
COUR SUPRÊME DU CANADA |
Référence : R. c. S.B., 2025 CSC 24 | | Appel entendu : 15 octobre 2024 Jugement rendu
: 18 juillet 2025 Dossier : 40873 |
Entre : S.B. Appelant et Sa Majesté le Roi Intimé - et - Procureur général du Canada, directeur des poursuites criminelles et pénales, procureur général de l’Alberta, Justice for Children and Youth, Queen’s Prison Law Clinic, Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Peacebuilders Canada, British Columbia Civil Liberties Association, Association canadienne des libertés civiles et African Nova Scotian Justice Institute Intervenants Traduction française officielle Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau |
Motifs de jugement : (par. 1 à 73) | Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Martin, Jamal, O’Bonsawin et Moreau) |
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Motifs conjoints concordants : (par. 74 à 103) | Les juges Côté et Rowe |
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Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
S.B. Appelant
c.
Sa Majesté le Roi Intimé
et
Procureur général du Canada,
directeur des poursuites criminelles et pénales,
procureur général de l’Alberta,
Justice for Children and Youth,
Queen’s Prison Law Clinic,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Peacebuilders Canada,
British Columbia Civil Liberties Association,
Association canadienne des libertés civiles et
African Nova Scotian Justice Institute Intervenants
Répertorié : R. c. S.B.
2025 CSC 24
No du greffe : 40873.
2024 : 15 octobre; 2025 : 18 juillet.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Droit criminel — Adolescents — Détermination de la peine — Peine applicable aux adultes — Présomption de culpabilité morale moins élevée — Responsabilité — Preuve du contexte social — Adolescent déclaré coupable de meurtre au premier degré pour avoir tué par balle un adolescent — Ordonnance du tribunal pour adolescents imposant une peine applicable aux adultes — Confirmation par la Cour d’appel de la peine applicable aux adultes malgré que le tribunal pour adolescents ait commis une erreur en ne tenant pas compte de la présomption de culpabilité morale moins élevée — La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que la présomption de culpabilité morale moins élevée était réfutée et en concluant qu’une peine applicable aux adultes était nécessaire pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes? — La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en tenant compte de la preuve du contexte social? — Une peine applicable aux adultes devrait-elle être imposée? — Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, art. 72(1).
Alors que B était âgé de 16 ans, il a, avec d’autres jeunes, mis à exécution le projet de tuer par balle un adolescent âgé lui aussi de 16 ans dans la cage d’escalier d’un immeuble d’habitation. B a tiré les coups de feu, il a chargé ses coaccusés de l’aider à dissimuler le meurtre, et il a exprimé le souhait de tuer un coaccusé qui avait été témoin du meurtre, ainsi que la mère et la sœur de celui‑ci. B a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un tribunal pour adolescents. La Couronne a demandé que B soit assujetti à la peine applicable aux adultes. Le juge du tribunal pour adolescents a accueilli la demande et a infligé à B une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.
Lors de l’appel interjeté par B, la Cour d’appel a conclu que le juge du tribunal pour adolescents avait commis une erreur en omettant d’examiner et d’appliquer la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue à l’al. 72(1)a) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA »), et a donc procédé à une nouvelle détermination de la peine de B. Ce faisant, la cour a examiné la preuve du contexte social, mettant en lumière les facteurs raciaux et culturels qui ont joué un rôle dans la vie de B. La cour a conclu, en définitive, que la Couronne avait réfuté la présomption avec succès et qu’une peine spécifique pour adolescents ne serait pas suffisante pour obliger B à répondre de ses actes. Elle a infligé la même peine applicable aux adultes que celle qu’avait infligée le juge du tribunal pour adolescents.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau : Les principes et le cadre juridique servant à déterminer dans quels cas un adolescent peut être assujetti à la peine applicable aux adultes en vertu de l’art. 72 de la LSJPA sont énoncés dans le pourvoi connexe R. c. I.M., 2025 CSC 23. L’affaire de B est régie par ce même cadre. La Cour d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’elle a procédé à la nouvelle détermination de la peine en omettant d’appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable prescrite par la Constitution au fardeau qui incombait à la Couronne de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée; cependant, l’erreur n’a pas eu d’incidence sur la détermination de la peine. Considérant les motifs et le dossier fonctionnellement et dans leur ensemble, la Cour d’appel a conclu à bon droit que la présomption était réfutée et n’a pas commis d’erreur dans son traitement de la preuve du contexte social lorsqu’elle a évalué la position de la Couronne sur la réfutation de la présomption. La cour a examiné cette preuve en ce qui concerne la maturité et le jugement indépendant de B, comme il convenait de le faire en application de l’al. 72(1)a). Aucune erreur de principe ni aucune autre erreur n’a été commise dans l’appréciation par la Cour d’appel de la responsabilité de B aux termes de l’al. 72(1)b). La Cour d’appel s’est livrée à une mise en balance des facteurs pertinents, notamment la situation personnelle de B, guidée par la preuve du contexte social. L’appréciation et la mise en balance de ces facteurs, dont la réadaptation, la réinsertion sociale et la protection du public, commandent la déférence.
Comme il a été exposé dans l’arrêt I.M., les deux volets d’une demande en vue de l’assujettissement d’un adolescent à la peine applicable aux adultes doivent être examinés séparément. La cour doit se pencher sur la question de savoir si la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue à l’al. 72(1)a) a été réfutée et celle de savoir si une peine spécifique pour adolescents ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes comme le prévoit l’al. 72(1)b). La preuve du contexte social peut être pertinente pour les deux volets : premièrement, elle peut être un facteur pertinent pour réfuter la présomption et fournir le contexte aux fins de l’analyse de l’enfance, du vécu et du jugement indépendant de l’adolescent; deuxièmement, la preuve du contexte social peut guider le tribunal pour adolescents dans la détermination de la responsabilité morale de l’adolescent lors de l’analyse de la durée de la peine qui obligera celui-ci à répondre de ses actes.
En ce qui a trait au premier volet, bien que la gravité objective de l’infraction n’ait aucune incidence sur l’aptitude de l’adolescent à exercer un jugement moral et qu’elle ne soit pas pertinente pour la réfutation de la présomption, le simple fait qu’un tribunal pour adolescents mentionne la gravité d’une infraction, dans l’abstrait, ne justifie pas une intervention, à moins que ce fait ait une incidence sur la peine. Le fait d’exprimer de l’empathie à l’égard des victimes et de constater la nature violente d’une infraction ne peut, en soi, être erroné en droit. Les cours d’appel doivent se garder de traquer les mentions de la gravité de l’infraction comme étant des signes d’erreur; elles doivent plutôt lire l’ensemble du jugement selon son contexte en vue de cerner ce que le juge du tribunal pour adolescents a effectivement décidé.
La présente affaire est différente de l’affaire I.M., où le juge du tribunal pour adolescents a explicitement mentionné la gravité de l’infraction comme fondement de la réfutation de la présomption, sans mention de la raison d’être de la règle de l’al. 72(1)a), et a commis d’autres erreurs, notamment l’omission de tenir compte de l’histoire personnelle de l’adolescent. En l’espèce, la Cour d’appel a mentionné la gravité, mais en partie pour renvoyer aux circonstances de l’infraction, plutôt qu’à leur gravité objective. La Cour d’appel a reconnu, en lien avec sa mention de la gravité de l’infraction, que l’analyse visant à établir si la présomption avait été réfutée doit porter principalement sur le degré de maturité de B et son aptitude à exercer un jugement moral. La cour n’a pas perdu de vue la raison d’être de la présomption dans son analyse et sa conclusion fondées sur l’al. 72(1)a). De plus, la Cour d’appel pouvait conclure que la preuve du contexte social était d’une valeur probante limitée en ce qui concerne la présomption et qu’elle n’atténuait pas les facteurs démontrant le jugement et la maturité de B, comme son rôle évident de meneur. L’ensemble de la preuve a démontré hors de tout doute raisonnable que l’âge développemental de B s’apparentait à celui d’un adulte; c’est à bon droit que la Cour d’appel a conclu que la présomption était réfutée.
Pour ce qui est du deuxième volet, la Cour d’appel n’a commis aucune erreur révisable en tenant compte, relativement à la question de la responsabilité, de la preuve de la conduite de B pendant qu’il était sous garde ni dans son évaluation de la preuve du contexte social. Les juges chargés de la détermination de la peine ne commettent pas d’erreur de principe lorsqu’ils tiennent compte d’événements postérieurs à la perpétration d’une infraction. Le potentiel de réadaptation pourrait être pertinent dans l’analyse de la responsabilité et, en l’espèce, la preuve de l’absence de progrès de B et de son historique de comportement provocateur et agressif pendant qu’il était sous garde était pertinente quant à son potentiel de réadaptation. En outre, bien que la preuve du contexte social ait donné des indications sur les forces personnelles, sociales et systémiques qui ont façonné la vie et la situation de B, elle n’a pas fourni d’explication de la perpétration de l’infraction — soit pourquoi B a tué un adolescent qu’il ne connaissait pas, à la façon d’une exécution. Rien ne permet de modifier l’utilisation qu’a faite la Cour d’appel de cette preuve en tirant sa conclusion selon laquelle la peine applicable aux adultes était nécessaire pour obliger B à répondre de ses actes.
Les juges Côté et Rowe : Comme il a été expliqué dans le pourvoi connexe, I.M., il y a désaccord avec les juges majoritaires quant à la conclusion selon laquelle la preuve hors de tout doute raisonnable est la norme appropriée à appliquer pour déterminer si la Couronne a réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée. Toutefois, en l’espèce, il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que la Couronne avait réfuté la présomption et qu’elle n’a pas non plus erré dans son traitement de la preuve du contexte social ou en s’appuyant sur l’inconduite constatée dans un rapport prédécisionnel.
Le paragraphe 72(1) de la LSJPA impose une question d’évaluation au juge chargé de déterminer la peine ainsi qu’un fardeau de persuasion à la Couronne. Lorsque la Couronne a réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée, l’analyse passe au deuxième volet : déterminer si une peine spécifique pour adolescents serait d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux. Il convient de se pencher sur la gravité de l’infraction à ce stade plutôt qu’au premier stade. Pour qu’il y ait responsabilité, la peine doit être suffisamment longue pour refléter la gravité de l’infraction et le rôle qu’y a joué le contrevenant. Le paragraphe 38(1) de la LSJPA exige la prise en compte des perspectives de réadaptation et de réinsertion sociale de l’adolescent, ce qui comprend l’attitude du contrevenant envers la réadaptation et son expérience avec les programmes de réadaptation.
En l’espèce, la Couronne a réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée. Les circonstances du contrevenant témoignent d’une enfance difficile. B, un Noir, a été élevé principalement par sa mère, vivait dans la pauvreté et était âgé de 16 ans au moment de l’infraction. Ses liens avec des membres de la communauté affiliés à des gangs lui procuraient un sentiment d’appartenance, de reconnaissance, de protection et de sécurité. Les circonstances et la complexité de l’infraction indiquent qu’il a joué un rôle important dans la planification et l’exécution du meurtre, son comportement témoignant d’une absence d’impulsivité et d’une aptitude à exercer le jugement et la prévoyance d’un adulte. Il était manifestement à la tête de l’événement, ayant coordonné un plan pour le jour du meurtre et menant aussi le groupe après la perpétration de l’infraction, ce qui incluait des efforts afin d’éviter de se faire prendre. Les gestes de ce dernier dénotent le jugement et la pensée critique d’un adulte. Ils comprennent notamment la coordination de deux autres personnes pour exécuter le meurtre conformément au plan et des efforts pour le dissimuler, immédiatement après le meurtre et de façon continue. La Cour d’appel a conclu à bon droit que la Couronne avait réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée.
Pour que B réponde de ses actes, une période d’incarcération plus longue est nécessaire malgré son enfance difficile et son âge. B a joué un rôle de premier plan dans la planification et l’exécution du meurtre et a dirigé les tentatives pour le dissimuler, envisageant notamment le meurtre de témoins. Il était le principal joueur dans une infraction comportant un degré élevé de culpabilité morale, infraction dans laquelle il a manifesté le jugement d’un adulte. Cela commande un degré élevé de responsabilisation. Il y a eu peu de preuve de remords ou de potentiel de réadaptation. La peine établie par le juge chargé de déterminer la peine et confirmée par la Cour d’appel n’a pas été infligée par erreur.
Jurisprudence
Citée par le juge Kasirer
Arrêt appliqué : R. c. I.M., 2025 CSC 23; distinction d’avec l’arrêt : R. c. I.M., 2020 ONSC 4660; arrêts examinés : R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409; R. c. B.J.M., 2024 SKCA 79, 441 C.C.C. (3d) 316, conf. 2022 SKPC 38; R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423; arrêts mentionnés : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Morris, 2021 ONCA 680, 159 O.R. (3d) 685; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424; R. c. R.N.S., 2000 CSC 7, [2000] 1 R.C.S. 149; R. c. W. (M.), 2017 ONCA 22, 134 O.R. (3d) 1; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, [2022] 1 R.C.S. 460; R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368; R. c. Chol, 2018 BCCA 179; Joseph c. R., 2018 QCCA 1449; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141; R. c. McClements, 2017 MBCA 104; R. c. Hills, 2023 CSC 2; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206; R. c. Lévesque, 2000 CSC 47, [2000] 2 R.C.S. 487; R. c. Angelillo, 2006 CSC 55, [2006] 2 R.C.S. 728; Sirois c. R., 2017 QCCA 558.
Citée par les juges Côté et Rowe
Arrêts mentionnés : R. c. I.M., 2025 CSC 23; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141; R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409; R. c. Ferriman, 2006 CanLII 33472; R. c. McClements, 2017 MBCA 104.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 235(1), partie XXI, 745.1b).
Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1, art. 195.
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1, art. 2(1) « adolescent », 3(1)b), 34, 37(1), (4), partie 4, 38, 42(2)q), 64, 72 [mod. 2012, c. 1, art. 183].
Doctrine et autres documents cités
Bala, Nicholas. « R. v. B. (D.) : The Constitutionalization of Adolescence » (2009), 47 S.C.L.R. (2d) 211.
Campbell, Jamie. « In Search of the Mature Sixteen Year Old in Youth Justice Court » (2015), 19 Rev. can. D.P. 47.
Kobayashi, Brenda, et Joseph H. Michalski. « The Meaning of Accountability under Section 72(1)(b) of the Youth Criminal Justice Act » (2024), 72 Crim. L.Q. 373.
Parent, Hugues. Traité de droit criminel, t. I, L’imputabilité et les moyens de défense, 6e éd., Montréal, Thémis, 2022.
Ruby, Clayton C. Sentencing, 10e éd., Toronto, LexisNexis, 2020.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Simmons, Tulloch et Huscroft), 2023 ONCA 369, 426 C.C.C. (3d) 367, [2023] O.J. No. 2273 (Lexis), 2023 CarswellOnt 7579 (WL), qui a confirmé la décision sur la peine rendue par le juge Nordheimer, 2014 ONSC 3436, 2014 CarswellOnt 7925 (WL). Pourvoi rejeté.
Dirk Derstine, Laura Remigio et Kristen Duylsh, pour l’appelant.
Alexander Alvaro et Justin Reid, pour l’intimé.
Roy Lee et Ginette Gobeil, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Julie Nadeau et Philippe Desjardins, pour l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales.
Sarah Clive, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Mary Birdsell, Jin Chien et Katherine Long, pour l’intervenante Justice for Children and Youth.
Annamaria Enenajor et Heather Gunter, pour l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic.
Maija Martin et Jolene Hansell, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Stephanie Di Giuseppe et Maya Borooah, pour l’intervenante Peacebuilders Canada.
Vincent Larochelle et Safiyya Ahmad, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
Cori Singer et Samara Secter, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Brandon P. Rolle, pour l’intervenant African Nova Scotian Justice Institute.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau rendu par
Le juge Kasirer —
- Aperçu
- Alors que S.B. était âgé de 16 ans, il a, avec d’autres jeunes d’à peu près le même âge, projeté de tuer T.B., âgé lui aussi de 16 ans, dans la cage d’escalier d’un immeuble d’habitation. À l’heure convenue, S.B. a braqué une arme à feu sur la tête de T.B. et a appuyé deux fois sur la gâchette. T.B. est mort sur le coup. S.B. a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un tribunal pour adolescents. La Couronne a demandé que S.B. soit assujetti à la peine applicable aux adultes. Le juge du tribunal pour adolescents a accueilli la demande et a infligé à S.B. une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. En appel, la Cour d’appel a accueilli une motion en production de nouveaux éléments de preuve portant sur l’histoire personnelle de S.B. et les circonstances dans lesquelles il se trouvait. Après avoir noté que le juge du tribunal pour adolescents avait commis une erreur en omettant d’appliquer la présomption de culpabilité morale moins élevée prévue à l’al. 72(1)a) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »), la Cour d’appel a procédé à une nouvelle détermination de la peine de S.B. En définitive, elle a conclu, comme l’avait fait le juge du tribunal pour adolescents, qu’il y avait lieu d’assujettir S.B. à la peine applicable aux adultes et a rejeté l’appel de la peine.
- Dans le cadre du présent pourvoi, comme dans le pourvoi connexe R. c. I.M., 2025 CSC 23, la Cour est appelée à déterminer dans quels cas un adolescent peut être assujetti à la peine applicable aux adultes en vertu de l’art. 72 LSJPA. Les principes et le cadre juridique applicables à cette décision sont énoncés dans les motifs de l’arrêt I.M. Je compte maintenant m’appuyer sur ce cadre d’analyse et tâcher d’expliquer, en réponse aux questions que soulèvent les parties dans le présent appel de la peine, comment cette règle de droit s’applique à S.B. Au terme de cette analyse, j’arrive à la conclusion que la Cour d’appel n’a commis aucune erreur révisable justifiant l’intervention de notre Cour.
- D’abord, en ce qui concerne l’al. 72(1)a) LSJPA, la Couronne devait convaincre le tribunal chargé de la détermination de la peine que la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficiait S.B. en tant qu’adolescent avait été réfutée. Bien que la Cour d’appel ait noté à juste titre que la Couronne était tenue de prouver hors de tout doute raisonnable les facteurs aggravants sur lesquels elle s’appuierait, la cour, soit dit avec respect, a commis une erreur de droit en n’appliquant pas cette norme au fardeau ultime de réfuter la présomption elle-même. Comme il est souligné dans l’arrêt I.M., la réfutation de la présomption que commande la Constitution a pour effet d’accroître substantiellement la possibilité que l’adolescent soit assujetti à une peine plus sévère. La jurisprudence de notre Cour sur la norme de preuve en matière de détermination de la peine, lorsqu’elle est lue conjointement avec l’arrêt R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3, exige que la Couronne prouve que l’adolescent a, en fait, l’âge développemental d’un adulte. La Couronne cherche à prouver ce fait à l’appui d’une peine plus longue, le rendant semblable à un facteur aggravant qu’elle doit établir hors de tout doute raisonnable.
- Même si la Cour d’appel a commis une erreur en ce qui concerne la norme de preuve applicable aux termes de l’al. 72(1)a), cette erreur n’a pas miné sa conclusion générale selon laquelle la Couronne avait réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée dans le cas de S.B. Par ailleurs, la Cour d’appel n’a pas commis d’erreurs révisables dans sa prise en compte des facteurs pertinents au regard de l’al. 72(1)a) suivant la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 44 et suiv.
- Il est vrai que certaines de ses mentions de la gravité de l’infraction, considérées dans l’abstrait, peuvent être comprises comme indiquant erronément que ce facteur est pertinent pour réfuter la présomption. Toutefois, lorsqu’elles sont lues en contexte, on ne peut pas affirmer que ces mentions ont déformé l’analyse qu’a faite la Cour d’appel du par. 72(1) lors de la nouvelle détermination de la peine. La présente affaire est différente de l’affaire I.M., où le juge du tribunal pour adolescents a écrit que la présomption était réfutée [traduction] « [s]ur le fondement » de la gravité de l’infraction en tant que facteur pertinent, sans mention de la raison d’être de la règle de l’al. 72(1)a) (R. c. I.M., 2020 ONSC 4660 (« I.M. C.S. Ont. »), par. 38, reproduit au d.a., I.M., vol. I, p. 15‑16). En l’espèce, la Cour d’appel a reconnu à bon droit, en lien avec sa mention de la gravité de l’infraction, que l’analyse visant à établir si la présomption avait été réfutée doit porter principalement sur le degré de maturité de S.B. et son aptitude à exercer un jugement moral. Elle a effectivement mentionné la gravité, mais en partie pour renvoyer aux circonstances de l’infraction, plutôt qu’à leur gravité objective. Quoiqu’il soit erroné de réfuter la présomption sur la base de la gravité dans l’abstrait, je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de ce point dans la nouvelle détermination de la peine de S.B. par la Cour d’appel parce que celle‑ci n’a pas perdu de vue la raison d’être de la présomption dans son analyse et sa conclusion fondées sur l’al. 72(1)a).
- Je rejette également l’argument selon lequel la Cour d’appel a commis une erreur dans son traitement de la preuve du contexte social concernant S.B. lorsqu’elle a évalué la position de la Couronne sur la réfutation de la présomption. La Cour d’appel a pris soin, lors de la nouvelle détermination de la peine, d’examiner l’expérience de vie de S.B. et sa situation personnelle au moment du meurtre, et a expressément mentionné cette preuve en ce qui concerne [traduction] « la maturité et [le] jugement indépendant de SB », comme il convenait de le faire en application de l’al. 72(1)a) (2023 ONCA 369, 426 C.C.C. (3d) 367, par. 65). De plus, contrairement aux observations de l’appelant, la conduite postérieure à la détermination de la peine de S.B. a été dûment analysée sous l’angle de son [traduction] « jugement indépendant et [de son] discernement moral » (par. 68). Cette situation diffère de la détermination de la peine entreprise dans l’arrêt I.M., où l’effet cumulatif des erreurs portant sur les facteurs relatifs à la présomption, jumelé à l’erreur de principe quant à la norme, justifiait l’intervention de notre Cour en appel.
- Pour pouvoir obtenir une ordonnance d’assujettissement à la peine applicable aux adultes, la Couronne devait également convaincre le tribunal chargé de la détermination de la peine qu’une peine spécifique pour adolescents ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger S.B. à répondre de ses actes délictueux comme le prévoit l’al. 72(1)b) LSJPA. Encore une fois, l’appelant allègue que le traitement par la Cour d’appel de la preuve du contexte social était inadéquat, mais cette fois en ce qui a trait à son incidence sur la responsabilité morale de S.B. et à son obligation de répondre de ses actes à l’égard de l’infraction. La Cour d’appel a pris en considération l’enfance difficile de S.B., sa situation familiale ainsi qu’un possible racisme systémique à l’endroit des Noirs en lien avec sa situation. Malgré ces enjeux, elle a conclu qu’une peine spécifique ne serait pas suffisante pour l’obliger à répondre de ses actes délictueux. S.B. est maintenant en désaccord avec le poids que la Cour d’appel a attribué à ces considérations, mais il n’a pas établi l’existence d’une erreur de principe ni d’aucune autre erreur dans l’appréciation par la Cour d’appel de la responsabilité de S.B. aux termes de l’al. 72(1)b) qui minerait l’ordonnance. L’évaluation qu’entreprend le tribunal chargé de la détermination de la peine à cette deuxième étape du par. 72(1) a été comparée de façon appropriée à l’appréciation discrétionnaire de facteurs expliquée dans l’arrêt Lacasse. Je ne constate aucune erreur de la Cour d’appel ayant eu une incidence significative sur sa décision d’assujettir S.B. à la peine applicable aux adultes.
- Aucun des autres moyens soulevés par S.B. pour faire annuler l’ordonnance d’assujettissement à la peine applicable aux adultes n’est fondé. Tout compte fait, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
- Contexte
- Le 17 novembre 2010, trois adolescents, S.B., M.W. et T.F., ont mis à exécution le projet de tuer par balle T.B., âgé de 16 ans. Ce dernier a été abattu dans la cage d’escalier ouest d’un immeuble d’habitation situé à Toronto, où il vivait avec sa mère et sa sœur. Il est mort d’un seul coup de feu, qui l’a atteint au crâne, derrière son oreille droite. Le coup de feu a été tiré à quelques pouces de la tête de T.B. Un deuxième coup de feu a effleuré sa joue droite.
- Le jour où il a été tué, T.B. était en liberté sous caution relativement à des infractions liées aux drogues et vivait à Brampton avec une amie de sa mère. Le matin du 17 novembre, T.B. s’est rendu à Toronto en vue de comparaître en cour pour ces infractions liées aux drogues.
- Après sa comparution en cour, T.B. s’est rendu à l’appartement de sa famille à Toronto. Son entourage savait qu’il allait y passer la nuit. T.F. est arrivé à l’appartement peu après T.B. et les deux ont échangé avec d’autres dans le couloir. Ils sont finalement partis ensemble et T.B. a été abattu peu de temps après.
- M.W., T.F. et T.B. étaient amis, alors que S.B. était surtout connu de M.W. Bien qu’aucun mobile n’ait été établi au procès, des messages textes échangés entre les trois coaccusés avant et après le meurtre ont révélé un plan organisé établi à l’avance en vue de tuer T.B. Chacun des trois a joué un rôle. M.W. a participé à la planification et servait de lien entre S.B. et T.F., facilitant l’arrivée de S.B. à l’immeuble d’habitation dès la confirmation de T.F. que T.B. s’y trouvait. T.F. a ouvert une porte de côté pour laisser entrer S.B. dans l’immeuble vers 15 h 13 et a attiré T.B. dans la cage d’escalier où le meurtre a eu lieu environ 20 minutes plus tard.
- S.B. a tiré les coups de feu. Il a donné des instructions pour que T.B. demeure dans l’immeuble et qu’il se trouve dans une cage d’escalier. Après le meurtre, S.B. a envoyé un message texte à T.F. lui demandant de supprimer tous les messages, et a chargé M.W. de dire aux autres que des individus d’un quartier rival voisin étaient responsables. Il a également dit qu’un quatrième coaccusé, qui avait été témoin du meurtre, devait être tué, ainsi que la mère et la sœur de celui‑ci.
- Historique judiciaire
- Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2014 ONSC 3436 (le juge Nordheimer)
- La Cour supérieure de justice, siégeant comme tribunal pour adolescents conformément à la LSJPA, a déclaré S.B., M.W. et T.F. coupables de meurtre au premier degré (2013 ONSC 3139 (« motifs de première instance »)). Le quatrième coaccusé a été acquitté. La Couronne a demandé l’assujettissement des contrevenants à des peines applicables aux adultes. Les parties ont convenu que les dispositions applicables de la LSJPA étaient celles qui existaient à l’époque de l’infraction, avant les modifications apportées en 2012 à l’art. 72. Contrairement à la disposition modifiée en 2012, l’ancien art. 72 ne faisait aucune mention de la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficient les adolescents et du fardeau de la Couronne de la réfuter.
- Le juge du tribunal pour adolescents a conclu que la peine applicable aux adultes était la [traduction] « seule peine appropriée » pour obliger S.B. à répondre de ses actes dans son rôle de tireur et de son comportement relativement au meurtre (motifs de détermination de la peine, par. 56). En ce qui concerne le premier facteur prévu au par. 72(1) (tel qu’il existait à l’époque), il a conclu que la gravité de l’infraction et les circonstances de sa perpétration militaient en faveur de la peine applicable aux adultes, faisant remarquer que [traduction] « ce ne serait que dans un cas rare et inusité qu’on ne serait pas enclin à infliger la peine applicable aux adultes pour l’infraction de meurtre au premier degré » (par. 52). Il a ensuite examiné les autres facteurs énoncés à l’ancien par. 72(1) : l’âge, la maturité, la personnalité, les antécédents et les condamnations antérieures de l’adolescent.
- Le juge du tribunal pour adolescents a fait observer que S.B. avait eu de mauvaises fréquentations, que sa mère l’avait élevé seule depuis qu’il avait 10 ans, qu’il avait un casier judiciaire d’adolescent et qu’il faisait l’objet d’une ordonnance lui interdisant de posséder des armes et d’une probation au moment du meurtre. Le rapport prédécisionnel était mitigé. Quoique S.B. ait participé à certains programmes pendant qu’il se trouvait sous garde, le juge a noté qu’il avait été [traduction] « décrit par le personnel comme un “manipulateur habile dans les coulisses” qui tente de diriger l’unité où il est hébergé » (par. 21). S.B. a également fait l’objet de nombreux rapports d’incident pendant qu’il se trouvait sous garde, notamment pour possession de drogues, voies de fait sur d’autres détenus et menaces à l’endroit du personnel à deux reprises (ibid.). Selon la description des circonstances de la perpétration de l’infraction par le juge du tribunal pour adolescents, il s’agissait d’un meurtre planifié et délibéré où S.B. a abattu la victime à la façon d’une exécution. Le juge a écrit que les circonstances de la perpétration du meurtre étaient [traduction] « inexplicable[s] et intrinsèquement alarmant[es] » et témoignaient d’un comportement qui « sème la peur chez les gens ordinaires » (par. 55).
- Le juge du tribunal pour adolescents a tenu compte, en tant que facteur aggravant, du fait que lors des conversations postérieures à l’infraction, S.B. a dit qu’il aurait souhaité abattre le quatrième coaccusé et qu’il était prêt à le retrouver et à le tuer, ainsi qu’à tuer la mère et la sœur de ce dernier.
- Une évaluation psychologique de S.B. a été ordonnée en vertu de l’art. 34 LSJPA, mais n’a pas été effectuée parce que S.B., sur les conseils de son avocat, a refusé d’y participer en raison des accusations qui pesaient contre lui. Au lieu de s’appuyer sur une évaluation directe, le juge du tribunal pour adolescents s’est appuyé sur un examen des documents disponibles préparés par un psychologue judiciaire, qui a exprimé de [traduction] « vives préoccupations » concernant la tendance persistante de S.B. à avoir des attitudes et des comportements antisociaux (par. 22). Le juge a explicitement noté qu’aucune inférence négative n’avait été tirée du refus de S.B. de participer à l’évaluation prévue à l’art. 34.
- Le juge du tribunal pour adolescents a conclu que la peine applicable aux adultes était nécessaire afin de répondre au risque continu que présente S.B. pour la société, notant qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve sur la question de savoir [s’il était] capable de se réadapter et, le cas échéant, à quelles conditions » et que son comportement pendant qu’il était sous garde n’indiquait aucun « changement d’attitude » (par. 56).
- Cour d’appel de l’Ontario, 2023 ONCA 369, 426 C.C.C. (3d) 367 (les juges Simmons, Tulloch et Huscroft)
- La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté à l’unanimité l’appel interjeté par S.B. à l’égard de sa peine. Au nom de la cour, le juge Tulloch, maintenant juge en chef de l’Ontario, a statué que l’omission du juge du tribunal pour adolescents d’examiner et d’appliquer la présomption de culpabilité morale moins élevée dont bénéficiait S.B. en tant qu’adolescent était une erreur de principe. Toutefois, en procédant à la nouvelle détermination de la peine de l’appelant, la cour a conclu qu’elle infligerait la même peine applicable aux adultes que celle qu’avait infligée le juge du tribunal pour adolescents.
- La cour a noté que les avocats au procès avaient convenu que les modifications apportées en 2012 au par. 72(1) LSJPA ne s’appliquaient pas à l’infraction commise avant leur entrée en vigueur. Toutefois, l’accord des parties sur ce point faisait fi du fait que dans l’arrêt D.B., la présomption de culpabilité morale moins élevée a été reconnue comme un principe de justice fondamentale constitutionnalisé, et [traduction] « [qu’e]n conséquence, il ne devrait y avoir aucune infraction pour laquelle un adolescent est assujetti, par présomption, à la peine applicable aux adultes » (motifs de la C.A., par. 38, citant D.B., par. 70). Comme le par. 72(1) a été modifié en 2012 pour refléter ce qui a été décidé dans l’arrêt D.B., le juge du tribunal pour adolescents aurait dû tenir compte de la présomption dans le cas de l’appelant, mais il a omis de le faire. Alors qu’un juge est censé connaître le droit, l’importance du principe énoncé dans l’arrêt D.B. était telle qu’il incombait au juge du tribunal pour adolescents de cerner et d’analyser la présomption dans ses motifs. La cour a conclu qu’il s’agissait d’une [traduction] « erreur de principe qui justifi[ait] l’intervention de la cour » (par. 39). La Cour d’appel a procédé à une nouvelle détermination de la peine, tenant compte de la nouvelle preuve que S.B. avait déposée, constituée d’un rapport prédécisionnel enrichi (« RPDE ») détaillant son enfance difficile. La cour a conclu, en particulier, que le rapport [traduction] « met en lumière les facteurs raciaux et culturels primordiaux qui ont joué un rôle dans la vie de SB » (par. 47). La cour a affirmé que si les renseignements du rapport avaient été disponibles à l’audience initiale sur la détermination de la peine, ils auraient pu avoir une incidence sur le résultat.
- La cour a examiné les différentes peines pour meurtre prévues dans la LSJPA et le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, notant que selon la LSJPA, la peine maximale est de 10 ans, qui comprend une mesure de placement sous garde pour une période maximale de 6 ans (al. 42(2)q)), alors que selon le Code criminel, la peine applicable est l’emprisonnement à perpétuité, avec admissibilité à la libération conditionnelle après 10 ans en raison de l’âge de S.B. (par. 235(1) et al. 745.1b)). La question de savoir si la peine applicable aux adultes devait être infligée commandait une analyse de la [traduction] « version actuelle » du par. 72(1) LSJPA qui comporte deux étapes, dont chacune doit être examinée séparément (par. 58).
- La cour a conclu que la Couronne avait réfuté la présomption avec succès, puisque les actes de S.B. démontraient le degré de maturité, le discernement moral et l’aptitude à exercer le jugement indépendant d’un adulte. Elle a d’abord souligné que S.B. était [traduction] « impliqué » dans une infraction très grave étant donné que le meurtre touche l’ensemble de la société, mais surtout la famille de la victime. La cour a écrit que la gravité de l’infraction et les circonstances de sa perpétration [traduction] « ne mènent pas nécessairement à la conclusion que la peine applicable aux adultes doit être infligée » (par. 61). En l’espèce, comme l’a fait remarquer la cour, l’implication de S.B. [traduction] « dépassait largement » celle de ses coaccusés, puisqu’il avait agi comme meneur et exécuteur et qu’il avait pris l’initiative de dissimuler le crime qu’il avait dirigé (par. 62).
- La cour a examiné la situation personnelle de S.B. comme facteur pertinent pour réfuter la présomption, notamment son enfance difficile et son contact dès son jeune âge avec des membres de gang plus âgés. Un RPDE renfermant des éléments de preuve du contexte social au sujet des facteurs raciaux et culturels qui ont influencé la vie de S.B. a été pris en compte à la lumière de l’arrêt R. c. Morris, 2021 ONCA 680, 159 O.R. (3d) 685, par. 99. Dans cet arrêt, la cour a jugé qu’une telle preuve peut, lorsqu’elle est pertinente, atténuer le degré de responsabilité du contrevenant pour une infraction ou aider à l’élaboration de la peine appropriée. La preuve a été employée pour mettre en contexte l’analyse du jugement indépendant de S.B. au regard de l’al. 72(1)a). En définitive, la cour a conclu que la preuve n’indiquait pas une incapacité à exercer le jugement d’un adulte ou un manque de maturité et qu’elle [traduction] « ne l’emport[ait] pas sur tous les facteurs militant en faveur de la conclusion contraire » (par. 66). La cour a en outre constaté l’absence de changement positif chez S.B. et son comportement manipulateur et agressif qui ressort du rapport prédécisionnel. Elle a conclu que le refus de changer de S.B. permettait de conclure que ses actes au moment du meurtre n’étaient pas guidés par l’immaturité ou l’absence de discernement.
- Enfin, la cour a conclu qu’une peine spécifique pour adolescents ne serait pas suffisante pour obliger S.B. à répondre de ses actes à la deuxième étape de l’analyse fondée sur le par. 72(1) LSJPA. Encore une fois à ce stade, la cour a estimé que l’enfance difficile de S.B. [traduction] « dans une communauté minée par la drogue et les gangs a incontestablement eu une incidence sur [sa] trajectoire de vie » (par. 71). Toutefois, en mettant en balance les facteurs et principes énoncés dans la LSJPA, y compris la réadaptation comme un des principes de détermination de la peine favorisant la protection du public, la cour a conclu qu’une peine spécifique ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger S.B. à répondre pleinement de l’infraction. La peine pour meurtre au premier degré sous le régime de la LSJPA ne permettrait pas [traduction] « d’établir l’équilibre approprié » entre les objectifs de responsabilité envers la société et la victime et la réadaptation, et S.B. n’avait pas démontré de volonté de changer ou de conscience des conséquences de ses actes (par. 72). Comme l’a écrit la cour, la peine applicable aux adultes était nécessaire [traduction] « pour obliger SB à répondre de ses actes » (par. 73).
- Questions en appel
- S.B. affirme que, lorsqu’elle a procédé à la nouvelle détermination de sa peine, la Cour d’appel a commis une erreur en l’assujettissant à la peine applicable aux adultes, ce qui justifie l’intervention de notre Cour. Plus particulièrement, la cour s’est méprise dans son interprétation et son application du par. 72(1) LSJPA lorsqu’elle a conclu que la Couronne avait réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée et conclu que la peine applicable aux adultes était nécessaire pour obliger S.B. à répondre de ses actes.
- L’appelant en l’espèce et celui dans le pourvoi connexe I.M. demandent tous les deux à notre Cour de clarifier des aspects du cadre juridique qui s’applique à une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes faite en vertu de l’art. 64 LSJPA. Dans l’arrêt I.M., nous examinons les principes et le cadre d’analyse pertinents pour déterminer si la Couronne s’est acquittée de son fardeau de justifier l’assujettissement à la peine applicable aux adultes au titre du par. 72(1) LSJPA. Le pourvoi de S.B. est régi par ce même cadre. Il soulève également la question de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en tenant compte de la preuve du contexte social figurant dans le RPDE et de la conduite postérieure à la détermination de la peine.
- Analyse
- L’ordonnance d’un tribunal pour adolescents qui inflige la peine applicable aux adultes est portée en appel comme partie de la peine conformément à la partie XXI du Code criminel, laquelle s’applique avec les adaptations nécessaires (par. 37(1) et (4) LSJPA). La décision de la Cour d’appel où celle‑ci procède à la nouvelle détermination de la peine de S.B., qui comprend son examen des nouveaux éléments de preuve admis en appel, commande la déférence, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Lacasse. Le pourvoi formé devant notre Cour représente un premier contrôle de la décision de la Cour d’appel.
- L’intervention d’une cour d’appel n’est justifiée que lorsqu’il appert qu’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou la considération erronée d’un facteur a eu une incidence sur la détermination de la peine, ou si cette peine est manifestement non indiquée (Lacasse, par. 43‑44 et 52‑53). Dans l’arrêt R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, la Cour a expliqué que lors de la nouvelle détermination de la peine, la cour d’appel s’en remettra aux conclusions de fait du juge de la peine « pourvu qu’[elles] ne soient pas entaché[e]s d’une erreur de principe » (par. 28). Les décisions relatives à la détermination de la peine rendues par les cours d’appel commandent un degré de déférence moins élevé que celui dont il convient de faire preuve à l’égard des juges de la peine qui entendent les témoignages de première main (R. c. R.N.S., 2000 CSC 7, [2000] 1 R.C.S. 149, par. 23). Cela dit, rien ne justifie en l’espèce d’intervenir à l’égard de la décision de la Cour d’appel. Je suis d’avis de ne pas modifier l’ordonnance d’assujettissement de S.B. à la peine applicable aux adultes.
- Principes qui s’appliquent à une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes postérieure à l’arrêt D.B.
- Le paragraphe 72(1) LSJPA, la disposition clé en cause dans le présent pourvoi et dans le pourvoi I.M., a été modifié en 2012 (Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, c. 1), en partie afin de donner suite à la décision rendue par notre Cour en 2008 dans l’arrêt D.B. Dans le cadre des modifications, le Parlement a restructuré la disposition afin qu’elle représente une [traduction] « codification » du principe énoncé dans l’arrêt D.B. selon lequel la Couronne a le fardeau de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée (J. Campbell, « In Search of the Mature Sixteen Year Old in Youth Justice Court » (2015), 19 Rev. can. D.P. 47, p. 50). Les modifications du par. 72(1) ont supprimé la liste formelle des facteurs énumérés dont le juge chargé de la détermination de la peine devait tenir compte. La version révisée du par. 72(1) prévoit que la Couronne doit convaincre le tribunal pour adolescents que les conditions préalables à l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, présentées dans une disposition à deux volets, ont été satisfaites. Les principes applicables de détermination de la peine ont également été modifiés pour inclure la dénonciation et la dissuasion spécifique (al. 38(2)f)). Comme l’a reconnu la juge Abella dans l’arrêt D.B., la présomption est la raison même pour laquelle les adolescents bénéficient d’un régime de détermination de la peine distinct (par. 41), ce que confirme maintenant l’al. 3(1)b) à titre de principe directeur de la LSJPA.
- Pour les motifs exposés dans l’arrêt I.M., je suis d’accord avec l’appelant pour dire que les deux questions qui se posent lors d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes — celle de savoir si la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée et celle de savoir si une peine spécifique pour adolescents ne serait pas d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes — doivent être examinées séparément. Par ailleurs, afin de déterminer si la présomption est réfutée, le tribunal chargé de la détermination de la peine doit tirer une conclusion factuelle concernant l’âge développemental de l’adolescent au moment de l’infraction. La Couronne doit démontrer qu’en raison de son âge développemental, par opposition à son âge chronologique, l’adolescent affiche la maturité et l’aptitude à exercer le jugement indépendant et moral d’un adulte. La gravité objective de l’infraction n’est pas pertinente pour cet examen factuel, sauf dans la mesure où une demande ne peut être présentée que dans le cas d’une infraction pour laquelle un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans (par. 64(1)). Toutefois, comme il est expliqué dans l’arrêt I.M., la gravité de l’infraction ne permet pas de faire la lumière sur les caractéristiques développementales personnelles de l’adolescent contrevenant. Enfin, puisque l’âge développemental est une question de fait, et que la réfutation de la présomption doit être considérée comme un facteur aggravant qui accroît substantiellement le risque que court l’adolescent, la Couronne doit s’acquitter du fardeau que lui impose l’al. 72(1)a) LSJPA hors de tout doute raisonnable, conformément aux principes constitutionnels reconnus dans l’arrêt D.B.
- Ce cadre d’analyse s’applique également à S.B., qui était âgé de 16 ans au moment de l’infraction, un « adolescent » au sens du par. 2(1) LSJPA. À ce titre, il bénéficiait de la présomption de culpabilité morale moins élevée dont il était question dans l’arrêt D.B. et qui a été codifiée par la suite à l’al. 72(1)a) LSJPA. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que, malgré la date de l’infraction, la présomption de culpabilité morale moins élevée prescrite par la Constitution s’appliquait à S.B. Le tribunal chargé de la détermination de la peine devait être convaincu, avant de pouvoir ordonner l’assujettissement à la peine applicable aux adultes, que la présomption de culpabilité morale moins élevée avait été réfutée par la Couronne. Ce n’est qu’à ce moment que le juge du tribunal pour adolescents pouvait se demander si une peine spécifique pour adolescents serait ou non d’une durée suffisante dans le cas de S.B. La Couronne doit donc démontrer pourquoi la présomption ne s’applique plus à un adolescent en particulier avant que le tribunal puisse se demander si la peine applicable aux adultes, qui est plus longue et plus sévère, est nécessaire pour l’obliger à répondre de ses actes délictueux (D.B., par. 70 et 76‑78). Ce principe est renforcé par le choix du Parlement de structurer la disposition modifiée comme un test conjonctif à deux volets, la présomption étant énoncée d’abord. La nature distincte et l’ordre des examens respectifs s’appuient sur les principes énoncés dans l’arrêt D.B. (voir aussi R. c. W. (M.), 2017 ONCA 22, 134 O.R. (3d) 1, par. 93‑97).
- Comme la poursuite contre S.B. avait été intentée avant l’entrée en vigueur des modifications en octobre 2012, la version précédente du par. 72(1) est la loi applicable (voir l’art. 195 de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés). Toutefois, cela ne change rien à la manière dont le tribunal pour adolescents doit aborder l’analyse lorsqu’il est saisi d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes, comme il est décrit ci‑dessus, sur le fondement de la présomption que commande la Constitution reconnue dans l’arrêt D.B. Bien que l’infraction soit antérieure aux modifications de la LSJPA, elle a eu lieu après que l’arrêt D.B. eut établi le principe de culpabilité morale moins élevée en tant que principe de justice fondamentale au titre de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il incombait donc au juge du tribunal pour adolescents, comme l’a observé la Cour d’appel, de cerner et d’analyser la présomption. Avec égards, la cour a conclu à bon droit que le [traduction] « silence » du juge du tribunal pour adolescents sur cette exigence constitutionnelle ne pouvait s’expliquer par la présomption selon laquelle le juge connaît le droit (par. 39). L’omission équivalait à une erreur de principe dans les motifs du juge du tribunal pour adolescents, laquelle a obligé la Cour d’appel à procéder à une nouvelle analyse de détermination de la peine (ibid.).
- L’analyse par la Cour d’appel de la présomption de culpabilité morale moins élevée ne justifie pas la modification de la peine
- En toute déférence, je suis d’avis que la Cour d’appel a elle-même commis une erreur de droit lorsqu’elle a procédé à la nouvelle détermination de la peine : la cour a omis d’appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable prescrite par la Constitution au fardeau qui incombait à la Couronne de réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée reconnue dans l’arrêt D.B. et codifiée à l’al. 72(1)a) LSJPA.
- À sa décharge, la cour n’a rien dit sur la norme qu’elle avait appliquée pour décider si la Couronne s’était acquittée de son fardeau. Dans son résumé des premiers motifs de détermination de la peine, la Cour d’appel, au par. 15, a noté que la formulation par le juge du tribunal pour adolescents de la norme applicable n’imposait que [traduction] « le fardeau de convaincre le tribunal, rien de plus » (motifs de détermination de la peine, par. 8, citant R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409, par. 38). Après cette mention, la cour n’a pas écarté cette norme lorsqu’elle a procédé elle-même à la nouvelle détermination de la peine. Elle n’a pas explicitement affirmé qu’elle appliquait l’arrêt O. (A.), et n’a pas non plus affirmé qu’elle écartait ce précédent (voir les par. 56 et suiv.). Pourtant, il semble préférable de présumer que la Cour d’appel a appliqué l’arrêt O. (A.) : il lui aurait fallu aborder la question si elle avait choisi de ne pas suivre cet arrêt et d’appliquer une norme différente, vu qu’elle était liée en théorie par ce précédent conformément aux règles du stare decisis horizontal (voir R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, [2022] 1 R.C.S. 460). Quoi qu’il en soit, la cour n’a rien dit sur la norme qui faisait entrer en jeu un principe constitutionnellement pertinent de justice fondamentale. Tout comme elle a souligné qu’il était inapproprié que le jugement sur la peine demeure « silencieux » quant à la présomption que commande la Constitution, dans les circonstances de la nouvelle détermination de la peine de S.B., elle ne pouvait pas à bon droit demeurer silencieuse quant à la norme associée à l’application de l’arrêt D.B. La cour comprenait manifestement l’importance capitale de cet arrêt pour la présomption (voir les par. 38‑39).
- Il est vrai que la cour a reconnu que les principes de l’arrêt R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, s’appliquaient à une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes, exigeant que les faits aggravants soient prouvés hors de tout doute raisonnable (voir les motifs de la C.A., par. 26). Toutefois, exiger que la Couronne respecte la norme plus élevée de la preuve hors de tout doute raisonnable lors de la réfutation de la présomption aurait très bien pu avoir une incidence sur la peine, étant donné que les questions relatives à la bonne application de l’al. 72(1)a) LSJPA — y compris la pertinence de la situation personnelle difficile de S.B. — étaient essentielles pour que la Couronne s’acquitte de son fardeau de la preuve. Comme l’a elle-même indiqué la cour, il existait manifestement en l’espèce un [traduction] « lien » entre l’expérience de vie du contrevenant et sa responsabilité (par. 47). Cet élément de preuve, selon la cour, [traduction] « contextualis[ait] » l’analyse de la maturité et du jugement de S.B. (par. 65). La question de la norme applicable devait être tranchée, et la norme énoncée dans l’arrêt O. (A.) est antérieure à l’arrêt D.B. et aux modifications apportées au par. 72(1) en 2012 et était erronée en droit. Soit dit en tout respect, et pour les motifs exposés dans l’arrêt I.M., c’était une erreur de principe de ne pas appliquer la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable au fardeau qui incombait à la Couronne de réfuter la présomption.
- S.B. soulève l’applicabilité de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable dans son mémoire en réplique (par. 7). Hormis cette question, l’idée maîtresse de son argument devant notre Cour pour ce qui est de l’al. 72(1)a) LSJPA est l’application fautive qu’aurait faite la Cour d’appel des facteurs relatifs au fardeau qui incombait à la Couronne de réfuter la présomption de culpabilité moins élevée.
- En particulier, S.B. soutient que la Cour d’appel a eu tort de tenir compte de la gravité de l’infraction pour déterminer si la présomption avait été réfutée en l’espèce. S.B. affirme que la Cour d’appel a également commis une erreur en se méprenant sur son rôle dans le meurtre, et en tenant compte de la preuve de son comportement pendant qu’il était sous garde dans l’attente son procès. Ces facteurs ne sont pas pertinents, selon S.B., pour tirer une conclusion sur sa maturité et son jugement au moment de l’infraction. Enfin, S.B. soutient que la Cour d’appel s’est trompée en concluant que les éléments de preuve dans le RPDE concernant son histoire et sa situation personnelles étaient d’une valeur probante limitée.
- Je suis d’accord pour dire que la Cour d’appel n’aurait pas dû tenir compte de la gravité objective de l’infraction en lien avec la présomption, mais, en lisant attentivement les motifs de la cour, cela n’équivalait pas à une erreur ayant eu une incidence sur la nouvelle détermination de la peine de S.B. Comme je vais l’expliquer, la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en tenant compte de la preuve du contexte social et je suis convaincu que le dossier en l’espèce démontre que la Couronne s’est acquittée de son fardeau hors de tout doute raisonnable. Dans les circonstances, une intervention de notre Cour n’est pas justifiée.
- Les facteurs examinés par la Cour d’appel ne justifient pas une intervention
- Comme il est expliqué dans l’arrêt I.M., la gravité objective de l’infraction de meurtre n’est pas pertinente pour résoudre la question factuelle de l’âge développemental, et ne peut donc avoir aucune incidence sur la question de savoir si la Couronne a réfuté la présomption. Dans les deux pourvois, les appelants notent à juste titre qu’à cette étape de l’analyse, l’attention du tribunal pour adolescents porte sur la maturité et le développement de l’adolescent. Dans l’abstrait, la gravité de l’infraction n’a aucune incidence directe sur l’aptitude de l’adolescent à exercer un jugement moral.
- Je reconnais que la Cour d’appel a affirmé que S.B. était impliqué dans une [traduction] « infraction très grave », que « le meurtre touche l’ensemble de la société » et que, en ce qui concerne la présomption, « la gravité du crime [a été] une considération utile dans [l’]analyse de cette question [par la cour] » (par. 61). À eux seuls, ces commentaires semblent indiquer la prise en compte d’un facteur non pertinent au regard de l’al. 72(1)a) LSJPA qui serait une erreur de droit. Toutefois, la cour a reconnu qu’ensemble, [traduction] « la gravité de l’infraction et les circonstances dans lesquelles elle a été perpétrée » n’étaient pas déterminantes quant à savoir s’il y a lieu d’infliger la peine applicable aux adultes (ibid.). Fait plus important encore, il ressort de ses motifs que la cour savait sur quels éléments se concentrer au regard de la présomption. La mention de la gravité de l’infraction doit être lue à la lumière de la reconnaissance immédiate que [traduction] « [l]’analyse visant à déterminer si la [p]résomption a été réfutée doit être axée sur le degré de maturité dont fait preuve l’individu » (ibid.).
- Même si la gravité objective de l’infraction ne doit pas être prise en compte au regard de la présomption, le juge du tribunal pour adolescents peut examiner les circonstances de sa perpétration si elles donnent des indications sur la maturité de l’adolescent et son aptitude à exercer un jugement indépendant et moral (voir I.M., par. 145). Après la première mention par la Cour d’appel de la gravité de l’infraction et des circonstances de sa perpétration, les motifs se concentrent sur ces dernières et sur le rôle particulier que S.B. a joué dans le crime.
- Lorsqu’on lit les motifs dans leur ensemble, il est évident que la cour s’est concentrée sur les circonstances relatives au [traduction] « degré [. . .] de jugement indépendant et de discernement moral » de S.B. (motifs de la C.A., par. 68). De plus, comme je l’ai souligné, le simple fait qu’un tribunal pour adolescents mentionne la gravité d’une infraction, dans l’abstrait, ne justifie pas une intervention, à moins que ce fait ait une incidence sur la peine. Comme les demandes fondées sur le par. 64(1) LSJPA ne s’appliquent qu’aux crimes pour lesquels un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans, il s’agit d’une condition législative formelle. J’ajouterais que le fait d’exprimer de l’empathie à l’égard des victimes et de constater la nature violente de l’infraction dans un jugement sur la peine ne peut, en soi, être erroné en droit. Les cours d’appel doivent se garder de traquer les mentions de la gravité de l’infraction comme étant des signes d’erreur; elles doivent plutôt lire l’ensemble du jugement selon son contexte en vue de cerner ce que le juge du tribunal pour adolescents a effectivement décidé. À la lumière d’un examen de l’ensemble des motifs, la Cour d’appel n’a pas conclu que la présomption avait été réfutée en raison de la gravité abstraite de l’infraction. Et même si la cour s’était erronément appuyée sur la gravité de l’infraction pour prendre sa décision, je suis convaincu que cela n’a pas eu d’incidence déterminante sur la peine en l’espèce, d’autant plus qu’il ressort clairement du reste des motifs et du dossier que la Couronne s’était acquittée de son fardeau de réfuter la présomption.
- L’analyse de la Cour d’appel lors de la nouvelle détermination de la peine de S.B. se démarque de celle du juge du tribunal pour adolescents dans l’arrêt I.M. Dans cette affaire, la gravité de l’infraction a été réitérée à quelques reprises comme une importante prémisse de sa conclusion portant que la présomption avait été réfutée (I.M., par. 190), et n’avait pas de lien avec l’orientation que devait avoir l’examen à ce stade. Le juge du tribunal pour adolescents dans l’arrêt I.M. a explicitement mentionné la gravité de l’infraction comme fondement de la réfutation de la présomption, ce qui est erroné (I.M. C.S. Ont., par. 38). Dans l’arrêt I.M., la Cour d’appel aurait dû souligner l’erreur du juge du tribunal pour adolescents à propos de la gravité, laquelle, ajoutée aux autres erreurs commises dans cette affaire, a eu pour effet cumulatif d’avoir une incidence importante sur la peine. En l’espèce, aucune erreur cumulative semblable ne permet d’attaquer la décision de la Cour d’appel.
- En outre, je ne relève aucune erreur dans le fait que la cour se soit appuyée sur le rôle de S.B. dans l’infraction. Avec égards, je suis en désaccord avec l’appelant lorsqu’il affirme que la Cour d’appel a contredit les conclusions du juge du tribunal pour adolescents lorsqu’elle a souligné que le rôle de S.B. [traduction] « dépassait largement ce[lui] de MW et de TF » (par. 62). Même lorsqu’elles procèdent à une nouvelle détermination de la peine, les cours d’appel sont tenues de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du tribunal pour adolescents, y compris les facteurs aggravants et les facteurs atténuants relevés (Friesen, par. 28). Dans les premiers jugements de déclaration de culpabilité et de détermination de la peine, le juge du tribunal pour adolescents a conclu que S.B. était la personne qui avait tiré [traduction] « le coup fatal [. . .] à quelques pouces seulement de la tête de [T.B.] » et qu’il était « manifestement à la tête de l’événement, avant qu’il se produise et après » (motifs de détermination de la peine, par. 3 et 5; motifs de première instance, par. 106‑107). L’appelant reconnaît ces faits (m.a., par. 103). La Cour d’appel a poursuivi en signalant qu’en plus d’avoir été le meneur et l’exécuteur du meurtre, S.B. avait pris l’initiative de le dissimuler et avait donné des directives aux autres à cet égard.
- Au soutien de son argument que la peine appropriée était une peine spécifique pour adolescents, S.B. plaide que ses coaccusés, impliqués dans le même meurtre planifié, ont initialement été assujettis à la peine applicable aux adultes, mais que ces peines ont été infirmées en appel. Il souligne en particulier l’explication donnée par la Cour d’appel dans l’arrêt W. (M.), par. 162‑166, en vue de faire valoir que le comportement de deux de ses coaccusés dans la perpétration du meurtre avait été considéré comme justifiant une peine spécifique pour adolescents comportant des ordonnances de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation, qui les obligerait à répondre du crime. Toutefois, il est évident que ce résultat n’est pas nécessairement transposable au cas de S.B., dont le rôle dans l’infraction et le comportement postérieur au meurtre étaient différents, comme l’était le fait que la cour n’avait pas pu bénéficier d’une évaluation psychologique complète. La Cour d’appel, qui avait connaissance de la décision de procéder à une nouvelle détermination de la peine des coaccusés en tant qu’adolescents, pouvait décider que S.B. n’était pas protégé par la présomption et qu’il devait être tenu de répondre de ses actes par l’assujettissement à la peine applicable aux adultes (voir les par. 22 et 37). L’appelant n’a fait la preuve d’aucune erreur qui aurait pu miner la peine en l’espèce.
- La conclusion selon laquelle le rôle de S.B. dépassait celui des autres est bien étayée par le dossier. Son rôle manifeste de meneur était très pertinent comme indicateur de son indépendance, du fait qu’il était insensible aux pressions des autres et de son comportement délibéré, ce qui témoignait d’un âge développemental qui s’apparentait à celui d’un adulte (voir D.B., par. 61‑64; R. c. Chol, 2018 BCCA 179, par. 61).
- Je suis également en désaccord avec l’appelant lorsqu’il affirme que le fait de concentrer l’analyse sur la preuve de la planification et de la perpétration d’une infraction [traduction] « revient en quelque sorte à conclure que [la] présomption doit être réfutée dans toutes les affaires de meurtre au premier degré » (m.a., par. 101). Lorsqu’ils se penchent sur l’âge développemental d’un adolescent, les tribunaux sont souvent appelés à tirer des inférences de la preuve du comportement de l’adolescent à propos de sa maturité ou de son aptitude à exercer un jugement indépendant. Une preuve de planification indique que le contrevenant a eu le temps de réfléchir avant d’agir, et qu’il n’agissait pas sous l’impulsion du moment (C. C. Ruby, Sentencing (10e éd. 2020), §5.4; voir aussi Joseph c. R., 2018 QCCA 1449, par. 29; R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141, par. 85). Lorsque les circonstances de la perpétration de l’infraction, notamment le rôle particulier de l’adolescent, donnent des indications sur ces aspects de l’analyse, le tribunal peut à bon droit en tenir compte.
- Finalement, je suis d’accord qu’en principe, lorsqu’il détermine si la présomption a été réfutée, le tribunal doit évaluer l’âge développemental de l’adolescent au moment de l’infraction, puisque les adolescents ont droit à la présomption en fonction de leur âge à ce moment en application de l’al. 72(1)a). Toutefois, la preuve du comportement de l’adolescent pendant qu’il était sous garde en attente de son procès ou de la détermination de sa peine peut néanmoins être pertinente quant à la question de l’âge développemental au moment de l’infraction dans certains cas. Comme je l’ai expliqué dans l’arrêt I.M., dans tous les cas, la pertinence de cette preuve dépend du contexte. Dans l’arrêt Chol, par exemple, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a observé [traduction] « [qu’u]n progrès et une croissance considérables peuvent être des indices d’immaturité au moment de l’infraction » (par. 54; voir aussi W. (M.), par. 130). En outre, lorsque la preuve révèle une cohérence dans les niveaux de maturité et de jugement, cela peut, selon le contexte, donner des indications sur l’âge développemental au moment de l’infraction (I.M., par. 158). En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur de principe en tenant compte de la constance du comportement antisocial de S.B. pendant qu’il était détenu en attente de son procès et de la détermination de sa peine comme signe d’une [traduction] « absence de changement positif » dans son comportement depuis l’infraction, ce qui indique que ce n’était pas l’immaturité ou l’absence de discernement qui avait mené à sa participation au meurtre (par. 67; voir aussi le par. 68).
- Aucune erreur dans l’examen par la Cour d’appel de la preuve du contexte social au regard de la présomption
- Dans l’arrêt I.M., j’ai examiné la nature de la preuve du « contexte social », généralement présentée dans les rapports prédécisionnels « enrichis » ou dans les « évaluations de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle ». Une telle preuve peut être pertinente pour les deux volets d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes fondée sur le par. 72(1) LSJPA (I.M., par. 162‑167). Après avoir analysé les exigences du par. 72(1) LSPJA, le professeur Hugues Parent souligne utilement que la capacité d’agir sur laquelle repose la responsabilité en droit criminel implique un processus par lequel « l’éveil de l’intelligence ne suit pas toujours les progrès du corps » (Traité de droit criminel, t. I, L’imputabilité et les moyens de défense (6e éd. 2022), par. 109). Même s’il ne mentionne pas expressément la preuve du contexte social, il ajoute que « [l’]observation quotidienne nous oblige à constater les inégalités qui marquent le passage de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte » (ibid.). En l’espèce, considérant la preuve du contexte social pertinente quant à la réfutation de la présomption et à la responsabilité de S.B. à l’égard de ses actes délictueux, j’estime que la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en tenant compte des sources pertinentes d’inégalité auxquelles S.B. faisait face.
- La Cour d’appel a admis le RPDE comme nouvel élément de preuve en appel et aucune des parties n’en conteste la pertinence.
- Le désaccord entre l’appelant et la Couronne intimée porte sur l’incidence de cette preuve en l’espèce. La Cour d’appel a conclu que les éléments de preuve dans le RPDE à propos des facteurs sociaux et de l’histoire personnelle qui contextualisaient les expériences de vie de S.B. étaient d’une valeur probante limitée en lien avec la présomption. S.B. soutient que cette conclusion est erronée et que les éléments de preuve mettent en contexte son comportement criminel et donnent des indications sur sa culpabilité morale moins élevée (m.a., par. 112‑113). La Couronne répond que, bien que le RPDE explique en partie les choix de S.B. et les place en contexte, il ne permettait pas de comprendre pourquoi il a tué T.B. (m.i., par. 112‑113).
- La Cour d’appel a conclu que la preuve du contexte social soumise au moyen du RPDE mettait en lumière les [traduction] « facteurs raciaux et culturels primordiaux qui ont joué un rôle dans la vie de SB » et avait donc « un certain lien » avec les circonstances plaidées pour expliquer ou atténuer le comportement criminel (par. 46‑47). Comme l’a reconnu à juste titre la Cour d’appel, les éléments de preuve tirés du RPDE portant sur l’histoire personnelle de S.B. — notamment le fait qu’il a vécu dans la pauvreté avec une mère célibataire qui travaillait, son implication avec les gangs et la preuve de discrimination systémique contre les Noirs — mettaient en contexte l’enfance et le vécu de S.B., et la cour a effectivement apprécié ces éléments en ce qui concerne [traduction] « la maturité et [le] jugement indépendant de SB » (par. 65).
- La Cour d’appel pouvait néanmoins conclure, dans le cadre de la nouvelle détermination de la peine de S.B., que les éléments de preuve tirés du RPDE étaient d’une valeur probante limitée en ce qui concerne la présomption. La cour n’a pas fait abstraction du rapport ni omis d’en tenir compte. De fait, l’enfance difficile de S.B., la perte importante qu’il a vécue à un jeune âge lorsque son cousin a été abattu, son enfance en tant que jeune Noir dans un quartier au taux de criminalité élevé, ainsi que ses expériences avec la police et sa perception de celle-ci dans sa communauté, ont tous été examinés (par. 63‑65). La conclusion de la Cour d’appel selon laquelle le RPDE n’atténuait pas les facteurs démontrant le jugement et la maturité de S.B., comme son rôle évident de meneur, est étayée par le dossier et commande la déférence en appel.
- Avant de conclure sur la présomption, je reviens sur le silence de la Cour d’appel quant à la norme de preuve qui, comme je l’ai souligné, était une erreur. À mon avis, toutefois, le dossier étaye amplement la conclusion portant que la présomption est réfutée hors de tout doute raisonnable. Lors du contrôle en appel, s’il n’y a aucune incidence sur la peine, « ce ne sont pas toutes les erreurs [. . .], quel que soit leur impact sur le raisonnement du premier juge, qui autorisent une cour d’appel à intervenir » (Lacasse, par. 43‑44). En l’espèce, la conclusion finale de la Cour d’appel selon laquelle la présomption avait été réfutée ne justifie pas notre intervention. Quoique je reconnaisse que le RPDE permet de comprendre la situation personnelle de S.B., avec égards, je ne suis pas d’accord qu’il affaiblit les conclusions globales tirées des autres éléments de preuve, même si elles sont examinées au regard de la norme appropriée.
- Le comportement de S.B. à tous les moments qui ont précédé l’infraction et qui l’ont suivie était délibéré et mesuré, témoignant d’une maîtrise de soi et d’indépendance. Rien n’indique qu’il était sous l’influence d’adultes ou de pairs plus âgés — au contraire, il a joué [traduction] « un rôle central dans [l’]opération » (motifs de la C.A., par. 12), fournissant des directives prudentes et détaillées à ses coaccusés, eux-mêmes des adolescents d’à peu près le même âge que lui, dans la planification du meurtre au moyen de deux téléphones cellulaires (m.i., par. 14 et 116; voir aussi les motifs de première instance, par. 40, 98 et 106).
- Après la perpétration de l’infraction, il a continué à se comporter de façon réfléchie, assumant pleinement son rôle de meneur et ayant l’intention ferme de dissimuler l’infraction. Il a chargé ses coaccusés de l’aider à dissimuler le meurtre et, sans être dissuadé par ce meurtre, il a envisagé et exprimé le souhait de tuer un coaccusé ainsi que la mère et la sœur de celui‑ci (motifs de la C.A., par. 13). Alors qu’il était sous garde en attente de son procès, S.B. a continué à exercer son jugement de façon indépendante et à faire preuve de leadership, ce qui est compatible avec son rôle et son comportement au moment de la perpétration de l’infraction, et qui renforce la conclusion que ce n’est pas l’immaturité qui a mené à sa participation à l’infraction. Des membres du personnel ont souligné que S.B. [traduction] « dirigeait l’unité où il était hébergé en tant que “manipulateur habile dans les coulisses” » (motifs de la C.A., par. 67; voir aussi les motifs de détermination de la peine, par. 21).
- L’ensemble de la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l’âge développemental de S.B. s’apparentait à celui d’un adulte. Même si la Cour d’appel n’a pas mentionné la norme applicable, je suis convaincu, au vu du dossier, qui comprend le RPDE, que la Couronne s’est acquittée de son fardeau de réfuter la présomption. En définitive, l’espèce se rapproche à plusieurs égards de l’affaire R. c. B.J.M., 2024 SKCA 79, 441 C.C.C. (3d) 316, où la Cour d’appel de la Saskatchewan s’est appuyée sur notre jugement dans l’arrêt Lacasse, au par. 43, pour conclure que [traduction] « [d]ans la présente affaire, même si, à mon humble avis, le juge n’a pas appliqué la bonne norme en lien avec l’analyse fondée sur l’al. 72(1)a) de la LSJPA, son erreur n’a eu aucune incidence sur la détermination de la peine à laquelle B.J.M. a été assujetti, parce que je suis convaincu que le dossier indique que la Couronne s’est acquittée de son fardeau en lien avec l’al. 72(1)a) hors de tout doute raisonnable » (par. 109). Dans cette affaire, à l’instar de la présente, le juge chargé de la détermination de la peine n’avait commis aucune autre erreur et avait expliqué, de façon détaillée, le fondement factuel de sa conclusion selon laquelle l’adolescent contrevenant était apte à exercer le jugement moral d’un adulte (R. c. B.J.M., 2022 SKPC 38, conf. sur ce point par 2024 SKCA 79, par. 109).
- Ce même souci du détail caractérise la nouvelle détermination de la peine effectuée par la Cour d’appel en l’espèce. Avec beaucoup d’égards, cela contraste avec l’exercice auquel s’est livré le juge chargé de la détermination de la peine dans l’affaire I.M. où l’erreur à l’égard de la norme s’ajoutait à d’autres erreurs, notamment l’omission de tenir compte de l’histoire personnelle de l’adolescent à ce stade. De façon similaire, dans la présente affaire, la Cour d’appel a commis une erreur de principe en n’appliquant pas la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable à la réfutation par la Couronne de la présomption en faveur de S.B., mais il est manifeste que l’erreur n’a pas eu d’incidence sur la détermination de la peine.
- Conclusion sur la présomption
- En dernière analyse, rien ne justifie une intervention de notre Cour découlant de la conclusion de la Cour d’appel sur la présomption. En l’absence des erreurs cumulatives que l’on trouve dans l’affaire I.M., et considérant les motifs et le dossier fonctionnellement et dans leur ensemble, je suis convaincu que c’est à bon droit que la Cour d’appel a conclu que la présomption était réfutée.
- L’appréciation et la mise en balance par la Cour d’appel des facteurs et principes pertinents au regard de l’al. 72(1)b) commandent la déférence
- Comme j’ai voulu le mettre en évidence dans l’arrêt I.M., la deuxième partie de l’examen que le tribunal pour adolescents doit effectuer en vue de déterminer s’il y a lieu d’infliger la peine applicable aux adultes est une étape essentielle de l’analyse. Le défaut de la Couronne de s’acquitter de son fardeau au regard de l’al. 72(1)b) peut, à lui seul, mener au rejet d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes, même dans le cas d’un adolescent pour qui la présomption de culpabilité morale moins élevée a été réfutée.
- Règle générale, le régime de détermination de la peine prévu à la partie 4 de la LSJPA s’appuie sur le principe voulant qu’une peine spécifique soit d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux. Le paragraphe 72(1) oblige le tribunal à se demander si l’affaire dont il est saisi est une exception (voir N. Bala, « R. v. B. (D.) : The Constitutionalization of Adolescence » (2009), 47 S.C.L.R. (2d) 211, p. 230‑231). Lorsque la Couronne réussit à réfuter la présomption de culpabilité morale moins élevée, le juge du tribunal pour adolescents doit alors procéder à une appréciation et une mise en balance des facteurs et principes pertinents énoncés à l’al. 3(1)b) et à l’art. 38 LSJPA. Le paragraphe 72(1) oblige également les tribunaux à tenir compte de l’objectif de détermination de la peine de la LSJPA, qui est « de faire répondre [l’adolescent] de l’infraction qu’il a commise par l’imposition de sanctions justes assorties de perspectives positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, en vue de favoriser la protection durable du public » (par. 38(1)).
- Cette tâche est de nature évaluative. Comme je l’ai expliqué dans l’arrêt I.M., l’opération s’apparente à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la détermination de la peine lorsqu’il fixe une peine juste (par. 169; voir aussi Okemow, par. 65; B.J.M. (C.A.), par. 82). Les juges du tribunal pour adolescents peuvent s’attendre à une certaine retenue à l’égard de leur appréciation de la question de savoir si une peine spécifique obligera l’adolescent à répondre de ses actes comme le prévoit l’al. 72(1)b). L’appréciation peut comprendre l’examen de la proportionnalité au regard de la gravité de l’infraction et de la culpabilité morale du contrevenant, notamment sa participation à l’infraction, ses besoins en matière de réadaptation et de réinsertion sociale, ses condamnations antérieures, le caractère normatif de sa conduite et les valeurs sociétales, surtout en ce qui concerne la détermination de la peine pour un crime violent, et les dommages causés par l’adolescent (art. 38 LSJPA; I.M., par. 180‑181; voir, de façon générale, O. (A.), par. 42‑48; W. (M.), par. 101; R. c. McClements, 2017 MBCA 104, par. 47; B. Kobayashi et J. H. Michalski, « The Meaning of Accountability under Section 72(1)(b) of the Youth Criminal Justice Act » (2024), 72 Crim. L.Q. 373, p. 373‑374).
- Preuve du contexte social
- S.B. soutient que la Cour d’appel a commis une erreur dans son évaluation du RPDE, puisque le rapport démontrait que sa culpabilité morale était moins élevée (m.a., par. 111‑113). Lors d’une demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes dans le cadre du deuxième volet du par. 72(1), la preuve du contexte social peut en effet guider le tribunal pour adolescents dans la détermination de la responsabilité morale de l’adolescent à l’égard de l’infraction, et l’aidera à analyser la durée de la peine qui obligera celui-ci à répondre de ses actes (I.M., par. 179; voir aussi R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 58). Cela doit être distingué de la gravité objective de l’infraction au sens général, qui est déterminée à l’aune de son [traduction] « caractère fautif normatif » et des conséquences du comportement sur les victimes et la société dans les circonstances d’un cas donné (Morris, par. 13; voir aussi Hills, par. 58).
- En l’espèce, la Cour d’appel s’est livrée à une mise en balance des facteurs pertinents, notamment la situation personnelle de S.B., guidée par la preuve du contexte social. La Cour d’appel était bien au fait de cette situation, qui avait été précédemment détaillée en ce qui concerne la présomption. La cour a en outre souligné que [traduction] « [l]e fait de vivre dans une communauté minée par la drogue et les gangs a incontestablement eu une incidence sur la trajectoire de vie de SB, d’autant plus qu’il a été exposé à de telles influences à un âge formatif » (par. 71).
- Je reconnais que le RPDE donne des indications sur les forces personnelles, sociales et systémiques qui ont façonné la vie et la situation de S.B. Toutefois, je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’en l’espèce, le RPDE ne fournit pas d’explication de la perpétration de l’infraction — soit pourquoi S.B. a tué un adolescent qu’il ne connaissait pas, à la façon d’une exécution (voir le m.i., par. 113; voir aussi Morris, par. 100). L’auteur du rapport a expressément refusé d’aborder la question, affirmant, dans une partie du rapport qui indique ses limites, que celui-ci [traduction] « ne donne aucune indication sur [. . .] la dynamique qui a précipité la perpétration de l’infraction » (d.a., vol. I, p. 67).
- Je ne vois aucune erreur révisable dans l’examen du RPDE par la Cour d’appel lorsqu’elle a procédé à la nouvelle détermination de la peine de S.B. Je ne modifierais pas l’utilisation qu’a faite la cour de cette preuve en tirant sa conclusion selon laquelle la peine applicable aux adultes était nécessaire pour obliger S.B. à répondre de ses actes. L’appréciation et la mise en balance des facteurs pertinents, dont la réadaptation, la réinsertion sociale et la protection du public, commandent la déférence de notre Cour (Lacasse, par. 49; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 46).
- Conduite postérieure à la détermination de la peine
- Enfin, l’appelant plaide que la Cour d’appel a commis une erreur en tenant compte de la conduite postérieure à la détermination de la peine relativement à la question de la responsabilité, lorsqu’elle a affirmé que [traduction] « même s’il a passé un temps considérable sous garde, SB n’a pas démontré la volonté de changer. Qui plus est, jusqu’à maintenant, il s’est montré peu conscient des conséquences de ses actes » (par. 72; m.a., par. 123). S.B. invoque le texte de l’art. 72 qui, autant avant qu’après les modifications de 2012, formule l’analyse de la responsabilité sous l’angle des « actes délictueux » de l’adolescent. Il fait valoir que la Cour d’appel pouvait seulement prendre en considération la peine qui aurait obligé S.B. à répondre de ses actes au moment de la détermination initiale de la peine, en 2014, et qu’il ne devrait pas être puni pour la conduite qu’il a eue par la suite.
- La Cour d’appel n’a commis aucune erreur révisable en tenant compte, relativement à la question de la responsabilité, de la preuve de la conduite de S.B. pendant qu’il était sous garde. Malgré le fait que l’appelant ait soutenu qu’il s’agit d’une « conduite postérieure à la détermination de la peine », je note que, lorsqu’on lit les motifs dans leur ensemble, il est clair que la cour faisait référence à l’inconduite constatée dans le rapport prédécisionnel, auquel elle avait renvoyé précédemment (voir surtout les par. 67 et 72). Cette preuve avait également été soumise au juge du tribunal pour adolescents (motifs de détermination de la peine, par. 21). Il convient en outre de rappeler que la Cour d’appel a rejeté la demande de la Couronne en production de nouveaux éléments de preuve, soit les déclarations de culpabilité prononcées à l’endroit de S.B. après la détermination de la peine, afin que ce dernier ne soit pas puni pour une conduite ultérieure (voir les motifs de la C.A., par. 52).
- Quoi qu’il en soit, les juges chargés de la détermination de la peine ne commettent pas d’erreur de principe lorsqu’ils tiennent compte d’événements postérieurs à la perpétration d’une infraction. Dans l’arrêt R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423, notre Cour a reconnu que l’introduction de nouveaux éléments de preuve portant sur des événements survenus entre le prononcé de la peine et l’appel soulève des problèmes complexes, qui obligent les tribunaux à concilier la pertinence éventuelle d’événements postérieurs à la détermination de la peine et les limites du contrôle approprié en appel (par. 30). Le juge Cromwell, au nom de la Cour, s’est gardé de formuler des règles « absolues » quant aux types d’éléments de preuve qui devraient être pris en considération dans tous les cas, « [v]u la diversité presque infinie des situations susceptibles de survenir » (par. 31). Il a confirmé que les principes applicables à l’admission de nouveaux éléments de preuve lors d’appels de peines, énoncés dans les arrêts R. c. Lévesque, 2000 CSC 47, [2000] 2 R.C.S. 487, et R. c. Angelillo, 2006 CSC 55, [2006] 2 R.C.S. 728, établissent le bon équilibre entre les exigences de la justice et le contrôle valable en appel (par. 31).
- Même s’il n’y a aucun désaccord en l’espèce sur la pertinence des nouveaux éléments de preuve du contexte social, les principes énoncés dans l’arrêt Sipos sont dignes d’intérêt. L’article 72 LSJPA, tant avant qu’après les modifications, oblige les tribunaux à se demander si une peine spécifique infligée conformément à l’objet et aux principes de détermination de la peine énoncés à l’art. 38 serait d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes. L’article 38 prévoit qu’une peine spécifique pour adolescents appropriée qui obligerait l’adolescent à répondre de ses actes prendrait en compte ses besoins en matière de réadaptation et favoriserait sa réinsertion sociale (voir le par. 38(1) et le sous‑al. (2)e)(ii)). Le potentiel de réadaptation pourrait donc être tout à fait pertinent dans l’analyse de la responsabilité à laquelle se livre le tribunal pour adolescents (voir Chol, par. 54; W. (M.), par. 137‑138 et 160; Sirois c. R., 2017 QCCA 558, par. 60‑63).
- La preuve de l’absence de progrès de S.B. et de son historique constant de comportement provocateur et agressif pendant qu’il était sous garde était pertinente quant à son potentiel de réadaptation, un facteur que la Cour d’appel a jugé important (par. 69 et 72‑73). Je note également qu’en l’espèce, les préoccupations concernant les limites du contrôle en appel sont moins importantes, parce que la cour procédait à une nouvelle détermination de la peine. Comme la loi prévoit qu’il faut tenir compte des principes énoncés à l’art. 38 et étant donné les préoccupations manifestes relatives à la protection de la société que soulève l’espèce, il n’était pas erroné de tenir compte de la preuve en lien avec ce facteur. Je reconnais, comme le soutient S.B., que le fait de s’être trouvé sous garde depuis un jeune âge peut avoir des conséquences négatives sur le comportement d’un adolescent et décourager le progrès (m.a., par. 126‑127). Toutefois, la Cour d’appel pouvait néanmoins tirer des conclusions à propos du potentiel de réadaptation de S.B. et mettre en balance le contexte pertinent avec d’autres facteurs. L’appelant n’a établi aucun fondement justifiant l’intervention de notre Cour.
- Dispositif
- Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
Les juges Côté et Rowe —
- Aperçu
- Dans le pourvoi connexe, R. c. I.M., 2025 CSC 23, nous avons exposé notre point de vue sur l’interprétation à donner au par. 72(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 (« LSJPA »). Dans ce pourvoi, comme dans le présent, nous ne partageons pas l’avis des juges majoritaires selon lequel la preuve hors de tout doute raisonnable est la norme appropriée. À notre avis, le par. 72(1) impose une question d’évaluation au juge chargé de déterminer la peine ainsi qu’un fardeau de persuasion à la Couronne. Nous nous appuyons sur cette analyse et l’appliquons en l’espèce.
- Nous concluons que rien ne justifie de modifier la nouvelle détermination de la peine de S.B. par la Cour d’appel et sa décision d’infliger une peine applicable aux adultes. La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant qu’elle était convaincue que la Couronne avait réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée. Nous sommes d’accord avec les juges majoritaires pour dire que la Cour d’appel n’a pas non plus erré dans son traitement de la preuve du contexte social (par. 64‑67) ou en s’appuyant sur l’inconduite constatée dans le rapport prédécisionnel (par. 69). Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
- Faits et historique judiciaire
- Le 17 novembre 2010, T.B. a été tué par deux balles à la tête tirées à bout portant, à la façon d’une exécution, dans la cage d’escalier d’un complexe résidentiel à Toronto. L’appelant, S.B., a tiré les coups de feu. Deux amis de la victime, T.F. et S.H.B., étaient présents au moment du meurtre. M.W. est arrivé peu de temps après. Tous ces individus étaient alors âgés de 16 ans.
- Les messages textes entre S.B., M.W. et T.F. produits au procès montraient que les trois avaient planifié le meurtre. Le juge du tribunal pour adolescents a conclu que S.B. avait joué un rôle central en tant que leader. Ce dernier avait demandé à T.F. de faire en sorte que T.B. reste dans la cage d’escalier jusqu’à son arrivée. Après la fusillade, les trois individus ont tenté de dissimuler le meurtre. S.B. a remis l’arme à T.F. pour qu’il s’en débarrasse et lui a demandé de supprimer tous les messages textes qu’ils avaient échangés. S.B. a dit à M.W. qui blâmer pour le meurtre afin de détourner le blâme. S.B. craignait que S.H.B. puisse l’identifier comme tireur; il a exprimé l’intention de tuer S.H.B. ainsi que la mère et la sœur de celui‑ci. Peu de temps avant le procès de S.B., les policiers ont trouvé une lettre de menace manuscrite dans la voiture d’un autre individu. Cette lettre, rédigée par S.B., donnait des directives en vue des meurtres de trois témoins à charge.
- S.B. et ses coaccusés, M.W. et T.F., ont été déclarés coupables de meurtre au premier degré par le juge du tribunal pour adolescents. S.H.B. a été acquitté.
- Lors de l’audience sur la détermination de la peine des trois adolescents, la Couronne a demandé, en vertu du par. 64(1) de la LSJPA, leur assujettissement à la peine applicable aux adultes. Le juge du tribunal pour adolescents a accueilli la demande et a condamné les trois jeunes hommes à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans, en application du par. 745.1b) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46.
- S.B. a interjeté appel de la peine au motif que le juge du tribunal pour adolescents a commis les erreurs suivantes : il a conclu que S.B. était la personne qui avait tiré les coups de feu et s’est appuyé sur ce fait comme facteur aggravant dans la détermination de la peine; il n’a pas donné de motifs suffisants au soutien de la peine infligée; et il a omis de prendre en compte la présomption de culpabilité morale moins élevée qui s’applique aux adolescents contrevenants avant d’assujettir S.B. à la peine applicable aux adultes.
- La Cour d’appel a rejeté l’appel de la peine.
- Application
- Premier volet : réfutation de la présomption
- À l’instar de la Cour d’appel, nous sommes convaincus que la Couronne a réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée. Même en tenant compte de l’enfance difficile de S.B., nous sommes convaincus que la Couronne a démontré que les circonstances de la perpétration de l’infraction et, en particulier, la complexité de l’infraction, témoignent de la maturité et du jugement d’un adulte.
- Circonstances du contrevenant
- L’appelant, S.B., était âgé de 16 ans au moment de l’infraction. C’est un Noir d’origine jamaïcaine et trinidadienne. Il a un frère et plusieurs demi‑frères et demi‑sœurs. Il a été élevé principalement par sa mère. Celle‑ci avait de la difficulté à joindre les deux bouts et ils vivaient dans la pauvreté. S.B. a admis avoir volé de la nourriture pour la maisonnée. Lorsque S.B. était âgé de 10 ans, ses parents ont divorcé.
- À l’âge de 11 ans, S.B. a été témoin du meurtre d’un cousin proche, qui a été abattu par balle aux funérailles d’un ami commun. Cet événement, que S.B. attribue à la violence des gangs, l’a laissé [traduction] « gravement traumatisé » (d.a., vol. I, p. 74). D’autres personnes qu’il connaissait sont décédées par la suite, et il ne voulait pas connaître le même sort. La famille vivait dans un logement communautaire où S.B. [traduction] « avait de mauvaises fréquentations » et où les enfants étaient « manipulés » par des membres plus âgés de la communauté affiliés à des gangs (p. 76). S.B. s’est qualifié lui‑même d’impressionnable, d’immature et de naïf. Ses liens avec ces personnes affiliées à des gangs lui procuraient un sentiment d’appartenance, de reconnaissance, de protection et de sécurité.
- Dans le rapport prédécisionnel enrichi (« RPDE »), S.B. a déclaré qu’il lui arrivait fréquemment de se faire battre par des policiers et d’être l’objet de [traduction] « fichage » (d.a., vol. I, p. 82). Son casier judiciaire d’adolescent, qu’il a depuis l’âge de 12 ans, est lourd; il comprend des déclarations de culpabilité pour voies de fait, vol qualifié, possession de marijuana en vue d’en faire le trafic, omission de se conformer à des ordonnances judiciaires et meurtre. À l’époque du RPDE, il avait été placé dans six centres de détention pour jeunes en Ontario.
- En ce qui concerne les limitations cognitives ou les problèmes de santé émotionnelle ou mentale, les enseignants de S.B. ont indiqué qu’il avait un « comportement immature » et qu’on avait relevé chez lui un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité et un trouble d’apprentissage. Il a brièvement pris des médicaments, mais a cessé de le faire parce qu’il n’aimait pas comment ils le faisaient se sentir.
- Circonstances et complexité de l’infraction
- S.B. a joué un rôle important dans la planification et l’exécution du meurtre. Son comportement témoignait d’une absence d’impulsivité et d’une aptitude à exercer le jugement et la prévoyance d’un adulte. Le juge du tribunal pour adolescents a noté que S.B. était [traduction] « manifestement à la tête de l’événement » (2013 ONSC 3139, par. 107).
- Il y avait un plan coordonné pour le jour du meurtre, lequel avait été mis en place au moyen de messages textes. Par exemple, S.B. tenait ses coaccusés au courant de l’endroit où il se trouvait, il a demandé à un de ses coaccusés de le laisser entrer dans le complexe d’habitation et lui a demandé de garder la victime sur place jusqu’à son arrivée. Un des coaccusés de S.B. a attiré la victime hors de son appartement dans une cage d’escalier et a ouvert une porte de côté pour y faciliter l’entrée de S.B. Ce dernier s’est assuré d’avoir une arme à feu pour commettre le meurtre. Un tel comportement témoigne de la capacité de planifier d’un adulte, par opposition à l’impulsivité juvénile, la propension à prendre des risques ou la bravade sur le moment.
- S.B. a aussi mené le groupe après la perpétration de l’infraction, ce qui incluait des efforts afin d’éviter de se faire prendre. Il a remis l’arme à un de ses coaccusés et a demandé à tous ses coaccusés de supprimer leurs messages textes. Il a également dit à un des coaccusés de faire circuler des rumeurs selon lesquelles des individus d’un quartier rival étaient responsables du meurtre de la victime.
- Après le meurtre, S.B. a exprimé l’intention de tuer un témoin et sa famille; on a ensuite découvert une note manuscrite de S.B. à une autre personne en vue d’organiser les meurtres de témoins à charge. Les tentatives de S.B. de dissimuler le meurtre au moyen d’une planification complexe témoignent de la maturité et de la confiance d’un adulte dans la gestion des événements après l’infraction, plutôt que d’une panique juvénile.
- Ces gestes dénotent le jugement et la pensée critique d’un adulte. Ils comprennent notamment la coordination de deux autres personnes pour exécuter le meurtre conformément au plan et des efforts pour le dissimuler, immédiatement après le meurtre et de façon continue par la suite. Ces gestes de l’appelant démontrent qu’il reconnaissait que ce qu’il avait fait serait perçu comme moralement répréhensible.
- Comportement postérieur à l’infraction
- Comme nous l’avons mentionné précédemment, après la fusillade, S.B. a dirigé les efforts afin de dissimuler le crime et de réduire au silence d’éventuels témoins. Ce comportement ne concorde pas avec une reconnaissance de responsabilité ou la manifestation de remords.
- En ce qui concerne le remords, l’auteur du RPDE a constaté que S.B. était réfléchi et avait exprimé un [traduction] « certain remords » à l’égard de la victime, faisant une analogie entre celle-ci et son cousin qui avait été abattu alors que S.B. était âgé de 11 ans (d.a., vol. I, p. 83).
- Analyse
- S.B. a été élevé dans des conditions défavorisées et difficiles. Ses antécédents mettent en contexte les mauvais choix qu’il a faits dans sa jeunesse.
- Cela dit, S.B. a commis un meurtre selon son plan complexe et prémédité, impliquant deux autres personnes. Les efforts pour le dissimuler, en plus de ceux pour détourner le blâme, témoignent en outre d’un degré de maturité et d’un raisonnement rationnel.
- Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la Couronne a réfuté la présomption de culpabilité morale moins élevée.
- Deuxième volet : analyse de la responsabilité
- Ayant conclu que la Couronne a réfuté la présomption, l’analyse passe au second volet : Une peine spécifique pour adolescents serait‑elle d’une durée suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes délictueux?
- S.B. a été assujetti à la peine applicable aux adultes, soit l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. Une peine spécifique pour adolescents serait d’une durée maximale de 10 ans, dont 6 ans sous garde.
- Il convient de se pencher sur la gravité de l’infraction à ce stade. S.B. et ses coaccusés ont attiré un adolescent de 16 ans dans une cage d’escalier et l’ont abattu par balle à la façon d’une exécution. S.B. a donné des directives à ses coaccusés avant et après le meurtre. Il a pris plusieurs mesures pour dissimuler sa participation au meurtre et a suggéré de tuer le seul témoin oculaire et sa famille. Il a fait preuve de prévoyance et d’une bonne compréhension des conséquences en utilisant deux téléphones cellulaires différents pour communiquer avec ses coaccusés, chargeant un de ceux-ci d’attirer la victime dans la cage d’escalier où il n’y avait aucune caméra en circuit fermé, et demandant aux coaccusés de supprimer leurs messages et de rejeter le blâme sur d’autres.
- Pour qu’il y ait responsabilité, la peine [traduction] « doit être suffisamment longue » pour refléter la gravité de l’infraction et le rôle qu’y a joué le contrevenant (R. c. Okemow, 2017 MBCA 59, 353 C.C.C. (3d) 141, par. 66, citant R. c. O. (A.), 2007 ONCA 144, 218 C.C.C. (3d) 409, par. 50, citant R. c. Ferriman, 2006 CanLII 33472 (C.S.J. Ont.); voir aussi R. c. McClements, 2017 MBCA 104, par. 47‑48). S.B. a joué un rôle de premier plan dans la planification et l’exécution du meurtre; il a également dirigé les tentatives pour le dissimuler, envisageant notamment les meurtres de témoins. Il était le principal joueur dans une infraction comportant un degré élevé de culpabilité morale, infraction dans laquelle il a manifesté le jugement d’un adulte. Cela commande un degré élevé de responsabilisation.
- Le paragraphe 38(1) de la LSJPA exige la prise en compte des perspectives de réadaptation et de réinsertion sociale de l’adolescent, ce qui comprend l’attitude du contrevenant envers la réadaptation et son expérience avec les programmes de réadaptation. Bien qu’il ait pris part à des programmes éducatifs pendant qu’il était incarcéré, cette participation était limitée et il y a peu de preuve de remords ou de potentiel de réadaptation.
- Pour que S.B. réponde de ses actes, une période d’incarcération plus longue est nécessaire malgré son enfance difficile et son âge. La peine établie par le juge chargé de déterminer la peine et confirmée par la Cour d’appel n’a pas été infligée par erreur.
- Conclusion
- Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la peine de S.B.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Derstine Bariteau — Criminal Lawyers, Toronto.
Procureur de l’intimé : Ministère du Procureur général — Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada — Bureau régional de l’Ontario, Toronto; Ministère de la Justice Canada — Bureau régional du Québec, Montréal.
Procureur de l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Québec.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.
Procureur de l’intervenante Justice for Children and Youth : Justice for Children and Youth, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic : Ruby Shiller Enenajor, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Martin Barristers, Toronto; Russomanno Criminal Law, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante Peacebuilders Canada : Henein Hutchison Robitaille, Toronto.
Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Larochelle Law, Whitehorse; Pringle Law, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Addario Law Group, Toronto.
Procureur de l’intervenant African Nova Scotian Justice Institute : African Nova Scotian Justice Institute, Halifax.