Décision

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McFarland c. Urgences-Santé

2025 QCCS 3064

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

 

 :

500-17-114059-200

 

DATE :

29 août 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEFFREY EDWARDS, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

GARY McFARLAND, ANNIE CYR et MAIKAN McFARLAND, personnellement et en leur qualité de légataires universels de Nutin Alexandre McFarland

-et-

BERNARD CYR

-et-

HENRIETTE McKENZIE

-et-

MARIE BOUCHARD

Demandeurs

c.

URGENCES-SANTÉ

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 


Table des matières

 

1. Aperçu....................................................................4

2. Questions en litige..........................................................7

3. Contexte..................................................................7

3.1. Contexte législatif, y compris les protocoles d’intervention applicables.........7

3.1.1. Textes législatifs....................................................7

3.1.2. Les protocoles d’intervention à l’intention des techniciens ambulanciers....9

3.2. Contexte factuel.......................................................12

3.2.1. Nutin McFarland...................................................12

3.2.2. Marie Bouchard....................................................13

3.2.3. Le 29 octobre 2017................................................14

3.2.4. L’arrivée des premiers répondants...................................20

3.2.5. L’arrivée de l’ambulance et les techniciens ambulanciers................21

3.2.6. L’arrivée tardive de Nutin à l’hôpital, l’absence de préavis donné à l’hôpital, situation chaotique et non préparée à l’hôpital lors de l’arrivée de Nutin......31

3.2.7. Le décès de Nutin..................................................34

3.2.8. Les procédures judiciaires..........................................36

4. Analyse et décision........................................................38

4.1. Faute ou non de la défenderesse et de ses techniciens ambulanciers........38

4.1.1. Principes juridiques généraux.......................................38

4.2. Preuve d’expertise.....................................................39

4.2.1. Les points faisant l’objet de preuve d’expertise.........................39

4.2.2. La preuve d’expertise en demande...................................39

4.2.3. La preuve d’expertise en défense....................................43

4.2.4. L’absence de preuve d’expertise d’un technicien ambulancier............46

4.2.5. Appréciation de la preuve d’expert...................................50

4.2.6. Crédibilité des techniciens ambulanciers..............................53

4.2.6.1. Samantha Porteous............................................53

4.2.6.2. Leif Gulddal...................................................56

4.2.7. Motifs de défense soulevés pour justifier le retard de partir des lieux et de ne pas pouvoir arriver plus tôt à l’hôpital......58

4.2.7.1. Moyens invoqués..............................................58

4.2.7.2. Délai attribuable à l’anxiété de Nutin par rapport à l’aiguille..........58

4.2.7.3. Délai occasionné par le refus ou l’anxiété de Nutin d’aller à l’hôpital...60

4.2.7.4. Délai occasionné par l’application du protocole MED.8 et l’administration du salbutamol à Nutin......60

4.2.7.5 Temps requis pour l’évacuation de l’appartement et le rebranchement et la sécurisation du patient dans l’ambulance avant le départ vers l’hôpital......66

4.2.8. Faute d’Urgences-Santé de ne pas avoir mis au service des techniciens ambulanciers un téléphone fonctionnel à l’intérieur de l’ambulance......69

4.2.9. Conclusion quant à l’allégation des demandeurs de la faute d’Urgences-Santé et de ses techniciens ambulanciers......71

5. Les fautes d’Urgences-Santé, le cas échéant, sont-elles la cause du décès de Nutin ?77

5.1. Ces fautes, le cas échéant, sont-elles la cause du décès de Nutin ?..........77

5.2. Faute contributoire de Nutin.............................................83

6. Si oui, les demandeurs ont-ils droit à des dommages-intérêts et le cas échéant, à quels montants?......86

6.1. Nature non pécuniaire de la plupart des dommages-intérêts réclamés en réparation du préjudice subi, méthode d’actualisation et indemnité additionnelle......86

6.2. Succession de Nutin McFarland.........................................91

6.3. Annie Cyr.............................................................92

6.4. Gary McFarland.......................................................97

6.4.1. Réclamations en raison des douleurs et souffrances, de perte de conseil et de soutien de Nutin......97

6.4.2. Réclamation pour dépenses encourues...............................98

6.4.3. Réclamation pour perte de revenu...................................99

6.5. Maikan McFarland....................................................100

6.6. Marie Bouchard......................................................101

6.7. Henriette McKenzie et Bernard Cyr.....................................104

7. Allégation des demandeurs que les fautes d’Urgences-Santé résultent des préjugés des techniciens ambulanciers et constituent des actes de discrimination au motif que Nutin faisait visiblement partie d’une communauté autochtone......106

8. Frais d’expertise.........................................................107

9. Dispositif................................................................107

 

 


1. Aperçu

  1.                  Nutin McFarland (Nutin) avait 18 ans. Autochtone issu de la Première Nation des Innus, il venait de déménager à Montréal, dans l’arrondissement de Verdun, afin d’entreprendre des études postsecondaires au Collège Dawson.
  2.                  Nutin était en bonne santé. Il avait toutefois une allergie aux arachides et aux noix. Il a déjà eu une réaction allergique grave après l’ingestion d’arachides.
  3.                  Le 29 octobre 2017, Nutin était de passage à l’appartement du père de sa copine, Marie Bouchard (Marie). L’appartement est également situé dans l’arrondissement de Verdun. Marie est au courant de l’allergie de Nutin et des conséquences potentiellement mortelles de celle-ci.
  4.                  Peu avant 16h00, Marie part à son travail de cosméticienne dans une pharmacie à proximité. Pour sa part, Nutin continue une sieste dans la chambre de Marie.
  5.                  Vers 19h06, Nutin se réveille et a faim. Il regarde dans le réfrigérateur et y voit des petits sandwichs au thon. Il en mange un. Rapidement, il a une sensation de démangeaison et d’enflure à sa langue et à sa gorge. Est-il possible que ce sandwich au thon contienne des arachides ou des noix?
  6.                  Il rejoint rapidement Marie sur son cellulaire. Elle l’informe que ces sandwichs comprennent en effet des arachides. Nutin est conscient qu’il débute une réaction allergique aux arachides et qu’il doit aller à l’hôpital, soit l’Hôpital de Verdun qui est situé tout près, à sept cents (700) mètres. Nutin explique à Marie qu’il y marchera de manière immédiate. Marie a peur de ce qui peut arriver à Nutin, seul, lors d’un déplacement à pied. Elle lui dit de ne pas y marcher, mais plutôt d’appeler le 9-1-1 pour qu’il soit amené à l’hôpital en ambulance. À 19h11, Nutin appelle le 9-1-1 et l’informe de la situation, de sa réaction, de ses symptômes et qu’il a déjà eu des réactions allergiques sévères par le passé. Les informations sont transmises aux premiers répondants et aux techniciens ambulanciers qui sont dépêchés sur les lieux. La situation est désignée par la répartitrice médicale comme une réaction allergique grave et un code « 01 Urgent » y est attribué, ce qui désigne une situation médicale d’urgence mettant potentiellement la vie en danger de l’individu et nécessitant une intervention rapide.
  7.                  À 19h16, les premiers répondants, soit les pompiers du Service de sécurité incendie de Montréal, arrivent sur les lieux. En moins d’une (1) minute, soit à 19h17, les premiers répondants administrent à Nutin un Épipen (d’adrénaline), ce qui est le traitement d’urgence prévu et lui administre de l’oxygène par l’entremise d’un masque. Les premiers répondants constatent que Nutin se plaint de démangeaisons et d’enflure à la gorge.
  8.    À 19h22, les techniciens ambulanciers de la défenderesse arrivent sur les lieux. Avant même leur arrivée, ils sont au courant qu’ils agissent dans le cadre d’une réaction allergique et qu’il y a lieu d’appliquer le protocole d’intervention des techniciens ambulanciers prévu à cette fin, à savoir le MED.17.
  9.    Les premiers répondants transmettent leur rapport verbal aux techniciens ambulanciers quant aux informations recueillies et à l’administration de l’Épipen. Les premiers répondants quittent les lieux.
  10.            Nutin est prêt et en attente pour le transport à l’hôpital. La technicienne ambulancière responsable est au courant que l’hôpital désigné sera l’Hôpital de Verdun, situé à proximité, seulement à une minute de route. Dans les circonstances, le protocole MED.17 prévoit explicitement les étapes à suivre et les actes devant être réalisés par les techniciens ambulanciers, y compris le transport urgent du patient à l’hôpital.
  11.            Sur place, les informations transmises et recueillies et les symptômes présentés par Nutin confirment le caractère urgent de la situation. Nutin présente les symptômes et répond aux conditions d’une réaction anaphylactique. Il s’agit d’une condition médicale potentiellement mortelle et hautement imprévisible quant à son évolution. Le protocole MED.17 requiert le transfert « urgent »[1] du patient à l’hôpital. À 19h23, ces informations et symptômes sont connus ou devraient être connus des techniciens ambulanciers. Cependant, contrairement à la teneur explicite du protocole d’intervention applicable, les techniciens ambulanciers négligent et omettent de quitter hâtivement les lieux et de transporter Nutin à l’hôpital de manière urgente. Si les techniciens ambulanciers avaient suivi le protocole, Nutin serait arrivé à l’hôpital de Verdun au plus tard à 19h31:20.
  12.            En omettant de respecter le protocole d’intervention applicable, les techniciens ambulanciers ont agi de manière négligente et fautive. Les techniciens ambulanciers ont plutôt quitté les lieux à 19h47 et ce, après que Nutin soit instable et en crise respiratoire. Ils sont arrivés à l’hôpital à 19h50[2]. La condition de Nutin se détériorait déjà graduellement sur les lieux, sans que les techniciens ambulanciers s’activent à partir. La condition de Nutin s’est gravement détériorée entre 19h46 et 19h50. Lorsque Nutin arrive à l’hôpital, il a déjà changé de couleur et il est bleuté.
  13.            Lorsque Nutin arrive à l’hôpital, les traitements requis sont encore retardés en raison de l’absence d’envoi du préavis requis à l’hôpital par les techniciens ambulanciers. Ceux-ci ont omis d’aviser l’hôpital plus tôt et ensuite, ils n’ont pas pu utiliser le téléphone de l’ambulance à cette fin. C’est seulement à 19h53 que le personnel hospitalier a pu prendre en charge Nutin. Cependant, en raison de l’absence d’un préavis, l’équipe de la salle de choc à l’hôpital n’est pas prête à recevoir Nutin et les soins requis sont encore retardés.
  14.            Ainsi, dans une situation d’urgence manifeste avec des conséquences potentiellement mortelles et alors que les soins hospitaliers requis sont à une distance d’une (1) minute, Nutin n’a pas obtenu les soins qui étaient requis pour sauver sa vie pendant un délai d’au moins dix-neuf (19) minutes.
  15.            Malgré les efforts de l’équipe de la salle de choc de l’hôpital, la condition médicale de Nutin s’était trop détériorée avant son arrivée. L’état de Nutin n’a pas pu être stabilisé. Dès 20h04, Nutin fait un arrêt cardiaque (arrêt cardio-respiratoire) et l’équipe de choc observe une asystolie, soit un tracé plat d’électrocardiogramme. À partir de ce moment, le cerveau de Nutin ne reçoit aucun oxygène. Les premiers efforts d’intubation échouent.
  16.            Seulement vingt-et-une (21) minutes plus tard, vers 20h25, à la suite de toutes les interventions possibles d’urgence dans un environnement hospitalier, l’équipe de choc perçoit un pouls. Cependant, Nutin ne reprend jamais conscience. Les tests ultérieurs confirment les dommages cérébraux massifs et irréversibles subis par Nutin au cours de l’arrêt cardiaque. La mort cérébrale et le décès de Nutin sont confirmés.
  17.            Selon la preuve non contredite, avec des soins requis en milieu hospitalier, le taux de mortalité à la suite d’une réaction anaphylactique est de moins de 1%.
  18.            Le Tribunal conclut que la négligence d’Urgences-Santé, y compris l’omission de respecter les protocoles d’intervention applicables, d’effectuer un départ hâtif, d’effectuer un transport urgent et d’envoyer un préavis à l’hôpital, est la cause directe du décès de Nutin.
  19.            Les membres de la famille de Nutin et Marie en sont dévastés. Leurs rêves, projets et espoirs quant à leur avenir avec Nutin sont anéantis.
  20.            Selon les principes jurisprudentiels applicables, le Tribunal accorde des dommages-intérêts non pécuniaires à la Succession de Nutin (40 500,00 $), à ses parents (129 870,00 $ chacun), à sa sœur Maikan (41 498,10 $), à Marie (22 500,00 $) et aux grands-parents de Nutin (18 000,00 $ chacun), de même que des dommages pécuniaires au père de Nutin (41 776,92 $), avec l’intérêt légal. l’indemnité additionnelle et les frais de justice.


2. Questions en litige

  1.            1- Compte tenu de leurs obligations en vertu de la loi, y compris des protocoles d’intervention applicables, Urgences-Santé et ses techniciens ambulanciers ont-ils commis des fautes envers Nutin en omettant de lui prodiguer les soins requis, notamment en omettant d’effectuer un départ hâtif des lieux et un transport urgent de Nutin à l’hôpital ?
  2.            2- Ces fautes, le cas échéant, sont-elles la cause du décès de Nutin ?
  3.            3- Si oui, les demandeurs ont-ils droit à des dommages-intérêts et le cas échéant, à quels montants ?

3. Contexte

3.1. Contexte législatif, y compris les protocoles d’intervention applicables

3.1.1. Textes législatifs

  1.            La Loi sur les services préhospitaliers d’urgence prévoit[3] :

«  1. La présente loi vise à ce que soit apportée, en tout temps, aux personnes faisant appel à des services préhospitaliers d’urgence une réponse appropriée, efficiente et de qualité ayant pour but la réduction de la mortalité et de la morbidité à l’égard des personnes en détresse.

À cette fin, elle encadre l’organisation des services préhospitaliers d’urgence et favorise leur intégration et leur harmonisation à l’ensemble des services de santé et des services sociaux. Elle identifie les services à mettre en place, les différents acteurs de cette organisation et précise les droits, rôles et responsabilités de ces derniers.

[…]

LE MINISTRE

3. Le ministre de la Santé et des Services sociaux a la responsabilité de déterminer les grandes orientations en matière d’organisation des services préhospitaliers d’urgence. Il propose et élabore des plans stratégiques et des politiques, définit les modes d’intervention, élabore et approuve les protocoles cliniques et opérationnels en cette matière.

Plus particulièrement:

  il identifie les objectifs opérationnels et détermine les standards de qualité des services préhospitaliers d’urgence;

[…]

5. Le ministre nomme pour le conseiller et l’assister sur l’aspect médical des services préhospitaliers d’urgence un directeur médical national des services préhospitaliers d’urgence.

Ce directeur doit être un médecin ayant une formation et une expérience pertinente en médecine d’urgence.

6. Le directeur médical national a, en outre, pour fonctions:

[…]

  de participer à l’élaboration et au maintien de systèmes d’informations de gestion pertinents à l’analyse de la performance et à l’amélioration de la qualité des services préhospitaliers d’urgence;

[…]

17. Chaque agence doit désigner un médecin ayant une formation et une expérience pertinente en médecine d’urgence pour exercer notamment les fonctions suivantes en conformité avec les normes et les orientations nationales :

  exercer l’autorité clinique nécessaire au maintien des normes de qualité;

[…]

RÔLES ET RESPONSABILITÉS DES PREMIERS RÉPONDANTS

39. Un premier répondant, sur affectation exclusive du centre de communication santé, fournit à une personne dont l’état le requiert les premiers soins de stabilisation requis conformément aux protocoles d’intervention clinique élaborés à cette fin par le ministre et correspondant au niveau de formation qu’il reconnaît.

Agissant en complémentarité du technicien ambulancier, le premier répondant applique les protocoles visant la prévention de la détérioration de l’état de la personne en détresse et transfère au technicien ambulancier la responsabilité des interventions à son arrivée sur les lieux.

[…]
44. Un service ambulancier s’entend de tout service qui, en accord avec le plan triennal d’organisation des services préhospitaliers d’urgence de l’agence et les protocoles élaborés par le ministre, fournit des soins préhospitaliers d’urgence visant à prévenir la détérioration de l’état d’une personne et à la transporter au moyen d’une ambulance vers un centre exploité par un établissement receveur ou entre des installations maintenues par un ou des établissements.

[…]

SECTION IV

LE TECHNICIEN AMBULANCIER

65. Un technicien ambulancier fournit à une personne dont l’état requiert l’intervention des services préhospitaliers d’urgence les soins nécessaires conformément aux protocoles d’intervention clinique élaborés par le ministre.

Le technicien ambulancier vérifie chez la personne concernée la présence de signes ou symptômes permettant l’application des protocoles afin de prévenir la détérioration de l’état de cette personne et, le cas échéant, la transporte avec diligence vers un centre exploité par l’établissement receveur désigné ou entre des installations maintenues par un ou des établissements.

66. Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le technicien ambulancier doit respecter les protocoles visés à l’article 65 de même que respecter l’encadrement médical régional établi en vertu de l’article 17 et participer à l’encadrement médical régional établi en vertu de l’article 17. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie des textes.]

3.1.2. Les protocoles d’intervention à l’intention des techniciens ambulanciers

  1.            L’article 65 de la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence se réfère aux protocoles d’intervention cliniques élaborés et approuvés par le ministre. L’article 66 stipule que le technicien « doit respecter » ces protocoles.
  2.            Au terme de l’intervention du 29 octobre 2017 visant Nutin, les techniciens ambulanciers impliqués ont complété le formulaire de Rapport d’intervention préhospitalière (RIP)[4]. Les techniciens ambulanciers y ont indiqué les « Protocoles utilisés »[5]. Les protocoles d’intervention indiqués sont le protocole d’appréciation, soit le « Protocole d’appréciation de la condition clinique préhospitalière »[6] (Protocole d’appréciation) et le « MED.17 Réaction allergique/anaphylactique »[7] (MED.17).
  3.            Chaque protocole est présenté de deux manières. En premier lieu, il est présenté en forme d’un algorithme (ou organigramme) soit un dessin graphique de séquence d’opérations visant à faciliter sa compréhension et son application. En deuxième lieu, le dessin graphique est accompagné d’un texte explicatif.
  4.            Le protocole MED.17 concernant la réaction allergique/anaphylactique se réfère, en première étape, au Protocole d’appréciation. Il y a lieu de se référer à l’algorithme du Protocole d’appréciation et à l’algorithme du protocole MED.17.


3.2. Contexte factuel

3.2.1. Nutin McFarland

  1.            Jusqu’au 1er août 2017, Nutin demeure à la réserve autochtone innue de Maliotenam, située à côté de la Ville de Sept-Îles, au Québec. Sa mère, Annie Cyr, est Innue. Elle a présentement cinquante (50) ans. Le père de Nutin, Gary McFarland, est un membre de la Première Nation des Swampy Cree, dont les terres sont situées au Manitoba. Il a présentement cinquante-quatre (54) ans.
  2.            Monsieur McFarland et Madame Cyr sont des conjoints depuis trente (30) ans. Ils ont eu deux (2) enfants, Nutin, un garçon, né en 1999 et Maikan, une fille, née en 2002. Les grands-parents de Nutin, Henriette McKenzie et Bernard Cyr, ont des liens étroits avec la famille.
  3.            Les McFarland forment une petite famille avec des liens très serrés. Selon les témoignages des membres de la famille, Nutin est au centre de la famille. Il représente le cœur de la famille. La mère de Nutin le décrit comme une personne très intelligente. Nutin était la fierté de sa famille. Les membres de la famille témoignent que Nutin avait une présence remarquée lorsqu’il entrait dans une pièce. Il projetait respect, compassion, force tranquille et confiance.
  4.            Dès son jeune âge, alors que Nutin avait environ trois (3) ans, la mère de Nutin a constaté son allergie aux arachides lorsqu’elle lui a préparé un sandwich au beurre d’arachides et à la confiture. Nutin l’a craché. Les tests ont été faits et ceux-ci ont confirmé que Nutin était allergique aux arachides et aux noix. Madame Cyr explique qu’elle n’a pas été étonnée de la présence de cette allergie, vu que son père Bernard Cyr est allergique aux arachides et aux noix et qu’elle a elle-même une allergie aux fruits de mer.
  5.            Depuis ce diagnostic, la famille de Nutin a toujours pris les précautions qui s’imposent : aucun produit pouvant contenir des arachides ou des noix n’était permis dans la maison; Nutin devait toujours apporter dans son sac un Épipen. Malgré ces précautions, à l’extérieur de la demeure familiale, Nutin a eu tout de même des incidents d’ingestion accidentelle de mets contenant des arachides.
  6.            Un incident a eu lieu à l’école primaire (cinquième année). Il aurait mangé un produit à la cafétéria de l’école. L’autre incident a eu lieu lorsqu’il était à l’école secondaire. Il a dû aller à l’hôpital.
  7.            Nutin était très sensibilisé à son allergie et aux conséquences potentiellement mortelles de celle-ci. À l’école secondaire, il a fait une présentation à sa classe concernant son allergie et des conséquences potentielles.
  8.            De manière ultérieure, Nutin a également développé de l’asthme. Pour cette raison, il apportait toujours avec lui les deux (2) pompes ou inhalateurs (bleu : Ventolin; et orange : Flovent). L’Épipen et les pompes étaient toujours mis dans un contenant qu’il mettait dans son sac à dos.
  9.            Après avoir complété avec succès ses études secondaires à Sept-Îles, Nutin désire entreprendre des études postsecondaires. Il sélectionne le Collège Dawson à Montréal. Le cursus de ce collège comprend un programme de transition à l’intention des membres des Premières Nations, à savoir le « Journeys First Nations Program ». Par la suite, l’étudiant passe au programme régulier du Diplôme d’études collégiales (D.É.C.) et les cours réussis au cours du programme de transition peuvent y être crédités.
  10.            Nutin avait comme plan d’étude d’acquérir une formation collégiale au Collège Dawson en animation et en imagerie numérique par ordinateur. Nutin désirait faire carrière dans les industries du jeu vidéo, du cinéma et du multimédia. Il visait notamment l’entreprise Ubisoft.
  11.            Après des recherches d’appartements avec ses parents au mois d’avril 2017, Nutin sélectionne un appartement à Montréal dans l’arrondissement de Verdun avec comme date prévue de déménagement le 1er août 2017.

3.2.2. Marie Bouchard

  1.            Lors des recherches d’appartement à Verdun au mois d’avril 2017, Nutin organise des rencontres de retrouvailles avec des amis de Sept-Îles qui ont déménagé à Montréal. Lors d’une de ces rencontres, il est présenté, par une amie commune, à Marie Bouchard. Marie a également dix-huit (18) ans et est originaire de Sept-Îles. Elle a déménagé à Verdun à la suite de la séparation de ses parents.
  2.            Marie demeure à Verdun, à l’appartement de son père. L’appartement de son père est à un bloc de rue de l’appartement sélectionné par Nutin.
  3.            À la suite de leur rencontre, pendant que Nutin est encore à Sept-Îles et Marie à Verdun, ils communiquent régulièrement par cellulaire et par échange de messages textes. Après que Nutin déménage à Montréal le 1er août 2017, ils commencent à se fréquenter. Marie et Nutin forment rapidement un couple inséparable.
  4.            À partir du 1er septembre 2017, Marie et Nutin sont en couple et vivent ensemble chez Nutin[8]. Il s’agit de la première expérience amoureuse de l’un et de l’autre. Ils s’aiment profondément et intensément, discutant même des plans de mariage de même que des noms possibles de leurs enfants éventuels.
  5.            Marie est au courant de l’allergie de Nutin aux arachides et aux noix et des conséquences potentiellement mortelles de celle-ci. Marie fait notamment attention de ne jamais embrasser Nutin avant de brosser ses dents, si elle a mangé un repas ou un produit pouvant contenir des arachides[9].
  6.            De son côté, Marie suit les cours d’un Diplôme d’études professionnelles (D.É.P) en soins esthétiques. Elle travaille à temps partiel comme cosméticienne dans une pharmacie à proximité de l’appartement de son père.

3.2.3. Le 29 octobre 2017

  1.            C’est un dimanche. Pris dans l’intensité de leur relation, Marie et Nutin passent la majorité de leur temps chez Nutin. Le père de Marie lui a mentionné qu’il aimerait la voir un peu plus souvent.
  2.            Le 29 octobre 2017, en après-midi, Marie et Nutin passent du temps chez le père de Marie. Dans le cadre de son travail à temps partiel, Marie commence son quart de travail à 16h00. Elle se prépare à partir alors que Nutin fait une sieste dans la chambre de Marie. Marie enregistre une très courte vidéo de Nutin en train de dormir[10]. Le père et le frère de Marie quittent l’appartement pendant la sieste de Nutin.
  3.            Vers 19h06, Nutin se réveille et a faim. Il regarde dans le réfrigérateur et y voit des petits sandwichs au thon. Il en mange un[11]. Il a rapidement une sensation de démangeaison dans la gorge et d’enflure à la langue ainsi qu’à la gorge. Il tente d’appeler Marie rapidement au travail sur son cellulaire. Elle ne répond pas. Il envoie un message texte d’urgence à Marie disant que c’est extrêmement important et qu’elle doit répondre (avec quatre (4) points d’exclamation)[12]. Marie le rappelle. Il désire savoir s’il y a une possibilité qu’il y ait eu des arachides dans le sandwich au thon dans le réfrigérateur. Marie se rappelle qu’il y a eu une fête à l’appartement à laquelle elle n’a pas participé. Personne ne lui a dit qu’il y a des sandwichs au thon qui ont été préparés pour l’événement. Mais elle sait que, s’il y a des sandwichs au thon préparés, ce serait selon la recette de sa grand-mère qui comprend effectivement des arachides. Elle informe Nutin que oui. Une fois cette information connue, Nutin se résout à aller de manière immédiate à l’hôpital, en l’occurrence l’Hôpital de Verdun, situé à sept cents (700) mètres de l’appartement du père de Marie.
  4.            Marie est consciente du danger que représente l’ingestion d’un sandwich contenant des arachides par Nutin, y compris des conséquences potentiellement mortelles. Marie a peur que Nutin tente de se rendre à l’hôpital en marchant alors qu’il est seul. Marie lui dit qu’il faut plutôt appeler le 9-1-1 afin d’y être transporté par ambulance. Nutin appelle le 9-1-1 et explique la situation[13] . Il attend deux (2) minutes avant d’être référé au service d’ambulance (SA) :

“[Personnel]   Allo?

[Répondant – SA] Service d’ambulance ?

[Personnel]   Bonsoir 4310…

[Répondant – SA]  (inaudible) merci.

[Personnel]  Je voulais vous aviser, c’est une allergie aux arachides, il a de la difficulté à respirer puis là ça fait deux minutes qu’il attend sur la ligne.

[Répondant – SA]  D’accord, merci.

[Personnel]  Sir?

[Nutin]   Yes?

[Personnel]  Go ahead, you are online.

[Répondant – SA] Service d’ambulance. Dîtes -moi exactement ce qu’il s’est                                            passé ?

[Nutin]   Ben, je suis chez ma blonde puis, je viens de sortir pour                                            manger, y avait un sandwich dans le fridge

[Répondant – SA] Je m’excuse Monsieur, je m’excuse, je ne vous entends                                            vraiment pas bien.

[Nutin]   Ok. Excusez. I don’t have good reception.

[Répondant – SA] Ok, tell me exactly what happened.

[Nutin]   Well, I was at my girlfriend’s house and there I no one.                                           There… and I… I saw a sandwich in the fridge and I ate it.

[Répondant – SA] Ok.

[Nutin]   And I realised that… like… I started feeling kind of like                                            my… my throat… is like swollen, I cannot swallow you                                                         know… I cannot feel my tongue…

[Répondant – SA] Ok, I understand… how old are you sir? We will help                                            you…

[Nutin]   18.

[Répondant – SA] 18, ok. I will ask you a few questions, but we are already on the way, ok?

[Nutin]    Ok, perfect. I think…

[Répondant – SA] Sir?

[Nutin]   Yes?

[Répondant – SA] Ok. Did you understand what I told you?

[Nutin]   Yeah… that you are already coming.

[Répondant – SA] we are already on the way, ok?

[Nutin]   Yeah.

[Répondant – SA] Do you have difficulty breathing or swallowing?

[Nutin]   Yeah, I have a hard time swallowing.

[Répondant – SA] Ok.

[Nutin] I feel like I am having a little bit of hard time, like, talking. I am a bit, like, confused.

[Répondant – SA] Ok, I understand. We are on the way sir. I have trouble                                            hearing you, it’s cutting. Ok.

[Nutin]   Sorry.

[Répondant – SA] Have you ever had a severe allergic reaction before?

[Nutin]    Yeah. More than once.

[Répondant – SA] Ok.

[Nutin]   I was little though (inaudible)…”

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.            Au travail, Marie explique la situation à sa patronne, à savoir que son chum a ingéré par inadvertance un sandwich chez elle contenant des arachides et qu’il a une allergie potentiellement mortelle aux arachides. Marie est autorisée à quitter son travail et à se rendre chez elle.
  2.            Marie court à l’appartement et elle appelle en même temps le 9-1-1 et explique la situation[14] :

« [Répondant - SA]  Service d’ambulances.

[Marie]    Je ne sais pas, il ne me répond pas.

[Répartiteur d’appel] Juste un instant Madame. Oui bonjour, opérateur (inaudible).

[Répondant – SA]  (Inaudible) merci.

[Répartiteur d’appel]  Parlez Madame.

[Répondant – SA] Bonjour Madame, c’est le service d’ambulances, est-ce que vous aviez déjà appelé aujourd’hui pour la même situation?

[Marie]    Non.


[Répondant – SA]  Non ?

[Marie]    Je ne sais pas s’il a appelé.

[Répondant – SA]  Ok dites-moi exactement ce qu’il s’est passé.

[Marie] Euh… il m’a appelé au travail en panique parce qu’il avait mangé quelque chose qu’il ne savait pas qu’il y avait des peanuts dedans, il est allergique mortel et il est tout seul chez nous.

[Répondant – SA] Ok, donc Madame, je vois qu’on a déjà une  ambulance qui est en direction en urgence pour               l’aider.

[Marie]    Ok.

[Répondant – SA] Ce qu’on va faire c’est qu’on va juste réévaluer la situation ensemble pour s’assurer d’avoir le plus d’informations possible, ok ?

[Marie]    Ok.

[Répondant – SA]  Donc dites-moi exactement ce qu’il s’est passé.

[Marie]    Euh, il y avait des sandwichs que mon frère a fait                                            dans le frigidaire.

[Répondant – SA]  Hum hum.

 

[Marie] Il a mis des peanuts dedans et il l’a mangé sans le savoir et moi je suis au travail. Il m’a appelé pour me demander s’il y avait des peanuts dans les sandwichs et il y en avait. Il a une Épipen, je ne sais pas s’il s’est piqué avec encore, mais moi je cours pour aller jusqu’à chez nous pour aller le voir.

[Répondant – SA]  Ok là vous n’êtes pas encore avec lui ?

[Marie]    Non.

[Répondant – SA]  Non, quel âge a-t-il ?

[Marie]    Pardon ?

[Répondant – SA]  Il a quel âge ?

[Marie]    Il a 18 ans.

[Répondant – SA]  Ok, est-ce qu’il est réveillé ?

[Marie]    Euh je ne sais pas.

[Répondant – SA]  Vous ne savez pas.

[Marie]    Il ne me répond pas.


[Répondant – SA]  Il ne vous répond pas?

[Marie]    Non.

[Répondant – SA]  Ok, est-ce qu’il respire ?

[Marie]    Je ne sais pas j’arrive là.

[Répondant – SA]  Ok, est-ce que vous êtes proche d’arriver ?

[Marie]    Oui.

[Répondant – SA] Ok, dites-moi quand vous allez être à l’intérieur ok ?

[Marie]    Ok (…) La porte est ouverte.

[Répondant – SA]  Ok, dites-moi quand vous serez à côté de lui                                            Madame.

 

[Marie]    Ok (…) Je suis là.

[Répondant – SA]  Vous êtes avec lui ?

[Marie]    Mon amour.

[Répondant – SA]  Est-ce qu’il est réveillé ? (…) Madame ?

[Marie]    Oui, il est avec moi.

[Répondant – SA]  Est-ce qu’il est conscient ?

[Marie]    Oui, il est conscient.

[Répondant – SA]  Ok, est-ce que les paramédics sont arrivés ?

[Marie]    Est-ce que… Comment on fait une Epipen ?

[Les premiers répondants arrivent]

[Répondant – SA]  Madame est-ce que les secours sont avec vous ?

[Marie]    Oui.

[Répondant – SA] Oui. Ok je vais vous laisser avec les secours dans ce cas-là.

[Marie]    Ok, merci.

[Répondant – SA]  Ok bonne chance Madame, aurevoir.

[Marie]    Merci, bye bye. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]


  1.            Urgences-Santé crée un journal électronique d’appels (Call Log)[15] pour chaque appel. Ce journal permet à l’opérateur et au répartiteur de transmettre des informations reçues aux premiers répondants et aux techniciens ambulanciers. Les premiers répondants et les techniciens ambulanciers reçoivent ces informations en temps réel sur des écrans de leurs véhicules. Le journal d’appels concernant l’appel de Nutin comprend notamment les entrées suivantes :

 

Bloc 5 – Nature(s) et priorité(s) de l’intervention

2017-10-29

19:11:36

ProQa En Attente

Appel en cours de traitement

Poste : CCS1004

2017-10-29

19:12:00

02B01 État inconnu

01 Urgent

Poste : CCS1004

2017-10-29

19:13:36

02C02I ATCD réaction allergique grave

01 Urgent

Poste : CCS1004

 

Bloc 6 – Commentaires de l’appel

Moment : 2017-10-29 19:12:15

Allergie aux arachides

Moment : 2017-10-29 19:12:34

18 an(s), Homme, Conscient, Respire. Déclaration de l’appelant : allergie

 

Bloc 7 – Statuts des ressources et de l’appel

Moment

Statut Ress./Appel Traité

Ress.

2017-10-29 19:11:35

Créé

 

2017-10-29 19:13:12

En route

124 [ambulance]

2017-10-29 19:13:17

Affecté SIM

866 [service d’incendie de Montréal]

 

2017-10-29 19:14:47

En route

866

2017-10-29 19:16:03

Sur les lieux

866 [arrivée des premiers répondants du Service d’incendie de Montréal]

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]


  1.            Selon le témoignage des techniciens ambulanciers, ils ont donc l’information, avant d’arriver, que le patient a une allergie aux arachides, qu’il a un antécédent (ATCD) de réaction grave et que l’appel est classé « 01 Urgent », ce qui désigne une situation d’urgence médicale mettant en danger ou potentiellement en danger la vie du patient et nécessitant une intervention immédiate[16].

3.2.4. L’arrivée des premiers répondants

  1.            À 19h16, les premiers répondants, en l’occurrence les pompiers du Service de sécurité incendie de la Ville de Montréal arrivent sur les lieux. Ils arrivent dans les secondes qui suivent l’arrivée de Marie. Les premiers répondants vérifient la situation.
  2.            Les premiers répondants savaient avant l’arrivée sur les lieux que Nutin a déclaré qu’il a une allergie aux arachides et qu’il a déjà eu des réactions allergiques graves[17]. Cela se confirme sur place. De plus, Nutin explique ses symptômes et il se présente avec des démangeaisons à la gorge et sa gorge est enflée[18].
  3.            Les premiers répondants fixent à son doigt un saturomètre pour obtenir une valeur de saturométrie[19]. Les premiers répondants lui administrent de l’oxygène et mettent en place un masque à cette fin[20].
  4.            Les premiers répondants ont bien reconnu que Nutin présente les symptômes d’une réaction allergique de type anaphylactique.
  5.            En conséquence, ils concluent qu’il y a lieu d’administrer une dose d’épinéphrine à Nutin. Ils constatent que l’Épipen de Nutin est expiré[21].
  6.            Ils remplacent l’Épipen de Nutin par l’un des leurs. Même si Nutin n’aime pas les aiguilles, il est tout à fait désireux, collaborateur et adhérant à obtenir l’injection. L’administration de l’Épipen est même enregistrée par Nutin à partir de son téléphone cellulaire. Selon l’enregistrement, Nutin ne présente aucune résistance et même émet un rire reconnaissant[22].


  1.            Le tout se fait très rapidement, conforme au contexte d’une situation d’urgence qui met en danger ou potentiellement en danger la vie d’une personne. L’administration de l’Épipen est faite dans la minute qui suit l’arrivée des premiers répondants, soit à 19h17[23].
  2.            Par la suite, les premiers répondants surveillent l’évolution du patient et attendent l’arrivée de l’ambulance de la défenderesse, car Nutin est en attente du transfert à l’hôpital. L’expert de la défenderesse, le Dr. Jocelyn Brunet commente la conduite des premiers répondants dans son rapport comme suit[24] :

« Nous notons dans un premier temps que les premiers répondants sont arrivés sur les lieux rapidement, soit environ cinq (5) minutes après l’appel au 9-1-1. Ils ont bien reconnu que Feu Nutin McFarland présentait des signes de réaction allergique de type anaphylactique. Ils ont ensuite donné un traitement indiqué dans les circonstances et sans délai, soit l’injection d’une dose standard d’épipen. Ils ont donc appliqué à la lettre le protocole d’intervention dans le respect des règles de l’art. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

3.2.5. L’arrivée de l’ambulance et les techniciens ambulanciers

  1.            À 19h22, l’ambulance et les techniciens ambulanciers arrivent sur les lieux. Les techniciens ambulanciers sont Samantha Porteous et Leif Gulddal. Selon les règles internes d’Urgences-Santé, le technicien ambulancier qui occupe le siège passager au moment de l’appel assume, lors de la visite, le leadership de l’administration des soins auprès du patient. Quant au technicien ambulancier qui occupe le siège du conducteur lors de la réception de l’appel, il assume un rôle de soutien et s’occupe notamment des éléments de soutien manuel et conduit le véhicule ambulancier lors de l’intervention. Madame Porteous occupe le siège passager lors de l’entrée de l’appel concernant Nutin. Elle s’occupe donc du leadership de l’intervention.
  2.            Avant l’arrivée sur les lieux, Madame Porteous est au courant qu’il s’agit d’une réaction allergique aux arachides déclarée par le patient et que le patient a eu, par le passé, une réaction allergique grave. Elle sait que l’appel est classé « 01 Urgent » ce qui désigne un cas d’urgence médicale mettant en danger ou potentiellement en danger la vie de l’individu et qui nécessite une intervention immédiate.
  3.            Les techniciens ambulanciers entrent sur les lieux. À 19h23, ils sont au chevet de Nutin, dans la chambre de Marie. Nutin est assis sur le lit en position de confort[25]. Marie est également présente.
  4.            Les techniciens ambulanciers positionnent des électrodes sur Nutin pour mesurer ses signes vitaux. Ils lui mettent un dispositif de saturomètre sur le doigt pour mesurer la fréquence cardiaque (pouls) et le niveau de saturation d’oxygène. Les premiers répondants ont déjà installé un masque à oxygène sur Nutin et lui administrent de l’oxygène 100% à 10 litres/minute. La bonbonne (ou bouteille) d’oxygène des premiers répondants est remplacée par celle des techniciens ambulanciers. Madame Porteous possède avec elle un moniteur Zoll. Celui-ci enregistre les voix, les signes vitaux, la fréquence cardiaque, la pression artérielle et le rythme cardiaque du patient[26]. Les signes vitaux sont disponibles de manière immédiate.
  5.            Les premiers répondants donnent leur rapport verbal aux techniciens ambulanciers, y compris que le patient a une allergie aux arachides, qu’il a un antécédent de réaction allergique, qu’il a des démangeaisons à la gorge, une enflure à la gorge, qu’ils ont conclu à une réaction anaphylactique et qu’ils ont administré au patient un de leur Épipen à 19h17[27].
  6.            À 19h23, les premiers signes vitaux de Nutin sont enregistrés[28].
  7.            Madame Porteous reconnait que le protocole d’intervention applicable est le MED.17 concernant la réaction allergique/anaphylactique. Selon ce protocole, la technicienne ambulancière doit suivre les étapes suivantes:
  1.      le protocole d’appréciation[29] : Madame Porteous fait une évaluation sommaire de la situation, elle fait une première impression suivant les informations fournies et confirmées, elle fait une appréciation primaire de l’état du patient et la prise des signes vitaux;
  2.      déterminer s’il y a une obstruction complète des voies respiratoires. Nutin se plaint des démangeaisons et de l’enflure à sa gorge, mais il n’y a pas d’obstruction complète des voies respiratoires. La réponse est donc non et le technicien peut passer à la prochaine étape;
  3.      déterminer si le patient est en arrêt cardio-respiratoire. Ce n’est pas la situation pour le moment et donc, la réponse est non. Le technicien peut passer à la prochaine étape;
  4.      le technicien doit ensuite vérifier si le patient présente les conditions et les symptômes d’une réaction anaphylactique.
  1.            Le texte explicatif du protocole MED.17 énonce clairement les critères d’application afin de faire cette détermination. Le texte est le suivant[30] :

« Critères d’inclusion à la section sur la réaction anaphylactique :

  1. Contact allergène connu ou suspecté dans les 4 heures précédant le début des symptômes ou administration d’épinéphrine pour une réaction anaphylactique dans les derniers 7 jours (réaction biphasique).

ET

  1. Une des 2 situations suivantes :
  1. La présence d’une détresse respiratoire OU d’une défaillance circulatoire.
  2. Présence de deux (2) des quatre (4) présentations cliniques suivantes :
  • Urticaire ou angio-œdème;
  • Difficulté respiratoire;
  • Défaillance circulatoire;
  • Symptômes gastro-intestinaux. »
  1.            Selon la preuve, depuis 19h23, tous les critères prévus pour informer le technicien ambulancier de la présence possible ou certaine d’une réaction anaphylactique en cours sont présents.
  2.            Il y a : A) un contact allergène connu dans les quatre (4) heures précédant le début des symptômes.
  3.            Quant à B.i.), Madame Porteous dit qu’elle ne se rappelle pas d’avoir constaté une « détresse respiratoire » chez Nutin. Selon elle, une détresse respiratoire est observée par des sons particuliers dégagés par le patient. Selon la demande, la présentation de l’état médical de Nutin devant Madame Porteous constituait la « détresse respiratoire ».
  4.            L’expert en demande, le Dr. Robert Foxford, souligne les symptômes suivants :
  1. Nutin souffrait et présentait une dyspnée tout au long de l’intervention des techniciens ambulanciers[31], ce qui est reconnu par la défense;
  2. le système respiratoire de Nutin était en détresse, car il forçait son nez, sa gorge irritée et des tuyaux respiratoires afin d’avoir un niveau d’oxygène adéquat et il ne parvenait pas à le faire;
  3. la fréquence respiratoire de vingt-huit (28) respirations par minute enregistrée à 19h23 et à 19h25 (c’était quarante (40) à 19h40 et 19h45) était nettement anormale et devait être une source de préoccupation et de crainte, dans les circonstances. Selon le Dr. Foxford, pour un jeune de dix-huit (18) ans, assis, son taux de fréquence respiratoire aurait dû être entre dix (10) et douze (12) respirations par minute. L’expert en défense, le Dr. Jocelyn Brunet, est d’avis lors de son témoignage que le taux de vingt-huit (28) est plus élevé que la norme et que le taux de quarante (40) est sûrement signe d’une détresse respiratoire;
  4. selon le Dr. Foxford, le taux de saturation d’oxygène présenté par Nutin à 19h23 (98%) et à 19h27 (96%) est un autre symptôme de détresse respiratoire. Nutin recevait de l’oxygène par masque à 100%. Dans ces conditions, le taux de Nutin aurait dû être de 100% et un taux moindre était une indication de détresse respiratoire.
  1.            Madame Porteous confirme que Nutin présentait des sibilances, wheezing, soit une respiration bruyante audible à l’oreille. Cela est admis par Madame Porteous et cela est confirmé dans le RIP préparé par les techniciens ambulanciers à la fin de l’intervention[32]. Selon la documentation de support fournie aux techniciens ambulanciers dans le cadre de leurs protocoles, une telle présentation signale une réaction anaphylactique[33].
  2.            La définition du terme « détresse respiratoire » dans les protocoles d’intervention applicables donne raison à la demande. Toute difficulté sévère impliquant l’utilisation significative des muscles accessoires suffit pour satisfaire à ce terme, et ce sans besoin de ventilation assistée (masque) et même en l’absence de bruits respiratoires à l’auscultation (ce que Nutin présentait en plus). Le lexique des protocoles d’intervention définit la « détresse respiratoire » comme suit[34] :

« Difficulté respiratoire sévère, impliquant l’utilisation significative des muscles accessoires, sans besoin de ventilation assistée immédiate. L’absence de bruits respiratoires à l’auscultation ou la présence de stridor associée à la difficulté respiratoire sévère doit amener le TAP (technicien ambulancier paramédic) à considérer la situation comme grave, et à agir promptement. »

  1.            Compte tenu de la preuve, le Tribunal conclut que l’ensemble des éléments présents auraient dû amener la technicienne ambulancière à considérer qu’elle était en présence d’un symptôme de détresse respiratoire lié à une réaction anaphylactique ou à une réaction anaphylactique potentielle probable. En effet, le protocole d’appréciation énonce qu’il relève de la responsabilité du technicien ambulancier d’agir de manière à ne pas mettre la vie d’un patient inutilement en danger. Il doit éliminer même le potentiel d’instabilité avant de conclure que le patient n’est pas à risque. À cet égard, le texte du protocole d’appréciation prévoit :

« Dans toute situation, le technicien ambulancier paramédic doit éliminer l’instabilité ou le potentiel d’instabilité avant de conclure que le patient n’est pas à risque[35]. »

« Tout signe ou symptôme que le technicien ambulancier paramédic juge comme mettant en doute la stabilité du patient doit amener celui-ci à agir comme si le patient était instable ou potentiellement instable[36]. »

  1.            À tout événement, suivant les notes explicatives de l’algorithme du protocole MED.17, au moins deux (2) des quatre (4) énoncés à B.ii sont également présents. Nutin présentait de l’urticaire (B.ii (premier point)). Nutin se plaignant effectivement d’une sensation de démangeaison (« itchy ») à sa gorge depuis son premier appel au 911. Il l’a répété aux premiers répondants qui l’ont noté dans leur rapport[37]. Il l’a répété à Madame Porteous dans les premières secondes de leur rencontre (19h25)[38]. Selon Docteur Foxford, la démangeaison est un signe et une manifestation d’urticaire. Le Dr. Brunet ne l’a pas nié et n’a pas témoigné en sens contraire.
  2.            En effet, le lexique du document de support aux protocoles d’intervention donne la définition suivante d’« urticaire » :

« Éruption cutanée prurigineuse »[39].

« Prurit : démangeaisons »[40].

  1.            De même, la démangeaison est mentionnée, dans un texte de base de formation de techniciens ambulanciers, comme un symptôme d’une réaction anaphylactique[41], soit le texte de formation Mosby. C’était un des textes de formation de base de Madame Porteous. Le Dr. Brunet a témoigné que le contenu de ce livre fait effectivement partie des connaissances des techniciens ambulanciers au Québec. Il est clair qu’il s’agit d’un signe et d’un symptôme touchant le système cutané.
  2.            Nous concluons donc que Nutin présentait de l’urticaire.
  3.            Nutin présentait également l’angioœdème (B.ii.2) comme symptôme de réaction allergique à sa consommation d’arachides. Cela a été clairement communiqué à la répartitrice médicale au 9-1-1[42] alors qu’il mentionne qu’il a la gorge enflée. Il a dit qu’il ne parvenait plus à sentir sa langue. Il a clairement communiqué aux premiers répondants que sa gorge était gonflée. Les premiers répondants l’ont noté dans leur rapport[43].
  4.            Selon la prépondérance de la preuve, cette information a été communiquée par les premiers répondants à Madame Porteous lors de leur rapport verbal à elle.
  5.            Madame Porteous est au courant de ce symptôme, car elle pose une question à Nutin par rapport à sa gorge. Il répond qu’il y a une évolution et qu’il sent une différence.
  6.            Selon la preuve, la réaction anaphylactique est susceptible d’évolution rapide et imprévisible et ses symptômes peuvent être changeants[44]. Toutes les parties, les techniciens ambulanciers et les experts le reconnaissent[45]. Il s’agit d’une connaissance de base d’un technicien ambulancier concernant la réaction anaphylactique.
  7.            Le document de support des protocoles d’intervention des techniciens ambulanciers mentionne qu’un gonflement de la gorge est un signe de réaction anaphylactique[46].
  8.            Le protocole d’appréciation oblige le technicien ambulancier à « [n]oter tous les détails pertinents sur l’intervention des premiers répondants »[47]. En effet, le technicien ambulancier agit en relais et doit absolument tenir compte des symptômes et des développements qui ont lieu avant son arrivée afin de les intégrer dans le processus décisionnel et les actions conséquentes à poser pour la suite.
  9.            Le Tribunal conclut que Nutin présentait des symptômes d’angioœdème après avoir ingéré le sandwich contenant les arachides. Cela était ou devait être à la connaissance de Madame Porteous lors de son évaluation à savoir si les symptômes de Nutin satisfaisaient aux conditions d’une réaction anaphylactique.
  10.            La défense reconnait que Nutin présentait une difficulté respiratoire, soit B.ii (point 2). La demande est plutôt d’avis que Nutin présentait une détresse respiratoire. Le Tribunal a déjà conclu que la prépondérance de la preuve appuie ce moyen de la demande. Mais, à tout événement, il est clair que le critère B.ii (point 2) est également satisfait.

  1.            Il en résulte que, dès la première évaluation de la situation de Nutin par les techniciens ambulanciers, celui-ci présentait objectivement et selon le protocole applicable, les symptômes d’une réaction anaphylactique.
  2.            Dans ces circonstances, il incombait aux techniciens ambulanciers de procéder aux prochaines séquences prévues au protocole MED.17. Ces séquences sont prévues de manière claire à l’algorithme déjà reproduit. Lorsque les critères d’inclusion à la section sur la réaction anaphylactique sont satisfaits, les étapes suivantes sont requises :

« 4. Si réaction anaphylactique :

a) Assistance ventilatoire/respiratoire, lorsque requis. Prendre une saturométrie, lorsque possible et indiqué selon l’âge, et administrer de l’oxygène avec masque à haute concentration à 10 L/min ou plus.

b) Monitorage cardiaque par moniteur défibrillateur semi-automatique;

c) Administrer l’épinéphrine intramusculaire 1/1000 dans la cuisse selon le poids;

d) Position de confort;

e) Transport URGENT au centre désigné par le SPU (Service préhospitalier d’urgence);

f) Répéter l’épinéphrine :

• aux 5 minutes, si le patient présente une détérioration;

• aux 10 minutes s’il n’y a pas d’amélioration ou que les critères d’inclusion sont encore présents. »

  1.            Le texte explicatif qui accompagne l’algorithme du protocole MED.17 précise qu’il n’y a « aucun » critère d’exclusion qui s’applique. Il est ainsi clair que les séquences suivantes prévues s’appliquent de manière obligatoire et sans exception.
  2.            La séquence a) prévoit la possibilité de prêter assistance ventilatoire respiratoire, si requise. Il n’y a référence à aucun protocole. Il s’agit de débuter, et si nécessaire, d’ajuster l’assistance ventilatoire par l’entremise d’un masque à oxygène[48]. Le lexique des protocoles d’intervention fournit la définition d’assistance ventilatoire et respiratoire[49] :

« Assistance ventilatoire : Ventilation à pression positive chez le patient dont l’état de conscience est à « P » ou « U » sur l’échelle d’AVPU. »

« Assistance respiratoire : Ventilation à pression positive chez le patient dont l’état de conscience est à « A » ou « V » sur l’échelle d’AVPU. »

  1.            Les premiers répondants se sont déjà occupés de fixer un masque sur Nutin alimenté par de l’oxygène à haute concentration à 10 litres/min. De manière immédiate à l’arrivée, les techniciens ambulanciers remplacent la bonbonne des premiers répondants par la leur.
  2.            En ce qui a trait à la prise de la saturométrie, selon les faits, à l’arrivée des techniciens ambulanciers, la prise au doigt, soit le saturomètre, est rapidement mis et branché au moniteur Zoll. Le registre du moniteur Zoll indique la prise des signes à 19h23.
  3.            La prochaine séquence est décrite à b) : Monitorage cardiaque par moniteur défibrillateur semi-automatique (MDSA), soit le moniteur Zoll. Selon la preuve, cela est fait au tout début de l’arrivée des techniciens ambulanciers. Le registre du moniteur Zoll indique la prise des signes dès 19h23.
  4.            La prochaine séquence est c) : Administrer l’épinéphrine intramusculaire 0,3 mg dans la cuisse. À leur arrivée, les techniciens ambulanciers sont informés que les premiers répondants ont déjà réalisé cette étape[50].
  5.            La prochaine séquence est d) : Position de confort. Or, Nutin est assis sur le lit de la chambre de Marie en position de confort. Cette étape est donc complétée.
  6.            La prochaine séquence obligatoire est prévue à e) : Transport URGENT au centre désigné par le SPU (Services préhospitaliers d’urgence à savoir Urgences-Santé)[51].
  7.            La dernière étape est prévue à f) : Répéter l’épinéphrine :

         aux cinq (5) minutes, si le patient présente une détérioration;

         aux dix (10) minutes s’il n’y a pas d’amélioration ou que les critères d’inclusion sont encore présents.

  1.        Il y a lieu de remarquer que le texte à la séquence e), soit le mot « URGENT », est en lettres majuscules. Il s’agit du seul mot dans les notes explicatives du protocole MED.17 qui est en lettres majuscules à la section portant sur la réaction anaphylactique.
  2.        Dans les circonstances, au plus tard à 19h24, Madame Porteous aurait dû conclure que Nutin présentait les symptômes d’une réaction anaphylactique.
  3.        Madame Porteous enregistre les premiers signes vitaux de Nutin à 19h23. Ainsi, dès 19h23 ou à 19h24, au plus tard, les étapes aux séquences de a) à d) prévues à l’algorithme MED.17 sont réalisées.
  4.        Selon le protocole MED.17, il est alors obligatoire et impérieux d’entreprendre le transport urgent de Nutin à l’hôpital. Selon le témoignage de Madame Porteous, la désignation spécifique de l’hôpital receveur ne faisait pas de doute depuis l’arrivée des techniciens ambulanciers sur place. Il s’agit de l’Hôpital de Verdun, situé à sept cents (700) mètres des lieux où est situé le patient. La durée du trajet est d’une (1) minute ou même moins en y allant avec des gyrophares et sirènes.
  5.        Selon le protocole d’intervention applicable, les mots « Transport Urgent » au protocole MED.17 ont un sens défini et précis. Le niveau d’urgence est le même que si le patient présente une situation clinique instable confirmée. Cela requiert une intervention rapide, un départ hâtif des lieux du patient et une conduite du véhicule ambulancier au cours du trajet vers l’hôpital receveur en urgence. Dans ce cas, les textes prévoient que le véhicule ambulancier se déplace en activant la sirène et les feux d’urgence. Le texte se lit comme suit[52] :

« À la fin de chaque protocole, le niveau d’urgence de chacune des situations rencontrées est noté à travers trois termes :

  1.       Transport URGENT

Implique une situation clinique INSTABLE nécessitant une intervention rapide et un départ hâtif; demande une conduite du véhicule ambulancier vers le centre receveur en urgence,

(10-30 : avec sirène et feux d’urgence).

S’applique à toutes les situations où le patient présente une instabilité et quelques autres exceptions. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Il est à noter que le texte précise qu’il y a lieu d’agir suivant ce niveau d’urgence dans le cas d’une réaction anaphylactique[53] :

« Le mode de transport URGENT s’applique pour les patients instables et les situations suivantes :

MED.17/PED.5 Réaction anaphylactique. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Ainsi, la réaction anaphylactique est assimilée et doit être traitée comme un état instable.
  2.        À la demande de Madame Porteous, Nutin s’est déplacé de la chambre de Marie jusqu’à l’ambulance à l’extérieur à pied. Pour ce faire, Nutin a pris deux (2) minutes et vingt (20) secondes[54]. Nutin a fait la marche, y compris la descente des escaliers, non soutenu, sur ses propres jambes.
  3.        Le moniteur Zoll a fait un enregistrement audio de l’intervention des techniciens ambulanciers. La transcription chronométrée de l’enregistrement est déposée au dossier de la Cour[55]. L’audio de l’enregistrement a été entendu lors de l’instruction. Nutin a commencé son déplacement de la chambre de Marie à 19h36:18 et il l’a terminé à 19h38:38 lorsqu’il est entré dans l’ambulance.
  4.        Après être entrés dans l’ambulance, les techniciens ambulanciers devaient rebrancher Nutin et le sécuriser avant de partir. Selon le technicien ambulancier, Leif Gulddal, le temps nécessaire pour ce faire se situe entre quatre (4) et six (6) minutes. Cela nous paraît exagéré. Nous expliquerons plus tard que la valeur probante et crédible du témoignage de Monsieur Gulddal est faible. Pour les fins de reconstitution et dans le contexte d’un départ hâtif suivant les règles régissant un transport urgent, il y a lieu d’appliquer au plus, le chiffre le moins élevé, soit quatre (4) minutes.
  5.        Il en découle que les techniciens ambulanciers auraient dû quitter les lieux à 19h30:20 (19h24:00 + 2:20 + 4:00). Or, ils sont partis à 19h47, quelques dix-sept (17) minutes plus tard.
  6.        Selon la preuve prépondérante, le temps requis pour le transport des lieux à l’hôpital de Verdun était d’une (1) minute. Cette durée provient du document officiel émis par la défenderesse venant du système de GPS du véhicule ambulancier utilisé pour le trajet[56]. Depuis le début des procédures judiciaires, il y a environ cinq (5) ans, la défenderesse a eu toutes les opportunités pour constituer une preuve que la durée réelle est plus longue. Elle ne l’a pas fait. Dans son témoignage, Monsieur Gulddal est imprécis. Il se réfère à une durée de trois (3), quatre (4) ou cinq (5) minutes. Dans les faits, la preuve révèle une durée moins longue, soit de trois (3) minutes[57]. Nous y reviendrons.
  7.        Il est admis par la défense que, malgré les règles claires concernant le transport requis en mode urgent, les techniciens ambulanciers n’ont pas activé les sirènes. Ainsi, ils auraient pu, s’ils l’avaient voulu, aller plus vite conformément aux règles prévues par les protocoles applicables. Nous verrons plus tard que d’autres raisons ont retardé le trajet.
  8.        Nous concluons donc que la durée du trajet aurait dû être d’une (1) minute au plus. Ainsi, les techniciens ambulanciers auraient pu arriver à l’Hôpital de Verdun vers 19h31:20. Ils sont arrivés à 19h50:04, soit près de dix-neuf (19) minutes plus tard. Nous verrons qu’en raison des fautes des techniciens ambulanciers et d’Urgences-Santé, après leur arrivée, la prise en charge de Nutin par le personnel hospitalier est encore retardée.
  9.        Au cours de la période où les techniciens ambulanciers avaient la charge de Nutin, sa condition médicale se détériorait de manière graduelle et à la fin de cette période (19h46 à 19h50), elle s’est détériorée de manière précipitée et radicale.
  10.        Après une première période de détérioration graduelle, à partir de 19h40, les signes vitaux de Nutin sont en crise avec une fréquence respiratoire de quarante (40) par minute, de même qu’une fréquence cardiaque et une dyspnée en hausse importante[58]. Au cours des prochaines cinq (5) minutes, l’état de santé de Nutin continue de se détériorer.
  11.        À 19h45, la fréquence respiratoire de Nutin est encore surélevée (40), sa fréquence cardiaque est à cent-quarante-deux (142) par minute, son oxygène baisse à 92%, même s’il reçoit de l’oxygène à 100% par son masque et sa dyspnée monte de manière fulgurante[59]. Or, de manière étonnante et en violation de la teneur des protocoles d’intervention applicables, de 19h31 à 19h47, les techniciens ambulanciers restent toujours sur place avec Nutin et ne quittent pas pour l’hôpital.
  12.        À 19h46, Nutin est en crise respiratoire et ses signes vitaux sont en crise. Les techniciens ambulanciers qualifient enfin son état comme instable, communiquent cette information à leur centre de communication et se préparent à partir[60].
  13.        À 19h47:04, dans ces circonstances de crise aigüe, l’ambulance quitte enfin les lieux en direction de l’hôpital.

3.2.6. L’arrivée tardive de Nutin à l’hôpital, l’absence de préavis donné à l’hôpital, situation chaotique et non préparée à l’hôpital lors de l’arrivée de Nutin

  1.        Le transport de Nutin à l’Hôpital de Verdun aurait dû être effectué dans un délai maximal d’une (1) minute. Dès l’arrivée de Nutin à bord de l’ambulance à l’hôpital, l’équipe hospitalière aurait dû pouvoir le prendre en charge et lui prodiguer les soins requis par son état de santé. En raison d’une série d’erreurs et d’omissions d’UrgencesSanté, le délai pour le faire a été inutilement retardé d’au moins cinq (5) minutes.
  2.        Le technicien ambulancier Monsieur Gulddal a attendu jusqu’à 19h46:45 pour demander et obtenir confirmation par radio de l’hôpital receveur[61]. Cela aurait pu et dû être fait à 19h24, lorsque les techniciens ambulanciers auraient dû quitter l’appartement, soit près de vingt-trois (23) minutes plus tôt.
  3.        Dans son interrogatoire au préalable, Monsieur Gulddal a déclaré qu’il avait obtenu cette confirmation vers 19h30. En effet, c’est à ce moment que, selon l’enregistrement audio de l’intervention, Madame Porteous a déclaré qu’elle avait l’intention d’aller à l’hôpital[62]. Selon les notes personnelles préparées par Monsieur Gulddal lors de son interrogatoire, il a même indiqué qu’il a fait cet appel à 19h30[63].
  4.        À l’instruction, il est ressorti qu’il n’avait pas, contrairement à ses dires, fait l’appel requis à ce moment.
  5.        Avant leur départ, les techniciens ambulanciers doivent aviser les responsables d’urgence à l’hôpital receveur. Il n’y a rien qui empêchait Madame Porteous (ou Monsieur Gulddal) de faire l’appel de préavis dans les meilleurs délais après confirmation de l’hôpital receveur qui aurait dû être reçue vers 19h24. Madame Porteous explique que, pour faire cet appel, elle devait utiliser le téléphone fixe installé dans l’ambulance. Tel que déjà noté, Madame Porteous aurait dû être à l’ambulance vers 19h26:20. Or, Madame Porteous est à l’ambulance vers 19h38:38. Mais même à ce moment, elle ne fait pas l’appel de préavis à l’hôpital.
  6.        C’est seulement à 19h47:31, après que l’ambulance a commencé son trajet, que Madame Porteous tente enfin de rejoindre l’Hôpital de Verdun. Or, le téléphone de l’ambulance ne fonctionnait pas. Madame Porteous a témoigné qu’il y avait en fait un problème généralisé et connu de tous, que les téléphones dédiés à cette fin dans les ambulances pouvaient ne pas fonctionner. Selon Madame Porteous, à peu près 10% des téléphones dans les ambulances ne fonctionnent pas à ce moment. À 19h48:11, Madame Porteous essaie de nouveau, mais le téléphone ne fonctionne toujours pas[64].
  7.        À 19h48:31, Madame Porteous décide de demander à Monsieur Gulddal de communiquer avec le répartiteur de 9-1-1 afin qu’il avise l’Hôpital de Verdun qu’ils venaient de manière immédiate avec le patient[65] : "Can you just let them… can you ask… just warn them that we’re coming in right now ".
  8.        Monsieur Gulddal fait plusieurs communications et interventions avec le répartiteur pour transmettre sa demande et pour tenter de se faire comprendre[66].
  9.        À 19h50:04, l’ambulance arrive à l’hôpital[67]. Or, personne de l’hôpital n’est présent pour les recevoir ou pour recevoir Nutin. Monsieur Gulddal témoigne que lorsqu’ils arrivent à l’hôpital, il n’y a personne de l’hôpital pour les recevoir et pour prendre en charge le patient. Ils attendent et l’ambulance est à l’arrêt[68]. À 19h50:09, les techniciens ambulanciers ouvrent la porte arrière[69]. Selon la preuve, ce n’est qu’à 19h50:26 que le répartiteur d’Urgences-Santé termine son appel à la responsable à l’hôpital[70].
  10.        Malheureusement, à 19h50:26, le répartiteur donne à la responsable de l’hôpital des informations erronées. Voici le message du répartiteur[71] :

« Ça [véhicule ambulancier 124] arrive dans quelques minutes avec un jeune homme de 18 ans, allergie aux arachides, conscient, respire, mais instable, j’ai pas d’autres infos, merci. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Ainsi, les membres du personnel hospitalier d’urgence sont avisés à 19h50:26 qu’ils ont encore quelques minutes avant l’arrivée de l’ambulance, alors que les techniciens ambulanciers sont déjà sur place, en attente, et Nutin est en crise d’arrêt respiratoire. Néanmoins, des membres de l’équipe hospitalière arrivent. Nutin est transporté vers la salle de choc de manière immédiate.
  2.        Cependant, selon la preuve, en raison de l’absence de préavis et le message tardif et erroné transmis à l’hôpital par le répartiteur, la salle de choc et son équipe ne sont pas prêtes à recevoir Nutin ni à lui administrer les soins requis par son état de santé en crise.
  3.        Dans son témoignage, Monsieur Gulddal fait état d’une réception chaotique de Nutin à l’hôpital. Selon Monsieur Gulddal, le personnel de l’hôpital n’est pas prêt à les recevoir. Monsieur Gulddal suit le patient dans la salle de réanimation (salle de choc). Selon Monsieur Gulddal, la salle n’est pas prête à recevoir le nouveau patient et il y a eu un délai de transition.
  4.        Il a donc pris au moins trois (3) minutes additionnelles (19h50 à 19h53)[72] avant qu’un membre de l’équipe de la salle de choc commence à examiner Nutin. Il a pris deux (2) autres minutes pour faire une première intervention, soit l’administration d’une épinéphrine à 19h55[73].
  5.        À la suite d’un appel de l’équipe de la salle de choc, l’inhalothérapeute arrive et sa première note est inscrite à 20h00[74]. Or, avant le départ de l’ambulance (19h46), Nutin est en crise, en arrêt respiratoire et au cours du transport de l’ambulance, la couleur de sa peau a changé à une coloration bleutée.
  6.        Tel que mentionné, le temps de transport à l’hôpital aurait dû être d’au plus une (1) minute. À l’arrivée à l’hôpital, l’équipe d’urgence aurait dû pouvoir prendre en charge de manière immédiate Nutin et lui prodiguer les soins d’urgence requis. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit. En plus de l’omission d’aviser l’hôpital plus tôt et de l’omission d’activer les sirènes, il est clair que le retard est également causé par les multiples difficultés et interventions supplémentaires requises en raison de l’omission d’aviser au préalable l’hôpital et de tenter sans succès de pallier au problème de la défaillance du téléphone fixe dans l’ambulance.
  7.        Plutôt que d’une durée d’une (1) minute, il a pris au moins six (6) minutes (19h47 à 19h53), et ce dans les circonstances de crise, de détérioration radicale de l’état de Nutin, depuis le départ des lieux à la prise en charge de Nutin par le personnel de la salle de choc dans des conditions difficiles et chaotiques.
  8.        Les retards de traitement ont donc été également causés par les erreurs, omissions et fautes en lien avec le manque de préavis à l’hôpital attribuable aux techniciens ambulanciers et à Urgences-Santé. Nous y reviendrons.

3.2.7. Le décès de Nutin

  1.        Lors du transport vers l’hôpital, Nutin est dans un état instable, en panique et agité, car il ne peut plus respirer. Il est en arrêt respiratoire. Il dit à répétition "I’m dying" ou "I’m going to die"[75]. Marie, assise dans l’ambulance, voit la couleur de la peau de Nutin changer à bleu. Nutin perd conscience. À l’hôpital, l’équipe médicale d’urgence ne peut pas stabiliser son état avant qu’il ne subisse un arrêt cardiaque à 20h04 pour une durée prolongée de vingt-et-une (21) minutes.
  2.        Dans son rapport, le médecin expert de la défense, le Dr. Brunet, résume certains des éléments à partir des notes de l’équipe hospitalière au dossier médical[76].

« À son arrivée dans la salle de choc, l’état de Feu Nutin est décrit comme « cyanose du visage… bleuté et agité ». La note médicale mentionne qu’il ne répond pas aux ordres et que le murmure vésiculaire était très abaissé des deux côtés à l’auscultation pulmonaire. Aucune valeur de tension artérielle n’est possible ni de saturation. Selon les notes de l’inhalothérapeute, Feu Nutin ne respire pas, ou à peine.

Une prescription (verbale) d’épinéphrine 0.5 mg IM est faite par le médecin et cette dose est administrée à 19h55. Un accès veineux est obtenu à 19h57.

Une baisse de pouls est remarquée par le médecin et il demande qu’une dose d’atropine 0.5 mg intraveineuse soit administrée à 19h58. »

  1.        À 20h04, l’électrocardiogramme et les autres instruments médicaux indiquent une asystolie, soit l’arrêt de toute activité électrique de cœur. Des efforts de réanimation sont entrepris sans relâche, des doses d’épinéphrine intraveineuses sont administrées à toutes les trois (3) minutes pour un total de sept (7) doses. Également, une perfusion d’épinéphrine intraveineuse est débutée lors de l’administration de la deuxième dose d’épinéphrine[77].
  2.        Les deux (2) premières tentatives d’intubation ne fonctionnent pas en raison de la présence de sécrétions et vomissures. À 20h12, une intubation est réussie.
  3.        À 20h25, un pouls est perçu. L’arrêt cardiaque a duré vingt-et-une (21) minutes. Nutin ne peut pas respirer par lui-même. Il respire de manière artificielle à l’aide d’un ventilateur en mode pression. Nutin ne reprend jamais conscience.
  4.        Le 29 octobre 2017, en soirée, Nutin est transféré à l’Hôpital Royal Victoria. Le 30 octobre 2017, Nutin est transféré aux soins intensifs du même hôpital.
  5.        Le 31 octobre 2017, un examen radiologique par scan cérébral révèle des dommages cérébraux massifs. Un test plus approfondi est commandé.
  6.        Avec l’accord de la famille, l’hôpital essaie de voir si Nutin peut respirer sans ventilateur respiratoire. Marie espère de tout cœur que Nutin puisse le faire. Marie écrit un message texte au numéro du téléphone cellulaire de Nutin[78].

« It’s your time to shine baby boy I love you and im with you forever. You have all my strength and yours too. »

  1.        La famille et les amis de la famille arrivent dans la salle d’hôpital et font des chants autochtones et pratiquent des coutumes autochtones pour soutenir Nutin. Malheureusement, le détachement temporaire du ventilateur révèle que Nutin ne peut pas respirer sans l’appareil respiratoire à pression.
  2.        Le 1er novembre 2017, le résultat de l’examen plus approfondi de l’état cérébral de Nutin confirme des dommages cérébraux massifs et irréversibles.
  3.        Le 2 novembre 2017, l’équipe médicale conclut à la mort cérébrale de Nutin. Selon l’hôpital et le Directeur de l’état civil, la mort de Nutin a donc lieu le 2 novembre 2017[79].
  4.        Compte tenu de la conclusion médicale de mort cérébrale, à la suite de l’intervention de l’hôpital, la famille autorise la cessation des traitements de support de vie. Les parents de Nutin, sa sœur, Marie, les grands-parents de Nutin, les amis de Nutin et de la famille McFarland organisent des chants et rites autochtones de nature funéraire dans la salle d’hôpital de Nutin, avec l’autorisation de l’hôpital. Le 3 novembre 2017, suite à l’arrêt des traitements de support, Nutin décède à 13h20. Il avait dix-huit (18) ans et quatre (4) mois.
  5.        La famille transporte le corps de Nutin à la réserve Maliotenam où il sera inhumé.

3.2.8. Les procédures judiciaires

  1.        Le 16 octobre 2020, les demandeurs déposent à la Cour la présente demande. Le 19 octobre 2020, la demande est signifiée à Urgences-Santé[80]. Les demandeurs allèguent la négligence de la défenderesse et de ses employés, à savoir les techniciens ambulanciers[81]. Ils allèguent en particulier que les techniciens ambulanciers ont été négligents en ne faisant pas le transport de Nutin à l’Hôpital de Verdun avec la diligence requise par son état de santé et qu’ils n’ont pas respecté les règles prévues aux protocoles d’intervention applicables et aux règles de l’art applicables[82]. Ils réclament 610 000 $. Au début du procès, ce montant est augmenté à 670 000 $[83]
  2.        Le 30 novembre 2020, un protocole commun d’instance est produit par les parties. La défenderesse allègue qu’elle et les membres de son personnel ont fourni des soins conformes aux règles de l’art, que le temps de transport était effectué dans un délai approprié, qu’il n’y a pas de lien entre les prétendues fautes et le décès du patient et que les dommages réclamés sont injustifiés et déraisonnables[84].
  3.        Le 1er avril 2022, les parties déposent une déclaration commune pour enquête et audition. Aucune des deux parties n’annonce une preuve d’expertise de la part d’un technicien ambulancier. La seule preuve d’expertise annoncée qui porte sur le respect des règles de l’art applicables est celle de médecins d’urgence (urgentologues).
  4.        Le 5 octobre 2023, le procès pour instruction est fixé au 9 juin 2025.


4. Analyse et décision

  1.        Compte tenu de leurs obligations en vertu de la loi, y compris les protocoles d’intervention applicables, Urgences-Santé et ses techniciens ambulanciers ont-ils commis des fautes envers Nutin en omettant de lui prodiguer les soins requis, notamment en omettant d’effectuer un départ hâtif des lieux et d’effectuer un transport urgent de Nutin à l’hôpital ?

4.1. Faute ou non de la défenderesse et de ses techniciens ambulanciers

4.1.1. Principes juridiques généraux

  1.        L’article 1457 C.c.Q. prévoit la règle générale devant guider le Tribunal :

« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde. »

  1.        Dans Harvey c. Ville de Québec (Service de police), la Cour supérieure a résumé les principes juridiques applicables à la responsabilité d’un technicien ambulancier[85] :

« [294] Comme le policier, le paramédic peut engager sa responsabilité dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, s’il est démontré qu’il ne s’est pas comporté comme un paramédic raisonnablement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances. Le Tribunal ne doit pas se demander « si une meilleure décision aurait pu être prise, mais bien si celle qui a été prise s’écarte d’une conduite raisonnable »

[…]

[296] L’obligation du paramédic en est une de moyen et non de résultat, il doit prodiguer des soins conformément aux protocoles d’intervention clinique à l’usage des ambulanciers-paramédics (PICTAP) élaboré par le ministre et vérifier les signes ou symptômes permettant leur application.

[297] Il faut se garder « de scruter a posteriori, dans la quiétude de son cabinet, la conduite » du paramédic. L’intervention des paramédics, tout comme celle des policiers, survient dans un contexte d’urgence, ne permettant pas de longues réflexions avant qu’une décision ne soit prise. Ce contexte doit être pris en compte dans l’évaluation de la conduite des paramédics.

[298] Le fardeau de preuve des divers éléments entraînant la responsabilité des paramédics, la faute, les dommages et le lien de causalité entre ceux-ci, repose sur les demandeurs. Cette preuve peut être directe ou établie par présomptions, dans la mesure où celles-ci sont graves, précises et concordantes.

[299] Tout comme pour les policiers, cette preuve doit être « claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités » applicable en l’espèce.

[300] C’est à la lumière de ces principes que le Tribunal procède à l’analyse de la responsabilité des paramédics œuvrant pour la CTAQ. »

4.2. Preuve d’expertise

4.2.1. Les points faisant l’objet de preuve d’expertise

  1.        La demande et la défense ont administré une preuve d’expert sur les questions en litige, en particulier à savoir si les techniciens ambulanciers ont respecté les protocoles d’intervention applicables en l’espèce.

4.2.2. La preuve d’expertise en demande

  1.        Les demandeurs ont présenté le Dr. Robert J. Foxford comme témoin expert. Dr. Foxford est urgentologue depuis quarante-six (46) ans, soit depuis 1979, principalement (depuis 1982) à l’Hôpital Royal Victoria. À la suite des réorganisations administratives, cet hôpital est actuellement une partie constitutive du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Le Dr. Foxford est médecin au Collège des médecins du Québec et membre de l’Association des médecins spécialistes en médecine d’urgence du Québec. Il a réussi avec succès la formation reconnue au Canada comme étant la plus complète dans le domaine de la médecine d’urgence, soit celle dispensée par le Collège royal des médecins et chirurgiens au Canada (Collège Royal)[86]. Dr. Foxford a déjà donné des formations pratiques aux techniciens ambulanciers d’Urgences-Santé dans le domaine des soins avancés, dispensées par l’Université de Montréal de 2016 et 2017[87].


  1.        Le Dr. Foxford a été reconnu comme expert auprès du Tribunal comme urgentologue ayant reçu l’accréditation du Collège Royal et qui a une expérience dans la formation des techniciens ambulanciers paramédics[88]. Dans son rapport d’expertise[89] et lors de son témoignage, le Dr. Foxford a notamment mentionné :
  1. qu’il est connu dans le domaine de la médecine d’urgence et des techniciens ambulanciers que l’allergie aux arachides est parmi les plus mortelles de tout produit allergène;
  2. que le seul médicament reconnu pour réagir efficacement contre une réaction anaphylactique est l’épinéphrine (qui est en fait l’adrénaline), et que cela fait partie des connaissances généralisées de base des techniciens ambulanciers;
  3. la réaction anaphylactique est connue pour son évolution rapide, changeante et imprévisible. La réaction anaphylactique est à haut risque d’engendrer des défaillances aux systèmes critiques du corps pouvant entrainer des conséquences mortelles. Cela fait partie des connaissances généralisées de base des techniciens ambulanciers;
  4. le protocole d’intervention en soins préhospitaliers des techniciens ambulanciers, applicable à une réaction allergique/anaphylactique est le MED.17. Ce protocole d’intervention exige le départ hâtif des lieux et le transport urgent à l’hôpital du patient qui présente des symptômes susceptibles de constituer ou d’évoluer vers une réaction anaphylactique;
  5. l’objectif de l’administration immédiate (et à répétition) de l’épinéphrine au patient sur les lieux est de contrer les effets de la réaction anaphylactique afin de permettre le transport du patient à un milieu hospitalier où sont disponibles les soins médicaux avancés pour contrer et gérer une réaction anaphylactique et sauver la vie du patient qui subit une réaction anaphylactique. Les soins avancés disponibles à l’hôpital, notamment l’équipement spécialisé, les spécialistes, les médicaments spécialisés sont multiples et de grande variété et permettent à l’équipe médicale, notamment lorsque le patient ne peut respirer par les voies respiratoires normales, d’effectuer une intubation par voie chirurgicale, afin de permettre la continuité de la respiration par le patient au cours et jusqu’à la fin de la réaction anaphylactique afin de sauver la vie du patient.

  1.        Selon le Dr. Foxford, Nutin présentait, à l’arrivée des techniciens ambulanciers, les symptômes confirmant qu’il subissait une réaction anaphylactique. Dès lors, dans la mesure où l’administration, à deux (2) reprises du salbutamol (ventolin) sur les lieux par les techniciens ambulanciers, a entrainé un retard du départ vers l’hôpital, cela était contraire au protocole d’intervention applicable, soit le MED.17 et sa finalité. L’administration du salbutamol n’est d’aucune efficacité pour contrer une réaction anaphylactique. Selon la preuve, le salbutamol aurait pu être administré au patient en route et après le départ de l’ambulance vers l’hôpital.
  2.        En l’espèce, le Dr. Foxford est d’avis que les techniciens ambulanciers ont failli de respecter leur propre protocole, soit le MED.17. Devant la présentation des signes et des symptômes d’une réaction anaphylactique, les techniciens ambulanciers ont commis une faute en attendant vingt-cinq (25) minutes sur les lieux (19h22 à 19h47).
  3.        Le Dr. Foxford souligne que des soins préhospitaliers avancés étaient pleinement disponibles à une distance d’une (1) minute des lieux, soit à l’Hôpital de Verdun.
  4.        À son avis, en agissant comme ils l’ont fait et en omettant de partir de manière hâtive et d’effectuer un transport urgent de Nutin à l’hôpital, Urgences-Santé et ses techniciens ambulanciers ont violé le protocole applicable et les règles de l’art. Ils ont privé Nutin de pouvoir recevoir les soins requis au moment nécessaire, ce qui a entrainé son décès.
  5.        Dans son rapport, Dr. Foxford s’exprime en partie comme suit[90] :

"Urgences-Santé paramedics Samantha Porteous and Leif Gulddal were called to respond to a serious peanut allergy and arrived at the scene at 19:22. It would be important to recognize peanut allergies have the highest mortality of any known allergen. Paramedics are well-aware of the seriousness of peanut allergies and the potentially lethal consequences.

The paramedics were given a verbal report that the first responders had administered an EpiPen minutes earlier at 19:17. Upon their arrival the paramedics immediately noted and documented that Mr. McFarland was having difficulty with breathing and was wheezing.

It is at this juncture, that a singular error of failure to urgently transport to hospital unfolds. The protocol for Urgences-Santé clearly states that once Epinephrine has been administered, “urgent” transport to hospital is indicated. As the first responders are an integral part of the clinical intervention and they had administered the first EpiPen at 19:17, the timeline for urgent transportation began at 19:17. This was indeed the time for urgent transport, yet tragically, and for no explainable reason this does not happen.


After an evaluation, and despite Mr. McFarland saying he does not feel well, a Ventolin inhalation is given at 19:26. He is kept on site and observed.

Beyond administering Epinephrine in the field, there is no advanced therapy available to a patient out of hospital suffering from anaphylaxis. Anaphylaxis is a complicated multisystem medical emergency, and rapid advanced medical care, that was only 1 minute away, is what Mr. McFarland needed.

At 19h30 the paramedics are notified that the destination hospital is Verdun Hospital. Knowing that this emergency department was so close by, they should have left immediately. At 19:32, after 15 minutes of receiving the first EpiPen, the paramedics give the second dose of Epinephrine. This act is an acknowledgement that this patient’s symptoms were getting worse. In addition, Mr. McFarland clearly states he is having difficulty breathing. Yet again, there is no urgent transport to hospital.

Finally, at 19:36 they go down to the ambulance and enter at 19:38. Mr. McFarland states again that he is having difficulty breathing, but the ambulance does not leave despite being 1 minute away from advanced medical care.

During this time, it is important to note by Mr. McFarland’s girlfriend’s testimony, he was continually telling the paramedics he did not feel well and that he was having difficulty breathing which was worsening. On the audio recording of the Urgences-Santé intervention, Mr. McFarland is heard coughing, and he expresses that he is “feeling very dizzy”, he “feels confused”, his “throat not feeling any better” and he is having increased difficulty breathing.

By 19:40 (still in a parked ambulance) Mr. McFarland’s respiratory rate was 40, an indication of acute respiratory failure from anaphylaxis. Another delay occurs when the decision is taken to give a Ventolin inhalation at 19:40. This was a useless intervention at this point because this could not improve his anaphylactic reaction.

At 19:42 a third Epinephrine is administered, yet no movement of the ambulance.

Another unexplainable delay occurs until at 19:45 his saturations (level of oxygen in the blood) are decreasing and respiratory rate is again critically high and he starts to arrest. At this point in the audio recording, you can hear Mr. McFarland panicking and paramedic Samantha Porteous reassuring him that he is not going to die.

Departure finally begins at 19:47 and the ambulance arrives at 19:49 with a patient near death in respiratory arrest.


I have reviewed the literature and protocols of many institutions and resources which all state immediate transportation to hospital is indicated for anaphylaxis as soon as an EpiPen or epinephrine is administered. The acknowledgement that anaphylaxis is a serious and life-threatening event is a medical reality. I have been unable to find any evidence to support delayed transport as happened in this case.

I have concluded that Urgences-Santé failed to follow their own protocol by inexplicably delaying Mr. McFarland’s transport by 30 minutes. Once they knew that Mr. McFarland had received an EpiPen, urgent transport was required by their own protocol. Significantly, in the case of Mr. McFarland, the advanced medical therapy he required was only 1 minute away. Had the Urgences-Santé paramedics urgently transported Mr. McFarland it is highly likely that he would have survived.”

4.2.3. La preuve d’expertise en défense

  1.        La défense a présenté le Dr. Jocelyn Brunet comme témoin expert.
  2.        Le Dr. Brunet détient une formation en médecine de famille et pratique à titre d’urgentologue depuis 1995. Il a travaillé à l’Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe et à l’Hôpital Pierre-Boucher à Longueuil. Depuis 1998, il occupe également des fonctions administratives et de gestion notamment comme chef du département de médecine d’urgence à Saint-Hyacinthe (1998-2010), chef du département des soins intensifs du CISSS Montérégie-Est (2018 à ce jour), membre du comité exécutif du Conseil des médecins dentistes et pharmacies (CMDP) et du Réseau local des services (RLS) de Montérégie-Est (2015 à ce jour).
  3.        Il a été reconnu par le Tribunal comme témoin expert en médecine d’urgence et comme urgentologue.
  4.        Dans son rapport, le Dr. Brunet fait un résumé des faits du dossier, y compris les événements du 29 octobre 2017, l’intervention des premiers répondants et des techniciens ambulanciers, et les soins administrés à Nutin à l’Hôpital de Verdun et à l’Hôpital Royal Victoria[91].
  5.        Le Dr. Brunet formule son mandat comme étant de fournir son avis à savoir si les soins prodigués par les techniciens ambulanciers lui semblent conformes aux règles de l’art qui leur sont applicables[92].


  1.        Le Dr. Brunet paraît admettre que dès l’arrivée des techniciens ambulanciers sur les lieux, Nutin présentait les symptômes d’une réaction anaphylactique. Il fait ce commentaire au sujet des symptômes présentés lors de l’arrivée des premiers répondants[93] :

« Ils [les premiers répondants] ont bien reconnu que Feu Nutin McFarland présentait des signes de réaction allergique de type anaphylactique. Ils ont ensuite donné un traitement indiqué dans les circonstances et sans délai, soit l'injection d'une dose standard d’épipen. Ils ont donc appliqué à la lettre le protocole d'intervention dans le respect des règles de l'art. »

  1.        Dans son témoignage, le Dr. Brunet n’a pas nié la présence de ces symptômes lors de l’arrivée des techniciens ambulanciers. Ainsi, dès l’arrivée des techniciens ambulanciers et leur examen initial de Nutin, ils savaient ou devaient savoir que Nutin subissait une réaction anaphylactique.
  2.        Cela confirme l’erreur de Madame Porteous de ne pas reconnaître tout de suite qu’il s’agissait d’un cas de réaction anaphylactique et l’omission d’appliquer de manière immédiate les étapes prévues au protocole MED.17.
  3.        Le Dr. Brunet est cependant d’avis qu’il faut tenir compte du fait que le patient a pu « bénéficier » du salbutamol, car il a dit qu’il se sentait mieux à 19h27 à la suite de ce traitement[94].
  4.        Dans son rapport, le Dr. Brunet reconnait que les délais pris pour le départ peuvent « paraître relativement longs », mais il y a lieu de noter que le patient était, pendant un certain temps, dans un état stable. Compte tenu de la preuve, une telle affirmation surprend et parait en contradiction avec le protocole d’intervention MED.17. Le Dr. Brunet paraît ainsi suggérer qu’il n’est pas nécessaire de se conformer à l’exigence de transport urgent prévu dans le protocole d’intervention MED.17 si le patient est dans un état stable, même s’il présente les symptômes d’une réaction anaphylactique.
  5.        Le Dr. Brunet ne commente pas non plus que l’état médical de Nutin se détériorait graduellement au cours de la période où les techniciens ambulanciers en avaient la charge. Il ne commente pas les conséquences de cette détérioration ni la fréquence accrue requise par le protocole MED.17 de l’administration de l’épinéphrine toutes les cinq (5) minutes.
  6.        Dans son témoignage, le Dr. Brunet exprime ne pas voir de problème à se départir de l’application du protocole MED.17 pour entreprendre un traitement « parallèle » pour améliorer la respiration du patient.
  7.        Selon le Dr. Brunet, ce n’est que dans les deux (2) ou trois (3) dernières minutes que la condition de Nutin s’est rapidement détériorée (19h46 à 19h49)[95];

« Selon le cours des événements, ce n’est que dans les deux à trois dernières minutes que la condition de Feu Nutin s’est rapidement détériorée.

[…]

Il a malheureusement souffert d’une détérioration très rapide dans les deux à trois dernières minutes avant son arrivée au centre hospitalier.

[…]

Comme le démontrent les données du dossier médical, l’état clinique de Feu Nutin McFarland s’est détérioré très rapidement juste avant son arrivée dans la salle de choc du centre hospitalier. »

  1.        Selon le Dr. Brunet, il y a deux (2) différentes visions d’intervention en soins préhospitaliers qui ne font pas toujours consensus, soit entre le « ramasser et courir » (Scoop and Run) et une deuxième méthode pour stabiliser le patient en prodiguant les soins plus avancés, soit « rester et pratiquer » (Stay and Play). Comme nous verrons ultérieurement, le Dr. Brunet ne dépose aucune preuve d’un tel débat, en particulier pour une personne subissant une réaction anaphylactique.
  2.        De plus, selon le Dr. Brunet, si les techniciens ambulanciers ont fait des erreurs dans l’application des protocoles, ces erreurs n’ont pas causé le décès de Nutin.
  3.        Ni dans son rapport d’expertise ni dans son témoignage, le Dr. Brunet ne traite de l’exigence dans le protocole MED.17 en cas de réaction anaphylactique de faire un départ hâtif des lieux et de partir de manière urgente à l’hôpital. Il ne commente pas l’omission des techniciens ambulanciers de mettre les sirènes lors du transport.
  4.        Avec l’autorisation du Tribunal, le Dr. Brunet a préparé et déposé un rapport complémentaire[96] concernant les conséquences du défaut du caractère fonctionnel du téléphone installé dans l’ambulance et de l’absence d’un préavis à l’hôpital. Dans son rapport complémentaire, le Dr. Brunet attribue à ce défaut un délai additionnel de deux (2) minutes pour prodiguer des soins hospitaliers à Nutin. Or, nous avons vu qu’il s’agit plutôt d’un délai additionnel d’au moins cinq (5) minutes[97] (19h47 à 19h53), car la durée maximale du transport à l’hôpital aurait dû être d’une (1) minute.
  5.        Le Dr. Brunet ne commente pas non plus le retard additionnel à administrer les soins à l’hôpital en raison de l’arrivée de Nutin à l’hôpital dans des conditions chaotiques au motif de l’absence d’un préavis à l’hôpital en temps opportun.


4.2.4. L’absence de preuve d’expertise d’un technicien ambulancier

  1.        La défenderesse plaide à l’instruction que, pour que les demandeurs puissent décharger leur fardeau de preuve de faute et d’omission par rapport aux règles de l’art applicables aux techniciens ambulanciers, il leur incombait d’administrer une preuve d’expert d’un technicien ambulancier. Ce moyen n’a pas été mentionné dans l’exposé des moyens de défense de la défenderesse. Ce moyen est mal fondé.
  2.        Au soutien de ce moyen, la défenderesse se réfère à un paragraphe du jugement Harvey[98]. Avec égards, ce paragraphe est cité par la défenderesse hors contexte. Il peut toujours être utile, tant en demande qu’en défense, d’administrer une preuve d’expertise par une certaine personne ayant une certaine expérience, mais il n’y a aucun monopole ou exclusivité d’une catégorie de personnes quant à la preuve pertinente pour démontrer une faute d’une personne en vertu de l’article 1457 C.c.Q. Les exemples sont légion. Par exemple, afin d’établir la commission d’une faute par un policier ou par un pompier, il n’est pas requis d’administrer une preuve d’expertise d’un autre policier ou d’un autre pompier à cet égard. L’article 2857 C.c.Q. prévoit :

« 2857. La preuve de tout fait pertinent au litige est recevable et peut être faite par tous moyens. »

  1.        De plus, en l’espèce, ce moyen de la défenderesse est en contradiction avec la preuve administrée par elle devant le Tribunal. En effet, la défense a administré la preuve d’expertise de Dr. Brunet. Celle-ci porte de manière explicite sur la conformité des gestes posés quant aux règles de l’art applicables aux techniciens ambulanciers. Il y a lieu de noter que la preuve d’expertise de Dr. Foxford fait de même.
  2.        En l’espèce, il y a lieu de conclure qu’un contrat judiciaire est intervenu entre les parties au moment du dépôt de la déclaration commune pour enquête et audition que le débat sur la responsabilité et la faute des techniciens ambulanciers se fera à partir de l’administration d’une preuve d’expertise des médecins spécialisés en médecine d’urgence.
  3.        En matière de responsabilité civile, il est primordial de tenir compte du contexte de la faute reprochée. Dans le paragraphe cité par la défenderesse du jugement Harvey, il s’agit de décider des allégations concernant un autre type de faute alléguée. Par ailleurs, dans cet autre jugement, il y a eu administration d’une preuve d’expert en demande d’un technicien ambulancier, non contestée par une expertise en défense, et la Cour n’a tout de même pas retenu la responsabilité d’un technicien ambulancier.
  4.        Dans le présent dossier, la demande a administré une preuve d’un expert en médecine d’urgence sur la question de la faute des techniciens ambulanciers. La demande reproche à la défenderesse et à ses techniciens ambulanciers de ne pas avoir respecté leurs propres protocoles auxquels ils sont tenus en vertu de la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence[99].
  5.        La responsabilité de la défenderesse et de ses techniciens ambulanciers est définie et encadrée par cette loi. Il y a lieu de se référer aux articles suivants :

« 1. La présente loi vise à ce que soit apportée, en tout temps, aux personnes faisant appel à des services préhospitaliers d’urgence une réponse appropriée, efficiente et de qualité ayant pour but la réduction de la mortalité et de la morbidité à l’égard des personnes en détresse.

À cette fin, elle encadre l’organisation des services préhospitaliers d’urgence et favorise leur intégration et leur harmonisation à l’ensemble des services de santé et des services sociaux. Elle identifie les services à mettre en place, les différents acteurs de cette organisation et précise les droits, rôles et responsabilités de ces derniers.

[…]

3. Le ministre de la Santé et des Services sociaux a la responsabilité de déterminer les grandes orientations en matière d’organisation des services préhospitaliers d’urgence. Il propose et élabore des plans stratégiques et des politiques, définit les modes d’intervention, élabore et approuve les protocoles cliniques et opérationnels en cette matière.

Plus particulièrement:

  il identifie les objectifs opérationnels et détermine les standards de qualité des services préhospitaliers d’urgence;

[…]

5. Le ministre nomme pour le conseiller et l’assister sur l’aspect médical des services préhospitaliers d’urgence un directeur médical national des services préhospitaliers d’urgence.

Ce directeur doit être un médecin ayant une formation et une expérience pertinente en médecine d’urgence.

[…]

17. Chaque agence doit désigner un médecin ayant une formation et une expérience pertinente en médecine d’urgence pour exercer notamment les fonctions suivantes en conformité avec les normes et les orientations nationales :

     exercer l’autorité clinique nécessaire au maintien des normes de qualité ;


  contrôler et apprécier la qualité des actes posés par le personnel d’intervention des services préhospitaliers d’urgence et assurer auprès des employeurs et de leur personnel, le cas échéant, le suivi des recommandations qui en découlent ;

[…]

65. Un technicien ambulancier fournit à une personne dont l’état requiert l’intervention des services préhospitaliers d’urgence les soins nécessaires conformément aux protocoles d’intervention clinique élaborés par le ministre.

Le technicien ambulancier vérifie chez la personne concernée la présence de signes ou symptômes permettant l’application des protocoles afin de prévenir la détérioration de l’état de cette personne et, le cas échéant, la transporte avec diligence vers un centre exploité par l’établissement receveur désigné ou entre des installations maintenues par un ou des établissements.

66. Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le technicien ambulancier doit respecter les protocoles visés à l’article 65 de même que respecter l’encadrement médical régional établi en vertu de l’article 17 et participer à l’encadrement médical régional établi en vertu de l’article 17. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie des textes.]

  1.        Il y a lieu de noter que les techniciens ambulanciers ne sont pas des professionnels réunis dans une corporation professionnelle reconnue par le Code des professions[100].
  2.        Les techniciens ambulanciers n’élaborent pas et n’établissent pas eux-mêmes des protocoles d’intervention qui leur sont applicables. Ces protocoles sont élaborés par le directeur médical national des services préhospitaliers d’urgence, nommé par le ministre de la Santé et des services sociaux. Selon cette loi (article 5), ce directeur doit être un médecin ayant une formation et une expérience pertinente en médecine d’urgence. De même, chaque agence régionale qui administre les soins préhospitaliers doit désigner (article 17) un médecin ayant une formation et une expérience en médecine d’urgence afin :
  1.                   d’exercer l’autorité clinique nécessaire au maintien des normes de qualité;
  2.                   de contrôler et apprécier la qualité des actes posés passés par le personnel d’intervention des services préhospitaliers d’urgence, soit les techniciens ambulanciers.


  1.        De même, les protocoles d’intervention clinique à l’usage des techniciens ambulanciers paramédics[101] (PIC TAP) sont préparés uniquement sous l’autorité du directeur médical national des services préhospitaliers d’urgence, soit un médecin spécialisé en médecine d’urgence, et non par un technicien ambulancier. Ces protocoles d’intervention sont ensuite approuvés par le ministre de la Santé et des services sociaux. Par la suite, l’application de ces protocoles d’intervention est contrôlée et assurée par les médecins spécialisés en médecine d’urgence.
  2.        L’article 65 de cette loi précise que le technicien ambulancier doit fournir les soins « conformément aux protocoles d’intervention » élaborés par le ministre.
  3.        L’article 66 de cette loi prévoit que « dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le technicien ambulancier doit respecter les protocoles ».
  4.        Il n’y a donc pas de doute qu’il y a un lien de subordination direct entre le technicien ambulancier et les médecins d’urgence dans l’exercice, par le technicien ambulancier, de ses fonctions et à l’égard de sa responsabilité statuaire d’agir de manière conforme aux protocoles d’intervention applicables et de les respecter, sans exception.
  5.        Vu que la description d’emploi, des tâches de même que la teneur des normes qu’un technicien ambulancier doit suivre dans le cadre de ses fonctions sont rédigées, élaborées, approuvées et, par la suite, contrôlées au niveau de la qualité des actes posés, par les médecins d’urgence, le Tribunal est d’avis qu’il est tout à fait approprié qu’un médecin d’urgence donne son avis à la Cour à savoir si le technicien ambulancier s’est effectivement conformé aux protocoles d’intervention applicables dans des circonstances données. Une telle preuve est donc pertinente afin que le Tribunal puisse déterminer si le technicien ambulancier s’est conformé à la teneur du protocole devant être obligatoirement suivi et respecté.
  6.        La défense, en plaidoirie, soumet qu’il s’agit de la même situation selon laquelle un avocat n’est pas en mesure de donner une opinion pertinente ou valable concernant la qualité de travail ou l’erreur commise par une adjointe juridique ou une technicienne parajuriste : ce serait uniquement le rôle d’une autre secrétaire juridique ou d’une technicienne parajuriste. Avec égards, ce moyen nous paraît mal fondé. Un avocat ou un notaire qui a participé à l’élaboration de la description d’emploi d’un poste d’une adjointe juridique ou d’une technicienne parajuriste ou une personne qui est chargée de contrôler et d’apprécier la qualité de ce type de travail, constitue une personne compétente pour émettre une opinion concernant la compétence ou une erreur commise ou non par une adjointe juridique ou une technicienne parajuriste.


  1.        De plus, il y a lieu de souligner que la demande en l’espèce n’a pas limité sa preuve de la faute des techniciens ambulanciers à l’opinion d’un médecin d’urgence. La demande a également administré une preuve des règles de l’art et des pratiques à suivre par un technicien ambulancier en se référant au manuel de texte Mosby qui est, de l’avis de toutes les parties et des experts, le texte de référence de base en formation d’un technicien ambulancier. Il s’agit également de l’ouvrage de référence utilisé par Madame Porteous lors de sa propre formation.
  2.        La demande a également administré une preuve quant aux circonstances de base et aux pratiques à suivre, conçues et approuvées, par le directeur médical national des services préhospitaliers d’urgence en matière de réaction anaphylactique à l’intention de tout premier répondant[102].
  3.        Le Tribunal conclut que pour déterminer si la demande a établi la commission d’une faute de la part de la défenderesse et des techniciens ambulanciers, la preuve d’expert d’un médecin spécialisé en médecine d’urgence peut suffire, notamment dans le contexte où les deux (2) experts commentent le respect des protocoles et les règles de l’art applicables aux techniciens ambulanciers.

4.2.5. Appréciation de la preuve d’expert

  1.        Après avoir entendu les témoins experts et analysé la preuve, le Tribunal est d’avis que la preuve d’expertise en demande est plus exacte et conforme à la preuve. Avec égards, la preuve d’expert de Dr. Brunet est souvent erronée et incomplète. Sauf pour certains points qui seront mentionnés plus tard, il y a lieu de rejeter la preuve d’expertise en défense. Le Tribunal arrive à cette conclusion, car :
  1.      les affirmations et conclusions du Dr. Brunet sont en porte-à-faux et ne tiennent pas compte de la preuve prépondérante tant médicale que préhospitalière quant à la nécessité d’agir de manière urgente devant la constatation de la présence d’une réaction anaphylactique d’une personne affligée;
  2.      le protocole d’intervention MED.17 est clair tant par sa présentation graphique que ses notes explicatives que, dès la constatation de la présence des symptômes d’une réaction anaphylactique, il incombe aux techniciens ambulanciers d’agir rapidement et sans délai afin de partir hâtivement des lieux et d’effectuer le transport du patient de manière urgente à l’hôpital. En l’espèce, les techniciens ambulanciers Porteous et Gulddal ont omis de le faire;

  1.      le raisonnement proposé par Dr. Brunet, de même que ses conclusions, sont caractérisés par un laxisme et une permissivité qui sont inconciliables et en contradiction avec la teneur claire des protocoles d’intervention applicables, y compris le Protocole d’appréciation de la condition physique préhospitalière et le protocole MED.17. Nous y reviendrons lors de l’analyse des moyens de défense proposés par Urgences-Santé;
  2.      il y a plusieurs éléments factuels erronés dans le rapport du Dr. Brunet. Ils n’ont pas été corrigés lors de son témoignage. Dr. Brunet affirme par exemple que les techniciens sont restés sur les lieux pendant vingt (20) minutes[103]. Or, ils sont arrivés à 19h22 et l’ambulance a quitté à 19h47, ce qui totalise vingt-cinq (25) minutes;
  3.      le Dr. Brunet ne mentionne pas que rien n’empêchait les techniciens ambulanciers de partir dès la première prise des signes vitaux, la confirmation des faits de base et la constatation des symptômes d’une réaction anaphylactique en cours. De plus, il ne mentionne pas que rien n’empêchait l’un des techniciens ambulanciers de faire l’administration d’un salbutamol dans l’ambulance en route vers l’hôpital afin d’éviter tout retard;
  4.      le Dr. Brunet ne mentionne pas que le protocole MED.17 est un protocole « prioritaire » et a donc préséance sur le protocole MED.8 (Difficulté respiratoire). Or, le protocole du MED.8 l’énonce de manière explicite. Dès lors, il est hors de question que l’application du protocole MED.8 puisse justifier un retard dans l’exécution du protocole MED.17. À la lecture des deux protocoles ensemble, il est clair que, dès la constatation des symptômes d’une réaction anaphylactique, la finalité recherchée est de se rendre de manière urgente à l’hôpital afin de transférer la responsabilité du patient à l’hôpital pour que ce dernier puisse prendre en charge le patient et réaliser le suivi et les traitements requis;
  5.      le Dr. Brunet passe sous silence que l’administration du salbutamol n’est d’aucune manière efficace ou même utile pour contrer une réaction anaphylactique qui elle, a des conséquences potentiellement mortelles;
  6.      le Dr. Brunet affirme dans son rapport que « peu de temps » après le traitement avec salbutamol, les ambulanciers ont injecté une deuxième dose d’épinéphrine, « tel que suggéré dans le protocole »[104]. Cette deuxième injection a eu lieu à 19h34. Or, Madame Porteous savait que la première injection d’épinéphrine a eu lieu à 19h17[105]. Il s’agit d’un délai de dix-sept (17) minutes après la première injection, ce qui est une violation claire du protocole MED.17, qui requiert une deuxième injection entre cinq (5) et dix (10) minutes de la première;
  7.      le Dr. Brunet ne voit pas de difficulté avec ce délai, car le patient demeure, selon lui, « stable ». Or, un tel raisonnement fait fi du fait que le retard de l’administration de l’épinéphrine nuit à la possibilité du corps de pouvoir contrer les effets potentiellement mortels (et en l’espèce, effectivement mortels) de la réaction anaphylactique;
  8. le Dr. Brunet justifie le délai additionnel encouru par une réticence de Nutin quant aux aiguilles. Or, les premiers répondants ont fait l’injection sans délai. Selon le Tribunal, les techniciens ambulanciers ont pu et auraient dû faire de même. Nous y reviendrons;
  9.  le Dr. Brunet se réfère à un délai de neuf (9) minutes entre le début de l’installation de Nutin dans l’ambulance et son arrivée à l’hôpital[106]. Il se trompe à ce sujet. Nutin est entré dans l’ambulance à 19h38:38[107] et l’ambulance arrive à l’hôpital à 19h50:04[108]. Il s’agit d’une durée de près de douze (12) minutes;
  10.  le Dr. Brunet estime qu’il y a une « vision d’intervention » en soins préhospitaliers de « rester et pratiquer » (« Stay and Play ») valable en opposition à une approche rapide de « ramasser et courir » (« Scoop and Run »). Or, le Dr. Foxford a exprimé son désaccord à ce sujet et a produit une quantité importante de littérature médicale qui rejette, de manière totale et sans équivoque, une approche de « rester et pratiquer » depuis plus de vingt-cinq (25) ans dans le cas d’un trauma sur les lieux[109]. Le Dr. Brunet a critiqué la pertinence de cette littérature scientifique en l’espèce, car il distingue le cas de trauma et le cas d’une réaction anaphylactique. Or, cette critique de Dr. Brunet n’est pas convaincante, car il n’a fourni au Tribunal aucun article scientifique ou autre preuve à l’appui d’une approche acceptable en soins préhospitaliers d’urgence de « rester et pratiquer » concernant le cas d’une réaction anaphylactique. Qui plus est, si débat existe réellement, ce qui n’est pas du tout établi, le ministre de la Santé et des services sociaux[110] et le directeur des services préhospitaliers d’urgence[111] l’ont tranché en adoptant le protocole d’intervention MED.17 qui requiert clairement que, dès la constatation des symptômes d’une réaction anaphylactique potentielle, les techniciens ambulanciers doivent mettre en œuvre une technique de « ramasser et courir » pour se diriger à l’hôpital. Les techniciens ambulanciers ont omis de respecter cette règle. La loi ne prévoit aucune discrétion du technicien ambulancier à ce sujet. Selon l’article 66 de la Loi sur les services préhospitaliers d’urgences, le technicien ambulancier « doit respecter les protocoles » adoptés[112].


 

  1. le Dr. Foxford a témoigné qu’en matière de soins préhospitaliers, lorsque la situation médicale requiert un transport urgent à l’hôpital, chaque minute, voire chaque seconde, compte pour la survie du patient. Il a expliqué que chaque minute additionnelle passée sur les lieux accroit de manière tangible et importante le risque de mortalité du patient en situation d’urgence. Le Dr. Foxford a référé le Tribunal à une littérature médicale scientifique abondante aux situations de crise en médecine préhospitalière qui confirme son avis[113]. Avec égards, le Dr. Brunet n’a pas su répondre à ce moyen de manière adéquate ou convaincante. Il s’est contenté de critiquer l’application de la littérature produite. Il n’a ni expliqué ni justifié la lenteur et le manque de diligence dont ont fait preuve les techniciens ambulanciers en omettant de respecter les protocoles d’intervention applicables.

4.2.6. Crédibilité des techniciens ambulanciers

4.2.6.1. Samantha Porteous

  1.        L’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage de Madame Porteous par le Tribunal n’est pas favorable. Au cours de son témoignage, elle avait des « trous de mémoire » importants et son témoignage comprenait des contradictions et des imprécisions importantes :
  1.      selon Madame Porteous, au cours de l’intervention avec Nutin, elle a utilisé le protocole d’intervention MED.8 « Difficulté respiratoire »[114]. Or, Madame Porteous a complété, après l’intervention, un rapport d’intervention préhospitalière ou un RIP. Ce rapport comprend un endroit précis pour indiquer les protocoles utilisés. Il n’y a aucune mention du protocole MED.8[115];
  2.      le RIP préparé et signé par Madame Porteous comprend de l’information qui s’est révélée fausse et erronée. Selon le RIP, les techniciens ambulanciers ont administré une dose d’épinéphrine à Nutin à 19h30[116]. Or, selon la preuve, cette dose est plutôt administrée trois (3) minutes et trente-quatre (34) secondes plus tard, soit 19h33:31[117];


 

  1.      le coroner a ouvert une enquête sur la mort de Nutin. Le coroner désigné ne pouvait pas lire le RIP complété par Madame Porteous, car son écriture est en grande partie illisible. Le coroner lui a demandé de réécrire le RIP de manière lisible. Or, lors de la réécriture, Madame Porteous a ajouté du texte supplémentaire qui ne se trouvait pas dans le rapport d’origine[118]. Elle a ajouté les textes suivants :

« o  (Patient qui ne voulait pas qu’on lui « pique », délai d’administration)

o (*Rapidité de l’évaluation [évacuation] → de n’avoir pas de délai, Patient était toujours branché sur O2 avec bonne saturation, prochaine Epi (#3 et #2 données → #3 en comptant Epipen [administré par premiers répondants] et 2ème SAL donner en ambulance avant de quitter.) »

Ces ajouts ont comme objectif de justifier, après les faits, les retards des techniciens ambulanciers. Or, la demande du coroner se limitait à une réécriture lisible du rapport. Madame Porteous n’avait pas le droit de faire des modifications et des ajouts pour changer la présentation initiale des faits;

  1.      dans le RIP modifié, Madame Porteous a ajouté de l’information fausse. Elle y inscrit que le départ de l’ambulance vers l’hôpital a eu lieu à 19h43[119]. Or, selon la preuve[120], le départ a eu lieu quatre (4) minutes plus tard, soit à 19h47:04. L’information fournie au coroner a donc été non seulement modifiée, mais fausse;
  2.      au début de son témoignage à la Cour, Madame Porteous annonce qu’elle souffre de la COVID longue et qu’elle a des difficultés de mémoire et d’expression. Elle déclare que, depuis le 31 mai 2020, elle a cessé de travailler comme technicienne ambulancière. L’avocate de la défenderesse informe le Tribunal que Madame Porteous n’est plus technicienne ambulancière. Or, le 13 avril 2021, après qu’elle a cessé de travailler comme technicienne ambulancière et qu’elle avait, selon son affirmation, la COVID longue, Madame Porteous a été interrogée au préalable par la demande[121]. Lors de cet interrogatoire, elle n’a pas fait une telle déclaration;


  1.        lors de son témoignage, Madame Porteous a tenu des propos contradictoires quant au moment qu’elle a décidé que Nutin souffrait d’une réaction anaphylactique. D’une part, elle parle d’une zone grise. D’autre part, elle dit que dès qu’elle décide d’administrer de l’épinéphrine, elle avait conclu que Nutin était en réaction anaphylactique. Or, selon l’enregistrement, c’est à 19h27:57 qu’elle déclare qu’elle va administrer à Nutin une injection d’épinéphrine[122]. Ensuite, elle affirme qu’elle a peut-être décidé que Nutin souffrait d’une réaction anaphylactique lors de sa décision de le transporter à l’hôpital à 19h30:04[123]. Elle a souvent changé d’avis.

Or, Madame Porteous n’a administré l’épinéphrine à Nutin qu’à 19h33:34, près de six (6) minutes plus tard, après sa « première » décision. Elle savait en tout temps que les premiers répondants avaient administré la première dose à 19h17. Il s’agissait d’un délai de près de dix-sept (17) minutes. Or, le protocole d’intervention MED.17 requiert, en cas de réaction anaphylactique, le transport immédiat à l’hôpital et, avant l’arrivée à l’hôpital, l’administration répétée des doses d’épinéphrine au plus tard à chaque cinq (5) minutes (si détérioration) ou aux dix (10) minutes (avec ou sans amélioration). Madame Porteous n’a jamais offert une explication cohérente pour justifier ces omissions et violations du protocole applicable;

  1.      lorsque le Tribunal a demandé à Madame Porteous combien d’autres cas de réactions anaphylactiques elle a traités avant celui de Nutin, elle n’a pas fourni de réponse. Elle n’a pas voulu offrir non plus un nombre approximatif;
  2.      le témoignage de Madame Porteous concernant l’administration de la deuxième dose d’épinéphrine est surprenant. Madame Porteous dit ne pas se rappeler ni des circonstances entourant la prise de décision ni celles concernant l’administration de cette injection. Or, il s’agit d’un événement important dans la trame des faits. Selon le RIP, une deuxième dose de salbutamol a été administrée à 19h40 et une deuxième dose d’épinéphrine à 19h42. À l’enregistrement audio de l’intervention, il n’y a aucune référence ou mention par Madame Porteous de l’administration d’une deuxième dose d’épinéphrine ou qu’elle aurait demandé qu’une autre injection d’épinéphrine soit préparée. Cela est clairement différent de la décision concernant l’administration de la première dose d’épinéphrine. De même, nous verrons que Monsieur Gulddal a témoigné qu’il n’a pas administré une deuxième dose d’épinéphrine et qu’il n’a pas non plus vu que Madame Porteous l’avait administrée;


  1.         Madame Porteous et Monsieur Gulddal donnent des versions contradictoires quant au moment de la décision de partir des lieux vers l’hôpital. Selon Madame Porteous, elle a attendu que Monsieur Gulddal décide de partir. Selon Monsieur Gulddal, il attendait que Madame Porteous lui donne la permission et lui demande de partir. Nous y reviendrons.
  1.        Devant ce nombre d’imprécisions, de contradictions et de trous de mémoire sur des éléments importants, le Tribunal ne peut accorder foi, crédibilité ou fiabilité au témoignage de Madame Porteous.

4.2.6.2. Leif Gulddal

  1.        Le témoignage de Leif Gulddal comprend également des imprécisions et contradictions importantes, des éléments contredits par la preuve et des éléments mettant en doute la valeur probante et la fiabilité de son témoignage :
  1.      d’une part, selon le témoignage de Monsieur Gulddal, il ne se rappelle pas des faits importants quant à l’intervention avec Nutin. D’autre part, il affirme se rappeler d’autres éléments qui justifient, selon lui, des retards à partir des lieux;
  2.      Monsieur Gulddal témoigne qu’il ne se rappelle pas de l’ordre de l’administration du salbutamol et de l’épinéphrine lors de l’intervention. Il est pourtant clair que le premier médicament administré est le salbutamol. Cependant, selon le protocole d’intervention, dans le cas d’anaphylaxie avec dyspnée, l’épinéphrine « doit être administrée avant le salbutamol »[124];
  3.      Monsieur Gulddal ne se rappelle pas si l’oxygène a déjà été administré à Nutin avant l’arrivée des techniciens ambulanciers par les premiers répondants. Or, il est clair, selon la preuve, que cela a été fait[125];
  4.      il affirme que Nutin a donné son autorisation pour marcher à l’ambulance pour justifier de ne pas se conformer au protocole d’intervention qui requiert l’utilisation d’une chaise-civière. Or, selon l’enregistrement audio de l’intervention, Madame Porteous ne lui a pas offert la chaise. Elle l’a mis devant un fait accompli de sa décision[126];


  1.      Monsieur Gulddal se dissocie de l’administration de la deuxième dose d’épinéphrine. Au plus, il mentionne qu’il est possible qu’il l’avait préparée. Il ne se rappelle pas de cela non plus. Il se base sur ces « réflexes » à cet égard;
  2.        Monsieur Gulddal ne se rappelle pas si immédiatement après avoir demandé le nom de l’hôpital receveur, si l’ambulance est partie. Il affirme avoir attendu que Madame Porteous lui donne sa permission de partir. Or, selon l’enregistrement audio, Madame Porteous ne lui a jamais demandé et n’a jamais exprimé une permission ou approbation de partir. Selon la preuve, Monsieur Gulddal a simplement attendu jusqu’à ce que Nutin tombe en crise respiratoire. C’est à ce moment que Monsieur Gulddal décide de partir;
  3.      Monsieur Gulddal dit qu’il ne se « souvient pas de comment le transport vers l’hôpital s’est passé ». Il ne se rappelle pas s’il y a eu du trafic, des piétons ou une intersection, qui auraient pu justifier, selon lui, d’activer les sirènes;
  4.      Monsieur Gulddal ne se rappelle pas si le nom de l’hôpital receveur lui a été confirmé avant le départ de l’ambulance, pour ensuite mentionner qu’il est possible que cela a été confirmé seulement lors du trajet. Selon la preuve, Monsieur Gulddal a attendu que Nutin soit en crise (19h46) avant de faire la demande (19h46:54)[127] et d’obtenir confirmation (19h47:02)[128] avant de partir (19h47:04)[129];
  5.         Monsieur Gulddal a témoigné, lors de son interrogatoire préalable, qu’il avait fait un appel de vérification et obtenu confirmation de l’hôpital receveur à 19h30[130]. Cette information est même mentionnée dans ses notes personnelles faites pour l’interrogatoire[131]. Or, lors de son témoignage à la Cour, Monsieur Gulddal a fait des déclarations contradictoires à ce sujet. Il n’a pas pu donner une réponse claire;
  6.         le formulaire du RIP requiert la signature des deux (2) techniciens ambulanciers qui assistent et réalisent l’intervention. Lors de son témoignage au préalable, Monsieur Gulddal semble vouloir se dissocier du contenu du RIP préparé par Madame Porteous. Même s’il l’a signé, il dit qu’il ne l’a pas lu. En fait, il dit qu’il ne lit jamais les RIP qui lui sont présentés pour signature. Une telle approche nuit à la crédibilité de Monsieur Gulddal. Il affirme ainsi qu’il a l’habitude de signer et d’attester de l’exactitude des documents de caractère officiel qu’il ne lit pas;


  1.      à l’audience, Monsieur Gulddal a témoigné que Nutin présentait une certaine résistance à partir à l’hôpital. Or, lors de son interrogatoire préalable, il n’a pas témoigné en ce sens. Une telle allégation n’a jamais été dénoncée par Urgences-Santé avant l’instruction. Dans son témoignage, Monsieur Gulddal a admis que Nutin n’a jamais refusé d’aller à l’hôpital. Mais il affirme qu’il y avait lieu à de la « négociation ». Or, l’intervention des techniciens ambulanciers a fait l’objet d’un enregistrement audio. Rien dans l’enregistrement n’appuie l’affirmation de Monsieur Gulddal par rapport à une prétendue résistance de Nutin. Au contraire, toute la preuve indique le contraire. Nutin voulait, dès qu’il a réalisé qu’il avait ingéré un produit contenant des arachides, aller à l’hôpital. Il savait que la situation était urgente et potentiellement mortelle. Il voulait même marcher à l’hôpital de manière immédiate, mais Marie lui a demandé de ne pas le faire, au motif qu’il serait seul lors d’un tel déplacement. Elle lui a plutôt dit d’appeler le 9-1-1 pour y être transporté en ambulance. Ainsi, c’était toujours l’ardent désir de Nutin (et de Marie) d’aller à l’hôpital. Le Tribunal est d’avis que le témoignage de Monsieur Gulddal sur ce point n’est pas appuyé par la preuve et n’est ni véridique ni crédible.
  1.        Il y a tellement d’imprécisions, de déclarations incomplètes, de déclarations démenties par la preuve concernant le témoignage de Monsieur Gulddal que le Tribunal conclut que le témoignage de Monsieur Gulddal n’est ni fiable, ni crédible, ni digne de foi.

4.2.7. Motifs de défense soulevés pour justifier le retard de partir des lieux et de ne pas pouvoir arriver plus tôt à l’hôpital

4.2.7.1. Moyens invoqués

  1.        Dans son exposé de ces moyens de défense, Urgences-Santé énonce qu’elle et ses techniciens ambulanciers ont respecté les règles de l’art. Lors de l’instruction, Urgences-Santé a formulé des motifs plus précis pour justifier le retard de partir des lieux et de ne pas arriver plus tôt à l’hôpital. Il y a lieu de les examiner.

4.2.7.2. Délai attribuable à l’anxiété de Nutin par rapport à l’aiguille

  1.        Urgences-Santé plaide que le retard à partir des lieux plus tôt est attribuable à l’anxiété de Nutin par rapport à l’aiguille. Selon la preuve, ce moyen de défense est mal fondé.


  1.        Nutin n’aimait pas les aiguilles, comme beaucoup d’autres personnes. Cependant Nutin ne s’objectait pas à recevoir une injection et était entièrement collaborateur à toute démarche médicale proposée visant une injection. Il était conscient de la gravité et des risques de la situation. Il a appelé le 9-1-1 pour avoir de l’aide et d’être transporté à l’Hôpital de Verdun. En plus, Marie était présente pour soutenir toute démarche médicale, y compris une injection. Nutin était une personne intelligente. Il collaborait à recevoir toute aide que les techniciens ambulanciers pouvaient lui apporter. Dans les circonstances, il relevait de la responsabilité des techniciens ambulanciers d’agir suivant les règles de l’art, y compris de démontrer et de faire preuve de la direction nécessaire et du leadership requis pour réaliser les interventions prévues aux protocoles d’intervention applicables conformément à leur teneur, ce qui comprend d’effectuer un départ hâtif des lieux et d’effectuer un transport urgent à l’hôpital receveur. Nutin était en situation de maladie et de vulnérabilité.
  2.        En somme, les techniciens ambulanciers étaient « les adultes dans la pièce » et devaient agir promptement, rapidement et de manière conforme aux protocoles d’intervention applicables. Selon le protocole MED.17, dès que les symptômes d’une réaction anaphylactique, même potentielle, sont constatés, les techniciens ambulanciers sont obligés d’agir afin d’effectuer un départ hâtif des lieux et un transport urgent à l’hôpital.
  3.        Il y a lieu de souligner la rapidité et l’efficacité des premiers répondants quant à la première injection d’épinéphrine effectuée par l’entremise d’un Épipen.
  4.        En effet, à 19h16, les premiers répondants arrivent sur les lieux. À 19h17, ils ont administré l’Épipen. À l’intérieur d’une (1) minute, les premiers répondants ont évalué la situation (avec les informations communiquées avant leur arrivée sur les lieux), se sont aperçus que l’Épipen de Nutin était périmé, ont repéré un autre Épipen à partir de leurs propres médicaments, et ont fait l’injection.
  5.        Selon Monsieur Gulddal, la préparation de l’aiguille de l’épinéphrine se fait dans une (1) minute ou moins. Selon la Cour, l’injection de l’épinéphrine par les techniciens ambulanciers aurait dû et aurait pu être effectuée dans un horizon d’une (1) minute dans les circonstances, ou au plus dans une (1) minute et demie. Le RIP indique que les techniciens ambulanciers ont administré une deuxième dose d’épinéphrine à 19h42. L’enregistrement audio de l’intervention ne comprend aucune référence à ce sujet.

Il faut donc noter l’absence totale de commentaire ou de réticence de Nutin.

  1.        Dans ce cas, il s’agit d’un élément de preuve qui appuie qu’aucun retard justifiable ne peut être attribué à un inconfort de Nutin allégué par la défense concernant une aiguille.
  2.        À tout événement, le Tribunal a déjà noté que selon la prépondérance de la preuve, afin de respecter le protocole MED.17, les techniciens ambulanciers auraient dû quitter les lieux au plus tard vers 19h30:20 afin de partir à l’hôpital.
  3.        À 19h31:20, Nutin serait arrivé à l’hôpital. Cela est deux (2) minutes et onze (11) secondes avant l’administration de la première dose d’épinéphrine par les techniciens ambulanciers sur les lieux.
  4.        Tel que mentionné, le Tribunal conclut que la gêne aux aiguilles de Nutin ne peut pas justifier un temps additionnel de rester sur les lieux.
  5.        Néanmoins, si le Tribunal se trompe à ce sujet, il peut, de manière hypothétique, fixer la durée de ce temps additionnel.
  6.        Suivant cette hypothèse, ce que le Tribunal ne retient pas, le Tribunal fixe un délai additionnel maximal d’une (1) minute.

4.2.7.3. Délai occasionné par le refus ou l’anxiété de Nutin d’aller à l’hôpital

  1.        Le Tribunal a déjà analysé et a conclu que ce moyen est mal fondé et non soutenu par la preuve[132]. Nutin voulait aller à l’hôpital. C’est la raison pour laquelle il a appelé le 9-1-1. C’était toujours son intention et il avait donné son consentement.
  2.        Le Tribunal est donc d’avis que ce moyen est mal fondé et n’a pas de raison d’être.
  3.        Néanmoins, si le Tribunal se trompe à ce sujet, le Tribunal peut déterminer le temps additionnel que ce motif aurait pu justifier.
  4.        Suivant cette hypothèse, que le Tribunal estime mal fondée, le Tribunal fixe un délai additionnel de trente (30) secondes.

4.2.7.4. Délai occasionné par l’application du protocole MED.8 et l’administration du salbutamol à Nutin

  1.        À 19h22, les techniciens ambulanciers arrivent sur les lieux. Ils ont été appelés pour traiter un cas de réaction anaphylactique. Selon les informations qui leur sont transmises, il s’agit d’un cas urgent avec des conséquences potentiellement mortelles. Selon le témoignage de Madame Porteous, à son arrivée, elle sait qu’il y a lieu d’appliquer le protocole MED.17. Les premiers répondants lui confirment par leur rapport verbal ces éléments. Les premiers répondants lui confirment qu’ils ont déjà administré de l’épinéphrine à Nutin à 19h17. En raison de toutes ces interventions et à l’examen de Nutin, tous ses symptômes confirment qu’il souffre d’une réaction anaphylactique, avec des conséquences potentiellement mortelles.
  2.        Il s’agit d’une situation de danger grave qui peut évoluer de manière imprévisible et rapide pouvant donner lieu à tout moment à une détérioration dramatique de la condition du patient. Suivant le protocole MED.17, les techniciens ambulanciers sont requis d’effectuer deux (2) étapes successives, soit l’administration de l’épinéphrine et le transport urgent du patient vers l’hôpital receveur désigné. Or, les premiers répondants ont déjà administré de l’épinéphrine. Il reste aux techniciens ambulanciers donc d’effectuer le transport urgent du patient à l’hôpital. Selon le protocole MED.17, le transport urgent dans le cas d’une réaction anaphylactique est celui prévu pour le patient instable[133]. Il s’agit d’une situation qui nécessite une intervention rapide, un départ hâtif et un transport urgent à l’hôpital[134].
  3.        Nulle part le protocole MED.17 ne prévoit l’administration du salbutamol. Or, Madame Porteous fait une erreur en ne reconnaissant pas la présence des symptômes d’une réaction anaphylactique en cours. Par ses questions, elle apprend que le patient souffre également de l’asthme. Elle aurait dû savoir que la présence de l’asthme est plutôt un élément rendant encore plus dangereuse la réaction anaphylactique chez un individu[135].
  4.        Il est reconnu par tous et il s’agit d’une connaissance de base de la formation d’un technicien ambulancier, que le seul médicament pouvant contrer ou ralentir une réaction anaphylactique est l’épinéphrine[136].
  5.        En raison de cette erreur, Madame Porteous décide de traiter l’asthme de Nutin. Le salbutamol est un produit commercialisé sous le nom de Ventolin pour aider les personnes qui souffrent d’asthme. Il s’agit d’un bronchodilatateur qui augmente le calibre des bronches et aide la respiration. Le salbutamol n’est d’aucune utilité pour contrer ou réduire les conséquences d’une réaction anaphylactique. Son effet est purement superficiel. Il peut produire un effet salutaire temporaire, mais ne traite aucunement le problème réel grave et potentiellement mortel d’une réaction anaphylactique à la suite de l’introduction dans le corps d’un allergène. L’effet du salbutamol peut donc être même néfaste, car il masque la manifestation réelle des symptômes permettant d’évaluer l’évolution d’une réaction anaphylactique en cours sans traiter la cause de la réaction anaphylactique. Or, plutôt que de partir des lieux hâtivement pour se rendre à l’hôpital, les techniciens ambulanciers restent sur les lieux en administrant deux (2) doses de salbutamol avant de quitter. Ce faisant, ils ont violé les règles claires et obligatoires prévues au protocole MED.17 et ont omis de réaliser le but clairement énoncé dans ce protocole, soit d’effectuer un départ hâtif et de transporter de manière urgente à l’hôpital le patient qui présente les symptômes d’une réaction anaphylactique.


  1.        Le Dr. Foxford était critique à l’égard de l’administration successive de salbutamol et les retards conséquents et a qualifié ces interventions de futiles et négligentes, car elles ont eu pour effet de prolonger sans justification la durée sur les lieux et constituent des violations des séquences obligatoires claires prévues au protocole MED.17. Selon le Tribunal, suivant les circonstances en preuve, le Dr. Foxford a raison à cet égard.
  2.        Afin de justifier ces interventions et le temps additionnel passé sur les lieux pour les réaliser, Urgences-Santé réfère le Tribunal au document de support au protocole[137]. Ce document d’appui prévoit la possibilité de l’application concomitante de protocoles[138]. Urgences-Santé réfère le Tribunal au texte explicatif du protocole MED.8[139].
  3.        À notre avis, ce moyen est mal fondé, ne s’accorde pas aux textes clairs cités et est en contradiction manifeste avec les protocoles d’interventions applicables, pour les motifs suivants :
  1. le protocole MED.17 ne se réfère pas au protocole MED.8. C’est le MED.8 qui se réfère au protocole MED.17;
  2. cela est conséquent avec le fait que le protocole MED.17 a préséance sur le protocole MED.8. L’algorithme du protocole MED.8 prévoit que les démarches concernant l’examen d’une difficulté respiratoire doivent passer d’abord par le protocole MED.17. Le protocole MED.8 est seulement utilisé dans les circonstances où les démarches prévues au protocole MED.17 sont réalisées ou ne sont pas compromises. L’analyse de la situation selon le protocole MED.8 peut éventuellement mener à l’administration du salbutamol. L’algorithme du protocole MED.8 est le suivant[140] :


MED.8


  1. le texte du protocole MED.17 est clair. Lorsque les symptômes d’une réaction anaphylactique sont présents, le technicien doit, et ce sans exception, administrer l’épinéphrine et effectuer un départ hâtif et effectuer le transport du patient à l’hôpital de manière urgente;
  2. le texte explicatif du protocole MED.17 comprend au tout début de la section portant sur la réaction anaphylactique le texte suivant : « Critère d’exclusion à la section sur la réaction anaphylactique » : Aucun[141];
  3. il n’y a donc aucune exception permise au protocole MED.17 pour respecter les séquences. Après la confirmation de la présence des symptômes d’une réaction anaphylactique, les étapes obligatoires sont :
  1.      administration de l’épinéphrine;
  2.      départ hâtif des lieux et transport urgent à l’hôpital;
  3.      répétition de l’épinéphrine aux intervalles de cinq (5) minutes (si détérioration) ou dix (10) minutes (avec ou sans amélioration);
  1. le texte explicatif du protocole MED.8 énonce clairement que le protocole MED.17 a préséance sur le protocole MED.8. Il se lit comme suit :

« 3. Évaluer la possibilité d’une réaction anaphylactique, si agent causal suspecté ou confirmé, se référer au protocole MED.17 (Réaction allergique – anaphylactique).

4. Lorsque les interventions prescrites par les protocoles prioritaires MED.13 (Obstruction des voies respiratoires par corps étranger – patient de plus d’un an) et MED.17 (Réaction allergique/anaphylactique) sont en cours ou terminées, on peut revenir au protocole MED.8 (Difficulté respiratoire) s’il y a encore difficulté respiratoire. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1. le paragraphe quatre (4) du texte explicatif du protocole MED.8 précise que le technicien ambulancier peut revenir au protocole MED.8 uniquement lorsque le protocole MED.17 est en cours ou terminé. Ainsi, le respect de la finalité du protocole MED.17, soit le transport urgent à l’hôpital doit toujours être priorisé. L’administration du salbutamol peut être entreprise, mais celle-ci ne peut donc pas avoir pour effet de retarder, ralentir ou gêner la réalisation de cette finalité. Par exemple, lorsque le patient attend dans l’ambulance ou lorsque le patient est en route vers l’hôpital et il n’y a aucune conséquence de retard, l’administration du salbutamol ne pose pas de problème. En l’espèce, la preuve confirme qu’il n’y aurait eu aucun problème d’administrer le salbutamol après le départ à l’hôpital et même en route vers l’hôpital[142];
  2. le document de support des protocoles d’intervention met même en garde le technicien ambulancier que l’administration de salbutamol ne doit pas gêner ou retarder le départ hâtif et le transport urgent du patient à l’hôpital[143] :

« Dans le but de limiter le temps d’intervention sur les lieux, l’équipe doit coordonner ses gestes sur les priorités de l’ABC [Airway (voies respiratoires), Breathing (respiration) et Circulation (circulation sanguine)] et sur l’administration de bronchodilatateurs. Dans bien des cas, l’administration de bronchodilatateurs [tel le salbutamol] ne fait qu’atténuer ou renverser partiellement le bronchospasme. Une intervention rapide sur la scène et un transport en urgence s’imposent toujours. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1. le document de support des protocoles d’intervention précise en plus que lors d’une application concomitante du protocole MED.17 et du protocole MED.8, il faut toujours administrer en premier l’épinéphrine et uniquement ensuite le salbutamol[144]. Or, en l’espèce, les techniciens ambulanciers n’ont pas respecté cette règle. À deux (2) reprises, ils ont administré, sur les lieux, en premier le salbutamol et ensuite, l’épinéphrine, tout en prolongeant la durée du temps sur les lieux et en retardant le départ vers l’hôpital.
  1.        Le Tribunal conclut donc que ce motif est mal fondé. Selon la teneur claire des textes, et compte tenu des circonstances, l’administration du salbutamol sur les lieux à deux (2) occasions n’aurait pas dû avoir lieu et ne peut donc pas justifier un retard sur les lieux.
  2.        Néanmoins, dans l’hypothèse que le Tribunal se trompe à ce sujet et donc dans la mesure que l’administration sur les lieux d’une première dose de salbutamol n’était pas incompatible aux protocoles d’intervention applicables dans les circonstances, le Tribunal peut fixer une durée additionnelle à ce sujet.
  3.        Il y a lieu de noter que le salbutamol n’est pas administré par injection. L’avantage est qu’il s’administre en même temps que l’oxygène par le masque[145]. Or, le masque muni d’oxygène était déjà en place. Le salbutamol est administré par un appareil joint au masque par tube. Il faut vider l’ampoule du médicament dans le nébuliseur et le raccorder au masque.
  4.        Selon l’enregistrement audio de l’intervention, la préparation et l’administration de la première dose de salbutamol a pris deux (2) minutes[146]. Ainsi, suivant cette hypothèse, que le Tribunal estime mal fondée, le Tribunal fixe un délai additionnel de deux (2) minutes.
  5.        Il ne peut être question d’accorder du temps hypothétique supplémentaire pour l’administration d’un deuxième salbutamol, car il s’agit là d’une violation explicite et manifeste des protocoles. En effet, le document d’appui au protocole stipule clairement que s’il y a lieu d’administrer une deuxième dose de salbutamol, cela se fait « pendant le transport[147] ». Monsieur Gulddal a reconnu qu’en l’espèce, il n’y avait aucun problème à le faire.

4.2.7.5 Temps requis pour l’évacuation de l’appartement et le rebranchement et la sécurisation du patient dans l’ambulance avant le départ vers l’hôpital

  1.        La défense plaide qu’il faut tenir compte du temps requis pour l’évacuation de Nutin de l’appartement. Les techniciens ambulanciers ont décidé que Nutin marchera lui-même du lit de Marie dans l’appartement à l’ambulance à l’extérieur. La demande signale qu’en ce faisant, les techniciens ambulanciers n’ont pas respecté les protocoles d’intervention applicables. En effet, le protocole d’intervention pertinent prévoit que le patient doit être sorti de sa demeure à l’aide d’une chaise-civière.
  2.        Le protocole d’intervention (Généralités) prévoit[148] :

« 5. Déplacement du patient

 Seuls les patients dont la demande d’aide est liée à un problème de comportement ou un besoin psychosocial sans composante médicale peuvent être assistés vers la civière ou le véhicule ambulancier en marchant, lorsque le TAP s’est assuré qu’il est sécuritaire de procéder ainsi.

À titre d’exemple, aucun patient présentant ou ayant présenté une douleur thoracique, une dyspnée, même si non objectivable ou une des plaintes/signes suivants : syncope, quasi-syncope, AVC, altération de l’état de conscience, faiblesse ou étourdissement, choc, intoxication, difficulté à marcher ou signes vitaux anormaux ne doit se rendre à la civière ou au véhicule ambulancier en marchant »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]


  1.        Les techniciens ambulanciers affirment qu’ils ont obtenu l’autorisation de Nutin de déroger à la règle. Selon l’enregistrement audio, il n’est pas clair que Nutin avait un choix[149]. Madame Porteous lui a dit qu’ils allaient procéder ainsi et Nutin s’est conformé à sa demande.
  2.        Madame Porteous reconnait qu’en agissant ainsi les techniciens ambulanciers n’ont pas respecté le protocole d’intervention applicable. Madame Porteous justifie sa décision au motif que l’appartement était au deuxième étage et elle ne voulait pas faire paniquer Nutin. Il y a lieu de noter qu’il y a eu de la pluie ce soir-là.
  3.        Le Dr. Foxford n’a pas commenté cet aspect du déroulement de l’intervention.
  4.        Dans son témoignage, le Dr. Brunet reconnait que les efforts supplémentaires requis par Nutin pour effectuer ce déplacement à pied n’ont probablement pas aidé sa condition et ont probablement nui à celle-ci. Nutin souffrait d’une réaction anaphylactique et avait des difficultés à respirer. Aucune preuve objective n’a été soumise au Tribunal quant à la durée d’un déplacement en chaise-civière dans les circonstances. Mais les techniciens ambulanciers soutiennent que cela aurait pris plus de temps qu’une descente à pied. Ce qui est clair est que Nutin devait être évacué de l’appartement afin d’entrer dans le véhicule ambulancier pour quitter les lieux vers l’hôpital. Selon la prépondérance de la preuve, Nutin a marché seul avec Madame Porteous en arrière. L’enregistrement audio permet de déterminer le temps qui était requis pour le faire.
  5.        À 19h36:16, Nutin se met debout, commence à prendre son manteau, l’enfile et commence à marcher. À 19h38:38, il entre dans l’ambulance. Cela a donc pris deux (2) minutes et vingt-deux (22) secondes[150].
  6.        Il y a lieu de souligner que seule Madame Porteous accompagnait Nutin lors de son évacuation. Or, il y a deux techniciens ambulanciers et leur obligation est d’agir ensemble pour quitter de manière hâtive les lieux et pour se rendre à l’hôpital de manière urgente.


  1.        Le document de support aux protocoles requiert et précise que les deux techniciens ambulanciers doivent poser des actes simultanément lorsque requis pour mettre en œuvre les protocoles d’interventions. Ce document se lit comme suit[151] :

« Leadership et connaissance du protocole

Le technicien ambulancier paramédic #1 assume le leadership de l’intervention et la responsabilité ultime de l’intervention. Par contre, son partenaire doit participer et partage la responsabilité de l’intervention sur la scène. Pour optimiser l’intervention préhospitalière, plusieurs actions doivent être posées simultanément. La communication entre les intervenants et le travail d’équipe sont des facteurs déterminants dans l’application du protocole/traitement. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Nutin était en réaction anaphylactique. Dans ces circonstances, son état est assimilé à un état instable, ce qui oblige au départ hâtif et au transport urgent à l’hôpital receveur. Rien n’empêchait que, au cours de la période d’évacuation des lieux, Monsieur Gulddal rejoigne par radio le centre de communication pour demander confirmation de l’hôpital receveur.
  2.        Monsieur Gulddal a témoigné que la réponse est normalement donnée dans les secondes qui suivent la demande[152]. Ainsi, en arrivant à l’ambulance, cette information aurait dû être confirmée et connue.
  3.        De même, Monsieur Gulddal a témoigné qu’au cours de cette période, il aurait préparé l’aiguille pour une deuxième administration de l’épinéphrine, le cas échéant. Il avait donc également le temps pour ce faire.
  4.        La défense allègue qu’il faut également tenir compte du temps pour rebrancher le fil des électrodes dans le moniteur Zoll, sécuriser Nutin et sécuriser l’ambulance avant de partir.
  5.        Lorsque le Tribunal a posé la question à Monsieur Gulddal quant au temps requis pour le faire, il donne une fourchette de temps entre quatre (4) et six (6) minutes. Le seul autre élément de preuve à ce sujet est le témoignage de Dr. Brunet. Il a commenté que cette fourchette de temps lui semble raisonnable.


  1.        Il faut cependant mentionner que l’expérience de Dr. Brunet est limitée à ce sujet. Il n’a pas expérimenté les départs hâtifs des lieux vers l’hôpital dans les situations urgentes. Son expérience se résume aux situations où le patient stable est transporté vers un autre hôpital ayant des services spécialisés. À notre avis, la période suggérée par Monsieur Gulddal est exagérée.
  2.        Le Tribunal a déjà exprimé son évaluation défavorable concernant le caractère fiable et crédible du témoignage de Monsieur Gulddal.
  3.        Dans les circonstances, le Tribunal considère que la fourchette de temps entre quatre (4) et six (6) minutes indique la différence entre un départ hâtif, soit dans les circonstances urgentes, et un départ dans les circonstances où il n’y a aucune urgence. Comme dans presque toute chose, il y a un écart entre le temps d’exécution lorsqu’il n’y a pas d’urgence et lorsqu’il y a une urgence. En l’espèce, le Tribunal utilise un délai maximal pour rebranchement au moniteur, pour la sécurisation du patient et pour la sécurisation de l’ambulance avant le départ de quatre (4) minutes. Cette période de temps nous parait amplement suffisante dans ce contexte.
  4.        Nous avons déjà fait référence au texte du document de support aux protocoles d’intervention qui requiert que les deux techniciens ambulanciers partagent les tâches et agissent de manière simultanée. Tandis que Monsieur Gulddal s’occupait du rebranchement, de la sécurisation de Nutin et de la sécurisation de l’ambulance, rien n’empêchait, au cours de ces mêmes quatre (4) minutes, Madame Porteous d’administrer une dose d’épinéphrine. De plus, cette période de temps était amplement suffisante pour permettre à Madame Porteous de prendre le téléphone de l’ambulance et d’aviser l’hôpital receveur de leur arrivée imminente et de la situation de Nutin.

4.2.8. Faute d’Urgences-Santé de ne pas avoir mis au service des techniciens ambulanciers un téléphone fonctionnel à l’intérieur de l’ambulance

  1.        Selon la preuve et selon les protocoles d’intervention, après que l’hôpital receveur est confirmé par le centre de communication, les techniciens ambulanciers appellent l’hôpital pour le prévenir de l’arrivée du patient et de sa situation. Malheureusement, en l’espèce, cela n’a pas été fait. L’absence de cet appel a eu des conséquences graves. Ces conséquences s’ajoutant à celles résultant des autres fautes des techniciens ambulanciers. Cette omission a fait en sorte que l’hôpital n'était pas prêt pour Nutin à son arrivée et cela a entrainé des délais pour venir le chercher, pour vider la salle de choc qui était déjà en usage, pour mobiliser une équipe médicale pouvant répondre à l’urgence médicale grave et critique de Nutin qui était en arrêt respiratoire à son arrivée à l’hôpital et pour lui administrer des soins requis par son état de santé.


  1.        Tel que déjà mentionné, l’absence d’un préavis à l’hôpital, l’absence d’un appareil téléphonique fonctionnel dans l’ambulance destiné à cette fin et les informations erronées transmises par le répartiteur d’Urgences-Santé à l’hôpital quant au moment prévu pour l’arrivée ont occasionné un délai additionnel d’au moins cinq (5) minutes, et probablement plus, dans l’administration des soins hospitaliers, et ce dans une période de crise respiratoire de Nutin[153].
  2.        Le RIP de l’intervention complété par les techniciens ambulanciers comprend le texte suivant[154] :

« Pas capable de parler au CH [Centre hospitalier] téléphone cabine ne marchait juste à haut parleur, sans que CH [Centre hospitalier] nous entende »

  1.        Lors de son témoignage à l’instruction, Madame Porteous a mentionné qu’il s’agissait à ce moment d’un problème généralisé à l’échelle de la flotte des ambulances d’Urgences-Santé. Madame Porteous a témoigné qu’un (1) sur dix (10) téléphones dans les ambulances ne fonctionnait pas à cette époque. Madame Porteous a constaté que l’ambulance qu’ils utilisaient en était une lorsqu’elle a pris le téléphone et il ne fonctionnait pas. Urgences-Santé n’a pas nié ces faits. Selon le Tribunal, il s’agit d’un cas clair de négligence de la part d’Urgences-Santé. Les techniciens ambulanciers travaillent dans des conditions urgentes où chaque minute compte. Ils doivent pouvoir compter sur de l’équipement fonctionnel en tout temps, car les vies des patients et du public en général en dépendent.
  2.        Selon la preuve non contestée, la défaillance de cet équipement essentiel dans l’administration des soins préhospitaliers et pour pouvoir effectuer la communication requise était un fait connu d’Urgences-Santé et de ses employés. Il s’agissait d’un problème affectant 10% des ambulances. Cela aurait dû être réparé rapidement, mais Urgences-Santé a laissé le problème se généraliser à 10% des ambulances en opération.
  3.        Le Tribunal conclut que Urgences-Santé était négligente et fautive à ce sujet.
  4.        Compte tenu de la preuve, le Tribunal conclut, tel que mentionné, que l’absence de confirmation de l’hôpital receveur en temps opportun, l’absence du préavis d’arrivée à l’hôpital en temps opportun et l’absence d’un téléphone fonctionnel dans l’ambulance résultent des fautes des techniciens ambulanciers et d’Urgences-Santé.

4.2.9. Conclusion quant à l’allégation des demandeurs de la faute d’Urgences-Santé et de ses techniciens ambulanciers

  1.        Les techniciens ambulanciers et Urgences-Santé ont commis de nombreuses erreurs et de violations aux règles de l’art dans l’administration des soins préhospitaliers de Nutin.
  2.        Il y a lieu de se référer au document de support des protocoles d’intervention faisant état des notions de base[155] :

« L'anaphylaxie est une réaction allergique sévère ou le corps réagit de façon exagérée a un allergène, un agent causal; elle peut causer la mort. Le nombre de Canadiens à risque d'anaphylaxie est d’environ 700 000 personnes. Heureusement les cas de décès sont maintenant peu fréquents, mais lorsqu’ils surviennent, ils touchent souvent de jeunes patients, et la situation aurait pu être évitée. L'absence ou le retard de traitement avec de I’épinéphrine est souvent un facteur en cause. II faut toujours traiter une situation d‘anaphylaxie comme une urgence médicale, et ne pas retarder l‘administration d’épinéphrine.

[…]

4.5.1 Traitement hospitalier vs préhospitalier

Le succès du traitement des signes et symptômes de la réaction anaphylactique repose sur la reconnaissance précoce de ceux-ci et de l‘administration rapide du traitement. Le traitement de la réaction anaphylactique vise surtout à stabiliser les fonctions respiratoire et circulatoire (ABC). Pour y parvenir, un support respiratoire et pharmacologique doit être apporté.

L’épinéphrine peut sauver la vie de la victime en bloquant la majeure partie des effets primaires de la réaction anaphylactique, comme la bronchoconstriction et l’hypotension. Le traitement préhospitalier doit supporter les fonctions vitales de la victime jusqu'à son arrivée au centre hospitalier, où elle recevra le traitement définitif.

[…]

Les deux tiers des décès causés par l’anaphylaxie surviennent dans la première heure de la réaction. Certains de ces patients avec antécédents s’étaient même injecté de l’épinéphrine avant l’arrivée de l’ambulance. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]


  1.        Les techniciens ambulanciers ont été dépêchés sur les lieux, car Nutin, ayant une allergie potentiellement mortelle, avec des antécédents graves, a ingéré des arachides par inadvertance. Nutin voulait aller à l’Hôpital de Verdun situé à sept cents (700) mètres de l’appartement où il était situé. Il a appelé le 9-1-1 à cette fin. Toutes les informations pertinentes ont été transmises à Urgence-Santé lors des appels de Nutin et de sa copine Marie. Les techniciens ambulanciers ont été mis au courant avant leur arrivée qu’il s’agissait d’un cas de réaction anaphylactique aux arachides d’une personne ayant déjà des antécédents de réaction grave. Le code désigné par Urgences-Santé était celui d’une situation mettant en danger la vie de la personne.
  2.        À 19h16, les premiers répondants arrivent. À 19h17, les premiers répondants administrent à Nutin une dose d’épinéphrine, le seul médicament connu qui peut agir contre une réaction anaphylactique. Les premiers répondants administrent à Nutin de l’oxygène à l’aide d’un masque.
  3.        À 19h22, les techniciens ambulanciers arrivent sur les lieux. Tous les symptômes de Nutin confirment qu’il est affligé d’une réaction anaphylactique en cours. Il est reconnu par tous qu’une réaction anaphylactique est une situation potentiellement mortelle. Il est également reconnu par tous que l’évolution d’une réaction anaphylactique est imprévisible et peut rapidement s’orienter vers un arrêt respiratoire et cardiaque du patient.
  4.        Le protocole MED.17 précise clairement aux techniciens ambulanciers les séquences obligatoires. Le patient doit être considéré dans un état instable. Il est urgent d’effectuer un départ hâtif des lieux et de transporter le patient à l’hôpital. Seul l’hôpital possède les ressources médicales, pharmacologiques et le personnel médical spécialisé pouvant prodiguer les soins médicaux requis pour gérer la situation instable, administrer un traitement préventif efficace, de même qu’un traitement définitif, et advenant l’évolution de la réaction anaphylactique vers un arrêt respiratoire ou même cardiaque, les soins hospitaliers avancés requis.
  5.        Suivant les protocoles d’intervention applicables en vigueur et les règles de l’art, les techniciens ambulanciers Madame Porteous et Monsieur Gulddal auraient dû quitter de manière hâtive et sans délai les lieux et effectuer le transport urgent de Nutin à l’Hôpital de Verdun.
  6.        Ils ne l’ont pas fait. Si les techniciens ambulanciers avaient agi selon les protocoles d’intervention applicables et les règles de l’art, Nutin serait toujours en vie. Nous y reviendrons lors de l’examen de la question de la causalité entre les fautes commises par Urgences-Santé et ses techniciens ambulanciers et le décès de Nutin.


  1.        À 19h24, si les techniciens ambulanciers avaient suivi les protocoles d’intervention applicables, ils auraient quitté les lieux pour se rendre à l’hôpital. Il s’agit d’une minute après la première prise des signes vitaux[156]. Il y a lieu de noter le texte suivant dans le protocole d’intervention d’appréciation[157] :

« Le TAP [technicien ambulancier paramédic] forme sa première impression sur l’état de stabilité du patient en recherchant rapidement les indices visuels sur l’état du patient et de la situation (position du patient, capacité à faire des phrases complètes, coloration, présence de tirage ou de diaphorèse, quantité de sang sur la scène, etc.). Ensuite, en complétant son appréciation primaire et son examen spécifique, il valide ou invalide celle-ci.

[…]

La documentation de l'histoire présente et des antécédents médicaux s’obtient simultanément à la prise de signes vitaux et de l'examen physique. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        L’absence de départ à ce moment constitue une première faute des techniciens ambulanciers dans les circonstances.
  2.        Ils auraient alors dû commencer l’évacuation de Nutin vers l’ambulance. Cela aurait dû prendre deux (2) minutes et vingt (20) secondes. Nutin aurait donc dû entrer dans l’ambulance à 19h26:20. Il est entré à 19h38:38, plus de douze (12) minutes plus tard. Il s’agit d’une deuxième faute des techniciens ambulanciers dans les circonstances.
  3.        Nutin aurait dû être sécurisé tout de suite, rebranché au moniteur et l’ambulance autrement sécurisée[158]. Cela aurait dû prendre un maximum de quatre (4) minutes dans les circonstances.
  4.        Devant une réaction anaphylactique, le seul médicament prévu par le protocole d’intervention applicable MED.17 est l’épinéphrine. Selon le protocole MED.17, devant une réaction anaphylactique, il faut continuer d’administrer des doses répétées d’épinéphrine (3mg par voie intramusculaire), avec ou sans amélioration de la condition du patient, toutes les dix (10) minutes et à toutes les cinq (5) minutes en cas de détérioration du patient. Les protocoles exigent qu’il faut administrer l’épinéphrine avant le salbutamol. Le document d’appui au protocole prévoit[159] :

« Si le patient s'est administré de l‘épinéphrine par auto-injecteur avant votre arrivée, la dose peut être répétée immédiatement à l'arrivée des techniciens ambulanciers paramédics si les critères d‘inclusion sont encore présents. »

  1.        Or, les techniciens ambulanciers n’ont pas suivi cette règle. Ils ont administré à Nutin le salbutamol. Ils ont ainsi faussé la présentation normale des symptômes qu’il présentait et la vraie évolution de la réaction anaphylactique en faisant atténuer ou renverser partiellement le bronchospasme sans administrer le seul médicament pouvant véritablement contrer la réaction grave en cours. En agissant ainsi, ils ont entrainé le retard du départ de Nutin à l’hôpital. Il s’agit d’une troisième violation des protocoles d’intervention applicables.
  2.        Rien n’empêchait les techniciens ambulanciers d’administrer le salbutamol après l’épinéphrine et même en transit vers l’hôpital[160].
  3.        Seulement Madame Porteous a accompagné Nutin lors de son déplacement à pied vers l’ambulance. Rien n’empêchait pendant ce temps Monsieur Gulddal de confirmer par radio le nom de l’hôpital receveur. Il ne l’a pas fait. Le patient était, en raison d’une réaction anaphylactique, présumé instable et les règles de départ hâtif et de transport urgent s’appliquaient. Il s’agit d’une quatrième faute des techniciens ambulanciers.
  4.        De même, rien n’empêchait Monsieur Gulddal de commencer à préparer pendant ce temps une injection d’épinéphrine. Cela aurait pu être administré par Madame Porteous lors de la sécurisation du patient, car, selon le témoignage de Monsieur Gulddal, c’est lui seulement qui s’est occupé de la sécurisation. Il s’agit d’une cinquième faute des techniciens ambulanciers.
  5.        Tel que mentionné, au cours de la période de sécurisation du patient dans l’ambulance (19h26:20 à 19h30:20), et entre 19h27 et 19h28 (soit dix (10) minutes après l’administration de la première dose à 19h17 par les premiers répondants), une deuxième dose d’épinéphrine aurait dû être administrée à Nutin. Cela n’a pas été fait. Les techniciens ont plutôt administré cette deuxième dose seulement à 19h33:31 soit quatre (4) minutes et onze (11) secondes plus tard.
  6.        Pendant que Monsieur Gulddal s’occupait de la sécurisation, Madame Porteous aurait pu appeler l’hôpital receveur et l’aviser du départ imminent et de l’état de Nutin. Elle ne l’a pas fait à ce moment. Il s’agit d’une sixième faute des techniciens ambulanciers.
  7.        Les techniciens ambulanciers auraient dû quitter les lieux vers l’hôpital receveur dès la sécurisation de Nutin. Cela aurait dû être réalisé au plus tard vers 19h30:20. Ils ne l’ont pas fait. Il s’agit d’une septième faute des techniciens ambulanciers. Ils sont restés sur place sans raison et sont partis à 19h47:04, soit dix-sept (17) minutes et trente-quatre (34) secondes plus tard alors que l’état de Nutin se détériorait manifestement et graduellement sur les lieux. Dans les faits, les techniciens ambulanciers sont partis uniquement lorsque Nutin était en arrêt respiratoire, en crise et instable alors que la couleur de sa peau commençait à devenir bleutée.
  8.        Le transport à l’hôpital aurait dû être effectué dans une période maximale d’une (1) minute.
  9.        Le transport a plutôt été effectué en trois (3) minutes (17h47:04 à 17h50:04). La vitesse maximale permise n’a pas été utilisée. Les sirènes permises n’ont pas été utilisées, contrairement au protocole d’intervention applicable. Il s’agit d’une huitième faute des techniciens ambulanciers.
  10.        À son arrivée, Nutin aurait dû pouvoir être pris en main par une équipe hospitalière qui était avisée au préalable de son arrivée alors que son état ne s’est pas encore détérioré de manière radicale et avant qu’il ne soit dans un état clinique instable pendant plusieurs minutes et en arrêt respiratoire.
  11.        Trop tard, soit à 19h47:31[161], les techniciens ambulanciers ont tenté d’appeler l’hôpital, mais le téléphone dans la cabine de l’ambulance prévue à cette fin ne fonctionne pas. Il s’agit d’une neuvième faute. Celle-ci est d’Urgences-Santé elle-même.
  12.        Les techniciens ambulanciers ont appelé par radio au centre de communication leur demandant d’aviser l’Hôpital de Verdun de leur arrivée, des circonstances et les besoins immédiats requis. Cela a pris du temps supplémentaire et a allongé la durée du transport. Malheureusement, le message de préavis est envoyé tardivement (19h50:26) et après que l’ambulance arrive à l’hôpital (19h50:04) et le message transmis est erroné.
  13.        Au cours du trajet, et en raison des événements chaotiques et des problèmes de communication, le technicien ambulancier au volant Leif Gulddal est ainsi pris avec des efforts de communication au centre de communication et ne conduit pas à la vitesse maximale permise pour le transport urgent. Cela engendre un délai additionnel du transport.
  14.        Le trajet aurait dû prendre une (1) minute ou moins. À 19h31:20, le personnel hospitalier aurait dû pouvoir prendre en charge Nutin. À la suite de ces multiples fautes des techniciens ambulanciers et d’Urgences-Santé, même si l’ambulance arrive vers 19h50[162], l’équipe hospitalière ne peut pas commencer à s’occuper de Nutin que vers 19h53, soit près de vingt-deux (22) minutes plus tard.
  15.        En raison de l’absence de message de préavis adéquat, lorsque les techniciens ambulanciers arrivent avec Nutin, le personnel de la salle de choc n’est pas prêt à le recevoir. Cela entraîne un autre délai avant de pouvoir prodiguer les soins médicaux d’urgence à Nutin qui est déjà en crise d’arrêt respiratoire depuis quatre (4) minutes (19h46). Nutin ne reçoit donc pas les soins qui lui sont requis pendant qu’il est en crise respiratoire pour au moins sept (7) minutes (19h46 à 19h53) avant que l’équipe de la salle de choc ne puisse commencer à l’examiner.
  16.        Vu l’absence de préavis requis en temps opportun, l’équipe de la salle de choc doit gérer l’arrivée de Nutin en situation de crise, ce qui engendre un délai de traitement pour l’administration de l’épinéphrine (19h55) et les soins d’un inhalothérapeute (20h00).
  17.        De plus, avant leur départ des lieux, les techniciens ambulanciers n’ont pas suivi les règles prévues au protocole MED.17 concernant l’administration répétée de l’épinéphrine. Dès la constatation d’une réaction anaphylactique en cours, ils auraient dû administrer à répétition des doses d’épinéphrine à Nutin dans les cinq (5) minutes (en cas de détérioration de son état) ou dix (10) minutes (sans ou avec amélioration de son état).
  18.        Selon la demande, l’état de Nutin se détériore depuis 19h26 (reconnaissance de ce fait par l’administration par les techniciens ambulanciers du salbutamol à 19h26). Selon les observations de Marie, Nutin se détériorait graduellement au cours de la période où les techniciens ambulanciers en avaient la charge, jusqu’à une détérioration dramatique à la fin[163]. Les techniciens ambulanciers effectuent le transfert de Nutin à l’hôpital à 19h50. Il s’agit d’un intervalle de vingt-quatre (24) minutes. Au cours de cette période, selon le protocole MED.17, les techniciens ambulanciers auraient dû avoir administré au moins quatre (4) doses d’épinéphrine à Nutin.
  19.        Or, selon la défense, au cours de cette période, les techniciens ambulanciers ont administré deux (2) doses d’épinéphrine[164]. Cela laisse au moins deux (2) doses qui auraient dû être administrées selon le protocole, mais qui n’ont pas été. Il s’agit du seul médicament qui aurait pu donner à Nutin une chance de contrer les effets de la réaction anaphylactique. Le transport ne peut être un facteur, car la période (20 minutes : 4 x 5) en question a lieu entre 19h26 et 19h46, donc, avant le départ de l’ambulance (19h47). Or, la règle à suivre à ce sujet est clairement prévue dans le document d’appui aux protocoles d’intervention[165] :

« - Répétition de la dose

Si la victime se détériore malgré l’administration de l’épinéphrine, une autre dose doit lui être administrée 5 minutes après la précédente. S’il y a absence d’amélioration sans détérioration ou que les critères d’inclusion sont toujours présents 10 minutes après l’injection de l’épinéphrine, il faut donner une dose subséquente. Aucun nombre maximum de doses n’a été fixé pour l’administration de l’épinéphrine dans un contexte d’anaphylaxie. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Chaque omission de donner une dose d’épinéphrine constitue une faute distincte. Au cours de la période durant laquelle les techniciens ambulanciers avaient la charge de Nutin, ils ne lui ont pas administré le médicament, selon les doses requises, qui auraient pu repousser et réagir aux conséquences de la réaction anaphylactique. Il s’agit donc des dixième et onzième fautes des techniciens ambulanciers et d’Urgences-Santé.
  2.        En raison des omissions, violations de leurs propres protocoles et des règles de l’art applicables, Urgences-Santé et ses techniciens ambulanciers ont commis au moins onze (11) fautes qui sont susceptibles d’engager la responsabilité civile d’Urgences-Santé.
  3.        La preuve à ce sujet est claire, convaincante et prépondérante. Les techniciens ambulanciers en l’espèce n’ont pas agi comme des techniciens ambulanciers raisonnablement prudents et diligents auraient agi dans les mêmes circonstances. Les décisions prises et les omissions commises s’écartent d’une conduite raisonnable et sont fautives.
  4.        Le Tribunal examinera ensuite si ces fautes ont occasionné le décès de Nutin.

5. Les fautes d’Urgences-Santé, le cas échéant, sont-elles la cause du décès de Nutin ?

5.1. Ces fautes, le cas échéant, sont-elles la cause du décès de Nutin ?

  1.        Nous avons conclu que, n’eut été des fautes d’Urgences-Santé, y compris celles de ses techniciens ambulanciers, Nutin serait arrivé à l’Hôpital de Verdun et une prise en charge par le personnel hospitalier, avisé au préalable de son arrivée et prêt pour lui, aurait été effectuée à partir de 19h31:20.
  2.        Le transfert de Nutin, dans les circonstances chaotiques, au personnel hospitalier a plutôt eu lieu à 19h50, soit dix-huit (18) minutes et quarante (40) secondes plus tard. Le personnel de la salle de choc a pu commencer à l’examiner seulement à 19h53 (22 minutes plus tard) et a pu commencer à administrer les soins à 19h55 (24 minutes plus tard). Les techniciens ambulanciers n’ont pas non plus administré les doses d’épinéphrine prévues et requises par les protocoles d’intervention applicables avant l’arrivée de Nutin à l’hôpital.
  3.        Selon le Tribunal, les fautes d’Urgences-Santé et de ses techniciens ambulanciers sont la cause directe du décès de Nutin pour les raisons suivantes.
  4.        Selon la prépondérance de la preuve, si Nutin était arrivé à l’hôpital à 19h31:20, il serait toujours en vie. Selon la Cour, l’avis de Dr. Foxford à cet effet est exact. Selon la preuve, au cours de cette période additionnelle de près de vingt (20) minutes, la condition médicale de Nutin s’est graduellement détériorée. Au cours de cette période, les symptômes présentés par Nutin démontrent une détérioration graduelle et Nutin exprime à répétition que son état se détériore[166].
  5.        À 19h31:05, Nutin confirme qu’il se sent “dizzy” (étourdi)[167].
  6.        À 19h34:56, Nutin confirme qu’il continue de ressentir l’irritation à la gorge[168].
  7.        À 19h38:23, Nutin dit : “I don’t know, but I feel a bit confused. I feel like I’m having a very hard time”[169].
  8.        À 19h38:57, Nutin dit : “[la gorge] It’s not feeling better”[170].
  9.        À 19h39:00, Nutin dit :“It’s not feeling any better”[171].
  10.        À 19h39:09: Nutin dit : “I’m having a hard time breathing”[172].
  11.        À 19h40:55, Nutin dit : “My wrist is getting numb”[173].
  12.        À 19h41:56, Nutin dit :“it’s getting worse [my breathing]”[174].
  13.        À 19h42:03, Nutin dit :“it’s [air] not coming in”[175].
  14.        À 19h43:04, Nutin dit : “No, feels like it’s the worst”[176].
  15.        À 19h43:17, Nutin dit :“it’s [breathing] worse”[177].
  16.        À 19h44:19, Nutin répète : “Its getting worse [breathing]”[178].
  17.        À 19h44:49, Nutin répète : “It’s getting worse”[179].
  18.        À 19h45:12, Nutin dit : “I’m dying”[180].
  19.        À 19h45:29, Nutin dit : “it’s worse, it’s worse”[181].
  20.        À 19h45:48, Nutin dit : “I’m dying”[182].
  21.        À 19h46:05, Nutin dit : “It’s getting worse and worse”[183].
  22.        À 19h48:24, Nutin says “I’m gonna die … I’m gonna die”[184].
  23.        À 19h48:40, Nutin dit : “I’m dying”[185].
  24.        À 19h48:45, Nutin répète “I’m dying”[186].
  25.        À 19h49:33, Nutin crie : “I’m dying”[187].
  26.        À 19h49:35, Nutin répète : “I’m going to die”[188].
  27.        Lorsque Nutin arrive à l’hôpital, il est inconscient. Selon les notes médicales, à toutes fins pratiques, il ne respire plus.
  28.        Malgré cette détérioration graduelle, les techniciens ambulanciers sont restés sur les lieux jusqu’à 19h47:04.


  1.        Selon le Dr. Brunet, Nutin « a malheureusement souffert d’une détérioration très rapide dans les deux (2) à trois (3) dernières minutes avant son arrivée au centre hospitalier »[189]. Il affirme que cette détérioration radicale a lieu entre 19h46 et 19h49. Selon le dossier, à 19h47, les techniciens ambulanciers communiquent avec le centre de communication pour l’informer que l’état de Nutin est devenu « instable »[190]. Nutin entre alors en arrêt respiratoire, il est agité et il commence à changer de couleur (bleuté)[191].
  2.        La « détérioration très rapide » ou la détérioration radicale se manifeste par un arrêt respiratoire qui n’a pas commencé avant 19h46.
  3.        Il en découle donc que, si Urgences-Santé, y compris ses techniciens ambulanciers, n’avaient pas commis leurs fautes, Nutin aurait été présent à l’hôpital quinze (15) minutes avant cette « rapide détérioration ». Ainsi, en amont, pendant et en aval de sa détérioration rapide, Nutin aurait eu accès à tous les soins avancés hospitaliers, soit tout le personnel médical, les spécialistes médicaux et les médicaments de même que des moyens avancés de les administrer. Par exemple, une administration intraveineuse d’épinéphrine toutes les trois (3) minutes aurait pu être commencée devant les signes progressifs de détérioration[192] et une intubation chirurgicale aurait pu être effectuée avant que Nutin n’entre en crise respiratoire.
  4.        Selon la preuve, avec les ressources hospitalières, les médecins urgentologues et leurs équipes auraient, en toute probabilité, empêché la détérioration graduelle de continuer. Ils auraient réussi à contrôler et maintenir stable les signes vitaux de Nutin pour empêcher que son état ne devienne instable et en crise et enfin, que la « détérioration très rapide » qui a entrainé le décès de Nutin ne se produise pas.
  5.        L’équipe médicale hospitalière n’a pas eu l’opportunité de réagir en temps opportun, alors que c’était encore possible d’administrer les soins médicaux requis à Nutin pour stabiliser son état, pour empêcher sa détérioration graduelle et empêcher la détérioration finale radicale dont il a été victime.
  6.        L’arrivée très tardive à l’hôpital et l’absence de préavis à l’hôpital étaient contraires aux règles de l’art et ont eu pour résultat que, au cours de sa détérioration radicale, Nutin n’a pas pu recevoir des soins hospitaliers avancés. En toute probabilité, si Nutin avait pu recevoir des soins hospitaliers avancés en temps opportun et à partir de 19h31, ces soins auraient permis de sauver la vie de Nutin et il serait toujours en vie.


  1.        De 19h46 à 19h53, soit pendant sept (7) minutes où la vie de Nutin pesait dans la balance et avec des conséquences irréversibles, Nutin n’avait pas les soins hospitaliers disponibles et requis par son état de santé.
  2.        Lorsque Nutin arrive dans la salle de choc, il est décrit comme « cyanose du visage »[193], et de « coloration bleutée »[194]. Dans son témoignage, Marie témoigne qu’elle a vu Nutin changer de couleur, en particulier au cours de la période de transport. Selon le dossier hospitalier, à son arrivée, Nutin n’est plus conscient. Il ne répond pas aux ordres, il ne respire pas ou à peine. Aucune valeur de tension artérielle n’est lisible ni de saturation[195].
  3.        Plusieurs tentatives d’intubation sont essayées, mais ne sont pas efficaces, car il y a présence de vomissements lors de l’aspiration[196]. L’arrêt cardiaque se produit rapidement à 20h04. Nutin a perdu conscience avant d’entrer dans la salle de choc et n’a jamais repris conscience. Des manœuvres de réanimation prolongées de vingt-et-une (21) minutes sont entreprises, ce qui engendre un retour de circulation. Ce long délai d’arrêt cardiaque a cependant entraîné des dommages irréversibles au cerveau de Nutin, ce qui a entrainé sa mort cérébrale. Cela est confirmé par les examens dans les jours suivants.
  4.        Selon la recherche scientifique médicale, lorsqu’une personne en réaction anaphylactique se présente à l’hôpital et bénéficie des soins hospitaliers, il y a très peu de chances de mourir.
  5.        La demande a produit une publications scientifique médicale à ce sujet[197] . Le texte se lit comme suit :

“[…] to our knowledge, this is the largest and most comprehensive epidemiologic study to date on anaphylaxis mortality, and the results from 3 separate databases appear to corroborate and complement each other.

[…]


In conclusion, from 2006 to 2009, the overwhelming majority of hospitalizations or ED [Emergency Department] presentations for anaphylaxis did not result in death, with an average case fatality rate of 0.3%, probably reflecting in part the quality of care provided in the urgent care setting.”

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Ainsi, lorsqu’une personne souffrant d’une réaction anaphylactique est admise à l’hôpital, les chances de mourir sont de 0,3%. En milieu hospitalier, une telle personne a donc un taux de survie de 99,6%. Le Dr. Foxford a présenté cette étude au Tribunal. Le Dr. Brunet n’a pas contesté son caractère exact et applicable.
  2.        Cette preuve confirme le caractère exceptionnel et hors norme du cas de Nutin. Celui-ci a été amené à l’hôpital dans un état médical tellement détérioré que sa situation médicale était, à toutes fins pratiques, irréversible. L’absence de préavis à l’hôpital a aggravé le retard et la situation et a empêché l’équipe hospitalière de pouvoir administrer les soins avancés requis par Nutin en temps opportun[198].
  3.        Le Tribunal conclut que si les techniciens ambulanciers avaient respecté les règles de l’art et les protocoles d’intervention, Nutin serait arrivé à l’hôpital à 19h31:20. Le Tribunal conclut que dans ce cas, en toute probabilité, Nutin aurait survécu et serait toujours en vie.
  4.        Il y a toutefois plus. En toute probabilité, même si Nutin était arrivé plus tard, et au moins avant 19h46, et qu’un préavis conforme à l’hôpital aurait été communiqué avant, Nutin aurait survécu. Ainsi, si les techniciens ambulanciers avaient effectué le transport de Nutin plus tôt avec les avis requis, et que Nutin était arrivé à l’hôpital à 19h32, 19h33, 19h34, 19h35, 19h36, 19h37, 19h38, 19h39, 19h40, 19h41, 19h42, 19h43, 19h44 ou 19h45, en toute probabilité, Nutin aurait survécu.
  5.        Compte tenu de la preuve, il n’est pas nécessaire de faire des déterminations pour la période après 19h45, mais il est clair que Nutin a également été privé des soins hospitaliers requis par son état de santé, en raison des fautes d’Urgences-Santé jusqu’à huit (8) minutes plus tard (19h53).
  6.        Le Tribunal conclut que selon la preuve, si les techniciens ambulanciers avaient respecté les protocoles d’intervention applicables, ils seraient arrivés à l’hôpital avec Nutin à 19h31:20.
  7.        En ce faisant, le Tribunal a rejeté certains des motifs invoqués par la défense pour justifier une présence plus longue sur les lieux avant de partir.
  8.        Or, suivant l’hypothèse que le Tribunal aurait pu se tromper quant à ces moyens, ce que le Tribunal ne croit pas, ces motifs pourraient justifier des délais additionnels, à savoir concernant la réticence de Nutin aux aiguilles (une (1) minute allouée), l’administration d’une première dose de salbutamol (deux (2) minutes allouées) et l’appréhension de Nutin à aller à l’hôpital (trente (30) secondes allouées). Il s’agit d’une période hypothétique additionnelle totale de trois (3) minutes et trente (30) secondes.
  9.        Suivant ces hypothèses, les techniciens ambulanciers auraient dû arriver à l’hôpital plutôt à 19h34:50 (19h31:20 + 3:30). Or, même suivant ces hypothèses, compte tenu de la preuve, en raison de l’état de Nutin à ce moment, en toute probabilité, il aurait pu recevoir, en temps opportun, les soins hospitaliers requis pour sauver sa vie. Ainsi, même en considérant que ces moyens sont fondés, ce que le Tribunal ne croit pas, les autres fautes notées des techniciens ambulanciers et d’Urgences-Santé demeurent causales quant au décès de Nutin.
  10.        Compte tenu de la preuve, le Tribunal conclut que les fautes d’Urgences-Santé ont causé le décès de Nutin. Le Tribunal conclut que, en toute probabilité, n’eut été des fautes d’Urgences-Santé et de ses techniciens ambulanciers, Nutin ne serait pas décédé à la suite de son ingestion d’un sandwich contenant des arachides. La mort de Nutin était tout à fait évitable.
  11.        Le Tribunal conclut donc que les fautes d’Urgences-Santé et de ses techniciens ambulanciers ont entraîné le décès de Nutin et sont la cause directe et immédiate de son décès.

5.2. Faute contributoire de Nutin

  1.        Advenant que le Tribunal concluait à la faute d’Urgences-Santé, cette dernière plaide qu’il y a eu faute contributoire de Nutin qui a contribué à son décès.
  2.        L’article 1478 C.c.Q. prévoit :

« Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l’auteur, entraîne également un tel partage. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]


  1.        Ce moyen n’est pas mentionné dans l’exposé des moyens de défense d’Urgences-Santé dans le protocole commun. Il est uniquement mentionné dans le plan d’argumentation d’Urgences-Santé[199].
  2.        Urgences-Santé soumet que Nutin était bien au courant de son allergie aux arachides. Il a déjà eu une réaction allergique grave à l’ingestion des arachides. Dans ces circonstances, Urgences-Santé plaide que Nutin a commis une faute en mangeant un sandwich dont les ingrédients lui ont été inconnus dans une demeure qui n’était pas la sienne, soit celle du père de Marie. Urgences-Santé demande que le Tribunal attribue 50% de la responsabilité du décès de Nutin à celui-ci.
  3.        Les demandeurs contestent ce moyen de défense. Selon les demandeurs, la preuve notamment administrée selon les témoignages du père de Nutin (Gary McFarland), de sa mère (Annie Cyr) et de Marie Bouchard démontrent un comportement prudent et diligent généralisé de Nutin concernant les précautions et les mesures qu’il prenait et que son entourage prenait afin de ne pas entrer en contact avec les arachides et surtout, de ne pas en ingérer[200].
  4.        Les parents de Nutin ont témoigné que Nutin a grandi dans un milieu familial qui mettait l’accent sur un régime strict selon lequel les produits contenant ou même pouvant contenir des arachides n’étaient jamais autorisés à entrer dans la demeure familiale. Également, Nutin allait partout avec sa boite contenant son Épipen et ses pompes pour l’asthme. La défense soulève que l’Épipen dans la boite de Nutin, au moment de l’incident du 29 octobre 2017, avait dépassé sa date de péremption[201].
  5.        Marie témoigne que Nutin était très vigilant et prudent en rapport avec son allergie. Il vérifiait toujours ce qu’il achetait à l’épicerie et il vérifiait toujours les ingrédients des mets offerts aux menus dans les restaurants avant de commander. Marie a témoigné qu’il était convenu entre eux qu’elle devait se brosser les dents avant de l’embrasser si elle avait mangé un produit pouvant contenir des arachides.
  6.        Vers 19h06, le 29 octobre 2017, Nutin s’est levé et avait faim. Il vérifie ce qui est mis dans le réfrigérateur et il aperçoit des sandwichs de thon.


  1.        Selon la preuve, il est surprenant et irrégulier qu’un sandwich au thon comprenne des arachides[202]. Marie a expliqué dans son témoignage que la présence d’arachides dans les sandwichs de thon en question était attribuable au fait qu’il s’agissait d’une recette particulière de sa grand-mère[203]. Marie ne savait pas qu’il y avait ces sandwichs dans le réfrigérateur. Ceux-ci avaient été préparés par son frère pour une activité à laquelle Marie n’a pas participé.
  2.        L’allégation de faute contributoire s’évalue suivant la norme de moyens en vertu de l’article 1457 C.c.Q.
  3.        Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le Tribunal est d’avis que la défense a raison de plaider l’existence d’une faute contributoire de la part de Nutin. Lorsqu’il a mangé le sandwich au thon, Nutin était dans une demeure qui n’était pas la sienne. Nutin aurait dû prendre des moyens pour s’informer des ingrédients du sandwich avant de le digérer. Même s’il est improbable qu’un sandwich de thon comprenne des arachides, compte tenu de son allergie, Nutin aurait dû faire des vérifications.
  4.        Cela étant, le Tribunal rejette la demande de la défense d’attribuer une part de 50% à cette faute de Nutin. Lors d’un partage de responsabilité, l’article 1478 C.c.Q. instruit le Tribunal de le faire « en proportion de la gravité » de la faute commise par chacune des parties impliquées.
  5.        La faute d’Urgences-Santé de même que son rôle dans les événements entrainant le décès de Nutin est beaucoup plus grave et lourde que celle de Nutin.
  6.        En ingérant un sandwich au thon sans vérifier s’il contenait des arachides, Nutin n’a pas exercé la diligence requise dans les circonstances. Or, cela n’aurait pas dû entrainer son décès. Si Urgences-Santé et ses techniciens ambulanciers avaient respecté leurs propres protocoles et les règles de l’art, Nutin serait encore en vie, malgré cela. Si Urgences-Santé et les techniciens ambulanciers avaient agi comme ils auraient dû le faire, Nutin aurait été transporté rapidement à l’hôpital, aurait reçu les soins médicaux hospitaliers requis de même que les injections d’épinéphrine requises et ses chances de survie dans un milieu hospitalier auraient été de plus de 99%.
  7.        Il reste que si Nutin avait fait des vérifications avant d’ingérer le sandwich, il ne l’aurait pas mangé et il n’aurait pas été nécessaire de faire appel à l’aide de la défenderesse.

  1.        Compte tenu de l’ensemble de la preuve et des facteurs à considérer, le Tribunal arbitre un pourcentage de 10% de faute contributoire à Nutin. Ainsi, pour tout dommage subi par une des parties demanderesses, il y a lieu de réduire les dommages-intérêts compensatoires à accorder de 10%.

6. Si oui, les demandeurs ont-ils droit à des dommages-intérêts et le cas échéant, à quels montants?

6.1. Nature non pécuniaire de la plupart des dommages-intérêts réclamés en réparation du préjudice subi, méthode d’actualisation et indemnité additionnelle

  1.        Les demandeurs réclament principalement des dommages-intérêts compensatoires de nature non pécuniaire pour le préjudice moral subi par eux en raison du décès prématuré de Nutin.
  2.        Suivant l’article 1607 C.c.Q., la partie fautive est tenue à la réparation du préjudice subi.
  3.        Les tribunaux ont établi une liste non exhaustive de facteurs à considérer par le Tribunal dans l’examen d’une demande d’indemnisation de dommages non pécuniaires, notamment d’un membre de la famille de la victime[204] :
  1. les circonstances du décès;
  2. l’âge de la victime et du parent;
  3. la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent;
  4. la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès;
  5. l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres.
  1.        Les avocates des parties ont présenté au Tribunal leurs propositions quant aux montants appropriés que le Tribunal devrait retenir pour chaque demandeur, advenant que la demande ait gain de cause.
  2.        Les propositions des parties sont basées sur leurs interprétations de la jurisprudence qui a accordé des dommages-intérêts de cette nature.
  3.        Compte tenu du fait que la jurisprudence est rendue suivant des années différentes, les parties ont actualisé les montants accordés[205].
  4.        Les avocats ont utilisé le même outil informatique pour actualiser les montants à savoir la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada[206].
  5.        Les avocats des parties soumettent au Tribunal des montants indexés accordés par la jurisprudence suivant deux (2) méthodes, soit :
  1.      (début) à partir de la date d’institution du dossier du jugement cité à (fin) la date d’institution du présent dossier, soit le 19 octobre 2020[207]; et
  2.      (début) à partir de l’année du jugement cité à (fin) l’année du présent jugement (2025).
  1.        À notre avis, il y a lieu de suivre la même règle de calcul que celle précisée par la jurisprudence en matière de calcul de la perte non pécuniaire de la victime survivante d’un préjudice corporel, plus précisément la méthode d’indexation utilisée par le plafond d’indemnisation de l’arrêt Andrews[208].
  2.        Dans l’arrêt Godin c. Quintal, la Cour d’appel précise que la détermination du plafond des pertes non pécuniaires dans ce contexte se fait à la date de l’institution des procédures. Le juge Letarte s’exprime ainsi[209] :

« [249] Dans l'espèce, je suis d'avis que tous les calculs doivent être déterminés à partir d'une date unique soit celle de l'institution des procédures et cela tant pour la détermination du plafond des pertes non pécuniaires que pour le point de départ de l'indemnité additionnelle. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Le juge Chamberland s’exprime ainsi[210] :

« [84] Il y a lieu ensuite de fixer à 120 000,00 $ l'indemnité pour pertes non pécuniaires en prenant comme base de calcul le plafond fixé par la Cour suprême du Canada pour les pertes de ce genre, indexé à la date d'institution des procédures pour tenir compte des effets de l'inflation sur la valeur de l'argent depuis 1978.

[…]


Il vaut donc mieux, à mon avis, faire ce que mon collègue propose, soit établir le montant de l'indemnité pour pertes non pécuniaires à la date de l'institution des procédures et fixer à cette date le point de départ des intérêts et de l'indemnité additionnelle, comme si l'intimée avait joui de ce capital depuis cette date. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        La jurisprudence subséquente de la Cour d’appel[211] et de la Cour supérieure[212] confirment cette approche.
  2.        Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore dans leur ouvrage La responsabilité civile écrivent[213] :

« 1-659 – Pertes non pécuniaires – En ce qui a trait aux pertes non pécuniaires, certaines décisions calculaient l'indemnité additionnelle depuis l'assignation. D'autres, au contraire, préféraient utiliser, comme point de départ, la date du jugement de première instance. On remarquait, à cet égard, une certaine confusion, comme en fait foi d'ailleurs un arrêt de la Cour d'appel, impliquant deux parties demanderesses, qui avaient utilisé, pour chacune d'elles, une date différente. Un arrêt de la Cour d'appel clarifie la situation. D'une part, il réitère le principe de l'utilisation d'une date unique pour tous les calculs. D'autre part, il établit que cette date unique est le jour de l'assignation. Cette solution doit être approuvée. »

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

  1.        Nous sommes d’avis que les principes exprimés par la Cour d’appel voulant que le plafond de l’arrêt Andrews soit indexé en date de l’institution des procédures et voulant que toutes les dates de calcul, incluant celle de l’indemnité additionnelle, soient identiques devraient s’appliquer à l’analyse et au calcul de la perte non pécuniaire du décès d’un proche. En effet, malgré le fait qu’il n’y a pas de plafond d’indemnisation lors de l’analyse de l’indemnisation du solatium doloris des proches, la méthode d’indexation des montants accordés par les jugements cités comme référence devrait, selon nous, suivre logiquement la méthode d’indexation approuvée dans la décision Godin c. Quintal.


  1.        L’auteur Daniel Gardner est également de cet avis. Lors de la comparaison des montants accordés par la jurisprudence dans des causes analogues pour fixer une indemnité de solatium doloris, il est d’avis que ceux-ci doivent être indexés en date de l’assignation des procédures[214]. En effet, selon l’auteur Gardner, les montants des décisions généralement utilisés comme des éléments comparatifs ont été évalués par les juges en date de l’assignation, pour ensuite y ajouter l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévus par la loi[215]. Il donne l’exemple du jugement Ruest c. Boily[216] où le montant octroyé aux parents pour les pertes non pécuniaires à la suite du décès de leur enfant mineur a été accordé en date de l’assignation en 1995 et non au jour du jugement en 2002.
  2.        Dans son ouvrage sur le préjudice corporel, le professeur Gardner inclut un tableau des pertes non pécuniaires qui résultent d’un décès à partir des « décisions rendues au Québec depuis 1997 en fonction de l’âge du défunt[217] ». Dans ce tableau, on constate que les montants mentionnés le sont à la date de l’institution des procédures judiciaires[218]. Selon l’auteur Gardner, la date de l’institution des procédures judiciaires est un compromis[219] :

« Ce choix a pour effet de retenir une date d’évaluation qui se situe souvent à mi-chemin entre la date du décès et celle du jugement de première instance, ce qui permet de réaliser un compromis entre les perceptions des victimes par ricochet — qui ont vécu le choc dès l’annonce du décès — et celles du juge qui a naturellement tendance à se référer à la valeur du dollar au moment où il rend son jugement. »

  1.        Étant donné que l’inflation sera en tout ou en partie compensée par l’octroi de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle, la Cour est d’avis qu’il y a risque de double indemnisation des proches si le montant de compensation est indexé jusqu’à 2025 alors que l’intérêt et l’indemnisation additionnelle courent à partir de la date d’assignation (2020).
  2.        De plus, il nous semble illogique que l’indexation effectuée du plafond prévu par l’arrêt Andrews suit une méthode différente de celle utilisée pour le calcul des dommages non pécuniaires des proches.
  3.        Pour toutes ces raisons, le Tribunal utilise pour les fins du calcul les chiffres d’actualisation fournis par les avocates suivant la méthode (a), soit à partir de la date d’institution des procédures des dossiers des jugements cités à la date d’institution des procédures du présent dossier.
  4.        L’évaluation des dommages en matière non pécuniaire intègre une marge importante de discrétion de la part du Tribunal. Néanmoins, il paraît utile, pertinent et nécessaire que les chiffres utilisés par les parties et le Tribunal suivent une même méthodologie.
  5.        Tel que mentionné, conformément à la règle générale suivie par la jurisprudence en matière de dommages non pécuniaires[220] et tel que demandé dans la demande introductive, les montants accordés porteront intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle depuis l’assignation des procédures, soit le 19 octobre 2020[221].
  6.        Les jugements clés utilisés par le Tribunal (Roussin[222], Shaikh[223]) ont utilisé cette méthode : les dommages ont été établis par le jugement cité et les montants octroyés portent intérêt légal et indemnité additionnelle à partir de l’assignation de la procédure.
  7.        Le Tribunal abordera les différentes réclamations dans l’ordre qu’elles sont présentées dans le plan d’argumentation des demandeurs[224].

6.2. Succession de Nutin McFarland

  1.        La Succession de Nutin McFarland est en droit de réclamer des dommages pour les souffrances et douleurs subies par lui avant son décès[225]. Il n’y a pas de doute que Nutin était conscient et qu’il a réellement souffert avant qu’il ne perde connaissance et avant son décès. Nutin a souffert et a exprimé, à répétition, avec inquiétude et peur, que son état se détériorait : "It’s getting worse", "feels like it’s the worst", "it’s getting worse", "it’s worse, it’s worse", "it’s getting worse and worse". Ces appels de souffrance par lui se transforment ensuite en des cris d’angoisse et de panique aigus alors qu’il entre en arrêt respiratoire. À partir de 19h45:12, Nutin s’exclamait, à au moins cinq (5) reprises, qu’il était en train de mourir ("I’m dying"). Il ne pouvait pas respirer, il changeait de couleur pour une coloration bleutée et il a évoqué, à plusieurs reprises, des mots prémonitoires qu’il allait mourir ("I’m gonna die"), dans les moments précédant sa perte de conscience, en panique et en désespoir.
  2.        Pour sa part, la défense soumet que les souffrances de Nutin ont duré environ une vingtaine de minutes[226].
  3.        La Cour est d’avis que les conditions requises pour octroyer des dommages-intérêts pour les souffrances et douleurs subies par Nutin sont satisfaites. La demande réclame 50 000 $ à ce titre. La défense suggère un montant ne devant pas excéder 10 000 $[227].
  4.        Selon la jurisprudence soumise au Tribunal, le montant le plus élevé accordé pour ce type de dommages au Québec est, en dollars actualisés à 2020, 62 650 $[228]. Dans l’affaire Shaikh, la victime était consciente de sa mort imminente, comme Nutin l’a été. En l’espèce, Nutin a subi une mort souffrante et agonisante. Il avait désespérément besoin de l’air pour respirer et avait conscience qu’il ne pouvait pas respirer et qu’il était en voie de mourir. Il semblait avoir perdu confiance envers les techniciens ambulanciers et était en désespoir d’avoir de l’aide médicale dont il avait besoin. Plusieurs jugements ont accordé sous ce chef de responsabilité des dommages-intérêts d’environ 25 000 $, en dollars actualisés[229] mais les faits présentés dans ces jugements nous paraissent plus éloignés des faits du présent dossier et moins pertinents que ceux de l’affaire Shaikh.
  5.        Compte tenu de l’ensemble de la preuve et de la jurisprudence à ce sujet, la Cour accorde à la Succession de Nutin McFarland le montant de 45 000 $.
  6.        Compte tenu de la faute contributoire de Nutin, ce montant est réduit de 4 500 $, ce qui le porte à 40 500 $.

6.3. Annie Cyr

  1.        Annie Cyr, la mère de Nutin, réclame des dommages subis à la suite du décès de Nutin, y compris les douleurs et souffrances, de même que la perte de conseil et de soutien dont elle espérait, au cours de sa vie, pouvoir bénéficier de la part de Nutin.


  1.        Il faut noter que la famille de Nutin est très restreinte. Il s’agit de deux (2) parents, de deux (2) enfants (Nutin et Maikan) et de deux (2) grands-parents maternels, Bernard Cyr et Henriette McKenzie. Selon la preuve, il s’agit d’une famille très proche et dont les liens d’affection et de soutien sont intenses et nombreux. Il est clair, selon la preuve, que tous les membres de la famille sont dévastés par la perte imprévue et soudaine de Nutin alors que son décès était évitable et n’aurait pas dû avoir lieu.
  2.        Les deux parents de Nutin avaient des grands espoirs pour lui, à tous les niveaux, y compris quant à son avenir, à sa carrière, à sa contribution à leur famille et sa contribution à leur communauté. Les deux parents avaient également des espoirs à devenir des grands-parents par l’entremise de Nutin.
  3.        Madame Cyr avait une relation très proche avec son fils. Elle était impressionnée par l’intelligence académique de Nutin. Lorsque Nutin s’appliquait à une matière d’étude, il réussissait toujours à la maitriser et il avait des bonnes notes. Madame Cyr a également été impressionnée par la grande intelligence émotive de Nutin, sa patience et sa générosité, notamment envers sa sœur, mais également envers tous.
  4.        Lorsque Nutin restait à Maliotenam, il demeurait avec ses parents. Mais au cours de la courte période après son départ (août 2017) et son décès (octobre 2017), Madame Cyr et Nutin communiquaient également par téléphone et message texte. De plus, Madame Cyr, en raison de son emploi, se rendait à Montréal deux (2) fois par mois. À chaque occasion, Madame Cyr et Nutin se rencontraient et passaient du temps ensemble.
  5.        Nutin avait une très bonne santé, alors que l’autre enfant de Madame Cyr et Monsieur McFarland, soit la sœur de Nutin, Maikan, est atteinte de fibrose kystique.
  6.        Le décès de Nutin est arrivé lorsqu’il avait dix-huit ans. Les parents n’avaient pas eu d’enfants depuis quinze (15) ans (Maikan est née en 2002). Les deux parents étaient dans la mi-quarantaine et n’étaient plus en âge ou dans le cycle de vie pour avoir d’autres enfants.
  7.        Madame Cyr a témoigné qu’après le décès de Nutin, elle a subi une perte inconsolable d’espoir dans sa vie.
  8.        Madame Cyr témoigne que depuis le décès de Nutin, elle subit des difficultés importantes à trouver un sens à la vie. Madame Cyr parle d’une perte permanente de joie dans sa vie.
  9.        Dans la demande introductive, Madame Cyr réclame des dommages-intérêts de 200 000 $ en souffrances et douleurs.
  10.        Selon la défense, un montant approprié de compensation pour Madame Cyr ne devrait pas excéder 90 000 $.
  11.        Le Tribunal note que la jurisprudence citée en défense au soutien de ce chiffre traite souvent des cas où le défunt est généralement plus âgé[230] que Nutin.
  12.        La demande se réfère au jugement de Roussin c. Plan Nagua inc[231]. Il s’agit du décès d’un jeune homme de dix-huit (18) ans, comme Nutin. Les faits nous paraissent semblables au présent dossier quant au rôle exercé par Nutin au sein de sa famille et quant au chagrin et au désarroi occasionné par son décès.
  13.        Dans ce jugement, la Cour supérieure s’est exprimée ainsi :

« [193] Le préjudice moral des demandeurs que le Tribunal doit évaluer est associé dans la jurisprudence à l’expression latine « solatium doloris » qui veut dire chagrin, douleur éprouvée en raison du décès d’un proche.

[194] Comme le soulignait l’honorable juge Claire L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Augustus c. Gosset, le décès de son propre enfant est un événement extrêmement douloureux, traumatisant à tous égards : « Cette souffrance est tellement aiguë qu’il apparaît impossible même de l’évaluer en termes d’argent. »

[195] Ayant le souci de préserver l’objectivité nécessaire à cette démarche pour tout tribunal, l’honorable juge L’Heureux-Dubé a fixé certains paramètres devant guider l’évaluation des dommages moraux reliés à la perte d’un enfant en ces termes :

« Les tribunaux devraient considérer notamment les critères suivants : les circonstances du décès, l’âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès, l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres. Puisque la compensation monétaire, quelle qu’elle soit, n’atténuera pas la douleur du parent, le chiffre sera nécessairement arbitraire dans une grande mesure. »

[200] La preuve révèle qu’il s’agit d’un jeune généreux, aimé de tous les membres de sa famille et qui le leur rend très bien en se responsabilisant du bonheur de chacun. Les circonstances tragiques de son décès et la suite des événements ont causé à ses parents et ses sœurs une détresse hors du commun.

[210] Entre la mère et son fils, il y a un lien privilégié, des échanges fréquents; au quotidien, lorsqu’il rentre de ses activités, assis sur le comptoir de cuisine, François-Jacques partage avec elle ses projets et ses rêves.

[211] La demanderesse décrit sa détresse comme immense. De plus, elle se rend compte que les membres de sa famille sont en train de sombrer et qu’elle n’est pas assez forte pour les soutenir.

[217] Dans l’affaire De Montigny c. Brossard (Succession de), la Cour suprême fait une mise au point sur l’approche globale de l’évaluation des dommages reliés à la perte d’un être cher d’un enfant, amorcée par l’honorable juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire Gosset :

[34] La nature variée et complexe des sentiments humains rend futile tout exercice de catégorisation artificielle des différentes facettes du préjudice moral. Ce qui importe véritablement est que la réparation du préjudice moral effectivement subi soit aussi exacte et complète que possible. Dans cette optique, la juge L’Heureux-Dubé a établi, dans l’arrêt Augustus, une liste non exhaustive de facteurs à considérer dans l’examen d’une telle demande d’indemnisation. Ces facteurs sont les circonstances du décès, l’âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès, ainsi que l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres (Augustus, par. 50). L’examen de l’ensemble de ces facteurs donne au juge une vue d’ensemble de l’impact émotionnel du décès de la victime sur chacun de ses proches pour permettre l’indemnisation intégrale du préjudice moral, incluant le préjudice psychologique, qui en a résulté, et ce, dans la mesure où s’y prêtent la nature et la complexité de ce type de dommages-intérêts.

[218] Le professeur Daniel Gardner, commentant la jurisprudence postérieure à l’arrêt Gosset, relève certaines constantes dans les indemnités accordées par les tribunaux, dont celle d’octroyer une indemnité plus importante lors du décès d’un jeune enfant par rapport à celui qui a déjà quitté le foyer familial depuis longtemps.

[219] La perte d’un être cher n’est pas vécue aussi intensément par tous, elle peut affecter les parents d’un enfant et la fratrie pendant une très longue période de leur vie. C’est malheureusement le sort de la famille Roussin. Le décès de François-Jacques survient en 2004 et en 2011, au moment du procès, la douleur et le désarroi de la famille sont encore criants et persistants. La famille a été rudement éprouvée, elle est encore déchirée, sa fibre n’est pas réparée. La longue et laborieuse recherche des circonstances de sa mort, l’exhumation du corps, le second enterrement en secret, les deux dépressions majeures des parents y sont pour beaucoup. Les défendeurs ont été incapables de continuer à tenir le rôle de parents vis-à-vis leurs deux filles.

[220] La preuve du préjudice de chacun des membres de la famille démontre qu’il est sérieux et important. Le Tribunal doit dans l’attribution de ce type de dommage faire preuve de mesure et d’objectivité et tenir compte des montants accordés jusqu’ici par les tribunaux.

[223] Bien que ces deux décisions évaluent le préjudice relié au décès d’un jeune enfant (6 et 10 ans), le Tribunal ne croit pas, vu les circonstances particulières de cette affaire, qu’il y a lieu d’accorder une indemnité moindre aux parents d’un jeune venant d’atteindre 18 ans. Au contraire, le Tribunal estime que la preuve révèle qu’à l’âge de 18 ans, François-Jacques cimentait les liens des membres de sa famille et qu’il aurait joué ce rôle encore longtemps. Les parents de François-Jacques commençaient à peine à recueillir le fruit des efforts d’éducation et d’attention soutenus prodigués à leur fils au moment de son décès. La Cour d’appel de l’Ontario, en 2008, dans l’affaire Fidler c. Chiavetti, fixait les dommages moraux de chacun des parents d’une jeune fille dont le corps avait été sévèrement mutilé dans un accident d’automobile à 125 000 $. »

[Le Tribunal a mis une partie du texte en gras.]

  1.        Tout comme dans le cas du fils de dix-huit (18) ans dans l’affaire Roussin, Nutin était le pivot de sa famille. Il était un leader, un exemple à suivre, une source d’inspiration en tant qu’individu et comme autochtone membre de sa communauté de la Première Nation des Innus.
  2.        Les parents de Nutin commençaient à peine à recueillir le fruit des efforts d’éducation et d’attention soutenus et prodigués à leur fils au moment de son décès. Selon la preuve, à la suite du décès de Nutin, sa mère et son père vivent un chagrin inestimable qui les ont marqués et qui continuera de les marquer.
  3.        Dans l’affaire Roussin, la Cour supérieure a octroyé des dommages-intérêts de souffrances et de douleurs de 153 300 $[232] à la mère (et le même montant au père).
  4.        Le Tribunal fera certains ajustements à ce montant pour tenir compte des faits du présent dossier qui se distinguent de ceux dans Roussin.
  5.        En premier lieu, le défunt dans Roussin demeurait encore avec ses parents. Tel que noté par le professeur Gardner dans l’extrait de ce jugement, le fait d’avoir quitté la demeure familiale a pour effet de réduire la réclamation des autres membres de la famille, notamment au motif que la distance émotive est plus grande. Cependant, le professeur Gardner note qu’il s’agit du cas du départ du défunt depuis longtemps. En l’espèce, ce facteur est d’importance mineure, car Nutin venait tout juste de quitter le foyer familial.
  6.        Le Tribunal tient compte néanmoins de cet élément et réduit en conséquence les dommages de 4 000 $.
  7.        En deuxième lieu, dans Roussin, le décès de la victime a lieu dans un pays étranger et la famille a subi des difficultés à rapatrier son corps. Dans le cas de Nutin, il est décédé à Montréal. Les parents et ses proches ont pu, en quelque sorte, accompagner Nutin lors de son décès « officiel » (débranchement des traitements de support de vie) et ont pu lui offrir certaines coutumes funéraires de tradition autochtone. Pour ce motif, le Tribunal réduit le montant accordé dans Roussin de 5 000 $.
  8.        En raison de ces faits, le Tribunal réduit le montant à octroyer de 9 000 $ (4 000 + 5 000), ce qui le porte à 144 300 $ (153 300 – 9 000), ce qui est une réduction de 5,9% par rapport au montant octroyé dans Roussin.
  9.        Ensuite, il y a lieu de réduire le montant de 10% pour la faute contributoire de Nutin, à savoir 14 430 $. Le Tribunal accorde donc à Madame Cyr des dommages-intérêts de 129 870 $ (144 300 – 14 430).

6.4. Gary McFarland

  1.        Gary McFarland est le père de feu Nutin. À la suite du décès de Nutin, il réclame des dommages de trois natures différentes, soit des dommages non pécuniaires de nature morale, des dommages pour des dépenses encourues et des dommages de perte de revenu.

6.4.1. Réclamations en raison des douleurs et souffrances, de perte de conseil et de soutien de Nutin

  1.        Monsieur McFarland réclame des dommages compensatoires pour des douleurs et souffrances subies et de perte de conseil et de soutien de Nutin. Monsieur McFarland est un ainé (Elder) au sein de la communauté Innue de Maliotenam. Dans son témoignage, Monsieur McFarland décrit ses responsabilités comme étant de l’administration au niveau de la gouvernance de la communauté et du leadership spirituel au service de ses membres.
  2.        Monsieur McFarland a été et demeure complètement atterri et dévasté par le décès de Nutin. Monsieur McFarland a subi une dépression à la suite du décès de Nutin et a dû cesser de travailler. Il avait une relation très proche avec son fils. Pendant son témoignage, Monsieur McFarland a expliqué que la naissance de Nutin et sa relation avec Nutin par la suite a changé sa vie.
  3.        Monsieur McFarland a expliqué que Nutin est la première personne faisant partie de sa famille avec laquelle il a une filiation de sang. Monsieur McFarland a expliqué qu’il a été une victime de la « Scoop » des années 1960 des autochtones où les enfants autochtones ont été retirés de leurs parents contre leur gré. Monsieur McFarland a par la suite été mis dans une maison de transition et a éventuellement été adopté par des parents non autochtones. Cela a été une expérience difficile et éprouvante pour lui. Vu que Monsieur McFarland n’avait pas de repères ou de références de mœurs familiales, il n’a pas su, à la naissance de Nutin, comment agir comme père, ce qui a donné lieu à une période de crise pour lui. Passé cette crise, Nutin a été une source constante d’inspiration et d’apprentissage pour Monsieur McFarland. Il décrit Nutin comme le centre de son univers. Monsieur McFarland a passé les premières années de vie de Nutin avec lui à la maison jusqu’à la maternelle. Selon Monsieur McFarland, Nutin voulait éventuellement revenir à Maliotenam et contribuer à la communauté. Monsieur McFarland espérait que Nutin rendrait lui et Madame Cyr des grands-parents un jour.
  4.        La demande réclame pour Monsieur McFarland, en compensation des dommages moraux, le montant de 200 000,00$. La défense propose un montant ne devant pas excéder 90 000,00$. Quant à l’évaluation des dommages et les principes juridiques élaborés par la jurisprudence, le Tribunal réitère les commentaires déjà exprimés concernant le montant fixé pour la mère de Nutin, Madame Cyr.
  5.        Pour les mêmes motifs, le Tribunal conclut à un montant de 144 300 $. Ce montant doit être déduit de 10% (faute contributoire), ce qui le situe à 129 870 $.

6.4.2. Réclamation pour dépenses encourues

  1.        La demande de Monsieur McFarland comprend une réclamation au montant de 15 000 $ pour des frais divers encourus en raison du décès de Nutin. Ces frais sont appuyés par des pièces justificatives[233] :
    1. Facture pour les frais funéraires : 6 782,38 $;
    2. Facture pour les billets d’avion d’Annie Cyr et de Gary McFarland en date du 30 octobre 2017 pour le vol de Sept-Îles à Montréal : 1 138,50 $;
    3. Facture pour les billets d’avion d’Henriette McKenzie et Maikan McFarland en date du 1er novembre 2017 pour le vol de Sept-Îles à Montréal : 1 151,06 $;
    4. Relevé bancaire de Bernard Cyr démontrant les frais d’hôtel pour la nuit du 16 novembre 2017 au 17 novembre 2017 : 172,00 $;

Total : 9 243,94 $.

  1.        À cet égard, advenant une conclusion de faute, la défense ne conteste ni le droit de réclamation ni le montant de 9 243,94 $[234].
  2.        En raison de la faute contributoire, ce montant est réduit de 10% (924,39 $), ce qui le porte à 8 319,55 $. La Cour accorde ce montant.

6.4.3. Réclamation pour perte de revenu

  1.        Dans sa demande, Monsieur McFarland réclame des dommages pour perte de revenu de 60 000 $.
  2.        Monsieur McFarland a témoigné que, après le décès de Nutin, il est tombé dans une dépression profonde. Il a perdu tout sens à la vie. Il ne pouvait pas travailler. Son emploi comprend le soutien spirituel aux membres de sa communauté. Il a expliqué que, ne pouvant pas donner un sens à la vie, il a été totalement incapable d’offrir des conseils et du soutien moral à d’autres. En 2019, Monsieur McFarland a travaillé dans un autre domaine, à un salaire réduit. En 2020, il n’a presque pas travaillé en raison de la pandémie de COVID-19. Ce n’est qu’en 2021 que Monsieur McFarland a pu recommencer à travailler dans son domaine. La défense ne conteste pas, advenant que le Tribunal conclut à la faute de la défense, le droit de Monsieur McFarland à une réclamation pour perte de revenu. Or, les parties n’étaient pas en mesure de convenir d’un montant à ce sujet.
  3.        La demande justifie la réclamation de 60 000 $ sur la base de la perte d’un revenu au cours d’une année. La demande soumet que le Tribunal devrait utiliser à ce sujet les revenus gagnés par Monsieur au cours des années 2022 ou 2023. En effet, au cours de ces années, Monsieur McFarland gagnait un salaire environ de ce montant. La demande soutient que Monsieur McFarland aurait pu gagner ce revenu en 2019, mais l’ampleur de sa dépression l’empêchait de le faire.
  4.        La défense a soumis deux propositions quant au montant de compensation pour perte de revenu. Au procès, la défense a suggéré un montant de 27 995,60 $[235]. Par la suite, elle a reformulé ses calculs et a suggéré un montant de 22 577,83 $[236].
  5.        La défense soutient que les années pertinentes de calcul sont 2015 (36 334 $), 2016 (44 931 $) et 2021 (54 202 $). Cette dernière année correspond à celle où Monsieur McFarland a pu recommencer à travailler dans son domaine, ce qui a généré un revenu plus représentatif de sa capacité de gain.
  6.        Nous sommes d’accord qu’il y a lieu de retenir comme années représentatives les années 2016 et 2021. L’année 2015 nous parait trop loin et non représentative de la capacité de gain de Monsieur McFarland en fin 2017.

  1.        Ensuite, la défense soulève que les avis du médecin de Monsieur McFarland le dispense de travail seulement de novembre 2017 à avril 2018, soit pour une période de six (6) mois. À partir de mai 2018, le médecin reconnait que Monsieur McFarland ne pouvait pas travailler comme conseiller d’aide, mais pouvait travailler dans un autre domaine[237]. Selon Monsieur McFarland, en raison de sa dépression majeure causée par le décès de Nutin, il ne pouvait pas travailler pour une période d’une (1) année après le décès de Nutin.
  2.        La défense n’a pas demandé à ce que le médecin de Nutin témoigne. Devant la contradiction, le Tribunal décide et arbitre que la demande a établi par la preuve que Monsieur McFarland n’était pas apte au travail pour une période de neuf (9) mois après le décès de Nutin. De même, à tout événement, même si Monsieur McFarland a pu travailler à partir de mai 2017, il aurait été en période de transition pour une certaine période. En prenant les deux (2) années représentatives, soit 2016 et 2021, le salaire moyen est de 49 566,50 $ (44 931 $ + 54 202 $ / 2), soit 4 130,54 $ par mois. Nous multiplions ce montant par neuf (9) mois, ce qui donne lieu au montant de 37 174,86 $.
  3.        Il y a lieu de réduire ce montant de 10% (faute contributoire), soit de 3 717,49 $, ce qui le porte à 33 457,37 $.
  4.        La Cour condamne Urgences-Santé à indemniser Monsieur McFarland de ce montant.

6.5. Maikan McFarland

  1.        Maikan était la sœur de feu Nutin. Elle est trois (3) ans plus jeune que lui. Maikan était très proche de son frère. Maikan a été dévastée et demeure désorientée par le décès inattendu et soudain de Nutin[238].
  2.        Maikan a témoigné que son grand frère était son héros et son protecteur. Sa présence était toujours une source de réconfort pour elle. Ils étaient chacun le confident de l’autre. Elle s’attendait à ce que Nutin soit toujours présent dans sa vie. Elle s’attendait à ce qu’ils aient des moments de bonheur comme frère et sœur au cours de l’évolution de la vie de chaque. Maikan s’ennuie profondément de l’absence de Nutin.
  3.        Maikan est maintenant à Montréal. Elle est étudiante au Collège Dawson, dans le même programme de transition où Nutin était inscrit à l’intention des étudiants issus des Premières Nations. Maikan témoigne qu’elle s’attendait à ce que Nutin lui montre la voie, comme il l’a toujours fait pour elle. Maikan est atteinte de la fibrose kystique. Elle s’ennuie de l’appui moral de Nutin, de son accompagnement dans sa maladie, de la solidarité et de la compassion dont il a toujours fait preuve envers elle à combattre sa maladie. Maikan explique à la Cour qu’elle pense à Nutin à tous les jours.
  4.        Dans leur demande, les demandeurs réclament des dommages de nature morale pour Maikan de 60 000 $.
  5.        La défense suggère des dommages-intérêts ne devant pas excéder 39 300 $[239]. Comme dans le cas des parents, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de se référer à la cause de Roussin[240].
  6.        Les circonstances, telles l’âge de la victime, l’âge de la sœur et la proche relation frère-sœur justifient une compensation comparable. Dans le jugement Roussin, la Cour a octroyé une indemnité à la sœur de 49 000 $, en dollars actualisés à 2020. Comme dans le cas des calculs concernant l’indemnité des parents, il y a certaines raisons, déjà expliquées, qui justifient une réduction. Ces raisons s’appliquent également à la réclamation de Maikan. Pour ces raisons, la Cour a réduit la réclamation des parents de 5,9%. Le Tribunal fait le même ajustement pour la réclamation de Maikan.
  7.        Le montant de 49 000 $ est donc réduit de 2 891 $ (49 000 x 5,9%), ce qui le porte à 46 109 $.
  8.        Il y a ensuite lieu de réduire ce montant de 10% (faute contributoire), soit 46 109 $ (46 109 – 4 610,90), ce qui le porte à 41 498,10 $.
  9.        La Cour accorde à Maikan un montant de 41 498,10 $.

6.6. Marie Bouchard

  1.        En avril 2017, lors de la recherche d’appartement par Nutin à Montréal, il rencontre Marie. Celle-ci lui est présentée par une amie commune. Marie est également de Sept-Îles. D’avril à juillet 2017, Marie et Nutin se parlent au téléphone et s’envoient des messages textes.
  2.        En août 2017, Nutin arrive à Montréal et prend possession de son appartement. Dès son arrivée, Marie et Nutin se fréquentent et font des sorties. Depuis le 1er septembre 2017, ils forment un couple. Ils sont passionnément épris l’un de l’autre. Ils sont en amour. Ils entrevoient leur avenir ensemble. Ils parlent même de mariage, d’enfants ensemble et même des noms des enfants futurs[241]. Les noms choisis sont notamment en lien avec les noms des parents/grands-parents de Nutin.
  3.        Le 29 octobre 2017, de manière brutale, tous ces projets, espoirs et rêves prennent fin. Marie, tout comme les membres de la famille de Nutin, est dévastée émotivement et psychologiquement.
  4.        Marie est présente au cours des événements, de l’intervention des premiers répondants, des techniciens ambulanciers et de l’arrivée à l’hôpital. Elle est donc présente lors des événements culminant au décès de Nutin.
  5.        Dans son témoignage, Marie explique qu’elle ne comprenait pas, lors de l’intervention des techniciens ambulanciers, pourquoi le départ de l’ambulance à l’hôpital a pris tellement de temps. Marie a été témoin des derniers moments angoissants de Nutin avant qu’il ne perde connaissance. Elle a observé ses derniers moments d’agonie, de peur, de perte d’espoir, d’agitation, de panique et des cris d’angoisse alors que la vie lui échappait et que sa peau changeait de couleur à une coloration bleuâtre (cyanose).
  6.        À la suite du décès de Nutin, Marie a consulté des psychologues et psychiatres[242]. Son dossier médical fait état de cauchemars et de rêves récurrents et reviviscences concernant les circonstances du décès de Nutin[243]. À la suite de ces consultations, les professionnels lui ont prescrit des médicaments anti-anxiété[244]. Pendant longtemps, Marie a eu des problèmes de sommeil[245] et de détachement émotif[246].
  7.        Il est clair que le décès de Nutin et le fait d’avoir été témoin des événements de son angoisse et de son désespoir au cours des derniers moments de conscience de Nutin ont marqué pour toujours Marie. Même si elle n’est nullement responsable du décès de Nutin, Marie a vécu et vit encore avec des questionnements à savoir comment il a pu mourir. Quatre (4) mois après le décès de Nutin, concernant les circonstances de son décès, la psychiatre de Marie note dans son dossier[247] :

« Elle [Marie] croit cependant que cet événement unique et dramatique a changé sa vie. Elle vit un deuil avec des bouffées de pleurs prolongés à plusieurs moments de la journée… Elle cherche une explication, croit avoir fait des mauvaises choses antérieurement pour qu’un tel événement lui soit arrivé…

Pour l’instant la patiente sort peu, évitant de faire des activités sociales, ne sortant seule que pour aller travailler et faire des courses domestiques.

… Elle décrit des distorsions cognitives à propos de plusieurs préoccupations journalières sur tout et rien mettant dans un état de « pente fatale dans tout ».

  1.        Au moment de son témoignage devant la Cour, les événements du décès de Nutin remontent à sept (7) ans et huit (8) mois. Marie a refait sa vie. Elle est en couple et elle est mère d’une fille âgée de vingt-et-un (21) mois. Elle demeure à Sept-Îles.
  2.        Selon son témoignage, les circonstances entourant le décès de Nutin ont un impact significatif et difficile sur son cheminement psychologique et son parcours de vie. Elle était souvent prise entre un deuil profond du décès de Nutin et la nécessité exprimée par son entourage qu’elle devrait mettre derrière elle ce chagrin prolongé afin d’entreprendre un nouveau chapitre de sa vie. Son entourage lui conseillait de « passer à d’autre chose » (move on), mais elle avait d’énormes difficultés à le faire.
  3.        Au cours de son témoignage, Marie explique que les circonstances du décès de Nutin et son décès soudain, alors qu’ils avaient tous les deux dix-huit (18) ans, ont provoqué une espèce de vieillissement et de maturation accélérés de sa part. Elle a alors perdu sa jeunesse. Elle a eu des difficultés importantes à socialiser et à s’intégrer par la suite aux personnes de son âge.
  4.        Marie témoigne que, même de nos jours, elle continue de penser à Nutin tous les jours et à ce qui s’est passé avec lui en fin de vie.
  5.        La demande réclame pour Marie les dommages au montant de 25 000 $. La défense suggère un montant ne devant pas excéder 20 000 $[248].
  6.        En l’espèce, la jurisprudence présentée[249] par les parties justifie amplement la réclamation de Marie pour dommages pour souffrances et douleurs (solatium doloris) de 20 000,00$, et ce malgré la courte période de leur relation. En effet, les souffrances et les douleurs souffertes par Marie sont importantes et graves.
  7.        Or, il faut tenir compte également des dommages subis par Marie du fait qu’elle a été témoin des événements, surtout sa présence dans l’ambulance où elle a observé des moments pénibles et agonisants pour Nutin. Marie a vu son amoureux passer ses derniers moments de désespoir, panique et angoisse devant elle.
  8.        Marie a assisté, impuissante à ces événements. Selon la preuve, ces événements l’ont traumatisée pendant longtemps et lui laissent des séquelles, même aujourd’hui, sur le plan psychologique. Selon le Tribunal, la totalité des dommages réclamés par elle sont justifiés, soit 25 000 $.
  9.        Il y a lieu néanmoins de réduire ce montant par 10% compte tenu de la faute contributoire de Nutin, à savoir 2 500 $.
  10.        Ainsi, le Tribunal accorde la demande formulée par Marie Bouchard au montant de 22 500 $.

6.7. Henriette McKenzie et Bernard Cyr

  1.        Henriette McKenzie et Bernard Cyr sont les grands-parents maternels de feu Nutin. Le 29 octobre 2017, Madame McKenzie avait soixante-deux (62) ans alors que Monsieur Cyr avait soixante-six (66) ans. Ils ont témoigné au procès. Il y a lieu de traiter leurs réclamations ensemble vu leur statut commun de grands-parents et la nature semblable de leur relation avec Nutin.
  2.        Madame McKenzie est d’origine Innue et demeurait, par le passé, à Maliotenam. Monsieur Cyr était technicien en radar pour les Forces armées canadiennes. Il a maintenant pris sa retraite. Madame McKenzie et Madame Cyr se sont rencontrées dans la région de Sept-Îles.
  3.        Après des déplacements à différentes bases militaires, ils ont déménagé à la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, dans le voisinage de Montréal, soit sur la Rive-Sud.
  4.        Ce déménagement coïncidait au moment de la jeunesse de Nutin (né en 1999) qui demeurait alors avec ses parents dans la région de Montréal. En 2007, les parents et les enfants de la famille McFarland ont déménagé à Maliotenam. Au cours de la période de 1999 à 2006, les deux grands-parents passaient beaucoup de temps avec Nutin et Maikan. Après le retour des parents et des enfants à Maliotenam en 2007, les grands-parents faisaient deux (2) voyages par année pour voir leurs petits-enfants, soit lors des vacances prolongées pendant l’été et lors des fêtes de Noël et de la Nouvelle-Année. Entre-temps, Monsieur McFarland et Madame Cyr, Nutin et Maikan les appelaient souvent. Madame McKenzie explique qu’elle a toujours eu une relation très proche avec Nutin. En particulier depuis son adolescence, Nutin l’appelait souvent pour avoir de ses nouvelles. Nutin était très expressif et disait souvent à ses deux grands-parents « je vous aime ».
  5.        Monsieur Cyr explique qu’il était tellement content d’avoir un petit-fils, car lui et Madame McKenzie ont eu des filles exclusivement. La sœur d’Annie Cyr est également décédée.
  6.        Les deux grands-parents témoignent que Nutin était une grande source de joie et de fierté pour eux et était inoubliable. Ils expliquent que Nutin avait un grand cœur, qu’il était gentil et empathique envers tous, généreux, toujours souriant et doux.
  7.        Les deux (2) grands-parents étaient très contents que Nutin revienne à Montréal. Ils s’attendaient à ce que cela leur donne beaucoup d’occasions à passer du temps ensemble.
  8.        Depuis l’arrivée de Nutin à Montréal le 1er août 2017, Monsieur Cyr rencontrait Nutin chaque samedi. Ils sortaient et faisaient ensemble l’épicerie de Nutin. C’est Monsieur Cyr qui assumait les coûts.
  9.        Le 29 octobre 2017, Monsieur Cyr était le premier membre de la famille sur place en soirée, à l’hôpital, après avoir reçu l’appel de Monsieur McFarland et de Madame Cyr que Nutin était à l’hôpital. Marie était présente. En voyant Nutin dans un état de coma et branché aux appareils de survie et d’assistance respiratoire artificielle, Monsieur Cyr décrit qu’il a ressenti l’équivalent d’un poignard dans son cœur. Monsieur Cyr affirme qu’il continue de ressentir cette douleur.
  10.        Madame McKenzie témoigne qu’elle est profondément affectée par le décès de Nutin. Elle s’attendait à le voir acheminer et réussir dans sa carrière et dans sa vie personnelle. Elle voulait tant assister aux grandes étapes de sa vie et être près de lui au cours de son parcours.
  11.        Dans la demande introductive, les demandeurs réclament le montant de 30 000 $ chacun pour Madame McKenzie et Monsieur Cyr pour les douleurs et souffrances causées par le décès prématuré de Nutin. La défense suggère, advenant une conclusion de responsabilité, un montant n’excédant pas 12 000 $[250] chacun.
  12.        Selon les avocates des parties, la jurisprudence québécoise en matière d’indemnisation de dommages pour consolation de la douleur et souffrance (solatium doloris) pour la perte d’un petit-enfant est rarissime. Dans le jugement Roussin, il n’y avait pas de réclamation d’un grand-parent. La jurisprudence rendue sur la question implique la perte de petits-enfants âgés d’un (1) an et de quatre (4) ans[251]. Tel que noté dans le jugement Roussin, ce n’est pas la même chose qu’un enfant ayant 18 ans. À cet âge, les parents et les grands-parents ont réussi à guider et à soutenir l’enfant à travers les années vulnérables d’enfance et d’adolescence. Les parents et les grands-parents ont alors une attente raisonnable de croire à une évolution normale de l’enfant et de pouvoir partager et de l’accompagner dans les cycles d’une vie : fin d’études collégiales et peut-être universitaires, relation à court ou à long terme, mariage ou conjoint de fait, petits-enfants et peut-être même, arrière-petits-enfants. Madame McKenzie et Monsieur Cyr ont des souffrances et douleurs significatives en raison du fait qu’ils n’ont pas pu et ne pourront plus faire cela avec Nutin. Dans Roussin, la Cour supérieure s’est exprimée ainsi[252] :

« Au contraire, le Tribunal estime que la preuve révèle qu’à l’âge de 18 ans [l’enfant] cimentait les liens des membres de sa famille et qu’il aurait joué ce rôle encore longtemps. »

  1.        Compte tenu de la preuve et de l’ampleur des dommages subis par Madame McKenzie et Monsieur Cyr dans le présent dossier, la Cour conclut qu’il y a lieu de leur accorder des dommages-intérêts de 20 000 $ chacun.
  2.        Il y a lieu de réduire ce montant de 10% (faute contributoire de Nutin), soit de 2 000 $, ce qui le porte à 18 000 $ chacun. Il y a donc lieu d’accorder à Henriette McKenzie le montant de 18 000 $ et à Bernard Cyr le montant de 18 000 $.

7. Allégation des demandeurs que les fautes d’Urgences-Santé résultent des préjugés des techniciens ambulanciers et constituent des actes de discrimination au motif que Nutin faisait visiblement partie d’une communauté autochtone

  1.        Le 16 octobre 2020, les demandeurs déposent leur procédure introductive d’instance. Le 30 janvier 2025, les demandeurs déposent une demande introductive modifiée. La procédure modifiée comprend le paragraphe 67 a) qui se lit ainsi :

“67a. The Plaintiffs strongly believe that the delayed transport to the hospital by thirty (30) minutes by the Defendant Urgences-Santé paramedics, was an act of discrimination towards their son who was a visibly Indigenous person and whose anaphylactic reaction they did not take seriously;”

  1.        Monsieur McFarland, lors de son témoignage, a présenté la perspective de la famille au soutien de ce moyen. Selon Monsieur McFarland, c’est un fait documenté dans divers rapports d’enquêtes concernant les injustices vécues par les autochtones au Canada qu’ils ont fait l’objet de discrimination de la part des services publics, y compris les services médicaux et hospitaliers. Selon Monsieur McFarland, le manque de diligence et les multiples violations par les techniciens ambulanciers des protocoles d’intervention applicables dans le présent dossier sont en partie attribuables à l’apparence physique de Nutin à titre d’autochtone.
  2.        L’avocate d’Urgences-Santé tenait à exprimer au Tribunal que sa cliente dément formellement une telle allégation.
  3.        Les commentaires de Monsieur McFarland à cet égard ont été principalement de nature générale et non au regard de la preuve spécifique concernant les événements impliquant Nutin. Le rôle du Tribunal est d’évaluer les allégations des parties de manière rigoureuse à la lumière de la preuve spécifique de ce litige.
  4.        Avec beaucoup d’égards, le Tribunal est d’avis que la preuve administrée devant le Tribunal n’appuie pas cette allégation de la demande. Des violations graves aux règles de l’art ont été commises par les techniciens ambulanciers. De même, Urgences-Santé a commis une faute en ne fournissant pas aux techniciens ambulanciers des appareils téléphoniques fonctionnels dans les ambulances, ce qui a été un facteur aggravant qui a prolongé le retard de l’administration des soins hospitaliers dont Nutin avait besoin. Cependant, avec égards, la preuve ne permet pas d’établir un lien entre ces fautes et l’appartenance visible de Nutin à une communauté autochtone.

8. Frais d’expertise

  1.        Les frais d’expertise sont dus à la partie qui a gain de cause[253]. Compte tenu des conclusions du Tribunal, les demandeurs ont gain de cause. Les frais de justice incluent les frais d’expert, y compris les frais de rédaction de rapport d’expertise, de la préparation du témoignage et de la présence à l’audition. L’expert des demandeurs, le Dr. Robert J. Foxford a produit deux comptes, un pour la rédaction de son expertise[254] au montant de 3 600,00 $ et l’autre pour les frais de préparation et de la présence à l’audition[255] (23 588,48 $). Le Tribunal estime que le témoignage d’expert de Dr. Foxford a été éclairant et pertinent pour le Tribunal. Les montants des frais facturés par lui sont raisonnables, compte tenu de la complexité du dossier[256]. Il y a lieu d’inclure ces coûts dans les frais de justice.

9. Dispositif

  1.        Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal rend jugement comme suit.

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

  1.        ACCUEILLE en partie la demande;
  2.        CONDAMNE Urgences-Santé à payer aux personnes suivantes les montants suivants :
  1. Succession de Nutin Alexandre McFarland, représentée par Gary McFarland, Annie Cyr et Maikan McFarland, en leur qualité de légataire universel de feu Nutin Alexandre McFarland : 40 500,00 $;
  2. Annie Cyr :129 870,00 $;
  3. Gary McFarland : 171 646,92 $ (129 870,00 $ + 8 319,55 $ + 33 457,37 $)
  4. Maikan McFarland : 41 498,10 $;
  5. Marie Bouchard : 22 500,00 $;
  6. Henriette McKenzie : 18 000,00 $;
  7. Bernard Cyr : 18 000,00 $;

avec intérêts au taux légal de 5%, plus l’indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de l’assignation de la demande, soit le 19 octobre 2020;

  1.        AVEC FRAIS DE JUSTICE, y compris les frais d’expertise.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

JEFFREY EDWARDS, J.C.S.

 

 

Me Melissa Lonn

Me Annette Lefebvre

Annette Lefebvre Avocats

Avocats des demandeurs

 

Me Sophie Béland

Me Valérie Robert Pisciuneri

Bélanger Longtin Avocats

Avocats de la défenderesse Urgences-Santé

 

Dates d’audience :

9, 10, 11, 12, 13, 17, 18 juin 2025

 


[1]  Le mot « URGENT » apparait en lettres majuscules dans le texte explicatif du Protocole MED.17.

[2]  Pièce D-38, p. 1.

[3]  Loi sur les services préhospitaliers d'urgence, R.L.R.Q., c S-6.2. Le Tribunal se réfère au texte fourni au Tribunal qui porte la date du 1 janvier 2016. Onglet 5 du cahier d’autorités de la défenderesse.

[4]  Pièces P-3 et D-3.

[5]  Id., p. 4. Bloc intitulé « Intervention ».

[6]  Pièce D-1, p. 17 à 22.

[7]  Pièce D-1, p. 160 à 163.

[8]  Pièce D-29 : Interrogatoire de Marie Bouchard, p. 14.

[9]  Pièce D-29, p. 13.

[10]  Pièce P-45.

[11]  Le rapport des premiers répondants indique que Nutin a déclaré qu’il a ingéré le sandwich dix (10) minutes avant leur arrivée à 19h16. Pièce D-12 (p. 8), Pièce P-16 (p. 3).

[12]  Pièce D-31.

[13]  Pièce P-14. Le Tribunal a transcrit ce texte.

[14]  Pièce P-15. Le Tribunal a transcrit cette partie du texte.

[15]  Pièce P-2; D-6.

[16]  Pièce P-5, Interrogatoire de S. Porteous, p. 22, ligne 25 « Priority [one] is in a life threat or potential life threat. »

[17]  Pièce D-12, p. 3.

[18]  Pièce D-12, p. 8.

[19]  Pièce D-12, p. 8 et p. 11.

[20]  Pièce D-12, p. 8.

[21]  Pièce P-32. Il parait que l’Épipen de Nutin est expiré depuis mars 2015.

[22]  Pièces P-33, D-11. Nutin parait avoir posté cette vidéo sur son compte Snapchat. Voir témoignage de Maikan McFarland.

[23]  Pièce D-33, p. 8.

[24]  Pièce D-33, p. 7.

[25]  Pièce D-12, p. 8.

[26]  Pièce D-37. Selon la preuve, le moniteur Zoll peut également être utilisé comme défibrillateur.

[27]  Pièce D-12, p. 8 et p. 12.

[28]  Pièces P-3, D-3, p. 2.

[29]  Protocole d’appréciation de la condition clinique préhospitalière. Pièce D-1 (Protocol App.), p. 17 à 22.

[30]  Pièce P-1, p. 1.

[31]  Pièce P-3, p. 2, voir « Dyspnée ».

[32]  Pièce P-3, p. 1.

[33]  Pièce D-2, p. 72, numéro 4.3.2., troisième paragraphe.

[34]  Pièce D-1 (Lexique : p. 324).

[35]  Pièce D-1, p. 21.

[36]  Pièce D-1, p. 22.

[37]  Pièce D-12, p. 8 et 12.

[38]  Pièce P-44.

[39]  Pièce D-2, p. 171.

[40]  Pièce D-2, p. 170.

[41]  Pièce P-29, p. 874. Mosby’s Paramedic Textbook, 3rd Ed., Chapt. 33, St-Louis, U.S.A., 2007. À noter que la pièce vient des pages copiées de l’exemplaire de l’ouvrage en possession de Madame Porteous.

[42]  Pièce P-14.

[43]  Pièce D-12.

[44]  Pièce D-29, p. 873.

[45]  Pièce D-2, p. 72 et Pièce P-38, p. 13.

[46]  Pièce D-2, p. 72.

[47]  Pièce D-1, p. 19, i.e).

[48]  Pièce D-1, REA 9, Point 4, simplement pour la même formulation des mots.

[49]  Pièce D-1, p. 323.

[50]  Pièce D-12, p. 8 (« Epipen adulte ») et p. 9 (« 0,3 mg »).

[51]  Pièce D-1, p. 19.

[52]  Pièce P-30, Guide d’intervention clinique à l’usage des techniciens ambulanciers-paramédics, Termes de transport, Québec, Édition 2017, p. 11.

[53]  Pièce P-30, p. 12.

[54]  Pièce P-44.

[55]  Pièce P-44.

[56]  Pièce P-20. Noter que le trajet inclut une déviation routière sur la 3e avenue.

[57]  Pièce P-44 : 19h47:04 à 19h50:04 (Pièce P-21, p. 4).

[58]  Pièce P-3, p. 2.

[59]  Pièce P-3, p. 2.

[60]  Pièce P-2, p. 1, Bloc 5, ligne 4 (19h47:14).

[61]  Pièce P-25 a) (première ligne).

[62]  Pièce P-44 : 19h30:04.

[63]  Pièce P-26.

[64]  Pièce P-44.

[65]  Pièce P-44.

[66]  Pièce P-25 a).

[67]  Pièce P-21, p. 4.

[68]  Pièce D-38, p. 1, point 2 c).

[69]  Pièce D-38, parties c) et d); Pièce P-21, p. 4.

[70]  Pièce P-25 a) : Début de l’appel 19h49:59 pour une durée de vingt-sept (27) secondes (19h50:26).

[71]  Pièce P-25 a), p. 2.

[72]  Pièce D-48, p. 10 (19h52:53).

[73]  Pièce D-20, p. 31. Selon le Dr. Brunet, « la première note de l’inhalothérapeute est inscrite à 20h00 après qu’elle a été avisée par le personnel de la salle de choc ». Pièce D-38, p. 1, point 2 h).

[74]  Pièce D-38, p. 1, point 2 h); Pièce D-20, p. 25.

[75]  Pièce P-44, p. 9 et 10.

[76]  Pièce D-33, p. 5.

[77]  Pièce D-33, p. 5.

[78]  Pièce D-31.

[79]  Pièce P-12.

[80]  Dossier de la Cour, Rapport de signification annexé à la Procédure introductive.

[81]  Voir les allégations mentionnées aux paragraphes 43 et suivants et 72 et suivants.

[82]  Demande introductive, para. 43 et suivants.

[83]  Les demandeurs ont fait une demande verbale de modification pour inclure une réclamation en perte de revenu de Gary McFarland. La défense avait déjà été informée de cette réclamation et la demande avait déjà déposé les pièces au soutien de cette réclamation (Déclaration d’impôts : Pièce P-36). En vertu des articles 206 et suivants Code de procédure civile, la Cour a autorisé cette modification. Voir Procès-verbal d’audience du 9 juin 2025.

[84]  Protocole commun, séquence 8 du dossier de la Cour, para. 33.

[85]  Harvey c. Ville de Québec (Service de police), 2024 QCCS 3727.

[86]  Pièce P-7 b).

[87]  Pièce P-48 a), P-49, P-50. Son cours était le MDF 2007 p. 5 de la Pièce P-50.

[88]  À noter que le Dr. Foxford a formé des techniciens ambulanciers en soins primaires pour devenir les techniciens ambulanciers en soins avancés. Les techniciens ambulanciers dans ce dossier, soit Samantha Porteous et Leif Gulddal sont des techniciens ambulanciers en soins primaires. Voir Pièce P-3, p. 2.

[89]  Pièce P-7.

[90]  Pièce P-7, p. 2, 3 et 4.

[91]  Pièce D-33, p. 2 à 7.

[92]  Pièce D-33, p. 1.

[93]  Pièce D-33, p. 7.

[94]  Pièce D-38, p. 8.

[95]  Pièce D-33, p. 8, p. 9.

[96]  Pièce D-38.

[97]  Infra, section 3.2.6.

[98]  Harvey c. Ville de Québec (Service de police), 2024 QCCS 3727, para. 312.

[99]  Loi sur les services préhospitaliers d’urgence, RLRQ, c. S-6.2.

[100]  Code des professions, RLRQ, c. C-26.

[101]  Pièce D-1.

[102]  Pièce P-38.

[103]  Pièce D-33, p. 7.

[104]  Pièce D-33, p. 8.

[105]  Pièce P-44.

[106]  Pièce D-38, p. 8.

[107]  Pièce P-44 (p. 5 “Watch your head”).

[108]  Pièce P-21, p. 4.

[109]  Pièce P-42 a) et b) et Pièce P-42 b) 1.

[110]  Article 3 de la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence, L.R.R.Q., c. S-6.2.

[111]  Id., article 6, alinéa 4.

[112]  Id., article 6.5.

[113]  Pièce P-42 b) et b) 1.

[114]  Pièce P-27, p. 2 « Intervention ».

[115]  Le RIP ne réfère qu’au protocole d’appréciation et au protocole MED.17.

[116]  Pièce P-3, p. 2.

[117]  Pièce P-44, p. 4.

[118]  Pièce P-18.

[119]  Pièce D-3, p. 2 (bloc : transport).

[120]  Pièce P-44, enregistrement audio, p. 9.

[121]  Pièce P-5.

[122]  Pièce P-44, p. 2.

[123]  Pièce P-44, p. 3.

[124]  Pièce D-2, p. 144.

[125]  Pièce P-16, p. 3.

[126]  Pièce P-44 : 19h34:19.

[127]  Pièce P-25 a), p. 1.

[128]  Pièce P-25 a), p. 1.

[129]  Pièce P-22, p. 3.

[130]  Pièce P-6, p. 51 et suivants.

[131]  Pièce P-26.

[132]  Infra : section 4.2.6.2. k).

[133]  Pièce P-30, p. 2.

[134]  Pèce P-30, p. 1.

[135]  Pièce P-38, Mosby, p. 875.

[136]  Pièce P-38, p. 34. Il s’agit d’une information de base. Madame Porteous a témoigné qu’elle était au courant de cela.

[137]  Pièce D-2.

[138]  Pièce D-2, p. 144.

[139]  Pièce P-27, p. 2, Pièce D-1, p. 125.

[140]  Pièce P-27, Pièce D-1, p. 124.

[141]  Le Tribunal a mis le texte en gras.

[142]  Témoignage de Leif Gulddal.

[143]  Pièce D-2, p. 43. Voir également p. 56 : « Désavantages […] plus de manipulations; plus long à administrer ».

[144]  Pièce D-2, p. 144, para. 69.1 (point 3).

[145]  Pièce D-1, p. 56. Voir également p. 59.

[146]  Pièce P-44 : Madame Porteous annonce d’abord qu’elle va administrer un salbutamol à 19h24:48 (p. 1). Elle commence à le préparer à 19h25:03 et administre le tout vers 19h27:03. À 19h27:11, après l’administration du salbutamol, Madame Porteous demande à Nutin s’il se sent mieux (p. 2). La durée de préparation d’administration est donc de deux (2) minutes (19h25:03 à 19h27:03).

[147]  Pièce D-1, p. 56, 58.

[148]  Pièce D-1, p. 10 (Section « Généralités »).

[149]  Pièce P-44, p. 4.

[150]  Pièce P-44, p. 5.

 19h36:18 Samantha Porteous says "Just bring it with you".

 19h38:38 Samantha Porteous says "Watch your head".

[151]  Pièce D-2, p. 79.

[152]  Interrogatoire de Leif Gulddal, Pièce P-6, p. 56.

[153]  Infra, section 3.2.6.

[154]  Pièce P-17.

[155]  Pièce D-2, p. 71, 74 et 75.

[156]  Pièce P-3, p. 2 (19h23).

[157]  Pièce D-1, p. 22.

[158]  Notamment l’évacuation de tout excédant et la mise en place du cylindre d’oxygène.

[159]  Pièce D-2, p. 86.

[160]  Pièce D-2, p. 86 : « Le patient présente une détresse respiratoire et a été exposé à un agent causal dans les 4 dernières heures. Le traitement de l‘anaphylaxie doit être prioritaire, I’épinéphrine doit être administrée en premier lieu. Dès que possible, après l‘administration de la première dose d'épinéphrine, un traitement de salbutamol en aérosol sera débuté. » Monsieur Gulddal a mentionné dans son témoignage qu’il ne voyait aucun inconvénient d’administrer le salbutamol en transit vers l’hôpital.

[161]  Pièce P-44, p. 9.

[162]  Selon le Dr. Brunet, Pièce D-38, p. 1, point 2, c) et d).

[163]  Pièce D-29; Interrogatoire au préalable de Marie Bouchard.

[164]  Nous mettons de côté la question si une deuxième dose a été administrée à 19h42.

[165]  Pièce D-2, p. 86.

[166]  Pièce P-44.

[167]  Pièce P-44.

[168]  Pièce P-44.

[169]  Pièce P-44.

[170]  Pièce P-44.

[171]  Pièce P-44.

[172]  Pièce P-44.

[173]  Pièce P-44.

[174]  Pièce P-44.

[175]  Pièce P-44.

[176]  Pièce P-44.

[177]  Pièce P-44.

[178]  Pièce P-44.

[179]  Pièce P-44.

[180]  Pièce P-44.

[181]  Pièce P-44.

[182]  Pièce P-44.

[183]  Pièce P-44.

[184]  Pièce P-44.

[185]  Pièce P-44.

[186]  Pièce P-44.

[187]  Pièce P-44.

[188]  Pièce P-44.

[189]  Pièce D-33, p. 9.

[190]  Pièce P-2, p. 1 Bloc 5, ligne 4.

[191]  Pièce D-33, p. 4. Les notes de l’arrivé de Nutin dans la salle de choc décrivent Nutin comme suit : « Cyanose du visage…bleuté ».

[192]  C’est ce qui a été fait à l’hôpital. Voir Pièce D-33, p. 5. Voir Pièce D-30.

[193]  Pièce D-33, p. 4.

[194]  Pièce D-20, p. 25. Noter que le dossier médical indique que Nutin a pu entrer dans la salle de choc à 19h52; Pièce D-20, p. 2.

[195]  Pièce D-33, p. 4; Pièce D-20, p. 25.

[196]  Pièce D-33, p. 5.

[197]  Pièce P-42 c) : L. Ma, T. M. Danoff and L. Borish “Case fatality and population mortality associated with anaphylaxis in the United States” (2014) 133 J. Allergy Clin. Immunol, 1075, 82.

[198]  Il y a lieu de noter qu’Urgences-Santé n’a jamais allégué en défense une faute de l’hôpital. Au contraire, le Dr. Brunet écrit dans son rapport que les soins hospitaliers administrés à Nutin l’ont été selon les règles de l’art : Pièce D-33, p. 9 « malgré un traitement immédiat [hospitalier] conforme aux standards de pratique ».

[199]  Pièce D-51, p. 16, 17. Il est également mentionné dans l’expertise de Dr. Brunet : Pièce D-33, p. 10.

[200]  Pièces D-27, D-28, D-29.

[201]  Pièce P-32. Celui-ci n’a jamais été utilisé, car les premiers répondants ont constaté l’expiration et ont utilisé un de leurs Épipen.

[202]  Interrogatoires au préalable de Gary McFarland (Pièce D-27) et de Annie Cyr (Pièce D-30).

[203]  Pièce D-29.

[204]  de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 34. Augustus c. Gosset, 1996 CanLII 173 (CSC), p. 296-297.

[205]  Pièces P-55, P-56, P-59, D-41, D-43. Voir l’échange de courriels entre les parties et le Tribunal.

[206]  Banque du Canada – Feuille de calcul de l’inflation : https://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/

[207]  Il y a lieu de noter que le présent dossier a été déposé le 16 octobre 2020, mais l’assignation a eu lieu le 19 octobre 2020. Les avocats conviennent d’utiliser cette dernière date.

[208]  Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd, [1978] 2 RCS 229.

[209]  Godin c. Quintal, [2002] R.J.Q. 2925 (C.A.).

[210]  Ibid.

[211]  Liberté TM inc c. Fortin, 2009 QCCA 477, para. 13 et 16; France Animation, sa c. Robinson, 2011 QCCA 1361, para. 217.

[212]  Émond c Lebrun, 2017 QCCS 2988, para. 109.

[213]  J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile, 9e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, p. 677.

[214] Daniel GARDNER, « L’arrêt Gosset, dix ans après », dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Le préjudice corporel (2006), vol. 252, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 104, EYB2006DEV1214 (La référence), section 1.4 in fine : « les trois paragraphes qui précèdent expliquent pourquoi nous avons pris la peine, dans le tableau apparaissant dans la section précédente, de rechercher la date de l’assignation (le plus souvent en consultant le plumitif) et d’en tenir compte dans l’établissement de la valeur constante de l’indemnité accordée. »

[215] Id.

[216]  Id., p.104-105 (Ruest c. Boily, REJB 2002-35943 (C.S.). À la p. 105, voir également les propos du professeur Gardner au sujet de l’arrêt Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268, 1996 CanLII 173.

[217]  Daniel GARDNER, Le préjudice corporel, 5e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2024, par.749, p.848.

[218]  Id., par.749, p.849.

[219]  Id.

[220]  Roussin c. Plan Nagua inc, 2011 QCCS 5301; Shaikh c. Kane, 2010 QCCS 1871; Godin c. Quintal, [2002] RRA 741 (C.A.); Gravel c. Édifices Gosselin et Fiset enr, 2007 QCCS 5116, (para. 165); Sacco c. Paysagistes Izzo et Frères ltée, 2014 QCCS 3656, (para. 207); Savard (Succession de) c. Houle, 2009 QCCS 795, (para. 231); Tremblay c. Kyzen inc., 2006 QCCS 3275, (para. 212, 215); Beaudoin c. Jarcevic, 2024 QCCS 4669, (para. 101).

[221]  Voir Séquence 3 au dossier de la Cour pour le rapport de signification.

[222]  Roussin c. Plan Nagua inc, 2011 QCCS 5301, (para. 230).

[224]  Pièce P-54, p. 20 et suivantes.

[225]  Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, vol. 1 « Principes généraux », 9e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, par. 1-525 ; Shaikh v. Kane, 2010 QCCS 1871.

[226]  Pièce D-51, p. 24, para. 127 c).

[227]  Pièce D-51, p. 24, para. 125.

[228]  Shaikh c. Kane, 2010 QCCS 1871.

[229]  Stunell c. Pelletier, 1994 CanLII 10924 QCCS (24 319 $); LS c. Centre hospitalier affilié universitaire de Québec — Hôpital de l'Enfant-Jésus, 2009 QCCS 1622, [2009] RJQ 1326 (24 550 $).

[230]  Sacco c. Paysagistes Izzo et Frères ltée, 2014 QCCS 3656, (31 ans); Chouinard c. Ailes de Gaspé inc, 2006 QCCS 5760, [2006] RL 530 (24 ans); Site touristique Chute à l'ours de Normandin inc. c. Nguyen (Succession de), 2015 QCCA 924, (27 ans); Tremblay c. Kyzen inc., 2006 QCCS 3275, [2006] RRA 1061 (rés) (29 ans).

[231]  Roussin c. Plan Nagua inc, 2011 QCCS 5301, [2011] RJQ 1888.

[232]  En dollars actualisés de 2020.

[233]  Pièce P-37.

[234]  Pièce D-51, p. 25, para 134.

[235]  Pièce D-40, p. 27, para. 148.

[236]  Pièce D-41.

[237]  Pièce P-35, dernière page.

[238]  Voir en général : Pièce D-28 (extraits de transcription de Maikan McFarland).

[239]  Pièce D-40, p. 22, para. 114.

[240]  Roussin c. Plan Nagua inc, 2011 QCCS 5301, [2011] RJQ 1888.

[241]  Voir Pièce P-34, p. 2.

[242]  Pièce P-34.

[243]  Pièce P-34, p. 8, 12.

[244]  Pièce P-34, p. 12.

[245]  Pièce P-34, p. 2 et 12.

[246]  Pièce P-34, p. 27.

[247]  Pièce P-34, p. 26 et 27.

[248]  Pièce D-40, p. 23, para. 118.

[249]  Site touristique Chute à l'ours de Normandin inc c. Nguyen (Succession de), 2015 QCCA 924, 2015EXP-1796 (82 650 $$ dollars 2020, 2 ans de relation); Gravel c. Édifices Gosselin et Fiset enr, 2007 QCCS 5116, JE 2008-215 (28 750 $ en dollars 2020, 2 ans, mais relation abusive).

[250]  Pièce D-40, p. 21, para. 107.

[251]  De Montigny c. Brossard (Succession de), 2006 QCCS 1677, [2006] RJQ 1371.

[252]  Roussin c. Plan Nagua inc, 2011 QCCS 5301, [2011] RJQ 1888, para. 223.

[253]  Article 340 C.p.c.

[254]  Pièce P-52.

[255]  Pièce P-58.

[256]  Il y a lieu de noter que les frais de l’expert en défense sont pour des montants semblables. Pièce D33 (Rapport d’expertise) (4 966,92 $). Pièce D-39 (frais de préparation et de témoignage) (21 989,20 $).

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