Décision

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Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal

2021 QCCA 1775

COUR D'APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

MONTRÉAL

 

No : 

500-09-028817-203

        (500-17-091092-158)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE : Le 26 novembre 2021

 

 

 

FORMATION : LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

PARTIE APPELANTE

AVOCAT

 

les entreprises qmd inc.

 

Me Alain gutkin

(Gutkin Vincent Dumas)

Absent

 

PARTIE INTIMÉE

AVOCATE

 

ville de montréal

 

Me christine lebrun

(Gagnier Guay Biron)

Absente

 

 

 

En appel d’un jugement rendu le 6 janvier 2020 par l’honorable Martin F. Sheehan de la Cour supérieure, district de Montréal.

 

NATURE DE L’APPEL :

Municipal – Appel d’offres – Omission de transmettre une copie de l'autorisation avec la soumission.

 

Requête de bene esse de l’intimée pour production d’une déclaration d’appel incident hors délai déférée (Articles 359, 360 et 363 C.p.c.).

 

Greffière-audiencière : Anne Dumont

Salle : Pierre-Basile-Mignault

 

AUDITION

 

9 h 37

Début de l’audience.

Continuation de l'audience du 23 novembre 2021. Les parties ont été dispensées d’être présentes à la Cour.

PAR LA COUR : Arrêt – voir page 3.

Fin de l’audience.

 

 

 

 

Anne Dumont, Greffière-audiencière

 


ARRÊT

 

[1]                L’appelante a soumissionné avec huit autres entrepreneurs pour l’obtention du contrat de mise aux normes de l’aréna de l’arrondissement d’Outremont, et ce, à la suite d’un appel d’offres publié par l’intimée. Cette dernière a finalement octroyé le contrat à Norgéreq Ltée (« Norgéreq »).

[2]                Le 6 janvier 2020, la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Martin F. Sheehan), rejette la demande en dommages de l’appelante pour la perte de profits bruts de 1 010 495 $ dont elle prétend avoir été privée du fait de l’octroi du contrat à Norgéreq.

[3]                L’appelante reproche essentiellement au juge d’avoir commis une erreur révisable en concluant que le défaut de Norgéreq de joindre à sa soumission l’autorisation de conclure des contrats avec des corps publics, délivrée par l’Autorité des marchés financiers[1], constituait une dérogation mineure à l’une des clauses des documents d’appel d’offres et que l’intimée pouvait en conséquence exercer sa discrétion d’y passer outre.

[4]                Il y a lieu de rejeter l’appel.

Le contexte

[5]                Outre l’admission de l’appelante que Norgéreq détenait bel et bien l’autorisation délivrée par l’AMF lors du dépôt de sa soumission, voici ce qui ressort de la preuve :

-          après l’entrée en vigueur de la Loi 26, le 7 décembre 2012, l’AMF ne met pas immédiatement en place un registre public permettant la consultation de la liste des entrepreneurs à qui elle a délivré l’autorisation de conclure des contrats ou sous-contrats avec des organismes publics, comme le requièrent les articles 21.45 et 21.46 que la Loi 26 a ajoutés à la LCOP[2];

-          dans le cours de l’année 2014, lorsque l’intimée confie à son contentieux et à des professionnels le mandat de préparer les documents d’appel d’offres et les plans et devis, l’AMF n’a toujours pas mis ce registre en place;

-          c’est dans ce contexte qu’est rédigée la clause en litige, laquelle sera incorporée aux documents d’appel d’offres et dont la deuxième phrase est au cœur du débat:

34. DISPOSITIONS VISANT À FAVORISER L’INTÉGRITÉ EN MATIÈRE DE CONTRATS

.1 Le soumissionnaire, doit, à la date de dépôt de sa soumission, détenir une autorisation de contracter délivrée par l’Autorité des marchés financiers. Il doit transmettre une copie de son autorisation à la Ville de Montréal avec sa soumission, faute de quoi, sa soumission sera automatiquement rejetée.

[Soulignement ajouté]

-          La clause 1.3.1.2 du cahier des charges, sous la rubrique « 1.3 CONDITIONS RELATIVES À LA SOUMISSION » prévoit par ailleurs ce qui suit :

1.3.1.2  S’il est de l’intérêt de la Ville, elle peut passer outre à tout vice ou défaut que peut contenir la soumission et permettre, à sa discrétion, à tout soumissionnaire de corriger sa soumission dans la mesure où cette correction n’affecte pas le prix de sa soumission, sous réserve de ce qui est prévu à l’article 1.1.4.[3]

-          L’AMF met finalement un registre de consultation public en place en décembre 2014;

-          l’appel d’offres est publié le 11 mai 2015, sans que la clause ci-dessus soit modifiée malgré l’existence du registre de l’AMF, et l’intimée confie la gestion du contrat à venir à une firme de professionnels externes, en l’occurrence Macogep, dont le représentant délégué est monsieur Gayed;

-          Norgéreq avait obtenu son autorisation de contracter de l’AMF depuis près d’un an déjà, soit en juillet 2014, et cette autorisation était valide jusqu’au 15 juillet 2017[4];

-          dès l’ouverture des soumissions, vers la mi-juin 2015, monsieur Zilembo, du Service de la gestion et de la planification des projets immobiliers de l’intimée, constate que Norgéreq est la plus basse soumissionnaire, mais qu’elle n’a pas joint à sa soumission l’autorisation de contracter délivrée par l’AMF;

-          bien qu’il soit personnellement d’avis que la condition essentielle à respecter est celle d’avoir cette attestation au moment du dépôt de la soumission, et non, en plus, de la joindre à la soumission, Zilembo estime plus prudent de consulter étant donné les conséquences potentielles du rejet de la soumission de Norgéreq pour ce motif, d’une part, et son souci de préserver l’intégrité du processus, d’autre part;

-          il fait d’abord part de la situation à Gayed, qui, sachant que le registre de l’AMF est accessible par Internet, le consulte et constate que Norgéreq détient bel et bien son autorisation de contracter;

-          bien que Zilembo estime en conséquence que le défaut de Norgéreq d’avoir joint cette attestation avec sa soumission constitue une dérogation mineure, notamment parce que cela n’affecte pas le prix de sa soumission, il pousse néanmoins ses vérifications plus loin et consulte le contentieux;

-          il en conclut que l’omission de Norgéreq constitue effectivement une dérogation mineure puisqu’elle n’a aucun effet sur les prix et qu’elle n’a pas pour effet de rompre l’équité entre les soumissionnaires;

-          à peine quelques jours après l’ouverture des soumissions, Zilembo demande tout de même à Norgéreq de fournir une copie de son autorisation, ce que cette dernière fait par courriel le 26 juin 2015[5];

-          Zilembo, avec le concours des professionnels, prépare ensuite un sommaire décisionnel, lequel constitue un document public dont l’objectif, dans tous les cas d’octroi d’un contrat, est de donner au conseil municipal l’information nécessaire à sa prise de décision;

-          le sommaire décisionnel mentionne que la soumission de Norgéreq comportait une « dérogation mineure » et que son autorisation de contracter délivrée par l’AMF a été fournie après la date de fermeture des soumissions;

-          l’intimée a octroyé le contrat à Norgéreq au prix de sa soumission, soit environ 55 000 $ de moins que l’appelante, deuxième plus basse soumissionnaire conforme.

Discussion

[6]                L’analyse et l’interprétation des documents d’appel d’offres, incluant la qualification d’une irrégularité comme mineure ou majeure, constitue une question mixte de fait et de droit qui commande la déférence[6]. La Cour n’interviendra donc à cet égard que s’il est démontré que la conclusion du juge résulte d’une erreur de droit, d’une erreur manifeste et déterminante ou qu’elle est déraisonnable. Chaque cas en est par ailleurs un d’espèce qui doit être analysé à la lumière des documents d’appel d’offres en cause et de l’ensemble des circonstances établies par la preuve[7].

[7]                En l’espèce, l’appelante ne s’acquitte pas du « lourd fardeau »[8] de démontrer que le jugement entrepris est affecté d’une erreur révisable.

[8]                Dans les circonstances fort particulières de cette affaire, le juge était fondé de conclure que l’omission de Norgéreq de joindre son attestation à sa soumission lors du dépôt de sa soumission résultait d’une inadvertance de sa part et qu’elle constituait une dérogation mineure à laquelle l’intimée avait discrétion de passer outre. Son analyse du droit applicable, des critères permettant d’apprécier ce qui constitue une dérogation mineure ou majeure, de la preuve concernant le contexte dans lequel la Ville a incorporé la clause en litige aux documents d’appel d’offres et de sa conduite par la suite[9] ne requiert pas l’intervention de la Cour. D’autant plus que le fait de ne pas tenir compte de l’irrégularité dans la soumission de Norgéreq et d’en permettre la correction n’a pas eu pour effet d’affecter les objectifs fondamentaux du processus d’appel d’offres : l’équité entre les soumissionnaires et l’intégrité du processus n’ont pas été mises en péril, pas plus que l’obtention d’un juste prix, au bénéfice du trésor public et des contribuables. Incidemment, avec une objectivité dont il faut lui reconnaître le mérite, l’avocat de l’appelante a admis lors de l’audience que l’égalité et l’équité entre les soumissionnaires ne sont pas en cause ici.

[9]                La clause en litige a été rédigée par le contentieux de l’intimée à une époque où cette dernière ne pouvait vérifier en ligne si l’AMF avait bien délivré l’autorisation de contracter à un des soumissionnaires, d’où l’importance, à cette époque, de demander à ces derniers dans les documents d’appel d’offres de déposer copie de cette attestation avec leur soumission. Or, cette réalité n’existait plus au moment où l’appel d’offres fut publié. La vérification en ligne pouvait au contraire être effectuée depuis plusieurs mois déjà, ce que l’intimée a par ailleurs continué à faire même dans les cas où un soumissionnaire fournissait une copie de son autorisation avec sa soumission, et ce, afin de se prémunir contre la possibilité de copies contrefaites.

[10]           Ces circonstances singulières établies par la preuve justifiaient le juge de conclure que, malgré le texte apparemment impératif de la deuxième phrase de la clause litigieuse, c’est la détention de l’autorisation de l’AMF lors du dépôt de sa soumission qui constituait ici la condition essentielle et que l’obligation d’en déposer une copie avec ladite soumission en était simplement un accessoire.

[11]           Le juge n’a donc commis aucune erreur révisable en refusant de s’arrêter au sens purement littéral de la seule phrase en litige, pour plutôt analyser l’ensemble de la preuve au regard des principes applicables, tels qu’ils ressortent notamment des arrêts R.P.M. Tech[10], Tapitec[11] et EBC inc.[12], afin de vérifier s’il était devant un cas de dérogation mineure ou majeure.

[12]           En somme, vu les circonstances révélées par la preuve, la position de l’appelante est teintée de ce type de « formalisme qui battrait en brèche les avantages du recours aux soumissions publiques »[13].

[13]           Étant donné le sort de l’appel, il n’est pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur l’étonnante requête de bene esse de l’intimée pour permission de déposer une déclaration d’appel incident hors délai afin de contester la décision du juge de rejeter sa requête en réouverture des débats[14].

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[14]           REJETTE l’appel, avec les frais de justice;

[15]           DÉCLARE sans objet la requête de bene esse de l’intimée pour permission de déposer une déclaration d’appel incident hors délai.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 


[1]  La nécessité de cette autorisation préalable est prescrite par l’article 21.17 de la Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c.C-65.1 LCOP »), lequel fut ajouté à cette loi, en décembre 2012, dans la foulée de la Commission Charbonneau, par la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics, L.Q. 2012, c. 25, art. 10 (la « Loi 26 »). Cette dernière a rendu l’article 21.17 applicable aux municipalités régies par la Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, art. 573.3.3.3 et le Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1, art. 938.3.3 (Loi 26, art. 40 et 46).

[2]  Loi 26, supra, note 1, art. 10.

[3]  Cette réserve et l’article 1.1.4 sur lequel elle est fondée ne sont pas pertinents aux fins du présent appel.

[4]  Lettre D-3.

[5]  Ibid. et autorisation de contracter jointe.

[6]  Municipalité de Piémont c. Uniroc Construction inc., 2020 QCCA 329, paragr. 22.

[7]  Tapitec c. Ville de Blainville, 2017 QCCA 317, paragr. 9.

[8]  Seica c. Agence du revenu du Québec, 2021 QCCA 1401, paragr. 39; Garcia Lorenzo c. Miga (Migas Home Inspections), 2016 QCCA 1661, paragr. 8.

[9]  Jugement entrepris, paragr. 35-92.

[10]  R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville), J.E. 2004-1072, 2004 CanLII 76642 (C.A.).

[11]  Tapitec c. Ville de Blainville, supra, note 7.

[12]  Ville de Montréal c. EBC inc., 2019 QCCA 1731.

[13]  R.P.M. Tech inc. c. Gaspé, supra, note 10, paragr. 27.

[14]  Jugement entrepris, paragr. 98-111.

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