Gestion F.D. Desharnais inc. c. Ville de Québec |
2018 QCCS 1302 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-017894-130 |
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DATE : |
20 mars 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GEORGES TASCHEREAU |
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GESTION F.D. DESHARNAIS INC., personne morale ayant son siège social au 6055, boulevard Pierre-Bertrand, Québec, district de Québec - G2K 1M1 |
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Demanderesse |
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c. |
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VILLE DE QUÉBEC, personne morale de droit public, ayant son siège social au 2, des Jardins, Québec, district de Québec - G1R 4S9 |
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Défenderesse / défenderesse en garantie |
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ET |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, au nom du gouvernement du Québec, ayant une place d’affaires au 300, boulevard Jean-Lesage, bureau 1.03, Québec, district de Québec - G1K 8K6 |
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Défendeur / demanderesse en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] Gestion F.D. Desharnais inc. demande au tribunal de déclarer qu’une conduite pluviale en activité qui traverse son immeuble appartient à la Ville de Québec et que cette dernière doit assumer les obligations qui en découlent. Subsidiairement, s’il en vient à la conclusion que cette conduite appartient au Gouvernement du Québec, elle lui demande de déclarer que ce dernier doit assumer telles obligations.
[2] Alléguant par ailleurs être en droit d’être indemnisée pour l’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux à laquelle son immeuble est assujetti et pour sa gestion d’affaires pour la Ville de Québec et le Procureur général du Québec, elle réclame de ceux-ci une somme de 492 194,05 $ plus les taxes applicables, représentant le coût des travaux qu’elle a dû effectuer pour déplacer et remplacer la conduite, lors de la construction d’un entrepôt sur son immeuble.
[3] Le Procureur général du Québec, qui a appelé la Ville de Québec en garantie, demande que cette dernière soit tenue de l’indemniser de toute condamnation pouvant être prononcée contre lui dans le cadre de l’action principale.
LES FAITS
[4] Gestion F.D. Desharnais inc. (ci-après « Gestion Desharnais ») est propriétaire d’un immeuble situé aux 8035 et 8065, boulevard Pierre-Bertrand, à Québec, décrit comme étant le lot 1 917 692 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Québec. Elle a acquis cet immeuble le 9 juin 2010.
[5] L’immeuble est borné au nord par l’emprise du chemin de fer qui reliait autrefois Québec au Lac-Saint-Jean, et dans laquelle passe aujourd’hui la piste cyclable connue sous le nom de Corridor des Cheminots, au nord-est par le boulevard Pierre-Bertrand, auparavant identifié sous le nom de route Sainte-Claire, et au sud-est par le boulevard Bastien, auparavant identifié à cet endroit sous le nom de chemin Saint-Joseph, puis sous celui de boulevard Saint-Joseph.
[6] L’emprise de l’ancien chemin de fer appartient au Gouvernement du Québec depuis février 2000, et la Ville de Québec, aux droits de la Communauté urbaine de Québec, en est locataire jusqu’au 30 septembre 2059.
[7] Après l’acquisition de l’immeuble, Gestion Desharnais y a effectué d’importants travaux. Essentiellement, au cours d’une première étape, elle a transformé le bâtiment principal, à l’avant, qui donne sur le boulevard Pierre-Bertrand, puis, au cours d’une seconde étape, elle a démoli quatre bâtiments existants et construit un entrepôt, à l’arrière du bâtiment principal.
[8] Les travaux de la première étape comprenaient également certains travaux d’aménagement du terrain, dont ceux de raccordement au réseau d’égout pluvial de la Ville de Québec sur le boulevard Pierre-Bertrand.
[9] Gestion Desharnais a retenu les services de Axys Consultants inc. pour la préparation des plans et devis de génie civil afférents à ces travaux.
[10] Le 8 février 2011, en réponse à un courriel de la veille sollicitant des informations à propos des infrastructures de services disponibles sur le boulevard Pierre-Bertrand, monsieur Bruno Gagnon, un technicien en génie civil à l’emploi de la Ville de Québec, faisait parvenir à monsieur Christian Laroche, ingénieur, de Axys Consultants inc., une carte interactive montrant ce qui existait[1].
[11] Sur cette carte était notamment indiqué, au moyen d’une ligne discontinue, le trajet d’une conduite traversant l’immeuble de Gestion Desharnais suivant une direction nord-sud. Ce trajet partait d’un endroit sensiblement au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer, plus précisément dans l’emprise du boulevard Pierre-Bertrand, et aboutissait à un endroit à proximité du coin sud de l’immeuble de Gestion Desharnais, dans l’emprise du boulevard Bastien. La mention « P-750 », à côté de la ligne, annonçait qu’il s’agissait d’une conduite d’égout pluvial de 750 mm (environ 30 pouces).
[12] Le lendemain, 9 février, monsieur Laroche réagissait :
Monsieur Gagnon,
Je sais que ce n’est pas coutume mais je me risque tout de même à vous demander si vous n’avez pas d’information sur le réseau privé situé sur le terrain de Desharnais.
Je me disais que puisqu’une conduite pluviale de la Ville traverse le terrain, vous auriez peut-être des plans.
Également, est-ce que je peux brancher mes nouvelles conduites d’égout pluvial sur la conduite qui traverse le terrain ?
Merci !
Christian Laroche, ing.
(…)
[13] Monsieur Gagnon lui répondait, le 10 du même mois :
Bonjour,
Aucune information sur le réseau privé, aucune information pour la conduite d’aqueduc et aucune servitude Ville pour le réseau pluvial existant. Le propriétaire du terrain doit connaître la nature de cette conduite et de sa servitude.
Pour votre dernière question la réponse est non car chaque lot doit être distinctement desservi par un branchement…voir l’article 18.1 de notre règlement (en annexe).
Salutations
Bruno Gagnon
Premier technicien en génie civil,
Division réseaux périphérie
Ville de Québec
(…)
[14] Les travaux de la première étape ont été réalisés plus tard au cours de l’année 2011. Tel que demandé par le Service de l’ingénierie de la Ville de Québec, le système d’évacuation des eaux pluviales de l’immeuble a été dirigé vers le boulevard Pierre-Bertrand et, à sa suggestion, raccordé au réseau municipal dans un regard en bordure de ce dernier. La carte interactive montrant l’emplacement de ce regard, communiquée par madame Sonya Beaumont, du Service de l’ingénierie de la Ville de Québec, à l’ingénieur Christian Laroche le 13 septembre 2011[2], n’indiquait la présence d’aucune conduite d’égout pluvial de 750 mm sur l’immeuble de Gestion Desharnais. On n’en a frappé aucune non plus lors des travaux.
[15] Les travaux de la seconde étape, soit la construction de l’entrepôt à l’arrière du bâtiment principal, ont commencé tôt à l’automne 2012.
[16] Le 4 octobre, l’ingénieur Christian Laroche transmettait le courriel suivant à madame Sonya Beaumont, du Service de l’ingénierie de la Ville de Québec, chargée de projet :
Mme Beaumont,
Pour faire suite à notre discussion de ce matin, je me suis rendu sur le chantier de Desharnais situé au coin des boul. Pierre-Bertrand et Louis XIV.
Comme mentionné ce matin, lors des travaux d’excavation, nous avons découvert une conduite de 750 mm de diamètre qui traverse en diagonale l’emplacement du bâtiment que nous sommes à construire.
J’ai joint à ce courriel quelques photos ainsi qu’un plan que j’ai annoté en rouge. J’y ai indiqué la position approximative de la conduite ainsi que la provenance des eaux qu’elle contient.
Vous verrez que les eaux qui passent dans cette conduite proviennent du fossé logeant la piste cyclable ainsi que de quelques terrains au nord.
Il n’y a aucune servitude enregistrée qui aurait pu nous faire croire à la présence de cette conduite. Nous avions interrogé la Ville à cet effet et on nous avait répondu qu’il n’y avait pas de conduite à cet endroit. Vous-même m’avez mentionné ce matin qu’elle n’apparaissait pas sur vos plans.
Il faudra trouver une solution pour rediriger ces eaux qui s’écoulent sur le terrain de notre client.
Entretemps, pour ne pas ralentir les travaux, nous avons bouché le tuyau, installé une pompe pour rediriger ces eaux dans le réseau pluvial de Desharnais et nous avons commencé à enlever le tuyau qui, de toute façon, ne peut rester là.
Je pense qu’une rencontre serait nécessaire avec les gens chez vous pour trouver une solution à ce problème. Idéalement, je ferais cette réunion sur place.
Il ne faudrait pas tarder à tenir cette réunion. Faites-moi part de vos disponibilités ou de celles de l’un de vos collègues à cet effet.
Merci !
Christian Laroche, ing.
(nos soulignements)
[17] Madame Beaumont a référé l’ingénieur Christian Laroche à monsieur Dominique Lord, de la Division de la gestion du territoire de l’arrondissement des Rivières, où se trouve l’immeuble.
[18] Dans un bref rapport à sa cliente sur les pourparlers en cours, en date du 9 octobre, l’ingénieur Christian Laroche écrivait :
(…)
Mme Beaumont m’a confirmé que la conduite devra être détournée et être branchée sur le boulevard Bastien. Il n’est pas possible de se brancher sur le boul. Pierre-Bertrand (conduite de 450 mm de diamètre seulement). Elle devra donc traverser votre terrain.
Je lui ai mentionné que si on procédait rapidement, il y aurait lieu de profiter des travaux d’excavation actuels pour détourner leur conduite. Je serais toutefois surpris que ça fonctionne…
(…)
[19] Le 30 octobre, au terme des pourparlers, la décision de la Ville tombait :
Le 30 octobre 2012
Monsieur Jean-Guy Roy
Gestion F.D. Desharnais inc.
8035, boulevard Pierre-Bertrand (Centre du camion)
Québec (Quéec) G2K 1B7
Objet : Suivi de la rencontre tenue au 330 Chabot, salle 17, 15 h 00, le 24 octobre 2012 :
Dossier demande de permis 20120601 064
Monsieur,
La présente fait suite à notre rencontre du 24 octobre 2012 concernant la conduite d’eau localisée sur l’immeuble situé au 8035, boulevard Pierre-Bertrand.
Après vérifications et recherches, nous vous informons que la Ville considère que la conduite est de propriété privée. La conduite a été mise en place par l’un des propriétaires antérieurs.
La Ville vous enjoint donc d’apporter des correctifs tel que mentionné, pour remettre en place une conduite ou autre mesure d’écoulement afin de permettre aux eaux provenant des fonds supérieurs de s’écouler vers les fonds inférieurs.
Avant l’annonce des temps plus froids qui vont arriver, il est clair que ces travaux devront être réalisés à court terme.
Revenez nos salutations,
(signée) Dominique Lord
Directeur, Section permis et inspection
(…)
[20] Gestion Desharnais, par l’entremise de ses procureurs, rétorquait le 15 novembre :
Québec, le 15 novembre 2012
SOUS TOUTES RÉSERVES
PAR TÉLÉCOPIE
Monsieur Clément Bilodeau
Directeur général
Arrondissement des Rivières
330, rue Chabot
Québec (Québec) G1M 3J5
(…)
Monsieur,
Nous sommes les procureurs de Service de pneus Desharnais inc. et nous sommes mandatés aux fins des présentes.
En vertu des permis et autorisations requises, notre cliente procède actuellement à d’importants travaux sur sa propriété située sur le boulevard Pierre-Bertrand. Lors des travaux d’excavation, notre cliente a constaté la présence d’une conduite traversant sa propriété et reliant l’égout pluvial de la piste cyclable, située au nord de leur propriété, à l’égout pluvial de Louis XIV. Aucune servitude ne grève l’immeuble de notre cliente. Pour la réalisation de sa construction, notre cliente n’a eu d’autre choix que d’enlever la conduite existante.
Des discussions ont été entreprises avec les autorités de la Ville et de l’arrondissement des Rivières au cours des derniers mois. Les autorités municipales sont donc bien au fait de la problématique. Le 30 octobre dernier, M. Dominique Lord, directeur de la Section permis et inspection de votre arrondissement, avisait notre cliente qu’il considérait désormais que les travaux étaient de l’entière responsabilité de notre cliente, la conduite ayant été mise en place par un propriétaire antérieur, selon lui. Notre cliente n’est absolument pas de cet avis et tient la Ville entièrement responsable de la présence sans droit de cette conduite sur son terrain. Cette conduite relie deux ouvrages appartenant à la Ville de Québec et traverse non seulement la propriété de notre cliente, mais également la propriété voisine située à l’ouest. Le fait que les archives de la Ville ne révèlent pas la présence et la connaissance de cette conduite ne soustrait pas la Ville de sa responsabilité. Toutes les sommes qui seront engagées par notre cliente pour apporter les correctifs feront l’objet d’une réclamation à la Ville en temps et lieu.
Dans le cadre de la finalisation de ses travaux, notre cliente devra remettre une conduite pour diriger l’eau provenant de la piste cyclable vers l’égout pluvial de la rue Louis XIV. (…)
(…), notre cliente est disposée à s’entendre avec la Ville en ce qui concerne la responsabilité des travaux et éviter un éventuel procès. Elle est prête à vous céder une servitude vous permettant de l’entretenir et la réparer, au besoin.
À défaut d’avoir une réponse à la présente d’ici le 23 novembre 2012, notre cliente procédera aux travaux sans autre délai, réservant ses droits quant au préjudice résultant de l’inaction de la Ville.
LAVERY, DE BILLY
(signé) Denis Michaud
Denis Michaud
[21] Les procureurs de la Ville de Québec ont confirmé le 22 novembre à ceux de Gestion Desharnais que leur cliente maintenait sa position et considérait que la conduite d’eau pluviale n’était pas la propriété de celle-ci, mais plutôt celle de Gestion Desharnais.
[22] Gestion Desharnais a procédé aux travaux de construction et d’installation d’une nouvelle conduite d’égout pluvial de 750 mm entre l’emprise de l’ancien chemin de fer et le boulevard Bastien, à l’extérieur du périmètre de son futur entrepôt.
[23] La présente demande a été signifiée à la Ville de Québec et au Procureur général du Québec le 26 février 2013.
ANALYSE
1. La propriété de l’ancienne conduite
[24] Gestion Desharnais, en 2010, a acquis le lot 1 917 692 de Services Matrec inc., une compagnie issue de la fusion, en 2000, d’une autre compagnie connue sous le même nom et de C.S. Gestion de déchets et de matières recyclables inc.
[25] Le lot 1 917 692 était en vigueur depuis le 9 septembre 1999. Il remplaçait les lots 1 051 767 et 1 141 188.
[26] C.S. Gestion de déchets et de matières recyclables inc. avait acquis les lots 1 051 767 et 1 141 188 de Union des carrières et pavages limitée le 17 décembre 1998.
[27] Le lot 1 051 767 était en vigueur depuis le 7 février 1998. Il remplaçait par rénovation une partie du lot 249 du cadastre officiel pour la paroisse de Charlesbourg, en la division d’enregistrement de Québec.
[28] Le lot 1 141 188, mis en vigueur le 2 février 1998, remplaçait par rénovation une partie des lots 235 et 238 du même cadastre.
[29] Union des carrières et pavage limitée avait acquis l’essentiel de sa partie du lot 238 ainsi que l’entièreté de sa partie du lot 249 de madame Melvina Légaré le 22 mai 1937. Elle avait par ailleurs acquis sa partie du lot 235 le 1er février 1949. Enfin, le 5 janvier 1967, elle avait acquis une petite partie du lot 238 située en bordure du chemin Saint-Joseph (aujourd’hui boulevard Bastien) et bornée sur ses trois autres côtés par l’immeuble dont elle était déjà propriétaire.
[30] Une analyse comparative des descriptions des parties des lots 235, 238 et 249 contenues dans les trois titres d’acquisition de Union des carrières et pavages limitée et du plan montrant le lot 1 917 692 dont Gestion Desharnais est aujourd’hui propriétaire, et annexé au certificat de localisation préparé par monsieur Jean-Paul Martel, a.-g., le 24 septembre 1999[3], permet de conclure à leur concordance, à toutes fins utiles.
[31]
Cela étant acquis, jetons un coup d’œil sur le plan officiel originaire
de la paroisse de Charlesbourg, signé le 24 décembre 1873, tel que reconstitué
le 1er février 1994 en vertu de l’article
[32] La présence sur l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, ainsi qu’au nord et au sud de ce dernier, en 1948, d’un cours d’eau dont le tracé correspond foncièrement à celui du cours d’eau montré sur le plan officiel originaire du cadastre de Charlesbourg, est attestée par le rapport d’historiographie photographique préparé par madame Julie Boulianne, technicienne en géomatique, et contresigné par monsieur Alain Tremblay, a.-g., le 23 janvier 2015[5].
[33] À l’analyse du même rapport, on constate par ailleurs que des portions du cours d’eau au nord et au sud de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais demeurent identifiables en 1960, mais que le cours d’eau n’est plus visible à l’intérieur du périmètre de ce dernier.
[34] Ce changement s’explique par des faits survenus à la fin de 1949.
[35] À ce moment, l’immeuble, dont Union des carrières et pavages limitée était alors propriétaire, était situé sur le territoire de la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles-de-Charlesbourg. On a retrouvé dans les archives de cette dernière la note manuscrite suivante, dont l’auteur n’est pas identifié :
M. D. Leamy, surintendant de l’Union des Carrières Pavages Ltée, dans un téléphone fait le 5 déc. 49 (3 ½ hre p.m.) demande au conseil la permission de poser un tuyau de 30 ¨ dans le fossé qui traverse sa propriété de manière à remplir dans la suite la cavée qui existe à cet endroit.
[36] Le 6 décembre, la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles-de-Charlesbourg recevait de J.L. Boucher, propriétaire d’un immeuble comprenant notamment une partie du lot 235 contiguë, à l’ouest à l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée, entre le chemin Saint-Joseph et l’emprise du chemin de fer, une lettre de protestation au sujet de travaux en cours chez cette dernière :
Mr. E.F. Mathieu
Secrétaire Municipalité Charlesbourg Ouest
Comté de Québec, P.Q.
Monsieur,
Par la présente, nous attiront (sic) votre attention sur les faits suivants.
Nous possédont (sic) une partie du lot No. 235 du cadastre officiel de Charlesbourg Ouest, sur ce lot dont une parti (sic) appartient à l’Union Des Carrières et Pavages. Il y a un ruisseau naturel servant d’égoutement (sic) lequel l’Union des Carrières sont après canaliser dans un tuyau de 30¨ au ciment et ceci sans permis.
Nous osont (sic) Monsieur nous opposer fortement a (sic) ceci pour la simple raison qu’il n’y aura (sic) plus de canal naturel d’égoutement (sic) pour notre partie de lot. Nous nous opposont (sic) aussi fortement au remplissage de 20 pieds environ que l’Union des Carrières et Pavages sont en voie de faire jusqu’a (sic) notre ligne.
Nous esperont (sic) Monsieur que vous prendrez en sérieuse considération nos protestations bien légitimes sachant que nous sommes en plein droit d’arrêter ces travaux.
Nous vous remercions à l’avance.
Les Carrières J.L. Boucher et Pavages
Par. Jos Metivier Srt.
(signé : Jos Métivier)
Charlesbourg Ouest, P.Q.
[37] Ce même 6 décembre, la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles-de-Charlesbourg écrivait à Union des carrières et pavages limitée :
Monsieur le Président,
Lors de son assemblée régulière tenue le 6 décembre, le conseil Municipal a pris connaissance d’une demande verbale formulée par votre M. Leamy en vue d’obtenir de canaliser dans une conduite souterraine un cours d’eau naturel qui traverse votre propriété à Charlesbourg Ouest.
En même temps lecture fut faite d’une lettre de protestation d’un voisin contre un tel geste qui aurait pour résultat d’empêcher à l’avenir l’égoutement (sic) d’un terrain qui antérieurement déversait ses eaux de surface dans ce cours d’eau à ciel ouvert.
Comme ce cours d’eau sert à égoutter les terrains de plusieurs propriétaires, il tombe sous la surveillance et la responsabilité du conseil municipal local.
Vu que les changements projetés semblent devoir causer des dommages à un intéressé et que sa protestation paraît fondée le conseil s’est vu dans l’obligation de vous refuser le permis demandé et, par la présente, vous met en demeure d’arrêter les travaux en cours et de faire cesser immédiatement toute obstruction à cet endroit.
Souhaitant que vous puissiez en venir à une entente satisfaisante avec ce nouveau voisin,
Je demeure, Monsieur Cauchon,
Votre dévoué,
Frs-Eugène Mathieu, sec.
[38] La réalisation par Union des carrières et pavages limitée, le ou vers le 5 décembre 1949, de travaux de construction d’une conduite souterraine de 30 pouces sur son immeuble pour canaliser ce qui était auparavant un cours d’eau à ciel ouvert, à la connaissance de la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles-de-Charlesbourg, est déjà bien documentée par la note manuscrite et les deux lettres reproduites plus haut. Elle s’infère également d’une lettre reçue par le secrétaire-trésorier de la Corporation municipale, aussi datée du 6 décembre et provenant du procureur de cette dernière :
(…)
Monsieur Eugène Mathieu,
Secrétaire-Trésorier du conseil
Paroisse St-Charles de Charlesbourg
Comté de Québec, P.Q.
Cher Monsieur Mathieu,
Vous m’avez téléphoné ce matin pour me soumettre qu’un cours d’eau naturel et municipal servant à égoutter plusieurs terrains dans votre municipalité venait d’être canalisé dans une conduite souterraine par le propriétaire d’un terrain traversé par ce cours d’eau, avec le résultat que les eaux du terrain voisin, qui s’égouttaient par ce cours d’eau à ciel ouvert, ne peuvent pas pénétrer dans la conduite souterraine fermée.
Vous m’exposez également que celui qui a posé cette conduite souterraine demande maintenant au conseil la permission d’agir ainsi et que de son côté le voisin proteste auprès du conseil contre cette canalisation souterraine qui ne capte pas ses eaux alors que l’ancien cours d’eau municipal à ciel ouvert les recevait. (…)
(…)
[39] La seule demande de permis visant la canalisation du cours d’eau qui traversait l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée dans une conduite souterraine dont on a trouvé trace dans les archives de la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles de Charlesbourg est celle du 5 décembre, verbale, que la corporation municipale a rejetée.
[40] Le 26 juillet 1950, le propriétaire de la partie du lot 235 contiguë à l’ouest à l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée s’est plaint auprès de la municipalité de dommages subis lors d’une inondation au sous-sol de sa bâtisse. Il mentionnait dans sa lettre :
(…)
Depuis que l’Union des Carrières & Pavages a fait une élévation à son terrain à l’est de notre propriété, l’eau se déverse de plus en plus chez nous.
(…)
[41] Le secrétaire du conseil de la corporation municipale a communiqué une copie de cette lettre à Union des carrières et pavages limitée le 12 septembre suivant. Dans la lettre l’accompagnant, le secrétaire indiquait :
(…)
Messieurs,
Lors de la séance du conseil tenue le 5 septembre dernier, nous avons été appelés à étudier une plainte de la Carrière Boucher qui déplorait certaines inondations que l’on attribue aux travaux que vous avez exécutés dernièrement et pour lesquels nous vous avions mis en demeure de discontinuer.
J’inclus à la présente copie de la lettre adressée au conseil et souhaite que vous preniez toutes les mesures nécessaires pour empêcher la répétition de semblables dégâts.
(…)
[42] Dans son rapport au propriétaire de la carrière sur le traitement de la plainte, daté du lendemain, 13 septembre, le secrétaire de la corporation municipale mentionnait :
(…)
Les membres du conseil m’ont chargé de transmettre copie de votre lettre à l’Union des Carrières leur demandant de prendre toutes les procédures nécessaires pour empêcher une répétition de semblables dégâts.
Je tiens cependant à vous faire remarquer que le conseil décline toute responsabilité dans cette affaire, car il y a déjà assez longtemps, lors d’une première plainte nous avons mis cette compagnie en demeure de discontinuer tous travaux qui pourraient vous causer dommages ou préjudices.
(…)
[43] On n’a retrouvé ni dans les archives de la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles de Charlesbourg, ni dans celles de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest, constituée le 1er janvier 1953 et sur le territoire de laquelle l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée s’est ainsi retrouvé, ni dans celles de la Ville de Québec après la fusion des deux territoires, le 21 avril 1973, aucune trace de travaux de construction, de modification ou de remplacement d’une conduite souterraine sur l’immeuble qui fait l’objet du litige après ceux de 1949, sauf, bien sûr, ceux réalisés par Gestion Desharnais en 2012.
[44] Il appert du rapport d’historiographie photographique de madame Julie Boulianne, qu’il y avait en 1948 un cours d’eau coulant du nord vers le sud sur l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée et que celui-ci a été « rempli (ou canalisé) » entre 1948 et 1960.
[45] Le trajet du cours d’eau identifié sur une photographie de 1948 jointe au rapport de madame Boulianne, et qui coulait sur l’immeuble, se compare pour l’essentiel avec celui de la conduite souterraine de 30¨ localisée par Gestion Desharnais lors des travaux de 2012.
[46] À la lumière de tout ce qui précède, le tribunal conclut que cette conduite souterraine était celle installée par Union des carrières et pavages limitée en décembre 1949 afin de canaliser le cours d’eau en question.
[47]
Union des carrières et pavages limitée était propriétaire riveraine des
deux côtés de la portion du cours d’eau traversant son immeuble, au moment où
la conduite souterraine a été installée. Cet immeuble était sorti du domaine
public depuis bien avant le 9 février 1918 et le cours d’eau n’était ni
navigable, ni flottable. Par application de l’article
[48] La propriété de la conduite a suivi par la suite la propriété du fonds et est ainsi devenue la propriété de Gestion Desharnais le 9 juin 2010. C’est donc sa conduite que cette dernière a localisée et enlevée en 2012.
[49] Cela explique que la présence de la conduite souterraine en question n’ait été autorisée par aucune servitude ni constatée par quelque acte créant un droit de superficie ou un démembrement du droit de propriété.
[50] La demande principale de Gestion Desharnais au tribunal de déclarer que cette conduite appartenait à la Ville de Québec, et sa demande subsidiaire de déclarer qu’elle appartenait au Gouvernement du Québec, seront donc rejetées.
2. L’assujettissement de l’immeuble de Gestion Desharnais à recevoir les eaux provenant des immeubles plus élevés
[51]
L’article
Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué.
Le propriétaire inférieur ne peut pas élever de digue qui empêche cet écoulement. Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur.
[52] Cet article se trouvait au titre quatrième du code, intitulé « Des servitudes réelles », et plus précisément au chapitre premier de ce titre, intitulé « Des servitudes qui découlent de la situation des lieux ».
[53]
L’article
[54]
Le juge Garon Pratte, de la Cour d’appel, écrivait ce qui suit à propos
de l’article
Chacun connaît la source et la portée de la règle posée par l’article précité, ainsi que les tempéraments que la doctrine et la jurisprudence y apportent dans l’intérêt de l’exercice normal du droit de culture. C’est la nature, et non pas la loi, qui, en donnant aux terrains leur pente, a soumis les fonds inférieurs à recevoir les eaux qui découlent des fonds plus élevés; et le législateur est intervenu
… non pas pour créer une servitude, mais pour constater la situation naturelle des lieux, et afin que chacun soit tenu de s’y conformer et de la maintenir… (Demolombe, Droit civil (1872), 5e éd., t. 11, no. 16, p. 25).
Ce que la loi civile consacre par cette disposition (501 C.c.) c’est « l’œuvre directe et libre de la nature » (Taulier, Code civil (1841), t. 2, p. 360), compte tenu de la destination naturelle des fonds qui est d’être mis en culture.[6]
[55] L’assujettissement des fonds inférieurs à recevoir les eaux des fonds plus élevés vise exclusivement celles qui en découlent naturellement, c’est-à-dire celles qui viennent naturellement en suivant la pente naturelle du sol, eaux pluviales, d’infiltration et de source, ou provenant de la fonte des neiges[7].
[56] La servitude d’écoulement des eaux est donc limitée. C’est la nature qui la crée et c’est elle aussi qui en trace les bornes.[8]
[57]
L’article
979. Les fonds inférieurs sont assujettis, envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement.
Le propriétaire du fonds inférieur ne peut élever aucun ouvrage qui empêche cet écoulement. Celui du fonds supérieur ne peut aggraver la situation du fonds inférieur; il n’est pas présumé le faire s’il effectue des travaux pour conduire plus commodément les eaux à leur pente naturelle ou si, son fonds étant voué à l’agriculture, il exécute des travaux de drainage.
[58]
Le ministre de la Justice commente ainsi l’article
Cet
article reprend en substance l’article
Cependant, cet article innove, d’abord en précisant quand le propriétaire d’un fonds supérieur n’est pas présumé aggraver la situation du fonds inférieur et, ensuite, en codifiant une règle établie par la jurisprudence qui accepte que le propriétaire d’un fonds dorénavant voué à l’agriculture creuse sur celui-ci des fossés, sillons et rigoles aux fins de drainage, même si ces travaux aggravent, techniquement parlant, la servitude en y faisant couler un volume d’eau supérieur. Cette règle est nécessaire, puisque le drainage fait partie des activités inhérentes à l’agriculture.[9]
[59] Sous réserve de ce que la loi ou une servitude lui permet, le propriétaire du fonds supérieur ne peut modifier l’écoulement naturel des eaux. Ce serait une aggravation de l’état des choses établi par la nature. Baudry-Lacantinerie et Chauveau expliquent en quoi consiste une aggravation de la servitude d’écoulement dans les termes suivants :
L’aggravation de la servitude d’écoulement consiste dans toute modification ayant pour résultat d’augmenter le volume naturel des eaux, de changer leur cours normal ou d’ajouter aux eaux des matières nuisibles.
Ainsi, l’aggravation existe lorsque le propriétaire du fonds supérieur imprime aux eaux un courant plus rapide, ou lorsque, soit par des travaux de dessèchement, soit après avoir capté des sources, il donne aux eaux un volume plus considérable; il en est de même lorsqu’il envoie sur le fonds inférieur des eaux amenées à travers des canaux et aqueducs qui ont modifié la disposition naturelle des lieux; ou bien encore lorsqu’après avoir employé les eaux à l’irrigation, il les renvoie chargées de limon.
Le propriétaire du fonds supérieur ne peut pas non plus en principe changer la forme de son terrain, de façon à modifier l’écoulement des eaux, en les rejetant par exemple vers l’ouest alors qu’elles roulaient naturellement vers l’est. Toute aggravation est prohibée, peu importe qu’elle ait pour résultat d’envoyer les eaux vers l’intérieur du sol ou de les diriger à la surface.[10]
[60] Par conséquent, sans limitation, le propriétaire d’un fonds supérieur n’a pas le droit de réunir les eaux de son terrain dans un seul canal pour les envoyer ainsi accumulées sur la propriété de son voisin; ce serait une aggravation de l’état des choses établi par la nature[11].
[61] Le propriétaire du fonds inférieur est obligé d’endurer non seulement les eaux qui viennent des fonds supérieurs immédiatement voisins, mais également celles qui viennent de n’importe quel fonds supérieur et qui passent à travers un fonds supérieur immédiatement voisin. Mais, pas plus que le propriétaire d’un fonds supérieur immédiatement voisin, le propriétaire d’un fonds éloigné n’a le droit d’aggraver la situation de ce fonds inférieur[12].
[62] Dans chaque cas, les faits sont d’une grande importance.
[63] Au moment de la signature du plan officiel originaire de la paroisse de Charlesbourg, en 1873, les eaux que l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais était assujetti à recevoir étaient, d’une part, celles du cours d’eau naturel en provenance du nord et dont l’origine se trouvait apparemment à quelque part sur le lot 158, si l’on se fie au plan officiel originaire, et, d’autre part, les eaux qui, naturellement, s’y écoulaient autrement en provenance des immeubles plus élevés.
[64] La construction du chemin de fer, par The Quebec and Lake St-John Railway, a été contemporaine ou postérieure de peu d’années à l’entrée en vigueur du plan officiel originaire. La visite de l’immeuble de Gestion Desharnais et de l’emprise de l’ancien chemin de fer, au nord de cet immeuble et des immeubles voisins à l’ouest, en cours de procès, a permis de constater que le sol avait été exhaussé de façon importante sur cette portion de l’emprise. De toute évidence, cet exhaussement a créé un obstacle infranchissable à l’écoulement naturel des eaux vers l’immeuble appartenant aujourd’hui à Gestion Desharnais et vers les immeubles à l’ouest de ce dernier, en provenance des immeubles plus élevés. Et selon toute vraisemblance, The Quebec and Lake St-John Railway a remédié au problème en canalisant les eaux ainsi interceptées, qui s’accumulaient dorénavant au nord de l’exhaussement, et en les dirigeant vers le cours d’eau naturel dont il a été fait mention plus haut, à l’est, à proximité du chemin devenu aujourd’hui le boulevard Pierre-Bertrand, qui était déjà montré sur le plan officiel originaire. Ce cours d’eau naturel traversait l’immeuble de The Quebec and Lake St-John Railway, sous un ponceau, avant de parvenir à l’immeuble appartenant aujourd’hui à Gestion Desharnais.
[65] Les eaux ainsi canalisées et dirigées vers le cours d’eau naturel, il paraît important de le souligner dès à présent, ne pouvaient pas être qualifiées d’eaux « écoulées naturellement ». Elles ne suivaient plus leur cours normal, voulu par la nature et imposé par les lois de la gravité. Elles se retrouvaient dans le cours d’eau comme suite à l’intervention de l’homme.
[66] La Ville de Québec a produit un rapport d’expertise préparé par madame Marie Paré-Bourque, ingénieure, de Tetra Tech, le 12 février 2015[13]. Ce rapport a pour objet principal de déterminer les débits centennaux véhiculés dans le cours d’eau en 1948, à la hauteur de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, ainsi que ceux véhiculés aujourd’hui dans la nouvelle conduite que cette dernière a construite en 2012. Il nous éclaire cependant également beaucoup sur la situation qui prévalait en 1948 dans le secteur eu égard aux eaux de ruissellement.
[67] À la page 4 de son rapport, madame Paré Bourque écrit :
Après l’analyse des courbes topographiques de 1944 et des photographies aériennes de 1948, le bassin versant en amont de ce lot et tributaire de ce cours d’eau a pu être défini (voir la Figure 3-2). Le secteur couvre 129,89 ha et il est principalement constitué de terres agricoles. Une portion est également occupée par une carrière.
À l’est du boulevard Pierre-Bertrand, l’eau ruisselle sur les terres agricoles et est acheminée via les fossés de drainage jusqu’au cours d’eau. Au nord du lot 1 917 692, un chemin de fer crée une barrière à l’écoulement naturel. Un fossé y a été aménagé afin de recueillir les eaux de ruissellement et de les acheminer jusqu’au cours d’eau. Le territoire situé à l’ouest du boulevard Pierre-Bertrand se draine dans ce fossé de drainage. Toutes les eaux du bassin versant sont dirigées vers le ponceau sous le chemin de fer et qui sont dirigées au niveau du lot 1 917 692.
(notre soulignement)
[68] La « Figure 3-2 » à laquelle madame Paré-Bourque nous renvoie enfin se trouve également à la page 4 de son rapport. Trois commentaires s’imposent à son sujet :
[69] Premièrement, les limites du bassin versant y étant bien identifiées, son examen permet d’imaginer comment, en 1948, de la même façon qu’au moment de l’entrée en vigueur du plan officiel originaire, en 1873, le cours d’eau naturel, tout au long de son parcours, pouvait être alimenté par les eaux en provenance du nord.
[70] Deuxièmement, son examen permet de supposer que la carrière de Union des carrières et pavages limitée, sur un autre côté du côté nord-est du boulevard Pierre-Bertrand, creusée dans le sol et en pleine croissance, créait des contraintes importantes à l’écoulement des eaux en provenance du nord vers l’emprise du chemin de fer, autrement que par le cours d’eau naturel.
[71] Troisièmement, son examen permet de constater que les eaux en provenance du nord, et possiblement aussi du nord-ouest, qui atteignaient la portion de l’emprise du chemin de fer à l’ouest du cours d’eau naturel, s’accumulaient dans le fossé longeant l’emprise sur toute la largeur du bassin versant, et d’inférer que n’eût été l’exhaussement de l’emprise du chemin de fer, ces eaux auraient continué leur chemin vers le sud, non seulement vers l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, mais également vers tous les autres immeubles à l’ouest, à l’intérieur des limites du bassin versant.
[72] L’opinion émise par madame Paré-Bourque dans son rapport à propos de la situation qui prévalait en 1948 appuie en définitive l’inférence que la canalisation des eaux qui s’accumulaient au nord de l’emprise du chemin de fer à la suite de son exhaussement et leur déviation vers le cours d’eau naturel permettait de tirer, à savoir que ces eaux ne pouvaient pas être qualifiées d’eaux « écoulées naturellement ».
[73] Dans son rapport du 23 juin 2015, madame Boulianne décrit ce qu’elle perçoit à propos de ce cours d’eau naturel en 1948, à l’examen d’une photographie qu’elle y joint :
« Un cours d’eau est présent sur la partie ouest du lot à l’étude et coule du nord vers le sud. En amont, ce cours d’eau prend source dans les terres plus au nord. Il passe ensuite au sud d’une carrière, semble traverser par canalisation le boulevard Pierre-Bertrand et ensuite le chemin de fer pour atteindre le lot à l’étude. Un fossé longeant le chemin de fer du côté nord de celui-ci semble également rejoindre ce cours d’eau juste avant de passer sous le chemin de fer. En aval, le cours d’eau semble traverser le boulevard Bastien par canalisation et poursuivre son chemin direction sud. »[14]
[74] Il convient de préciser, premièrement, que la portion du boulevard Bastien à laquelle elle réfère était connue à ce moment sous le nom de chemin Saint-Joseph et, deuxièmement, que la carrière dont elle fait mention est celle de Union des carrières et pavages limitée, du côté nord-est du boulevard Pierre-Bertrand.
[75] Ces précisions apportées, il convient de souligner que l’on n’identifie pas l’origine du cours d’eau sur la photographie. On devine cependant que sa source est lointaine : le grand nombre de terres qu’il traverse avant de parvenir à l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais en atteste.
[76] Il convient également de souligner que le cours d’eau, en plus de paraître traverser par canalisation le boulevard Pierre-Bertrand, comme madame Boulianne le note, ne peut être repéré sur une certaine distance de son parcours présumé, du côté nord-est dudit boulevard, dans le coin sud du terrain adjacent à la carrière de Union des carrières et pavages limitée. L’inférence la plus raisonnable que l’on peut tirer de ce constat est que le cours d’eau avait été canalisé dans une conduite souterraine également à cet endroit.
[77] L’examen de la photographie de 1948 jointe au rapport de madame Boulianne révèle enfin que le cours d’eau, en aval du boulevard Pierre-Bertrand, continuait son cours à ciel ouvert, sauf sous l’emprise du chemin de fer et sous le chemin Saint-Joseph.
[78] En somme, en 1948, le cours d’eau s’écoulait de façon ininterrompue sur tout son parcours connu, pour l’essentiel à ciel ouvert.
[79] Ce cours d’eau, naturel, et parce qu’il servait de toute évidence à égoutter plusieurs terrains, était un cours d’eau municipal et tombait sous la direction, la surveillance, le contrôle et la responsabilité du conseil de la municipalité dont il faisait partie[15].
[80] Selon ce que la preuve révèle, en 1948, il faisait partie du territoire de la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles-de-Charlesbourg. On n’a retrouvé la trace d’aucun procès-verbal, règlement ou acte d’accord le réglementant à cette époque.
[81] Une photographie de 1960 également jointe au rapport de madame Boulianne montre que quatre grands changements sont survenus dans le secteur depuis 1948.
[82] Premièrement, une seconde carrière à laquelle on a accès à partir du boulevard St-Joseph est en développement sur l’immeuble immédiatement au nord-est de celui sur lequel se trouve la carrière de Union des carrières et pavages limitée. Si l’on se fie à des plans préparés par les ingénieurs Bernier Bouchard & Marchand le 21 septembre 1961 en vue de la construction d’un réseau d’aqueduc et d’égout sanitaire sous, notamment, une portion du boulevard St-Joseph et une portion du boulevard Pierre-Bertrand encore identifiée sous le nom de « route Sainte-Claire » à cette époque, au nord du boulevard St-Joseph[16], il paraît raisonnable d’avancer que l’immeuble sur lequel cette carrière se trouvait appartenait à ce moment à Québec Ready Mix inc. En effet, le bâtiment que l’on aperçoit en face de la voie d’accès à cet immeuble, sur le boulevard St-Joseph, à l’analyse de la photographie de 1960, ne peut être que l’école montrée sur les plans des ingénieurs en face de l’immeuble identifié au nom de Québec Ready Mix inc.
[83] Deuxièmement, le cours d’eau a été très substantiellement altéré. Les installations servant à l’exploitation de cette seconde carrière et, plus généralement, de l’immeuble où elle se trouve, occupent le terrain où le cours d’eau passait en 1948. Sur une portion de l’immeuble que nous qualifierons de portion nord-est, il a été canalisé. À un endroit qui paraît être dans le prolongement de la limite nord-est de l’immeuble, le cours d’eau bifurque suivant un angle de 90° et poursuit sa course vers le sud-est en semblant suivre la limite nord-est de l’immeuble. Un peu plus loin, il bifurque de nouveau suivant un angle de 90° et reprend sa course dans une direction sud-ouest. Un peu plus loin, toute trace du cours d’eau disparaît. Selon le tribunal, il a été sectionné, rien de moins. Qu’il ait été canalisé dans une conduite souterraine sur la distance séparant cet endroit du boulevard Pierre-Bertrand est tout à fait invraisemblable.
[84] Troisièmement, à un endroit qui semble être à la limite nord-est de l’immeuble où se trouve la seconde carrière, un canal a été construit. Selon ce que madame Boulianne a constaté lors de son étude technique de cette photographie de 1960, le canal est visible à partir d’un endroit un peu au sud-est de celui où le cours d’eau, une fois canalisé, bifurque pour la deuxième fois et prend sa direction finale vers le sud-ouest. Il suit une ligne droite sur une très grande distance, puis bifurque un peu vers le sud pour enfin reprendre son cours rectiligne vers le sud-est et aboutir au boulevard St-Joseph, dans sa portion aujourd’hui connue sous le nom de boulevard Louis XIV.
[85] Il appert que le sectionnement du cours d’eau et la construction du canal afin de diriger les eaux vers le boulevard St-Joseph ont été réalisés en 1956 par le propriétaire de l’immeuble à l’époque, Michaud & Simard inc. Deux procès-verbaux du conseil de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest en traitent de façon spécifique : celui du 6 février 1956[17] et celui du 3 décembre 1956[18] :
- Le 6 février 1956 :
(…)
Le 19 janvier dernier, M. Jean-Paul Galipeault, aviseur légal de la Cie Union des Carrières et Pavages Ltée, avisait notre conseil d’informer la Cie Michaud & Simard Inc., de ne pas détourner le ruisseau qui traverse leurs propriétés dans le quartier St-Joseph-nord. Copie de cette lettre a été remise aux intéressés qui ne semblent pas avoir l’intention de détourner ce cours d’eau. (…)
- Le 3 décembre 1956 :
(…)
Dans le cours du mois de novembre, la maison Michaud & Simard Inc. s’est permis de détourner le ruisseau qui traverse ses propriétés pour le déverser sur le Boul. St-Joseph. M. le maire explique qu’il a lui-même averti les propriétaires de cette maison que ce cours d’eau est municipalisé et ne peut être détourné sans obtenir le consentement de tous les propriétaires de terrains traversés par ce ruisseau. De plus, notre aviseur légal a avisé la maison Michaud & Simard de cesser les travaux et de ne pas détourner ce cours d’eau.
Malgré tous ces avertissements l’on a comme d’habitude continuer (sic) les travaux et actuellement ce ruisseau se déverser sur le Boul. St-Joseph.
M. Paul Savard, ingénieur représentant la maison Michaud & Simard Inc. informe les membres du conseil qu’avec le consentement du Ministère de la Voirie, les entrées de chemins pourraient être agrandies pour que ces eaux puissent rejoindre le même ruisseau près du garage de l’Union des Carrières & Pavages Ltée.
M. André Savard, représentant l’Union des Carrières & Pavages Ltée, explique que cette Cie a besoin de l’eau de ce ruisseau et s’objecte à ce que le parcours soit changé.
Après avoir discuté de ce sujet assez longuement, il est résolu unanimement d’exiger que le cours d’eau soit remis à son endroit naturel et si le 6 décembre 1956, l’on a négligé de se conformer à cet avis, notre aviseur devra prendre les mesures nécessaires afin de faire remettre cette affaire dans l’ordre.
(…)
[86] Il n’y a pas de preuve que quelque suite a été donnée à la menace énoncée dans cette résolution.
[87] L’analyse de ces deux résolutions permet au départ d’inférer que l’immeuble y identifié comme étant celui de Michaud & Simard inc. est situé au nord-est de celui où se trouve la carrière de Union des carrières et pavages limitée. En effet, l’écoulement dans le cours d’eau visé par le litige se faisait généralement du nord au sud, et sur certaines de ses portions du nord-est au sud-ouest. Pas l’inverse.
[88] La suggestion de monsieur Paul Savard, de Michaud & Simard inc., dont le procès-verbal de l’assemblée du conseil du 3 décembre 1956 fait mention, que soit facilité l’écoulement des eaux détournées dans le nouveau canal et aboutissant au boulevard St-Joseph en direction du garage de Union des carrières et pavages limitée permet la même inférence. L’examen des plans préparés par les ingénieurs Bernier, Bouchard et Marchand le 21 septembre 1961 révèle en effet que la pente naturelle sur le boulevard St-Joseph, dans sa portion à l’est du boulevard Pierre-Bertrand, descend de l’est à l’ouest. Cette pente descendante continue même au-delà du boulevard Pierre-Bertrand vers l’ouest, jusqu’au coin sud de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, là où, en fait, le cours d’eau visé par le litige passait.
[89] Il est d’ailleurs significatif que, selon ce que madame Boulianne a constaté au cours de son étude technique, il y avait, en 1960, une ligne d’eau en bordure du boulevard St-Joseph, le long de la limite sud-est de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais. Là se trouvait le point le plus bas. Dans la même veine, il est étonnant que madame Boulianne n’ait pas constaté la présence d’une quelconque ligne d’eau en bordure du boulevard St-Joseph, du côté nord, entre l’embouchure du canal montré sur la photographie de 1960 et l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais. L’eau libérée par le canal, à moins d’être détournée, devait normalement s’écouler vers cet endroit par gravité, à ciel ouvert, vu l’absence de système d’égout pluvial.
[90] Quatrièmement, on ne voit plus de cours d’eau sur l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais. Et pour cause. Comme mentionné précédemment, Union des carrières et pavages limitée, à la fin de 1949, a canalisé le cours d’eau et installé une conduite souterraine de 30 pouces sur toute la distance entre le ponceau sous l’emprise du chemin de fer et le coin sud de son immeuble, en bordure du chemin St-Joseph. L’examen de la photographie de 1960, à la cinquième page du rapport de madame Boulianne, et de son agrandissement à la page 6, permet de supposer que ces travaux ont été réalisés en vue d’augmenter l’espace utile sur l’immeuble. Sans limitation, le bâtiment servant de garage a été agrandi et, en 1960, repose en partie sur l’ancien chenal du cours d’eau.
[91]
L’article
Celui dont l’héritage borde une eau courante ne faisant pas partie du domaine public, peut s’en servir à son passage pour l’utilité de cet héritage, mais de manière à ne pas empêcher l’exercice du même droit par ceux à qui il appartient, sauf les dispositions contenues dans le chapitre 51 des Statuts refondus pour le Bas-Canada, et autres lois spéciales.
Celui dont l’héritage est traversé par cette eau peut en user dans tout l’espace qu’elle parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie du fonds, à son cours ordinaire.
(nos soulignements)
[92]
Sans égard au fait que le cours d’eau, en 1949, était régi par les
dispositions des articles
[93] Aucune trace n’a par ailleurs été trouvée de quelque recours en justice introduit par la Corporation municipale de la paroisse de St-Charles de Charlesbourg contre Union des carrières et pavages limitée, à la suite de la mise en demeure du 6 décembre 1949. La municipalité, en quelque sorte, a accepté la nouvelle situation de fait créée par les travaux.
[94] Malgré ces quatre changements survenus depuis 1948, il y avait encore, en 1960, un résidu de cours d’eau en amont de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais. Plus précisément, comme le montre la photographie de 1960 à la cinquième page du rapport de madame Boulianne, il y avait encore de l’eau au nord-est du boulevard Pierre-Bertrand, à proximité de sa bordure dans le coin sud de l’autre immeuble de Union des carrières et pavages limitée, où se trouvait la carrière, et au sud-ouest du même boulevard, sur la distance séparant ce dernier du fossé au nord de l’emprise du chemin de fer. La provenance de ces eaux est indéterminée, mais on peut imaginer qu’elles provenaient notamment de l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée..
[95] Le 4 avril 1960, la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest a par ailleurs adopté un règlement, intitulé « Règlement numéro 23 », décrétant que tous les fossés, autres que les fossés de ligne, et tous les cours d’eau parcourant son territoire étaient des cours d’eau municipaux et qu’ils étaient entretenus en totalité par la corporation municipale sous la surveillance de l’inspecteur municipal. La portion du cours d’eau encore active immédiatement au nord-est de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais et, par voie de conséquence sa portion qui traversait cet immeuble dans la conduite souterraine, étaient évidemment touchées par ce règlement. Sa portion au nord-est de l’endroit où il avait été sectionné par Michaud & Simard inc., en 1956, ainsi que le canal creusé par cette dernière à la même occasion afin de diriger les eaux vers le boulevard St-Joseph l’étaient également, cela va de soi.
[96] Portons maintenant notre attention sur la période de 1960 à 1973, l’année où, le 21 avril, le territoire de la municipalité de Charlesbourg-Ouest a été annexé à celui de la Ville de Québec.
[97] Soulignons d’entrée qu’on n’a retrouvé la trace, dans les archives de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest, d’aucun règlement décrétant la construction de quelque système d’égout pluvial sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand (route Sainte-Claire) au nord-ouest du boulevard St-Joseph, où se trouve notamment l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais. L’absence de tel règlement amène le tribunal à déduire que le projet d’en construire un entre le boulevard St-Joseph et la rue des Carrières, envisagé par cette municipalité en 1965, n’a pas été réalisé. Il paraît intéressant de noter que la rue des Carrières en question avait son origine sur le boulevard Pierre-Bertrand (route Sainte-Claire), au nord-ouest du chenal du cours d’eau, en face de l’immeuble où se trouvait la carrière de Union des carrières et pavages limitée, qu’elle avait une direction générale sud-ouest et que son tracé correspondait essentiellement à celui de la rue du Calcaire actuelle. Un examen en parallèle des plans préparés par les ingénieurs Bernier, Bouchard & Marchand en 1961, des photographies de 1948 et de 1960 jointes au rapport de madame Boulianne, et des deux cartes interactives des réseaux d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial actuels de la Ville de Québec dans le secteur[19] permet d’en venir à cette conclusion.
[98] Sachant maintenant que la construction d’un système d’égout pluvial sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest du boulevard St-Joseph est postérieure à l’annexion du territoire de cette corporation municipale à celui de la Ville de Québec en 1973, examinons les photographies de 1969 et de 1973 également jointes au rapport de madame Boulianne.
[99] Un fait frappe d’entrée de jeu lors de cet examen. En effet, la portion du cours d’eau en amont de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais paraît avoir été canalisée dans une conduite souterraine entre le boulevard Pierre-Bertrand et l’emprise du chemin de fer. Si l’on se fie aux deux cartes interactives, cette conduite aboutissait, au sud, à la limite séparative entre l’immeuble où la canalisation souterraine a eu lieu et l’emprise du chemin de fer. La visite des lieux pendant le procès a permis au tribunal de constater la présence d’une conduite de 30ʺ (environ 750 mm) au bas de la pente sud du terrain au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer. Le lien entre cette conduite et la canalisation souterraine que la photographie de 1973 laisse supposer est des plus vraisemblables.
[100] Cette canalisation souterraine et la présence d’un lit d’eau dans le prolongement apparent de cette conduite souterraine, en aval, près du fossé au nord de l’emprise du chemin de fer, laissent supposer que l’apport d’eau en provenance de la zone immédiatement au nord-est du boulevard Pierre-Bertrand et, plus globalement, des environs du coin sud de l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée où se trouvait sa carrière, pouvait être significatif. Le lit d’eau que madame Boulianne identifie sur la photographie de 1969 en bordure du boulevard Pierre-Bertrand, à peu près à cet endroit, comme ceux qu’elle avait précédemment identifiés au même endroit sur les photographies de 1948 et de 1960, conforte le tribunal dans cette inférence.
[101] Souvenons-nous qu’il n’y avait pas encore de système d’égout pluvial sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest du boulevard St-Joseph. L’endroit où les eaux pluviales et, de façon plus générale, les eaux de ruissellement pouvaient être dirigées le plus facilement était le chenal du cours d’eau.
[102] Des changements importants sont par ailleurs survenus dans le secteur depuis l’annexion du territoire de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest à celui de la Ville de Québec, en 1973.
[103] Premièrement, la Ville de Québec a pris en charge les eaux pluviales sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest de l’artère qui était autrefois le boulevard St-Joseph, mais qui porte aujourd’hui le nom de boulevard Louis XIV à l’est du boulevard Pierre-Bertrand, et celui de boulevard Bastien à l’ouest.
[104] L’examen des deux cartes interactives des réseaux d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial de la Ville de Québec permet de constater qu’un premier système a été construit jusqu’à un endroit situé sur le bord du boulevard Pierre-Bertrand, du côté nord-est, à une vingtaine de mètres au sud-est de l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée où se trouve la carrière. En suivant le tracé de ce système, on est amené à supposer qu’il avait pour objectif principal, sinon le seul, d’aller cueillir les eaux qui s’accumulaient dans le coin sud de l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée où se trouve la carrière.
[105] Le système actuel, qui paraît tout à fait indépendant du premier, maintenant désaffecté, couvre la totalité de la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest de ce qui était autrefois le boulevard St-Joseph.
[106] L’examen des deux cartes interactives révèle la présence d’un nombre exceptionnel de grilles d’eaux pluviales, installées en série sur le bord du boulevard Pierre-Bertrand, sur son côté nord-est, dans le coin sud de l’immeuble de Union des carrières et pavages limitée où se trouve la carrière. Au surplus, elles sont à proximité de l’endroit ou des endroits où, selon ce qu’il appert des photographies de 1948, 1960 et 1973 jointes au rapport de madame Boulianne, de l’eau avait tendance à s’accumuler.
[107] Ces grilles ne sont assurément pas là pour la décoration. Leur présence rend encore plus vraisemblable l’importance de l’apport d’eau en provenance de cet endroit ou de ces endroits dans le chenal du cours d’eau, avant la construction d’un système d’égout pluvial.
[108] Deuxièmement, la Ville de Québec a également construit un système d’égout pluvial sur l’artère autrefois connue sous le nom de boulevard St-Joseph. Selon ce qu’il appert des deux cartes interactives qui, malgré leur date du 13 mars 2014, montrent l’état des lieux avant les travaux effectués par Gestion Desharnais en 2011 et 2012, les eaux pluviales prises en charge dans la conduite sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest de cette artère, dans une conduite de 450 mm, sont, à partir de l’intersection, dirigées vers l’ouest sur le boulevard Bastien, dans une conduite de 750 mm. Dans le coin sud de l’immeuble de Gestion Desharnais, les eaux écoulées dans la conduite le traversant du nord au sud sont prises en charge. Puis, toutes ces eaux sont enfin dirigées dans une conduite de 900 mm vers le boulevard La Morille, plus au sud-ouest, à une trentaine de mètres de l’endroit où, autrefois, le chenal du cours d’eau se trouvait. Cette conduite poursuit par la suite sa course vers le sud, sur le boulevard La Morille.
[109] Troisièmement, la Ville de Québec a également construit un système d’égout pluvial dans tout le secteur qui se trouve au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer, dans l’axe formé par cette emprise et la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest de l’artère autrefois connue sous le nom du boulevard St-Joseph.
[110] L’examen des deux cartes interactives des réseaux d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial de la Ville de Québec, du plan topographique produit comme pièce VQD-26 et du plan de modélisation que l’on retrouve à la page 10 du rapport de madame Marie Paré-Bourque, produit comme pièce VQD-25, permet de comprendre comment ce système a été conçu et réalisé.
[111] Les eaux pluviales en provenance du nord-ouest de la rue du Calcaire[20] sont prises en charge sur cette dernière dans une conduite de 375 mm et dirigées vers le sud-ouest sur une distance de l’ordre de 200 m, si l’on se fie à l’échelle montrée sur les deux cartes interactives. Elles sont recueillies à cet endroit dans une conduite de 600 mm en provenance d’une zone qui paraît être une zone commerciale ou industrielle, plus au nord-ouest[21] et dirigées vers le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer, où elles aboutissent à un endroit à une distance de l’ordre de 275 mm du ponceau sous la même emprise, au nord de l’immeuble de Gestion Desharnais.
[112] D’autres eaux pluviales en provenance du nord-ouest aboutissent au même endroit dans le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer. Il s’agit de celles prises en charge dans la zone où se trouve une rue à vocation résidentielle, la rue des Graviers. Elles y sont acheminées dans une conduite d’un diamètre initial de 375 mm, puis par la suite dans une conduite de 450 mm.
[113] Toutes ces eaux sont enfin dirigées par le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer vers le ponceau sous cette dernière, au nord de l’immeuble de Gestion Desharnais.
[114] D’autres eaux pluviales s’ajoutent enfin à celles qui précèdent dans le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer et sont également dirigées vers le même ponceau. En effet, trois conduites d’un diamètre de 150 mm chacune, qui aboutissent dans le flanc du talus à la limite des terrains au nord du fossé en question, évacuent les eaux pluviales en provenance d’une zone au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer et à l’ouest de l’immeuble de Gestion Desharnais[22].
[115] Pour réguler le débit de toutes ces eaux dirigées vers le ponceau sous l’emprise de l’ancien chemin de fer, la Ville de Québec, vers 1998, a aménagé dans le fossé au nord de l’emprise, à l’ouest de l’immeuble de Gestion Desharnais, deux bassins de rétention avec digue, conduite-orifice et déversoir d’urgence. L’emplacement de ces ouvrages est montré sur le plan de modélisation.
[116] Advenant un trop-plein, les eaux excédentaires emprunteraient une conduite d’urgence ayant son origine dans le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer, à proximité des points de chute des eaux en provenance des sous-secteurs S2 et S6 montrés sur le plan de modélisation, d’une part, et de celles en provenance du sous-secteur S1, d’autre part, et aboutissent sur le boulevard Bastien, à une distance indéterminée de l’immeuble de Gestion Desharnais à l’ouest. L’emplacement de ce déversoir d’urgence est notamment sur le plan de modélisation.
[117] Quatrièmement, il n’y a plus d’écoulement d’eau dans la conduite souterraine dans laquelle la portion du cours d’eau en amont de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais a été canalisée entre 1960 et 1973, entre le boulevard Pierre-Bertrand et l’emprise du chemin de fer. La visite des lieux a permis à tous de le constater. Il est d’ailleurs indiqué sur les deux cartes interactives des réseaux d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial de la Ville de Québec que cette conduite est inactive.
[118] Les plans détaillés en vue de la construction du système d’égout pluvial sur cette portion du boulevard Pierre-Bertrand n’ont pas été produits. L’examen des deux cartes interactives suffit cependant pour inférer que la conduite a été sectionnée dans l’assiette du boulevard Pierre-Bertrand, et que toutes les eaux en provenance du côté nord-est du boulevard Pierre-Bertrand qui s’écoulaient dans cette conduite aboutissent maintenant dans la conduite d’égout pluvial de la Ville de Québec sous ce dernier et sont dirigées vers le boulevard Bastien.
[119] L’époque à laquelle ce sectionnement a été effectué sur le boulevard Pierre-Bertrand est indéterminée. Toutefois, puisque nous avons précédemment établi que le premier système d’égout pluvial a été construit sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest du boulevard St-Joseph après l’annexion du territoire de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest à celui de la Ville de Québec, qui a eu lieu en 1973, il paraît à priori raisonnable d’inférer que le sectionnement a également eu lieu après 1973. Nous y reviendrons plus tard.
[120] Quoi qu’il en soit, un fait devient maintenant certain : comme suite à son sectionnement en 1956 sur l’immeuble qui appartient alors à Michaud & Simard inc., comme suite, également, à l’expansion des deux carrières vers le sud-ouest et comme suite, enfin, au sectionnement de la conduite dans l’assiette du boulevard Pierre-Bertrand et le détournement des eaux qui s’y écoulaient dans le système d’égout pluvial de la Ville de Québec, le cours d’eau naturel montré sur le plan originaire de la paroisse de Charlesbourg de 1873, qui suivait une direction générale nord-sud et traversait l’immeuble appartenant aujourd’hui à Gestion Desharnais, à tout le moins au sud-ouest du boulevard Pierre-Bertrand.
[121] Qu’en est-il, maintenant, eu égard à l’écoulement des eaux, de la situation au sud-ouest du boulevard Pierre-Bertrand, dans le territoire directement au nord de l’immeuble de Gestion Desharnais et de la portion de l’emprise de l’ancien chemin de fer qui y est contiguë au nord ?
[122] Selon le plan de modélisation que l’on trouve à la page 10 du rapport de madame Marie Paré-Bourque[23], les eaux paraissant pouvoir s’écouler naturellement vers l’emprise de l’ancien chemin de fer sont celles du sous-secteur dit « S5 ». Madame Paré-Bourque a reconnu au cours de son témoignage que c’était le cas.
[123] Madame Paré-Bourque a par ailleurs déclaré que l’écoulement des eaux se produit toujours perpendiculairement aux lignes montrées sur un plan topographique. Appelée à indiquer, sur le plan topographique produit comme pièce VQD-26, qui montre l’état actuel des lieux, comment cela se traduisait en fait, au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer, elle a tracé partout au sud-est de la rue du Calcaire des lignes fléchées dont l’orientation est franc sud et qui sont perpendiculaires à l’emprise de l’ancien chemin de fer. Copie de ce plan topographique est jointe en annexe au présent jugement aux fins d’illustration.
[124] Cinquièmement, la Ville de Québec, à une date indéterminée après 2005, a construit, sur le deuxième immeuble au nord de celui qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, soit le lot 4 110 389, et qui a front sur le boulevard Pierre-Bertrand, une aire de stationnement pavée au bénéfice des usagers de la piste cyclable.
[125] L’examen des deux cartes interactives des réseaux d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial de la Ville de Québec révèle la présence d’une grille d’eaux pluviales au centre de l’aire de stationnement qui recueille toutes les eaux s’y accumulant et les dirige vers ce qui paraît être un lit de pierre ou un puits sec, à proximité de l’emprise de l’ancien chemin de fer, légèrement à l’ouest de la ligne de direction de la conduite aujourd’hui inactive.
[126] L’examen de la carte topographique produite comme pièce VQD-26 révèle également la présence de cette grille d’eaux pluviales sur l’aire de stationnement pavée, et que ces eaux aboutissent dans une zone de terrain où il y a une dépression, légèrement à l’ouest de la conduite inactive, encore une fois.
[127] Ces constatations nous ramènent au rapport de madame Boulianne, plus particulièrement aux photographies postérieures à celle de 1973, sur laquelle on a constaté pour la première fois qu’une conduite de canalisation au nord de l’emprise du chemin de fer, et aux commentaires de cette dernière à propos des photographies. Une première date de 1979, une seconde de 2005 et une troisième de 2013.
[128] Sur la photographie de 1979, la situation au nord de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais paraît essentiellement la même que celle sur la photographie de 1973. Madame Boulianne note, dans son commentaire y afférent, que « le lit d’écoulement…provenant du nord (est) toujours présent (…). » Rien ne permet de douter de la justesse de ce commentaire.
[129] Sur la photographie de 2005, on constate au premier coup d’œil que des changements importants sont survenus. Sans limitation, la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-est de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, et le boulevard Bastien au sud-est, ont été refaits au complet. Un examen parallèle du certificat de localisation préparé par monsieur Jean-Paul Martel, a.-g., le 24 septembre 1999, qui montre une configuration différente du boulevard Pierre-Bertrand en face de l’immeuble, et sur lequel on constate la présence d’un abri sur le côté sud-est du bâtiment principal sur l’immeuble, qui n’est plus là en 2005, amène à supposer que ces travaux sur le boulevard Pierre-Bertrand et le boulevard Bastien ont été réalisés entre 1999 et 2005. Comme sur la photographie de 2005, le pavage sur ces deux artères ne semble pas flambant neuf, il paraît raisonnable de situer ces travaux auparavant, au début des années 2000.
[130] L’examen parallèle de cette photographie de 2005 et de celle de 2013, postérieure aux travaux effectués par Gestion Desharnais, entraîne par ailleurs le tribunal à supposer que les travaux de construction du système actuel d’égout pluvial sur la portion du boulevard Pierre-Bertrand au nord-ouest du boulevard Bastien ont également été effectués au début des années 2000. En effet, l’importance des travaux réalisés au cours de cette période sur le boulevard Pierre-Bertrand et le boulevard Bastien, à proximité de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, rend peu vraisemblable que l’on n’ait pas, en même temps, effectué les travaux visant à rendre le système d’égout pluvial sur le boulevard Pierre-Bertrand tel qu’il est actuellement.
[131] Cela amène le tribunal à émettre des réserves à l’égard du commentaire de madame Boulianne à propos de la photographie de 2005, identique à celui qu’elle avait fait à propos de la photographie de 1979, que « le lit d’écoulement…provenant du nord (est) toujours présent. » Si, comme la preuve entraîne à le supposer, les travaux qui ont rendu le système d’égout pluvial sur le boulevard Pierre-Bertrand tel qu’il est actuellement ont été effectués au début des années 2000, il est impossible que le fil d’eau identifié par madame Boulianne sur cette photographie de 2005 soit celui de l’ancien cours d’eau provenant du nord-est. En effet, la conduite souterraine dans laquelle la portion du cours d’eau entre le boulevard Pierre-Bertrand et l’emprise du chemin de fer avait été canalisée entre 1960 et 1973 a été sectionnée dans l’assiette du boulevard Pierre-Bertrand au plus tard lors de la réalisation de ces travaux.
[132] Le tribunal remarque la plus grande réserve de madame Boulianne dans son commentaire à propos de la photographie de 2013. Quoiqu’elle indique, sur la photographie, un fil d’eau d’une direction nord-sud, au nord du fossé de l’emprise de l’ancien chemin de fer, comme elle l’avait fait sur celles de 1979 et de 2005, elle ne mentionne plus que « le lit d’écoulement…provenant du nord (est) toujours présent. ». On sait maintenant que ce fil d’eau est vraisemblablement celui des eaux pluviales en provenance de la grille de l’aire de stationnement destinée aux usagers de la piste cyclable, dirigées vers un lit de pierre ou un puits sec en bas de la pente.
[133] Le seul autre immeuble dans le territoire directement au nord de l’immeuble de Gestion Desharnais et de la portion de l’emprise de l’ancien chemin de fer qui y est contiguë au nord est celui au sud-est de l’immeuble où se trouve l’aire de stationnement destinée aux usagers de la piste cyclable. Identifié au cadastre sous le numéro 1 036 726, il est borné au nord-est par le boulevard Pierre-Bertrand et au sud par l’emprise de l’ancien chemin de fer. Il appert des deux cartes interactives du réseau d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial de la Ville de Québec que les eaux pluviales de cet immeuble sont dirigées vers le boulevard Pierre-Bertrand.
[134] Au terme de l’analyse qui précède, le tribunal conclut d’abord que les eaux qui s’écoulaient dans la conduite qui traversait l’immeuble de Gestion Desharnais du nord au sud au moment où cette dernière a entrepris les travaux de la deuxième étape de son projet, et celles qui s’écoulent maintenant dans la nouvelle conduite construite par Gestion Desharnais en 2012, ne sont plus les eaux du cours d’eau naturel qui, autrefois, y passait, ni de quelque autre cours d’eau naturel.
[135] La preuve convainc par ailleurs le tribunal que The Quebec and Lake St-John Railway, l’auteur en titre du gouvernement du Québec, et la Ville de Québec, par des travaux, ont altéré la situation des lieux au nord de l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais et ont canalisé, détourné ou autrement dirigé vers l’immeuble de Gestion Desharnais, plus précisément dans la conduite qui le traverse du nord au sud, des eaux qui, autrement, s’écouleraient vers les immeubles à l’ouest de ce dernier, en suivant une direction nord-sud.
[136] Quant aux eaux pluviales en provenance des immeubles au nord de l’immeuble de Gestion Desharnais qui s’écouleraient naturellement vers ce dernier, si ce n’était de l’exhaussement construit par The Quebec and Lake St-John Railway à la fin du 19e siècle, elles y parviendraient soit dans le sol, soit de façon dispersée à la surface, sur toute sa largeur. L’absence quasi totale d’écoulement naturel d’eaux de surface en provenance de ces immeubles, constatée lors de la visite des lieux, en plein printemps et alors que le sol regorgeait d’eau, a convaincu le tribunal que ce serait le cas.
[137] Soulignons au passage que cet exhaussement n’est plus requis pour l’exploitation d’un chemin de fer.
[138] Vu ce qui
précède, il faut conclure que les eaux que l’immeuble Gestion Desharnais reçoit
par la conduite qui le traverse du nord au sud ne sont pas des eaux écoulées naturellement
des fonds plus élevés. Considérant que l’article
[139] La Ville de Québec soutient que le cours d’eau faisant l’objet du litige, qui, rappelons-le, s’écoulait au départ à ciel ouvert sur l’immeuble qui appartient aujourd’hui à Gestion Desharnais, a été par la suite canalisé et a enfin été sectionné en amont, dans l’assiette du boulevard Pierre-Bertrand, demeure malgré tout un cours d’eau. Elle plaide que le cours d’eau a été « municipalisé ou verbalisé » par le règlement numéro 23 de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest adopté le 4 avril 1960, et qu’il n’a par la suite fait l’objet d’aucune résolution l’abrogeant, ni par la municipalité de Charlesbourg-Ouest, ni par la Ville de Québec.
[140] La Ville
de Québec appuie son argumentation sur l’article
[141] L’article 248 de cette loi, sur lequel la Ville de Québec s’appuie, énonce :
248. Sous réserve du troisième alinéa, les règlements, résolutions, procès-verbaux, ententes et autres actes adoptés conformément à une disposition remplacée ou abrogée par la présente loi demeurent en vigueur ou continuent d’avoir effet jusqu’à ce qu’ils soient modifiés, remplacés ou abrogés ou jusqu’à ce que leurs objets soient accomplis.
Tout acte visé au premier alinéa peut être modifié, remplacé ou abrogé par une résolution lorsque l’objet de cet acte n’est pas une mesure réglementaire.
Les règlements, procès-verbaux et actes d’accord qui concernent les chemins, ponts et cours d’eau ne peuvent être modifiés ni remplacés. Ils peuvent être abrogés par une résolution.
(nos soulignements)
[142] L’absence de résolution abrogeant le cours d’eau qui fait l’objet du litige n’est pas contestée.
[143] La
prétention de la Ville de Québec ne résiste pas à l’analyse. Nous avons établi
plus haut que le cours d’eau naturel en provenance du nord-est n’existe plus
depuis qu’il a été sectionné par la Ville de Québec au boulevard
Pierre-Bertrand. Nous avons également établi que les autres eaux qui
parviennent à l’immeuble de Gestion Desharnais en provenance des fonds
supérieurs ne sont pas des eaux écoulées naturellement, par le fait de The
Quebec and Lake St-John Railway et, plus récemment, par celui de la Ville
de Québec, et que, en vertu de l’article
3. La demande en dommages de Gestion Desharnais
[144] L’acheminement
vers un fonds inférieur d’eaux que ce dernier n’est pas assujetti à recevoir en
vertu de l’article
[145] Son recours est dirigé contre le Gouvernement du Québec, qui est le propriétaire du fonds supérieur immédiatement voisin du sien, sur lequel l’exhaussement se trouve, et contre la Ville de Québec, qui est propriétaire du réseau d’égout pluvial et de plusieurs ouvrages au nord et au nord-ouest du fonds de Gestion Desharnais.
3.1 La prescription
[146] Au paragraphe 117 de sa défense, la Ville de Québec soulève, à son égard, le moyen de la prescription à l’encontre du recours en dommages de Gestion Desharnais.
[147] Tranchons d’abord cette question.
[148] La Ville de Québec a signalé la présence d’une conduite souterraine d’égout pluvial sur l’immeuble de Gestion Desharnais le 8 février 2011, lorsqu’elle a communiqué à Axys Consultants inc., les ingénieurs dont Gestion Desharnais avait retenu les services pour la préparation des plans et devis de génie civil, le plan montrant les composantes de son réseau d’égout pluvial sur les portions du boulevard Bastien et du boulevard Pierre-Bertrand adjacentes à l’immeuble[24].
[149] À ce moment, on ne savait pas trop, tant du côté de la Ville de Québec que de celui de Gestion Desharnais, de quoi il retournait à propos de cette conduite. L’utilisation d’une ligne fléchée verte pour l’identifier sur le plan de la Ville de Québec comme pour identifier les conduites municipales d’égout pluvial sur le boulevard Bastien et sur le boulevard Pierre-Bertrand, la mention de son diamètre comme pour ces autres conduites, et la teneur des courriels échangés entre monsieur Laroche, de Axys Consultants inc., et monsieur Gagnon, de la Ville de Québec, témoignent notamment de la confusion qui régnait.
[150] La présence de la conduite sous l’immeuble de Gestion Desharnais a été confirmée de façon certaine, et son parcours identifié, au tout début d’octobre 2012, lors des travaux d’excavation en vue de la construction du nouvel entrepôt de Gestion Desharnais. Gestion Desharnais a également su avec certitude à ce moment que la conduite était active. À ce sujet, le tribunal retient la déclaration de monsieur Laroche que, dans son esprit, jusque-là, il croyait que, si conduite il y avait, elle était désaffectée. Il ne pouvait imaginer, a-t-il précisé, que la conduite était active et que personne n’était au courant.
[151] Vu l’implantation prévue pour le nouvel entrepôt, il est alors devenu inévitable que le parcours de la conduite devrait être déplacé, qu’une nouvelle conduite devrait être construite et que des coûts importants seraient encourus.
[152] Gestion Desharnais a appris quelques jours plus tard que la conduite de remplacement devrait nécessairement traverser son immeuble du nord au sud, comme la précédente, parce que le système d’égout pluvial de la Ville de Québec n’était pas apte à recevoir les eaux dirigées vers la conduite traversant son immeuble.
[153] Les pourparlers qui ont suivi entre Gestion Desharnais et la Ville de Québec ayant échoué, Gestion Desharnais a construit et installé une nouvelle conduite de même diamètre que la précédente sur son immeuble et a payé les coûts que ces travaux ont entraînés.
[154] La demande en justice de Gestion Desharnais, déposée le 22 février et signifiée le 26 février 2013, comprenait à l’origine des conclusions déclaratoires visant la propriété de la conduite qui, selon elle, appartenait soit à la Ville de Québec, soit au Gouvernement du Québec, et l’assumation des coûts de son déplacement ainsi que de certains frais y afférents, par l’un ou l’autre de ces derniers, selon le cas. La conclusion demandant la condamnation de la Ville de Québec et du Procureur général du Québec à des dommages afin de l’indemniser des mêmes coûts et frais a été ajoutée dans sa requête introductive d’instance réamendée du 13 juin 2014, en remplacement de la conclusion déclaratoire du départ.
[155] Gestion
Desharnais a signifié sa demande moins de cinq mois après la confirmation
formelle de la présence d’une conduite enfouie sous son terrain, de
l’écoulement d’eau dans cette dernière et de la nécessité de la déplacer pour
permettre la construction de son entrepôt. Le délai prévu à l’article
[156] L’interruption de la prescription résultant du dépôt de cette demande se continue jusqu’au jugement passé en force de chose jugée et a son effet pour tout droit découlant de la même source[25].
[157] La demande de Gestion Desharnais en dommages afin de l’indemniser des coûts du déplacement de la conduite, ainsi que de certains frais y afférents, a, de toute évidence, la même source que la demande telle qu’introduite à l’origine.
[158] Ce moyen de la Ville de Québec ne peut donc être retenu.
3.2 La responsabilité
[159] On se souvient que monsieur Laroche, ingénieur, de Axys Consultants inc., dont Gestion Desharnais avait retenu les services pour la préparation des plans et devis de génie civil, a eu connaissance de la présence possible d’une conduite d’égout pluvial de 750 mm enfouie sous le terrain de sa cliente lorsqu’il a reçu la carte interactive, pièce P-5, de la Ville de Québec, au cours de la première moitié de février 2011.
[160] La communication de cette carte interactive, il convient de le souligner, a eu lieu dans le cadre de pourparlers entre monsieur Laroche et le préposé du Service de l’ingénierie de la Ville de Québec, monsieur Gagnon, visant à convenir de l’endroit où les eaux pluviales de l’immeuble de Gestion Desharnais seraient reçues dans le système d’égout pluvial municipal.
[161] Lorsque monsieur Laroche s’est enquis auprès de monsieur Gagnon, après la réception de cette carte interactive, s’il avait des informations « sur le réseau privé situé sur le terrain de Desharnais » et sur « la conduite pluviale de la Ville (qui) traverse le terrain », notamment, dans ce dernier cas, des plans, ce dernier lui a répondu laconiquement :
« Aucune information sur le réseau privé, (…) et aucune servitude Ville pour le réseau pluvial existant. Le propriétaire du terrain doit connaître la nature de cette conduite et de sa servitude. »
[162] Cette communication n’avait rien d’éclairant.
[163] À la fin de l’été 2011, madame Sonya Beaumont, également du Service de l’ingénierie de la Ville de Québec, a transmis à monsieur Laroche la carte interactive, pièce P-8, montrant l’emplacement du regard, en bordure du boulevard Pierre-Bertrand, où les eaux pluviales de l’immeuble de Gestion Desharnais seraient finalement reçues dans le système d’égout pluvial municipal.
[164] Comme déjà mentionné, il n’y avait aucune trace, sur cette carte interactive, de la présence d’une conduite pluviale de 750 mm sur le terrain de Gestion Desharnais. Cette omission amena monsieur Laroche à solliciter une explication de la part de madame Beaumont. Il eut pour seule réponse qu’elle ne voyait pas cette conduite sur l’écran de son ordinateur.
[165] Quand la conduite a été découverte, lors des travaux d’excavation en vue de la construction de l’entrepôt, à l’automne 2012, monsieur Laroche en a immédiatement informé madame Beaumont, lui a indiqué que la conduite provenait du fossé longeant la piste cyclable ainsi que de quelques terrains au nord, et l’a avisée que la conduite ne pouvait demeurer à cet endroit, que les travaux d’enlèvement avaient débuté et qu’il faudrait trouver une solution pour rediriger ces eaux qui s’écoulaient sur le terrain de sa cliente.
[166] La réponse de la Ville de Québec se résume au contenu de deux paragraphes du courriel transmis par monsieur Dominique Lord, le directeur, Section des permis et de l’inspection, de l’Arrondissement des Rivières, à monsieur Laroche le 30 octobre :
Après vérifications et recherches, nous vous informons que la Ville considère que la conduite est de propriété privée. La conduite a été mise en place par l’un des propriétaires antérieurs.
La Ville vous enjoint donc d’apporter des correctifs tel que mentionné, pour remettre en place une conduite ou autre mesure d’écoulement afin de permettre aux eaux provenant des fonds supérieurs de s’écouler vers les fonds inférieurs.
[167] La lettre adressée par les procureurs de Gestion Desharnais le 15 novembre suivant à monsieur Clément Bilodeau, le directeur général de l’arrondissement des Rivières, n’a rien changé.
[168] Cette attitude de la Ville de Québec est étonnante, pour le moins.
[169] La Ville de Québec, lors de l’annexion du territoire de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest, en 1973, a pris à sa charge et s’est engagée à entretenir à ses frais les cours d’eau que la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest avait municipalisés par son règlement numéro 23 adopté le 4 avril 1960.
[170] En 2011, la Ville de Québec connaissait, ou devait connaître, l’existence dans le temps du cours d’eau naturel qui fait l’objet du litige. L’information était disponible dans les archives de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest.
[171] En 2011, la Ville de Québec savait également, ou devait savoir, que Union des carrières et pavages limitée, un auteur en titre de Gestion Desharnais, avait, à la fin de 1949, canalisé ce cours d’eau naturel dans une conduite souterraine de 750 mm traversant l’immeuble du nord au sud, entre l’emprise du chemin de fer et le chemin St-Joseph. L’information était disponible dans les archives de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest.
[172] En 2011, la Ville de Québec savait également, ou devait savoir, que ce cours d’eau naturel avait été sectionné par Michaud & Simard inc. en 1956, à la limite nord-est de son immeuble, et que les eaux de ce cours d’eau naturel avaient été détournées dans un canal vers le boulevard St-Joseph. L’information était disponible dans les archives de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest.
[173] En 2011, la Ville de Québec savait également, ou devait savoir, que le cours d’eau naturel, ou plutôt ce qu’il en restait au nord du boulevard Pierre-Bertrand, avait été sectionné au début des années 2000 dans l’assiette dudit boulevard, que toutes les eaux avaient été dirigées dans son système d’égout pluvial et qu’en conséquence, il n’y avait plus d’écoulement naturel vers les immeubles en aval. C’est elle qui a réalisé les travaux.
[174] En 2011, la Ville de Québec savait également, ou devait savoir, que la conduite de 750 mm traversant l’immeuble de Gestion Desharnais du nord ou sud servait en définitive exclusivement à drainer dans un collecteur d’égout pluvial sur le boulevard Bastien les eaux provenant de son système d’égout pluvial dans un secteur d’une superficie significative au nord-ouest de l’immeuble de Gestion Desharnais, et d’abord dirigées dans le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer. C’est elle qui a réalisé tous les travaux, tant dans le secteur au nord-ouest de l’immeuble de Gestion Desharnais et le fossé au nord de l’emprise de l’ancien chemin de fer que sur le boulevard Bastien.
[175] Somme
toute, la Ville de Québec, en 2011, savait, ou devait savoir, que les eaux
qu’elle dirigeait dans la conduite de 750 mm qui traversait l’immeuble de
Gestion Desharnais n’étaient pas des eaux écoulées naturellement et que, ce
faisant, elle aggravait considérablement la situation de cet immeuble en
violation des règles de l’article
[176] Le tribunal retient de la preuve que la Ville de Québec avait un contrôle inadéquat de la situation concernant le cours d’eau naturel qui coulait autrefois dans le secteur, dont elle a assumé la charge du résidu lors de l’annexion du territoire de la Corporation municipale de Charlesbourg-Ouest, en 1973, et qui n’existe plus.
[177] Le tribunal retient par ailleurs que la Ville de Québec, connaissant l’existence de la conduite traversant l’immeuble de Gestion Desharnais, s’en servait sans s’interroger sur la légitimité de tel usage, comme si la conduite faisait partie de son système d’égout pluvial.
[178] Le défaut des préposés de la Ville de Québec de procéder à une enquête sérieuse sur la situation, après que monsieur Laroche eût attiré leur attention sur la ligne pointillée fléchée signalant la présence d’une conduite pluviale de 750 mm sur l’immeuble de Gestion Desharnais, sur une carte interactive émanant de la Ville elle-même, et plus encore, après avoir constaté que la Ville n’avait pas de servitude sur cet immeuble, est reprochable.
[179] Gestion Desharnais, au moment où elle a entrepris la réalisation de son projet, en 2011, pouvait peut-être raisonnablement s’attendre à ce qu’il y ait une conduite enfouie sous son immeuble. Elle pouvait peut-être également considérer possible qu’on la découvre en excavant. Elle pouvait peut-être enfin considérer possible que de l’eau s’écoule de cette conduite. Elle ne pouvait cependant tenir pour acquis que la conduite, s’il y en avait une, ferait obstacle en raison de son emplacement à la construction de l’entrepôt pour lequel elle détenait un permis. Plus encore, contrairement à la Ville de Québec, elle ne détenait pas les informations lui permettant d’apprécier la légitimité de l’écoulement d’eau dans cette conduite, le cas échéant.
[180] Près de vingt mois se sont écoulés entre la constatation, sur la carte interactive, pièce P-5, qu’une ligne pointillée et fléchée montrait une conduite pluviale de 750 mm traversant l’immeuble de Gestion Desharnais et le début des travaux d’excavation en vue de la construction de l’entrepôt sur ce dernier, au cours desquels on a découvert la conduite. Ce délai suffisait amplement à la Ville de Québec pour mener une enquête sérieuse, apprécier la légitimité de l’acheminement qu’elle faisait de ses eaux pluviales vers l’immeuble de Gestion Desharnais, engager avec cette dernière des pourparlers en vue de régulariser la situation, convenir d’une servitude et de son assiette, ainsi que d’une indemnité, ou, à défaut, exproprier, procéder à un appel d’offres et installer une nouvelle conduite répondant aux besoins actuels dans l’assiette de la servitude, afin de remplacer l’existante, qui datait de 1949.
[181] Pendant cette période de près de vingt mois, la Ville de Québec a eu la chance d’éviter les dommages résultant de l’aggravation, par son fait, de la situation de l’immeuble de Gestion Desharnais. Elle ne l’a pas saisie.
[182] La lettre adressée par monsieur Lord, le directeur, Section des permis et de l’inspection, à l’Arrondissement des Rivières, à monsieur Jean-Guy Roy, le directeur général de Gestion Desharnais, le 30 octobre 2012, témoigne de l’entêtement de la Ville de Québec même après la découverte de la conduite, malgré les protestations de l’ingénieur de Gestion Desharnais.
[183] À la lumière de ce qui précède, le tribunal conclut que la Ville de Québec a été négligente et doit être tenue responsable des dommages causés à Gestion Desharnais en raison de l’aggravation de la situation de l’immeuble de Gestion Desharnais dont elle est l’auteure et de son défaut d’y mettre fin en temps utile.
[184] Qu’en est-il, maintenant, de la responsabilité du gouvernement du Québec ?
[185] Nous avons établi plus haut que l’exhaussement du sol par The Quebec and Lake St-John Railway au nord de l’immeuble de Gestion Desharnais, à la fin du dix-neuvième siècle, aux fins de l’exploitation du chemin de fer, a créé un obstacle infranchissable à l’écoulement naturel des eaux en provenance des immeubles plus élevés. Nous avons également établi que The Quebec and Lake St-John Railway avait remédié au problème en canalisant les eaux ainsi interceptées et en les dirigeant vers le cours d’eau naturel qui fait l’objet du litige, et qui existait à l’époque, afin qu’elles s’écoulent vers les fonds inférieurs. Nous avons enfin établi que ces eaux ne pouvaient être qualifiées d’eaux « écoulées naturellement » dans le cours d’eau.
[186] En nous fondant sur ces seuls faits, nous devrions en principe procéder, à l’égard du gouvernement du Québec, à une analyse des questions de l’aggravation de la situation de l’immeuble de Gestion Desharnais et de sa responsabilité pour les dommages subis par cette dernière. Compte tenu de l’ensemble des faits, cependant, il n’y a même pas lieu de le faire. La construction par la Ville de Québec du système d’égout pluvial sur le boulevard Pierre-Bertrand, du système d’égout pluvial et des autres ouvrages servant au drainage des eaux pluviales dans le secteur au nord et au nord-ouest de l’immeuble de Gestion Desharnais et, de façon plus générale, la prise en charge par elle de la gestion des eaux pluviales dans le secteur, ont libéré le gouvernement du Québec de toute possibilité de responsabilité pour les dommages subis par Gestion Desharnais. Ces dommages ne sont pas une suite immédiate et directe de son fait.
[187] La demande en dommages de Gestion Desharnais sera donc rejetée à son égard.
3.3 Les dommages
[188] Le montant de 492 194,05 $, avant prise en compte des taxes applicables, que Gestion Desharnais réclame représente les coûts additionnels qui, selon elle, ont été entraînés lors des travaux de construction de son entrepôt par la présence de la conduite, qu’il a fallu déplacer et remplacer.
[189] L’état de ventilation des coûts préparé par Ronam constructions inc. le 19 juin 2013 fait état d’un montant de 550 994,05 $, avant les taxes applicables. Il a été amendé en début d’audience à 492 194,05 $, Gestion Desharnais expliquant que l’écart de 58 800 $ avait trait à des travaux de raccordement (regards, puisards et contrôleurs de débit) qui n’avaient pas été réalisés et qu’un crédit de ce montant lui avait été accordé. Ronam constructions inc. avait omis de tenir compte de ce crédit lors de la préparation de l’état de ventilation.
[190] Les coûts additionnels réclamés par Gestion Desharnais comprennent des frais de location de pompes et de boyaux (519,06 $), le coût de travaux additionnels effectués par le sous-traitant de Ronam constructions inc. pour les travaux d’excavation, P.E. Pageau inc. (470 497,83 $ avant prise en compte du crédit de 58 800 $), et les frais généraux (50 000 $) ainsi que les frais d’administration et le profit (26 237,81 $) de Ronam constructions inc.
[191] La Ville de Québec a fait entendre comme témoin expert monsieur Jean-Alexandre Bouchard, un économiste en construction agréé, de Tetra Tech. Ce dernier a effectué l’estimation des coûts des travaux de drainage pluvial dont les plans de génie civil préparés pour le projet d’entrepôt faisaient état. Pour ce faire, précise-t-il dans son rapport du 30 septembre 2015, il s’est fondé sur les renseignements fournis.
[192] Il conclut ainsi son rapport :
Dans l’éventualité où la Ville serait déclarée responsable par le tribunal, en fonction des faits présentés, nous concluons que la demanderesse, Gestion F.D. Desharnais, pourrait se voir rembourser un montant maximum de 175 707 $ pour les coûts de la conduite de 750 mm (voir le Tableau 2-2 et l’Annexe A-4).
Selon les documents reçus, des matériaux d’excavation contaminés devaient être traités. Le fait de ne pas disposer de l’information pour valider la présence de ces matériaux sur le site aurait pu avoir une incidence sur le volume d’excavation et de remblai que nous avons prévu en plus ou moins.
Par ailleurs, des travaux effectués en période hivernale affectent les excavations et le remblai car il faut ajouter le déneigement et la protection des remblais pour que la glace ne se mélange pas aux matériaux.
Quant aux travaux en mode accéléré, ils ont pour but de terminer le projet plus rapidement. Ce mode augmente le nombre de travailleurs, de même que la machinerie. On doit donc garder en tête l’espace disponible pour l’ajout de tous ces équipements et de la main-d’œuvre. Il existe un point de rupture qui fait que même si on ajoute du personnel ou de la machinerie, il n’existe plus assez de place pour opérer efficacement. Il ne reste alors qu’à ajouter un nouveau quart de travail.
Compte tenu des faits présentés, les montants réclamés par Gestion F.D. Desharnais sont trop élevés. Il s’agit sûrement de montants couvrant plus que les montants pour la conduite de 750 mm Ǿ. Tous les travaux sur le site pour le réseau pluvial, le réseau sanitaire et l’aqueduc semblent inclus dans les montants réclamés.
[193] Se fondant sur la preuve, notamment sur les témoignages de l’ingénieur Christian Laroche, de monsieur Jacques Debroux, de Ronam constructions inc., qui était chargé du projet, et de monsieur Vincent Pageau, de P.E. Pageau inc., qui était également chargé du projet, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de retenir la réclamation de Gestion Desharnais telle que soumise.
[194] Les ingénieurs, l’entrepreneur général et le sous-traitant, après la découverte de la conduite et la réalisation qu’elle devrait être déplacée et remplacée pour la construction de l’entrepôt, ont dû travailler dans des conditions exceptionnelles, en raison des complications que les travaux à ces fins occasionnaient et des délais qui devaient être respectés à tout prix. Les travaux de déplacement et de remplacement de la conduite devaient être effectués en priorité, puisque celle existante passait à l’intérieur du périmètre du futur entrepôt. Ces travaux entraînaient à leur tour un décalage de ceux d’installation des conduites d’égout et d’aqueduc devant desservir ce futur entrepôt. Par ailleurs, les travaux sur la nouvelle conduite entrant en conflit avec ceux de construction de l’entrepôt, vu la proximité, il a fallu y procéder par secteurs. Leur réalisation ne pouvait ainsi être efficace et leur coordination était rendue très difficile. La construction de la nouvelle conduite s’est faite en bonne partie dans des conditions hivernales, et a ainsi été beaucoup plus compliquée en raison des contraintes causées par le gel. Le remblai a également coûté plus cher. En définitive, vu ces contraintes, les coûts de main-d’œuvre et de machinerie se sont avérés substantiellement plus élevés que si les travaux avaient été réalisés dans des conditions normales .
[195] Tous ces travaux imprévus, qui plus est, ont été réalisés dans un contexte où le nouvel entrepôt devait être absolument prêt pour occupation à la fin de janvier 2013, de façon à ce que des étagères puissent y être installées pour ranger des pneus, en vue de la période de changement de pneus du printemps.
[196] Le coût estimé par monsieur Bouchard pour les travaux pourrait peut-être avoir du sens pour la construction d’une telle conduite dans des conditions optimales, sous réserve de contingences normales. Or, dans le présent dossier, comme démontré par la preuve, on était très loin du compte. L’estimation des coûts de monsieur Bouchard ne tient pas compte, en quelque sorte, de la réalité sur le terrain.
[197] Après ajout des taxes applicables, le montant accordé à Gestion Desharnais à titre de dommages s’élèvera à 567 192,11 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[198] ACCUEILLE partiellement la demande de la demanderesse;
[199] DÉCLARE que les eaux canalisées, détournées ou autrement dirigées par le fait de la défenderesse Ville de Québec, vers l’immeuble de la demanderesse formé du lot 1 917 692 du cadastre officiel du Québec, en la circonscription foncière du Québec, ne sont pas des eaux écoulées naturellement;
[200] DÉCLARE
que l’immeuble de la demanderesse n’est pas assujetti à recevoir ces eaux
en vertu de l’article
[201] ORDONNE
à la défenderesse, Ville de Québec, de payer à la demanderesse une somme de
567 192,11 $ avec intérêt au taux légal et, en plus, l’indemnité prévue à
l’article
[202] Avec frais de justice, y compris les frais d’expert;
[203] REJETTE la demande de la demanderesse contre le Procureur général du Québec;
[204] Avec frais de justice.
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__________________________________ GEORGES TASCHEREAU, j.c.s. |
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Me François Bélanger |
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Lavery de Billy (casier 3) |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Marie-Eve Pouliot |
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Giasson et associés (casier 13) |
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Procureurs de la Ville de Québec |
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[1] Pièce P-5.
[2] Pièce P-8.
[3] Pièce VQD-3.
[4] Pièce VQD-30.
[5] Pièce VQD-24.
[6]
Desjarlais c. Corp. St-Antoine,
[7] M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, Tome III, Les biens, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1926, p. 480.
[8] Ibid, p. 481.
[9] Source : Commentaires du ministre de la Justice, Tome I, Les publications du Québec, 1993, p. 575.
[10] G. BAUDRY-LACANTINERIE et M. CHAUVEAU, Traité théorique et pratique de droit civil, « Des biens », Paris, Librairie de la Société du recueil J.-B. Sirey et du journal du Palais, 1905, p. 545.
[11]
LANGELIER, Cours de droit civil de la province de Québec, Tome
deuxième, Explication des articles
[12]
Cloutier c. Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de)
[13] Pièce VQD-25.
[14] Voir le rapport de madame Boulianne, pièce VQD-24, 3e page.
[15] Art. 499 C.M.
[16] Pièce VQD-14.
[17] Pièce VQD-15.
[18] Pièce VQD-18.
[19] Pièce VQD-19.
[20] Sous-secteurs S2 et S6 montrés sur le plan de modélisation.
[21] Sous-secteur S6 montré sur le plan de modélisation.
[22] Sous-secteurs S3 et S4 montrés sur le plan de modélisation, page 10 de la pièce VQD-25..
[23] Pièce VQD-25.
[24] Pièce P-5.
[25]
Art.
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