ?
- Les questions relatives aux dommages méritent quelques modifications :
g) Un montant forfaitaire de mille cinq cents dollars (1 500 $) à chaque membre du groupe, sauf à parfaire, est-il approprié à titre de dommages et intérêts compensatoires ?
h) Un montant de mille cinq cents dollars (1 500 $) par véhicule commercialisé depuis le 2 mai 2021 par chaque défenderesse est-il approprié à titre de dommages-intérêts punitifs payable à un organisme voué à la défense des automobilistes ?
- Quant à la question b) qui traite du devoir d’information quant à un fait important, celle-ci doit être limitée aux défenderesses pour lesquelles le Tribunal dispose d’une démonstration que le manuel du propriétaire ne fait aucune mise en garde en regard de la faille de sécurité possible des clés intelligentes. Ce faisant, une question supplémentaire doit être formulée :
Les défenderesses Toyota Canada inc., Hyundai Auto Canada corp., Honda Canada inc. et FCA Canada inc. ont-elles manqué à leur obligation en vertu de l’article 228 de la Loi sur la protection du consommateur, en ne prévenant pas leurs clients de la possibilité de capter et relayer le signal de la clé intelligente vers un autre dispositif permettant de déverrouiller et démarrer le véhicule ?
- Lors de l’audition au mérite, si la réponse à cette dernière question est positive, le dommage total par membre pourrait être différent, auquel cas le juge pourrait créer une catégorie de dommages spécifique.
- L’exécution d’une mesure réparatrice appropriée fait partie des conclusions qu’un Tribunal peut rendre. C’est le genre de conclusion recherchée par le demandeur. Il y a lieu de traduire la conclusion recherchée par une question que le Tribunal aura à trancher :
Est-il approprié de rendre une ordonnance envers les défenderesses de procéder à un rappel de leurs véhicules pour corriger la faille de sécurité?
- Dans sa procédure, le demandeur demande d’être reconnu comme le représentant du groupe qu’il décrit de la façon suivante :
Toute personne physique, consommatrice au sens de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, domiciliée ou résidant au Québec, victime du vol d’un ou de plusieurs véhicules équipés d’un système d’accès et de démarrage avec une clé électronique personnelle « key fob », fabriqués ou importés et commercialisés au Québec par I'une des défenderesses, dans les trois (3) dernières années à compter de la date du dépôt de la demande d’autorisation d’exercer une action collective
- À la veille de l’audience sur la demande d’autorisation, les avocats du représentant se sont rendu compte qu’il manquait une virgule dans la définition du groupe proposée, sans laquelle à l’évidence Monsieur Turcotte ne ferait même pas partie du groupe. Ils ont donc proposé, séance tenante, d’ajouter la virgule entre les mots « années » et « à », ce qui changerait le sens du groupe, savoir de regrouper les personnes dont les véhicules ont été volés au cours des 3 dernières années, plutôt que les véhicules vendus (et volés) au cours des 3 dernières années. Lors de l’audience, le Tribunal a autorisé l’amendement.
- Pour éviter toute confusion, vu ce débat de sémantique, les avocats du demandeur ont suggéré un nouveau texte. À ce texte, le Tribunal y intègre la réserve reliée à la technologie UWB :
Toute personne physique, consommatrice au sens de la L.p.c., domiciliée ou résidant au Québec, victime du vol, d’un ou de plusieurs véhicules à compter du 2 mai 2021 équipés d’un système d’accès et de démarrage avec une clé électronique personnelle « key fob » (exception faite de celle dotée de la technologie Ultra-Wide Band), et fabriqués ou importés et commercialisés au Québec par l’une des défenderesses.
- Quelles sont les qualités attendues d’une personne qui désire devenir représentant d’un groupe dans le cadre d’une action collective ?
- Les défenderesses n’admettent pas d’emblée les qualités du demandeur.
- D’abord, la personne doit être membre du groupe et avoir l’intérêt à poursuivre. De fait, Monsieur Lacroix est un consommateur bénéficiant des droits découlant de la Loi sur la protection du consommateur. Il s’est présumément fait voler son véhicule par attaques-relais.
- Ensuite, le représentant doit être en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres. Or, Monsieur Lacroix est un ingénieur à la retraite et le Tribunal n’a pas de raison de douter de ses compétences et de sa probité.
- Le représentant doit aussi être à l’abri des conflits d’intérêts[120] ; il ne doit pas être tiraillé ou paraître l’être entre deux intérêts différents. Monsieur Lacroix n’est pas en conflit d’intérêts.
- Bref, Monsieur Lacroix sera le représentant dans l’action collective autorisée par le Tribunal.
- La demande d’autorisation est accueillie avec frais, comprenant les frais de publication de l’avis. Comme il fut décidé dans J.S. c. Sœurs de la Charité de Québec[121], la publication de l’avis fait partie des frais de justice rattachés au jugement qui autorise l’exercice de l’action collective.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande pour autorisation d’exercer une action collective contre les défenderesses suivantes : TOYOTA CANADA INC., HONDA CANADA INC., HYUNDAI AUTO CANADA CORP., NISSAN CANADA INC., MAZDA CANADA INC., FCA CANADA INC., FORD DU CANADA LIMITÉE, AUDI CANADA INC., KIA CANADA INC., VENTES DE VEHICULES MITSUBISHI DU CANADA, INC., SUBARU CANADA, INC., GROUPE VOLKSWAGEN CANADA INC. et AUTOMOBILE VOLVO CANADA LIMITÉE ;
- REJETTE sans frais la demande d’autorisation de l’action collective contre AUTOMOBILES PORSCHE CANADA, LTÉE, JAGUAR LAND ROVER CANADA ULC, MERCEDES-BENZ CANADA INC., BMW CANADA INC. et COMPAGNIE GENERAL MOTORS DU CANADA ;
- AUTORISE l’exercice de l’action collective suivante :
Une action collective en dommages-intérêts et dommages-intérêts punitifs contre les défenderesses afin de sanctionner le fait que les clés électroniques des véhicules commercialisés depuis le 2 mai 2021 (exception faite de celles dotées de la technologie Ultra-Wide Band) ont fait ou pourraient faire l’objet d’attaques-relais et que, à la suite de l’introduction d’un voleur, leur port OBD pourrait faciliter le démarrage du véhicule et la programmation de nouvelles clés;
- ATTRIBUE à André Lacroix le statut de représentant aux fins d’exercer l’action collective envisagée pour le compte du groupe suivant :
Toute personne physique, consommatrice au sens de la Loi sur la protection du consommateur, domiciliée ou résidant au Québec, victime du vol, d’un ou de plusieurs véhicules à compter du 2 mai 2021 équipés d’un système d’accès et de démarrage avec une clé électronique personnelle « key fob » (exception faite de celle dotée de la technologie Ultra-Wide Band), et fabriqués ou importés et commercialisés au Québec par l’une des défenderesses. »
- IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait et de droits qui seront traités collectivement :
- Les défenderesses ont-elles commis une faute en équipant leurs véhicules de clés intelligentes (munies d’une technologie autre que UWB) et en donnant accès au port OBD, rendant ainsi les véhicules plus vulnérables au vol ?
- Les défenderesses ont-elles manqué à leur obligation édictée à l’article 37 de la Loi sur la protection du consommateur ?
- Les défenderesses sont-elles responsables par leur faute contributoire de la perte des véhicules ?
- Les défenderesses ont-elles commis une atteinte illicite et intentionnelle au droit à la paisible jouissance d’un bien par le demandeur ou des membres du groupe, en continuant d’équiper les véhicules d’une technologie dont elles connaissent ou dont elles ne peuvent ignorer le défaut de sécurité qui les rend vulnérables au vol ?
- Un montant forfaitaire de mille cinq cents dollars (1 500 $) à chaque membre du groupe, sauf à parfaire, est-il approprié à titre de dommages et intérêts compensatoires ?
- Un montant de mille cinq cents dollars (1 500 $) par véhicule commercialisé depuis le 2 mai 2021 par chaque défenderesse est-il approprié à titre de dommages-intérêts punitifs pour être versée à un organisme voué à la défense des automobilistes ?
- Est-il approprié d’ordonner aux défenderesses d’effectuer un rappel pour rendre sécuritaire les dispositifs permettant de verrouiller et de démarrer un véhicule?
- Les défenderesses Toyota Canada inc., Hyundai Auto Canada corp., Honda Canada inc., et FCA Canada inc ont-elles manqué à leur obligation en vertu de l’article 228 de la Loi sur la protection du consommateur, en ne prévenant pas leurs clients de la possibilité de capter et relayer le signal de la clé intelligente vers un autre dispositif permettant de déverrouiller et démarrer le véhicule ? Si oui, quels sont les dommages qui devraient être accordés ?
- IDENTIFIE comme suit les principales conclusions recherchées de l’action collective :
CONDAMNER chacune des défenderesses à indemniser les membres du groupe pour le vol de leurs véhicules, à hauteur de mille cinq cents dollars (1 500 $) sauf à parfaire, plus les intérêts depuis les présentes au taux légal et I'indemnité additionnelle du C.c.Q. ;
ORDONNER le recouvrement individuel de ces indemnités ;
CONDAMNER en outre chacune des défenderesses à payer des dommages-intérêts punitifs à hauteur de mille cinq cents dollars (1 500 $) par véhicule commercialisé au Québec depuis trois ans des présentes, avec intérêts et I'indemnité additionnelle depuis le jugement à intervenir, à l’exclusion des véhicules équipés de la technologie UWB ;
ORDONNER le versement des montants obtenus à titre de dommages punitifs à un organisme à but non lucratif de protection des droits des consommateurs dans le domaine automobile, ou à tout autre organisme public ou privé désigné par la cour et qui intervient dans la lutte contre le vol de véhicules ;
ORDONNER aux défenderesses d’effectuer un rappel afin de faire une mise à jour du système d’accès et de démarrage des véhicules pour les rendre sécuritaires face aux attaques-relais ;
RENDRE toute autre ordonnance jugée nécessaire ;
LE TOUT avec les frais de justice, incluant les frais pour l’administration des réclamations, les frais d’expert et d’expertises et la publication des avis ;
- DÉCLARE que le jugement à intervenir devra, le cas échéant, encadrer la preuve nécessaire pour qu’un membre puisse réclamer pour le vol de son véhicule ;
- IDENTIFIE comme suit la question particulière à être traitée individuellement :
Quel est le montant des dommages subis par chacun des membres ?
- DÉCLARE qu’à moins de s’être exclus de la présente action collective dans les 60 jours de l’avis aux membres, les membres du groupe seront liés par tout jugement à intervenir dans la présente action collective ;
- ORDONNE la publication d’un avis aux membres à être déterminé par le Tribunal et convient les parties à une audience portant sur les modalités de cet avis suivant l’article 579 C.p.c. incluant toute question éventuelle portant sur les frais de publication des avis aux membres, à une date à être fixée après consultation des parties ;
- DÉCLARE que l’action sera entendue dans le district judiciaire de Québec ;
- LE TOUT, avec les frais de justice, y compris les frais de publication des avis et les débours du représentant, contre les défenderesses contre qui la présente autorisation est obtenue.
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| __________________________________ CLÉMENT SAMSON, j.c.s. |
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Me Éric Bouchard / Me Elhadji Madiara Niang / Me Jean Rhéaume / Me Rose-Marie Fillion |
Bouchard + Avocats ericbouchard@bouchardavocats.com elhadjiniang@bouchardavocats.com jeanrheaume@bouchardavocats.com rosemariefillion@bouchardavocats.com |
Avocats du demandeur |
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Me Guillaume Boudreau-Simard / Me Julien Demers Poitras / Me Celis Kak |
Stikeman Elliot gboudreausimard@stikeman.com jdemerspoitras@stikeman.com |
Avocats de Toyota Canada inc. |
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Me Margaret Weltrowska / Me Érica Shadeed |
Dentons Canada margaret.weltrowska@dentons.com erica.shadeed@dentons.com |
Avocats de Hyundai Auto Canada Corp. et Kia Canada inc. |
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Me Alexis Leray |
Borden Ladner Gervais aleray@blg.com |
Avocats de Mazda Canada inc. |
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Me Patrick Plante / Me Antoine Gamache |
Borden Ladner Gervais pplante@blg.com agamache@blg.com |
Avocats de FCA Canada inc. |
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Me Alexandra Hébert |
Torys Law Firm LLP amerminod@torys.com ahebert@torys.com |
Avocats de Audi Canada inc., Groupe Volkswagen Canada inc. et Automobiles Porsche Canada Ltée |
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Me Gabriel D’Addona |
Gowling WLG guy.poitras@gowlingwlg.com gabriel.daddona@gowlingwlg.com |
Avocats de Jaguar Land Rover Canada ULC |
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Me Laurent Nahmiash / Me Josée Cavalancia |
INF lnahmiash@infavocats.com jcavalancia@infavocats.com lamazouz@infavocats.com |
Avocats de Mercedez-Benz Canada inc. |
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Me Emmanuelle Rolland / Me Marc-André Grou |
Audren Rolland erolland@audrenrolland.com mgrou@audrenrolland.com |
Avocats de Subaru Canada inc. |
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Me Sidney Elbaz / Me Yassin Gagnon-Djalo / Me Laura Hamdan |
McMillan LLP sidney.elbaz@mcmillan.ca yassin.gagnon-djalo@mcmillan.ca laura.hamdan@mcmillan.ca |
Avocats de Honda Canada inc. |
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Me Kristian Brabander / Me Stéphanie Gascon |
Osler Hoskin & Harcourt kbrabander@osler.com sgascon@osler.com |
Avocats de Nissan Canada inc. |
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Me Stéphane Pitre |
Borden Ladner Gervais spitre@blg.com |
Avocats de Compagnie General Motors du Canada |
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Me Pascale Dionne-Bourassa / Me Francesca Taddeo |
Bennett Jones bourassap@bennettjones.com taddeof@bennettjones.com |
Avocats de Ford du Canada Limitée |
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Me Sébastien Richemont / Me Mirna Kaddis |
Fasken Martineau DuMoulin srichemont@fasken.com mkaddis@fasken.com |
Avocats de BMW Canada inc. |
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Me Andrei Pascu / Me Simon Paransky |
McMillan andrei.pascu@mcmillan.ca simon.paransky@mcmillan.ca |
Avocats de Ventes de véhicules Mitsubishi du Canada inc. |
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Me Francis Rouleau Délégatus frouleau@delegatus.ca Avocats de Automobile Volvo Canada Limitée |
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Dates d’audition : 23 et 24 avril 2025