MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en première instance en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.
- Les deux appelants se pourvoient contre les peines qui leur ont été infligées le 8 juillet 2024 par la Cour du Québec (l’honorable Thomas Jacques)[1]. Nicolas Daigle, déclaré coupable d’agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), de voyeurisme (par. 162(1) et al. (5)a) C.cr.) et d’avoir rendu accessible du matériel voyeuriste (par. 162(4) et al. (5)a) C.cr.) est condamné à une détention de 32 mois (28 mois pour le premier chef, suivis de deux peines de 2 mois consécutifs pour les deux autres chefs). Massimo Siciliano, déclaré coupable d’agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), est condamné à une détention de 30 mois.
- Pour les motifs de la juge Weitzman, auxquels souscrivent les juges Bich et Cotnam, LA COUR :
- REJETTE l’appel dans le dossier 200-10-004141-243;
- REJETTE l’appel dans le dossier 200-10-004142-241;
- ORDONNE aux appelants de se constituer prisonniers en se rapportant aux autorités carcérales au plus tard le 26 mars 2025, à 16 h.
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| MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
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| LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A. |
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Me Charles Levasseur |
LEVASSEUR & ASSOCIÉS AVOCATS |
Pour l’appelant Massimo Siciliano |
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Me Michel LeBrun Me Pénélope L. Provencher |
LEBRUN, PROVENCHER |
Pour l’appelant Nicolas Daigle |
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Me Michel Bérubé Me Olivier T. Raymond |
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
Pour l’intimé |
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Date d’audience : | 20 novembre 2024 |
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MOTIFS DE LA JUGE WEITZMAN |
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- Les deux appelants se pourvoient contre les peines qui leur ont été infligées le 8 juillet 2024 par la Cour du Québec (l’honorable Thomas Jacques). Nicolas Daigle (« Daigle »), déclaré coupable d’agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), de voyeurisme (par. 162(1) et al. (5)a) C.cr.) et d’avoir rendu accessible du matériel voyeuriste (par. 162(4) et al. (5)a) C.cr.) est condamné à une détention de 32 mois (28 mois pour le premier chef, suivis de deux peines de 2 mois consécutifs pour les deux autres chefs). Massimo Siciliano (« Siciliano »), déclaré coupable d’agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), est condamné à une détention de 30 mois.
- Les appelants ont plaidé coupables en reconnaissant les faits résumés dans un document rédigé conjointement par les parties et déposé en première instance[2]. Ce document expose que les appelants étaient tous deux des hockeyeurs au sein d’une équipe de hockey qui séjournait à l’hôtel où travaillait X depuis environ un mois au moment des événements. Le soir en question, alors que les joueurs fêtent leur victoire de la Coupe du Président, X accepte, après quelques hésitations, l’invitation de l’appelant Daigle de le rejoindre dans sa chambre d’hôtel, tout en précisant qu’elle veut être seule avec lui. Il lui assure que ce sera le cas.
- Or, quand X arrive dans la chambre, les deux appelants l’y attendent, l’un d’eux la déshabille et tous deux l’agressent sexuellement. Plus précisément, l’un d’eux la pénètre vaginalement alors que l’autre, simultanément, la pénètre analement. L’agression dure environ 40 minutes et les appelants ne portent pas de condom. Ils ne prennent aucune mesure pour s’assurer de son consentement, même s’ils constatent qu’elle ne semble pas avoir de plaisir. De plus, malgré le refus exprimé par la victime de se faire filmer, Daigle enregistre une partie de l’agression sexuelle avec son téléphone, puis il quitte la chambre pour exhiber la vidéo à des membres de l’équipe qui se trouvent dans la salle de conférence de l’hôtel où ont lieu les festivités. C’est une employée de l’hôtel qui intervient et lui demande d’effacer l’enregistrement. Pendant ce temps, Siciliano continue d’agresser sexuellement la victime dans la chambre, bien qu’elle lui dise ne pas vouloir de relation sexuelle.
- Il s’agit incontestablement d’un dossier où les différents objectifs de la détermination de la peine s’affrontent, puisque les facteurs aggravants sont nombreux, tout comme les facteurs atténuants.
- X, âgée de 17 ans au moment des crimes, a témoigné de conséquences importantes sur elle, qui n’étonnent guère. D’abord, elle décrit son état psychologique extrêmement éprouvé dans les mois qui ont suivi l’agression. Depuis celle-ci, elle est aux prises avec « un état constant d’anxiété face au futur et d’angoisse face au passé »[3]. Sa famille, son parcours scolaire et son rapport à la sexualité ont tous été négativement affectés par les crimes.
- Les appelants, de jeunes délinquants primaires — âgés de 18 ans lors des crimes et de 21 ans lors du prononcé des peines — ont également témoigné et présenté une preuve convaincante démontrant que, mise à part la commission de ces crimes, leurs parcours antérieurs et postérieurs aux infractions en cause s’avèrent fort positifs. Cette preuve est constituée de lettres de soutien, de bulletins scolaires, de confirmations d’emplois et d’études, et elle met en valeur, dans les deux cas, leur réhabilitation, leurs remords, leur conscientisation et un faible risque de récidive (ce qui est confirmé par l’évaluation psychologique de Daigle effectuée par Mme Isabelle Crouzet et par celle de Siciliano effectuée par M. Marc-André Lamontagne). Les appelants ont présenté des excuses sincères à X et à sa famille[4]. Bien que cette condamnation marque la fin de leur rêve de mener une carrière d’hockeyeur, ils poursuivent d’autres projets d’avenir.
- Les appelants allèguent plusieurs erreurs de principe qui auraient eu une incidence sur la détermination de leurs peines, lesquelles, prétendent-ils, sont manifestement non indiquées. Ils soutiennent que des peines à être purgées dans la collectivité seraient appropriées en l’espèce, peines qui demeureraient suffisamment sévères pour atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, tout en reflétant les autres objectifs pénologiques.
JUGEMENT ENTREPRIS
- Le juge reproduit la trame factuelle conjointe déposée au dossier, puis résume la preuve présentée à l’audience sur la détermination de la peine. Il résume le témoignage de X et les conséquences des crimes sur elle et fait une revue détaillée de la situation particulière de chacun des deux appelants, notamment leur parcours sportif et universitaire, leur situation actuelle et leur évaluation psychologique. Il résume la position des parties puis enchaîne avec une revue soignée des principes généraux qui s’appliquent en matière de détermination de la peine, renvoyant aux articles 718 et suivants C.cr. et au principe fondamental de la proportionnalité énoncé à l’article 718.1 C.cr.
- Il procède à l’individualisation des peines en examinant d’abord la gravité objective des infractions commises, puis leur gravité subjective, s’attardant à une analyse de tous les facteurs énumérés dans l’arrêt R. c. L. (J.-J.)[5].
- Les facteurs atténuants et aggravants (al. 718.2a) C.cr.) sont énumérés ainsi par le juge :
[92] À titre de facteurs atténuants, le Tribunal retient les éléments suivants :
- L’absence d’antécédents judiciaires des deux contrevenants;
- Le jeune âge des deux contrevenants – ces derniers étaient âgés de 18 ans au moment des événements et sont aujourd’hui âgés de 21 ans;
- Les plaidoyers de culpabilité enregistrés par les deux contrevenants – bien que le Tribunal considère qu’il s’agit d’un facteur atténuant, son importance est amoindrie en raison de leur tardiveté. Tel que l’enseigne la Cour suprême du Canada : « Un plaidoyer enregistré à la dernière minute avant le procès ne mérite pas une aussi grande considération qu’un plaidoyer enregistré avec célérité ». À cet égard, le témoignage de la victime relativement à l’angoisse du procès illustre les propos de la Cour suprême;
- Il s’agit d’événements isolés qui surviennent à une date unique;
- Les deux contrevenants expriment des regrets et de la compassion envers les torts causés à la victime et à ses proches – bien que le Tribunal retienne ce facteur atténuant pour les deux contrevenants, le Tribunal estime qu’il comporte une plus grande valeur pour Nicolas Daigle, dont la sincérité des regrets et des excuses exprimées est plus sentie et la reconnaissance des torts causés semble plus approfondie;
- Les deux contrevenants adoptent un mode de vie positif qui se traduit par une situation personnelle, familiale, conjugale, académique et professionnelle stable. Ils bénéficient du support de leur famille et de leur réseau social;
- Les deux contrevenants présentent un risque de récidive limité et sont enclins à s’investir dans des démarches de réhabilitation. Nicolas Daigle a d’ailleurs amorcé des démarches en ce sens.
[93] À titre de facteurs aggravants, le Tribunal retient les éléments suivants :
- Les gestes commis par les deux contrevenants constituent un mauvais traitement d’une personne âgée de moins de 18 ans – art. 718.2 a) (ii.1) C.cr.;
- La vulnérabilité de la victime;
- Il s’agit d’un cas d’exploitation sexuelle à dimension collective;
- Le degré d’atteinte élevé à l’intégrité physique et sexuelle de la victime;
- Il s’agit de relations sexuelles non-protégées avec pénétrations du pénis;
- Les gestes des deux contrevenants constituent un abus de confiance à l’égard de la victime – art. 718.2 a) (iii) C.cr.;
- La durée et les circonstances de l’agression sexuelle qui démontrent la persistance des contrevenants et l’objectification sexuelle de la victime;
- L’atteinte à la vie privée et à la dignité de la victime;
- Les conséquences importantes des crimes chez la victime ainsi que sur les membres de sa famille – art. 718.2 a) (iii.1) C.cr.
- Le juge examine ensuite les fourchettes applicables afin de respecter le principe de l’harmonisation des peines (al. 718.2a) C.cr.)[6], puis il considère les principes de totalité (al. 718.2c) C.cr.)[7] – dans le cas de Daigle qui a plaidé coupable à plusieurs chefs – et de modération (al. 718.2d) C.cr.)[8].
- Il conclut, à la lumière de tout ce qui précède, que les peines proportionnelles, justes et appropriées sont de 32 mois globalement pour Daigle et de 30 mois pour Siciliano.
MOYENS D’APPEL
- Les moyens d’appel soulevés par les appelants peuvent être reformulés et regroupés comme suit :
- Le juge a-t-il commis des erreurs de principe ayant une incidence sur la peine relativement aux facteurs aggravants et atténuants, notamment :
- Le juge a-t-il suffisamment considéré le facteur atténuant du jeune âge des appelants?
- Le juge a-t-il suffisamment considéré le facteur atténuant du plaidoyer de culpabilité des appelants?
- Le juge a-t-il accordé trop de poids au facteur aggravant de l’abus de confiance dans le cas de Daigle et a-t-il erré en considérant qu’il y avait un abus de confiance dans le cas de Siciliano?
- Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la victime était une personne vulnérable au sens de l’article 718.04 C.cr.?
- Le juge a-t-il commis des erreurs factuelles qui ont eu une incidence sur la peine?
- Le juge a-t-il commis une erreur de principe en retenant un élément essentiel de l’infraction comme un facteur aggravant?
- Le juge a-t-il commis une erreur de principe en mettant l’accent de façon démesurée sur la réprobation sociale, minimisant ainsi les principes de proportionnalité et de modération, et punissant le crime et non le contrevenant?
- Le juge a-t-il prononcé une peine manifestement non indiquée?
- Le juge a-t-il commis une erreur en n’infligeant pas une peine à être purgée dans la collectivité?
ANALYSE
Norme d’intervention
- Une cour d’appel « ne peut substituer sa propre décision à celle du juge de la peine que pour un motif valable »[9] et doit faire preuve de déférence envers le vaste pouvoir discrétionnaire du juge d’instance[10] à qui est dévolue la tâche bien difficile de pondérer tous les facteurs pertinents en matière de détermination de la peine, dans la poursuite des objectifs pénologiques énoncés au Code criminel. Comme l’exprimait le juge Gendreau dans R. c. S.T. :
[14] La détermination de la peine est, sans doute, l’une des tâches les plus difficiles et les plus délicates de la fonction judiciaire. En effet, trouver et appliquer la norme la plus juste et la plus équitable pour l’accusé tout en manifestant la réprobation sociale adéquate et en assurant la protection de la société est un exercice de pondération complexe puisqu’il tend à assurer un équilibre entre des valeurs qui, sans s’opposer, visent des objectifs différents.[11]
- Le caractère strict de la norme d’intervention en la matière est bien connu et réitéré dans tous les arrêts de la Cour où un appelant cherche à faire réformer une peine infligée en première instance.
- L’intervention de la Cour ne sera justifiée que si 1) la peine n’est manifestement pas indiquée; ou 2) le juge a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine[12]. Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême mentionne, parmi les erreurs de principe, l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La pondération des facteurs peut aussi constituer une erreur de principe, mais seulement si le juge a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre »[13].
- Ainsi, rien ne sert à un appelant de replaider — même avec force et conviction — les arguments présentés en première instance, en insistant sur ceux qui justifieraient à son avis une peine plus clémente. Par conséquent, la quête d’une peine juste et appropriée, proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité du délinquant, ne mène pas à une seule peine acceptable, mais plutôt à une fourchette de peines appropriées, dont le choix relève de la discrétion du juge à l’égard de laquelle la Cour doit déférence en l’absence d’une erreur révisable.
- À mon avis, c’est en raison de cette norme exigeante que la Cour devrait s’abstenir d’intervenir en l’espèce.
Analyse des moyens d’appel
1) Le juge a-t-il commis des erreurs de principe ayant eu une incidence sur la peine relativement aux facteurs aggravants et atténuants?
a) Le juge a-t-il suffisamment considéré le facteur atténuant du jeune âge des appelants?
- Il est reconnu que le jeune âge constitue généralement une circonstance atténuante dans la détermination de la peine[14], plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire (qui en est à sa première infraction)[15]. Sans équivoque, la peine en l’espèce devait tenir compte du jeune âge des appelants (18 ans lors de la commission des crimes) et de l’absence d’antécédents judiciaires.
- Contrairement aux affirmations des appelants, le juge ne commet pas l’erreur d’avoir omis de considérer ce facteur, puisqu’il l’inclut précisément parmi les facteurs atténuants[16].
- L’argument des appelants vise donc plutôt la pondération de ce facteur qui, selon eux, aurait dû bénéficier d’un poids plus important, de nature à réduire la peine infligée. Or, la détermination de l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes demeure du ressort du juge d’instance[17] et la Cour ne pourra intervenir en l’absence d’une démonstration que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon déraisonnable.
- Les appelants s’appuient sur l’arrêt Hills dans lequel la Cour suprême énonce que « [l]a dissuasion spécifique et la réinsertion sociale sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines infligées à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[18]. La Cour suprême réitère ce principe dans Bertrand Marchand[19]. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue[20] et ce principe est effectivement nuancé en l’espèce par l’application de l’article 718.01 C.cr. qui prévoit que les principes de dénonciation et de dissuasion sont à favoriser dans le cas du mauvais traitement d’une personne de moins de 18 ans. La Cour suprême précise que cet article évoque un ordonnancement des objectifs[21] selon lequel il n’est pas loisible au juge d’accorder une priorité équivalente ou supérieure à d’autres objectifs[22].
- Dans Courchesne c. R., la juge Bich, au nom de la Cour, explique l’interrelation de ces deux principes :
[51] Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[23]
[soulignements ajoutés]
- Selon les appelants, le facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) C.cr., soit que le crime constitue un « mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans », tout comme le principe de l’article 718.01 C.cr. énoncé ci-dessus, devaient être tempérés en l’espèce puisque X, à 17 ans, avait presque l’âge de la majorité, au moment des faits allégués, et que l’écart d’âge avec les appelants était très faible[24].
- Cet argument ne saurait convaincre. Bien que l’échelle de gravité puisse varier selon l’âge d’une victime — par exemple, ce facteur serait encore plus grave dans le cas d’un crime semblable commis envers une fillette de huit ans — la possibilité d’imaginer un facteur plus aggravant ne permet pas d’écarter celui qui s’applique ici. Le Code criminel trace la limite d’âge de façon claire et oblige le juge à accorder une priorité (primary consideration) aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsqu’il s’agit de mauvais traitements à l’égard d’une personne de moins de 18 ans.
- Essentiellement, lors de la détermination de la peine pour un jeune contrevenant primaire ayant commis une infraction contre une personne mineure, le juge doit tenir compte du facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) et prioriser la dénonciation et la dissuasion conformément à l’article 718.01 C.cr. Cependant, il doit aussi s’assurer que la peine infligée respecte le principe de l’individualisation, de la proportionnalité et de la modération.
- En l’espèce, voilà ce que le juge écrit à ce chapitre :
[120] La prise en considération des objectifs, principes et facteurs applicables en matière de détermination de la peine visés aux articles 718 à 718.2 C.cr. amène le Tribunal à conclure qu’une sanction moins contraignante que l’incarcération n’est pas justifiée dans le cas des contrevenants, au regard de l’ensemble des circonstances abordées précédemment.
[121] Malgré tout, le principe de modération demeure et doit trouver application. Dans un arrêt récent, la Cour d’appel de l’Ontario enseigne que lorsque l’incarcération est requise, voire lorsqu’une peine de pénitencier est requise, le principe de modération exige que la peine imposée ne soit pas plus longue que ce qui est nécessaire pour atteindre d’autres objectifs de détermination de la peine, comme la dénonciation et la dissuasion.
[122] Le Tribunal prend en considération le principe de modération dans l’analyse de la détermination de peines proportionnelles, justes et appropriées pour chaque contrevenant.
[soulignements ajoutés, référence omise]
- Force est de constater que le jeune âge des contrevenants a effectivement été pris en compte parmi les facteurs atténuants et que le juge n’a pas erré dans la pondération de son importance.
b) Le juge a-t-il suffisamment considéré le facteur atténuant du plaidoyer de culpabilité des appelants?
- Le juge considère, à bon droit, que les plaidoyers de culpabilité figurent parmi les facteurs atténuants[25]. Les appelants soutiennent cependant qu’il a erré en considérant que la tardiveté des plaidoyers — causée par l’exercice légitime de leur droit de tenter de faire exclure des éléments de preuve en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés — limitait l’effet atténuant de ce facteur. Ils se trompent.
- Un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant reconnu[26], et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, en règle générale, le fait pour un accusé de reconnaître sa participation dans l’infraction qui lui est reprochée démontre, au minimum, une amorce de conscientisation et de reconnaissance des torts causés à la victime et/ou à la société, et, bien souvent, témoigne de remords liés à sa conduite[27]. Ces éléments participent aussi souvent à diminuer le risque de récidive et peuvent être une bonne indication du potentiel de réhabilitation et de réinsertion sociale du délinquant[28]. En l’espèce, ces éléments atténuants sont dûment considérés par le juge[29].
- Deuxièmement, un plaidoyer de culpabilité peut atténuer la peine parce qu’en évitant un procès, il permet d’économiser les ressources judiciaires et d’épargner à la victime toutes les conséquences et difficultés liées à un témoignage[30].
- Renvoyant à une jurisprudence constante sur la question, le juge souligne que le plaidoyer inscrit à la dernière minute, avant le procès, ne mérite cependant pas une aussi grande considération que celui inscrit avec célérité[31]. Il est faux de prétendre que le juge punit les appelants pour des choix légitimes dans le déroulement de leur dossier. Il ne fait que constater l’évidence, c’est-à-dire que les plaidoyers sont inscrits la veille d’un procès fixé pour 11 jours. Par ailleurs, le juge mentionne expressément le désarroi et l’angoisse ressentis par X, et exprimés dans son témoignage, en raison de cette annonce soudaine, le jour même où elle se préparait à aller témoigner[32].
- Le juge examine les circonstances et les conséquences rattachées à la tardiveté du plaidoyer de culpabilité et détermine que son effet atténuant est réduit en l’espèce[33]. Il ne commet aucune erreur de principe en lien avec ce facteur.
c) Le juge a-t-il accordé trop de poids au facteur aggravant de l’abus de confiance dans le cas de Daigle et a-t-il erré en considérant qu’il y avait un abus de confiance dans le cas de Siciliano?
- L’abus de confiance est un facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2 a)(iii) C.cr. Comme la Cour l’explique dans R. c. Mentor, la qualification de ce qui constitue une situation de confiance s’évalue selon le contexte et « n’impose aucun rapport de dépendance ou de relation fiduciaire »[34]. Dans Pierre c. R., la Cour souligne que « [l]es situations d’abus de confiance ou d’autorité ne sont pas restreintes au “cas classique” mettant en cause un membre de la famille, un gardien, enseignant ou médecin » et que la relation de confiance établie entre un agresseur et une victime n’a pas à être forte pour être considérée comme un facteur aggravant[35]. Il s’agit d’une détermination qui doit être ancrée dans les faits propres au dossier en cause. Ainsi, comme c’était le cas dans l’arrêt Casavant, un juge peut commettre une erreur de principe en tenant compte, dans sa détermination de la peine, d’un abus de confiance « extrêmement aggravant », alors que les faits ne sont pas suffisamment probants pour soutenir une telle conclusion[36].
- En l’espèce, la confiance de X envers l’appelant Daigle se bâtit au cours de la soirée, dans les heures qui précèdent les agressions, à travers une discussion dans le stationnement de l’hôtel et des échanges via Instagram. Dans ces messages, X accepte l’invitation de venir passer la nuit avec Daigle tout en refusant catégoriquement de participer à une activité sexuelle à trois. Elle lui fait donc confiance lorsqu’il lui assure plusieurs fois qu’ils seront seuls. De plus, durant ces échanges, X fait part à Daigle d’autres préoccupations, notamment le fait qu’en tant qu’employée de l’hôtel, elle ne peut pas être vue allant dans la chambre d’un client, car cela est contraire aux règlements. Daigle abuse de cette confiance qu’elle lui manifeste, car, malgré ses assurances contraires, une autre personne (Siciliano) se trouve dans la chambre avec lui.
- Toutefois, en raison de la courte durée de leurs échanges préinfractionnels et du faible écart d’âge entre X et l’appelant Daigle (respectivement 17 et 18 ans), comme dans l’affaire R. c. Tremblay[37], l’abus de confiance en l’espèce se situe dans la partie inférieure du spectre des situations d’abus de confiance.
- Néanmoins, rien ne permet de dégager des motifs du juge que celui-ci a accordé un poids exagéré à l’abus de confiance, qu’il inclut dans la liste de huit facteurs aggravants, parmi lesquels d’autres sont bien plus importants en l’espèce.
- Ainsi, à la suite de l’examen de l’ensemble des facteurs, le juge conclut que :
[96] […] la responsabilité morale des contrevenants est entière et élevée. Cette conclusion est notamment basée sur l’abus de confiance, la vulnérabilité de la victime, la gravité de l’atteinte à son intégrité physique et sexuelle, la persistance des contrevenants et leur indifférence face au respect de la victime et de sa volonté maintes fois communiquée, ainsi que sur l’importance des conséquences vécues par cette dernière.[38]
- Il apparaît donc que l’abus de confiance n’est qu’un des nombreux éléments qui amènent le juge à prioriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.
- Pour les appelants, c’est en fonction de l’abus de confiance que le juge classifie leur crime dans la fourchette intermédiaire des trois catégories établies dans l’affaire Cloutier[39] et que, n’eût été cette erreur, le juge aurait plutôt sélectionné la fourchette correspondant à la première catégorie des peines. Il n’en est rien.
- Premièrement, faut-il le rappeler, les fourchettes de peine sont des guides et non des carcans, et une dérogation à l’une ou l’autre des fourchettes applicables ne saurait constituer, à elle seule, une erreur de principe[40]. Qui plus est, une revue des catégories de fourchettes, établies dans l’affaire Cloutier et toujours d’actualité[41], permet de constater que les crimes en l’espèce cadrent difficilement dans la catégorie des peines de moins de deux ans généralement infligées pour des gestes sexuels de moindre gravité, commis en de rares occasions ou au cours d’un épisode unique, et généralement sur une seule victime.
- Bien qu’il s’agisse ici d’un épisode unique impliquant une seule victime, il n’est certainement pas question de gestes sexuels de moindre gravité. Dans la mesure où le juge voulait s’inspirer des fourchettes établies dans l’affaire Cloutier, il ne se trompe pas en situant le présent dossier dans la deuxième catégorie, laquelle couvre un large spectre de situations méritant des peines d’entre deux et six ans de pénitencier, afin de refléter un ou plusieurs éléments aggravants.
- Ici, ces facteurs aggravants sont, notamment, la dimension collective de l’agression sexuelle, des pénétrations anales et vaginales simultanées (alors que les appelants ne portaient pas de condom) et les conséquences sur la victime.
- Bref, l’appelant Daigle a abusé de la confiance de la victime et le juge n’a pas erré en tenant compte de ce facteur auquel il n’a toutefois pas accordé une importance indue, au vu des autres facteurs aggravants établis par la preuve.
- L’appelant Siciliano, quant à lui, a raison de soutenir que les faits ne soutiennent pas la conclusion du juge qu’il y a eu abus de confiance dans son cas[42], puisque X n’a eu aucun échange avec lui avant de le voir dans la chambre d’hôtel. Il s’agit par conséquent d’une erreur de principe que d’inclure ce facteur aggravant qui ne s’appliquait pas à lui. Cependant, compte tenu de la faible place qu’occupe cet élément aggravant parmi les autres, plus importants, notés ci-haut, Siciliano ne démontre pas que la considération erronée de ce facteur a eu une réelle incidence sur la peine infligée.
d) Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la victime était une personne vulnérable au sens de l’article 718.04 C.cr.?
- Selon les appelants, le juge se trompe lorsqu’il inclut, en tant que facteur aggravant, la situation de vulnérabilité de la victime, suivant l’article 718.04 C.cr.
- En général, la vulnérabilité d’une victime s’apprécie à la lumière de l’ensemble des faits retenus par le juge. Il s’agit d’un facteur dont l’importance variera selon les circonstances particulières du dossier. Une victime peut être vulnérable en raison de ses caractéristiques personnelles la rendant « plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée »[43], mais elle peut aussi devenir vulnérable à cause des circonstances précises de l’infraction.
- En l’espèce, la conduite des appelants a placé X dans une situation de vulnérabilité, alors qu’elle se trouve seule dans une chambre d’hôtel avec eux. L’inégalité dans le rapport de force, dans ces circonstances, est évidente. Au surplus, Daigle, à qui X avait fait part des règlements de l’hôtel et de ses préoccupations quant au fait qu’elle devait rester dormir dans la chambre pour ne pas être vue, connaissait la situation délicate dans laquelle X se plaçait en lui rendant visite.
- Par ailleurs, le témoignage de X illustre de façon éloquente la vulnérabilité qu’elle ressentait, alors qu’elle décrit être « tombée dans un piège » et avoir été « la sardine idéale pour leur filet à poissons ».
- Je ne vois aucune erreur commise par le juge lorsqu’il tient compte de cette situation de vulnérabilité, d’autant plus que l’argument des appelants sur cette question est fondé sur des mythes et stéréotypes. Ils soutiennent en effet que X n’était pas vulnérable puisqu’elle était « libre de partir à tout moment ». Cet argument occulte complètement la réalité d’une victime d’agression sexuelle en général, et de cette victime en particulier. Bien que les appelants n’invoquent pas l’inférence prohibée selon laquelle l’absence de résistance équivaut à consentement[44] (en fait, ils reconnaissent, par leur plaidoyer de culpabilité, l’absence de consentement de X), il est tout aussi aberrant pour eux de soutenir que le « libre arbitre » de la victime permet de conclure qu’elle n’était pas vulnérable.
- Comme les auteures Desrosiers et Beausoleil-Allard l’écrivent :
[…] la majorité des victimes connaissent leur agresseur et […] nombre d’entre elles entretiennent une relation d’autorité et de confiance avec celui-ci, de sorte qu’elles n’ont d’autre choix que de se soumettre. De plus, les victimes ont peur. Les forces physiques en présence sont inégales et leur sécurité physique est menacée. Si elles résistent, elles risquent de se faire blesser, parfois tuer. La crainte d’attiser la violence contraint souvent à la passivité.[45]
[soulignements ajoutés]
- Bref, la prétention selon laquelle X aurait pu quitter si elle l’avait voulu et qu’elle n’était conséquemment pas dans une situation de vulnérabilité s’inscrit dans une logique stéréotypée et depuis longtemps dépassée[46].
- La vulnérabilité de X qui se trouve seule dans une chambre d’hôtel avec deux hockeyeurs, qui ensemble l’agressent sexuellement, ne saurait être remise en cause.
2) Le juge a-t-il commis des erreurs factuelles qui ont eu une incidence sur la peine?
- Les appelants soutiennent que le juge a erré en considérant leur « persistance […] et leur indifférence face au respect de la victime et de sa volonté maintes fois communiquée »[47], ainsi qu’en affirmant que Siciliano « impose sa présence » dans la chambre[48].
- Une lecture de l’exposé conjoint des faits démontre qu’ils ont tort. En ce qui concerne l’appelant Daigle, on y lit qu’il ne tient pas compte de la volonté communiquée par X de ne pas avoir de relation à trois, d’être seule avec lui et de ne pas être filmée. L’appelant Siciliano, quant à lui, fait fi de la volonté exprimée par X à plusieurs reprises d’arrêter la relation sexuelle, comme précisé dans l’exposé conjoint des faits :
« À quelques reprises, X lui mentionne que ça ne lui tente plus et qu’elle est fatiguée. Massimo Siciliano insiste néanmoins et poursuit la relation sexuelle. »
- Également au sujet de Siciliano, le juge s’exprime écrit :
[98] […] En effet, il impose sa présence bien que la victime ait exprimé son désir d’être seule avec Nicolas Daigle. Il amorce l’agression sexuelle en déshabillant la victime dans les instants suivant son arrivée dans la chambre. Par ailleurs, à la suite du départ de Nicolas Daigle, il poursuit l’agression sexuelle en insistant auprès de la victime, qui lui avait pourtant communiqué à quelques reprises son désir d’y mettre fin. Les circonstances démontrent un degré de culpabilité morale fort élevé.[49]
[soulignements ajoutés]
- Bien que la preuve ne démontre pas que Siciliano savait que X ne voulait pas qu’il soit présent dans la chambre, il n’en demeure pas moins que ce dernier « s’impose » effectivement alors qu’il lui demande si « ça lui dérange qu’ils soient deux » et procède à la déshabiller, sans son consentement, puis à l’agresser sexuellement.
- Le juge a bien cerné la trame factuelle et ne commet aucune erreur lorsqu’il cible les éléments qui sont particulièrement aggravants.
- Ce reproche est donc mal fondé.
3) Le juge a-t-il commis une erreur de principe en retenant un élément essentiel de l’infraction comme un facteur aggravant?
- Les appelants soutiennent que le juge a erré en incluant parmi les facteurs aggravants des éléments constitutifs de l’infraction, soit le refus répété de X et l’insistance des appelants à poursuivre, malgré celui-ci.
- Il est bien établi que les éléments constitutifs de l’infraction ne peuvent en soi constituer un facteur aggravant[50]. Les éléments essentiels de l’infraction de l’agression sexuelle incluent l’absence de consentement de la plaignante ainsi que la connaissance de l’accusé de cette absence de consentement[51]. En l’espèce, le juge ne retient pas ces éléments en soi comme un facteur aggravant, mais il évalue, à bon droit, leur manifestation dans le contexte précis de ce dossier.
- Tout en s’assurant de ne pas confondre un élément essentiel d’un crime avec un facteur aggravant, un juge peut — et doit — tenir compte des faits qui vont au-delà du minimum requis pour constituer un élément essentiel de l’infraction et qui ajoutent à la culpabilité morale du contrevenant. Par exemple, dans un dossier de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, la preuve de l’alcool dans le sang de l’accusé demeure un élément essentiel de l’infraction, mais une alcoolémie particulièrement élevée doit être considérée comme un facteur aggravant (al. 320.22e) C.cr.)[52]. De même, dans un dossier d’homicide involontaire avec usage d’une arme à feu, si l’usage de l’arme en soi n’est pas un facteur aggravant, mais un élément essentiel de l’infraction, les circonstances entourant cet usage peuvent toutefois être considérées comme aggravantes[53]. Enfin, en matière d’agression sexuelle, bien que les attouchements constituent un élément de l’actus reus[54], leur importance aggravera évidemment la peine à infliger[55].
- Dans toute accusation d’agression sexuelle, une preuve hors de tout doute raisonnable de la connaissance par l’accusé de l’absence de consentement de la plaignante satisfait à l’élément intentionnel de l’infraction. La passivité ne saurait équivaloir à consentement[56] et le poursuivant n’a pas à établir un refus clair exprimé par la victime. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, la preuve démontre qu’il y a eu un refus communiqué et que l’accusé a poursuivi l’agression sexuelle malgré des protestations répétées, ces faits aggravent la culpabilité morale du contrevenant. Pour que cela soit clair, précisons que l’absence de protestations ne peut aucunement constituer un facteur atténuant la peine : nul besoin de développer sur le fait que l’absence de facteur aggravant ne constitue pas un facteur atténuant.
- En l’espèce, le juge ne commet aucune erreur lorsqu’il considère comme un facteur aggravant « la persistance des contrevenants et l’objectification sexuelle de la victime »[57] et qu’il souligne la volonté communiquée de X « maintes fois ignorée au profit de l’assouvissement des désirs des contrevenants »[58], tenant compte aussi du fait que « [l]es contrevenants constatent son absence de plaisir, mais poursuivent néanmoins l’agression sexuelle »[59].
4) Le juge a-t-il mis l’accent de façon démesurée sur la réprobation sociale, minimisant ainsi les principes de proportionnalité et de modération, et punissant le crime et non le contrevenant?
- Les appelants soutiennent que le juge a erré en insistant trop sur la réprobation sociale, au détriment de la proportionnalité, notamment lorsqu’il écrit :
[123] Les peines que le Tribunal s’apprête à infliger reflètent la réprobation de la société à l’égard du comportement adopté par les contrevenants. L’exploitation sexuelle à dimension collective d’une adolescente vulnérable, dans un contexte d’abus de confiance, comportant des atteintes importantes à son intégrité physique et sexuelle, et entraînant des répercussions sérieuses et multiples, ne peut être tolérée et doit être dénoncée, tout particulièrement au regard de la compréhension de plus en plus approfondie et évolutive de la société à l’égard des conséquences dévastatrices des violences sexuelles.
- Pourtant, cet énoncé est entièrement juste et il résume les facteurs aggravants déjà notés du dossier. De plus, le juge enchaîne avec des facteurs atténuants qui servent à moduler la sévérité des peines indiquées :
[124] Ces peines prennent également en considération le profil positif de chacun des contrevenants et leur potentiel de réinsertion sociale favorable.
- Enfin, il est également incorrect de soutenir que le juge sanctionne le crime, et non les appelants. Le juge détermine quels sont les facteurs subjectifs pour mesurer la responsabilité morale de chaque appelant[60] et conclut ainsi :
[96] Au regard de l’ensemble des facteurs analysés précédemment, le Tribunal considère que la responsabilité morale des contrevenants est entière et élevée. Cette conclusion est notamment basée sur l’abus de confiance et la vulnérabilité de la victime, la gravité de l’atteinte à son intégrité physique et sexuelle, la persistance des contrevenants et leur indifférence face au respect de la victime et de sa volonté maintes fois communiquée, ainsi que sur l’importance des conséquences vécues par cette dernière.
[97] Le Tribunal prend également en considération que la preuve démontre que les contrevenants ont reçu à deux reprises, soit annuellement, un atelier de sensibilisation offert par leur équipe de la LHJMQ, portant spécifiquement sur la notion de consentement.
[98] Au niveau de l’infraction d’agression sexuelle, le Tribunal considère que la responsabilité morale de Massimo Siciliano est supérieure à celle de Nicolas Daigle. En effet, il impose sa présence bien que la victime ait exprimé son désir d’être seule avec Nicolas Daigle. Il initie l’agression sexuelle en déshabillant la victime dans les instants suivant son arrivée dans la chambre. Par ailleurs, à la suite du départ de Nicolas Daigle, il perpétue l’agression sexuelle en insistant auprès de la victime, qui lui avait pourtant communiqué à quelques reprises son désir d’y mettre fin. Les circonstances démontrent un degré de culpabilité morale fort élevé.
[99] Par ailleurs, la responsabilité morale de Nicolas Daigle, qui est élevée au niveau de l’agression sexuelle, est exacerbée par la production d’un enregistrement vidéo de la victime, à son insu et à l’encontre de sa volonté exprimée de façon claire. Cet enregistrement vidéo est par la suite exhibé à quelques personnes, augmentant l’atteinte à la vie privée et à la dignité de la victime. Il a fallu l’intervention d’une employée de l’hôtel pour faire cesser cette diffusion préjudiciable. Les circonstances démontrent également un degré de culpabilité morale fort élevé.
- Les appelants échouent à démontrer une erreur révisable dans l’exercice de la discrétion du juge.
5) Le juge a-t-il prononcé une peine manifestement non indiquée?
- Selon les appelants, les peines totales de 30 mois et de 32 mois sont manifestement non indiquées. Ils soutiennent que la considération de l’ensemble des facteurs ne pouvait justifier, pour ces jeunes délinquants primaires au profil entièrement favorable, une peine à être purgée dans un pénitencier.
- Rappelons que le fardeau de démontrer qu’une peine est manifestement non indiquée est exigeant[61]. Compte tenu de la grande discrétion du juge chargé de déterminer la peine[62], les appelants doivent convaincre la Cour que la peine est « manifestement déraisonnable, excessive ou inadéquate »[63], c’est-à-dire qu’elle s’écarte de manière déraisonnable du principe de proportionnalité (art. 718.1 C.cr.)[64]. Bien entendu, il ne leur suffit pas de plaider que la peine infligée est sévère[65].
- Les appelants soutiennent d’abord que le juge s’est trompé dans la fourchette applicable, en situant le dossier dans la deuxième catégorie de l’arrêt Cloutier. Cet argument, déjà analysé ci-haut, ne saurait tenir. Le juge explique pourquoi ce dossier se situe dans la catégorie « intermédiaire » de Cloutier (peines de 2 à 6 ans) en énumérant les éléments qui le justifient :
[106] […] Il s’agit d’un cas d’abus sexuel grave, commis lors d’une séquence unique d’événements par deux contrevenants n’ayant pas d’antécédents judiciaires, comportant une agression sexuelle à dimension collective incluant de graves atteintes à l’intégrité physique et sexuelle d’une victime vulnérable, dans un contexte d’abus de confiance et d’objectification sexuelle d’une adolescente, mais en l’absence de violence extrinsèque à l’infraction.
- Il examine aussi de nombreux exemples de peines infligées dans des cas semblables, ce qui lui permet de tenir compte de l’harmonisation des peines[66]. Les appelants échouent à démontrer qu’il s’agit d’une peine qui « s’écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires »[67].
- En deuxième lieu, les appelants plaident que la peine s’écarte de manière déraisonnable du principe de la proportionnalité (art. 718.1 C.cr.) en soulignant les nombreux facteurs atténuants du dossier, qui ne font aucun doute. Or, même lorsque la responsabilité morale du délinquant est diminuée par des facteurs atténuants, comme en l’espèce, la proportionnalité tient compte aussi de la gravité des infractions commises. C’est ce qu’explique la Cour suprême dans Nasogaluak :
[42] D’une part, ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et la gravité de l’infraction. En ce sens, le principe de la proportionnalité joue un rôle restrictif. D’autre part, à l’optique axée sur l’existence de droits et leur protection correspond également une approche relative à la philosophie du châtiment fondée sur le « juste dû ». Cette dernière approche vise à garantir que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué dans la perpétration de l’infraction ainsi que le tort qu’ils ont causé […]. Sous cet angle, la détermination de la peine représente une forme de censure judiciaire et sociale […]. Toutefois, sans égard au raisonnement servant d’assise au principe de la proportionnalité, le degré de censure requis pour exprimer la réprobation de la société à l’égard de l’infraction demeure dans tous les cas contrôlé par le principe selon lequel la peine infligée à un délinquant doit correspondre à sa culpabilité morale et non être supérieure à celle-ci. Par conséquent, les deux optiques de la proportionnalité confluent pour donner une peine qui dénonce l’infraction et qui punit le délinquant sans excéder ce qui est nécessaire.[68]
[soulignements ajoutés; références omises]
- Finalement les appelants reprochent au juge de ne pas avoir considéré le principe de la modération ni l’obligation d’envisager la possibilité de sanctions moins contraignantes que l’emprisonnement (al. 718.2d) et e) C.cr.). Cependant, comme la Cour suprême le souligne dans l’arrêt Proulx, l’objectif de modération dans le recours à l’incarcération ne doit pas se faire « à n’importe quel prix », mais seulement « lorsque les circonstances le justifient »[69].
- En l’espèce, le jugement expose que :
[107] […] les nombreux facteurs aggravants identifiés ont un poids déterminant. En l’espèce, même si les contrevenants sont sans casier judiciaire, qu’ils participent activement à la société, qu’ils bénéficient d’une situation personnelle stable et qu’ils bénéficient du support de leur famille et de leur réseau social, l’incarcération s’impose puisque les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent prévaloir, sans toutefois omettre de considérer les autres objectifs.
- Les « nombreux facteurs aggravants identifiés » se dégagent aussi du bref résumé des faits du juge :
[72] En plus de tromper la victime qui se présente dans une chambre d’hôtel où elle s’attend à ce que Nicolas Daigle soit seul, les contrevenants font preuve d’absence de considération à l’égard de l’adolescente. Dans les instants qui suivent son arrivée dans la chambre, elle est déshabillée rapidement par Massimo Siciliano. Tout au long de la relation sexuelle avec les deux contrevenants, la victime obtempère à leurs demandes. Elle ne ressent aucun plaisir et ne donne aucun accord verbal. Les contrevenants constatent son absence de plaisir, mais poursuivent néanmoins l’agression sexuelle. Bien qu’elle ait manifesté son refus clair d’être filmée durant l’activité sexuelle, Nicolas Daigle fait fi de sa volonté exprimée et la filme à son insu durant une relation sexuelle avec Massimo Siciliano. Lorsque Nicolas Daigle quitte la chambre, la victime manifeste à Massimo Siciliano, à quelques reprises, que ça ne lui tente plus et qu’elle est fatiguée. Massimo Siciliano fait fi de sa volonté exprimée, insiste et poursuit la relation sexuelle. La séquence des événements démontre l’objectification de la victime, dans un contexte où les contrevenants assouvissent leurs désirs sexuels avec persistance et indifférence face au respect de la victime.
[73] L’agression sexuelle à dimension collective inclut notamment une pénétration simultanée, anale et vaginale, par les deux contrevenants, comportant un degré d’atteinte élevé à l’intégrité physique et sexuelle de la victime. L’agression sexuelle comporte des relations sexuelles non-protégées avec pénétrations du pénis, posant des risques de maladie et de grossesse.
[références omises]
- Les appelants ne démontrent pas d’erreur dans l’exercice de la discrétion du juge qui conclut que les circonstances en l’espèce ne justifiaient pas une peine plus clémente.
6) Le juge a-t-il commis une erreur en n’infligeant pas une peine à être purgée dans la collectivité?
- Dans son analyse de la gravité objective des infractions commises, le juge reconnaît que depuis les modifications législatives apportées au Code criminel le 17 novembre 2022[70], la détention dans la collectivité est dorénavant une peine applicable pour les infractions en cause ici[71]. Or, puisque le juge conclut, sans commettre d’erreur révisable — comme on vient de le voir — que la peine juste et appropriée dépasse deux ans de prison, le premier critère de l’article 742.1 C.cr. l’empêchait de considérer cette possibilité.
- Le juge ne commet donc pas l’erreur alléguée.
CONCLUSION
- Pour ces motifs, je propose à la Cour de rejeter les appels.
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| LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A. |
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[1] R. c. Daigle, 2024 QCCQ 3083 [jugement entrepris].
[3] Jugement entrepris, par. 9.
[4] Le juge note les regrets et la compassion des appelants exprimés à la victime et ses proches, mais il retient que ce facteur atténuant « comporte une plus grande valeur pour Nicolas Daigle, dont la sincérité des regrets et des excuses exprimés est plus sentie et la reconnaissance des torts causés semble plus approfondie », jugement entrepris, par. 92.
[5] [1998] R.J.Q. 971, p. 974-975 (C.A.), appliqué dans le jugement entrepris, par. 70-88.
[6] Jugement entrepris, par. 100-112.
[10] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 29; R. c. L.M., 2008 CSC 31, par. 14 et 17.
[12] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 11, 41, 44 (« Lacasse »); Friesen, supra, note 9, par. 26.
[13] Friesen, supra, note 9, par. 26, citant Lacasse, supra, note 12, par. 49; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 46 (« Nasogaluak »), citant R. v. McKnight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41, par. 35 (C.A. Ont.).
[14] R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 161.
[15] R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, par. 132.
[16] Jugement entrepris, par. 92.
[17] Nasogaluak, supra, note 13, par. 43.
[18] R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 161.
[19] R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, par. 132.
[20] Voir p. ex. R. v. Ahmed, 2017 ONCA 76, par. 65.
[21] Friesen, supra, note 9, par. 102-105.
[23] Courchesne c. R., 2024 QCCA 960.
[24] Le faible écart d’âge est noté par le juge (jugement entrepris, par. 94) sans être considéré comme un facteur atténuant.
[25] Jugement entrepris, par. 92.
[26] Friesen, supra, note 9, par. 164.
[27] Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 42, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 décembre 2019, no 38690.
[28] Duguay c. R., 2009 QCCA 1297, par. 15; voir a contrario R. v. Shah, 2017 ONCA 872, par. 8.
[29] Jugement entrepris, par. 80-83, 92, 111, 124.
[30] Friesen, supra, note 9, par. 164; Lacelle Belec c. R., supra, note 27, par. 42; R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351, par. 18; Deng c. La Reine, J.E. 2003-2198, 2003 CanLII 75168, par. 28-30 (C.A.).
[31] Lacasse, supra, note 12, par. 81; voir également Lacelle Belec c. La Reine, supra, note 27, par. 65.
[32] Jugement entrepris, par. 92.
[33] Lacelle Belec c. La Reine, supra, note 27, par. 45-47.
[34] Mentor c. R., 2022 QCCA 1270, par. 98.
[35] Pierre c. R., 2023 QCCA 84, par. 35.
[36] Casavant c. R., 2025 QCCA 20, par. 72-74.
[37] R. c. Tremblay, 2024 QCCA 543, par. 30-32, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 19 décembre 2024, no 41346.
[38] Jugement entrepris, par. 96.
[39] R. c. Cloutier, [2005] R.J.Q. 287 (C.Q.).
[40] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 36; Friesen, supra, note 9, par. 37; Lacasse, supra, note 12, par. 57-60 et 67; Nasogaluak, supra, note 13, par. 44; Marien Frenette c. R., 2024 QCCA 207, par. 22; Marcellus c. R., 2024 QCCA 1262, par. 22.
[41] A.V. c. R., 2025 QCCA 156, par. 40-41; R. c. Tremblay, 2024 QCCA 1590, par. 14; R. c. Tremblay, 2024 QCCA 543, par. 42 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 19 décembre 2024, no 41346); S.J. c. R., 2024 QCCA 253, par. 229-230; Moisan c. R., 2023 QCCA 117, par. 35; J. L. c. R., 2021 QCCA 1509, par. 118; Fruitier c. R., 2022 QCCA 1225, par. 90; Bazile c. R., 2022 QCCA 1009, par. 42; J. D. c. R., 2020 QCCA 1108, par. 93; Côté c. R., 2018 QCCA 1430, par. 41; R. c. Bergeron, 2016 QCCA 339, par. 41.
[42] Jugement entrepris, par. 76, 93, 112 et 123.
[43] Lemieux c. R., 2023 QCCA 480, par. 62, citant Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, tome III, « La peine », 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 210.
[44] R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 36; R. c. Barton, 2019 CSC 33, par. 98; R. c. M. (M.L.), [1994] 2 R.C.S. 3, p. 4.
[45] Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard, L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 40.
[46] Le comportement de la victime en mesurée à l’aune de celui attendu d’une « parfaite victime ». Voir p. ex. C.G. c. R., 2023 QCCA 214, par. 47.
[47] Jugement entrepris, par. 96 et 112.
[50] Lacasse, supra, note 12, par. 146 (j. Gascon, dissident, approuvé sur ce point au par. 83 par le j. Wagner, écrivant pour la majorité); Courchesne c. R., 2024 QCCA 960, par. 46; Lemieux c. R., 2023 QCCA 480, par. 66.
[52] Lebel c. R., 2010 QCCA 514, par. 4.
[53] Marcellus c. R., 2024 QCCA 1262, par. 35; R. v. Araya, 2015 ONCA 854, par. 26.
[54] R. c. G.F., 2021 CSC 20, par. 25.
[55] Courchesne c. R., 2024 QCCA 960, par. 46.
[56] R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, par. 51.
[57] Jugement entrepris, par. 93.
[61] Dubourg c. R., 2018 QCCA 1999, par. 51.
[62] R. c. L.M., 2008 CSC 31, par. 14-15.
[63] R. c. Daudelin, 2021 QCCA 784, par. 37.
[64] Lacasse, supra, note 12, par. 53. Voir aussi les motifs concurrents du juge Rowe dans R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 118.
[65] Rochette c. R., 2022 QCCA 58, par. 52.
[66] En annexe du jugement, le juge énumère plus d’une cinquantaine de décisions en matière de détermination de la peine dans des cas semblables, dont la majorité sont rendues après l’arrêt Friesen de la Cour suprême.
[67] R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, p. 567, par. 92. Voir aussi Lacasse, supra, note 12, par. 67; R. c. L.M., 2008 CSC 31, par. 36.
[68] Nasogaluak, supra, note 13, par. 42.
[69] R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 96 (soulignement dans l’original).
[70] Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 2022, c. 15, par. 14(1) et 14(2).
[71] Jugement entrepris, par. 67.