Polynice c. R. | 2025 QCCA 907 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
SIÈGE DE
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N° : | 500-10-007921-222, 500-10-008075-234 | ||||
(505-01-170419-200) | |||||
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DATE : | 15 juillet 2025 | ||||
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BERNARDIN POLYNICE | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.
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[181] Le Tribunal considère que la version de la plaignante s’inscrit tout à fait avec les témoignages des policiers, des enquêteurs, de la réceptionniste du Newstar, incluant la version du témoin civil de Winnipeg. Incidemment, le fait que cette dernière ne rapporte pas avoir vu de coups donnés par l’homme observé ne change rien à ce constat. (A-t-elle vu une portion seulement de l’incident? Quel était son angle de vision?). Le Tribunal rappelle que la défense a renoncé à contre-interroger ce témoin. Ajoutons que rien dans la déclaration audio de Mme A.B. ne suscite d’inquiétude particulière quant à la fiabilité des informations rapportées par ce témoin indépendant.
[Soulignement ajouté]
[91] La violence et les menaces de violence régulières d’un accusé envers une victime et, plus généralement, leur relation violente, peuvent équivaloir à l’exercice d’un contrôle, d’une direction ou d’une influence sur les mouvements de celle‑ci au cours d’une période donnée, pourvu que cette violence fasse en sorte que les mouvements de la victime aient effectivement fait l’objet d’un contrôle, d’une direction ou d’une influence au cours de cette période. La violence est aussi pertinente et déterminante pour la définition de l’exploitation, étant donné que les critères de cette définition sont remplis lorsque l’accusé se livre à une conduite, notamment la violence et les menaces de violence régulières, qui amène la victime à fournir (ou offrir de fournir) son travail ou ses services, et dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle lui fasse croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité (ou celle d’une personne qu’elle connaît).
[…]
[94] Comme je l’ai expliqué plus tôt, le par. 279.01(1) vise à élargir l’interdiction qui existait jusqu’alors et à comprendre toutes les formes de traite des personnes, en mettant l’accent sur la protection des femmes et des enfants qui sont « de façon disproportionnée victimes de violence sexuelle » (Friesen, par. 68 et 70; voir aussi Barton, par. 198). Cette disposition interdit à quiconque de priver une autre personne de sa liberté de mouvement par l’exercice d’un contrôle, d’une influence ou d’une direction. La Couronne peut établir l’actus reus au moyen d’éléments de preuve de la violence et des menaces de violence régulières d’un accusé envers une victime et, plus généralement, d’une relation violente entre les deux, qui empêchent les mouvements de la victime parce qu’ils font l’objet d’un contrôle, d’une direction ou d’une influence.[23]
[Soulignements ajoutés]
[200] De la même façon, cette preuve démontre aussi plusieurs incidents où l’accusé a effectivement eu recours à une forme de contrôle et de direction (par ex. lorsqu’il l’a forcée à faire des retraits ou transferts bancaires à son profit après l’événement du NewStar à Montréal.).
[…]
[202] Le Tribunal conclut que l’ensemble de la preuve révèle tout au moins, que l’accusé a très certainement exercé une « influence » sur les mouvements de la plaignante et sur ses activités d’escorte pendant leur relation (en utilisant tour à tour, l’aide, l’encouragement, la manipulation psychologique et émotive, la déception et l’abus de confiance : R. v. Gallone,
[…]
[205] Ce constat (exercice d’une influence en vue d’exploiter) repose notamment sur les éléments suivants révélés par la preuve :
• L’accusé sait que la plaignante offre ses services sexuels moyennant rétribution avant d’entamer une relation amoureuse avec elle;
• Au début, il se garde bien de dévoiler ses véritables intentions et ses objectifs;
• La relation s’entame par une phase de séduction (tout est rose selon la version de la plaignante);
• Peu après le début de leur relation, l’accusé encourage D. L. à se déplacer pour se prostituer en vue d’en tirer plus de revenus;
• Progressivement, il exerce une pression psychologique sur la plaignante, et la manipule afin que celle-ci accepte de lui confier la gestion de ses gains financiers;
• Comme elle résiste, l’accusé accentue ses moyens de pression pour éventuellement l’amener à capituler, ce qu’elle fait;
• En raison des agissements de l’accusé, la plaignante accepte de lui confier l’entièreté (le fameux 100 %) des revenus provenant de sa prostitution croyant à tort que l’accusé partage son projet d’économiser pour ouvrir un commerce de traiteur;
• De la même manière, l’accusé obtient l’accès au compte de banque de la plaignante et n’hésite pas à faire plusieurs transferts et retraits à son profit (il importe peu qu’une partie de l’argent détenu au compte puisse avoir appartenu à l’accusé, la preuve révélant qu’il a tiré un bénéfice matériel sachant que celui-ci provenait de la prostitution de madame);
• L’accusé participe activement à la marchandisation des services sexuels de la plaignante, notamment par la gestion des appels de clients, lui propose des prix, l’accompagne dans ses déplacements à l’extérieur du Québec;
• Il lui reproche un manque à gagner lorsque la plaignante préfère dormir plutôt que de recevoir d’autres clients;
• L’accusé a, à maintes reprises, eu recours à la manipulation émotionnelle et psychologique à l’endroit de celle-ci pour la maintenir dans le domaine de la prostitution pour mieux continuer son train de vie dépensier, par exemple, à Calgary lorsqu’elle désire rentrer à Montréal;
• Il n’hésite pas à asseoir son autorité et son ascendant en ayant recours aux menaces verbales et à la violence physique, notamment lorsqu’il est contrarié alors que la plaignante ose le confronter ou lui faire des reproches (sur le fait qu’il dépense trop; selon la plaignante les conflits récurrents portent beaucoup sur la gestion inadéquate de l’argent);
• Après les épisodes de violence, il s’excuse et tente de l’amadouer en lui faisant de fausses promesses d’aller en thérapie et de s’amender pour mieux la garder dans cette dynamique d’abus et d’exploitation.
[Soulignements ajoutés]
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
ORDONNE à Bernardin Polynice de payer avant le 19 août 2027[32] une amende compensatoire de 13 020 $ en faveur de Sa Majesté (paragr. 462.37(2) et (3) C.cr.);
ORDONNE, selon l’article 738 C.cr., que Bernardin Polynice verse à D… L.., par l’entremise du ministère de la Justice, la somme de 21 765 $;
ORDONNE à Bernardin Polynice, de façon concurrente à cette ordonnance de dédommagement, de payer avant le 19 août 2027 une amende compensatoire additionnelle (paragr. 462.37(1) et (3) C.cr.) au montant de 21 765 $;
ORDONNE, selon l’article 740 C.cr., que tout versement, partiel ou complet, soit imputé en priorité au paiement de la somme de 21 765 $;
ORDONNE que les sommes versées à D… L…, par l’intermédiaire du ministère de la Justice, réduisent d’autant le montant de cette amende;
CONDAMNE Bernardin Polynice, à défaut de paiement des deux amendes compensatoires, à purger pour chacune d’elles 12 mois d’emprisonnement, ces peines étant concurrentes entre elles, mais ORDONNE que ces peines soient consécutives à toute autre peine d’emprisonnement infligée ou que ce dernier serait alors en train de purger (al. 462.37(4)b) C.cr.);
En cas de paiement partiel des amendes compensatoires à l’expiration de leur terme, ORDONNE que la période d’emprisonnement à défaut de paiement soit réduite du nombre de jours ayant le même rapport avec la durée totale de la période d’emprisonnement qu’entre le paiement partiel de ces amendes et le total de leur montant initial (34 785 $), et ce, conformément au paragraphe 734.8(2) C.cr.;
ORDONNE que Bernardin Polynice se présente devant un juge de paix pour l’accomplissement des obligations prévues au paragraphe 734.2(1) C.cr. et, à cette fin, DEMANDE aux autorités de l’établissement de détention où Bernardin Polynice purge sa peine de faire le nécessaire pour faciliter la tenue de cette audience.
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| GUY GAGNON, J.C.A. | |
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| PETER KALICHMAN, J.C.A. | |
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| MYRIAM LACHANCE, J.C.A. | |
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Me Justine Levasseur | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Frédérique Le Colletter | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 5 juin 2025 | |
[1] L’acte d’accusation est au nom de Bernadin Polynice alors que le jugement et l’avis d’appel réfèrent à Bernardin Polynice.
[2] R. c. Polynice,
[3] Kienapple c. R.,
[4] L’appelant ne présente aucune demande à la Cour concernant les chefs 4 à 10.
[5] R. c. Polynice, C.Q. Longueuil, no 505-01-170419-200, 7 août 2023, Leduc, j.c.q. [Jugement sur la peine]. Au jour du jugement sur la peine, il demeurait un reliquat à être purgé de 772 jours.
[6] R. c. R.P., 2012 CSC 22.
[7] Pièce P-6, Photos de la chambre d’hôtel.
[8] Pièce P-3, Vidéo blessures Winnipeg. L’appelant plaide que la plaignante ment lorsqu’elle affirme qu’on voit l’accusé mettre ses bagages dans le véhicule alors qu’elle déclare plutôt « on me voit dans la vidéo en train de voir que monsieur est en train d’aller derrière [le véhicule] » [soulignement ajouté] : Interrogatoire de la plaignante, 6 juillet 2021.
[9] Jugement sur la culpabilité, paragr. 176-178.
[10] C.G. c. R.,
[11] R. c. R.P., supra, note 6, paragr. 10, citant R. c. Burke,
[12] Canada (Procureur général) c. Bedford,
[13] L’appelant admet que les notes sténographiques des témoignages ont été entièrement déposées pour valoir comme preuve testimoniale lors du nouveau procès, et ce, avec son consentement. Voir sur la question R. c. J.D.,
[14] Dans le même sens, voir le paragraphe 38b) des Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle.
[15] Jugement sur la culpabilité, paragr. 178.
[16] Id., paragr. 180-183.
[17] Id., paragr. 206-207 et deuxième conclusion du dispositif du jugement sur la culpabilité.
[18] R. c. Schneider,
[19] R. v. Robinson,
[20] Pièce P-17, Déclaration audiovisuelle d’Ashley Beaman.
[21] Voir par analogie : Abran c. R.,
[22] Jugement sur la culpabilité, paragr. 188-194.
[23] R. c. T.J.F.,
[24] Contre-interrogatoire de la plaignante, 5 juillet 2021.
[25] R. c. Lacasse,
[26] R. c. L.M.,
[27] R. c. Bédard,
[28] Interrogatoire de la plaignante, 8 juillet 2021.
[29] R. v. Hape, 201 O.A.C. 126, 2005 CanLII 26591 (C.A. Ont.) paragr. 40, appel rejeté par R. c. Hape,
[30] Voir Charrière c. R.,
[31] Voir notamment pièce P-36, Relevé TD vérification supplémentaire du sergent.
[32] Étant donné que le reliquat de la peine à purger par l’appelant était de 772 jours au jour du jugement sur la peine (jugement sur la peine, 7 août 2023, p. 27.), celle-ci est donc censée se terminer le ou vers le 19 août 2025. Le délai de paiement de deux ans pour les deux amendes compensatoires commence à courir à compter de cette date.
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