Décision

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Municipalité de Lacolle c. Béliveau

2025 QCCA 397

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030730-238

(755-17-003167-205)

 

DATE :

4 avril 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

MUNICIPALITÉ DE LACOLLE

APPELANTE – demanderesse

c.

 

ROLAND-LUC BÉLIVEAU

INTIMÉ – défendeur

 

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 21 août 2023 par la Cour supérieure, district d’Iberville (l’honorable Serge Gaudet), qui accueille en partie sa demande en remboursement des honoraires judiciaires payés à l’avocat de l’intimé dans le cadre de poursuites en déontologie déposées par la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale (« DEPIM ») auprès de la Commission municipale du Québec (« CMQ »), ainsi que dans le cadre de deux pourvois en contrôle judiciaire présentés par l’intimé en Cour supérieure, et qui ordonne en conséquence à l’intimé de lui rembourser 28 000 $[1].

 

 

  1.                 Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Morissette et Baudouin, LA COUR :
  2.                 REJETTE l’appel, avec frais de justice.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

Me Sébastien Dorion

DUNTON, RAINVILLE

Pour l’appelante

 

Me Simon Rainville

LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

18 décembre 2024

 


 

 

MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON

 

 

  1.                 Les faits sont simples et ne sont pas contestés. Le premier juge les résume bien aux paragraphes 4 à 34 de ses motifs. Pour la compréhension de l’appel, mentionnons simplement que le jugement attaqué accueille en partie seulement la demande de remboursement d’honoraires que l’appelante a été tenue de verser aux avocats de l’intimé, alors maire de l’appelante, en vertu de l’article 711.19.1 du Code municipal du Québec (« C.m. »)[2].
  2.                 L’intimé était défendeur dans une procédure dont était saisie la CMQ dans laquelle la DEPIM lui reprochait initialement 159 manquements à diverses dispositions du Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux de la municipalité de Lacolle (« Code de déontologie »)[3]. Après avoir reçu la communication de la preuve et l’avoir analysée (laquelle preuve comptait plus de 11 000 pages), l’intimé présente une demande préliminaire en rejet de 110 de ces manquements, que la CMQ accueille, et la procureure indépendante renonce à invoquer certains autres manquements, ce qui fait passer leur nombre de 159 à 39[4]. Ce nombre est ensuite réduit à 38 à la suite de la présentation d’une deuxième demande en irrecevabilité au début de l’audience[5].
  3.                 Des 38 allégations de manquements restantes, une se distingue des autres en ce qu’elle reproche à l’intimé de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en participant aux délibérations du conseil municipal alors qu’il était question de l’un de ses immeubles. Ce manquement est d’ailleurs traité distinctement par la CMQ dans une première décision rendue le 19 septembre 2017. Celle-ci conclut alors qu’il y a bien eu manquement et elle impose à l’intimé une suspension sans solde de 30 jours. L’intimé se pourvoit en contrôle judiciaire contre cette première décision, sans succès.
  4.                 Le 18 avril 2018, la CMQ rend une deuxième décision portant sur les 37 reproches restants[6]. Elle y conclut que l’intimé a commis 18 actes dérogatoires au Code de déontologie et lui ordonne de rembourser les dépenses qui en étaient l’objet, soit au total 798,68 $. Elle rejette les 19 autres allégations de manquements.
  5.                 L’intimé dépose alors une demande en contrôle judiciaire de cette décision, que la juge Katheryne A. Desfossés accueille en partie[7]. Elle conclut que des 18 manquements retenus par la CMQ, 10 n’avaient pas été allégués dans la demande et l’intimé n’avait donc pas pu s’en défendre. Elle réduit en conséquence à 375,85 $ le montant que l’intimé doit rembourser à la municipalité pour les huit manquements résiduels[8].
  6.                 C’est alors que l’appelante présente à la Cour supérieure sa demande de remboursement des honoraires versés à l’avocat de l’intimé (104 407,01 $), demande fondée sur les articles 711.19.2 et 711.19.3 C.m. Elle y soutient que les manquements retenus par la CMQ remplissaient tous les critères de l’article 711.19.2 al. 1 (1°) (« l’acte […] de la personne, dont l’allégation a fondé la procédure, est une faute […] intentionnelle ou séparable de l’exercice des fonctions de la personne »). Cette qualification serait selon elle identique à celle donnée par la CMQ dans sa décision du 18 avril 2018 où elle écrit que les ressources de la municipalité ont été utilisées alors que l’intimé n’agissait pas dans le cadre d’activités liées à l’exercice de ses fonctions de maire[9].
  7.            L’appelante demande aussi le remboursement des honoraires versés pour la présentation d’une demande d’exclusion de la preuve lors de l’audition devant la CMQ et d’une demande de réouverture d’enquête, puisque selon elle, ces demandes étaient dès le départ vouées à l’échec. Elle réclame aussi le remboursement des honoraires versés à l’occasion des observations sur la sanction, dans le dossier dans lequel l’intimé a été blâmé pour s’être placé en conflit d’intérêts, et de ceux versés pour le premier pourvoi en contrôle judiciaire. Quant aux honoraires restants, l’appelante en demande le remboursement « proportionnellement », puisque les services auraient été rendus à d’autres fins que la simple défense de l’intimé devant la CMQ.
  8.            Comme on l’a dit, la Cour supérieure ne donne qu’en partie raison à l’appelante.
  9.            Elle ordonne à l’intimé de rembourser à la municipalité tous les honoraires versés à ses avocats, y compris ceux engagés pour la préparation et l’audience devant la CMQ relative au conflit d’intérêts (la décision du 19 septembre 2017) (14 574,56 $, soit 25 % des honoraires non expressément attribués à une question autre), ceux versés dans le cadre des observations sur la sanction relative à ce manquement (6 906,16 $) et ceux versés dans le cadre du pourvoi en contrôle judiciaire interjeté à l’encontre de cette même décision du 19 septembre 2017 (6 913,11 $), pour un total qu’elle arrondit à 28 000 $[10]. Ni l’intimé ni l’appelante ne portent cette conclusion en appel.
  10.            La Cour supérieure rejette toutefois les demandes de remboursement des autres honoraires versés aux avocats de l’intimé, dont ceux associés aux huit manquements retenus par la CMQ dans sa décision du 18 avril 2018 et par la suite maintenus par la Cour supérieure.

* * *

  1.            Les articles pertinents du Code municipal du Québec en vigueur au moment des évènements qui permettent à une municipalité tenue d’assumer la défense ou la représentation d’un membre de son conseil municipal en application de l’article 711.19.1 de se faire rembourser les honoraires payés, sont les suivants :

711.19.2. La personne pour laquelle la municipalité est tenue de faire des dépenses, en vertu de l’article 711.19.1, doit, sur demande de la municipalité, lui rembourser la totalité de ces dépenses ou la partie de celles-ci qui est indiquée dans la demande, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

 l’acte ou l’omission de la personne, dont l’allégation a fondé la procédure, est une faute lourde, intentionnelle ou séparable de l’exercice des fonctions de la personne;

 

 le tribunal a été saisi de la procédure par la municipalité ou par un tiers à la demande de cette dernière;

 

 

 la personne, défenderesse ou accusée dans la procédure de nature pénale ou criminelle, a été déclarée coupable et n’avait aucun motif raisonnable de croire que sa conduite était conforme à la loi.

 

En outre, si la municipalité fait les dépenses visées au premier alinéa en remboursant les frais de la défense ou de la représentation que la personne assume elle-même ou par le procureur de son choix, l’obligation de la municipalité cesse, à l’égard de la totalité des frais non encore remboursés ou de la partie de ceux-ci que la municipalité indique, à compter du jour où il est établi, par une admission de la personne ou par un jugement passé en force de chose jugée, qu’est justifiée la demande de remboursement prévue au premier alinéa ou la cessation de remboursement prévue au présent alinéa.

 

Les premier et deuxième alinéas s’appliquent si la municipalité est justifiée d’exiger le remboursement prévu au premier alinéa et, le cas échéant, de cesser en vertu du deuxième d’effectuer des rembour-sements. Ils ne s’appliquent pas dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 711.19.1.

 

 

711.19.3. Aux fins de déterminer si la justification prévue au troisième alinéa de l’article 711.19.2 existe, il faut prendre en considération et pondérer l’un par l’autre les objectifs suivants :

 

 

1° la personne visée à l’article 711.19.1 doit être raisonnablement protégée contre les pertes financières qui peuvent découler des situations dans lesquelles la place l’exercice de ses fonctions;

 

les deniers de la municipalité ne doivent pas servir à protéger une telle personne contre les pertes financières qui résultent d’une inconduite sans commune mesure avec les erreurs auxquelles on peut raisonnablement s’attendre dans l’exercice des fonctions d’une telle personne.

 

 

Dans l’application du premier alinéa, on peut tenir compte de la bonne ou mauvaise foi de la personne, de sa diligence ou négligence quant à l’apprentissage des règles et des pratiques pertinentes à l’exercice de ses fonctions, de l’existence ou de l’absence de faute antérieure de sa part liée à l’exercice de ses fonctions, de la simplicité ou de la complexité de la situation au cours de laquelle elle a commis une faute, de la bonne ou mauvaise qualité des avis qu’elle a reçus et de tout autre facteur pertinent.

711.19.2. The person for whom the municipality is required to incur expenses under article 711.19.1 shall, at the request of the municipality, reimburse all the expenses or the portion of such expenses indicated in the request in any of the following cases:

 

(1) the person's alleged act or omission having given rise to the proceedings is a gross or intentional fault or a fault separable from the performance of his duties;

 

(2) the proceedings are brought before the court by the municipality or by a third person at the request of the municipality;

 

(3) the person, defendant or accused in the penal or criminal proceedings, has been convicted and had no reasonable grounds to believe that he acted within the law.

 

 

In addition, where the municipality incurs the expenses referred to in the first paragraph in reimbursing the expenses relating to the person's defence or representation assumed by the person himself or by an attorney of his choice, the municipality's obligation shall cease, in respect of all expenses not reimbursed or the portion of such expenses which the municipality may indicate, from the day on which it is established, by the person's own admission or by a judgment that has become res judicata, that the request for reimbursement provided for in the first paragraph or the cessation of reimbursement provided for in this paragraph is justified.

 

The first and second paragraphs apply where the municipality is justified in requiring the reimbursement provided for in the first paragraph or, as the case may be, in ceasing to make reimbursements pursuant to the second paragraph. They do not apply in the case provided for in subparagraph 3 of the first paragraph of article 711.19.1.

 

711.19.3. For the purpose of determining whether the justification provided for in the third paragraph of article 711.19.2 exists, the following objectives shall be considered and weighed one against the other:

 

(1) the person referred to in article 711.19.1 must be reasonably protected against any financial loss which may result from the performance of his duties;

 

(2) the monies of the municipality must not be used to protect such a person against financial losses resulting from misconduct which cannot possibly be compared with the errors that may reasonably be expected to be committed by a person performing similar duties.

 

For the purposes of the first paragraph, the good or bad faith of the person may be taken into account as well as his diligence or negligence in learning the rules and practices relevant to the performance of his duties, the existence or absence of any previous fault related to the performance of his duties, the simplicity or complexity of the circumstances in which he committed a fault, the good or poor quality of the advice given to him and any other relevant factor.

 

[Soulignements ajoutés]

  1.            Une fois les moyens épuisés, les seuls manquements restants sont les suivants :

-         L’intimé a acheté des bottes de pluie pour deux employés municipaux au coût de 206,56 $. Ces derniers ne les avaient pas demandées et ne les ont jamais portées. Elles n’ont pas été utilisées par l’intimé non plus. Il n’avait pas le pouvoir de faire cette dépense;

-         Il a dépensé 8,73 $ au McDonald’s en allant acheter des tondeuses à gazon pour la municipalité, alors que cette tâche n’entrait pas dans ses attributions;

-         Il a dépensé 5,75 $ au Burger King en allant acheter des outils et des matériaux pour le compte de la municipalité, alors que cette tâche n’entrait pas dans ses attributions;

-         Il a dépensé 8,96 $ au McDonald’s en se rendant chez Costco pour acheter du mobilier de bureau pour la municipalité, alors que cette tâche n’entrait pas dans ses attributions;

-         Il a dépensé 33,05 $ dans un restaurant, 6,31 $ au McDonald’s, 42,57 $ au Scores et 6,02 $ au McDonald’s à l’occasion de déplacements liés à l’achat d’un camion pour la municipalité, à la prise de possession d’une plateforme pour la municipalité ainsi qu’à l’achat de bouchées pour une soirée organisée par la municipalité, alors que ces tâches n’entraient pas dans ses attributions.

 

 

  1.            L’article 4 du Code de déontologie auquel l’intimé a contrevenu à chacune de ces occasions prévoyait l’interdiction suivante :

Utilisation des ressources de la municipalité

4. Il est interdit à toute personne d’utiliser ou de permettre l’utilisation des ressources, des biens ou des services de la municipalité ou des organismes municipaux à des fins personnelles ou à des fins autres que les activités liées à l’exercice de ses fonctions.

[Soulignements ajoutés]

  1.            Selon l’appelante, vu la similarité des mots employés à l’article 4 du Code de déontologie (« l’utilisation des ressources […] de la municipalité […] à des fins autres que les activités liées à l’exercice de ses fonctions ») et ceux employés à l’article 711.19.2(1°) C.m. permettant de réclamer le remboursement demandé par l’appelante (« l’acte ou l’omission de la personne, dont l’allégation a fondé la procédure, est une faute […] séparable de l’exercice des fonctions de la personne » / « the person's alleged act or omission having given rise to the proceedings is […] a fault separable from the performance of his duties »), le juge se devait de tenir compte de la conclusion de la CMQ voulant que les dépenses reprochées à l’intimé aient toutes été faites dans le cadre d’activités non liées à l’exercice des fonctions de maire. En l’absence de toute preuve contraire, ce fait juridique pertinent s’imposait par sa valeur probante[11] et le juge se devait donc de considérer la conclusion de la CMQ plutôt que de reprendre lui-même l’analyse, substituer sa propre conclusion à celle de la CMQ et conclure que les actes de l’intimé constituaient des fautes qui n’étaient pas séparables de l’exercice de ses fonctions de maire.
  2.            À ce moyen, l’intimé répond que l’approche proposée par l’appelante aurait pour effet de retirer toute discrétion à la Cour supérieure à qui le législateur a accordé une latitude certaine d’appréciation lui permettant de prendre en compte les objectifs visés par le régime de protection des élus et autres personnes mentionnées aux articles 711.19.1 et s. C.m.
  3.            Le juge estime que malgré le fait que les mots employés dans les deux textes sont similaires, ils n’ont pas exactement le même sens, le Code de déontologie — et donc l’analyse faite par la CMQ — traitant d’infractions déontologiques alors que sa propre analyse portait sur les critères des articles 711.19.2 et 711.19.3 C.m. spécifiques aux demandes de remboursement. Il rejette l’argument selon lequel la qualification juridique de ces actes en tant que « manquements » au sens de l’art. 4 du Code de déontologie suffirait afin de les qualifier de « fautes séparables de l’exercice de ses fonctions » au sens de l’art. 711.19.2 C.m. Ainsi, bien qu’un acte lors duquel une dépense a été faite puisse ne pas se rapporter directement aux fonctions de maire, l’intimé pourrait malgré cela bénéficier du régime de protection accordé par la loi si cet acte « a un lien logique, par sa finalité, avec la fonction de l’élu et […] est pertinent aux affaires municipales »[12]. L’acte dont l’allégation a fondé la procédure qui n’aurait pas été posé dans l’exécution par un élu des fonctions et responsabilités conférées expressément ou implicitement par la loi, ou encore ne serait pas inhérent à sa charge, pourrait tout de même se qualifier s’il est en lien avec les situations dans lesquelles l’exercice de ses fonctions place l’élu[13].
  4.            En d’autres mots, bien que la distinction qui existe entre les fonctions des élus municipaux et celles des employés d’une municipalité ait pu jouer un rôle dans l’évaluation qu’a faite la CMQ des manquements reprochés à l’intimé, le régime de protection des élus, lequel met l’accent sur la volonté de l’élu de servir la municipalité, militerait en faveur d’accorder une importance moindre à cette délimitation des fonctions lorsqu’il est question d’évaluer les honoraires qu’un élu doit assumer lui-même pour sa défense. 
  5.            J’adhère au raisonnement juridique adopté par le premier juge. Cela dit, à mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir s’il a ou non commis une erreur lors de son analyse qui l’a amené à conclure qu’en l’espèce, le contexte dans lequel chacun des gestes a été posé par l’intimé n’était pas séparable de l’exercice de ses fonctions de maire, puisque si erreur il y a, ce sur quoi je ne me prononce pas, elle ne serait pas déterminante.
  6.            Le premier juge n’avait pas la tâche de décider si la CMQ a erré lorsqu’elle a conclu que l’intimé avait enfreint l’article 4 du Code de déontologie. Il devait analyser les critères prescrits à l’article 711.19.2 C.m. et prendre en considération les objectifs spécifiques prévus à l’article 711.19.3 C.m. C’est précisément ce qu’il a fait en tenant compte du fait que la demande de remboursement présentée par l’appelante était de 100 571,44 $ sur un total d’honoraires payés de 111 782,33 $, alors que ceux-ci avaient permis de faire rejeter 150 des 159 allégations de manquements par le biais de demandes fructueuses en irrecevabilité, d’une défense au fond et d’une demande en contrôle judiciaire.
  7.            D’une part, il conclut que l’intimé doit rembourser les honoraires relatifs à sa défense concernant le conflit d’intérêts dans lequel il s’était placé, déterminés approximativement à 28 000 $. D’autre part, quant aux huit autres manquements pour lesquels l’intimé a été blâmé, il écrit que même s’il avait conclu que ces manquements constituaient en l’espèce des fautes « séparables de l’exercice des fonctions » de maire, l’application des critères d’analyse prévus à l’article 711.19.3 l’aurait mené au rejet de la réclamation :

[71]   De toute manière, en ce qui concerne ces huit autres manquements, même si on devait considérer que cette première condition était satisfaite, la seconde condition, celle relative à la justification du remboursement ne le serait pas à mon avis. En effet, nous ne sommes pas ici dans une situation qui résulte « d’une inconduite sans commune mesure avec les erreurs auxquelles on peut raisonnablement s’attendre dans l’exercice des fonctions d’une telle personne »47 et pour laquelle la Municipalité ne devrait pas avoir à assumer les frais de défense de la personne visée. Au contraire, j’estime que nous sommes précisément dans le type d’erreur à laquelle on peut raisonnablement s’attendre dans l’exercice des fonctions du maire d’une municipalité. En effet, la question de savoir dans quels cas précis un maire peut demander le remboursement de dépenses occasionnées dans le cadre ou à l’occasion de ses fonctions n’est pas simple, car il faut concilier diverses dispositions législatives qui ne sont pas nécessairement rédigées dans un style clair et limpide, tel qu’il appert des dispositions législatives mentionnées à la décision de la CMQ.

_______________________

47 Art. 711.19.3 CM, je souligne.

  1.            Ce premier moyen est donc rejeté.
  2.            L’appelante soutient ensuite que le premier juge a erré en lui refusant le remboursement des honoraires (plus de 25 000 $) payés à l’intimé pour une demande en exclusion de la preuve et pour une demande en réouverture d’enquête, aux motifs que ces deux demandes étaient abusives puisque vouée à l’échec pour la première, et inutile pour la seconde, et donc qu’il ne s’agissait pas de « frais raisonnables de défense ». L’avocat de l’intimé a expliqué lors de son témoignage que la défense présentée à la CMQ tenait aussi compte du fait qu’une condamnation pouvait potentiellement mener à une demande de destitution de l’intimé ou encore à de possibles accusations criminelles.
  3.            Le premier juge conclut d’abord que ces réclamations se heurtent à deux écueils. Le premier est que la valeur de ces travaux avait été tranchée par le Comité d’arbitrage du Barreau à la demande de l’appelante. Cette dernière soutient en appel que le juge a erré à cet égard, puisqu’elle ne soutient pas que les avocats ont rendu des services d’une valeur inférieure à celle facturée, mais plutôt que leurs honoraires ont servi à d’autres fins que celles d’assumer la défense de l’intimé face aux accusations de manquements portées devant la CMQ.
  4.            L’appelante ne me convainc pas que le premier juge a erré alors qu’il écarte ce moyen en expliquant que « sonder ainsi les reins et les cœurs ne semble pas une très bonne politique pour la mise en application efficace du régime de protection mis en place par les articles 711.19.1 et suivants du Code municipal »[14], détermination qui se situait au cœur de la discrétion accordée par l’article 711.19.3 C.m.
  5.            Quant au second écueil énoncé par le juge, l’appelante ne montre pas en quoi il serait erroné : le juge ne disposait tout simplement pas d’éléments de preuve lui permettant de déterminer si les demandes en exclusion de la preuve et en réouverture d’enquête étaient ou non abusives dans les circonstances. Le juge administratif n’avait pas mentionné dans sa décision que ces demandes étaient abusives. Le premier juge conclut donc que « le simple fait qu’une demande d’une partie soit rejetée par le tribunal ne signifie pas qu’elle était pour autant abusive. La Municipalité, qui doit établir les faits l’autorisant à réclamer un remboursement [Ville de Saint-Constant c. Succession de Pépin, 2020 QCCA 1292, par. 107], ne s’est donc aucunement déchargée de son fardeau à cet égard »[15].
  6.            Ensuite, et plus précisément au sujet de la demande d’exclusion des photographies prises lors d’une visite d’un inspecteur municipal, l’appelante avance qu’il est depuis longtemps reconnu que la preuve recueillie lors de telles visites visant à vérifier l’application d’une norme réglementaire, dont des photographies prises à cette fin, peut être présentée et ne contrevient pas à la Charte des droits et libertés de la personne[16] ni à la Charte canadienne des droits et libertés[17]. La demande d’exclusion était dès lors vouée à l’échec.
  7.            Je ne suis pas d’accord. S’il est vrai que cette affirmation est généralement exacte[18], il demeure que l’intimé soutenait auprès de la CMQ que les photographies avaient été prises lors d’une visite de l’inspecteur effectuée après avoir forcé la serrure sans autorisation judiciaire préalable. Il s’agissait là d’un argument des plus sérieux qui, contrairement à ce qu’avance l’appelante, était loin d’être voué à l’échec[19].
  8.            L’appelante ne démontre pas que le premier juge a erré à ces égards.
  9.            Ainsi, je propose le rejet de l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 


[1]  Municipalité de Lacolle c. Béliveau, 2023 QCCS 3260 [jugement entrepris].

[2]  Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1, art. 711.19.1.

[3]  Règlement instaurant un code d’éthique et de déontologie révisé des élus municipaux, Conseil de la municipalité de Lacolle, règlement no 2014-0142, adopté le 11 mars 2014, Annexe A.

[4]  Jugement entrepris, par. 12.

[5]  (Re) Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élu Roland-Luc Béliveau, 2018 CanLII 34541 (QC CMNQ), par. 21.

[6]  Idem.

[7]  Béliveau c. Commission municipale du Québec (Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale), 2022 QCCS 3931.

[8]  Manquements 3, 6, 9, 10, 15, 17, 19 et 21, ce qui fait un total de 9 manquements retenus, si on tient compte de celui portant sur la participation aux délibérations traité dans la décision du 19 septembre 2017, sur les 159 reproches initiaux.

[9]  (Re) Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élu Roland-Luc Béliveau, supra, note 5, par. 78, 83, 89 et 114.

[10]  L’avocat de l’intimé a concédé lors des plaidoiries en première instance que son client devrait rembourser les honoraires ayant été payés en relation avec les observations sur la sanction pour le reproche relatif au conflit d’intérêts et le pourvoi en contrôle judiciaire qui s’y rattachait, ainsi qu’une proportion correspondant au 9/159 des honoraires restants, soit 4 125 $, pour un total de 17 744 $.

[11]  Ali c. Compagnie d’assurances Guardian du Canada, J.E. 99-1153, 1999 CanLII 13177 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 8 juin 2000, no 27458; Val-Bélair (Ville de) c. Jean, J.E. 2003-111, 2002 CanLII 41287 (C.A.), par. 50-52, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 7 août 2003, no 29582.

[12]  Ville de Saint-Constant c. Succession de Pépin, 2020 QCCA 1292, par. 63.

[13]  Berniquez St-Jean c. Boisbriand (Ville de), 2013 QCCA 2197, par. 27 et s.

[14]  Jugement entrepris, par. 86.

[15]  Id., par. 85.

[16]  RLRQ, c. C-12, art. 8 et 24.1.

[17]  Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 8.

[18]  Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash, [1994] 2 R.C.S. 406.

[19]  Id., p. 424.

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