Décision

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Desbiens c. R.

2025 QCCA 1070

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

QUÉBEC

 :

200-10-003997-223

(105-01-002523-210) (105-01-002524-218)

 

DATE :

2 septembre 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

JASON DESBIENS

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 8 février 2022 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale (l’honorable Janick Poirier)[1], lequel le déclare coupable de possession de métamphétamine en vue d’en faire le trafic, de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic[2] et du manquement à une ordonnance de probation rendue dans trois dossiers antérieurs, lui imposant notamment de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite[3].
  2.                 L’appelant conteste également un jugement rendu par la même juge, le 11 novembre 2021, rejetant sa requête en exclusion de la preuve[4].
  3.                 La Cour conclut au rejet de l’appel.
  4.                 Un résumé des faits non contestés sera d’abord utile. La Cour reverra certaines autres conclusions factuelles que la juge tire de la preuve contradictoire dans le cadre de l’analyse des questions que soulève l’appel. En ces matières, comme le soulignait le juge Cory dans l’arrêt Silveira, le contexte et les conclusions des tribunaux d’instance inférieure auront en effet une profonde incidence sur le résultat[5].

Contexte

  1.                 Le 23 janvier 2019, après l’avoir déclaré coupable de menaces[6] et de méfait[7], un juge impose à l’appelant une peine d’emprisonnement totale de 322 jours, assortie d’une période de probation de 2 ans avec un suivi de 12 mois. Durant cette période, l’appelant est assujetti à certaines conditions, notamment de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite[8].
  2.                 À compter de septembre 2020, soit durant sa probation, l’appelant réside dans une maison appartenant à son ex-conjointe, Virginie Javaux (« Javaux »[9]), sise à SaintAlphonse-de-Caplan, en Gaspésie. Cette dernière réside alors à Sherbrooke pour s’occuper de ses parents et lui permet d’habiter la maison temporairement afin d’y exercer son temps de garde partagée de leur fils mineur jusqu’au 1er juin 2021, date à laquelle elle la réintégrera. Javaux conserve des clés de la maison, y garde des effets personnels et y va de temps à autre les fins de semaine lorsqu’elle revient en Gaspésie. Il est convenu que, pour le dépanner financièrement, l’appelant ne paiera un loyer que lorsqu’il en aura les moyens, ce qu’il ne fit jamais. Durant toute cette période, Javaux continue d’assumer seule les versements hypothécaires et les taxes.
  3.                 Une roulotte est par ailleurs située sur le terrain, à proximité immédiate de la maison. Bien qu’il n’en soit pas le propriétaire, l’appelant a admis en avoir la possession. Il y entrepose des boîtes et effets personnels puisqu’il compte l’utiliser pour effectuer son déménagement.
  4.                 Le ou vers le 25 mai 2021, alors que des peines d’emprisonnement concurrentes de neuf mois avec sursis lui ont été imposées le 27 avril précédent[10], qu’il est notamment assujetti à des conditions d’avoir une bonne conduite et, pour une durée de trois mois, tenu de demeurer à domicile en tout temps, sauf certaines exceptions, l’appelant consomme de la cocaïne.
  5.                 Le 28 mai 2021, il est amené à l’hôpital par des ambulanciers et brièvement admis en raison d’un état de psychose toxique. Il est arrêté plus tard à sa sortie de l’hôpital, vu les manquements aux conditions du sursis, et incarcéré au Palais de justice de New Carlisle. Il sera libéré le lundi 31 mai suivant en fin de journée, comme on le verra plus en détail ci-après.
  6.            Le samedi 29 mai 2021, une intervenante de la Direction de la protection de la jeunesse (« la DPJ ») communique avec Javaux afin de l’informer des évènements, que l’enfant a été placé d’urgence chez le frère de l’appelant et que sa garde pourra lui être confiée si elle se présente en Gaspésie le lundi 31 mai pour 9 h.
  7.            Le 30 mai, Javaux quitte donc Sherbrooke le matin et arrive en Gaspésie en début de soirée. Elle se rend à la maison pour y coucher et pouvoir être à son rendez-vous avec la DPJ le lendemain matin à 9 h. La maison est dans un état de désordre lamentable. Javaux commence à ranger et nettoyer en vue d’y ramener son enfant après son rendezvous le lendemain.
  8.            Le lendemain matin 31 mai, Javaux se lève tôt et continue le ménage. Elle constate que des effets personnels qu’elle avait rangés dans une garde-robe à l’entrée ne s’y trouvent plus. Sachant que l’appelant avait commencé à entreposer des choses dans la roulotte en vue de son déménagement, elle s’y rend à la recherche de ces effets personnels. Elle y constate la présence d’un sac réutilisable « Dollorama » suspendu à un crochet et qui dégage une forte odeur; des sacs en plastique de type « Ziploc » contenant des comprimés s’y trouvent. Javaux a déjà vu l’appelant consommer ce type de comprimés, de la drogue qu’elle a qualifiée comme des « peanuts » lors du procès.
  9.            Elle apporte le sac dans la maison, se rend dans la cuisine et le pose sur le comptoir. Elle en sort les petits sacs de comprimés pour les photographier afin de montrer le tout à la DPJ ce matin-là. Il y a cinq sacs portant chacun l’inscription « 1000 », qui lui semble être de la main de l’appelant, et un plus petit sac de poudre blanche. Elle contacte ensuite le poste de police afin de rapporter qu’elle croit avoir trouvé de la drogue et indique à quelle adresse elle se trouve.
  10.            Vers 8 h 30, l’agent Alain de la Sureté du Québec, qui en était le plus près, arrive à la maison. Vu la teneur de l’appel, son intention est de rencontrer Javaux et d’obtenir sa déposition. Il connaît l’endroit pour y être intervenu, à l’extérieur, environ deux mois plus tôt dans le cadre d’une dispute entre l’appelant et Javaux. Il sait que l’appelant résidait alors à cette adresse[11] et avait constaté lors de son intervention que Javaux n’était pas la « bienvenue »[12].
  11.            Cela étant, ce 31 mai, Javaux attend la police à l’extérieur de la maison. À son arrivée, elle guide l’agent Alain vers la roulotte pour lui indiquer où elle a trouvé le sac et ils ne s’y attardent pas. Aucune fouille ou vérification plus approfondie de la roulotte n’est effectuée. Puis, Javaux informe Alain qu’elle est propriétaire de la maison. Elle en a les clés, lui dit qu’elle y vient fréquemment les fins de semaine[13] et l’y invite afin de lui montrer le sac et son contenu. Alain considère qu’il est légalement autorisé à entrer[14] et la suit. Le sac est toujours sur le comptoir de la cuisine. Alain, sans manipuler son contenu, décèle d’abord une odeur de produits chimiques, regarde dedans et constate la présence de sacs Ziploc remplis de petits comprimés qui, selon lui, ressemblent beaucoup à de la métamphétamine[15].
  12.            Vers 8 h 48, l’agent Bernard, qui était plus éloigné lors de la réception de l’appel de Javaux, arrive sur les lieux. La preuve ne permet pas de savoir s’il cogne à la porte, si Javaux lui ouvre ou s’il entre par lui-même. Le témoignage non contesté de Bernard a notamment permis d’établir que, dans des situations semblables, un policier n’est jamais laissé seul[16]. Une fois à l’intérieur, son collègue lui montre le contenu du sac ouvert sur le comptoir de la cuisine. Aucun des deux ne le manipule.
  13.            L’agent Alain prend ensuite la déposition de Javaux dans le salon, lequel forme une aire ouverte avec la cuisine, en vue de l’obtention d’un mandat de perquisition. Son collègue assiste à la prise de la déposition, mais n’y participe pas.
  14.            Aucun des deux policiers ne procède à une fouille de l’une ou l’autre des pièces de la maison ou de meubles ou placards, ni à une vérification plus étendue de quelque endroit que ce soit dans la maison.
  15.            Une fois la déposition de Javaux complétée, vers 9 h 30, tous sortent de la maison. Alain transmet la déposition au poste afin que sa collègue enquêteuse Pitre effectue les démarches en vue de l’obtention d’un mandat de perquisition. Il pleut à l’extérieur, Alain est dans la voiture de patrouille avec Javaux. Bernard demeure quant à lui dans le portique menant à la porte d’entrée de la maison ou sur le terrain[17], conformément à la procédure visant à assurer que personne n’entre et que rien ne soit déplacé ou enlevé dans l’attente du mandat.
  16.            À l’arrivée de l’intervenante de la DPJ sur les lieux et en vue de la reprise de la garde de son fils ce matin-là, Javaux souhaite aller dans la maison afin de récupérer des vêtements pour ce dernier. Alain l’accompagne à cette seule fin; ils ressortent et Javaux quitte les lieux peu après, vers 10 h 30, avec l’intervenante.
  17.            Le père de l’appelant demeure à proximité. Vers 10 h 30, il constate la présence de deux véhicules de police près de la maison. Il se rend sur place. Alain est dans l’un des véhicules. À sa demande concernant les raisons de la présence policière, Alain lui répond qu’une enquête est en cours et qu’il ne peut lui donner plus de détails. Monsieur Desbiens quitte sans avoir vu d’autre policier.
  18.            Vers 12 h 53, vu la non-disponibilité d’un juge au Palais de justice de New Carlisle, l’enquêteuse Pitre obtient deux télémandats de perquisition, un pour la maison et un pour la roulotte.
  19.            Vers 13 h 45, elle et d’autres collègues se présentent sur les lieux et procèdent, avec l’agent Bernard, à la perquisition. L’agent Alain reste quant à lui à l’extérieur pour contrôler les allées et venues sur la scène[18].
  20.            Il s’avérera que le sac Dollorama contient 5 000 comprimés de métamphétamine répartis dans les cinq sacs Ziploc portant l’inscription « 1000 ». 16,34 grammes de cocaïne contenus dans le plus petit sac sont aussi saisis[19]. La valeur de revente estimée de la cocaïne est alors d’environ 80 à 100 par gramme, soit en l’espèce 1 300 $ à 1 600 $ environ pour les 16,34 grammes saisis. Quant aux 5 000 comprimés de méthamphétamine, leur valeur de revente est d’environ 25 000 $.
  21.            La perquisition permet aussi de découvrir à l’étage d’autres petits sacs Ziploc vides portant la mention « Stay high », communément utilisés pour la revente de stupéfiants.
  22.            La perquisition se termine vers 15 h 30.
  23.            L’appelant, demeuré incarcéré jusque-là, est libéré en fin de journée. Son père vient le chercher et l’informe que des policiers sont allés chez lui. L’appelant y retourne, force les serrures que Javaux a fait changer et prend connaissance qu’une perquisition a été effectuée.
  24.            Le lendemain 1er juin 2021, il se rend au bureau de son avocat. Ce dernier communique avec l’enquêteuse Pitre pour discuter de la situation. Elle l’informe notamment que, dans les circonstances, l’appelant devra être mis en état d’arrestation. À sa sortie du bureau de son avocat, tel que discuté entre ce dernier et l’enquêteuse Pitre, l’appelant est arrêté sans mandat vu les motifs raisonnables de croire qu’il a commis une infraction criminelle. Il ne résiste pas et collabore avec les policiers.
  25.            Le 2 juin 2021, il est accusé des infractions précitées[20].
  26.            La juge préside le procès les 10, 11, 12 et 22 novembre 2021.
  27.            L’appelant, qui n’est pas représenté par avocat, présente une requête en arrêt des procédures ou en exclusion de la preuve. Il invoque notamment que l’entrée des policiers dans son domicile sans mandat constitue une violation de son droit à la protection contre les perquisitions, fouilles et saisies abusives au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [21] (la « Charte »). Au début du voir-dire, l’intimé admet que « la présence policière dans la demeure de monsieur Desbiens » constituait une violation du droit garanti à ce dernier par l’article 8 de la Charte[22].
  28.            Le 11 novembre 2021, la juge rejette la requête de l’appelant, tant sur son volet en arrêt des procédures que sur celui en exclusion de la preuve.
  29.            Le 8 février 2022, elle rend le jugement de culpabilité entrepris.

Le jugement sur l’exclusion de la preuve

  1.            Vu la seule question soulevée en appel, la Cour ne résume ci-après que le volet du jugement rejetant la requête de l’appelant en exclusion de la preuve fondée sur la violation de l’article 8 de la Charte[23].
  2.            Au début de son jugement, la juge prend acte de l’admission de l’intimé concernant la violation de l’article 8 de la Charte[24].
  3.            Elle résume ensuite la preuve[25], puis rappelle les enseignements de l’arrêt Grant[26] et procède à l’analyse de chacun de ses critères.
  4.            Concernant la gravité de la violation, elle retient le témoignage des policiers et conclut que ceux-ci étaient de bonne foi et croyaient sincèrement être autorisés par Javaux à entrer dans la maison[27]. L’agent Alain n’est pas arrivé, puis entré dans la maison, avec l’intention de procéder à une perquisition ou une fouille; il est arrivé à la suite de l’appel de Javaux, il est entré à son invitation, elle disait être propriétaire, avait les clés, rapportait avoir probablement découvert de la drogue et lui a montré, sur le comptoir de la cuisine, le sac contenant les stupéfiants, qu’il n’a pas manipulé. Puis, conformément à son intention dès le départ, il a pris la déposition de Javaux, dans le salon attenant. L’agent Bernard s’est quant à lui limité à sécuriser les lieux[28]. Pour la juge, la violation n’est donc « pas très grave »[29], elle est survenue « par inadvertance » et se situe « à l’extrémité inférieure de l’échelle de gravité »[30].
  5.            Quant à l’incidence de la violation sur les droits de l’appelant, la juge souligne l’expectative de vie privée très élevée liée au domicile[31]. La présence de policiers dans le domicile d’une personne a donc « de façon générale » une incidence sérieuse sur son droit au respect de sa vie privée[32]. Toutefois, dans les circonstances, il n’y a aucun lien de causalité entre l’entrée sans mandat et la découverte des éléments de preuve[33]. L’entrée dans la maison n’est pas à l’origine de la découverte des stupéfiants : les policiers « constatent qu’il y en a parce que ça leur avait été dit »[34]. L’incidence de la violation sur les droits de l’appelant doit donc être « pondérée »[35].
  6.            Concernant l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit tranchée au fond, la juge conclut que c’est toujours le cas, « [à] plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’infraction[s] grave[s] comme la possession en but de trafic de stupéfiants »[36]. Bien que ce type d’infraction ne justifie toutefois pas de toujours refuser l’exclusion d’une preuve, ce doit être le cas ici[37].
  7.            Enfin, procédant à mettre les trois critères en balance, la juge conclut qu’ils militent tous pour l’inclusion de la preuve[38] et que l’exclusion des stupéfiants serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice[39].
  8.            Elle rejette donc la requête de l’appelant[40].

Le jugement de culpabilité

  1.            Étant donné le seul moyen soulevé par l’appelant à l’encontre du jugement entrepris, il n’est pas nécessaire de passer en revue toutes ses composantes. Il suffit de relever les motifs de la juge selon lesquels l’appelant avait la possession des stupéfiants au sens du sous-paragraphe 4(3)a)(ii) du Code criminel C.cr. »).
  2.            D’abord, la juge conclut que le récit présenté par l’appelant au soutien de sa défense est « truffé d’invraisemblances et de contradictions »[41], dont sa prétention selon laquelle il n’aurait appris que le 31 mai ou le 1er juin 2021 que de la drogue se trouvait chez lui, ainsi que son témoignage suivant lequel il a décidé à l’époque de ne pas dénoncer le réel possesseur de la drogue, en l’occurrence une de ses connaissances, Coull, mais de lui demander tout de même de témoigner au procès pour sa défense[42]. De plus, selon la juge, la version de Coull selon laquelle il était allé dans la roulotte en l’absence et hors la connaissance de l’appelant pour y cacher la drogue est parcellaire et constitue un témoignage de complaisance « qui ne revêt aucune apparence de réalité »[43].
  3.            La juge note toutefois que la preuve concernant la « question fondamentale à trancher, soit la possession de la drogue par [l’appelant] » « demeure néanmoins circonstancielle »[44].
  4.            Elle rappelle que, pour que la possession des stupéfiants soit imputée à l’appelant au sens du sous-paragraphe 4(3)a)(ii) C.cr., l’intimé a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que ce dernier (1) avait connaissance de la nature de l’objet, en l’occurrence les stupéfiants, (2) qu’il a mis ou gardé volontairement l’objet dans un lieu donné et (3) qu’il avait l’intention d’avoir l’objet dans ce lieu pour son usage ou avantage ou celui d’une autre personne[45].
  5.            Ultimement, la juge conclut que la seule inférence raisonnable pouvant être tirée de la preuve circonstancielle, au sens des enseignements de l’arrêt Villaroman[46], est celle que l’appelant avait la possession des stupéfiants. Aucune autre thèse ou possibilité raisonnable ne découle de la preuve[47]. Les éléments suivants soutiennent sa conclusion :

-          suivant son analyse de « la trame factuelle », elle « écarte totalement la preuve présentée par la défense quant à la possession »[48];

-          à compter du 27 avril 2021, l’appelant était assujetti aux conditions du sursis, dont celle l’assignant à son lieu de résidence, qu’il habite seul avec son fils[49];

-          l’appelant a admis posséder la roulotte où Javaux a trouvé les stupéfiants et cette roulotte jouxte la maison, où il résidait[50];

-          le sac contenant les stupéfiants était bien en vue dans la roulotte[51];

-          de petits sacs Ziploc communément utilisés pour la revente de stupéfiants ont aussi été retrouvés dans la résidence lors de la perquisition[52].

  1.            La juge ajoute que l’arrêt alors récent Vernelus[53] s’applique aux questions dont elle est saisie et elle souligne l’extrait suivant des motifs majoritaires[54] :

[39]      Il est vrai que les inférences compatibles avec l’innocence peuvent être fondées tant sur la preuve que sur son absence, mais il revient au juge des faits de tracer la ligne de démarcation, parfois fine, entre doute raisonnable et conjectures. Cela dit, une inférence possible et théorique qui constitue une pure conjecture ne suffit pas pour soulever un doute raisonnable à la troisième étape de la démarche de l’arrêt W.(D.), car même si, en principe, une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité, celles-ci doivent être raisonnables compte tenu d’une appréciation logique de l’ensemble de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens. C’est à ce stade que le fait pour la juge d’écarter le témoignage de l’appelant, décision qui lui appartenait, était fatal pour celui-ci.[55]

  1.            Ayant ainsi déterminé que l’appelant avait la possession des stupéfiants, la juge conclut que l’intention de faire le trafic « s’infère inéluctablement des faits en preuve »[56], dont la quantité importante de drogue saisie, la répartition des 5 000 comprimés de métamphétamine dans cinq sacs portant l’inscription « 1 000 » et les autres petits sacs de revente « stay high » trouvés dans la résidence[57].

Les questions en litige

  1.            Dans son avis d’appel, l’appelant invoque essentiellement que la juge a erré en droit en rejetant sa requête en exclusion de la preuve, « alors qu’une telle preuve a été obtenue en violation de l’article 8 de la [Charte] »[58]. L’appelant n’a pas requis la permission d’appeler sur des questions de fait ou mixtes de fait et de droit.
  2.            Cela étant, dans son mémoire, il propose, « [a]près révision de la preuve », mais qualifiant toutefois cette question « de droit », que la juge a aussi erré en concluant qu’il avait la possession des stupéfiants au sens du sous-paragraphe 4(3)a)(ii) C.cr. L’intimé ne s’est pas opposé à ce que l’appelant soulève cette question additionnelle pour la première fois dans son mémoire et il en a traité dans le sien. 
  3.            Ainsi, l’appelant formule les questions en litige suivantes :
  1.      La juge de première instance a-t-elle erré en droit en omettant d’exclure la preuve des stupéfiants, alors qu’une telle preuve a été obtenue en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
  2.      La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son analyse des critères permettant d’établir la possession?

Analyse

  1.      La juge de première instance a-t-elle erré en droit en omettant d’exclure la preuve des stupéfiants, alors qu’une telle preuve a été obtenue en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
  1.            L’appelant ne remet pas en question les conclusions factuelles de la juge. Il lui reproche plutôt d’avoir ensuite erré en droit dans la qualification du degré de gravité de la violation de son droit à la protection contre les perquisitions, fouilles et saisies abusives au sens de l’article 8 de la Charte. Cette erreur de droit, ajoute-t-il, a affecté son analyse globale des deux autres critères de l’arrêt Grant aux fins de l’application du paragraphe 24(2) de la Charte, particulièrement celui de l’incidence de la violation sur ses droits constitutionnels, ainsi qu’au final, la mise en balance des trois critères.
  2.            Cela étant, il convient de rappeler que, lorsque le juge du procès a examiné les bons critères, ses décisions relatives à l’application du paragraphe 24(2) de la Charte commandent la déférence en appel[59]. L’arrêt Grant établit un « exercice souple et imprécis de recherche d’équilibre »[60], qui appelle en effet la retenue de la Cour[61]. Aux fins de l’exercice, les questions de fait, ou mixtes de fait et de droit, lorsque la partie appelante a obtenu l’autorisation d’en saisir la Cour, sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et déterminante[62]. Les questions de droit commandent quant à elles la norme de la décision correcte, ce qui est le cas, par exemple, de l’application d’une norme juridique, telle que l’un des critères établis par Grant, aux faits mis en preuve.
  3.            Qu’en est-il ici des conclusions de la juge?

-          La gravité de la violation

  1.            La Cour suprême décrit les contours de l’analyse de la gravité d’une violation de la Charte dans l’arrêt McColman[63] :

[57] La première question met l’accent sur la mesure dans laquelle la conduite étatique en cause s’écarte du principe de la primauté du droit. […] : « S’agitil d’une inconduite [policière] dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier? »

[58] Lorsqu’il évalue la gravité de la conduite étatique en cause, le tribunal doit « situer cette conduite sur l’échelle de culpabilité ». […] Pour situer adéquatement la conduite étatique sur l’« échelle de culpabilité », les tribunaux doivent également se demander si la présence de circonstances contextuelles diminue ou exacerbe la gravité de la conduite étatique. La police étaitelle obligée d’agir rapidement pour empêcher la disparition d’éléments de preuve? Atelle agi de bonne foi? Auraitelle pu obtenir les éléments de preuve sans violer la Charte? Ce n’est qu’en adoptant une analyse globale que le tribunal peut situer adéquatement la conduite étatique sur l’échelle de culpabilité.[64]

[Soulignements et caractères gras ajoutés; renvois omis]

  1.            À ce type d’analyse, il importe d’ajouter le principe fondamental selon lequel le domicile d’une personne figure en principe au premier rang des lieux protégés par l’article 8 de la Charte[65], vu l’expectative élevée de vie privée qu’elle y entretient. Ainsi, dans l’arrêt Silveira, le juge Cory rappelle qu’« [i]l n'existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa ‟maison d'habitation” »[66] et que « [l]a présence non autorisée de mandataires de l’État dans une demeure constitue l’ultime atteinte à la vie privée »[67].
  2.            En l’espèce, comme on l’a vu, la juge a conclu que la violation du droit de l’appelant à la protection de l’article 8 de la Charte n’était « pas très grave »[68]. Le choix des mots peut surprendre en ce qu’il semble banaliser l’atteinte aux droits de l’appelant, banalisation que la Cour a déjà qualifiée d’erreur de principe[69]. Néanmoins, sans endosser cette sémantique, la Cour conclut qu’au vu des circonstances que la juge retient de la preuve, qui méritent déférence, et de l’état du droit lors de l’intervention des policiers Alain et Bernard, l’appelant a tort de situer la violation parmi les plus graves sur l’« échelle de culpabilité »[70]. En effet, sans être purement mineure, la violation ne reflète toutefois pas un mépris flagrant, éhonté ou volontaire[71] des valeurs de la Charte et des droits de l’appelant, d’une part, et la preuve n’étaye pas une pratique ou un abus systémique ou institutionnel qui aurait justifié de rehausser le degré de gravité de la violation, d’autre part.
  3.            L’appelant soulève comme « premier élément problématique »[72] la conclusion de la juge voulant que la violation soit atténuée parce que l’agent Alain a été invité et autorisé à entrer dans la maison par Javaux, propriétaire de celle-ci, et que lui et Bernard croyaient ainsi de bonne foi y être dûment autorisés. Il ajoute que « [l]a juge à ce stade considère que cette absence de mauvaise foi l’amène à conclure à la bonne foi »[73], ce qui constitue, selon lui, une « erreur conceptuelle »[74].
  4.            Ce moyen ne peut être retenu.
  5.            L’argument de l’appelant fondé sur la prétendue confusion de la juge entre la bonne foi et l’absence de mauvaise foi est sans valeur et déforme les propos de cette dernière. En effet, la juge saisit bien la distinction entre l’une et l’autre de ces notions aux fins qui l’occupent :

Et là, quant à la gravité de la violation — qui est le premier critère à prendre en compte — dans la présente affaire, le Tribunal est disposé à la lumière de la preuve à conclure à la bonne foi des policiers en gardant en tête que l'absence de mauvaise foi ne constitue pas de la bonne foi.[75]

[Soulignement ajouté]

  1.            Mais l’analyse ne s’arrête pas là. En ces matières, non seulement la bonne foi doitelle être établie, mais celle-ci doit être raisonnable. Ainsi, la bonne foi ne saurait mitiger la gravité d’une violation de la Charte commise par un policier qui croyait sincèrement être autorisé à poser un geste, alors qu’une règle de droit bien établie l’en empêchait. Le juge Brown le rappelle pour la majorité dans l’arrêt Paterson[76] :

[44] Mon collègue le juge Moldaver rappelle que, selon le juge du procès, les policiers ont agi de bonne foi. Certes, « le tribunal aura moins à se dissocier de la conduite de la police lorsque celleci a agi de “bonne foi” », mais les erreurs commises de bonne foi doivent être raisonnables. La Cour a bien dit qu’il ne peut y avoir de bonne foi en cas de négligence dans l’observation des normes constitutionnelles. Même lorsque l’atteinte à un droit garanti par la Charte n’est pas le résultat d’un acte délibéré ou d’un abus systémique ou institutionnel, la Cour conclut qu’il est justifié d’écarter la preuve s’il y a eu violation manifeste d’une règle bien établie régissant la conduite de l’État.[77]

[Italiques dans l’original; soulignement ajouté; renvois omis]

  1.            La juge est consciente de cette nécessité que la croyance soit raisonnable[78], mais elle n’élabore sur cette question qu’au regard de la trame factuelle ou de façon circulaire : la croyance des policiers était raisonnable parce qu’elle était sincère vu les circonstances. Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut tout de même que, dans les circonstances de l’espèce, la juge ne commet pas d’erreur en concluant que la croyance des policiers était raisonnable, et ce, au regard des règles de droit applicables.
  2.            Certes, ces derniers devaient connaitre les principes établis et les grandes lignes de leurs obligations en vertu de l’article 8 de la Charte, notamment que le fait d’entrer dans un lieu résidentiel sans mandat constitue une atteinte à l’expectative très élevée de vie privée que chacune et chacun y entretiennent[79]. Mais, lors des évènements en litige, aucune règle juridique ne prévoit qu’un cooccupant d’un lieu d’habitation partagé ne peut validement consentir à l’entrée des policiers de sorte que, en l’espèce, la conduite des agents Alain et Bernard ne démontre pas un « écart marqué à une norme constitutionnelle bien établie »[80].
  3.            Ainsi, dans l’arrêt Reeves[81], rendu en décembre 2018, la conjointe de l’appelant Reeves, qui partageait un domicile avec lui, mais qui en était momentanément séparée, avait communiqué avec l’agent de probation de ce dernier pour lui indiquer qu’elle avait trouvé ce qui semblait être de la pornographie juvénile dans un ordinateur commun. Un policier s’est présenté au domicile sans mandat. En l’absence de Reeves, sa conjointe a permis au policier d’entrer, puis l’a autorisé à prendre l’ordinateur. Un mandat de perquisition a ultérieurement permis d’y découvrir des représentations graphiques de pornographie juvénile. À son procès pour avoir accédé et avoir possédé de la pornographie juvénile, Reeves a demandé l’exclusion de la preuve au motif que l’on avait violé son droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives prévu à l’article 8 de la Charte. Le juge de première instance lui a donné raison et l’a acquitté. Selon lui, « l’entrée du policier dans une résidence privée sans le consentement des deux propriétaires ou occupants constituait une perquisition de ces lieux pour l’application de l’art. 8 de la Charte »[82]. La Cour d’appel de l’Ontario, qui ne partageait pas cet avis, a accueilli l’appel, annulé l’ordonnance d’exclusion et ordonné un nouveau procès.
  4.            Le pourvoi a été accueilli par la Cour suprême, qui a confirmé l’exclusion de la preuve et rétabli l’acquittement. La juge Karakatsnanis a toutefois estimé pour la majorité qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si l’entrée du policier dans le domicile sans mandat constituait une violation de la Charte à l’égard de Reeves, compte tenu de ses conclusions concernant l’illégalité de la saisie et de la fouille de l’ordinateur commun, malgré le consentement de la conjointe[83]. La juge Karakatsanis n’a toutefois pas fermé la porte à ce que l’entrée du policier dans le domicile avec l’autorisation de la conjointe de l’appelant et en l’absence de ce dernier eut pu être jugée légale :

[21] Même si le policier s’était trouvé légalement dans le domicile, la saisie de l’ordinateur n’aurait pas été légale pour autant. […][84]

[Soulignement ajouté]

  1.            Bien qu’il soit d’accord avec la majorité, dans son opinion concordante le juge Moldaver estime quant à lui que la question de la validité de l’entrée d’un policier dans une « résidence partagée » revêt une trop grande importance pour ne pas être abordée[85]. C’est ainsi qu’il émet ce qu’il qualifie de « formulation provisoire du pouvoir légal en vertu duquel le policier a agi quand il est entré dans la résidence »[86], précisant toutefois que « la question de savoir si un policier peut légalement entrer dans une résidence occupée par plusieurs personnes sur invitation d’un des occupants devra donc être tranchée définitivement plus tard »[87]. Le juge Moldaver opine néanmoins, entre autres, qu’« il n’y a aucun doute que le fait d’entrer dans une résidence partagée sur invitation pour y recueillir la déclaration d’un témoin en lien avec une enquête criminelle s’inscrit dans le cadre des devoirs policiers »[88].
  2.            La juge Côté est également d’accord avec la majorité, sauf, elle aussi, concernant sa décision de s’abstenir de répondre à la question de savoir si la police peut légalement entrer sans mandat dans les aires communes d’un domicile partagé si un seul des cooccupants y consent, ou si elle doit obtenir le consentement de tous les intéressés[89]. Procédant elle aussi à formuler une opinion concordante, elle conclut « qu’il est possible pour un seul cooccupant de valablement consentir à l’entrée de la police dans les aires communes[90] d’une résidence partagée, de sorte qu’il devient inutile d’obtenir un mandat »[91]. La juge Côté ajoute par ailleurs ce qui suit :

[117] Enfin, il est révélateur que toutes les cours d’appel provinciales au pays qui se sont penchées sur la question, y compris la juridiction inférieure en l’espèce, en sont arrivées à la même conclusion : le consentement d’un cooccupant suffit pour autoriser la police à entrer dans les aires communes d’un domicile partagé (voir, p. ex., R. c. Reeves, 2017 ONCA 365, 350 C.C.C. (3 d) 1, par. 32, 43 et 4652; R. c. Clarke, 2017 BCCA 453, 357 C.C.C. (3 d) 237, par. 5556 et 6263; R. c. T. (R.M.J.), 2014 MBCA 36, 311 C.C.C (3 d) 185, par. 4152; R. c. Squires, 2005 NLCA 51, 199 C.C.C. (3 d) 509, par. 34). Monsieur Reeves n’a invoqué aucune autre décision où la conclusion était différente. […] 

[Soulignement ajouté]

  1.            En l’espèce, les parties n’ont porté à l’attention de la Cour aucun autre arrêt de la Cour suprême où cette question aurait été tranchée ni aucun arrêt d’une cour d’appel dans le sens contraire de ceux auxquels réfère la juge Côté.
  2.            Des auteurs ont aussi noté la difficulté à laquelle font face les policiers pour s’assurer d’un consentement valide avant d’entrer dans un espace résidentiel partagé[92], référant notamment aux extraits suivants de l’arrêt Yu[93], rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en 2019 :

[70] Third party consent to the police entries – here, property management or the condominium board – is an important aspect of the “totality of the circumstances”. I note that the law on the role of third-party consent to police entries into shared residential spaces is unsettled. […]

[…]

[72]      The role of third-party consent in the analytical approach to police entries into shared residential spaces is similarly unclear. […][94]

[Soulignements ajoutés, renvoi omis]

  1.            La Cour suprême n’a pas eu à réexaminer ces questions, la demande de permission d’appeler de l’arrêt Yu ayant été rejetée[95].
  2.            Dans la même veine, il est pertinent d’ajouter que, dans l’arrêt Le[96] rendu l’année suivant Reeves, les juges majoritaires ont aussi laissé ouverte la question similaire de savoir si une personne invitée dans la propriété d’autrui peut contester une perquisition qui y a été effectuée et qui a mené à la découverte d’éléments de preuve lui étant défavorables[97]. Les juges Brown et Martin précisent par ailleurs que le moment où des invités dans la propriété d’autrui auront une attente raisonnable au respect de leur vie privée, et l’étendue de cette attente, dépendront « des faits et du contexte de l’affaire »[98].
  3.            Finalement, quant au fait que l’agent Alain a admis être intervenu sur les lieux environ deux mois auparavant dans le cadre d’une chicane entre lui et Javaux et avoir alors constaté que cette dernière n’était pas la bienvenue, l’appelant reproche à la juge de ne pas y avoir vu là un indice de mauvaise foi, ce qui affecterait d’autant sa conclusion concernant le degré de gravité de la violation du droit que lui garantit l’article 8.
  4.            Or, lors du voir-dire, Alain a témoigné qu’à son arrivée sur les lieux le 31 mai au matin il ne pouvait présumer que l’état de la relation entre l’appelant et Javaux était toujours le même. La décision de la juge de prêter foi à ce témoignage soulève une question de crédibilité, soit une question de fait[99] qui commande une déférence « particulièrement intense »[100], d’autant plus que l’appelant n’a pas été autorisé à la soulever en appel.
  5.            Pour toutes ces raisons, la Cour conclut que la juge ne commet aucune erreur révisable en concluant que, dans les circonstances, la croyance des policiers qu’ils étaient validement autorisés à entrer dans la maison par Javaux était sincère, de bonne foi et raisonnable. Il convient de réitérer ici que la preuve a établi que Javaux est propriétaire de la maison, qu’elle ne la louait pas à l’appelant à son usage exclusif, qu’elle y venait fréquemment les fins de semaine, qu’elle y avait couché encore la veille, qu’elle y gardait des effets personnels et ceux de son enfant et qu’elle allait en reprendre la possession exclusive le 1er juin. Ces faits permettent de conclure que Javaux cooccupait la maison et que l’expectative raisonnable de vie privée qu’y entretenait l’appelant ne lui était pas exclusive et s’en trouvait réduite. Au surplus, comme on l’a vu, Javaux n’a autorisé l’entrée des policiers que dans une aire commune, où ces derniers se sont limités à prendre sa déposition. La situation aurait pu être différente si, par exemple, Javaux avait invité et autorisé les policiers à entrer dans la chambre à coucher de l’appelant.
  6.            En somme, dans la mesure où il importe de positionner correctement la conduite de la police sur le spectre des comportements attentatoires[101], la juge n’a pas erré en concluant que ce critère ne militait pas en faveur de l’exclusion.

-          L’incidence de la violation

  1.            La conclusion de la juge à la deuxième étape du test de l’arrêt Grant n’est également entachée d’aucune erreur de droit.
  2.            L’analyse de ce critère consiste à déterminer, eu égard à l’ensemble des circonstances, la « portée réelle » de l’atteinte aux droits de l’appelant protégés par l’article 8 de la Charte[102]. L’effet peut être « passager », comme il peut être « profondément attentatoire »[103]. Ainsi, comme pour le premier critère à analyser, il faut en quelque sorte placer l’incidence de la violation sur une échelle variable de conduite et de gravité[104]. 
  3.            Quant aux intérêts protégés par le droit en cause, l’article 8 vise essentiellement à protéger les différents aspects du droit à la vie privée, soit ceux qui ont trait à la personne elle-même, aux lieux où elle peut se trouver et à l’information ou aux renseignements qui la concernent[105]. En l’espèce, c’est l’aspect relatif au lieu, la maison, qui est en cause. En effet, les policiers n’ont pas violé l’un ou l’autre des deux autres aspects, en obtenant par exemple sans mandat des substances corporelles de l’appelant hors sa connaissance (l’aspect de la personne) ou des informations biographiques ou autres renseignements personnels sur un ordinateur (l’aspect informationnel). Il est aussi établi que, de rigoureuse qu’elle était à l’origine concernant un lieu d’habitation, la notion de vie privée qui a trait au lieu a évolué pour faire place à une hiérarchie plus nuancée[106] et d’application moins rigoureuse, par exemple dans le périmètre entourant la résidence proprement dite[107] ou encore dans une véranda attenante[108].
  4.            Il ressort d’ailleurs de certains arrêts du plus haut tribunal au pays que le droit à la vie privée que vise à protéger l’article 8 de la Charte n’est pas absolu[109] et que, même si elle est constitutionnellement protégée, il est possible qu’une attente raisonnable en matière de vie privée soit néanmoins réduite ou limitée[110]. Ce peut notamment être le cas d’invités dans la propriété d’autrui[111] ou encore d’un espace commun d’une résidence partagée[112]. De même, dans certaines circonstances, les intérêts légitimes de tiers peuvent réduire une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée[113]. En tout état de cause, l’étendue de cette attente et de la protection qui en découle dépendra toujours des faits et du contexte propres à chaque cas[114].
  5.            En l’espèce, la juge pose d’emblée que, généralement, la présence de policiers dans le domicile d’une personne a une incidence sérieuse sur ses droits : « [à] priori, c’est grave »[115]. Ces énoncés de droit sont évidemment à l’abri de toute intervention.
  6.            Elle conclut toutefois que, dans les circonstances et vu le contexte, la gravité de l’incidence de la violation sur le droit de l’appelant au respect de sa vie privée est « pondérée[116]» puisqu’« il n’y a aucun lien de causalité entre l’obtention des éléments de preuve dont on demande l’exclusion et l’atteinte »[117] et que « [l]e fait que les policiers se trouvent dans la maison n'a aucun impact sur le fait qu'ils saisiront ultimement ce qui apparaît être une quantité significative de stupéfiants »[118]; « [i]ls ne la trouvent pas à l’aide de la violation, […] ils constatent qu’il y en a parce que ça leur avait été dit »[119].
  7.            L’argumentaire de l’appelant sur l’erreur qu’il reproche à la juge est peu élaboré et recoupe en partie celui sur le premier critère relatif à la gravité de la violation. Ainsi, il reproche d’abord à la juge de ne pas avoir pris en compte le « manque total de considération des agents Alain et Bernard »[120] pour ses droits, ce qui accentuerait le poids du critère de l’incidence de la violation dans la mise en balance des trois critères de l’arrêt Grant. Il ne présente toutefois pas d’argument substantiel et invite plutôt la Cour à reprendre l’analyse de ce second critère, sans égard à la norme d’intervention applicable et au fait qu’il ne peut s’en tenir qu’à des questions de droit.
  8.            Ici encore, une analyse globale des circonstances s’impose. Il ne faut au surplus pas voir dans le lien causal une considération nécessairement déterminante[121].
  9.            Cela dit, en plus de prendre appui sur la preuve, les observations de la juge quant à l’absence de lien causal sont fondées en droit. L’absence d’un tel lien peut effectivement être un facteur atténuant aux fins de l’analyse du degré de gravité de l’incidence de la violation sur les droits de l’appelant, ce que rappelait le juge Jamal dans l’arrêt Beaver :

[125] […]. Dans les cas qui s’y prêtent, l’absence de lien causal entre les violations et l’obtention des éléments de preuve contestés peut atténuer l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte (Grant, par. 122; R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, par. 87; R. c. Rover, 2018 ONCA 745, 143 O.R. (3d) 135, par. 43; R. c. Pileggi, 2021 ONCA 4, 153 O.R. (3d) 561, par. 120). Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Grant, la force du lien causal entre l’atteinte à la Charte et les éléments de preuve contestés est « utile pour évaluer l’impact réel de la violation sur les intérêts protégés de l’accusé » (par. 122).[122]

[Soulignements ajoutés]

  1.            Le reste relève de l’appréciation de la preuve par le juge d’instance.
  2.            Cela étant, malgré leur proximité temporelle et contextuelle, la juge ne commet aucune erreur en concluant que l’entrée des policiers dans la résidence à l’invitation de Javaux n’a pas conduit ou servi à la découverte subséquente de la preuve. Les stupéfiants avaient déjà été découverts par cette dernière et elle les avait placés bien en vue sur le comptoir de la cuisine afin de les montrer aux policiers à leur arrivée. On peut en quelque sorte affirmer que ces derniers ont été placés devant le fait accompli dès leur entrée. Autrement dit, il n’y a pas de lien, autre que purement temporel et ténu, entre l’entrée des policiers sans mandat dans la maison, pour le seul temps et aux seules fins de prise de la déposition de Javaux, et l’obtention subséquente au moyen du mandat, de la preuve en litige.
  3.            L’appelant reproche aussi à la juge de ne pas avoir relevé que les policiers sont entrés « à de multiples reprises » dans la maison[123], ce qui affecterait sa conclusion concernant l’incidence « pondérée » de cette violation sur son droit au respect de sa vie privée.
  4.            Or, il convient de replacer cette affirmation dans sa plus juste perspective.
  5.            Ainsi, à son arrivée, Alain est entré dans la résidence à l’invitation de Javaux, a constaté la présence du sac et de son contenu sur le comptoir de la cuisine et a dès ensuite pris la déposition de cette dernière dans l’aire ouverte formée de la cuisine et du salon. Ils sont ressortis dès la déposition complétée. Alain n’est retourné à l’intérieur qu’à une seule reprise, brièvement, pour accompagner Javaux qui voulait aller chercher des vêtements pour son fils en vue de la reprise de sa garde plus tard ce matin-là. Quant à l’agent Bernard, à son arrivée ce dernier a aussi constaté la présence du sac contenant les stupéfiants, est resté avec son collègue durant la prise de la déposition, conformément aux procédures applicables, puis est ressorti en même temps que ce dernier et Javaux et est ensuite demeuré sur le terrain ou dans le portique menant à la porte d’entrée de la résidence, dans l’unique but de préserver la scène dans l’attente du mandat[124].
  6.            Il n’est pas non plus contesté que les policiers n’ont pas profité de leur présence pour procéder à une vérification, même uniquement de visu, ou à une fouille de l’une quelconque des pièces ou de l’un quelconque des autres endroits dans la résidence. La période pendant laquelle ils restent sur les lieux pour empêcher ou surveiller les allées et venues dans la résidence témoigne d’un respect des procédures, et certainement pas de la mauvaise foi ou de violations multiples des droits de l’appelant, contrairement à ce qu’il avance.
  7.            En somme, outre qu’il s’agisse là aussi d’une question de fait et d’appréciation de la preuve, l’affirmation de l’appelant suivant laquelle la juge a omis de prendre en compte que les policiers sont entrés à de « multiples reprises » dans la maison ne peut être retenue.
  8.            Enfin, comme dans l’arrêt Fearon[125], l’appelant n’a pas contesté la validité du mandat de perquisition ayant mené à la saisie des stupéfiants et à la découverte des sacs Ziploc additionnels servant à la revente, ce qui mitige encore l’incidence de l’atteinte sur ses droits[126].
  9.            Étant donné tout ce qui précède, la Cour conclut que la juge n’a commis aucune erreur révisable en déterminant que, dans les circonstances, le deuxième critère de l’arrêt Grant ne militait pas en faveur de l’exclusion de la preuve.

-          L’intérêt de la société dans un procès au fond

  1.            Ce troisième critère vise à déterminer si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel serait mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion des éléments de preuve. Pour ce faire, les tribunaux doivent tenir compte tant des répercussions négatives qu’aurait l’utilisation des éléments de preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice que des répercussions qu’aurait leur exclusion[127].
  2.            À ces fins, la fiabilité des éléments de preuve contestés et leur importance pour la preuve du ministère public doivent être prises en compte. Ainsi, des éléments de preuve fiables et cruciaux militeront généralement en faveur de leur inclusion[128]. À l’inverse, « l’inadmissibilité d’éléments de preuve d’une grande fiabilité peut entraver la recherche de vérité si leur exclusion mène au rejet de la poursuite »[129]. De manière générale, des éléments de preuve matériels et non corporels sont considérés fiables[130].
  3.            Dans l’arrêt Le[131], la Cour suprême cerne les contours de ce troisième critère et identifie les combinaisons possibles au regard des deux premiers :

[142] La troisième question, l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, milite généralement en faveur de la solution contraire — soit en faveur de la conclusion selon laquelle l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Bien que cela soit particulièrement vrai lorsque les éléments de preuve sont fiables et essentiels à la preuve du ministère public, il importe de souligner que la troisième question ne peut devenir une simple formalité lorsque l’ensemble de la preuve est réputée fiable et essentielle à la preuve du ministère public à cette étape. La troisième question devient particulièrement importante lorsque l’une des deux premières questions, mais pas les deux, milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. Lorsque les première et deuxième questions, considérées ensemble, militent fortement en faveur de l’exclusion, la troisième question fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve. À l’inverse, si les deux premières questions considérées ensemble étayent moins l’exclusion des éléments de preuve, la troisième question confirmera la plupart du temps que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.[132]

[Italiques dans l’original; soulignements ajoutés; renvois omis]

  1.            L’appelant reconnaît dans son mémoire que les crimes dont il était accusé sont graves et que le trafic de stupéfiants constitue un fléau social. Il admet aussi que les stupéfiants saisis constituent une preuve fiable et nécessaire à la poursuite. L’intimé a effectivement mentionné au début du voir-dire que la preuve dont l’appelant demande l’exclusion est essentielle et qu’il ne pourrait aller plus loin si elle était exclue[133].
  2.            L’appelant soutient néanmoins que l’intérêt de la société à ce qu’un procès au fond soit tenu doit céder le pas devant les « nombreuses violations » de ses droits et la protection constitutionnelle dont il bénéficie.
  3.            La Cour n’est pas de cet avis.
  4.       L’argumentaire de l’appelant fait ici encore double emploi avec ses moyens relatifs aux premier et deuxième critères et il n’est pas nécessaire de revenir ici sur les motifs pour lesquels ils ont été rejetés.

-          La mise en balance des trois critères

  1.       La dernière étape du test de l’arrêt Grant « consiste à mettre en balance les facteurs dégagés lors de l’examen des trois questions afin d’évaluer l’incidence de l’utilisation ou de l’exclusion des éléments de preuve sur la considération à long terme portée à l’administration de la justice »[134]. Il ne s’agit pas d’un exercice de « précision mathématique »[135], mais plutôt d’une appréciation « holistique et prospective »[136], au cas par cas.
  2.       En l’espèce, la juge relève au début de son analyse du droit applicable que les trois critères de l’arrêt Grant doivent être pondérés pour répondre à la question « ultime » de savoir si l’inclusion des éléments de preuve contestés est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[137]. Elle ne procède toutefois pas à une analyse explicite de cette dernière étape et se limite à conclure que « les trois facteurs militent pour l’admissibilité en preuve des éléments de preuve »[138].
  3.       Si cette conclusion est laconique, l’appelant n’a pas soulevé qu’elle est insuffisamment motivée. Dans son mémoire et lors de l’audience, reprenant ses arguments à ces sujets, il tient pour acquis que les deux premiers critères militent « fortement » pour l’exclusion de la preuve et qu’ainsi, le troisième ne peut faire pencher la balance du côté contraire.
  4.       Ce moyen n’est pas fondé.
  5.       Premièrement, la Cour a déjà exposé les raisons pour lesquelles la juge n’a pas erré en concluant que les deux premiers critères ne militent pas en faveur de l’exclusion, contrairement à la prémisse essentielle de l’appelant.
  6.       Deuxièmement, une analyse fonctionnelle et contextuelle des motifs de la juge, considérés, comme il se doit, de façon globale et à la lumière du dossier tel que constitué et des observations des avocats[139], permet de comprendre que, selon elle, la confiance du public dans l’administration de la justice serait ébranlée par le rejet de la preuve en litige, vu sa fiabilité et son importance déterminante pour la preuve du ministère public, dans un dossier de trafic de stupéfiants, alors que l’atteinte au droit de l’appelant dans les circonstances ne se situe pas dans la partie supérieure de l’échelle de gravité et que le lien de causalité entre cette atteinte et l’obtention de cette preuve est ténu.
  7.       Cette mise en balance des critères et la décision ultime de la juge de rejeter la requête en exclusion de preuve de l’appelant ne justifient aucune intervention.
  1.      La juge de première instance a-t-elle erré en droit dans son analyse des critères permettant d’établir la possession?
  1.       On parle ici de la possession imputée au sens du paragraphe 4(3)a)(ii) C.cr. :

4. […]

 

(3) Pour l’application de la présente loi :

 

a) une personne est en possession d’une chose lorsqu’elle l’a en sa possession personnelle ou que, sciemment :

 

(i) ou bien elle l’a en la possession ou garde réelle d’une autre personne,

 

(ii) ou bien elle l’a en un lieu qui lui appartient ou non ou qu’elle occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui d’une autre personne;

 

[…]

 

[Soulignements ajoutés]

4. […]

 

(3) For the purposes of this Act,

 

 

(a) a person has anything in possession when he has it in his personal possession or knowingly

 

 

(i) has it in the actual possession or custody of another person, or

 

(ii) has it in any place, whether or not that place belongs to or is occupied by him, for the use or benefit of himself or of another person;

 

 

[…]

 

  [Underlinings added]

  1.       Contrairement à ce qu’avance l’appelant dans son mémoire et à ce que lui concède l’intimé dans le sien, cette question n’en est pas une de droit. Il s’agit plutôt d’une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante[140], les parties référant d’ailleurs à la preuve pour en débattre.
  2.       Or, pour être soumise à la Cour, une telle question nécessitait une autorisation[141]. Cela suffirait pour en sceller le sort.
  3.       Toutefois, les parties l’ayant abordée dans leurs mémoires et lors de l’audience, les commentaires qui suivent peuvent être opportuns.
  4.       D’abord, la juge se dirige bien en droit en établissant que la possession imputée d’une chose au sens du paragraphe 4(3)a)(ii) C.cr. est tributaire de la démonstration que le possesseur visé avait connaissance de la nature de l’objet concerné, qu’il a mis ou gardé volontairement l’objet dans un lieu donné, que ce lieu lui appartienne ou non, et qu’il avait l’intention de l’avoir dans ce lieu pour son usage ou avantage ou celui d’une autre personne. C’est là en effet le cadre d’analyse confirmé par la Cour suprême[142]. D’ailleurs, avec une objectivité dont il faut lui reconnaître le mérite, lors de l’audience, l’avocat de l’appelant concède que la juge ne s’est pas trompée quant aux critères juridiques applicables à la possession imputée.
  5.       Cela étant, les éléments essentiels de la possession imputée au sens de l’article 4(3)a)(ii) C.cr. sont la connaissance et le contrôle[143]. Ces éléments peuvent être prouvés au moyen d’une preuve directe, mais ils le seront fréquemment au moyen d’une preuve circonstancielle[144].
  6.       Par ailleurs, comme le soulignent les auteurs, lorsqu’une personne occupe une chambre, un appartement ou une maison où des stupéfiants sont retrouvés, le juge des faits peut être justifié d’inférer, au regard de l’ensemble des circonstances, que cette personne savait que des stupéfiants s’y trouvaient et qu’elle exerçait des mesures de contrôle sur ceux-ci au sens du sous-paragraphe 4(3)a)(ii) C.cr. :

4:51 The Essential Elements

[…]

Fundamentally, the subsection is directed to situations where the suspect does not have physical custody of the drug. Rather, […] the suspect has placed them in a secure location so the s/he can deal with them at some later time.

[…]

4:53 The Essential Elements – Application of These Principles

[…]

When assessing whether guilt is the only reasonable inference to be drawn from circumstantial evidence said to establish constructive possession, the trier of fact is not expected to treat real-life cases as a completely intellectual exercise demanding certainty.

[…]

4:55 Possession in a residence   

Where a person occupies a room, apartment or house, a trier of fact may be entitled to infer that the occupant was aware of the presence of and had a measure of control over drugs found within those premises. Just how strong that inference is, and whether it should be drawn at all, depends very much on the full factual matrix before the court.[145]

[Caractère gras et italiques dans l’original; soulignements ajoutés; renvois omis]

  1.       En l’espèce, la juge analyse la preuve circonstancielle et conclut qu’aucune inférence raisonnable autre que la possession de l’appelant ne peut en être tirée.
  2.       Dans l’arrêt Grenier c. R.[146], la Cour rappelait les principes qui s’imposent à elle lors de l’analyse d’un moyen d’appel mettant en cause l’appréciation de la preuve circonstancielle par le juge des faits :

[7] Certes, en matière de preuve circonstancielle une lacune dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité. Toutefois, ces inférences favorables à l’accusé doivent être raisonnables compte tenu de l’appréciation logique de la preuve, ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens. Ces inférences autres que la culpabilité ne sauraient donc participer de simples hypothèses ou de conjectures. Comme la Cour le rappelait dans l’arrêt BouzaieneKais c. R. : « Une inférence possible constitue en effet une simple possibilité théorique, ou de la spéculation, et ne peut donc soulever un doute raisonnable. ». Il appartient par ailleurs fondamentalement au juge des faits de tracer dans chaque cas la ligne de démarcation entre le doute raisonnable et les conjectures, cette appréciation ne pouvant être écartée que si elle est déraisonnable.[147]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

  1.       Or, il n’y a rien de déraisonnable ici dans l’appréciation que la juge fait de la preuve circonstancielle. Sa conclusion qu’aucune autre inférence raisonnable que la possession de l’appelant ne peut être tirée de la preuve, preuve qu’elle a dûment analysée et dont elle a identifié les composantes essentielles, est à l’abri de toute intervention.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

  1.       REJETTE l’appel.

 

 

 

 

MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

Me Gabriel Bérubé-Bouchard

Pour l’appelant

 

Me Emmanuelle Rondeau

Me Normand Morneau Deschênes

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

4 décembre 2024

 


[1]  R. c. Desbiens, 2022 QCCQ 505 (le « jugement entrepris »).

[2]  Art. 5(2) et (3)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19.

[3]  Art. 733.1(1)a) C.cr.

[4]  Le Roi c. Jason Desbiens, C.S. Bonaventure, 105-01-002523-210, le 11 novembre 2021, Poirier, j.c.s.; la transcription de ce jugement rendu oralement est reproduite dans le mémoire de l’appelant (« M.A. »), vol.3, p. 421-441 (le « jugement sur l’exclusion de la preuve »).

[5]  R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S., 297, paragr. 126.

[6]  Art. 264.1(1) C.cr.

[7]  Art. 430(1)a) C.cr.

[8]  Pièce P-7, Ordonnance de probation du 23 janvier 2019.

[9]  Afin d’alléger le texte, la Cour identifiera les différentes personnes impliquées dans le contexte par leur seul nom de famille, espérant qu’elles n’y verront aucune inconvenance.

[10]  Pièce P-8, Ordonnance de sursis du 27 avril 2021. Ces peines sont en lien avec une infraction de conduite d’un véhicule durant une interdiction dans un dossier et des manquements à des ordonnances de probation dans deux autres dossiers.

[12]  Id., p.  59, lignes 11-15.

[13]  Id., p. 56, 60, et 63, lignes 8-10.

[14]  Id., p. 69, lignes 21-25.

[15]  Id., p. 65.

[16]  Transcription du témoignage de l’agent Bernard lors du voir-dire (« T.B. v.d. »), M.A., vol. 2, p. 87, lignes 2-5.

[17]  Id., p. 84.

[18]  T.A.v.d., M.A., vol. 3, p. 159.

[19]  L’appelant a admis la teneur des certificats d’analyse établissant la nature des stupéfiants.

[20]  Supra, paragr. 1 des présents motifs.

[21]  Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[22]  Représentations de l’intimé, 10 novembre 2021, M.A., vol. 3, p. 193-195.

[23]  L’appelant n’a pas appelé des décisions de la juge (i) rejetant sa requête en arrêt des procédures, (ii) rejetant son argument selon lequel la preuve devait aussi être exclue en raison de sa détention « arbitraire » entre le 28 et le 31 juin 2021, en lien avec la violation des conditions de son sursis, (iii) rejetant son autre argument selon lequel la preuve devait aussi être exclue vu son arrestation sans mandat le 1er juin 2021 et (iv) déclarant valides les mandats de perquisition.

[24]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p. 6, lignes 10-17.

[25]  Id., p. 7-16.

[26]  Id., p. 17-18, référant à R. c. Grant, 2009 CSC 32.

[27]  Id., p. 18-19, lignes 1-2 et p. 24, lignes 8-9.

[28]  Id., p. 20, l. 18-21.

[29]  Id., p. 19, lignes 18-21.

[30]  Id., p. 22, lignes 3-5.

[31]  Id., p. 22, lignes 8-15.

[32]  Id., p. 22, lignes 20-21.

[33]  Id., p. 22, lignes 22-24.

[34]  Id., p. 23, lignes 4-10.

[35]  Id., p. 23, lignes 11-12.

[36]  Id., p. 23, lignes 15-20.

[37]  Id., p. 23, lignes 21-25.

[38]  Id., p. 23, lignes 23-25 et p. 24, lignes 10-12.

[39]  Id., p. 24, lignes 14-17.

[40]  Id., p. 24, lignes 12-13.

[41]  Jugement entrepris, paragr. 18.

[42]  Id., paragr. 20-22 et 26.

[43]  Id., paragr. 28-30.

[44]  Id., paragr. 43.

[45]  Id., paragr. 46-48.

[46]  R. c. Villaroman, 2016 CSC 33.

[47]  Jugement entrepris, paragr. 49-52 et 54-55.

[48]  Id., paragr. 53.

[49]  Id., paragr. 56.

[50]  Id., paragr. 57.

[51]  Ibid.

[52]  Id., paragr. 58.

[53]  Vernelus c. R., 2022 QCCA 138, pourvoi à la Cour suprême rejeté par R. v. Vernelus, 2022 CSC 53, pour les motifs de la majorité.

[54] Jugement entrepris, paragr. 60.

[55]  Vernelus c. R., 2022 QCCA 138, supra, note 53, paragr. 39.

[56]  Jugement entrepris, paragr. 64.

[57]  Id., paragr. 62-64.

[58]  Avis d’appel, paragr. 6.1.

[59]  R. c. Grant, supra, note 26, paragr. 86; voir aussi R. c. Côté, 2011 CSC 46, paragr. 44; R. c. Loewen, 2011 CSC 21, paragr. 13; R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, paragr. 5.

[60]  R. c. Mian, 2014 CSC 54, paragr. 88, citant R. c. Grant, supra, note 26, paragr. 85-86.

[61]  R. c. Côté, supra, note 59, paragr. 44; R. c. Loewen, supra, note 59, paragr. 13; R. c. Beaulieu, supra, note 59, paragr. 5; R. c. Grant, supra, note 26, paragr. 86; R. c. Mann, 2004 CSC 52, paragr. 59; Cormier c. R., 2021 QCCA 620, paragr. 11.

[62]  R. c. Le, 2019 CSC 34, paragr. 23.

[63]  R. c. McColman, 2023 CSC 8.

[64]  Dans le même sens et sur l’importance de l’ensemble des circonstances et de la bonne foi des policiers, voir aussi OndoMendame c. R., 2023 QCCA 107, paragr. 48 in fine et notes infrapaginales correspondantes, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 7 décembre 2023, no 40663.

[65]  Hugues Parent, Traité de droit criminel, t. 4, « Les garanties juridiques », 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, p. 237-238.

[66]  R. c. Silveira, supra, note 5, paragr. 140, cité dans R. c. Tessling, 2004 CSC 67, paragr. 22; voir dans le même sens, sur ce point, l’opinion dissidente du juge La Forest, paragr. 41.

[67]  Id., paragr. 148 (soulignement ajouté).

[68]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p. 19, ligne 20.

[69]  R. c. L’Espérance, 2011 QCCA 237, paragr. 62.

[70]  R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 82; voir également R. c. Grant, supra, note 26, paragr. 75.

[71]  R. c. Paterson, 2017 CSC 15, paragr. 53; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, paragr. 22 et 39.

[72]  M.A., paragr. 29.

[73]  Id., paragr. 33.

[74]  Id., paragr. 34. Voir également les paragr. 35-36.

[75]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p.  18.

[76]  R. c. Paterson, supra, note 71.

[77]  R. c. Paterson, supra, note 71, paragr. 44; voir aussi R. c. Le, supra, note 62, paragr. 147; R. c. Harrison, supra, note 71, paragr. 24; Scott C. Hutchinson, Hutchinson’s Search Warrant Manual, Thomson Reuters, Toronto, 2020, p. 2: « The law related to search and seizure struggles to find the correct balance between the conflicting interests of the community as a whole (as represented by the police, other investigators and the Crown) one the one hand and individual rights on the other hand. Police officers responsible for the enforcement of the criminal law (indeed, all law enforcement officers) must be diligent in their efforts to ensure that their conduct confirms to the Constitution – that it is lawful and reasonable – at all times » [italiques dans l’original; soulignement ajouté].

[78]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p. 18, lignes 16-17.

[79]  Cormier c. R., supra, note 61, paragr. 16, concernant l’entrée des policiers sur une propriété privée vs dans une résidence proprement dite.

[80]  R. c. Paterson, supra, note 71, paragr. 53.

[81]  R. c. Reeves, 2018 CSC 56.

[82]  Id., paragr. 19.

[83]  Id., paragr. 20-21.

[84]  Id., paragr. 21.

[85]  Id., paragr. 71 et 74.

[86]  Id., paragr. 76.

[87]  Ibid.

[88]  Id., paragr. 79.

[89]  Id., paragr. 105.

[90]  Par opposition sans doute, par exemple, à la chambre à coucher d’un occupant.

[91]  R. c. Reeves, supra, note 81, paragr. 105; voir aussi paragr. 109 in fine.

[92]  Nader Hasan, Mabel Lei, David Schermbrucker, Randy Schwartz, Search and Seizure, coll. « Criminal Law Series », sous la dir. de Brian H. Greenspan et Justice Vincenzo Rondinelli, Toronto, Emond, 2021, p. 394.

[93]  R. v. Yu, 2019 ONCA 942, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 25 juin 2020, no 39067.

[94]  Id., paragr. 70 et 72.

[95]  Ken Ying Mai, et al. c. Sa Majesté la Reine, et al., 25 juin 2020, no 39067.

[96]  R. c. Le, supra, note 62.

[97]  Id., paragr. 135

[98]  Id., paragr. 137.

[99]  Pomerleau c. R., 2021 QCCA 1211, paragr. 58, citant R. c. P.R., 2012 CSC 22, paragr. 10.

[100]  Héritiers légataires de Domenico Nasella c. Di Marco, 2022 QCCA 196, paragr. 4, citant Claveau c. Bouchard, 2014 QCCA 1241, paragr. 7.

[101]  R. c. Grant, supra, note 26, paragr. 74.

[102]  R. c. Tim, supra, note 70, paragr. 90.

[103]  R. c. Grant, supra, note 26, paragr. 76.

[104]  R. c. Le, supra, note 62, paragr. 151; voir aussi R. c. McColman, supra, note 63, paragr. 66.

[105]  R. c. Tessling, supra, note 66, paragr. 20.

[106]  Id., paragr. 22.

[107]  Ibid.

[108]  Voir par exemple R. v. Atkinson, 2012 ONCA 380, paragr. 69 et 88 (motifs du j. Watt).

[109]  R. c. Marakah, 2017 CSC 59, paragr. 143; R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, paragr. 29; R. c. Reeves, supra, note 81, paragr. 110 (motifs concordants de la j. Côté).

[110]  R. c. Le, supra, note 62, paragr. 136-137.

[111]  Id., paragr. 137.

[112]  Scott C. Hutchinson, Hutchinson’s Search Warrant Manual, supra, note 77, p. 27, sous la rubrique « Cases Finding a Reasonable Expectation of Privacy, But a Reduced One » [soulignement dans l’original], point « 2. » et note de bas de page correspondante.

[113]  R. c. Reeves, supra, note 81, paragr. 45.

[114]  R. c. Le, supra, note 62, paragr. 137.

[115]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p. 22, lignes 20-23.

[116]  Id., p.  23, lignes 11-12; par l’usage de ce mot, on comprend que la juge, qui rend jugement oralement, estime ainsi que la gravité de l’incidence sur les droits de l’appelant est « mitigée », ou « modérée ».

[117]  Id., p. 23, lignes 1-3.

[118]  Id., p. 23, lignes 4-7.

[119]  Id., p. 23, lignes 8-10 ; voir aussi, dans le même sens, p. 12, lignes 7-10 : « Si les policiers n'entrent pas dans la résidence, les stupéfiants existent quand même, ils ont quand même des motifs pour obtenir un mandat et ils les trouvent quand même ».

[120]  M.A., paragr. 50.

[121]  R. c. Côté, supra, note 59, paragr. 70.

[122]  R. c. Beaver, 2022 CSC 54; voir aussi Vadish c. R., 2024 QCCA 1135, paragr. 68-71; R. v. Davis, 2023 ONCA 227, paragr. 29.  

[123]  M.A., paragr. 52-53.

[124]  T.B. v.d., p. 85.

[125]  R. c. Fearon, 2014 CSC 77.

[126]  Id., paragr. 96; dans le même sens, voir R. v. L.E., 2019 ONCA 961, paragr. 89, demande d’autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 14 mai 2020, n°39052.

[127]  R. c. McColman, supra, note 63, paragr. 69.

[128]  R. c. Tim, supra, note 70, paragr. 96.

[129]  Hugues Parent, supra, note 65, p. 885.

[130]  Id., p. 898.

[131]  R. c. Le, supra, note 62.

[132]  Id., paragr. 142.

[133]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p.  6-7.

[134]  R. c. Tim, supra, note 70, paragr. 98.

[135]  Ibid; voir également R. c. Paterson, supra, note 71, paragr. 54; R. c. Harrison, supra, note 71, paragr. 36.

[136]  Hugues Parent, supra, note 65, p. 886 [italiques omises].

[137]  Jugement sur l’exclusion de la preuve, p. 17, lignes 20-23.

[138]  Id., p. 23, l. 23-25.

[139]  R. c. G.F., 2021 CSC  20, paragr. 69.

[140]  R. c. Morrisson, 2024 NBCA 35, paragr. 15 de la version française de l’arrêt.

[141]  Art. 675(1)a)(ii) C.cr.

[142] R. c. Morelli, 2010 CSC 8, paragr. 17 in fine; cité récemment dans R. v. Yousuf, 2025 ONCA 441, paragr. 8 et R. v. Lugela, 2025 ABCA 194, paragr. 13; voir aussi Landry c. R., 2017 QCCA 729, paragr. 7.

[143]  R. c. Morelli, supra, note 142, paragr. 15; voir aussi R. v. Lights, 2020 ONCA 128, paragr. 44.

[144]  R. c. Morrisson, supra, note 140, paragr. 52; R. v. Lights, supra, note 143, paragr. 48; Shank c. R., 2017 QCCA 33, paragr. 24-25. 

[145]  Bruce A. MacFarlane, Robert J. Frater et Croft Michaelson, Drug Offences in Canada, 4e éd., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters (feuilles mobiles, mise à jour no 3, 9 juillet 2025), paragr. 4:51/p. 4-58.12, paragr. 4:53/p. 4-61, et paragr. 4:55/p. 4-65.

[146]  Grenier c. R., 2021 QCCA 867.

[147]  Id., paragr. 7.

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