Ville de Bois-des-Filion c. St-Cyr Huot | 2024 QCCS 970 |
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CANADA | ||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||
DISTRICT DE TERREBONNE | ||
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N° : | 700-17-019017-226 | |
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DATE : | 29 février 2024 | |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ALAIN BOLDUC, J.C.S. | ||
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VILLE DE BOIS-DES-FILION | ||
Demanderesse | ||
c. | ||
ÉMILIE ST-CYR HUOT | ||
Défenderesse | ||
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JUGEMENT | ||
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L’APERÇU
[1] En se fondant sur l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (la L.a.u.)[1], Ville de Bois-des-Filion requiert que Mme Émilie St-Cyr Huot, qui est propriétaire d’une résidence située sur son territoire et érigée sur un lot se trouvant dans une zone inondable, démolisse à ses frais la dalle de béton qu’elle a fait implanter sur son lot afin qu’un garage détaché y soit construit éventuellement.
[2] Elle soutient que l’implantation de cette dalle, faite sans avoir obtenu au préalable un permis ni un certificat d’autorisation, contrevient à la règlementation provinciale et municipale tant en ce qui concerne celle qui était en vigueur à l’époque que celle qui l’est présentement.
[3] Également, en se basant sur les articles 51 et suivants C.p.c., elle réclame à Mme St-Cyr Huot les dommages qu’elle allègue avoir subis en raison des agissements fautifs de cette dernière dans le cadre du déroulement de l’instance.
[4] Quant à Mme St-Cyr Huot, qui admet que son lot se trouve dans une zone inondable et ne conteste pas le fait qu’elle aurait contrevenu à la règlementation en question, elle requiert le rejet de la demande de la Ville au motif qu’il ne s’agit pas d’un remède approprié compte tenu des circonstances.
[5] Subsidiairement, se portant demanderesse reconventionnelle advenant le cas où il lui serait ordonné de démolir la dalle de béton, elle réclame à la Ville les dommages qu’elle aurait subis à cause des erreurs commises par ses deux inspectrices en bâtiment.
LE CONTEXTE
[6] Mme St-Cyr Huot est propriétaire d’une résidence située sur le territoire de la Ville. Elle est érigée sur le lot 1 [...] du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Terrebonne, qui se trouve dans une zone inondable de grand courant suivant l’annexe B du Règlement de contrôle intérimaire de la Communauté métropolitaine de Montréal numéro 2019-78 concernant les plaines inondables et les territoires à risque d’inondation (le RCI concernant les plaintes inondables).
[7] Au cours de l’été 2020, elle communique avec le service d’urbanisme de la Ville afin de se renseigner sur les formalités à respecter avant de procéder à la construction d’un garage détaché de sa résidence.
[8] Dans le cadre des échanges qui sont effectués par courriels, Mme Audrey Caouette, inspectrice en bâtiment au sein de la Ville, l’avise que la construction d’un garage visible de la rue est assujettie au Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) n° 7700 (le Règlement sur les PIIA). Également, elle l’informe que ce règlement permet au Comité consultatif d’urbanisme de la Ville (le CCU) d’évaluer l’architecture du bâtiment ainsi que son intégration dans le milieu et que la recommandation de celui-ci est transmise par la suite au Conseil municipal qui doit rendre une décision après avoir évalué le projet.
[9] Le 6 août 2020, Mme St-Cyr Huot transmet un courriel à Mme Caouette afin de lui poser différentes questions :
Bonjour Audrey,
Pourrais-tu me dire quand le Conseil municipal se réunit la prochaine fois?
Est-ce qu’il faut un permis pour couler la dalle et un deuxième pour construire le garage?
Si oui, est-ce que tu as besoin des plans avant pour la dalle également?
Pour obtenir le ou les permis, je dois peux (sic) te soumettre le tout par courriel ou je dois me présenter?
Merci et bonne journée!
[10] Puis, le 12 août 2020, Mme Caouette lui répond ceci par courriel :
Bonjour,
Le CCU se réunira le 14 septembre prochain. Les documents doivent être reçu (sic) avant le 4 septembre prochain à l’adresse suivante : urbanisme@ville.bois-des-filion.qc.ca, car je quitte mes fonctions au sein de la Ville ce vendredi.
Aucun permis n’est requis pour la dalle, car, habituellement, ce genre de travaux fait partie intégrante du permis de construction du garage.
Au plaisir et bonne journée!
[11] À la fin du mois d’août 2020, ayant compris de ce courriel qu’aucun permis n’est requis pour l’implantation d’une dalle de béton, Mme St-Cyr Huot fait couler une telle dalle sur son lot par un entrepreneur. Celle-ci doit servir de fondation pour son projet de garage détaché.
[12] À la mi-janvier 2022, Mme St-Cyr Huot entreprend des démarches auprès de la Ville afin d’obtenir un permis pour la construction de ce garage. Afin de se conformer aux exigences prévues au Règlement sur les PIIA, elle dépose alors une demande de plan d’implantation et d’intégration architecturale (le PIIA).
[13] En avril 2022, après avoir constaté que le dossier de Mme St-Cyr Huot est incomplet, Mme Madeleine Ndjandjio Ndem, inspectrice en bâtiment au sein de la Ville, lui transmet un courriel afin qu’elle fasse parvenir une représentation du garage qu’elle envisage de construire.
[14] Par la suite, le 2 mai 2022, dans le cadre du traitement de la demande de PIIA, Mme Ndjandjio Ndem constate que la propriété de Mme St-Cyr Huot est située dans une zone inondable. Elle demande alors à cette dernière de lui transmettre un plan d’implantation préparé par un arpenteur-géomètre conformément à ce qui est prévu au Règlement sur les PIIA.
[15] Le 16 juin 2022, par courriel, Mme St-Cyr Huot transmet à Mme Ndjandjio Ndem le plan d’implantation qui a été réalisé par un arpenteur-géomètre, en mentionnant que la dalle de béton est existante depuis l’été 2020. Ce plan indique que sa propriété se trouve presque entièrement dans une zone inondable de grand courant 0-20 ans.
[16] Sur réception de ce plan, Mme Ndjandjio Ndem communique par téléphone avec Mme St-Cyr Huot pour l’aviser que le projet de construction de son garage ne pourra être approuvé parce que la dalle de béton sur laquelle il doit être construit, qui est située en zone inondable, n’a pas été posée sur le sol sans ancrage et a nécessité du déblai et du remblai.
[17] Le 28 juin 2022, Mme Ndjandjio Ndem se rend ainsi chez Mme St-Cyr Huot afin d’inspecter les lieux.
[18] Puis, le 6 juillet 2022, elle dépose un rapport d’inspection dans lequel elle fait état qu’il y a une infraction à l’article 5.1.1 du Règlement sur les permis et certificats n° 7100, car aucun certificat d’autorisation n’avait été émis pour les travaux d’implantation de la dalle de béton se trouvant en zone inondable.
[19] Le 7 juillet 2022, la Ville fait signifier à Mme St-Cyr Huot une lettre par laquelle elle exige de retirer la dalle de béton avant le 2 août suivant.
[20] Puisqu’elle ne s’exécute pas dans le délai imparti, la Ville introduit alors, en octobre 2022, une demande en vertu de l’article 227 L.a.u. afin de requérir la démolition de cette dalle.
L’ANALYSE
[21] Étant donné que Mme St-Cyr Huot ne conteste pas avoir contrevenu à la règlementation provinciale et municipale en raison du fait que celle-ci est trop complexe en ce qui la concerne, il est pertinent de s’y attarder.
[22] La discussion portera d’abord sur la règlementation provinciale applicable au moment de l’implantation de la dalle de béton et celle applicable actuellement.
[23] Ensuite, elle concernera la règlementation municipale.
1.1. La contravention à la règlementation provinciale
1.1.1. La règlementation applicable au moment de l’implantation de la dalle de béton
[24] Lorsque Mme St-Cyr Huot a fait implanter sa dalle de béton, le RCI concernant les plaines inondables, à son article 2.2, interdisait toutes les constructions, tous les ouvrages et tous les travaux dans les zones inondables de grand courant, sous réserve des mesures prévues :
2.2 Mesures relatives à la zone de grand courant d’une plaine inondable
Dans la zone de grand courant d’une plaine inondable ainsi que dans les plaines inondables identifiées sans que ne soient distinguées les zones de grand courant de celles de faible courant sont en principe interdits toutes les constructions, tous les ouvrages et tous les travaux, y compris de reconstruction d’ouvrages ou de constructions détruits par une inondation, sous réserve des mesures prévues aux articles 2.2.1 et 2.2.2.
[25] Les mesures pertinentes en l’espèce, qui permettaient de déroger à cette règle, étaient prévues au paragraphe m) de l’article 2.2.1 de ce règlement :
2.2.1 Constructions, ouvrages et travaux permis
Malgré le principe énoncé précédemment, peuvent être réalisés dans ces zones, à la suite de l’émission d’un permis ou d’un certificat, les constructions, les ouvrages et les travaux suivants, si leur réalisation n’est pas incompatible avec les mesures de protection applicables pour les rives et le littoral aux règlements municipaux et règlements de contrôles intérimaires en vigueur :
[…]
m) les bâtiments accessoires aux bâtiments principaux existants, selon les conditions suivantes :
i. Les bâtiments accessoires doivent être déposés sur le sol sans fondation, ni ancrage pouvant les retenir au sol;
ii. Les bâtiments accessoires ne doivent pas être immunisés;
iii. L'implantation d'un bâtiment accessoire ne doit nécessiter aucun déblai ni remblai. Toutefois, un régalage mineur du sol en place ainsi que le remplacement d’une couche de dépôt meuble sont autorisés, à la condition que le niveau du terrain demeure le même;
iv. La superficie totale des bâtiments accessoires est limitée à trente (30) mètres carrés.
[Nos soulignements]
[26] Puisque les termes « fondation » et « ancrage » n’étaient pas définis dans le RCI concernant les zones inondables, dans la L.a.u. ni dans la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[2], ils doivent être interprétés selon leur sens courant.
[27] Le Tribunal s’en remet donc au dictionnaire Le Robert[3] qui les définit ainsi :
Fondation : Travaux et ouvrages destinés à assurer la stabilité d'une construction. (Ex. Les fondations d'un immeuble.)
Ancrage : Action, manière d'ancrer, d'attacher à un point fixe.
[28] En l’espèce, le témoignage de Mme St-Cyr Huot a révélé que la dalle de béton qu’elle a fait implanter pour y ériger éventuellement un garage détaché constitue une fondation qui a été ancrée au sol et a nécessité du déblai et du remblai de façon importante.
[29] Puisqu’elle n’a pas obtenu un permis ni un certificat au préalable et que l’implantation de cette dalle n’est pas une mesure permise par l’article 2.2.1 du RCI concernant les zones inondables, il faut conclure qu’elle a contrevenu à l’article 2.2 de ce règlement parce qu’il s’agit d’une construction ou d’un ouvrage réalisé dans une zone inondable.
1.1.2. La règlementation applicable actuellement
[30] En mars 2022, afin d’instaurer un régime uniforme applicable à la gestion des rives, du littoral et des zones inondables dans toutes les municipalités situées sur son territoire, le législateur québécois a abrogé le RCI concernant les plaines inondables et l’a remplacé par le Règlement concernant la mise en œuvre provisoire des modifications apportées par le chapitre 7 des lois de 2021 en matière de gestion des risques liés aux inondations (le Règlement transitoire)[4].
[31] Au paragraphe 4 de son article 8, le Règlement transitoire assujettit notamment à l’autorisation préalable de la municipalité locale, lorsqu’ils sont réalisés dans une zone inondable située sur son territoire, les travaux de construction de tout bâtiment résidentiel principal de même que ses bâtiments et ouvrages accessoires :
8. Toute personne qui réalise l’une des activités suivantes dans une zone inondable d’un lac ou d’un cours d’eau doit préalablement obtenir une autorisation auprès de la municipalité locale sur le territoire de laquelle l’activité est réalisée:
[…]
4° la construction de tout bâtiment résidentiel principal ainsi que ses bâtiments et ses ouvrages accessoires, incluant les accès requis, aux conditions prévues au paragraphe 5 de l’article 341 du Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement et, lorsqu’elle s’effectue dans un milieu humide situé dans une zone inondable, aux conditions prévues à l’article 344 et aux paragraphes 2 et 3 du premier alinéa de l’article 345 de ce règlement.
[Nos soulignements]
[32] Pour déterminer si de tels travaux peuvent être autorisés dans une zone inondable, il faut désormais s’en remettre à deux règlements adoptés en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement[5], soit le Règlement sur l'encadrement d'activités en fonction de leur impact sur l'environnement (le REAFIE)[6] et le Règlement sur les activités dans des milieux humides, hydriques et sensibles (le RAMHHS)[7].
[33] En ce qui concerne le REAFIE, au paragraphe 5 de son article 341, il exempte notamment d’une autorisation ministérielle les travaux de construction d’un bâtiment résidentiel principal ainsi que ceux de ses bâtiments et de ses ouvrages accessoires qui sont nécessaires pendant et après les travaux, lorsqu’ils sont réalisés uniquement dans une zone inondable.
[34] Quant au RAMHHS, qui reprend sensiblement les dispositions du RCI concernant les plaines inondables, il prévoit au paragraphe 2 du premier alinéa de son article 38.5 certaines conditions qui doivent être satisfaites lorsque des travaux de construction d’un bâtiment résidentiel principal ou d’un ouvrage accessoire à un tel bâtiment doivent être réalisés dans une zone inondable :
38.5. Les travaux relatifs à un bâtiment résidentiel principal ainsi que ses bâtiments et ses ouvrages accessoires, incluant les accès requis, doivent, en plus des autres conditions applicables prévues dans le présent chapitre, satisfaire aux conditions suivantes :
[…]
2° lorsqu’il s’agit de la construction d’un bâtiment ou d’un ouvrage accessoire à un bâtiment principal :
a) elle est réalisée sans fondation ni ancrage lorsqu’elle concerne un bâtiment;
b) l’empiètement dans la zone inondable est d’au plus 30 m2 ou, lorsque l’empiètement est aussi dans une zone agricole décrétée par le gouvernement ou établie suivant la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (chapitre P-41.1), d’au plus 40 m2;
[…]
Pour l’application des paragraphes 2 et 3 du premier alinéa, le terme «construction» n’inclut pas le démantèlement.
Sont exclus de l’application du sous-paragraphe b du paragraphe 2 les ouvrages destinés à la baignade.
[Nos soulignements]
[35] Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la municipalité, suivant l’article 11 du Règlement transitoire, ne peut délivrer une autorisation municipale.
[36] Quoique Mme St-Cyr Huot ait déposé sa demande de permis avant le 1er mars 2022, ces dispositions s’appliquent expressément à celle-ci suivant l’article 116 du Règlement transitoire.
[37] En conséquence, la dalle de béton que Mme St-Cyr Huot a fait implanter, dans le cadre de son projet de construction d’un garage détaché, ne respecte pas davantage le paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 38.5 du RAMHHS parce qu’il s’agit d’une fondation ancrée au sol.
1.2. La contravention à la règlementation municipale
[38] Le Règlement de zonage n° 7200 (le Règlement de zonage) adopté par la Ville prévoit des dispositions qui s’appliquent aux zones de contraintes, telles que les plaines inondables, à la section 8.1 de son chapitre 8.
[39] L’article 8.1.2 édicte qu’il faut obtenir un permis ou un certificat d’autorisation délivré par la municipalité lorsque des constructions, ouvrages ou travaux sont susceptibles de causer les effets indiqués :
8.1.2 Toutes les constructions, tous les ouvrages et tous les travaux qui sont susceptibles de modifier le régime hydrique, de nuire à la libre circulation des eaux en période de crue, de perturber les habitats fauniques ou floristiques ou de mettre en péril la sécurité des personnes et des biens doivent faire l’objet d’une autorisation préalable. Ce contrôle préalable devrait être réalisé dans le cadre de la délivrance de permis ou d’autres formes d’autorisation, par les autorités municipales ou par le gouvernement, ses ministères ou organismes, selon leurs compétences respectives. Les autorisations préalables qui seront accordées par les autorités municipales et gouvernementales prendront en considération le cadre d’intervention prévu par les mesures relatives aux plaines inondables et veilleront à protéger l’intégrité du milieu ainsi qu’à maintenir la libre circulation des eaux.
[Nos soulignements]
[40] Quant au paragraphe 10 de l’article 8.1.3, il interdit en outre les constructions, ouvrages et travaux dans une zone de grand courant, sauf si leur réalisation s’avère compatible avec les mesures de protection des rives et du littoral :
8.1.3 Dans une zone de grand courant (récurrence 0-20 ans), sont interdits toutes les constructions, tous les ouvrages et tous les travaux à l'exception des suivants, si leur réalisation n’est pas incompatible avec les mesures de protection des rives et du littoral:
[…]
[Nos soulignements]
[41] Considérant que Mme St-Cyr Huot n’a pas obtenu d’autorisation préalable de la Ville avant de faire implanter la dalle de béton et que celle-ci constitue un ouvrage qui ne bénéficie pas de l’exception prévue au paragraphe 10 de l’article 8.1.3 du Règlement de zonage, elle a aussi contrevenu aux articles 8.1.2 et 8.1.3 de ce règlement.
1.3. La discrétion de refuser d’ordonner la démolition de la dalle de béton
[42] Le Tribunal ayant établi que la dalle de béton est un ouvrage qui contrevient à la règlementation provinciale et municipale dont il a été question, il doit maintenant déterminer s’il y a lieu d’exercer sa discrétion, en vertu de l’article 227 L.a.u., pour refuser l’ordonnance de démolition sollicitée par la Ville.
[43] Mme St-Cyr Huot fait valoir que le Tribunal devrait exercer cette discrétion pour les motifs suivants :
a) Elle a fait implanter la dalle de béton sans obtenir de permis, car l’inspectrice en bâtiment Audrey Caouette a commis une erreur en lui disant que celui-ci n’était pas requis dans le courriel qu’elle lui a transmis le 12 août 2020;
b) L’inspectrice en bâtiment Madeleine Ndjandjio Ndem a commis une erreur en lui demandant de fournir un plan d’implantation préparé par un arpenteur-géomètre qui lui a coûté 1 092,26 $ aux fins du traitement de sa demande de PIIA, car elle avait en main le certificat de localisation ayant déjà été déposé démontrant que sa propriété était située en zone inondable;
c) Le maintien de la dalle n’affecterait d’aucune manière la crue ni la libre circulation des eaux;
d) La démolition de la dalle serait néfaste pour l’environnement à cause des débris qui seraient générés.
[44] Subsidiairement, si le Tribunal décide d’ordonner la démolition de la dalle, elle requiert un délai plus long que 30 jours pour pouvoir s’exécuter.
[45] En l’espèce, le fait d’implanter une dalle de béton sur un lot situé dans une zone inondable afin d’y ériger un garage détaché de la résidence, alors que cela était interdit, constitue une dérogation importante au RCI concernant les plaines inondables qui était en vigueur à l’époque.
[46] Conformément aux enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Montréal (Ville de) c. Chapdelaine[8], les critères suivants, qui justifient le tribunal de rejeter la demande d’une municipalité en vertu de l’article 227 L.a.u., doivent donc être examinés :
a) Les agissements de la municipalité, qui incluent le délai déraisonnable et inexcusable à agir de même que les actions positives de sa part;
b) Les agissements de la personne en contravention, qui incluent sa bonne foi, sa diligence et son ignorance de celle-ci;
c) Les effets du maintien de la situation dérogatoire compte tenu de l’intérêt de la justice, des circonstances exceptionnelles et rarissimes de l’affaire, des conséquences pour la zone touchée ainsi que la santé et la sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité.
[47] Après avoir considéré l’ensemble de ces critères, le Tribunal conclut qu’il n’existe pas de circonstances justifiant de refuser d’ordonner la démolition de la dalle de béton.
[48] D’abord, les deux reproches que Mme St-Cyr Huot formule à l’endroit des inspectrices en bâtiment de la Ville ne sont pas fondés.
[49] Premièrement, quoique l’inspectrice en bâtiment Caouette ait répondu à Mme St-Cyr Huot, dans son courriel précité daté du 12 août 2020, qu’« [a]ucun permis n’est requis pour la dalle, car, habituellement, ce genre de travaux fait partie intégrante du permis de construction du garage », elle ne lui a pas donné un renseignement erroné compte tenu du contexte.
[50] À l’examen des courriels qu’elles se sont échangés au cours des mois de juin et août 2020, on constate que Mme St-Cyr Huot n’a jamais mentionné qu’elle projetait de construire son garage détaché en deux phases, soit l’implantation de la dalle de béton et, éventuellement, la construction du bâtiment.
[51] Deuxièmement, l’inspectrice en bâtiment Ndjandjio Ndem n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a demandé à Mme St-Cyr Huot, le 2 mai 2022, de fournir un plan d’implantation préparé par un arpenteur-géomètre aux fins du traitement de sa demande de PIIA.
[52] Bien que le certificat de localisation au dossier, daté du 22 février 2011, indique que le lot de Mme St-Cyr Huot est totalement inclus dans des zones inondables 0-20 ans et 0-100 ans, il était nécessaire que le plan d’implantation en question soit fourni pour qu’elle puisse se prononcer sur la demande de cette dernière.
[53] Les cartes avaient été modifiées depuis lors et il était impossible de déterminer avec certitude si le lot de Mme St-Cyr Huot était encore situé dans une zone inondable sans un tel plan parce que ces cartes ne sont pas précises.
[54] Ensuite, le fait de ne pas ordonner la démolition de la dalle de béton, dans un contexte où il est important d’assurer la protection des rives, du littoral et des plaines inondables, enverrait un message contradictoire aux citoyens de la Ville. Ils pourraient croire que la construction en zone inondable n’est finalement assujettie à aucune restriction.
[55] Il est vrai que Mme St-Cyr Huot a agi de bonne foi en se fondant sur les renseignements fournis par l’inspectrice en bâtiment Caouette.
[56] Toutefois, cela ne justifie pas de refuser la demande de la Ville.
[57] Cela dit, puisque la période hivernale n’est pas terminée, le Tribunal ordonnera que la dalle de béton soit démolie et que les lieux soient remis dans leur état initial dans les 90 jours de ce jugement.
[58] En se fondant sur les articles 51 et suivants C.p.c., la Ville demande de déclarer que Mme St-Cyr Huot a abusé de la procédure pendant le déroulement de l’instance et de la condamner à lui verser la somme de 4 501,50 $ représentant les honoraires extrajudiciaires qu’elle a dû verser à ses avocats en raison de ses manœuvres dilatoires.
[59] Dans le plan d’argumentation qu’elle a produit au soutien de sa demande, elle justifie ainsi les conclusions qu’elle recherche :
86. Pendant le déroulement de l’instance, les procureurs de la Ville éprouvent fréquemment des difficultés à faire cheminer le dossier jusqu’à sa mise en état, ayant pour conséquence le non-respect des échéances fixées par le protocole de l’instance;
87. La défenderesse était difficilement joignable, malgré de nombreuses tentatives de la part des procureurs de la Ville;
88. Par exemple, pendant une période de deux (2) mois, la défenderesse a fait preuve d’un silence radio, et ce, malgré plusieurs appels et courriels transmis par les procureurs de la Ville;
89. Dans l’objectif de faire cheminer le dossier, les procureurs de la Ville ont dû procéder par avis de gestion à deux (2) reprises;
90. Or, aussitôt la procédure envoyée, la défenderesse y donnait suite, rendant donc les procédures entamées sans objet ;
91. Après que la défenderesse ait (sic) annoncé son intention d’interroger un représentant de la Ville, celle-ci encourt des frais et des honoraires extrajudiciaires afin de préparer ledit témoin la veille de l’interrogatoire prévu;
92. Or, la défenderesse finit par se désister dans un délai de moins de vingt-quatre (24) heures avant la tenue de l’interrogatoire;
93. La défenderesse produit sa défense et sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts plus de deux (2) mois après la date fixée par le protocole de l’instance;
94 La défenderesse transmet ensuite ses engagements à peine cinq (5) jours ouvrables avant la fin du délai pour la mise en état du dossier;
95. Par conséquent, les procureurs de la Ville rédigent une nouvelle procédure et se présentent de nouveau devant le tribunal pour demander une prolongation du délai pour inscription pour instruction et jugement;
96. Le 4 juillet 2023, la Ville amende sa demande introductive d’instance pour réclamer de la défenderesse les honoraires extrajudiciaires déboursés;
97. Toujours suivant le même modus operandi, la défenderesse a également tenté de repousser la date de fixation du procès, ce pour quoi les procureurs de la Ville ont à nouveau dû procéder par avis de gestion afin de fixer la présente instance;
98. Ces comportements dilatoires ont imposé un fardeau financier plus important à la Ville alors qu’elle représente l’intérêt public, et ce, aux frais des contribuables;
99. Advenant la conclusion du Tribunal selon laquelle le comportement de la défenderesse durant l’instance ne démontre pas clairement une intention de nuire, il s’agit, à tout le moins, d’un comportement blâmable ou bien d’une conduite objectivement fautive;
100. Ces agissements contreviennent d’autant plus aux principes directeurs de la procédure établis aux articles 18 à 20 du Code de procédure civile;
101. Cela justifie donc que le Tribunal exerce sa discrétion pour condamner la défenderesse au paiement des honoraires extrajudiciaires des procureurs de la Ville;
[60] Suivant l’article 51 C.p.c., le tribunal peut déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif même s’il n’existe aucune intention malveillante.
[61] Cependant, puisqu’il n’instaure pas un régime de responsabilité sans faute relativement au versement de dommages-intérêts, seul un comportement objectivement fautif permet d’accorder une condamnation monétaire en vertu de l’article 54 C.p.c.[9].
[62] Dans l’arrêt 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc.[10], la Cour d’appel résume ainsi l’état du droit établit dans les arrêts Viel[11] et Royal Lepage[12] :
[21] […] En l’absence d’indices de mauvaise foi ou de témérité, une partie qui procède tout simplement à une « appréciation inexacte […] de ses droits » ne commet pas de ce seul fait une faute civile. Il peut toutefois en être autrement si « une [telle] appréciation inexacte […] de ses droits », même sans indices d’intention de nuire, constitue une conduite objectivement fautive, c’est-à-dire qu’« une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure ». De même, l’abus du droit d’ester en justice peut également être source de responsabilité civile, en ce qu’il constitue, quant à lui, « une faute commise à l’occasion d’un recours judiciaire ».
[Les références sont omises]
[63] En l’espèce, Mme St-Cyr Huot, qui n’a jamais été représentée par un avocat durant l’instance, n’a pas mené cette affaire de façon exemplaire.
[64] Néanmoins, on ne peut conclure qu’elle a eu une intention malveillante ni qu’elle a adopté un comportement objectivement fautif justifiant de la condamner à payer des dommages-intérêts à la Ville.
[65] La demande en déclaration d’abus et dommages-intérêts de la Ville est donc rejetée.
[66] Puisqu’il lui sera ordonné de démolir la dalle de béton, le Tribunal doit maintenant statuer sur la demande reconventionnelle de Mme St-Cyr Huot par laquelle elle réclame à la Ville la somme de 21 263,21 $ qui se détaille ainsi :
| 7 122,70 $ |
| 1 092,26 $ |
| 8 048,25 $ |
| 5 000,00 $ |
Total : | 21 263,21 $ |
[67] Cette réclamation est basée sur les deux erreurs ci-devant mentionnées qu’elle reproche aux deux inspectrices en bâtiment de la Ville.
[68] Considérant que le Tribunal a conclu précédemment que ces inspectrices n’ont pas commis les erreurs alléguées, cette demande est rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[69] ACCUEILLE partiellement la demande modifiée de Ville de Bois-des-Filion;
[70] ORDONNE à Mme Émilie St-Cyr Huot de démolir la dalle de béton implantée sur lot 1 [...] du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Terrebonne et de remettre les lieux dans leur état initial, dans les 90 jours de ce jugement;
[71] AUTORISE Ville de Bois-des-Filion, à l’expiration du délai de 90 jours prévu ci-devant, à procéder elle-même sans autre avis ni délai, par l’entremise de ses employés ou autres mandataires, à l’enlèvement de la dalle de béton présente sur le lot 1 [...] du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Terrebonne et à la remise des lieux dans leur état initial;
[72] DÉCLARE que les frais de remise en état des lieux dans leur état initial et de démolition de la dalle de béton implantée sur le lot 1 [...] du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Terrebonne, constituent une taxe foncière et une créance prioritaire sur l’immeuble;
[73] REJETTE la demande reconventionnelle de Mme Émilie St-Cyr Huot;
[74] LE TOUT, avec les frais de justice.
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| ALAIN BOLDUC, J.C.S. | |
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Me Éric Oliver Me Lucie Desgagné | ||
MUNICONSEIL AVOCATS INC. | ||
Avocats de Ville de Bois-des-Filion Demanderesse | ||
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Mme Émilie St-Cyr Huot | ||
Non représentée | ||
Défenderesse | ||
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Date d’audience : | 9 février 2024 | |
[1] RLRQ, c. A-19.1.
[2] RLRQ, c. Q-2, r. 35.
[3] Le Robert Dico en ligne, [en ligne : fondation, ancrage]https://dictionnaire.lerobert.com/definition/detenir, page consultée le 29 février 2024.
[4] RLRQ, c. Q-2, r.32.2.
[5] RLRQ, c. Q-2.
[6] RLRQ, c. Q-2, r. 17.1.
[7] RLRQ, c. Q-2, r. 0.1.
[8] Montréal (Ville de) c. Chapdelaine, 2003 CanLII 28303 (QC CA), par. 54-56.
[9] 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807, par. 27-29.
[10] Id., par. 21; la Cour d’appel a repris ce passage dans l’arrêt Vandal c. Municipalité de Boileau, 2020 QCCA 777, par. 8.
[11] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, 2002 CanLII 41120 (QC CA).
[12] Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada inc., 2007 QCCA 915.
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