MISE EN GARDE : Interdiction de divulgation ou diffusion : le Code de procédure civile (« C.p.c. ») interdit de divulguer ou diffuser toute information permettant d’identifier une partie ou un enfant dont l’intérêt est en jeu dans une instance en matière familiale, sauf sur autorisation du tribunal (article 16 C.p.c.).
- L’intimé demande le rejet d’un appel formé à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, district de Laval (l’honorable Dominique Poulin), prononçant le divorce entre les parties et statuant sur les mesures accessoires[1].
- Dans ce jugement, l’appelante s’est vu accorder seulement 3 000 $ des 23 000 $ qu’elle réclamait à titre de provision pour frais. Ses demandes relatives au partage du patrimoine familial ont, elles aussi, été accueillies en partie seulement : la juge lui a accordé la somme de 146 252,20 $, mais elle réclamait beaucoup plus, notamment en demandant un partage inégal et en contestant certaines déductions demandées par l’intimé relativement à la résidence familiale et à ses REER.
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- L’appelante s’attaque aux volets du jugement entrepris qui lui sont défavorables pour ce qui est de la provision pour frais et du partage du patrimoine familial. Les enjeux sont importants : elle précise, dans sa déclaration d’appel, que la valeur de l’objet du litige en appel est de 386 000 $.
- L’intimé demande le rejet de l’appel pour deux raisons. Premièrement, l’appelante aurait acquiescé au jugement entrepris en envoyant le formulaire nécessaire au transfert des REER et en encaissant des traites bancaires qu’il lui a transmises en exécution de ce jugement. Deuxièmement — et à titre subsidiaire —, l’appel ne présenterait aucune chance raisonnable de succès.
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- Sur ce dernier point, la Cour ne partage pas la position de l’intimé. S’il est vrai que la déclaration d’appel soulève de nombreux moyens, l’appelante cible de manière suffisamment précise certains aspects prétendument erronés du jugement entrepris et ses prétentions ne sont pas toutes vouées à l’échec.
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- Reste donc l’argument principal de l’intimé selon lequel l’appelante a acquiescé au jugement entrepris, ce qui donnerait ouverture au rejet sommaire de l’appel aux termes de l’article 365 al. 1 C.p.c.
- Afin d’analyser correctement cet argument, il convient d’exposer brièvement les faits pertinents.
- Le jugement entrepris est rendu le 17 février 2025, date à laquelle commence à courir le délai d’appel de 30 jours[2].
- Le 28 février 2025, l’avocate de l’intimé écrit à celle de l’appelante en lui indiquant que, compte tenu du jugement entrepris, son client reconnaît lui devoir : 146 252,20 $ en règlement du partage du patrimoine familial; 296 900,92 $ en ce qui concerne le transfert des REER; et 3 000 $ à titre de provision pour frais, somme à l’égard de laquelle l’intimé propose d’opérer compensation avec une somme de 2 300 $ due par l’appelante à titre de pension alimentaire, pour un solde de 700 $.
- Après deux courriels de suivi transmis par l’avocate de l’intimé les 5 et 6 mars 2025, celle de l’appelante répond le 7 mars 2025 en indiquant qu’elle doit discuter avec sa cliente.
- Après un autre courriel de suivi de l’avocate de l’intimé, l’appelante elle-même répond le 11 mars 2025 en précisant qu’elle est en communication avec sa banque pour le transfert des REER et qu’elle est disposée à recevoir paiement des sommes de 146 252,20 $ et de 700 $. Plus tard durant la journée, l’avocate de l’intimé écrit à l’appelante pour lui signaler qu’elle a en main deux traites bancaires aux montants de 146 252,20 $ et de 700 $.
- Le 12 mars 2025, l’appelante répond que son avocate a décelé une erreur dans le calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle. L’avocate de l’intimé rétorque que son client est en désaccord et qu’il n’accepte pas de lui verser des sommes additionnelles. S’ensuit un échange de courriels entre les avocates des parties, échange au terme duquel l’avocate de l’appelante précise que le dépôt des traites bancaires ne peut être considéré comme une admission des calculs de l’intimé.
- Quelques heures plus tard, l’appelante envoie à l’intimé le formulaire nécessaire pour procéder au transfert des REER.
- Puis, le 13 mars 2025, elle prend possession des deux traites bancaires de 146 252,20 $ et de 700 $.
- Six jours plus tard, alors que le délai d’appel n’est pas encore échu, l’appelante dépose sa déclaration d’appel.
- La position de l’intimé est énoncée clairement dans sa requête : « [e]n transmettant les documents nécessaires au transfert des REER, en prenant possession des traites bancaires et en encaissant les sommes reçues en exécution du jugement quant au partage du patrimoine familial et à la provision pour frais, l’appelante a manifesté une volonté claire, libre et non équivoque d’acquiescer aux conclusions visées »[3]. Il invoque au soutien de sa position deux arrêts de la Cour : Favreau c. Dame Campeau[4] et Chedore-Allain c. Fruits de mer Gascons ltée[5].
- Ces deux arrêts se distinguent de la présente affaire, car ils concernent des cas où la partie appelante avait porté en appel un volet du jugement de première instance qui était indissociable d’un autre volet lui étant défavorable et auquel elle avait préalablement donné suite volontairement.
- Dans Favreau, le jugement entrepris avait rejeté avec dépens l’action en annulation de contrat intentée par l’appelant, qui avait ensuite payé volontairement les dépens et subséquemment formé un appel. Dans un arrêt partagé, la Cour a conclu que les deux volets du jugement — rejet de l’action et condamnation aux dépens — étaient si intimement liés que l’acquiescement à l’un équivalait à un acquiescement à l’autre. Situation similaire dans Chedore-Allain, où la Cour a conclu que, puisqu’elles avaient donné suite volontairement au volet du jugement entrepris concernant une demande en passation de titre, les appelantes ne pouvaient plus porter en appel l’autre volet — jugé indissociable du premier — concernant une demande de redressement pour abus.
- La situation en l’espèce est tout autre. L’intimé n’invite pas la Cour à conclure à un acquiescement du fait que l’appelante aurait donné suite volontairement à des conclusions du jugement entrepris prononcées à son encontre. C’est plutôt l’intimé qui a donné suite à des conclusions le visant, et la question — qui est bien différente de celles qui se posaient dans Favreau et Chedore-Allain — est de savoir si, en acceptant paiement des sommes de 146 252,20 $ et 700 $ et en envoyant le formulaire relatif au transfert des REER, l’appelante a acquiescé au jugement entrepris et, de ce fait, renoncé à son droit de demander à la Cour de revoir à la hausse les montants auxquels elle a droit[6].
- La réponse ne fait aucun doute pour ce qui est des 3 000 $ accordés à titre de provision pour frais. Étant donné que la conclusion se rapportant à cette somme était exécutoire provisoirement[7], le fait que l’appelante en a reçu paiement ne saurait constituer un indice d’une quelconque volonté de sa part de renoncer à se pourvoir contre ce volet du jugement entrepris.
- Qu’en est-il de ses décisions d’accepter paiement de la somme de 146 252,20 $ et d’envoyer le formulaire relatif aux REER qui, elles, se rapportent à des conclusions du jugement entrepris qui n’étaient pas exécutoires provisoirement?
- Puisqu’aucun élément du dossier ne tend à démontrer que l’appelante a renoncé expressément à son droit d’appel, la question est de savoir si les gestes qu’elle a posés sont constitutifs d’une renonciation tacite.
- Les principes applicables sont connus. Bien qu’il soit possible de renoncer tacitement à un droit, la barre est haut placée : « [u]ne telle renonciation doit être claire et non équivoque, c’est-à-dire que ‟les faits et gestes dont on allègue qu’ils constituent ou entraînent la renonciation doivent être tels que la seule inférence logique qu’on puisse raisonnablement en tirer est celle de la renonciation” »[8].
- Ce critère n’est pas rempli en l’espèce. En acceptant paiement de la somme qui lui a été accordée en première instance, la partie qui a eu partiellement gain de cause ne manifeste pas une intention claire et non équivoque de renoncer à son droit de porter en appel le volet du jugement entrepris qui lui est défavorable. Il n’y a rien de fondamentalement contradictoire entre le fait de recevoir paiement de la somme que la partie adverse choisit de lui payer volontairement et l’exercice de son droit d’appel à l’égard de la partie de sa réclamation qui a été rejetée. C’est notamment pour cette raison qu’aux termes de l’article 355 al. 2 C.p.c., la partie appelante qui ne cherche qu’à faire revoir à la hausse le montant qui lui a été accordé en première instance peut demander à un juge de la Cour d’ordonner à la partie intimée d’exécuter le jugement jusqu’à concurrence du montant non contesté.
- Certes, on peut imaginer des situations où la partie ayant eu partiellement gain de cause en première instance recevra paiement de la somme qui lui a été accordée d’une manière ou dans un contexte qui démontrera clairement sa volonté de renoncer à son droit d’appel. Ce n’est cependant pas le cas ici, le dossier ne contenant aucun élément permettant de conclure en ce sens.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- REJETTE la requête en rejet d’appel, frais de justice à suivre selon le sort de l’appel.
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. |
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| LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A. |
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| CHRISTIAN IMMER, J.C.A. |
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Me Kadiatou Desautels |
Pour l’appelante |
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Me Alexis Ibgui |
PRINGLE ET ASSOCIÉS AVOCATS |
Pour l’intimé |
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Date d’audience : | 9 juillet 2025 |
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[1] Droit de la famille — 25208, 2025 QCCS 630 (« jugement entrepris »).
[2] Droit de la famille — 222215, 2022 QCCA 1719, par. 14 et s.
[3] Requête en rejet d’appel, par. 10.
[6] L’Heureux c. Potvin, [1985] C.P. 304, p. 308 : « L’acquiescement à jugement est l’acte par lequel un plaideur manifeste, expressément ou tacitement, l’intention de se soumettre à une décision judiciaire déjà rendue et sujette à appel, qui lui est défavorable, en tout ou en partie. Il constitue une renonciation au droit d’appel […] » (cité dans Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, 4e éd., vol. 1 « Articles 1 à 390 », Montréal, Yvon Blais, 2019, p. 1864 (art. 365)).
[7] Article 660 al. 1(11°) C.p.c.
[8] Ville de Montréal c. Compagnie de construction Édilbec inc., 2022 QCCA 1521, par. 15, citant Poirier c. Gravel, 2015 QCCA 1656, par. 13. Voir aussi 91439 Canada ltée (Éditions de Mortagne) c. Robillard, 2022 QCCA 76, par. 51. Voir aussi L’Heureux c. Potvin, [1985] C.P. 304, p. 308 : « [L’acquiescement à jugement] constitue une renonciation au droit d’appel et doit être à la fois volontaire et non équivoque, comme toute renonciation, cf. Langton c. Prompt Taxi Association Ltd., 1969 B.R. 623, p. 624] et la maxime renunciatio non praesumitur […] ».