Makoma c. Procureur général du Québec | 2025 QCCS 1646 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE MONTRÉAL |
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No: | 500-06-001031-190 |
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DATE: | 20 mai 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DONALD BISSON J.C.s. | (JB4644) |
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BENOÎT ATCHOM MAKOMA Demandeur c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, ès qualités de représentant du ministre de la Justice du Québec ET ès qualités de représentant du Directeur des poursuites criminelles et pénales VILLE DE MONTRÉAL VILLE DE QUÉBEC Défendeurs et PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, ès qualités de représentant du ministre de la Sécurité publique Mis en cause |
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JUGEMENT
(Sur action collective au mérite) |
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Table des matières 1. Introduction..............................................4 2. Les dispositions législatives pertinentes..........................9 3. Les faits non contestés pertinents.............................14 3.1 Les faits se rapportant au cas personnel du demandeur.............14 3.2 Les faits se rapportant à deux membres du groupe.................15 3.3 Les faits se rapportant au groupe..............................16 3.4 Survol de l’organisation de la juridiction criminelle au Québec.........16 4. Analyse et discussion......................................18 4.1 La violation du Code criminel et des chartes et la responsabilité du PGQ.19 4.1.1 Le droit sur la comparution............................19 4.1.1.1 La comparution et le délai de 24 heures....................20 4.1.1.2 Le rôle du policier....................................21 4.1.1.3 Les raisons du délai de 24 heures et l’identité du juge devant qui la comparution doit avoir lieu 22 4.1.1.4 L’obligation du PGQ de mettre en place un système permettant la comparution dans un délai maximal de 24 heures 23 4.1.1.4.1 Dans la province en général.........................24 4.1.1.4.2 Devant les cours municipales de Montréal et de Québec.....27 4.1.2 Les faits relatifs aux systèmes de comparution selon les époques 27 4.1.3 La faute..........................................33 4.1.3.1 Principes généraux en action collective sur la responsabilité.....34 4.1.3.2 La décision sur la faute et l’atteinte illicite...................35 4.1.3.2.1 Les membres du groupe qui ont été arrêtés erronément ou qui auraient pu être libérés directement par un agent de la paix ou en comparaissant devant un juge de paix fonctionnaire. 37 4.1.3.2.2 Tous les membres qui n’ont pas comparu dans les 24 heures en raison de l’absence de comparution les dimanches dans les districts de Montréal et Québec 40 4.1.3.2.3 Tous les membres du groupe à partir du 9 mars 2018.......49 4.1.3.2.4 Tous les membres pour l’absence de comparutions en raison d’un jour férié 52 4.1.3.2.5 Tous les membres ayant eu comparution au-delà du délai de 24 heures en raison de l’horaire de la Cour le lundi 52 4.1.3.2.6 Conclusion......................................53 4.2 Le PGQ est-il responsable de façon solidaire avec la Ville de Montréal et la Ville de Québec pour tout dommage et tout solde de dommages en sus des transactions, ou est-il responsable comme mandant? 54 4.2.1 La responsabilité du PGQ en général....................55 4.2.2 Effet de la remise de dette aux Villes par le demandeur.......64 4.3 La date de fermeture du groupe...............................66 4.3.1 Pour la catégorie 1 : Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, jusqu’à la fin octobre 2019 67 4.3.2 Pour la catégorie 2 : Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, après le 31 octobre 2019 68 4.3.3 Pour la catégorie 3 : Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, après le 31 octobre 2019 68 4.3.4 Pour la catégorie 4 : Cour du Québec, Chambre de la jeunesse.69 4.3.5 Pour la catégorie 5 : Cour municipale de Québec............69 4.3.6 Pour la catégorie 6 : Cour municipale de Montréal...........69 4.3.7 Conclusion.......................................70 4.4 Les dommages, la causalité et la question de la Charte canadienne.....70 4.4.1 Les dommages compensatoires pour faute en vertu du CcQ et atteinte illicite à la Charte du Québec – Tous les membres sauf ceux liés aux Villes 71 4.4.1.1 Les témoignages du demandeur et de deux membres du groupe73 4.4.1.2 Le type de dommages compensatoires et leur caractère........75 4.4.1.2.1 Les bénéfices de la comparution......................76 4.4.1.2.2 Les dommages moraux.............................83 4.4.1.2.3 Le quantum des dommages compensatoires.............87 4.4.2 Les dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec - Tous les membres sauf ceux liés aux Villes 96 4.4.2.1.1 Le droit applicable................................96 4.4.2.1.2 L’octroi.........................................97 4.4.2.1.3 Le montant des dommages punitifs...................106 4.4.3 Les dommages en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne - Tous les membres sauf ceux liés aux Villes 109 4.4.3.1 Le droit applicable...................................110 4.4.3.2 La décision sur l’octroi................................111 4.4.4 Conclusion sur les dommages........................114 4.4.5 Tous les dommages des membres liés aux Villes de Montréal et de Québec 115 4.5 Le recouvrement : collectif ou individuel?.......................116 4.5.1 Le droit applicable.................................116 4.5.2 Tous les membres du groupe, outre les membres reliés aux Villes de Montréal et de Québec, outre les membres invisibles et outre les « membres déjà en détention légale pour un autre crime » 121 4.5.2.1 La preuve de l’expert de KPMG en demande...............123 4.5.2.2 La preuve des experts EY de la défense (PGQ).............127 4.5.2.3 Décision du Tribunal sur les expertises....................130 4.5.2.3.1 Adultes et adolescents du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019130 4.5.2.3.2 Adultes à la Cour du Québec pour les districts de Montréal et de Québec après le 31 octobre 2019 141 4.5.2.3.3 Conclusion.....................................142 4.5.3 Les membres reliés aux Villes de Montréal et de Québec.....143 4.5.4 Les membres invisibles et les « membres déjà en détention légale pour un autre crime » 150 4.5.5 Conclusion et point de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle 151 4.6 Les frais de justice et la suite du dossier........................153 4.7 Un mot sur la décision Lauzon c. R............................154 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :................................154 |
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- Le présent jugement décide d’une action collective au mérite, dans laquelle le demandeur Benoît Atchom Makoma réclame pour lui et pour les membres du groupe des dommages-intérêts du défendeur Procureur général du Québec (« PGQ ») pour préjudice découlant de l’absence de comparution les dimanches et les jours fériés pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention.
- De façon spécifique, le groupe visé est le suivant :
Toute personne arrêtée et maintenue en détention au Québec après le 19 juin 2015, pour une période de plus de 24 heures consécutives sans comparaître, alors que pendant cette période de détention les tribunaux ne siégeaient pas au sens de l’alinéa 1 de l’article 82 du Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01 et de l’article 61 (23) de la Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16 reproduit ci-dessous :
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01[1]
« 82. Les tribunaux ne siègent pas les samedis et les jours fériés au sens de l’article 61 de la Loi d’interprétation (chapitre I-16), non plus que les 26 décembre et 2 janvier qui sont, en matière de procédure civile, considérés jours fériés. En cas d’urgence, une demande peut être entendue, même le samedi ou un jour férié, par le juge désigné par le juge en chef pour assurer la garde.
[…] »
Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16
« 61. Dans toute loi, à moins qu’il n’existe des dispositions particulières à ce contraire :
[…]
23° les mots «jour de fête» et «jour férié» désignent:
- les dimanches;
- le 1er janvier;
- le Vendredi saint;
- le lundi de Pâques;
- le 24 juin, jour de la fête nationale;
- le 1er juillet, anniversaire de la Confédération, ou le 2 juillet si le 1er tombe un dimanche;
- le premier lundi de septembre, fête du Travail;
g.1) le deuxième lundi d’octobre;
- le 25 décembre;
- le jour fixé par proclamation du gouverneur général pour marquer l’anniversaire du Souverain;
- tout autre jour fixé par proclamation ou décret du gouvernement comme jour de fête publique ou d’Action de grâces; […] »
- Le groupe cible tant les adultes que les adolescents.
- La demande vise l’absence de comparution les dimanches et les jours fériés, et pas les samedis. La faute alléguée par le demandeur et les membres du groupe est la violation à leur endroit par le PGQ du délai de comparution de 24 heures prévu à l’article 503 du Code criminel[2], ce qui constitue selon le demandeur une faute en vertu de l’article 1457 du Code civil du Québec (« CcQ ») et une violation des articles 24, 30 et 31 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] (la « Charte du Québec ») et de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés[4] (la « Charte canadienne »). Le demandeur présente également de façon subsidiaire une réclamation monétaire en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne.
- Le groupe tel qu’autorisé ne comporte pas de date de fin, et cette date de fin est un élément en litige dans le présent dossier.
- Le demandeur réclame un montant total de 164 526 713 $ en dommages, en plus de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle depuis le dépôt de la demande le 14 juin 2018, ce qui représente un montant de 7 000 $ par membre du groupe par événement (à l’exception de certains membres qui ont déjà réglé partiellement – le Tribunal y revient). Le demandeur prétend qu’il doit y avoir ici recouvrement collectif de cette somme. Le dommage réclamé vise la détention arbitraire, pas la privation de liberté.
- Le montant de 7 000 $ réclamé par personne par événement se détaille ainsi :
- De façon principale : Un montant de 7 000 $ pour dommages compensatoires en vertu de l’article 1457 CcQ, ou un montant total de 7 000 $ pour dommages compensatoires et/ou punitifs en vertu de la Charte du Québec selon les alinéas 1 et 2 de l’article 49 de la Charte du Québec pour violation et atteinte illicite et intentionnelle aux droits du demandeur et de ceux des membres;
- De façon subsidiaire : Si le Tribunal n’accorde pas le montant de 7 000 $ ou accorde un montant inférieur à la somme de 7 000 $ à titre de dommages compensatoires et/ou punitifs, le demandeur demande au Tribunal d’accorder le total ou le solde à titre de réparation appropriée en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne pour détention arbitraire. Ce montant est ventilé ainsi, de façon subsidiaire : 3 000 $ pour le volet indemnisation, 3000 $ pour le volet de la défense du droit violé (affirmation des valeurs de la Charte canadienne) et 1 000 $ pour le volet dissuasion, en fonction des trois objectifs décrits dans l’arrêt Ward[5] de la Cour suprême du Canada.
- Lors des plaidoiries et dans son plan d’argumentation, le PQG fait l’admission selon laquelle le retrait du 19 juin 2015, par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, des comparutions téléphoniques du dimanche devant des juges de paix magistrat contrevient à l’article 503 du Code criminel, à l’article 24 de la Charte du Québec et à l’article 9 de la Charte canadienne. Le PGQ admet qu’après le 19 juin 2015, plusieurs personnes arrêtées et détenues ont en effet comparu plus de 24 heures après leur arrestation. Cependant, le PGQ conteste toute faute ou violation du CcQ commune à tous les membres et argumente qu’il n’y a aucune responsabilité découlant du CcQ ou des chartes ni dommage compensatoire commun à tous les membres ni dommage punitif ni autre dommage subi par les membres du groupe, ni même causalité entre une quelconque faute et tout dommage. Le détail de ces arguments, leur subtilité et la preuve factuelle du PGQ sont décrits plus loin. Le PGQ ajoute que la preuve démontre que, même si, par exemple, entre autres, certains membres auraient subi des dommages, plusieurs questions ne peuvent être traitées collectivement, même s’il y a faute pour ces membres. Le PGQ conteste également toute solidarité avec la Ville de Montréal et la Ville de Québec ou toute responsabilité à titre de mandant. Le PGQ soutient enfin qu’il ne peut y avoir de recouvrement collectif de tout dommage octroyé, et il suggère de façon subsidiaire la création de sous-groupe de membres qui pourraient potentiellement se voir accorder des dommages, de façon individuelle.
- Rappelons que, le 9 juillet 2019[6], le Tribunal a autorisé l’exercice d’une action collective alléguant le défaut par le PGQ, les défenderesses Ville de Montréal et Ville de Québec d’assurer le respect de l’article 503 du Code criminel.
- Les défenderesses Ville de Montréal et Ville de Québec ne participent plus aux débats ni au procès car les recours contre elles ont été réglés par jugements approuvant des transactions. En effet :
- Le 13 décembre 2021[7], le Tribunal a approuvé une entente de règlement partiel de l’action collective entre le demandeur et la Ville de Québec, qui indemnise les membres pour 127 événements où des personnes ont été arrêtées et maintenues en détention entre le 15 décembre 2017 et le 9 février 2020 pour une période de plus de 24 heures consécutives sans comparaître à la Cour municipale de Québec. Ces membres conservent la balance de leurs réclamations contre le PGQ;
- Le 8 décembre 2023[8], le Tribunal a approuvé une entente de règlement partiel de l’action collective entre le demandeur et la Ville de Montréal, qui indemnise les membres pour 1153 événements où des personnes ont été arrêtées et maintenues en détention entre le 15 décembre 2017 et le 20 mars 2020 pour une période de plus de 24 heures consécutives sans comparaître à la Cour municipale de Montréal. Ces membres conservant la balance de leurs réclamations contre le PGQ.
- On constate donc que les membres qui ont réglé conservent, selon les termes des règlements approuvés, le solde de leur réclamation contre le PGQ. Le demandeur soumet que, si le Tribunal octroie à ces membres un montant de dommages plus élevé que ce que les règlements ont octroyé, alors le PGQ doit être condamné au paiement du solde, dont il serait responsable par solidarité avec les Villes de Montréal et de Québec ou à titre de mandant. Le PGQ nie toute solidarité et tout mandat à cet égard, et donc toute responsabilité pour tout solde.
- Le demandeur poursuit également le PGQ pour les membres qui n’ont pas comparu devant les cours municipales de Montréal et de Québec le dimanche et les jours fériés dans les 24 heures de leur arrestation, pour la période antérieure non couverte par les deux règlements hors cour, soit du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017. Bien que les Villes de Montréal et de Québec aient eu une quittance complète pour toute la période de l’action collective, ces membres n’ont pas été indemnisés dans le cadre de ces règlements hors cour et ont conservé leurs recours contre le PGQ. Encore ici, le PGQ nie toute responsabilité, mandat ou solidarité avec les Villes de Montréal et de Québec.
- Le Tribunal précise que ces règlements avec les Villes de Montréal et de Québec ne visent pas les membres du groupe qui n’ont pas comparu les dimanches et les jours fériés devant la Cour du Québec dans les districts de Montréal et de Québec. Il ne faut pas confondre la Cour du Québec à Montréal et à Québec avec les Cours municipales de Montréal et de Québec.
- Suite à plusieurs modifications, à deux décisions du Tribunal sur des demandes de radiation et de modifications[9], et à une décision verbale rendue en ouverture des plaidoiries le 10 février 2025[10], la demande introductive d’instance dont le Tribunal est saisi est la Demande introductive d’instance en action collective re-remodifiée du 8 janvier 2025 (la « Demande du 8 janvier 2025 »).
- Les questions de faits et de droits telles qu’autorisées et qui doivent être traitées collectivement sont les suivantes, une fois adaptées au contexte du procès :
- Le défendeur PGQ a-t-il contrevenu à son obligation de se conformer à l’article 503 du Code criminel et à son obligation de s’assurer que tous les citoyens arrêtés puissent comparaître devant un juge de paix sans retard injustifié et, dans tous les cas, au plus tard dans un délai maximum de 24 heures?
- Cette contravention entraîne-t-elle faute et responsabilité du PGQ?
- Cette contravention commise par le PGQ porte-t-elle atteinte aux articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec et à l’article 9 de la Charte canadienne?
- Les membres du groupe ont-ils subi des dommages découlant de la contravention commise par le PGQ et dans l’affirmative, à combien se chiffrent-ils et quelles devraient être les modalités d’indemnisation du préjudice subi?
- Le PGQ a-t-il porté une atteinte illicite et intentionnelle aux droits et libertés des membres du groupe et dans l’affirmative, à combien se chiffrent les dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec?
- Quel est le montant des dommages-intérêts auquel a droit chaque membre du groupe?
- Le cas échéant, quel est le montant des dommages punitifs auquel a droit chaque membre du groupe?
- Subsidiairement, y a-t-il lieu d’octroyer des dommages en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne?
- Quelle est la date de fermeture du groupe?
- Le PGQ est-il responsable envers les membres de tout dommage et de tout solde de dommages non couverts par les règlements hors cour avec la Ville de Montréal et la Ville de Québec, à titre de responsable solidaire avec ces villes ou à titre de mandant?
- Le cas échéant, quelle est la date de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle?
- Comme on peut le voir de la table des matières en début du jugement, le Tribunal va combiner plusieurs de ces questions dans son analyse.
- Pour la suite du présent jugement, le Tribunal utilise souvent les abréviations suivantes, qu’il expliquera plus loin lorsque requis :
- DPCP pour le Directeur des poursuites criminelles et pénales;
- BSC pour le Bureau des services conseils du DCPC;
- MJQ pour le Ministère de la Justice du Québec;
- JPM pour les juges de paix magistrats;
- JPF pour les juges de paix fonctionnaires.
- Le Tribunal expose maintenant les dispositions législatives pertinentes.
- En introduction, le Tribunal a déjà reproduit précédemment les extraits pertinents de l’article 82 du Code de procédure civile[11] (« Cpc ») et de l’article 61 de la Loi d’interprétation[12].
- Voici les articles 24, 30, 31 et 49 de la Charte du Québec :
24. Nul ne peut être privé de sa liberté ou de ses droits, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite.
30. Toute personne arrêtée ou détenue doit être promptement conduite devant le tribunal compétent ou relâchée.
31. Nulle personne arrêtée ou détenue ne peut être privée, sans juste cause, du droit de recouvrer sa liberté sur engagement, avec ou sans dépôt ou caution, de comparaître devant le tribunal dans le délai fixé.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
- Voici les article 9 et 24(1) de la Charte canadienne :
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.
24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
- Voici l’article 503 du Code criminel, dont le paragraphe 503(1) est le plus pertinent :
Prévenu conduit devant un juge de paix
503. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’agent de la paix qui arrête une personne avec ou sans mandat et qui ne la met pas en liberté en vertu de toute autre disposition de la présente partie la fait conduire devant un juge de paix, conformément aux alinéas ci-après, pour qu’elle soit traitée selon la loi :
a) si un juge de paix est disponible dans un délai de vingt-quatre heures après son arrestation, elle est conduite devant un juge de paix sans retard injustifié et, dans tous les cas, au plus tard dans ce délai;
b) si un juge de paix n’est pas disponible dans un délai de vingt-quatre heures après son arrestation, elle est conduite devant un juge de paix le plus tôt possible.
Réévaluation de la détention
(1.1) L’agent de la paix qui, avant l’expiration du délai prévu aux alinéas (1)a) ou b), est convaincu que la continuation de la détention de la personne sous garde pour avoir commis une infraction autre qu’une infraction mentionnée à l’article 469 n’est plus nécessaire la met en liberté si, selon le cas :
a) il délivre à cette personne une citation à comparaître;
b) cette personne lui remet une promesse.
Personne livrée à un agent de la paix ou confiée à sa garde
(2) Les paragraphes (1) et (1.1) s’appliquent également à l’égard de la personne qui est livrée à un agent de la paix en conformité avec le paragraphe 494(3) ou confiée à sa garde en conformité avec le paragraphe 163.5(3) de la Loi sur les douanes, le délai de vingt-quatre heures visé aux alinéas (1)a) et b) commençant à courir après qu’elle ait été livrée à l’agent de la paix.
Mise sous garde pour renvoi à la province où l’infraction est présumée avoir été commise
(3) Lorsqu’une personne a été arrêtée sans mandat en raison d’un acte criminel présumé avoir été commis, au Canada, à l’extérieur de la circonscription territoriale où elle a été arrêtée, elle est conduite, dans le délai prescrit aux alinéas (1)a) ou b), devant un juge de paix ayant compétence à l’endroit où elle a été arrêtée, à moins que, lorsque l’infraction est présumée avoir été commise dans la province où elle a été arrêtée, elle n’ait été conduite devant un juge de paix compétent à l’égard de l’infraction, et le juge de paix ayant compétence à l’endroit où elle a été arrêtée :
a) s’il n’est pas convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne arrêtée est la personne présumée avoir commis l’infraction, la met en liberté;
b) s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne arrêtée est la personne présumée avoir commis l’infraction, peut :
(i) soit la renvoyer à la garde d’un agent de la paix en attendant l’exécution d’un mandat pour son arrestation en conformité avec l’article 528, mais si aucun mandat d’arrestation n’est ainsi exécuté dans les six jours qui suivent le moment où elle a été renvoyée à cette garde, la personne qui en a alors la garde la met en liberté,
(ii) soit, dans le cas où l’infraction est présumée avoir été commise dans la province où elle a été arrêtée, ordonner qu’elle soit conduite devant le juge de paix compétent à l’égard de l’infraction.
Mise en liberté provisoire
(3.1) Nonobstant l’alinéa (3)b), un juge de paix peut, avec le consentement du poursuivant, ordonner qu’une personne mentionnée au paragraphe (3) soit, en attendant l’exécution d’un mandat pour son arrestation :
a) soit mise en liberté sans conditions;
b) soit mise en liberté conformément à une ordonnance de mise en liberté assortie des conditions visées aux alinéas 515(2)a) à e) que le juge de paix estime indiquées et auxquelles le poursuivant consent.
Mise en liberté d’une personne sur le point de commettre un acte criminel
(4) L’agent de la paix ayant la garde d’une personne qui a été arrêtée sans mandat en tant que personne sur le point de commettre un acte criminel la met en liberté dès que cela est matériellement possible à compter du moment où il est convaincu que la continuation de sa détention n’est plus nécessaire pour empêcher qu’elle commette un acte criminel.
Conséquences de ne pas mettre une personne en liberté
(5) Malgré le paragraphe (4), l’agent de la paix qui a la garde d’une personne visée à ce paragraphe et qui ne la met pas en liberté avant l’expiration du délai prescrit aux alinéas (1)a) ou b) pour la conduire devant le juge de paix est réputé agir légalement et dans l’exercice de ses fonctions pour les besoins :
a) de toutes procédures engagées en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale;
b) de toutes autres procédures, à moins qu’il n’y soit allégué et établi par la personne qui fait cette allégation que l’agent de la paix ne s’est pas conformé aux exigences du paragraphe (4).
- Le paragraphe 515(1) du Code criminel se lit comme suit :
515. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, lorsqu’un prévenu inculpé d’une infraction autre qu’une infraction mentionnée à l’article 469 est conduit devant un juge de paix, celui-ci doit, sauf si un plaidoyer de culpabilité du prévenu est accepté, ordonner que le prévenu soit mis en liberté à l’égard de cette infraction, pourvu qu’il remette une promesse sans condition, à moins que le poursuivant, ayant eu la possibilité de le faire, ne fasse valoir à l’égard de cette infraction des motifs justifiant la détention du prévenu sous garde ou des motifs justifiant de rendre une ordonnance aux termes de toute autre disposition du présent article et lorsque le juge de paix rend une ordonnance en vertu d’une autre disposition du présent article, l’ordonnance ne peut se rapporter qu’à l’infraction au sujet de laquelle le prévenu a été conduit devant le juge de paix.
- Le paragraphe 515(2) du Code criminel se lit comme suit :
515. (2) Lorsque le juge de paix ne rend pas une ordonnance en vertu du paragraphe (1), il ordonne, à moins que le poursuivant ne fasse valoir des motifs justifiant la détention du prévenu sous garde, que le prévenu soit mis en liberté pourvu que, selon le cas:
a) il remette une promesse assortie des conditions que le juge de paix fixe;
b) il contracte sans caution, devant le juge de paix, un engagement au montant et sous les conditions fixés par celui-ci, mais sans dépôt d’argent ni d’autre valeur;
c) il contracte avec caution, devant le juge de paix, un engagement au montant et sous les conditions fixés par celui-ci, mais sans dépôt d’argent ni d’autre valeur;
d) avec le consentement du poursuivant, il contracte sans caution, devant le juge de paix, un engagement au montant et sous les conditions fixés par celui-ci et dépose la somme d’argent ou les valeurs que ce dernier prescrit;
e) si le prévenu ne réside pas ordinairement dans la province où il est sous garde ou dans un rayon de deux cents kilomètres du lieu où il est sous garde, il contracte, avec ou sans caution, devant le juge de paix un engagement au montant et sous les conditions fixées par celui-ci et dépose la somme d’argent ou les valeurs que ce dernier prescrit.
- Le paragraphe 515(2.2) du Code criminel se lit comme suit :
515. (2.2) Le prévenu tenu par la présente loi de comparaître en vue de la mise en liberté provisoire le fait en personne ou par le moyen de télécommunication, y compris le téléphone, que le juge de paix estime satisfaisant et, sous réserve du paragraphe (2.3), autorise.
- L’article 516 du Code criminel se lit ainsi :
Renvoi sous garde
516. (1) Un juge de paix peut, avant le début de procédures engagées en vertu de l’article 515 ou à tout moment au cours de celles-ci, sur demande du poursuivant ou du prévenu, ajourner les procédures et renvoyer le prévenu à la détention dans une prison, par mandat selon la formule 19, mais un tel ajournement ne peut jamais être de plus de trois jours francs sauf avec le consentement du prévenu.
Renvoi sur le cautionnement
(2) S’il renvoie le prévenu à la détention au titre des paragraphes (1) ou 515(11), le juge de paix peut lui ordonner de s’abstenir de communiquer directement ou indirectement avec toute personne — victime, témoin ou autre — identifiée dans l’ordonnance si ce n’est en conformité avec les conditions qui y sont prévues et qu’il estime nécessaires.
Durée de l’ordonnance
(3) Toute ordonnance rendue au titre du paragraphe (2) demeure en vigueur, selon le cas :
a) jusqu’à sa modification ou sa révocation;
b) jusqu’à ce qu’une ordonnance soit rendue au titre de l’article 515 à l’égard du prévenu;
c) jusqu’à l’acquittement du prévenu, le cas échéant;
d) jusqu’au prononcé de la peine du prévenu, le cas échéant.
- Finalement, l’article 6 Cpc se lit comme suit :
6. Sont jours non juridiques:
a) les dimanches;
b) les 1er et 2 janvier;
c) le Vendredi saint;
d) le lundi de Pâques;
e) le 24 juin, jour de la fête nationale;
f) le 1er juillet, anniversaire de la Confédération, ou le 2 juillet si le 1er tombe un dimanche;
g) le premier lundi de septembre, fête du Travail;
g.1) le deuxième lundi d’octobre;
h) les 25 et 26 décembre;
i) le jour fixé par proclamation du gouverneur-général pour marquer l’anniversaire de naissance du Souverain;
j) tout autre jour fixé par proclamation ou décret du gouvernement comme jour de fête publique ou d’Action de grâces.
- Passons aux faits non contestés pertinents.
- Débutons par le cas personnel du demandeur.
- Selon le témoignage du demandeur et les pièces au dossier[13], la preuve a révélé ceci :
- Le 23 juin 2015, à 21 h 58, des agents de la paix du Service de police de la Ville de Gatineau (« SPVG ») se rendent au domicile du demandeur sis au 7, St-Jean Bosco, #B, à Gatineau, province de Québec, suite à un appel d’un témoin pour trouble domestique entre le demandeur et sa conjointe;
- Selon le rapport policier (Pièce P-14), les cases cochées indiquent que le demandeur était normal, qu’il n’avait aucun complice, qu’il n’avait pas de cause pendante, qu’il a agi seul, qu’il n’était pas connu des policiers, qu’il a offert de la coopération, qu’il n’était sous aucun effet et qu’il ne vivait pas du crime;
- Le 23 juin 2015 à 22 h 10, les agents de la paix procèdent à l’arrestation du demandeur pour s’être livré à des voies de fait contre sa conjointe;
- Le 23 juin 2015 à 22 h 50, les agents de la paix procèdent au transport du demandeur vers le poste de police sis au 777, Boulevard De la Carrière, à Gatineau;
- Le 23 juin 2015 à 22 h 56, le demandeur arrive au poste de police et les agents de la paix effectuent la procédure d’écrou;
- Le 25 juin 2015, le demandeur est transporté au palais de justice de Gatineau. À 11 h 50, à son arrivée au palais de justice de Gatineau, le demandeur est confié aux services correctionnels du Québec qui procède à une fouille sommaire avant de le mettre en cellule commune au sous-sol du palais de justice;
- Toujours le 25 juin 2015, l’agent de liaison du SPVG, Jill Guenette, dépose une dénonciation alléguant que le demandeur a commis une voie de fait simple sur sa conjointe et demande que l’accusation soit portée par voie sommaire conformément au paragraphe 266 b) du Code criminel;
- Le 25 juin 2015 à 12 h 30, au terme d’une comparution qui dure moins de trois minutes devant un juge de la Cour du Québec, le demandeur est libéré sous conditions avec le consentement du Directeur des poursuites criminelles et pénales.
- La preuve non contredite révèle également ceci :
- Il s’est écoulé 38 heures et 20 minutes entre l’arrestation et la comparution du demandeur, ce qui inclut deux nuits passées dans la cellule au poste de police;
- Le 24 juin 2015, les tribunaux ne siégeaient pas puisqu’il s’agissait d’un jour non juridique en vertu de l’article 6 Cpc. Les agents de la paix ne pouvaient donc pas amener le demandeur au Palais de justice pour le faire comparaître en personne;
- De plus, le 23 juin 2015 ainsi que le 24 juin 2015, le service de comparution par voie téléphonique n’était pas en service, tel que le démontre le tableau des dates auxquelles le service de comparution par voie téléphonique était en service depuis 2010 (Pièce P-19) et de l’horaire du greffe central des comparutions par voie téléphonique 24 heures pour le mois de juin 2015 (Pièce P-2). Les agents de la paix ne pouvaient donc pas faire comparaître le demandeur par le système en place de comparution par voie téléphonique;
- En tout temps, entre son arrestation et sa comparution, le demandeur était disponible et en état de comparaître;
- Le demandeur a été transporté à l’hôpital aux petites heures du 24 juin 2010, pour être ensuite ramené à la cellule au poste de police.
- Le Tribunal conclut donc de la preuve que le demandeur a été détenu sans comparaître pendant une période de 38 heures et 20 minutes, soit 14 heures et 20 minutes excédant les 24 heures maximales permises à l’article 503 du Code criminel.
- Le Tribunal aborde plus loin les dommages.
- Mme Leila Mukandila-Robidoux[14] et M. Gabriel Lavoie Levasseur[15] ont témoigné au procès afin d’indiquer qu’ils ont respectivement été arrêtés en 2019 et 2018 par la police, ont été mis en détention dans une cellule au poste de police, et qu’ils n’ont pas comparu dans un délai de 24 heures, leur comparution survenant respectivement 30 heures et 34 heures après leur arrestation.
- Le Tribunal aborde plus loin les dommages.
- Le PGQ a admis qu’après le 19 juin 2015, vu l’absence de comparution le dimanche, plusieurs personnes arrêtées et détenues ont comparu plus de 24 heures après leur arrestation. Le PGQ n’a pas chiffré ce nombre.
- Les contre-interrogatoires de Me Catherine Duguay (procureure en chef adjointe au BSC du DPCP) et Me France Lynch (sous-ministre au ministère de la Justice, maintenant retraitée) et l’interrogatoire de Me Shanel Labonté-Demers (procureure au bureau des affaires de la jeunesse, district de Montréal) démontrent qu’il existe un grand nombre de personnes arrêtées le vendredi, la fin de semaine et les jours fériés et détenues qui n’ont assurément pas comparu dans les 24 heures de leurs arrestations, entre 2015 et 2019-2020, que ce soit des adultes ou des adolescents. Cela résulte des mesures de comparution qui ont été modifiées dès 2015, sur lesquelles le Tribunal revient en détail plus bas. Cependant, ces témoignages démontrent par la balance des probabilités l’existence d’un groupe.
- La preuve par expertise des deux parties[16] démontrent de part et d’autre qu’il existe des centaines ou même des milliers de membres dans le groupe, qu’ils aient été adultes ou adolescents lors des événements. Le nombre de plumitifs criminels qui correspond aux critères de recherche le démontre. Le débat entre les parties quant aux expertises vise plutôt les questions du recouvrement et de savoir si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations des membres.
- En fait, et finalement, personne ne remet en question qu’il y ait eu au Québec des centaines ou même des milliers de cas, entre le 19 juin 2015 et quelque part entre octobre 2019 et 2020, d’absence de comparution les dimanches et les jours fériés pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention.
- Le PGQ argumente plutôt qu’il n’encourt aucune responsabilité à cet égard.
- Voici des éléments non contestés, qui aident à comprendre la suite du jugement. Le Tribunal y revient plus en détail lorsque requis.
- En vertu de l’article 2 du Code criminel, les cours de juridiction criminelle dans la province de Québec sont la Cour du Québec, la Cour municipale de Montréal et la Cour municipale de Québec.
- En vertu de l’article 1 de la Loi sur le ministère de la Justice[17], le ministre de la Justice du Québec est chargé de la direction et de l’administration du ministère de la Justice. En vertu de l’article 3c) de la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre de la Justice a la surveillance de toutes les matières qui concernent l’administration de la Justice au Québec à l’exception de celles qui sont attribuées au ministre de la Sécurité publique. En vertu de l’article 3c.1) de la Loi sur le ministère de la justice, le ministre de la Justice élabore des orientations et prend des mesures en matière d’affaires criminelles et pénales. En vertu de l’article 4b) de la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre de la Justice est chargé de régler et de diriger, sous la désignation de « le procureur général du Québec », la défense dans toutes contestations formées pour ou contre l’État;
- En vertu de l’article 1 de la Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales[18], le Directeur des poursuites criminelles et pénales (le « DPCP », comme on l’a déjà défini précédemment) dirige pour l’État, sous l’autorité générale du ministre et du procureur général du Québec, les poursuites criminelles et pénales au Québec. Il exerce les fonctions qui lui sont conférées par la loi, avec l’indépendance que celle-ci lui accorde. En vertu de l’article 13 de cette même loi, le DPCP a pour fonction d’agir comme poursuivant dans les affaires découlant de l’application de plusieurs lois provinciales et fédérales, dont le Code criminel. En vertu de l’article 18 de cette même loi, le DPCP établit à l’intention des poursuivants sous son autorité des directives relativement à l’exercice des poursuites en matière criminelle ou pénale. Ces directives doivent intégrer les orientations et mesures prises par la ministre et le DPCP s’assure qu’elles soient accessibles au public.
- En vertu de l’article 3 de la Loi sur les cours municipales[19], le conseil d’une municipalité locale peut adopter un règlement portant sur l’établissement d’une cour municipale locale pour desservir exclusivement le territoire de la municipalité. En vertu de l’article 87 de cette loi, l’administration de la cour municipale relève de la municipalité sur le territoire de laquelle elle siège et il lui appartient d’en assurer l’accessibilité, tel que le requiert l’administration de la justice.
- En vertu de l’article 72 de la Charte de la ville de Québec[20], la Ville de Québec a, dans la mesure prévue par ladite loi ou par le décret du gouvernement pris en vertu de l’article 9, des compétences, obligations et pouvoirs particuliers dans le domaine de la cour municipale.
- En vertu de l’article 87 de la Charte de la ville de Montréal[21], la Ville de Montréal a, dans la mesure prévue par ladite loi ou par le décret du gouvernement pris en vertu de l’article 9, des compétences, obligations et pouvoirs particuliers dans le domaine de la cour municipale.
- En vertu de l’article 8 de la Loi sur le ministère de la Sécurité publique[22], le ministre de la Sécurité publique élabore et propose au gouvernement des politiques relatives au maintien de la sécurité publique, à la prévention de la criminalité, à l’implantation et l’amélioration des méthodes de détection et de répression de la criminalité ainsi qu’à l’incarcération et la réinsertion sociale des détenus. En vertu de l’article 9 de cette loi, les fonctions du ministre de la Sécurité publique consistent notamment :
1° à assurer ou à surveiller, suivant le cas, l’application des lois relatives à la police;
2° à favoriser et à promouvoir la coordination des activités policières;
3° à maintenir un service de documentation et de statistiques permettant d’évaluer l’état de la criminalité et l’efficacité de l’action policière;
[…]
11° à remplir les autres fonctions qui lui sont assignées par le gouvernement.
- Il existe plusieurs autres faits non contestés, comme les modalités du système des comparutions au Québec de 2002 à aujourd’hui, mais le Tribunal aborde cela plus loin pour éviter des répétitions. Passons maintenant à l’analyse et à la discussion.
- Avant tout, le Tribunal indique qu’il existe deux types de membres qui ne sont pas comptabilisés dans la preuve de chiffres présentée par la demande, à l’exception des membres liés aux Villes; on y revient plus loin. Il s’agit :
- Premièrement, des membres invisibles ou fantômes, c’est-à-dire les personnes arrêtées et détenues qui sont remises en liberté par les policiers après un délai de plus de 24 heures en détention, mais sans jamais comparaître devant quiconque et sans qu’un dossier judiciaire criminel ne soit ouvert. Ces personnes n’ont pas été comptabilisées par le demandeur car aucun plumitif ni dossier de Cour n’existe à leur égard;
- Deuxièmement, des personnes déjà reconnues coupables d’un crime qui sont déjà légalement détenues dans un établissement de détention et qui y commettent un nouveau crime; ces personnes doivent-elles comparaître dans les 24 heures devant un juge de paix suivant leur arrestation dans le centre de détention pour le nouveau crime? Si oui, cela a-t-il été fait? Ces personnes n’ont pas été comptabilisées par le demandeur car les plumitifs ne permettent pas d’identifier de tels cas.
- Le Tribunal débute par la question de la faute elle-même, à savoir la violation du Code criminel et des chartes.
- Dans la présente section, le Tribunal doit décider si le PGQ a contrevenu ici à son obligation de se conformer à l’article 503 du Code criminel et à son obligation de s’assurer que tous les citoyens arrêtés puissent comparaître devant un juge de paix sans retard injustifié et, dans tous les cas, au plus tard dans un délai maximum de 24 heures. Si oui, cette contravention entraîne-t-elle la responsabilité du PGQ? Si oui, cette contravention porte-t-elle atteinte aux articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec et à l’article 9 de la Charte canadienne?
- Le Tribunal aborde dans d’autres sections plus loin le cas des membres liés aux Villes de Québec et de Montréal et la question des dommages.
- Débutons par le droit applicable sur la comparution. La présente section sera entrecoupée de parties sur le droit et de parties sur les faits.
- Comme on le verra plus loin, le Tribunal conclut que, si une personne arrêtée et détenue ne comparaît pas dans un délai de 24 heures après son arrestation : 1) il y a, depuis au moins 1984, violation de l’article 503 du Code criminel; et 2) il y a violation des articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec et de l’article 9 de la Charte canadienne[23].
- Ainsi, l’absence de comparution les dimanches et les jours fériés pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention se trouve à violer l’article 503 du Code criminel et les articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec et l’article 9 de la Charte canadienne, car il s’agit d’une détention arbitraire après l’expiration du délai de 24 heures. Là n’est pas le véritable débat.
- Le débat est factuel, à savoir quelle est la portée des démarches qu’ont faites le MJQ et le DPCP quant à l’arrêt des comparutions du dimanche et des jours fériés en 2015 et par la suite. Le débat est également éminemment juridique, à savoir si l’absence de comparution est génératrice de responsabilité de la part du PGQ et, si oui, pour quels membres et à quelles périodes.
- Le Tribunal passe en revue les éléments de droit.
- Avec égards, et contrairement à ce qu’ont prétendu certains témoins du PGQ, le délai de comparution de 24 heures prévu à l’article 503 du Code criminel a depuis toujours été considéré de rigueur et son dépassement, une violation sérieuse. En effet, dès 1984, à l’égard d’un événement qui pré-datait l’entrée en vigueur de la Charte canadienne, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique indiquait déjà le caractère obligatoire et de rigueur du délai de 24 heures pour la comparution[24].
- En 1994, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador indiquait dans l’arrêt R. v. Simpson[25] que l’article 503 du Code criminel est l’une de ses dispositions procédurales les plus importantes de ce code et que le délai de 24 heures est de rigueur. La Cour suprême du Canada a renversé cet arrêt seulement sur une question de remède.
- La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a décidé la même chose en 1995 dans l’arrêt R. v. MacPherson[26] : le délai de 24 heures est de rigueur.
- Par la suite en 2010, la Cour suprême du Canada[27] a précisé que l’article 503 accorde le droit absolu à toute personne arrêtée et détenue d’être conduite devant un juge de paix aussitôt que possible, et dans tous les cas au plus tard 24 heures après son arrestation. Le délai de 24 heures est donc un maximum absolu, car la personne arrêtée et détenue doit comparaître le plus vite possible à l’intérieur de ce délai.
- Au Québec, la jurisprudence avait réitéré dès 1997 cette exigence selon laquelle le délai de 24 heures est un délai de rigueur :
- En 1997, Hannaburg c. Québec (Procureur général)[28] : la détention au-delà du délai de 24 heures par le paragraphe 503(1) du Code criminel est illégale et viole de ce fait l'article 9 de la Charte canadienne qui protège les personnes contre la détention arbitraire. Le délai de 24 heures n'est pas suspendu pendant les fins de semaines, incluant les dimanches, et les jours fériés;
- En 2002, R. c. Lamoureux[29] : il faut faire comparaître la personne détenue sans retard injustifié et, dans tous les cas, au plus tard dans les 24 heures de son arrestation;
- Le Tribunal constate qu’il n’existe tout simplement pas de décision judiciaire depuis 1994 ou même 1984 qui viendrait dire que le délai de 24 heures n’est pas de rigueur. Ainsi, au début de la période en 2015, l’état du droit est clair : le délai de 24 heures est de rigueur et ce délai de 24 heures est un plafond. La jurisprudence l’a réitéré par la suite[30].
- L’arrêt de 2019 de la Cour d’appel de l’Alberta R. v. Reilly[31] n’est pas un arrêt « nouveau » sur l’interprétation de l’article 503 du Code Criminel. Dans cet arrêt, la Couronne avait admis que le dépassement du délai de 24 heures pour comparaître constituait une violation de l’article 503 et de la Charte canadienne (voir par. 2); le débat portait plutôt sur le remède applicable[32].
- En plaidoiries, le PGQ ne conteste pas que le délai de 24 heures est de rigueur depuis des décennies. Ce sont seulement quelques-uns de ses témoins qui l’ont dit au procès.
- Il faut rappeler qu’en vertu de l’article 503 du Code criminel, les policiers qui ont arrêté quelqu’un, peuvent, avant l’expiration du délai de 24 heures pour la comparution, libérer cette personne s’ils sont convaincus que la continuation de la détention de la personne[33] n’est plus nécessaire. Ils délivrent alors à cette personne une citation à comparaître ou la personne leur remet une promesse.
- Il est donc de la responsabilité première des agents de la paix d’évaluer chaque cas, de remettre en liberté les prévenus qui doivent et peuvent l’être et de garder détenus uniquement ceux pour lesquels les motifs de détention sont valides au sens du Code criminel.
- De plus, en vertu de l’article 503, c’est l’agent de la paix qui a arrêté une personne avec ou sans mandat et qui ne la met pas en liberté en qui doit la faire conduire devant un juge de paix dans les 24 heures après son arrestation. La responsabilité première quant au respect de l’article 503 et des délais qui y sont édictés repose donc sur l’agent de la paix. Cependant, quelle est l’impact de cela sur la responsabilité potentielle du PGQ? Le Tribunal y revient plus loin.
- La jurisprudence[34] enseigne que le droit de comparaître dans un délai maximal de 24 heures prévu à l’article 503 du Code criminel est primordial car il assure la protection de droits fondamentaux garantis par la Charte canadienne, dont le droit d’être présumé innocent et de ne pas être détenu arbitrairement. Le droit à la liberté et la garantie contre la détention arbitraire rejoignent ce qu'il y a de plus fondamental dans les valeurs sous-tendant nos sociétés libres et démocratiques: la liberté physique.
- Dans la décision Hannaburg c. Québec (Procureur général)[35], la Cour supérieure écrivait en 1997 que le droit prévu à l’article 503 du Code criminel et garanti par l'article 9 de la Charte canadienne est une pierre angulaire de notre système de justice, une protection conquise de haute lutte contre l'absolutisme et le despotisme du Souverain, un symbole de liberté dont tous les Canadiens peuvent s'enorgueillir, une des règles qui distingue notre système de justice de plusieurs autres, notamment de nature totalitaire, et qui lui donne sa crédibilité à travers le monde. La Cour supérieure terminait en disant que cela est un de nos choix de société les plus fondamentaux.
- La comparution de l’article 503 du Code criminel doit être faite devant un « juge de paix », ce qui vise au Québec les juges de la Cour du Québec, les juges de la Cour supérieure et les juges des cours municipales[36]. Cela n’inclut pas les juges de paix magistrats[37] ni les juges de paix fonctionnaires ni les juges de paix à pouvoirs restreints[38]. Le Tribunal y revient plus loin. L’identité du juge de paix n’est cependant pas un élément en litige dans le présent recours.
- La comparution en 24 heures ne sert pas seulement à permettre à une personne détenue d’être remise en liberté. Elle permet[39] le contrôle judiciaire des détentions par une autorité indépendante, soit le juge de paix, qui veille à ce que toute détention de personnes présumées innocentes soit nécessaire et motivée par une juste cause. La comparution évite que des personnes soient détenues secrètement ou incommunicado, permet au détenu de connaître les accusations portées contre lui et permet que le détenu soit libéré, avec ou sans condition. Il est vrai qu’en pratique, selon la preuve présentée au procès, l’enquête formelle sur la remise en liberté ne se tient presque jamais lors de la comparution initiale devant le juge de paix. Cependant, la preuve a révélé qu’il y a un pourcentage de détenus qui sont libérés (avec ou sans condition) lors de la première comparution, sans enquête formelle sur la remise en liberté, et même que d’autres événements factuels en faveur des détenus peuvent se produire. Le Tribunal y revient.
- Ainsi, afin que le juge de paix puisse contrôler la légalité de la détention, le poursuivant devra l’informer des motifs pour lesquels il s’oppose à la libération du prévenu. Le prévenu est alors en mesure de connaître ces motifs et de tenter d’y répondre afin d’obtenir sa mise en liberté ou de la négocier avec le poursuivant. Si le poursuivant demande un ajournement car il n’est pas encore en mesure de faire valoir ses motifs, la comparution fera alors débuter le délai de 3 jours maximum d’un tel ajournement et permettra au tribunal d’en contrôler la nécessité et la durée (art. 516 du Code criminel).
- La comparution permet aussi au prévenu d’apprendre de façon précise pour la première fois ce dont il est formellement accusé[40] et d’obtenir la preuve qui pèse contre lui. Comme l’a indiqué au procès Me Mélanie Ducharme, procureure au DPCP dans le district de Québec, c’est en prenant connaissance de ces informations que l’avocat du prévenu pourra entamer les démarches nécessaires afin de fournir à la Couronne les garanties nécessaires pour que le prévenu soit libéré. Cependant, on sait que la communication de la preuve se fait généralement plus tard, mais la possibilité existe.
- Ainsi, en résumé, la comparution permet non seulement d’éviter les détentions arbitraires, mais elle donne accès au prévenu aux droits et garanties procédurales prévus par le Code criminel, sur lesquels le Tribunal revient plus loin, qui sont essentiels pour la mise en œuvre de la valeur fondamentale de la liberté.
- On voit donc l’importance cruciale du système de comparution dans les 24 heures. Mais qui a l’obligation de le mettre en place et qu’a-t-il été fait de 2015 à 2019?
- Cette obligation comprend deux volets : dans la province en général et devant les cours municipales de Montréal et de Québec. Ce deuxième volet sera étudié à la section 4.2.
- Selon le demandeur, le PGQ a une obligation de résultat à cet égard. Selon le PGQ, il s’agit d’une obligation de moyen, et toute violation de l’article 503 du Code criminel et même des chartes ne constitue pas automatiquement une faute. De plus, selon le PGQ, toute entrave au système de comparution qui aurait été causée par la Cour du Québec, peu importe les raisons, empêche que la PGQ soit responsable de quelconque dommage.
- Que décider?
- En vertu de l’article 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867[41], le législateur du Québec détient la compétence exclusive de voir à l’administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation des tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle.
- En vertu de l’article 3 de la Loi sur le ministère de la justice[42], le législateur québécois a décidé que le ministère de la Justice du Québec serait celui chargé de, notamment :
a) la responsabilité d’établir la politique publique de l’État en matière de justice;
b) veiller à ce que les affaires publiques soient administrées conformément à la loi;
c) surveiller toutes les matières qui concernent l’administration de la justice au Québec à l’exception de celles qui sont attribuées au ministre de la Sécurité publique;
c.1) élaborer des orientations et prendre des mesures en matière d’affaires criminelles et pénales;
- En vertu de la Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales[43], le DPCP dirige pour l’État, sous l’autorité générale du MJQ et du PGQ, les poursuites criminelles et pénales au Québec. Il exerce les fonctions qui lui sont conférées par la loi, avec l’indépendance que celle-ci lui accorde.
- Au procès, les témoins du PGQ, dont Me Érika Porter, procureure chef au Bureau de service-conseil du DPCP, et Me Catherine Duguay, procureure chef adjointe au BSC et DPCP, ont reconnu qu’au Québec, les agents de la paix doivent passer par l’entremise d’un procureur du DPCP, qui prépare la dénonciation et qui représente le poursuivant lors de la comparution, afin de faire comparaitre la personne détenue devant un juge de paix, magistrat ou fonctionnaire. La preuve a aussi démontré que, durant la fin de semaine, c’est également le procureur du DPCP qui contacte le greffe central pour demander une plage de comparution, s’il juge qu’une comparution doit être tenue. En raison du système en place, le DPCP contrôle le dépôt des accusations et l’accès au juge de paix. Donc, même si l’agent de la paix a la responsabilité initiale de libérer ou d’amener le prévenu devant le juge de paix, c’est en réalité également une responsabilité du DPCP. Cette constatation factuelle est centrale.
- De plus, le Tribunal constate des lois en place que la Cour du Québec n’est pas l’acteur déterminant du système de comparution. En effet, on l’a vu précédemment, comme tous les juges de la Cour supérieure, tous les juges de la Cour du Québec et tous les juges des cours municipales sont des juges de paix au sens du Code criminel. Ainsi, en droit, la comparution devant la Cour du Québec n’est qu’une manière parmi d’autres de faire comparaître un individu. Rappelons également que nulle part dans la version de la Loi sur les tribunaux judiciaires[44] en vigueur durant la période de l’action collective le juge de paix magistrat est-il reconnu comme un juge de paix au sens du Code criminel.
- Le rôle déterminant et dominant du MJQ et du DPCP est confirmé par les Pièces P-1 et P-2, soit les ententes entre le MJQ, le DPCP et les Villes de Montréal et Québec, visant à confier à des cours municipales l’instruction de nombreuses infractions criminelles qui auraient normalement pu relever de la Cour du Québec, et ce, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’aval de la Cour du Québec.
- Le Tribunal conclut[45] que :
- C’est donc au MJQ, en collaboration avec le DPCP, qu’il appartient de concevoir un système de comparution respectueux de l’ensemble des dispositions du Code criminel. Ce sont ces institutions qui doivent mettre en œuvre les obligations de l’État en matière de justice criminelle et qui doivent prendre tous les moyens pour assurer aux personnes qu’ils choisissent de détenir et d’accuser toutes les garanties juridiques et constitutionnelles auxquelles ces personnes ont droit;
- Compte tenu de l'importance cruciale de l'article 503 pour la protection des droits fondamentaux des justiciables, l'État a l'obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect des délais prévus au Code criminel.
- De plus, une jurisprudence[46] constante énonce clairement, depuis des décennies, qu’il appartient à l’État non seulement d’établir, d’instaurer et d’assurer la mise en place d’un système qui permet à toute personne arrêtée et détenue de comparaître à l’intérieur du délai maximal de 24 heures, sans égard au moment auquel elles ont été arrêtées, mais également que cette obligation est une obligation de résultat.
- Ceci inclut toutes les régions du Québec et tous les jours de l’année, fins de semaine et jours fériés inclus.
- Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a décidé[47], dans un contexte relatif à l’article 1 de la Charte canadienne, que la violation de droits de chartes ne peut se justifier par des considérations administratives ou budgétaires. Cependant, selon le Tribunal, cela s’étend à la protection du droit contre les détentions arbitraires, comme on peut le voir des propos suivants dans la décision Lamoureux[48] de 2002 (le Tribunal souligne) :
[49] Bien qu'il ne soit pas souhaitable de procéder à une hiérarchisation des droits garantis par la Charte, on conviendra aisément que ce dont il sera question maintenant – à savoir le droit à la liberté et la garantie contre la détention arbitraire – rejoint ce qu'il y a de plus fondamental dans les valeurs sous-tendant nos sociétés libres et démocratiques: la liberté physique. Postulons donc dès à présent que la question soulevée par la requête dont le Tribunal est saisi est grave et fondamentale, et partant qu'elle ne saurait être banalisée par les accommodements que, au fil des ans et des pratiques administratives, la nature humaine a cherché à ménager.
[…]
[59] Raisonner autrement équivaudrait d'ailleurs, de l'avis du Tribunal, à subordonner l'exercice de droits aussi fondamentaux que le droit à la liberté et la garantie contre la détention arbitraire à des impératifs de relations de travail ou à des contraintes budgétaires; ce qui, tant au plan des principes qu'en pratique, lui paraît inconcevable. D'autant plus que, si la disponibilité du juge de paix devait être appréciée en fonction de la seule volonté de son employeur de le rendre disponible, la résultante serait, dans le cas d'espèce soumis au Tribunal, carrément absurde: en effet, s'il fallait interpréter la disposition comme permettant une détention avant comparution de 68 heures pour une infraction présumément commise à un endroit situé à moins de trente minutes de distance du Parlement fédéral de l'un des sept pays les plus industrialisés de la planète, il faudrait bien se demander où, ailleurs qu'à Toronto, Montréal et Vancouver, l'article 503 (1) a) serait susceptible d’avoir force obligatoire.
- Dans la décision Hannaburg c. Québec (Procureur général)[49], la Cour supérieure mentionnait que des contingences administratives ne peuvent justifier qu'on excède le délai de 24 heures et que cela est encore plus vrai si ces contingences sont d'origine systémique. On peut lire la même chose dans l’arrêt R. v. Reilly[50] et dans la décision Garneau c. R.[51]
- Bref, selon le Tribunal, c’est donc le ministère de la Justice qui est doté des outils permettant de résoudre toute impasse qui pourrait survenir avec les autres acteurs du système de justice, en conformité avec son rôle de surveillance de l’administration de la justice au Québec, et en tout respect de l’indépendance dont sont dotées ces autres institutions. Les conséquences des positions de la Cour du Québec à cet égard seront étudiées plus loin, tout comme les arguments du PGQ selon lequel il n’aurait pas commis de faute.
- Le Tribunal aborde cette question à la section 4.2 du jugement.
- Le Tribunal aborde maintenant enfin après 26 pages les faits relatifs au système de comparution.
- Rappelons avant tout que la preuve a démontré que, pour le demandeur, Mme Leila Mukandila-Robidoux et M. Gabriel Lavoie Levasseur, ils ont été, en 2015, 2019 et 2018, détenus sans comparaître un dimanche ou un jour férié pendant une période de plus heures de 24 heures suivant leur arrestation.
- Le Tribunal rappelle qu’il a déjà conclu que la preuve démontre qu’il existe des centaines ou même des milliers de membres dans le groupe. Ceci est cependant insuffisant pour conclure automatiquement à la responsabilité du PGQ, car ce dernier présente une défense factuelle et juridique, que le Tribunal va maintenant étudier. Mais il faut connaître les faits.
- Le DPCP comporte un Bureau des services conseils (le « BSC » comme on l’a déjà défini précédemment), qui est une équipe d’avocats qui ont les missions suivantes de 2015 à 2021 :
- Donner des conseils aux policiers dans le cas d’intervention immédiate. Ce service est de jour et de nuit, 24 heures sur 24;
- Gérer avec les policiers les comparutions du vendredi soir et du samedi. Depuis 2021, ce service est étendu aux dimanches et aux jours fériés, comme on le verra plus loin. Avant 2015, ce service fonctionnait également le dimanche;
- Offrir des services de conseil aux procureurs de la Couronne, par exemple sur la préparation de la preuve.
- On sait de la preuve[52] que :
- De 2002 au 30 janvier 2004, il y a eu dans certaines régions du Québec (pas à Montréal ni à Québec) un système de comparution téléphonique des fins de semaine et de jours fériés[53], les comparutions se déroulant devant un juge de paix qui est un employé du ministère de la Justice du Québec. Ce système est arrêté le 30 janvier 2004 suite à un arrêt de la Cour d’appel du Québec[54] qui indique que ces juges de paix n’ont pas les garanties d’indépendance suffisantes. La Loi sur les tribunaux judiciaires a été par la suite modifiée pour créer le poste de juge de paix magistrat, ou « JPM »;
- De 2007 jusqu’au 19 juin 2015, il y a un système de comparution téléphonique en région pour les samedis, dimanches et jours fériés, devant un juge de paix magistrat. Le BSC a alors 15 procureurs à temps plein pour ces tâches. À partir d’avril 2013, les plages horaires offertes sont le vendredi soir entre 18 heures et 22 heures, le samedi, le dimanche et les jours fériés entre 7 h 30 et 22 heures. Les plages horaires étaient plus étendues avant le 5 avril 2013[55], incluant la nuit pour certains districts judiciaires. Les districts de Montréal et de Québec ne se prévalent pas de ce système de comparution téléphonique et ont uniquement des comparutions en personne le samedi et les jours fériés, devant un juge de la Cour du Québec. Dans tous ces cas (outre les districts de Montréal et de Québec), les comparutions sont devant les juges de paix magistrats de la Cour du Québec et, pour les personnes qu’on veut remettre en liberté avec certaines conditions, devant les juges de paix fonctionnaire. La diminution des plages horaires d’avril 2013 (on enlève les juges de paix magistrats les nuits de fins de semaine) est une décision de la Cour du Québec, que le DCPC et le ministère de la Justice n’ont pas eu le choix d’accepter. La Cour du Québec n’a consulté personne avant de prendre cette décision;
- Selon Me Anick Murphy[56], ce changement de la Cour du Québec occasionne à partir d’avril 2013 un casse-tête majeur au DPCP et au BSC, en dehors de Montréal et de Québec. Puisqu’il n’y a plus de comparution en continu la nuit des fins de semaine, les procureurs du BSC doivent travailler en double les samedis et dimanches matin afin de pouvoir faire rentrer toutes les comparutions dans les plages horaires existantes. Il y a une surcharge de travail pour les procureurs du BSC la fin de semaine, qui n’est finalement pas allégée par l’ajout de procureurs de la Couronne qui se portent volontaire pour aider en temps supplémentaire. Il y a également des dépenses en heures supplémentaires d’environ 90 000 $ par année par le DPCP (Voir p. 7 de la Pièce P-35);
- Le 19 juin 2015[57], face à ce casse-tête qu’il estime insurmontable, le DPCP retire les comparutions devant le juge de paix magistrat en région les dimanches et les jours fériés puis, diminue les heures du samedi, laissant uniquement le vendredi soir de 18 heures à 22 heures et le samedi de 7 h 30 à 16 h 30 comme comparution devant les juges de paix magistrats. Une personne qu’on veut remettre en liberté avec ou sans conditions peut cependant comparaître devant un juge de paix fonctionnaire en région (hors Québec et Montréal) les dimanches et les jours fériés, si ce juge a compétence pour se prononcer sur les conditions données. Me Catherine Duguay du BSC du DPCP a spécifiquement admis en contre-interrogatoire que, à cause de ces restrictions de plages horaire, elle savait à l’époque de 2015 à 2019 qu’il y avait des détenus dont la comparution n'aurait pas lieu dans les 24 heures et n’a pas eu lieu dans les 24 heures de leur arrestation, le tout du 19 juin 2015 à la fin d’octobre 2019;
- Quant aux districts de Montréal et de Québec à partir du 19 juin 2015, ils ne se prévalent toujours pas du système de comparution téléphonique et ont uniquement des comparutions en personne le samedi et les jours fériés, devant un juge de la Cour du Québec. Il n’y a aucune comparution le dimanche;
- En contre-interrogatoire, Me France Lynch, sous-ministre du ministère de la Justice, a indiqué ceci quant au retrait des comparutions le dimanche le 19 juin 2015 :
- Le ministère de la Justice et elle n’étaient pas d’accord avec la décision du DPCP d’arrêter les comparutions le dimanche, et elle a su par personnes interposées que la Cour du Québec appuyait la position du DPCP. Ni elle ni le ministère de la Justice n’ont fait de protestation, ni exprimé de désaccord par écrit, mais elle a indiqué qu’elle a sûrement dit verbalement son désaccord avec cette mesure aux personnes du DPCP, même si elle n’en a pas le souvenir exact;
- Elle a indiqué qu’elle était consciente en 2015 que cette mesure risquait que des personnes arrêtées et détenues la fin de semaine ne puissent pas comparaître dans le délai de 24 heures;
- Elle a déclaré que les représentants du DPCP lui ont dit que le DPCP assumait les risques de cette décision. Elle sait que ces risques sont les remèdes constitutionnels, comme l’arrêt des procédures ou des recours en dommages;
- Elle a signalé que le ministère de la Justice n’a jamais envoyé de mise en demeure ni saisi la Cour supérieure d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du DPCP d’arrêter les comparutions le dimanche ni de la décision de la Cour du Québec de supporter cette mesure. Aucune demande de médiation à ces égards n’a été faite;
- Me Lynch a dit que le ministère de la Justice n’a jamais demandé ni poussé pour que le gouvernement adopte un décret qui mettrait en vigueur l’article 174 de la Loi sur les tribunaux judiciaires qui aurait établi un service de comparution 7 jours sur 7;
- Elle a signalé que le ministère de la Justice n’a jamais fait des audits ou des vérifications pour s'assurer de l'application de l'article 9 de la partie 3 de l'annexe 1 des ententes Pièces P-1 et P-2 entre 2005 et 2020 quant aux cours municipales de Montréal et de Québec, soit les cas où il n’est pas possible de comparaître en 24 heures devant ces cours municipales[58]. Le ministère de la Justice n’a pas non plus demandé entre 2005 et 2020 à la Ville de Montréal et à la Ville de Québec de s'assurer que les comparutions dans leurs dossiers puissent avoir lieu dans un délai maximal de 24 heures[59];
- Me Murphy a dénoncé qu’en mars 2018, le DPCP a tenté de réinstaurer le service de comparutions téléphoniques devant les juges de paix magistrats les dimanches[60]. Or, le 9 mars 2018, la Juge en chef adjointe de la Cour du Québec informe[61] le DPCP que la direction de la Cour du Québec n’a pas l’intention de mettre en place un système de comparutions le dimanche devant les juges de paix magistrats;
- L’état commence à mettre progressivement en place un système provincial de véritable comparution téléphonique devant les juges de paix magistrats pour les dimanches et les jours fériés à partir du 27 octobre 2019, lequel système est finalement en place partout au Québec en mars 2020 et se passe désormais devant un juge de la Cour du Québec. En octobre 2019, les districts de Montréal et de Québec ne font pas immédiatement partie du système[62]. Cependant, depuis mars 2020, il existe partout au Québec un service provincial de comparution les fins de semaine et les jours fériés, maintenant devant des juges de la Cour du Québec. Ce système permet maintenant le respect dans tous les cas du délai de 24 heures prévu au Code criminel, depuis au moins le début de 2022 selon Me Porter du BSC. Ce service fonctionne maintenant depuis septembre 2020 par visioconférence, le samedi, les dimanches et les jours fériés, dans des plages horaires données. Il y a aussi des comparutions exceptionnelles en dehors de ces plages lorsque requis. Ce système a coûté 16,3 millions de dollars au DPCP depuis 2019 à aujourd’hui. La taille du BSC a plus que doublé depuis 2019; il y a maintenant 30 procureurs au BSC;
- Selon Me Érika Porter du BSC du DPCP, l’État s’est mis à bouger en 2019 suite à l’arrêt R. v. Reilly[63] de la Cour d’appel de l’Alberta du 28 mai 2019, portant sur les comparutions téléphoniques dans le délai de 24 heures. On verra le communiqué aux juges de paix magistrats du 25 octobre 2019 de la juge en chef de la Cour du Québec[64]. Mes Porter et Duguay ont indiqué que, jusqu’en 2019, la jurisprudence n’exigeait pas clairement le respect du délai de 24 heures et qu’on assujettissait ce délai aux disponibilités d’un juge. Le Tribunal répète ici que ces affirmations sont fausses puisque le délai de 24 est de rigueur depuis des décennies;
- Comme Me Porter l’a reconnu lors de son contre-interrogatoire, bien qu’elle ne l’ait pas mentionné lors de son interrogatoire en chef, l’autorisation de la présente action collective le 9 juillet 2019 a été un catalyseur essentiel pour que l’État se mobilise finalement pour mettre en place un système garantissant une comparution dans un délai maximal de 24 heures à toute personne arrêtée et détenue. C’est ce qui est écrit comme première raison dans la lettre de Me Murphy du 19 juillet 2019 (Pièce P-29K);
- Me Porter a admis en contre-interrogatoire que le nouveau système mis en place progressivement à partir d’octobre 2019 respecte la lettre de 503 Code criminel, à savoir que personne ne reste désormais plus de 24 heures dans une cellule d’un poste de police sans voir un juge dans les 24 heures. Le Tribunal constate que cela signifie que le système en place avant octobre 2019 ne respectait pas systématiquement la lettre de l’article 503 du Code criminel, donc que le système ne permettait pas le respect systématique du 24 heures;
- Quant aux adolescents, la preuve[65] démontre que, pour le district de Montréal de 2015 à 2019, les adolescents qui sont arrêtés en fin de semaine et durant les jours fériés sont détenus dans un centre de détention spécial pour les jeunes, et non pas au poste de police. Après leurs comparutions, s’ils restent détenus, ils retournent à ce centre. Lorsque ces adolescents sont arrêtés le vendredi soir ou tôt le samedi, ils peuvent comparaître en personne le samedi devant un juge de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, généralement dans les 24 heures. Quand ils sont arrêtés entre le samedi après-midi et le dimanche après-midi de 2015 à 2019, ils comparaissent uniquement le lundi matin en Cour du Québec, chambre de la jeunesse, ce qui donne un délai de plus de 24 heures pour la comparution[66]. Depuis 2020, le nouveau système de comparution par visioconférence décrit précédemment fait en sorte que les adolescents arrêtés les fins de semaine et les jours fériés ont une comparution dans les 24 heures de leur arrestation.
- Donc, en résumé, pour la période de l’action collective à compter du 19 juin 2015 et jusqu’en 2019-2020 :
- Le système de comparutions téléphoniques devant un juge de paix fonctionnaire et devant un juge de paix magistrat est maintenu le samedi, dans les régions;
- De la même manière, dans les districts de Montréal et de Québec, les comparutions en personne devant un juge de la Cour du Québec sont maintenues le samedi;
- Les dimanches, il est possible de comparaître devant un juge de paix fonctionnaire, et ce, dans tous les districts du Québec. Selon les pouvoirs qui lui sont dévolus, le juge de paix fonctionnaire peut présider une comparution et libérer un détenu dans la mesure où il y a consentement aux conditions de remise en liberté que seul un juge peut imposer. Il n’est toutefois pas possible de faire comparaître un prévenu le dimanche devant les juges de paix magistrats, et ce, pour aucun district au cours de la période de l’action collective;
- Il n’est donc pas possible de faire comparaître un prévenu devant un juge de paix magistrat en vue d’une objection à la remise en liberté et l’obtention d’un mandat de renvoi. Ainsi, les prévenus pour qui le poursuivant souhaite s’opposer à la remise en liberté sont maintenus sous garde jusqu’au lundi sans comparaître devant un juge de paix magistrat le dimanche;
- En tout temps pendant la période en litige, selon le Guide du BSC (Pièce P-29J), les procureurs du BSC doivent demeurer disponibles les dimanches et les jours fériés pour conseiller les agents de la paix sur leurs pouvoirs de remise en liberté, ainsi que pour faire comparaître les prévenus devant un juge de paix fonctionnaire afin d’imposer des conditions de remise en liberté hors des pouvoirs policiers;
- Le Tribunal rappelle qu’il a déjà mentionné précédemment que les agents de la paix doivent passer par l’entremise d’un procureur du DPCP, qui prépare la dénonciation et qui représente le poursuivant lors de la comparution, afin de faire comparaitre la personne détenue devant un juge de paix, magistrat ou fonctionnaire. La preuve a aussi démontré que, durant la fin de semaine, c’est également le procureur du DPCP qui contacte le greffe central pour demander une plage de comparution, s’il juge qu’une comparution doit être tenue. En raison du système en place, le DPCP contrôle le dépôt des accusations et l’accès au juge de paix, magistrat ou fonctionnaire.
- Ces faits sont-ils source de responsabilité de la part du PGQ?
- Le demandeur prétend qu’il y a faute du PGQ à tous égards. Le PGQ accepte qu’il y ait eu des violations et certaines fautes, mais pas de façon généralisée et sujet à plusieurs sous-catégories et restrictions diverses, le tout menant à un recouvrement individuel pour certains sous-groupes de membres. Que décider?
- Rappelons que, lors des plaidoiries et dans son plan d’argumentation, le PQG fait l’admission selon laquelle le retrait du 19 juin 2015, par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, des comparutions téléphoniques du dimanche devant des juges de paix magistrats contrevient à l’article 503 du Code criminel, à l’article 24 de la Charte du Québec et à l’article 9 de la Charte canadienne. Le Tribunal constate que cette date du 19 juin 2019 est non seulement le point de départ du groupe, mais que finalement la décision du DPCP d’arrêter les comparutions le dimanche par les JPM est l’élément déclencheur de la présente action collective.
- En fonction de ce qui a été expliqué précédemment, le Tribunal décide que l’absence de comparution les dimanches et les jours fériés pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention se trouve à violer l’article 503 du Code criminel. Cela viole également les articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec et l’article 9 de la Charte canadienne, car il s’agit d’une détention arbitraire après l’expiration du délai de 24 heures. La jurisprudence est unanime à cet effet[67]. Tout comme elle reconnaît[68] qu’un système de comparution qui ne permet pas les comparutions les fins de semaine viole systématiquement ces mêmes dispositions des chartes.
- Selon le Tribunal, une détention arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte canadienne constitue une violation des articles 24 et 31 de la Charte du Québec, qui interdisent toute privation de droits sans juste cause et selon la procédure prescrite par la loi.
- Mais cela signifie-t-il que le PGQ a commis une faute entraînant sa responsabilité civile extracontractuelle et/ou qu’il est responsable de dommages compensatoires et/ou punitifs en vertu de Charte du Québec et de la Charte canadienne?
- On sait de la jurisprudence[69] que :
- L’action collective ne constitue qu’un moyen procédural et son utilisation n’a pas pour effet de modifier les règles de fond applicables au recours individuel;
- L’action collective ne modifie ni ne crée des droits substantiels. Elle ne modifie pas non plus les règles substantielles du droit de la preuve, dont celles de la responsabilité civile. Le demandeur doit prouver l’existence de chacun des éléments constitutifs du droit qu’il revendique, en l’occurrence la faute, le préjudice et le lien de causalité entre les deux, à l’égard de chacun des membres du groupe pris individuellement;
- La démonstration que les membres ont subi des conséquences directes et immédiates de ce comportement fautif doit être faite. Si le moyen choisi est une preuve par présomptions, ces dernières doivent être graves, précises et concordantes (art. 2849 CcQ);
- Ainsi, bien qu’il ne soit pas exigé en matière d’action collective de faire témoigner tous les membres du groupe pour établir notamment le préjudice subi par chacun d’eux ou le lien de causalité, la preuve soumise doit être néanmoins suffisante pour démontrer par présomption l’application de ces éléments à l’ensemble des membres;
- L’utilisation du recours collectif ne dispense pas le demandeur de faire la preuve d’un préjudice personnel pour chacun des membres du groupe au moment de l’analyse du bien-fondé du recours, même s’il existe une étape subséquente relativement au recouvrement. Il doit prouver également que la faute en question a causé le préjudice allégué, et ce, pour chaque membre.
- Quant à la Charte du Québec, on sait aussi que[70] :
- Le premier alinéa de l’article 49 prévoit la possibilité d’obtenir une réparation pour le préjudice moral ou matériel qui résulte d’une atteinte illicite à la Charte. Il faut une atteinte illicite, et pas simplement une violation du droit protégé;
- Pour conclure à l’existence d’une atteinte illicite, il doit être démontré qu’un droit protégé par la Charte du Québec a été violé et que cette violation résulte d’un comportement fautif. Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte du Québec elle-même;
- Le demandeur doit également démontrer un préjudice et le lien de causalité, notions distinctes de la faute et de l’atteinte illicite;
- On ne peut imputer des dommages du seul fait qu’il y a eu atteinte à un droit garanti par la Charte du Québec. La démonstration d’un dommage est essentielle.
- Somme toute, la partie qui invoque une atteinte à l’un de ses droits fondamentaux doit donc démontrer les éléments traditionnels de la responsabilité civile extracontractuelle, soit la faute, le dommage et le lien de causalité. Il ne peut pas y avoir double indemnisation pour un dommage compensatoire.
- Le Tribunal étudie plus loin la question de la Charte canadienne et la question des dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec.
- Le Tribunal constate donc que le PGQ a raison de dire que la simple violation d’une loi ou de la Charte du Québec n’équivaut pas à une faute. C’est d’ailleurs ce que reconnaît la jurisprudence[71]. Il faut que le comportement équivaille à une faute selon les circonstances qui prévalaient à l’époque.
- Donc y a-t-il faute ou atteinte illicite ici?
- Le Tribunal précise que la présente section ne vise pas les membres liés aux Villes de Montréal et Québec.
- Le PGQ ne conteste pas (mais n’admet pas) qu’il ait commis une faute et une violation illicite pour tous les membres qui ne sont pas dans les 5 catégories suivantes :
- Membres du groupe qui ont été arrêtés erronément ou qui auraient pu être libérés directement par un agent de la paix ou en comparaissant devant un juge de paix fonctionnaire;
- Tous les membres qui n’ont pas comparu dans les 24 heures en raison de l’absence de comparution les dimanches dans les districts de Montréal et Québec;
- Tous les membres du groupe à partir du 9 mars 2018;
- Tous les membres pour l’absence de comparution en raison d’un jour férié;
- Tous les membres ayant eu comparution au-delà du délai de 24 heures en raison de l’horaire de la Cour le lundi.
- Pour le PGQ, il n’a pas commis de faute ni d’atteinte illicite pour ces 5 catégories de membres.
- Le Tribunal note que les questions des membres liés aux cours municipales de Montréal et de Québec et de la date de fermeture du groupe sont étudiées plus loin. Le Tribunal note aussi que, pour ces cinq groupes, le PGQ argumente qu’il n’y a pas non plus d’atteinte illicite et intentionnelle au sens du l’alinéa 2 de l’article 49 de la Charte du Québec. Le PGQ argumente aussi qu’il n’y a pas d’atteinte illicite et intentionnelle pour tous les autres membres du groupe, donc pour tout le groupe.
- Que conclure de cela?
- Le Tribunal est d’accord avec l’absence de contestation du PGQ. Le Tribunal va plus loin et décide que, sous réserve de l’étude des 5 catégories qui est faite dans les paragraphes suivants :
- L’absence de comparution les dimanches et les jours fériés pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention viole l’article 503 du Code criminel et les articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec et l’article 9 de la Charte canadienne;
- Ces violations de la loi et des chartes constituent une faute et une atteinte illicite car elles résultent d’une omission d’avoir mis en place en place un système de comparution permettant à toute personne arrêtée et détenue de comparaître dans un délai maximal de 24 heures. Le fait d’avoir enlevé la journée du dimanche à partir du 19 juin 2015 est une illustration de cette faute et atteinte illicite;
- Il s’agit également d’une faute car l’obligation de mettre en place le système de comparution respectant l’article 503 du Code criminel et les chartes est une obligation de résultat, comme décidé précédemment. Les contraintes économiques et budgétaires ne sont pas une défense à cet égard, bien qu’elles puissent entrer dans l’analyse des dommages punitifs.
- Mais, sous réserve des membres visés par les ententes liées aux cours municipales de Montréal et de Québec, y a-t-il faute pour tous les membres du groupe ou y a-t-il plutôt des sous-catégories? Cela entraîne l’étude des 5 catégories de non-responsabilité proposées par le PGQ. Débutons par les membres du groupe qui ont été arrêtés erronément ou qui auraient pu être libérés directement par un agent de la paix ou en comparaissant devant un juge de paix fonctionnaire.
- Le PGQ argumente ceci pour supporter sa non-responsabilité à l’égard de ces membres :
- L’obligation première de remettre un prévenu en liberté revient à l’agent de la paix. Lorsque le fonctionnaire responsable est d’avis que la situation commande la détention du prévenu arrêté, cela doit être pour les motifs prévus à la loi, soit ceux de l’article 498 (1.1) du Code criminel. Ces motifs sont similaires à ceux du paragraphe 515 (10) que le juge doit considérer lorsqu’il entend une enquête sur remise en liberté;
- Le PGQ n’est pas celui qui a arrêté ou détenu le demandeur ni aucun autre membre du groupe;
- Durant la période en litige, les procureurs du BSC étaient disponibles en tout temps pour prodiguer les conseils appropriés en matière de remise en liberté;
- Le PGQ ne peut donc être tenu responsable d’une mauvaise décision de l’agent de la paix quant à l’arrestation ou la détention d’un prévenu ou encore du défaut par un agent de la paix de se prévaloir des services conseils du BSC;
- De plus, toujours au cours de la période en litige, le système mis en place permettait en tout temps de faire comparaître des prévenus afin de les libérer à des conditions que seul un juge peut imposer devant un juge de paix fonctionnaire.
- Encore une fois, l’obligation première de faire comparaître un détenu dans un délai maximal de 24 heures revient aux agents de la paix. Le texte de l’article 503 est d'ailleurs explicite à cet égard;
- Ainsi, les cas pour lesquels les agents de la paix n’auraient pas utilisé le système mis en place ne sauraient être imputés à la faute alléguée contre le PGQ en l’espèce;
- Par ailleurs, l’action collective, telle qu’instituée, ne vise pas le PGQ à titre de représentant d'un agent de la paix. Le PGQ n’est pas non plus poursuivi pour avoir fait défaut de promouvoir le système de comparutions devant les juges de paix fonctionnaires ou les services du BSC, mis à la disposition de tous les corps policiers de la province pendant toute la période en litige;
- À tout évènement, le témoignage de Michel Breton démontre que lors de l’implantation des comparutions téléphoniques, de la formation a été donnée au corps policier et qu’elle informait ces derniers de la nécessité de contacter le BSC. Par ailleurs, le Guide 2016.10[72] fait la promotion du bureau de service-conseil, notamment concernant la consultation sur la remise en liberté ou la détention d’une personne arrêtée. De plus, le 3 octobre 2018, il y a eu un rappel à tous les corps policiers du Québec qu’il était possible à tout moment pendant la fin de semaine de procéder à une comparution téléphonique pour les suspects dont la situation commande une remise en liberté à des conditions que seul un juge peut imposer et qu’ils peuvent communiquer avec le BSC pour toute question concernant la détention ou la remise en liberté d’une personne arrêtée, même lorsque le système de comparution téléphonique n’est pas en fonction. On verra la Pièce PGQ-12 et la Pièce PGQ-29 (pp. 313 à 317);
- Finalement, quant aux membres invisibles, soit ceux qui auraient été détenus plus longtemps que 24 heures, mais qui auraient été libérés avant leur comparution par l’agent de la paix, le PGQ soumet qu’il ne peut en être tenu responsable parce que la faute n’est pas en lien avec l’absence de système de comparutions le dimanche. De plus, aucune preuve n’a été faite permettant de déterminer pourquoi ces membres ont finalement été remis en liberté par le biais des pouvoirs de l’agent de la paix;
- Par conséquent, la responsabilité du PGQ ne devrait pas être engagée pour les membres du groupe qui auraient pu être remis en liberté par un agent de la paix ou par un juge de paix fonctionnaire et l’action collective devrait être rejetée à cet égard.
- Le Tribunal ne peut retenir ces arguments, pour les raisons qui suivent.
- Premièrement, pour les personnes arrêtées qui sont libérées avant l’expiration du délai de 24 heures, le Tribunal n’a pas à les étudier car elles ne sont pas dans le groupe. La suite vise uniquement les personnes arrêtées qui passent plus de 24 heures avant d’être libérées soit par un policier ou par un juge de paix fonctionnaire.
- Deuxièmement, quant aux cas de remises en liberté via le juge de paix fonctionnaire, les témoins du PGQ lui-même démontrent les policiers ne peuvent pas contacter directement le JPF et que ce sont plutôt les procureurs du DPCP qui contrôlent cet accès. Ainsi, il y a donc intervention du DPCP et le PGQ est donc fautif si le délai de 24 heures pour la comparution est dépassé.
- Troisièmement, pour les personnes arrêtées qui sont libérées directement par les policiers après un délai de 24 heures de détention et qui ne comparaissent jamais, le Tribunal est d’avis que le PGQ a commis une faute qui est en lien direct avec l’absence de système de comparutions le dimanche. Les motifs qui suivent expliquent le raisonnement du Tribunal, qui s’applique également au cas précédent.
- Dans tous ces cas, le PGQ blâme les policiers d’avoir négligé de faire libérer ces personnes plus tôt, alors que le système existant à l’époque le permettait techniquement, et d’avoir plutôt choisi d’attendre la comparution du lundi matin.
- Selon le Tribunal, par cet argument, le PGQ illustre plutôt l’importance capitale du respect de l’article 503 du Code criminel, qui sert justement de garde-fou au citoyen contre l’exercice par les forces de l’ordre de leur pouvoir discrétionnaire.
- Il appartient au policier de décider de mettre une personne en liberté avec ou sans conditions ou de la garder détenue jusqu’à sa comparution. La comparution permet d’assurer le transfert de la personne détenue du pouvoir policier discrétionnaire vers le pouvoir judiciaire impartial pour faire contrôler sa détention extrajudiciaire.
- Si un système de comparution avait été disponible le dimanche, les policiers n’auraient pas pu faire le choix de dépasser le 24 heures et de maintenir les détentions jusqu’au lundi matin, vu qu’ils n’auraient eu aucune justification de ne pas respecter le délai de 24 heures, peu importe leur position sur la remise en liberté. Autrement dit, s’il y avait eu un système de comparution dans les 24 heures la fin de semaine, ces personnes auraient été libérées à leur comparution; d’où la faute du PGQ de ne pas avoir mis en place un tel système, ce qui a résulté en la détention de plus de 24 heures de ces personnes sans comparution.
- L’absence de comparutions les dimanches a donné libre cours au pouvoir discrétionnaire des forces de l’ordre et a privé les personnes détenues de la protection qui vise justement à baliser par des limites claires l’exercice de ce pouvoir.
- L’absence de comparution le dimanche, sauf devant JPF, permet au policier d’offrir au prévenu le choix suivant : accepter les conditions qu’il désire lui imposer, en quel cas il pourra être libéré immédiatement, ou continuer d’être détenu – en contravention de l’article 503 – jusqu’au lundi matin afin de comparaître devant un juge. C’est justement contre ce type de situation que l’article 503 cherche à protéger l’individu.
- Par ailleurs, et de façon subsidiaire, même si une faute peut être attribuée aux policiers dans certaines situations particulières, il demeure que l’omission systématique par l’État de mettre en place un système de comparution adéquat a porté atteinte aux droits fondamentaux des personnes détenues en les privant de leur droit absolu de comparaître dans un délai maximal de 24 heures et de faire contrôler leur détention. Au pire, l’État serait alors solidairement responsable des dommages qui en découlent, aux termes de l’article 1526 CcQ :
1526. L’obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle.
- Cependant, l’article 1480 CcQ s’applique aussi et se lit ainsi :
1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu’elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice, sans qu’il soit possible, dans l’un ou l’autre cas, de déterminer laquelle l’a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.
- Comme l’écrivait Me Patrick Michel du DPCP dans une lettre du 5 mai 2006, « la responsabilité d’assurer la comparution des personnes arrêtées conformément à l’article 503 C.cr. est partagée par tous les intervenants du système judiciaire, dont le procureur général et ses poursuivants » (dans la Pièce P-36 en liasse, p. 5).
- Le Tribunal rejette donc cet argument du PGQ. Le PGQ a commis une faute envers ces membres, qui demeurent donc dans le groupe. On constate que cela inclut les membres invisibles, qui sont estimés très grossièrement par les avocats des deux parties (pas par leurs experts) à possiblement environ entre 200 et 400 personnes de juin 2015 à 2019-2020. Le Tribunal revient plus loin sur cette évaluation.
- Enfin, si jamais l’argument du PGQ incluait également tous les membres du groupe en rejetant complètement la faute sur les policiers, le Tribunal ne peut accepter cet argument pour les mêmes raisons. Comme déjà indiqué, même si l’agent de la paix a la responsabilité initiale d’amener le prévenu devant le juge de paix, c’est en réalité également une responsabilité du DPCP qui est impliqué tout au long du processus de la comparution, via le BSC.
- Passons à la deuxième catégorie du PGQ.
- Rappelons que, pour les districts de Montréal et de Québec, pendant la période, il y a seulement des comparutions en personne le samedi devant un juge de la Cour du Québec, et rien le dimanche. Il n’y a pas de comparutions téléphoniques.
- Le PGQ argumente ceci pour supporter sa non-responsabilité à l’égard de ces membres :
- Le PGQ soumet n’avoir commis aucune faute engageant sa responsabilité quant aux districts de Montréal et Québec.
- Dès 2002, le MJQ et le DPCP ont travaillé de concert avec la Cour du Québec pour mettre en place un projet pilote qui devait s’étendre dans toute la province et qui prévoyait un système de comparutions téléphoniques 24 heures sur 24 la fin de semaine. Le projet pilote a effectivement été étendu dans l’ensemble des districts de la province, à l’exception de Montréal et Québec;
- En 2012, la Cour du Québec refuse l’implantation du projet pilote au district de Québec. Autrement dit, la Cour du Québec refuse d’assigner des juges de paix magistrats les dimanches pour entendre des comparutions le dimanche. Or, cette décision relève de son indépendance judiciaire, reconnue pour les tribunaux supérieurs et pour les cours provinciales[73];
- L’indépendance judiciaire est l’une des valeurs constitutionnelles traditionnelles du système juridique canadien. Il s’agit non seulement d’un état d’esprit, mais aussi d’un statut ou d’une relation avec autrui, particulièrement avec l’organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives;
- L’indépendance judiciaire couvre à la fois les rapports individuels, c’est-à-dire l’indépendance individuelle d’un juge, que les rapports institutionnels, c’est-à-dire l’indépendance institutionnelle du tribunal qui ressort de ses rapports institutionnels ou administratifs avec les organes exécutifs et législatifs du gouvernement. La Cour suprême du Canada identifie comme l’une des conditions essentielles de l'indépendance judiciaire, l'indépendance institutionnelle du tribunal relativement aux questions administratives qui ont directement un effet sur l'exercice de ses fonctions judiciaires[74];
- Il est reconnu que l’autonomie administrative comprend l’assignation des juges, les séances de la Cour et le rôle de la Cour. La Loi sur les tribunaux judiciaires donne au juge en chef de la Cour du Québec les prérogatives de gestion, d’assignation et de fixation des séances de cour. On verra les articles 96, 137 et 169;
- En l’espèce, aucune responsabilité ne peut être imputable au PGQ, tant en fait qu’en droit, à l’égard de l’absence de comparution découlant de la désignation des séances de la Cour ou de l’assignation des juges de paix magistrats dans les districts de Québec et Montréal;
- Il apparaît clairement des témoignages entendus qu’il était impossible de déployer le système de comparution sans l’aval de la Cour du Québec :
- Témoignage de M. Michel Breton, le 31 janvier 2025;
- Témoignage de M. Jacques Mercier, le 3 février 2025;
- Témoignage de Me France Lynch, le 30 janvier 2025;
- Quant au système en place au cours de la période en litige dans ces deux districts, il permet la comparution d’un prévenu, dont la remise en liberté ne fait pas l’objet d’une opposition par le DPCP, et qui peut être libéré à des conditions que seul un juge peut imposer, dont le juge de paix fonctionnaire. En effet, le MJQ, dans sa prérogative, s’est assuré que des juges de paix fonctionnaires soient présents les dimanches dans l’ensemble des districts de la province au cours de la période en litige. Quant au DPCP, il conserve en place le service du BSC pour effectuer ce type de comparution et pour conseiller les policiers sur leur pouvoir de remise en liberté d’une personne arrêtée;
- Il ressort clairement de la preuve que le PGQ, dans les districts de Montréal et Québec a mis en place un système de comparution dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés;
- Par conséquent, le demandeur ne démontre aucune faute ou atteinte à un droit ou une liberté protégé par les chartes pouvant engager la responsabilité du PGQ pour les districts judiciaires de Québec et de Montréal.
- Le Tribunal ne peut retenir ces arguments, pour les raisons qui suivent.
- Le PGQ plaide que l’absence de comparutions le dimanche dans les districts de Montréal et de Québec ne peut lui être reproché, car il découle du refus de la Cour du Québec de les permettre, face auquel le PGQ était impuissant, contrairement à la décision proactive du DPCP de retirer les comparutions téléphoniques existantes en région.
- De l’avis du Tribunal, cet argument ignore tout d’abord que, comme on l’a vu à la section 4.1.1.4.1, c’est l’État qui a une obligation de résultat de mettre en place un système de comparution qui garantit la comparution de toute personne détenue dans un délai maximal de 24 heures, conformément à l’article 503 du Code criminel.
- Cet argument conduit également à un résultat absurde où, même si des personnes voient leurs droits constitutionnels violés en pleine connaissance de tous les acteurs du système de justice – et même une connaissance d’avance que cette violation va survenir – , alors ces personnes n’auraient aucun recours en dommages contre quiconque vu l’immunité de la Cour du Québec. Ce résultat n’a aucun sens et donne un pouvoir totalement démesuré aux tribunaux.
- De toute façon, le Tribunal n’a pas à aller plus loin sur le rôle, ou le non-rôle de la Cour du Québec, car, bien que tous les acteurs du système judiciaire soient responsables de la mise en place d’un système de comparution, il revient ultimement au MJQ de s’assurer que les affaires publiques soient administrées conformément à la loi et c’est à lui que revient la surveillance de toutes les matières qui concernent l’administration de la justice au Québec, comme déjà mentionné à la section 3.4 du présent jugement et décidé à la section 4.1.1.4.1.
- Les articles 3b et 3c de la Loi sur le ministère de la Justice[75] se lisent ainsi :
3. Le ministre de la Justice est le jurisconsulte du lieutenant-gouverneur et le membre jurisconsulte du Conseil exécutif du Québec.
Le ministre:
[…]
b) veille à ce que les affaires publiques soient administrées conformément à la loi;
c) a la surveillance de toutes les matières qui concernent l’administration de la justice au Québec à l’exception de celles qui sont attribuées au ministre de la Sécurité publique
- De toute façon, le Tribunal n’a pas à aller plus loin sur la question, ni même à étudier la position de la Cour du Québec. L’obligation de résultat de mettre en place le système de comparution s’impose au PGQ et ce dernier doit prendre les mesures pour le faire. Or, ici, dans les faits, le PGQ n’a pas fait ce qu’il aurait pu faire, même en supposant que la Cour du Québec était opposée aux comparutions du dimanche.
- En effet, s’il n’y a pas de système de comparution à Québec et à Montréal durant la période de l’action collective, ce n’est aucunement seulement en raison d’une impasse avec la Cour du Québec, car le PGQ disposait d’une panoplie de moyens pour résoudre une telle impasse. Or, il n’en a utilisé aucun, d’où faute et atteinte illicite. Au pire, même si l’obligation du PGQ était une obligation de moyens, la preuve révèle que le PGQ n’a pas pris tous les moyens qu’une personne raisonnable aurait pris pour régler le problème des comparutions du dimanche à Montréal et à Québec.
- Voici pourquoi.
- Quant à Montréal : Il n’existe aucune preuve que le PGQ ait demandé à la Cour du Québec d’instaurer des comparutions téléphoniques à Montréal, ni même des comparutions en personne le dimanche.
- Le PGQ a arbitrairement décidé que son plan de déploiement serait de débuter par les régions, puis Québec, et finalement Montréal.
- Bien que la Cour du Québec ait accepté ce déploiement en régions, des témoins du PGQ ont affirmé que le juge coordonnateur Mario Tremblay aurait refusé ce déploiement à Québec.
- Tous (dont Me Lynch et Me Murphy) admettent qu’aucune démarche n’a été faite en ce qui concerne Montréal, qui représentait un défi organisationnel plus important et aurait requis de doubler l’équipe du BSC. Ce défaut de faire des démarches est une faute et une atteinte illicite par le PGQ.
- Quant à Québec : Selon le Tribunal, comme il l’explique plus bas, les réticences du Juge coordonnateur Tremblay portaient sur le concept des comparutions devant un JPM, qu’il estimait problématiques.
- Or, l’obligation du PGQ n’était pas d’instaurer un système de comparution par voie téléphonique devant JPM à travers la province. Son obligation était, et a toujours été, d’élaborer et de mettre en place un système garantissant le respect de l’article 503 du Code criminel. Rien ne le contraignait à ne contempler que cette option, si celle-ci était problématique pour la Cour du Québec. Il y avait d’autres options, comme de suggérer des comparutions devant des juges de la Cour du Québec ou même des juges de la Cour supérieure. D’ailleurs, c’est ce que le législateur lui-même avait prévu en 2004.
- En adoptant le Projet de loi n° 50 en 2004[76], le législateur a créé le poste de JPM et leur a permis de présider des comparutions et d’émettre un mandat de renvoi pour aider l’État à se conformer à son obligation de respecter l’article 503 du Code criminel. C’est ce qui ressort du Journal des débats de la Commission des institutions du 1er et 8 juin 2004 (Pièce P-3, p. 4, le Tribunal souligne) :
M. Dupuis : En fait, ce que ça veut faire, M. le Président, c'est éviter de faire référence à l'article 503 nommément, parce que, évidemment, si le Code criminel devait être amendé et que le numéro de l'article devait changer, ça nous oblige bien sûr à venir amender cette loi-ci.
[…]
M. Dupuis : Ça va. Alors, [la disposition 174] prévoit donc une obligation pour le ministère public et la magistrature d’offrir le service de comparution par voie téléphonique, en vue de satisfaire à l’obligation constitutionnelle de faire comparaître un prévenu le plus tôt possible après son arrestation. Elle prévoit ainsi que ce service devra être assuré sans interruption les fins de semaine, les jours fériés ainsi que, sur semaine, en dehors des heures ouvrables. Elle prévoit de plus que les juges de paix magistrats assureront ce service en outre des juges de la Cour du Québec qui pourront y être affectés par le juge en chef. Ça va?
- On voit cependant que les JPM sont l’un des outils prévus par le législateur pour le système des comparutions; on parle spécifiquement des juges de la Cour du Québec comme autre outil.
- Donc, les JPM et le service de comparution par voie téléphonique envisagé n’étaient que des outils dont le MJQ pouvait se servir dans l’élaboration de son système de comparution (avant qu’ils soient déclarés inconstitutionnels en 2022[77]).
- Cela ressort du texte de loi. Dans le Projet de loi n° 50 tel qu’adopté, l’article 174 de la Loi sur les tribunaux judiciaires a été ajouté, mais il n’a jamais été mis en vigueur. Voici cette disposition (le Tribunal met en caractères gras) :
174. Le service de comparution par voie téléphonique en vertu du Code criminel doit être assuré sans interruption les fins de semaine, les jours fériés ainsi que, en semaine, en dehors des heures ouvrables.
Ce service est notamment assuré par les juges de paix magistrats.
- Ce « notamment » exclut l’idée que seuls les JPM soient responsables des comparutions de fins de semaine, et exclut l’idée que ça soit uniquement par voie téléphonique.
- Selon le Tribunal, par la création du poste de JPM, l’intention du législateur n’était certainement pas de limiter l’obligation de l’État, et les droits constitutionnels des justiciables, à la seule mise en place d’un système de comparution par voie téléphonique devant JPM.
- Pourtant, selon la preuve non contredite au procès, le Tribunal constate que l’État a choisi délibérément de limiter ses efforts à la mise en place d’un système de comparution par voie téléphonique devant JPM, et ce, alors qu’il savait depuis au moins 2014 ou 2012, sinon 2006, que la Cour du Québec avait de sérieuses réserves quant à la capacité de ce système à réduire les délais de comparution, et même à sa conformité à la loi et aux chartes. Cette position a été rapportée par écrit à Me Murphy par Me Brochu le 18 juillet 2014 dans la Pièce P-31, qui est le compte-rendu de Me André Brochu, procureur chef du BSC, de sa rencontre du 18 octobre 2014 avec le juge coordonnateur Tremblay :
Le juge Tremblay me demande d'informer mes procureurs du fait que statistiquement, les personnes qui comparaissent en fin de semaine demeurent détenues deux fois plus longtemps qu'avant, puisque l'enquête caution est souvent reportée au mercredi, voir au jeudi. Selon son interprétation de l'article 503 Ccr, la procédure suivie ne constitue pas une véritable comparution puisqu'elle ne rencontre pas les règles du code.
Il me dit que selon lui et certains juges, cette comparution pourrait être jugée inconstitutionnelle si elle était attaquée. Il fait remarquer qu'il est curieux qu'une loi provinciale vienne ajouter une règle à une loi fédérale. Toutefois, il semble satisfait de la qualité du travail effectué par les intervenants.
- On verra au même effet la Pièce P-32, qui est le compte rendu de Me André Brochu de sa rencontre du 21 janvier 2015 avec le juge coordonnateur Tremblay :
Le juge Tremblay a manifesté son mécontentement à plusieurs égards :
[…]
2- Il minimise l’impact de ce changement sur notre service en insistant sur le fait que notre service n’a pas d’impact sur la durée de détention d’un individu et que c’est sur cet aspect qu’on devrait s’interroger.
3- Il me dit qu’en prenant cette décision, nous-nous exposons à des requêtes et qu’il va en discuter avec la juge en chef.
- En 2006, lorsque le MJQ élaborait la conception du système de comparution téléphonique, il était pourtant envisagé d’emblée que ce système devrait au moins en partie être assuré par des juges de la Cour du Québec ou des JPM avec davantage de pouvoirs. Le Tribunal réfère à :
- La Pièce P-48 – Proposition de schéma du fonctionnement de C-24 préparé par Me Lynch, en date du 22 novembre 2006;
- La Pièce P-49 – Commentaires datés du 29 novembre 2006 de Conrad Breton du MJQ sur le schéma proposé par Me Lynch.
- Cette avenue, qui aurait coûté plus cher selon le texte même de la Pièce P-49, n’a pas été suivie.
- Selon le Tribunal, l’État ne pouvait pas simplement s’asseoir et attendre ou espérer que la Cour du Québec change d’idée et décide de donner son feu vert aux comparutions téléphoniques devant JPM les dimanches dans le district de Québec, alors qu’il savait pertinemment que pendant ce temps, les droits des citoyens se faisaient systématiquement violer.
- Ainsi, dès 2006, ou au moins 2014, l’État aurait dû chercher à mettre en place un système permettant des comparutions en personne devant un juge de la Cour du Québec le dimanche, comme il se faisait déjà les samedis à Montréal et à Québec, et comme il se fait tous les jours aujourd’hui dans ces districts sans qu’aucune modification législative n’ait été apportée.
- Or, l’État n’a jamais cherché à ce faire. Il n’a jamais fait une telle proposition à la Cour du Québec, alors que celle-ci s’opposait à la mise en place des comparutions téléphoniques à Québec non pas en raison du jour de la semaine mais bien parce qu’elles se tenaient devant un JPM.
- Selon la preuve, il n’y aucun document émanant de la Cour du Québec qui démontre un refus de procéder à des comparutions en personne le dimanche devant des juges de la Cour du Québec. Le PGQ n’a tout simplement offert aucune explication sur les raisons pour lesquelles il n’a pas fait une telle proposition à la Cour du Québec, se contentant de dire qu’il a fait des efforts mais que la Cour du Québec ne voulait pas « at large » collaborer. Cet argument est simpliste et ne correspond pas à la preuve. Rien ne permet de dire que la Cour du Québec ne voulait rien savoir en général des comparutions à Québec le dimanche ou la nuit.
- Par ailleurs, la preuve démontre que l’option des juges de la Cour du Québec en personne le dimanche aurait coûté plus cher que les comparutions par voie téléphonique, car elle impliquait d’ouvrir les palais de justice le dimanche et d’assurer les comparutions par des juges de la Cour du Québec, qui coûtent plus cher que des JPM. On verra la page 8 de la note du 5 mai 2006 de Me Patrick Michel du DPCP, dans la Pièce P-36 en liasse :
2- Ouvrir les palais de justice le samedi, le dimanche et les jours fériés et y faire conduire les prévenus pour qu'ils comparaissent suivant la formule plus traditionnelle.
Il va sans dire que cette option comporterait des impacts budgétaires et organisationnels considérables pour la DGPP et la DGSJ : du personnel de bureau et de soutien aux activités judiciaires, dans les bureaux des substituts du procureur général ainsi qu'aux services auxiliaires (ex.: support informatique), et ce, en temps supplémentaire, des impacts immobiliers (ventilation, chauffage, coûts en énergie) et des coûts reliés à la sécurité.
- De plus, la preuve révèle que ce n’est qu’en 2019 que le PGQ a finalement agi pour mettre en place le système actuel, soit après avoir perdu sa contestation de l’autorisation de la présente action collective et faisant désormais face à la menace d’une réclamation financière importante. C’est ce qui est écrit comme première raison dans la lettre de Me Murphy du 19 juillet 2019[78].
- Bref, selon le Tribunal, le refus de la Cour du Québec de permettre, dans le district de Québec, les comparutions par voie téléphonique devant JPM ne peuvent constituer une situation insurmontable et hors du contrôle de l’État. Il ne peut s’agir d’une espèce de force majeure qui viendrait enlever la responsabilité du PGQ.
- Le Tribunal ajoute que, si une véritable impasse avec la Cour du Québec existait, il y avait pour le PGQ de nombreux outils pour la résoudre. Or, la preuve démontre que le PGQ n’a mis en œuvre aucun de ces outils. Les voici, et il y en a peut-être d’autres :
- Mettre formellement la Cour du Québec en demeure de respecter l’article 503 du Code criminel, que ce soit en permettant les comparutions par voie téléphonique devant les JPM les dimanches ou en offrant des comparutions devant les juges de la Cour du Québec;
- Demander une médiation avec la Cour du Québec pour adresser l’impasse et arriver à une solution qui protège les droits constitutionnels des citoyens;
- Offrir des ressources supplémentaires, ce qui aurait permis, par exemple, l’ouverture des palais de justice les dimanches, une option d’ailleurs déjà considérée par le MJQ en 2006, mais jamais mise en œuvre;
- Demander aux juges de la Cour supérieure d’assurer les comparutions du dimanche, puisque, comme les juges de la Cour du Québec, ils sont des juges de paix au sens du Code criminel. Il s’agissait d’ailleurs de l’une de solutions mises de l’avant par la Cour d’appel, lorsqu’elle a refusé au PGQ un délai pour remettre en place un système de juges de paix, après en 2003 une déclaration d’inconstitutionnalité dans l’arrêt R. c. Pomerleau[79];
- Adopter un décret par lequel le PGQ soumettrait un renvoi à la Cour d’appel pour trancher la question[80]. C’est ce qu’il a d’ailleurs fait en 2022, car il jugeait que la juge en chef de la Cour du Québec n’avait pas le pouvoir de décider unilatéralement de réduire le nombre de jours siégés par les juges de la Chambre criminelle et pénale comme elle l’avait fait[81];
- Faire contrôler le refus de la Cour du Québec de permettre l’implantation du système de comparution par voie téléphonique par un renvoi en contrôle judiciaire à la Cour supérieure en vertu des articles 529 et suivants Cpc. C’est d’ailleurs ce que le PGQ a fait en 2022 pour faire contrôler la décision de la juge en chef de la Cour du Québec de réduire le nombre de jours siégés par les juges de la Chambre criminelle et pénale qu’il jugeait déraisonnable[82];
- Faire entrer en vigueur l’article 174 de la Loi sur les tribunaux judiciaires afin de rendre obligatoire un service de comparutions téléphoniques sans interruption. Le DPCP avait même identifié cette option en 2006 dans une note qui a été partagée avec le MJQ (p. 8 de la note du 5 mai 2006 de Me Patrick Michel du DPCP, dans la Pièce P-36 en liasse) :
1- Adopter un décret prévoyant l'entrée en vigueur de l'article 174 de la Loi sur les tribunaux judiciaires à une date fixée à l'automne pour tous les districts judiciaires du Québec à l'exclusion de Montréal.
Cette alternative provoquerait une confrontation avec les autorités de la Cour du Québec qui pourrait, à notre point de vue, donner lieu à deux scénarios. Dans le premier, les autorités de la Cour du Québec pourraient décider d'assigner des juges de paix magistrats en continu pour les renvois sous garde au détriment du traitement des dossiers en matière pénale, occasionnant ainsi de nouveaux retards dans l'audition des causes contestées. Comme second scénario, il faut envisager que la confrontation pourrait culminer par un débat judiciaire sur l'interprétation de l'article 174 et l'étendue des pouvoirs législatifs compte tenu des impératifs de l'indépendance judiciaire.
Adopter un règlement afin de modifier l’Annexe V de la Loi sur les tribunaux judiciaires pour y ajouter les attributions nécessaires pour que les JPM puissent présider des comparutions en toutes circonstances, comme il avait le pouvoir de le faire en vertu de l’article 181 de cette loi[83]. Cette option avait été soulevée dès 2006 au sein du MJQ, comme on le voit des commentaires datés du 29 novembre 2006 de Conrad Breton du MJQ sur le schéma proposé par Me Lynch (Pièce P‑49, p. 2) :
Il serait souhaitable que le système de comparution à distance permette au prévenu de faire examiner dès sa première comparution toute la question de sa mise en liberté par un décideur ayant l’ensemble des pouvoirs requis pour en disposer. À cet égard, il serait intéressant d’évaluer la possibilité d’accorder aux juges de paix magistrats les pouvoirs complets en cette matière.
- Émettre une directive au DPCP et aux services judiciaires de saisir d’urgence systématiquement un JPM, afin de respecter le délai de 24 heures.
- Aucune de ces mesures n’a été prise par le PGQ pour tenter de régler l’impasse prétendue avec la Cour du Québec.
- Les règles procédurales en matière de comparution prévues au Code criminel protègent et mettent en œuvre les droits constitutionnels des citoyens. L’État est l’architecte du système de comparution auquel les citoyens sont soumis, et en tant que tel, il est le gardien de la primauté du droit. Il ne peut se déresponsabiliser en pointant la Cour du Québec du doigt alors qu’il n’a fait aucun effort pour tenter de résoudre l’impasse qui causait la violation systémique des droits constitutionnels de milliers de citoyens.
- Finalement, le Tribunal rappelle qu’il a été admis par Me Lynch qu’aucune tentative sérieuse n’a été entreprise pour instaurer les comparutions à Montréal. Il semble que Me Breton aurait présumé que le refus du juge Tremblay d’implanter des comparutions téléphoniques à Québec voulait dire qu’il ne pourrait pas non plus le faire à Montréal, alors pourtant que la Cour du Québec avait accepté de le faire partout ailleurs. Cette justification est nettement insuffisante à la lumière des obligations impérieuses de l’État, selon le Tribunal.
- À tout événement, le Tribunal est d’avis que, même s’il y avait eu un système de comparution téléphonique le dimanche à Québec et à Montréal en 2015, celui-ci aurait été de toute manière retiré par Me Murphy du DPCP en juin 2015. En effet, si le système de comparution téléphonique du dimanche accaparait déjà, sans Montréal et Québec, trop des effectifs du DPCP et créait un casse-tête majeur, il va de soi que cela aurait été encore davantage le cas si l’on y avait ajouté Montréal et Québec.
- Le Tribunal rejette donc cet argument du PGQ. Le PGQ a commis une faute envers ces membres, qui demeurent donc dans le groupe.
- Le PGQ argumente ceci pour supporter sa non-responsabilité à l’égard de ces membres :
- La preuve révèle que vers la fin du mois de mars 2018, le DPCP tente de réinstaurer le service de comparutions téléphoniques devant les juges de paix magistrats les dimanches;
- Le procureur en chef du BSC de l’époque, Me André Brochu, communique avec la direction de la Cour du Québec, afin de réinstaurer ces comparutions. Voir :
- Pièce PGQ-28, témoignage d’André Brochu dans le procès Lauzon c. R., aux pages 317 à 319;
- Interrogatoire préalable de Me Murphy P-29, pages 98 et 99;
- Témoignage de Me Anick Murphy, le 3 février. 2025.
Le MJQ est également prêt en 2018 à remettre ces comparutions téléphoniques, ayant fait les analyses usuelles concernant les impacts opérationnels et les coûts associés. La sous-ministre associée à la direction des activités judiciaires, Me Chantal Couturier, autorise les coûts additionnels pour cette mesure. Voir la Pièce PGQ-10 et le témoignage au procès de Me Chantal Couturier, le 4 février 2025;
- Or, le 9 mars 2018, la Juge en chef adjointe de la Cour du Québec informe le DPCP par la lettre Pièce PGQ-11 que la direction de la Cour du Québec n’a pas l’intention de mettre en place un système de comparutions le dimanche devant les juges de paix magistrats.
- À compter de cette date, il apparaît clairement que l‘absence de comparutions le dimanche et les jours fériés devant les juges de paix magistrats ne découle plus de la décision de 2015 du DPCP ou encore du comportement du DPCP et du MJQ;
- À compter de cette date, toute faute ou atteinte alléguée aux droits des membres n’a aucun lien causal avec la décision de 2015 ou le comportement du DPCP ou du MJQ;
- L’absence de comparutions devant les juges de paix magistrats à partir du 9 mars 2018 découle précisément de l’absence de séances de la Cour du Québec qui relève de son indépendance judiciaire;
- Ainsi, pour l’ensemble des districts, la réclamation, qu’elle soit fondée sur la responsabilité civile ou sur les chartes, ne doit pas s’étendre au-delà du 9 mars 2018 contre le PGQ.
- Le Tribunal ne peut retenir ces arguments, pour les raisons qui suivent.
- Premièrement, tous les motifs que le Tribunal a expliqués à la section précédente concernant l’impasse avec la Cour du Québec pour Québec s’appliquent au complet ici comme si au long récités. Ceci suffit pour rejeter cet argument du PGQ.
- Deuxièmement, le Tribunal ajoute les éléments suivants :
- Au lieu de chercher des solutions au problème des comparutions du dimanche, l’État a attendu que des requêtes en arrêt des procédures s’empilent pour finalement, et timidement, demander à la Cour du Québec de permettre la remise en place du système de comparution par voie téléphonique devant les JPM;
- Or, le PGQ n’a produit aucune demande écrite. On ne peut que déduire de la lettre de la Cour du Québec (Pièce PGQ-11) qu’il y aurait eu une discussion à cet égard, sans que l’on puisse connaître le détail ce qui était proposé à la Cour du Québec. La preuve ne permet pas de le dire;
- À tout événement, le PGQ savait que la Cour du Québec nourrissait des réticences envers ce système de comparution téléphonique devant les JPM depuis des années, justement parce qu’il ne permettait pas de répondre aux impératifs en matière de comparution, comme on l’a vu à la section précédente;
- Le PGQ ne pouvait donc s’étonner du refus renouvelé de la Cour du Québec de remettre en place ce système, qu’il critiquait lui-même depuis au moins 2014, sinon 2006;
- Notons d’ailleurs que la Cour du Québec mentionne seulement dans sa lettre que son intention est de ne pas réinstaurer de comparutions devant les JPM. Encore une fois, jamais n’est-il question de comparutions en personnes devant des juges de la Cour du Québec, ce qui semblait être favorisé par la Cour du Québec;
- Or, face à la position de la Cour du Québec, le PGQ baisse les bras. Il demeure dans l’inaction totale alors que les droits constitutionnels des justiciables continuent d’être bafoués, et ce, jusqu’à ce que la présente action collective soit autorisée.
- Encore ici, même si l’obligation de l’État d’élaborer et de mettre en place un système de comparution respectueux de l’article 503 en était une de moyens, ce qui n’est pas le cas, son comportement est loin d’être suffisant pour s’en décharger.
- Tel que vu précédemment, plusieurs possibilités s’offraient au PGQ, qui n’en a tenté aucune, sauf, semble-t-il, faire un appel téléphonique.
- Le PGQ aurait pu faire appel à l’une des multiples mesures à sa disposition, énumérées à la section précédente. Il aurait pu demander à la Cour du Québec d’offrir des comparutions le dimanche devant un juge de la Cour du Québec.
- L’obligation de l’État étant de résultat, ses efforts pour mettre en place un système adéquat ne sont pas pertinents à la question de savoir s'il s'en est acquitté ou non.
- Le Tribunal rejette donc cet argument du PGQ. Le PGQ a commis une faute envers ces membres, qui demeurent donc dans le groupe.
- Le PGQ argumente ceci pour supporter sa non-responsabilité à l’égard de ces membres :
- La décision de 2015 de retirer les comparutions téléphoniques du dimanche devant des juges de paix magistrats ne retirait pas l’offre de service du BSC concernant les comparutions tenues les journées fériés;
- La preuve démontre que l’horaire des séances de la Cour et l’assignation des juges relativement aux journées fériées sont déterminés par un juge coordonnateur de la Cour du Québec. Voir les témoignages au procès de Mme Mélisa Laroque et de Sophie Rochon, ainsi que des notes de la Cour du Québec concernant les jours fériés (dans la Pièce PGQ-21 en liasse, aux onglets c, e et l);
- Le demandeur n’a fait la preuve d’aucune faute, atteinte ou atteinte intentionnelle pouvant être rattachée au comportement d’une des entités représentées par le PGQ en l’instance, au regard de l’absence de comparution en raison d’un jour férié;
- Aucune réclamation ne peut être demandée contre le PGQ pour les membres n’ayant pas comparu dans les délais de 24 heures, en l’absence des séances de la Cour ou d’assignation de juges de paix magistrats en raison des jours fériés.
- Le Tribunal ne peut retenir ces arguments, pour les raisons identiques aux deux sections précédentes. Le PGQ ne peut blâmer la Cour du Québec à cet égard, alors qu’il n’a pas pris tous les moyens possibles pour faire bouger la Cour du Québec afin de respecter le délai de comparution de 24 heures pour les jours fériés.
- Le Tribunal rejette donc cet argument du PGQ. Le PGQ a commis une faute envers ces membres, qui demeurent donc dans le groupe.
- Le PGQ argumente ceci pour supporter sa non-responsabilité à l’égard de ces membres :
- La preuve démontre que les heures de début des séances de la Cour le lundi sont déterminées par un juge coordonnateur de la Cour du Québec :
- Témoignage de Mme Mélisa Larocque, le 31 janvier 2025;
- Témoignage de Mme Rochon, le 4 février 2025;
- Témoignage de Me Ève Malouin, le 30 janvier 2025;
- Témoignage de Me Mélanie Ducharme, le 29 janvier 2025;
- Le demandeur n’a fait la preuve d’aucune faute, atteinte ou atteinte intentionnelle pouvant être rattachée au comportement d’une des entités représentées par le PGQ en l’instance, pour les personnes qui ont comparu après le délai de 24 heures en raison de l’horaire des séances de la Cour du Québec le lundi;
- Ainsi, pour les personnes arrêtées après 9 h 30 les dimanches, ce n’est pas en raison de la faute reprochée au PGQ qu’ils n’ont pas comparu dans le délai de 24 heures, mais plutôt en raison des horaires des salles de comparution déterminés par la Cour du Québec et qui relèvent d’un tout autre litige;
- Aucune réclamation ne peut être demandée contre le PGQ pour ces personnes.
- Le Tribunal ne peut retenir ces arguments, pour les raisons identiques aux trois sections précédentes. Le PGQ ne peut blâmer la Cour du Québec à cet égard, alors qu’il n’a pas pris tous les moyens possibles pour faire bouger la Cour du Québec afin de respecter le délai de comparution de 24 heures pour les personnes arrêtées après 9 h 30 les dimanches.
- Le Tribunal rejette donc cet argument du PGQ. Le PGQ a commis une faute envers ces membres, qui demeurent donc dans le groupe
- Le Tribunal a donc rejeté toutes les 5 catégories proposées par le PGQ. Il n’y a donc aucun membre qui doit être exclu. Le Tribunal conclut donc que, outre pour l’instant la date de fermeture du groupe et les cas des membres liés aux Villes de Montréal et Québec, le PGQ a commis une faute et une atteinte illicite aux droits des chartes envers tous les membres du groupe. Il n’y a pas encore de sous-catégories à faire. Et les membres invisibles sont inclus dans le groupe comme victimes d’une faute ou d’une atteinte illicite du PGQ à leur égard.
- De plus, le Tribunal décide que sont également inclus dans le groupe les personnes déjà reconnues coupables d’un crime qui sont déjà légalement détenues dans un établissement de détention et qui y commettent un nouveau crime. Le PGQ a indiqué que, puisque ces personnes sont déjà détenues, il n’est pas besoin de faire contrôler leur détention par le mécanisme de l’article 503 du Code criminel. Or, de l’avis du Tribunal, cette proposition ne repose pas sur le texte même de l’article 503, qui ne fait aucune distinction quant au statut de la personne arrêtée. De plus, l’article 2 du Code criminel inclut les gardiens des prisons fédérales et provinciales comme « agent de la paix », ce qui s’applique donc à l’article 503. Enfin, la jurisprudence[84] reconnaît spécifiquement que les personnes déjà détenues doivent quand même comparaître dans les 24 heures suivant une nouvelle arrestation. Donc, les personnes dans cette situation qui n’ont pas comparu dans les 24 heures de leur arrestation sont membres du groupe vu la faute et l’atteinte du PGQ. Le Tribunal note qu’aucune évaluation du nombre de ces personnes n’a été soumise par le demandeur, qui a dit être incapable de le faire. Pour la suite du présent jugement, le Tribunal les désigne comme les « membres déjà en détention légale pour un autre crime ».
- Passons maintenant aux cas des membres liés aux Villes de Montréal et Québec. Le PGQ est-il responsable à cet égard?
- Les membres visés sont ici tous ceux qui n’ont pas comparu dans les 24 heures de leur arrestation devant la Cour municipale de Montréal entre le 19 juin 2015 et le 20 mars 2020 et devant la Cour municipale de Québec entre le 19 juin 2015 et le 9 février 2020. Certains ont eu une portion de leur réclamation de 7 000 $ indemnisée par les deux ententes de règlement hors cour approuvées par le Tribunal, et certains autres pas du tout. Rappelons que les ententes de règlement hors cour prévoient spécifiquement que les membres qui ont réglé conservent leur recours contre le PGQ. Pour les membres qui n’ont pas réglé, ils ont encore leur recours complet contre le PGQ.
- Les dates de fermeture des règlements diffèrent entre la Ville de Montréal et la Ville de Québec, mais c’est ce qui a été négocié entre les parties et approuvé par le Tribunal.
- Selon le demandeur, le PGQ est responsable solidairement de la faute et de l’atteinte illicite des Villes de Montréal et de Québec ou, subsidiairement, est responsable comme mandant des Villes. Les membres qui ont réglé pourraient donc réclamer le solde du montant de 7 000 $, alors que les membres qui n’ont pas réglé pourraient réclamer la totalité du montant de 7 000 $ réclamé. Le PGQ conteste et argumente qu’il n’est pas le mandant des Villes et qu’il n’est aucunement responsable solidaire.
- Que décider?
- Avant tout, le Tribunal rappelle l’étendue des réclamations :
- Cour municipale de Québec, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 147 membres, pour 7 000 $ chacun;
- Cour municipale de Québec, du 15 décembre 2017 au 9 février 2020 : 127 membres, au montant de 3 750 $ chacun, soit le solde du montant du règlement hors cour;
- Cour municipale de Montréal, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 1 281 membres, pour 7 000 $ chacun;
- Cour municipale de Montréal, du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020 : 1 153 membres, pour 3 271 $ chacun, soit le solde du montant du règlement hors cour.
- Le Tribunal reviendra plus loin sur ces chiffres et sommes, et sur les positions des parties à ces égards.
- Le Tribunal rappelle aussi que personne ne conteste que les Villes de Montréal et de Québec ont commis une faute et une violation des chartes à l’égard des membres en l’absence de comparution les dimanches et les jours fériés pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention, du 19 juin 2015 au 20 mars 2020 pour la Cour municipale de Montréal, et du 19 juin 2015 au 9 février 2020 pour la Cour municipale de Québec. Les deux villes avaient reconnu dans leurs défenses dans le présent dossier que leurs cours municipales ne siégeaient pas les dimanches et certains jours fériés[85]. Les déclarations assermentées de Me Anne-Laure Pelletier de la Ville de Québec (Pièce P-40) et de Me Nathalie Gravel de la Ville de Montréal (Pièce P-47) confirment également que les cours municipales de Québec et de Montréal ne tenaient pas de séances de comparutions les dimanches et certains jours fériés. Là n’est pas le débat.
- Le débat est le suivant : le PGQ est-il responsable de cela?
- Le PGQ présente d’entrée de jeu un argument procédural au soutien de sa position. Selon lui, la Demande du 8 janvier 2025, tout comme ses versions antérieures, n’identifie aucune faute du PGQ à l’égard des membres qui n’ont pas comparu, dans les 24 heures, devant les Cours municipales; cette omission serait fatale. Or, avec égards, le Tribunal ne peut accepter cet argument, car la Demande du 8 janvier 2025 contient des allégations amplement suffisantes pour alléguer la responsabilité du PGQ pour ces membres, que l’on retrouve aux paragraphes 2f, 9, 20, 72.3, 99.1.3 à 99.1.6 et 124. Le paragraphe 72.3 est assez clair :
72.3. Tous les membres du Groupe, y compris ceux visés par les ententes avec les Villes de Québec et Montréal, poursuivent l’action collective contre le défendeur Procureur général du Québec (le « PGQ »), et aucune quittance n’a été donnée à ce dernier.
- Voici maintenant les arguments du PGQ :
- La responsabilité quant à l’administration des cours municipales relève des villes et toute faute reprochée quant à l’absence d’un système de comparution les dimanches et certains jours fériés devant ces cours municipales leur est entièrement imputable et ce, peu importe l’identité du poursuivant;
- En effet, en matière criminelle, les cours municipales tirent leur compétence directement de la Loi sur les cours municipales[86] et du Code criminel et cette compétence n’est aucunement tributaire de l’identité du poursuivant ayant initié les procédures dont la cour municipale est saisie;
- Ainsi, en vertu de l’article 44 de la Loi sur les cours municipales, un juge nommé à une cour municipale est d’office juge de paix dans le district où est situé le territoire relevant de la compétence de la cour, pour l’application des lois du Parlement du Canada qui lui confèrent compétence;
- Cette appellation de « juge de paix » permet aux juges municipaux d’exercer la compétence d’une cour des poursuites sommaires au sens de l'article 785 du Code criminel;
- Par ailleurs, les cours municipales répondent à la définition d’une « cour de juridiction criminelle » au sens du Code criminel;
- Les cours municipales tirent donc leur compétence directement de la Loi et non des ententes relatives à la propriété des amendes intervenues entre le gouvernement et les villes (Pièces P-1 et P-2);
- Par ailleurs, les procureurs municipaux tirent également leur pouvoir de poursuite directement du Code criminel et non des ententes P-1 et P-2, en vertu des articles 2 et 785 du Code criminel;
- Ainsi, même si le procureur général est en principe le poursuivant, lorsqu’il n’intervient pas, une « autre personne » ou le « dénonciateur », en l’occurrence les procureurs municipaux, peut agir comme poursuivant;
- Les ententes Pièces P-1 et P-2 ne délèguent donc pas son droit de poursuite aux municipalités, mais visent plutôt à favoriser la poursuite de certaines infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire devant ces cours municipales afin, notamment, de contribuer à une meilleure accessibilité à la justice pour les citoyens;
- La décision R. c. Prévost[87] le confirme;
- Ces ententes ne sauraient non plus être interprétées comme étant un mandat qu’aurait donné le DPCP aux villes pour le représenter dans l’accomplissement d’actes juridiques avec les membres des villes;
- Dans tous les cas, la faute reprochée est l’absence d’un système de comparution devant les cours municipales de Québec et de Montréal les dimanches et certains jours fériés, dont la mise en place relève de l’administration de la cour sous la responsabilité des municipalités, et non le fait que ce ne soit pas le DPCP qui ait agi comme poursuivant;
- Le demandeur tente d’imputer une faute au PGQ par le biais de la clause 9 de la partie III de l’annexe I des ententes conclues entre le PGQ et les villes. Or, cette clause impute une obligation positive aux villes et non au PGQ. Et un contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes; il n’en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi (art. 1440 CcQ). Par conséquent, le demandeur ne peut invoquer la clause 9, ou toutes autres clauses d’ailleurs, pour tenter d’imputer une faute au PGQ, faute de remplir les critères requis pour invoquer une stipulation pour autrui;
- Au surplus, si le demandeur avait pu invoquer cette clause pour imputer une faute au PGQ, cette faute se limiterait aux personnes arrêtées sans mandat uniquement, conformément au texte de la clause;
- L’impossibilité de comparaître devant les cours municipales le dimanche découle de la seule faute des villes qui ont fait défaut de mettre en place un système le dimanche et de respecter la clause 9 des ententes Pièces P-1 et P‑2, soit de transférer les dossiers des personnes arrêtées sans mandat devant la Cour du Québec lorsqu’elles ne peuvent comparaître dans les 24 heures parce que la cour municipale ne siège pas à l’intérieur de ce délai;
- En effet, même si le PGQ avait mis en place un système de comparutions téléphoniques devant des juges de paix magistrats le dimanche, les dommages réclamés par les membres, advenant qu’ils soient démontrés, découleraient du seul choix des villes de les faire comparaître devant leur cour municipale respective le lundi suivant;
- Ainsi, la faute reprochée au PGQ n’a aucun lien direct avec les dommages réclamés;
- Considérant ce qui précède, aucune faute commune ou contributoire ne peut être imputée au PGQ. Par conséquent, l’article 1526 CcQ ne saurait trouver application;
- Il n’existe donc aucune solidarité ni mandat entre les villes et le PGQ.
- Le Tribunal ne peut retenir les arguments du PGQ pour les raisons qui suivent.
- Le Tribunal précise tout d’abord que les membres visés sont seulement ceux qui ont été accusés d’une infraction en vertu du Code criminel devant les cours municipales de Montréal et de Québec. Il n’est pas question des autres infractions ou lois dont les cours municipales s’occupent.
- Tout d’abord, comme le présente le PGQ, il est vrai qu’en matière criminelle, les cours municipales tirent leur compétence directement de la Loi sur les cours municipales et du Code criminel et cette compétence n’est aucunement tributaire de l’identité du poursuivant ayant initié les procédures dont la cour municipale est saisie. De plus, en vertu de l’article 44 de la Loi sur les cours municipales, un juge nommé à une cour municipale est d’office juge de paix.
- Cependant, là s’arrête la validité de l’argument du PGQ.
- La Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales[88] est entrée en vigueur en mars 2007[89] (donc avant la période de l’action collective). En vertu de l’article 1 de cette loi, le DPCP dirige pour l’État, sous l’autorité générale du ministre et du procureur général du Québec, les poursuites criminelles et pénales au Québec. L’article 13 de cette loi s’applique et se lit ainsi :
13. Le directeur a pour fonctions :
1o d’agir comme poursuivant dans les affaires découlant de l’application du Code criminel ou de toute autre loi fédérale ou règle de droit pour laquelle le procureur général du Québec a l’autorité d’agir comme poursuivant;
[…]
- Donc, selon le Tribunal, c’est le DPCP qui, partout au Québec, devant tous les tribunaux, a le statut de poursuivant[90]. Les villes ne détiennent donc en matière criminelle aucun pouvoir de poursuite que lui aurait été automatiquement délégué le PGQ ou le DPCP, et ceci, même si le législateur provincial a désigné dans d’autres lois provinciales les villes comme poursuivant désigné à l’égard des infractions de nature pénale.
- La notion de « poursuivant » est définie ainsi au Code criminel :
À l’article 2 :
Le procureur général ou, lorsque celui-ci n’intervient pas, la personne qui intente des poursuites en vertu de la présente loi. Est visé par la présente définition tout avocat agissant pour le compte de l’un ou de l’autre.
À l’article 785 :
Le procureur général ou le dénonciateur lorsque le procureur général n’intervient pas, y compris un avocat ou un mandataire agissant pour le compte de l’un ou de l’autre.
- Vu la teneur de l’article 13 de la Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales, les procureurs municipaux des villes ne peuvent donc devenir automatiquement la « personne » au sens de l’article 2 ou le « dénonciateur » au sens de l’article 785. Ils le peuvent seulement si le DPCP ou le PGQ leur donne ce pouvoir. Le Tribunal note avec égards que la décision R. c. Prévost citée par le PGQ appuie le raisonnement du Tribunal, et non pas celui du PGQ[91].
- Ainsi, dans ce contexte, le PGQ et la Ville de Montréal ont convenu en 2005 (avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales) l’Entente relative à la propriété des amendes découlant de la poursuite de certaines infractions criminelles devant la Cour municipale de Montréal (Pièce P 2), laquelle n’a aucune échéance (Pièce P-34, réponse à l’engagement 10).
- Alors que cette entente excluait la poursuite de certaines infractions relatives à la violence conjugale (Pièce P-2, art. 2.3), le DPCP, le MJQ et la Ville de Montréal ont renouvelé en 2015 et en 2018 l’Entente concernant la gestion de certains dossiers relatifs à la violence conjugale par la Ville de Montréal (Pièce P-2A), laquelle complète l’entente originale (Pièce P-2). L’échéance est le 31 décembre 2020, donc à l’intérieur de toute période de l’action collective.
- De même, le DPCP, le MJQ et la Ville de Québec ont convenu en 2010 d’une Entente relative à la propriété des amendes découlant de la poursuite de certaines infractions criminelles devant la Cour municipale de Québec, laquelle a une durée de 10 ans (Pièce P-1, art. 7.1).
- Ces ententes ont été approuvées par décret[92].
- Selon le Tribunal, par ces ententes, le PGQ déléguait aux Villes de Montréal et de Québec la poursuite de certaines infractions criminelles devant leurs cours municipales, en plus d’attribuer le produit des amendes à ces villes, comme le permet l’article 734.4(3)a) du Code criminel.
- Le texte de ces ententes confirme la délégation de ce pouvoir de poursuite du DPCP aux procureurs municipaux. On verra dans la Pièce P-1 :
Préambule : ATTENDU QUE le Ministre, le DPCP el la Ville désirent s'entendre sur la responsabilité et la gestion de la poursuite de certaines infractions criminelles devant la Cour municipale de la Ville de Québec;
1.1 Dans la présente entente, on entend par « protocole de poursuite » le document apparaissant à l'annexe 1, lequel énonce les infractions criminelles qui seront poursuivies devant la Cour municipale; ce protocole rail partie Intégrante de la présente entente.
1.2 Cette entente a pour objet de favoriser la poursuite, à la Cour municipale, de certaines infractions criminelles poursuivies par voie de procédure sommaire apparaissant au protocole de poursuite sous réserve des exclusions qui y sont mentionnées.
2.2 La Ville s'engage à informer le DPCP da tout problème particulier qu'il serait approprié de lu! soumettre ou dont il pourrait s'enquérir, notamment dans le cadre des dossiers dont la nature est décrite au chapitre IV des présentes ou encore en cas de procédure extraordinaire touchant l'application du Code criminel.
4.2 Afin que le DPCP puisse remplir les devoirs qui lui incombent suivant l'article 15 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales (L.R.Q., chapitre D-9.1.1), la Ville s'engage à informer le BACJ, dans les meilleurs délais:
de tout dossier, y compris ceux portés en appel, susceptible de soulever des questions d'intérêt général ou de requérir l'intervention du Procureur général;
de tout dossier, y compris ceux portés en appel, dans lequel un avis suivant les articles 95 et 95.1 du Code de procédure civile, (L.R.Q., chapitre C-25) est requis.
4.3 La Ville doit aviser le BACJ, dans les meilleurs délais, lorsqu'une partie demande réparation en vertu du paragraphe (1) de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à une allégation d'abus de procédure, de conduite abusive ou présente une requête concernant l'imputabilité des honoraires d'avocats.
- Les Pièces P-2 et P-2A contiennent des clauses similaires.
- On voit qu’il y a une délégation du pouvoir de poursuite aux procureurs municipaux. On voit que la Ville doit informer le DPCP et le PGQ de certaines choses, ce qui ne serait pas requis si les procureurs du DPCP ou du BSC étaient ceux qui étaient déjà chargés des poursuites.
- Donc, par ces ententes, le PGQ à délégué aux Villes de Montréal et de Québec la poursuite de certaines infractions criminelles. De l’avis du Tribunal, ceci inclut, par le fait même, la gestion de la comparution des prévenus concernés. Il ne peut en être autrement, sinon qui en serait responsable?
- Selon le Tribunal, le PGQ a donc délégué aux Villes de Montréal et de Québec la gestion de l’article 503 du Code criminel, donc la gestion du respect du délai de 24 heures pour la comparution. On sait que les Villes n’ont pas respecté ce délai pour les membres visés et ont commis une faute et une atteinte illicite. Dans ces circonstances, en vertu de l’article 2164 CcQ, le Tribunal que le PGQ est responsable à titre de mandant des Villes de Montréal et de Québec pour les fautes et atteintes de ces dernières.
- L’article 2164 CcQ se lit ainsi :
2164. Le mandant répond du préjudice causé par la faute du mandataire dans l’exécution de son mandat, à moins qu’il ne prouve, lorsque le mandataire n’était pas son préposé, qu’il n’aurait pas pu empêcher le dommage.
- Il ressort en effet des ententes que le DPCP a mandaté les deux Villes en leur donnant le pouvoir de le représenter dans l’accomplissement d’actes juridiques avec des tiers, les membres liés aux Villes[93].
- Par ailleurs, la preuve démontre que le PGQ savait qu’il existait des problèmes de comparution dans les 24 heures la fin de semaine et qu’il n’a rien fait, ni demandé pour s’assurer que les Villes de Montréal et de Québec respectent le délai de 24 heures les fins de semaine qu’il n’ait rien fait lui-même pour permettre aux personnes détenues de comparaître ailleurs dans le délai de 24 heures. Ce faisant, le Tribunal conclut que le PGQ a commis, envers les membres liés aux Villes, une faute extracontractuelle et une atteinte illicite distincte, indépendantes du mandat. Voici ce que la preuve a révélé, avec des commentaires du Tribunal :
- Déjà en 2005 et en 2010, les ententes Pièces P-1 et P-2 contemplaient et tenaient compte du fait que Québec et Montréal ne seraient pas en mesure de faire comparaître les personnes arrêtées et détenues dans les 24 heures dans tous les cas, en raison de la fermeture de leur cours municipales les dimanches et certains jours fériés. En effet, tel qu’il appert de l’article 9 de la partie III de l’Annexe 1 de chacune des ententes Pièces P-1 et P-2, il était prévu que si en raison de la fermeture des cours municipales le respect du délai de comparution de 24 heures prévu à l’article 503 était compromis, alors les autorités municipales devaient amener la personne arrêtée sans mandat pour comparaître devant la Cour du Québec. On lit ceci aux pages 23 et 24 de la Pièce P-1, l’Entente relative à la propriété des amendes pour la Ville de Québec :
PARTIE Ill
LES INFRACTIONS QUI AURAIENT PU ÊTRE DÉPOSÉES DEVANT LA COUR MUNICIPALE SUIVANT LES PARTIES I ET Il, MAIS QUI DOIVENT L'ÊTRE DEVANT LA COUR DU QUÉBEC
Sous réserve et en outre des politiques de poursuites et directives du DPCP, les Infractions suivantes doivent être déposées devant la Cour du Québec:
[…]
9. Infraction pour laquelle un accusé arrêté sans mandat est détenu et n'est pas libéré pour des motifs d'intérêt public (article 495 C.cr.) et qu'il ne peut comparaître dans les 24 heures en vertu de l'article 503 (1) C.cr. parce que la cour municipale ne siège pas à l'intérieur de ce délai.
Voir au même effet pièce P-2, Entente relative à la propriété des amendes pour la Ville de Montréal, pages 20-21;
- L’article 9 de la Partie III de ces ententes confirme sans équivoque que le PGQ savait que les cours municipales de Québec et Montréal ne siégeaient pas à chaque jour et que le délai de comparution des personnes poursuivies conformément aux ententes ne pourrait pas être respecté lorsque ces cours ne siégeaient pas;
- Même si l’article 9 de la Partie III porte sur les personnes arrêtées sans mandat, il est en de même pour les personnes arrêtées avec mandat. En effet, dans le cas de mandat, le choix de poursuivre à la cour municipale ou à la Cour du Québec a déjà été effectué, vu l’émission préalable du mandat, de sorte que la responsabilité du PGQ demeure entière pour ces personnes. Dans ce cas, le PGQ sait et ne peut ignorer que c’est sa délégation de la poursuite de certaines infractions criminelles aux Villes qui fait en sorte qu’une personne arrêtée avec mandat la fin de semaine ou certains jours fériés ne pourra pas comparaitre dans le délai maximal de 24 heures;
- De plus, et peu importe qu’une personne ait été arrêtée avec ou sans mandat, le MJQ est directement responsable de « veiller à ce que les affaires publiques soient administrées conformément à la loi » (art. 3 al. 2a) Loi sur le ministère de la Justice) et de la « surveillance de toutes les matières qui concernent l’administration de la justice au Québec » (art. 3 al. 2c) de la même loi);
- Plutôt que d’exiger, lors de la conclusion des ententes, que les Villes assurent un service de comparution 7 jours sur 7, les parties ont fait le choix de convenir du mécanisme prévu à l’article 9, qui fait reposer la comparution en dehors des jours siégés par les cours municipales sur le service de comparution mis en place par le DPCP et le MJQ devant la Cour du Québec à Montréal et à Québec;
- Le Tribunal a déjà indiqué que la preuve démontre que les cours municipales de Québec et Montréal ne tenaient pas de séances de comparutions les dimanches et certains jours fériés;
- Par ailleurs, en aucun cas le MJQ ne pouvait ignorer que les deux Villes ne siégeaient pas les dimanches et certains jours fériés étant donné qu’il recevait au moins une fois par année un rapport du greffier l’informant du nombre de jours où des séances avaient été tenues (art. 64 para. 1° de la Loi sur les cours municipales);
- Ainsi, le respect de l’article 503 lorsqu’une personne était arrêtée la fin de semaine ou certains jours fériés était en bout de piste totalement tributaire de l’opération du système de comparution auprès de la Cour du Québec à Montréal et à Québec, lequel relevait entièrement de la responsabilité du DPCP et du MJQ, tel que décidé précédemment;
- Ce mécanisme a d’ailleurs été confirmé au procès par le contre-interrogatoire de la sous-ministre de la justice Me France Lynch;
- Autant la lettre que l’esprit de ces ententes étaient de continuer à faire supporter au PGQ la responsabilité d’assurer un système de comparution disponible en dehors des heures d’ouverture des cours municipales de Québec et Montréal;
- Or, comme il a été conclu précédemment, le PGQ n’a jamais assuré un tel système de comparution durant la période de l’action collective;
- La raison pour laquelle les deux Villes n’ont pas pu faire comparaître les membres liés aux Villes est l’absence de système de comparution devant la Cour du Québec le dimanche, dont le PGQ est entièrement responsable;
- Au surplus, ces ententes dotaient spécifiquement le PGQ de pouvoirs de vérification des dossiers des Villes[94] et de la possibilité de résilier les ententes si les Villes n’accomplissaient pas leur obligation[95]. Or, le PGQ a reconnu lors de la preuve n’avoir jamais fait une quelconque demande aux Villes d’assurer à sa place les comparutions des prévenus aux Villes, et n’a jamais effectué d’audits ou de vérifications pour s’assurer que les membres liés aux Villes comparaissaient bel et bien dans les 24 heures en tout temps[96].
- Bref, selon le Tribunal, le PGQ n’a que lui-même à blâmer pour le fait que les membres liés aux Villes n’aient pas comparu dans les 24 heures de leur arrestation.
- Le Tribunal conclut donc que le MJQ a totalement abdiqué ses responsabilités et devoir de surveillance envers les membres liés aux Villes en n’exigeant pas, lors de la conclusion des ententes Pièces P-1 et P-2, que les Villes de Québec et Montréal se dotent d’un système de comparution respectant en tout temps l’article 503 du Code criminel d’une part, et en ne mettant pas en place un tel système à travers la province, d’autre part.
- Donc, de l’ensemble de ce qui précède, le Tribunal conclut que le PGQ est responsable envers les membres liés aux Villes de Montréal et de Québec, que ce soit par faute directe ou par responsabilité comme mandant.
- Il appartient donc au PGQ d’indemniser ces membres pour la détention arbitraire qu’ils ont subie, moins bien sûr la portion que les Villes ont déjà payée à certains de ces membres.
- Le Tribunal ajoute de façon subsidiaire que, si l’on devait considérer les fautes des Villes :
- Vis-à-vis des membres liés aux Villes, le défaut de mettre en place un système de comparution qui respecte l’article 503 constitue une faute extracontractuelle, laquelle doit être réparée solidairement lorsqu’il y a deux auteurs ou plus, en vertu de l’article 1526 CcQ;
- Le Tribunal conclut à un partage de responsabilité entre le PGQ et les Villes selon leur part réelle de responsabilité qui, pour les raisons expliquées ci-haut, est de 99% pour le PGQ et de 1% pour les Villes. En effet, les Villes n’avaient aucun système de comparution les dimanches dès 2005 ou 2010 et le PGQ a conclu les ententes Pièces P-1 et P-2 en toute connaissance de cause de cela, précisant même cela dans la Partie III de l’Annexe 1 des ententes. De plus, le PGQ devait lui-même compléter le système et s’assurer que les comparutions aient pu avoir lieu le dimanche, ce qui n’a pas été fait;
- Ainsi, la question de la solidarité avec les Villes est un faux débat et ne change rien.
- Cependant, avant de conclure de façon finale, le Tribunal doit étudier un argument ultime que soulève le PGQ, portant sur l’effet de la remise de dette aux Villes par le demandeur. Ceci vise uniquement les membres ayant réglé avec les Villes.
- Quant aux membres ayant réglé avec les Villes, le PGQ argumente qu’il n’a pas à payer pour le solde de l’indemnité versée aux membres, pour les raisons suivantes :
- Si le Tribunal conclut que la responsabilité du PGQ est engagée et qu’elle est solidaire avec les Villes, les Ententes de règlement constituent une remise de dette opposable au demandeur au sens de l’article 1687 CcQ :
1687. Il y a remise lorsque le créancier libère son débiteur de son obligation.
La remise est totale, à moins qu’elle ne soit stipulée partielle.
- En effet, la remise de dette des villes libère le PGQ pour leur part de responsabilité. Le PGQ ne pouvant être tenu responsable que pour sa part, en vertu de l’article 1690 CcQ :
1690. La remise expresse accordée à l’un des débiteurs solidaires ne libère les autres codébiteurs que pour la part de celui qui a été déchargé; et si l’un ou plusieurs des autres codébiteurs deviennent insolvables, les portions des insolvables sont réparties par contribution entre tous les autres codébiteurs, excepté celui à qui il a été fait remise, dont la part contributive est supportée par le créancier.
La remise expresse accordée par l’un des créanciers solidaires ne libère le débiteur que pour la part de ce créancier.
- C’est que la Cour suprême du Canada a décidé dans l’arrêt Hinse c. Canada (Procureur général)[97];
- Or, selon le PGQ, les Villes sont les autrices de la faute primaire et ultimement, entièrement responsables des dommages réclamés;
- La remise de dette consentie par le demandeur aux Villes a donc eu pour effet de lui faire perdre tous ses recours contre le PGQ à l’égard des membres couverts par les ententes de règlement, si tant est qu’il soit solidaire. Voir Société du Vieux-Port de Montréal inc. c. Patel[98];
- Dans le cas où le Tribunal considère que le PGQ a une part de responsabilité qui lui soit imputable, ce dernier bénéficie des transactions dans lesquelles le demandeur a accordé une remise de dette aux Villes en contrepartie d’un paiement qui couvre l’entièreté des dommages subis par les membres;
- En effet, en vertu du principe de réparation intégrale voulant que la partie demanderesse ne puisse se retrouver enrichie à la suite d’un règlement, le défendeur solidaire, non-participant à la transaction, peut demander la déduction de l’excédent entre le montant payé au demandeur et la véritable part de responsabilité attribuable au défendeur libéré. Voir : Tandalla Inc. c. Lippman Leebosh April[99] et Robitaille c. Syndicat de la copropriété Les condos du Marché Jean-Talon[100];
- En effet, les codéfendeurs solidaires ou in solidum non participants à la transaction pourront demander la déduction de l’excédent entre le montant payé à la partie demanderesse et la véritable part de responsabilité attribuable au défendeur libéré. Pour justifier une telle déduction, les codéfendeurs solidaires ou in solidum pourront soulever le principe de réparation intégrale du préjudice édicté à l’article 1611 CcQ voulant que la partie demanderesse ne puisse se retrouver enrichie suite au règlement;
- Dans le cadre des transactions signées entre le demandeur et les Villes, les membres sont susceptibles d’obtenir un montant individuel de 3 250 $ pour Québec et de 3 729,40 $ pour Montréal;
- Le PGQ soumet que ce montant est amplement suffisant pour couvrir l’ensemble des dommages qu’auraient subi les membres listés aux Pièces P-24 et P-25. Le demandeur considère lui-même que l’« Entente de règlement prévoit une indemnisation substantielle pour les Membres éligibles » :
- Entente de règlement de la Ville de Québec, clause 22;
- Entente de règlement de la ville de Montréal, clause HH du préambule.
- Dans le cas où le Tribunal considère que la somme versée par les Villes dans le cadre du règlement est inférieure au montant des dommages attribuables à sa part de responsabilité, le PGQ bénéficie tout de même des transactions, en ce que sa part de responsabilité ne peut certainement pas s’en retrouver augmentée;
- C’est au demandeur de supporter une perte équivalente à la différence entre le montant de règlement et la véritable part de responsabilité attribuable aux Villes.
- Le Tribunal ne peut accepter cet argument du PGQ pour les motifs suivants :
- Les ententes de règlement approuvées par le Tribunal prévoient spécifiquement que les membres conservent leur recours contre le PGQ. Il ne peut donc alors y avoir de remise de dette totale, peu importe le statut de solidarité ou de in solidum entre le PGQ et les Villes;
- La remise de dette envers le PGQ n’est pas totale car elle a été stipulée expressément partielle. Sinon, pourquoi prévoir que le recours continue contre le PGQ pour les membres qui ont réglé?
- Puisque le remise est partielle, il est clair que le PGQ ne peut être responsable de la part déjà payée par les Villes, mais il est également clair que le PGQ est responsable du solde entre la part payée par les Villes et la réclamation de 7 000 $ par membre.
- Les autorités citées par le PGQ visent des situations factuelles totalement différentes du présent cas.
- Le Tribunal conclut donc que, que ce soit par faute directe ou par responsabilité comme mandant, le PGQ est responsable envers tous les membres liés aux Villes de Montréal et de Québec de l’absence de comparution, les dimanches et les jours fériés, devant les cours municipales de ces villes, pendant une période de plus de 24 heures consécutives après une arrestation et une mise en détention.
- Les arguments des parties sur les calculs et l’estimation du nombre de membres reliés aux Villes de Montréal et Québec et sur la possibilité d’un recouvrement collectif sont étudiés à la section 4.5.3.
- Le Tribunal aborde maintenant la date de fermeture du groupe, ce qui permettra d’avoir le portrait complet de l’étendue du groupe.
- Selon le demandeur, le groupe devrait avoir les périodes suivantes pour les 6 catégories suivantes :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts : 19 juin 2015 au 31 octobre 2019;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec : 1er novembre 2019 au 8 février 2020;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal : 1er novembre 2019 au 14 mars 2020;
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse : 19 juin 2015 au 31 octobre 2019;
- Cour municipale de Québec : 19 juin 2015 au 9 février 2020;
- Cour municipale de Montréal : 19 juin 2015 au 20 mars 2020.
- Le PGQ soumet que la fermeture du groupe devrait être limitée au 27 octobre 2019 pour tous les groupes, pour les motifs suivants :
- Il apparaît de la preuve qu’à cette date des comparutions téléphoniques sont possibles dans tous les districts du Québec devant un juge de paix fonctionnaire ou un juge de paix magistrat :
- Pièces PGQ-13 et PGQ-51;
- Témoignage de Me Érika Porter au procès;
- La responsabilité du PGQ est de mettre en place un système. Une fois que ce système est en place, le refus de certains corps policiers de s’en prévaloir ne peut être imputé au PGQ, d’autant plus que des démarches concrètes ont été effectuées afin d’inciter les policiers du SPVM et du SPVQ à utiliser le système. Voir le témoignage de Me Érika Porter au procès;
- Le demandeur prétend qu’il n’y avait pas de comparution dans les districts de Québec et de Montréal, respectivement, jusqu’en février et mars 2020. Or, bien que les chiffres soient contradictoires entre les données du greffe et les relevés d’appel du BSC, la preuve demeure à l’effet qu’il y a eu des comparutions téléphoniques dans ces districts à compter du 27 octobre 2019. Voir la Pièce PGQ-14 et la Pièce PGQ-48;
- Par conséquent, le groupe devrait être fermé au 27 octobre 2019.
- Que décider?
- Le Tribunal est d’avis que la position du demandeur doit être retenue au complet pour les 6 catégories, pour les raisons suivantes.
- Pour cette catégorie, le débat porte sur le choix de la date du 27 ou du 31 octobre 2019 comme date de fermeture du groupe. Il est vrai que la lettre de la Cour su Québec du 25 octobre 2019 (Pièce PGQ-13) parle de la reprise du système du dimanche le 27 octobre 2019. Cependant, lorsque questionnée en interrogatoire principal et en contre-interrogatoire, même avec référence à cette lettre, Me Porter a spécifiquement dit qu’il faillait comprendre que c’était le 31 octobre 2019. Dans le Rapport annuel de gestion 2019-2020 du DPCP (Pièce P-37), on lit à la page 25 que : « À la fin octobre 2019, le DPCP a mis en place le système de comparutions téléphoniques le samedi, de 7 h à 16 h 30, et le dimanche entre 10 h et 16 h pour l’ensemble du Québec, à l’exception de Québec et Montréal […] ».
- Le Tribunal retient donc le 31 octobre 2019 comme ressortant de la preuve, selon la balance des probabilités.
- Pour la période postérieure au 31 octobre 2019, il est vrai que les chiffres sont contradictoires entre les données du greffe et les relevés d’appel du BSC. On voit qu’il y a eu quelques comparutions téléphoniques dans le district de Québec à compter du 31 octobre 2019 (Voir la Pièce PGQ-14 et la Pièce PGQ-48). Cependant, ces chiffres relèvent plutôt de l’anecdote et sont trop bas pour révéler la présence d’une véritable reprise des comparutions le dimanche.
- En interrogatoire principal et en contre-interrogatoire, Me Porter a spécifiquement parlé de février 2020 comme étant la reprise du système à Québec. La lettre de Me Murphy du 16 janvier 2020 (Pièce PGQ-51) mentionne que la Cour du Québec va reprendre le 9 février 2020 ses comparutions en personne devant un juge de la Cour du Québec toute la fin de semaine dans le district de Québec. De plus, dans le Rapport annuel de gestion 2019-2020 du DPCP (Pièce P-37), on lit à la page 25 ceci :
À la fin octobre 2019, le DPCP a mis en place le système de comparutions téléphoniques le samedi, de 7 h à 16 h 30, et le dimanche entre 10 h et 16 h pour l’ensemble du Québec, à l’exception de Québec et Montréal qui ont continué les comparutions en personne le samedi. Les comparutions en personne se font aussi le dimanche depuis février 2020 à Québec et depuis mars 2020, à Montréal.
- Le Tribunal conclut que la preuve révèle, par la balance des probabilités, que la date de la véritable reprise des comparutions le dimanche à Québec est le 9 février 2020. Dans ces circonstances, la date de fermeture du groupe pour cette catégorie est le 8 février 2020.
- Pour la période postérieure au 31 octobre 2019, il est vrai que les chiffres sont contradictoires entre les données du greffe et les relevés d’appel du BSC. On voit qu’il y a eu quelques comparutions téléphoniques dans le district de Montréal à compter du 31 octobre 2019 (Voir la Pièce PGQ-14 et la Pièce PGQ-48). Cependant, ces chiffres relèvent plutôt de l’anecdote et sont trop bas pour révéler la présence d’une véritable reprise des comparutions le dimanche.
- En interrogatoire principal et en contre-interrogatoire, Me Porter a spécifiquement parlé de mars 2020 comme étant la reprise du système à Montréal. La lettre de Me Murphy du 16 janvier 2020 (Pièce PGQ-51) mentionne que la Cour du Québec va reprendre le 15 mars 2020 ses comparutions en personne devant un juge de la Cour du Québec toute la fin de semaine dans le district de Montréal. De plus, dans le Rapport annuel de gestion 2019-2020 du DPCP (Pièce P-37), on lit à la page 25 ceci :
À la fin octobre 2019, le DPCP a mis en place le système de comparutions téléphoniques le samedi, de 7 h à 16 h 30, et le dimanche entre 10 h et 16 h pour l’ensemble du Québec, à l’exception de Québec et Montréal qui ont continué les comparutions en personne le samedi. Les comparutions en personne se font aussi le dimanche depuis février 2020 à Québec et depuis mars 2020, à Montréal.
- Le Tribunal conclut que la preuve révèle, par la balance des probabilités, que la date de la véritable reprise des comparutions le dimanche à Montréal est le 15 mars 2020. Dans ces circonstances, la date de fermeture du groupe pour cette catégorie est le 14 mars 2020.
- Aucun témoin ni pièce ne viennent aborder ce sujet. Dans ce cas, le Tribunal s’en remet à la catégorie générale, qui est la catégorie 1. La date de fermeture du groupe est donc le 31 octobre 2019.
- La période du 19 juin 2015 au 9 février 2020 correspond à la période non réglée avec la Ville de Québec (19 juin 2015 au 14 décembre 2017) et à la période réglée avec la Ville de Québec (15 décembre 2017 au 9 février 2020). On a vu à la section 4.2.2 que le PGQ est responsable de l’absence du système de comparution à la Cour municipale, et cette responsabilité perdure après le 31 octobre 2019, car le système de fins de semaine n'avait pas encore repris à la Cour municipale de Québec ni pour la Cour du Québec dans le district de Québec. La date du 9 février 2020 est celle prévue à l’entente de règlement hors cour et diffère légèrement de la date du 8 février 2020 pour la Cour du Québec, district de Québec (catégorie 2). C’est la date que la Ville de Québec a négocié dans l’entente quant à la reprise des services. Le Tribunal retient donc la date du 9 février 2020 pour la catégorie 5.
- La période du 19 juin 2015 au 20 mars 2020 correspond à la période non réglée avec la Ville de Montréal (19 juin 2015 au 14 décembre 2017) et à la période réglée avec la Ville de Montréal (15 décembre 2017 au 20 mars 2020). On a vu à la section 4.2.2 que le PGQ est responsable de l’absence du système de comparution à la Cour municipale, et cette responsabilité perdure après le 31 octobre 2019, car le système de fins de semaine n'avait pas encore repris à la Cour municipale de Montréal ni pour la Cour du Québec dans le district de Montréal. La date du 20 mars 2020 est celle prévue à l’entente de règlement hors cour et diffère légèrement de la date du 14 mars 2020 pour la Cour du Québec, district de Montréal (catégorie 3). C’est la date que la Ville de Montréal a négocié dans l’entente quant à la reprise des services. Le Tribunal retient donc la date du 20 mars 2020 pour la catégorie 6.
- La période du groupe pour les membres est donc la suivante :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts: 19 juin 2015 au 31 octobre 2019;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec : 1er novembre 2019 au 8 février 2020;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal : 1er novembre 2019 au 14 mars 2020;
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse : 19 juin 2015 au 31 octobre 2019;
- Cour municipale de Québec : 19 juin 2015 au 9 février 2020;
- Cour municipale de Montréal : 19 juin 2015 au 20 mars 2020.
- Mais ces membres ont-ils subi un dommage? Si oui, lesquels et combien valent-ils? Y a-t-il en plus des dommages punitifs et/ou des dommages de Charte canadienne? Y a-t-il lieu de faire des sous-groupes? C’est ce que le Tribunal aborde maintenant.
- Le demandeur réclame un montant de 7 000 $ par membre par événement, se détaillant ainsi :
- De façon principale : Un montant de 7 000 $ pour dommages compensatoires pour faute en vertu de l’article 1457 CcQ, et/ou pour atteinte illicite en vertu de la Charte du Québec et/ou pour dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec pour atteinte illicite et intentionnelle aux droits du demandeur et de ceux des membres;
- De façon subsidiaire : Si le Tribunal n’accorde pas le montant de 7 000 $ ou accorde un montant inférieur à la somme de 7 000 $ à titre de dommages compensatoires et/ou punitifs, le demandeur demande au Tribunal d’accorder le total ou le solde à titre de réparation appropriée en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne pour détention arbitraire. Ce montant est ventilé ainsi, de façon subsidiaire : 3 000 $ pour le volet indemnisation, 3000 $ pour le volet de la défense du droit violé (affirmation des valeurs de la Charte canadienne) et 1 000 $ pour le volet dissuasion, en fonction des trois objectifs décrits dans l’arrêt Ward[101] de la Cour suprême du Canada.
- Le PGQ conteste et présente la position suivante :
- Même si certains membres ont pu subir un dommage, il est nettement inférieur à 7 000 $ par événement et ne peut de toute manière être évalué de façon collective. Au surplus, il y a plusieurs sous-groupes qui peuvent être créés;
- Aucun dommage punitif en vertu de la Charte du Québec ne devrait être accordé car le PGQ n’a pas porté atteinte aux droits de membres de façon illicite et intentionnelle, selon la preuve. Sa conduite est plutôt l’inverse, soit favoriser la poursuite du système de comparution les dimanches et les jours fériés;
- Quant aux dommages de la Charte canadienne, ils devraient être minimes et varient de toute façon au cas par cas en fonction des diverses réparations que les membres ont pu avoir obtenu, par exemple un arrêt des procédures.
- Le Tribunal va donc étudier en ordre les dommages compensatoires, les dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec et les dommages en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne pour tous les membres du groupe outre les membres liés aux Villes de Montréal et Québec. Le Tribunal étudie ensuite tous les dommages pour les membres liés aux Villes, car un argument distinct les vise.
- Débutons par les dommages compensatoires.
- La présente section vise les dommages compensatoires pour faute en vertu du CcQ et pour atteinte illicite à la Charte du Québec, pour tous les membres autres ceux liés aux Villes. Comme on l’a vu précédemment, il ne peut y avoir une double indemnisation à ces égards. À toutes fins pratiques, ces deux chefs de dommages sont les mêmes et sont identiques. Donc, quels dommages compensatoires ont été causés aux membres par la faute et l’atteinte illicite du PGQ?
- Le Tribunal note qu’il a déjà rejeté aux sections 4.1 et 4.2 les arguments du PGQ quant à l’absence de causalité reliée aux policiers, à la Cour du Québec et aux Villes de Montréal et de Québec. À part ces arguments, le PGQ ne conteste pas de façon générale la causalité entre faute et dommages. C’est avec raison selon le Tribunal, car la preuve démontre que les dommages subis par les membres sont directement reliés à l’absence de comparution dans les 24 heures.
- Le demandeur soumet un montant uniforme de 7 000 $ par événement par membre. Aux paragraphes 141 à 148 de la Demande du 8 janvier 2025, il allègue que les dommages compensatoires sont les suivants, pour lui et pour tous les membres du groupe :
- Être détenu plus de 24 heures sans comparaître (par. 141);
- Être privé de la garantie procédurale de l’article 503 du Code criminel (par. 142);
- Être privé du droit d’être promptement conduit devant le tribunal compétent ou mis en liberté (par. 143);
- Être privé, sans juste cause, du droit de comparaître (par. 144);
- Être privé de sa liberté et de ses droits sans motifs et en contravention de la procédure prescrite par la loi (par. 145);
- Avoir vécu du stress en raison de ne pas avoir comparu au plus tard dans un délai de 24 heures (par. 146);
- Cette détention de plus de 24 heures sans comparaître, dans le non-respect de ses droits, dans l’attente, l’ignorance et la crainte, a causé de l’anxiété (par. 147);
- Une détention plus de 24 heures cause des préjudices physiques et psychologiques (par. 148).
- Au paragraphe 46 de Demande du 8 janvier 2025, le demandeur donne davantage de détails sur ce que la comparution donne à la personne arrêtée et détenue :
46. Ainsi, la comparution d'un accusé lui permet de :
- connaître la nature de l’accusation portée contre lui;
- d’entrer un plaidoyer de culpabilité s’il le désire;
- être remis en liberté sans condition, à moins que le poursuivant ne fasse valoir des motifs de détention ou justifiants l’imposition de conditions de mise en liberté;
- recevoir la divulgation de la preuve en possession du PPCP ou de la police;
- connaître le motif pour lequel le PPCP s’oppose à sa libération ou encore pour lequel ce dernier demande l’imposition de conditions de mise en liberté;
- tenter de répondre aux inquiétudes du PPCP et de lui offrir un cautionnement raisonnable eu égard aux circonstances;
- ne pas être privé du droit à un cautionnement raisonnable sans juste cause;
- faire contrôler, par le tribunal, la légalité de sa détention ou les conditions les moins contraignantes devant lui être imposées;
- fournir, dans les cas où un mandat d’arrestation avait été lancé en raison de son absence devant la cour lorsque requise, une explication de son absence à la satisfaction du tribunal (communément appelé une explication sur un défaut- mandat);
- faire débuter immédiatement le temps maximal pour lequel le PPCP peut demander un ajournement pour faire valoir des motifs justifiant la détention ou l’imposition de conditions de mise en liberté;
- faire contrôler, par le tribunal, la demande d’ajournement du PPCP ainsi que la durée nécessaire de cet ajournement;
- être transporté vers un centre de détention suivant l’émission d’un mandat de renvoi;
- Le demandeur prétend qu’à défaut d’avoir pu bénéficier d’une comparution au plus tard dans un délai de 24 heures, lui-même et tous les membres ont perdu l’opportunité de pouvoir bénéficier de chacun des éléments énumérés à ce paragraphe.
- Le PGQ soumet[102] que, pour les membres qui ont subi un dommage, le montant doit être individualisé à chacun et que, au pire, le dommage suggéré comme point de départ serait de 100 $ par heure complète de détention après la fin de la période de 24 heures, pour les 5 premières heures, et ensuite de 250 $ par heure de détention subséquente après les 5 premières heures. Le PGQ propose la création de sous-groupes pour viser diverses situations, avec des quantums différents, dont certains seraient de 0 $. Le PGQ nie la perte de chance pour tous les membres.
- Que décider?
- Il convient d’exposer ce que la preuve testimoniale a révélé.
- Le demandeur : Le demandeur a passé 14 heures et 20 minutes excédant les 24 heures maximales. Il a indiqué que, dans le délai postérieur au premières 24 heures de détention alors qu’il était seul dans la cellule au poste de police de Gatineau, il s’est senti coupé du temps, que les heures lui ont semblé interminables, que les policiers ne répondaient pas à ses interpellations, que son anxiété a grandi de plus en plus, et que son « mal-être » a augmenté. Il parle d’une attente interminable, coupé de tout, dans un endroit sombre, lugubre et nauséabond, avec aucune notion du temps. Il termine en disant qu’il n’y a rien de plus stressant et que « Ça laisse des marques, c’est difficile à vivre ». Le demandeur a fait état que, dans sa cellule au poste de police, les lumières étaient toujours allumées et il n’a pas pu vraiment dormir.
- Les deux membres : Mme Leila Mukandila-Robidoux et M. Gabriel Lavoie Levasseur, deux membres du groupe qui ont témoigné, ont indiqué que, après le délai de 24 heures sans comparution, ils se sont sentis seuls, oubliés, en violation de leurs droits et comme des personnes de seconde classe, surtout qu’il leur était impossible de savoir le délai écoulé vu l’absence d’horloge et l’absence de fermeture des lumières dans la cellule du poste de police où ils ont été détenus après leurs arrestations en 2019 et 2018.
- M. Lavoie Levasseur comptait les minutes avec des bouts de papier de toilette, et on ne lui a pas donné ses médicaments pour l’anxiété; il n’y avait aucune possibilité de prendre une douche ni rien pour se divertir. Il n’a pas réussi à dormir.
- Mme Mulandila-Robidoux a eu ses règles lors de la détention au poste de police et les policiers n’avaient pas de serviettes sanitaires ou de tampons pour elle, se contenant de lui dire de prendre du papier de toilette; il n’y avait aucune possibilité de prendre une douche ni rien pour se divertir. Elle ajoute que, pendant sa détention au poste de police, personne ne lui a dit qu’il existait un délai de 24 heures pour comparaître.
- M. Lavoie Levasseur a par la suite été transféré dans un véritable centre de détention dans lequel, selon lui, les conditions de détention sont bien meilleures que celles de la prison du poste de police[103]. Il a par contre été fouillé à nu à son arrivée.
- Mme Mukandila-Robidoux a passé 6 heures de plus que le 24 heures avant de comparaître, alors que M. Lavoie Levasseur a passé 10 heures de plus que le 24 heures avant de comparaître.
- Le Tribunal constate donc que :
- Le demandeur et les deux membres ont confirmé le stress, l’anxiété et le sentiment d’impuissance et d’être à la merci de l’État, sentiments qui sont évidemment inhérents à toute détention arbitraire par l’État. Tous ont raconté l’importance pour eux de pouvoir comparaître devant un juge;
- Mme Mulandila-Robidoux et le demandeur auraient clairement pu recouvrer leur liberté avant 24 heures si le système de comparution n’avait pas été fermé – c’est ce qui leur est arrivé lors de leur éventuelle comparution, sans opposition de la Couronne. Le fait qu’ils auraient possiblement pu être libérés le jour même via un juge de paix fonctionnaire, ou à la discrétion de la police, n’enlève aucun lien de causalité à leur détention arbitraire, comme déjà décidé précédemment. Ce qui est important, c’est que la disponibilité d’un système de comparution le jour même les aurait assurés de pouvoir être libérés le jour même, peu importe les valses ou les hésitations de la police. C’est justement là le rôle de garde-fou de la comparution obligatoire;
- Quant à monsieur Lavoie Levasseur, son cas illustre le bénéfice important de la comparution, même pour ceux qui demeurent détenus. En effet, monsieur Lavoie Levasseur aurait dû être transféré en établissement de détention dès sa comparution, où il aurait eu accès à une vraie chambre, un téléviseur, une douche, une intimité pour ses besoins personnels, la fermeture des lumières la nuit, et des repas complets.
- Passons au détail de tout cela.
- Le Tribunal note d’entrée de jeu que le demandeur n’a fait aucune preuve quelconque démontrant que l’absence de comparution dans les 24 heures cause des préjudices physiques. Le Tribunal ne peut donc rien accorder à cet égard.
- Quant au reste, le Tribunal est d’avis que, contrairement à ce qu’argumente le PGQ, le demandeur a fait la preuve et a démontré l’existence des dommages compensatoires suivants, qui sont communs à tous les membres du groupe pour toute la période :
- Perte des 8 bénéfices suivants de la comparution :
- Connaître la nature de l’accusation portée contre le membre;
- Être remis en liberté sans condition, à moins que le poursuivant ne fasse valoir des motifs de détention ou justifiants l’imposition de conditions de mise en liberté;
- Connaître le motif pour lequel le PPCP s’oppose à sa libération ou encore pour lequel ce dernier demande l’imposition de conditions de mise en liberté;
- Faire contrôler, par le tribunal, la légalité de sa détention ou les conditions les moins contraignantes devant lui être imposées;
- Faire débuter immédiatement le temps maximal pour lequel le PPCP peut demander un ajournement pour faire valoir des motifs justifiant la détention ou l’imposition de conditions de mise en liberté;
- Faire contrôler, par le tribunal, la demande d’ajournement du PPCP ainsi que la durée nécessaire de cet ajournement;
- Être transporté vers un centre de détention suivant l’émission d’un mandat de renvoi;
- Régler toute question reliée à la santé du membre ou à une condition particulière.
- Les dommages moraux : stress, anxiété et préjudice psychologique résultant de la privation de la liberté au-delà du 24 heures et de la perte de la chance d’avoir les 5 autres garanties procédurales.
- Le Tribunal explique pourquoi dans les prochaines sections.
- Le Tribunal note que, pour les mêmes raisons ci-bas que les membres « ordinaires », les membres invisibles et les « membres déjà en détention légale pour un autre crime » ont souffert ces préjudices et sont donc susceptibles d’être indemnisés.
- Le demandeur a fait une liste de plusieurs bénéfices associés à la comparution. Parmi ces bénéfices, le Tribunal est d’avis que tous les membres ont été privés des 8 suivants :
- Connaître la nature de l’accusation portée contre le membre;
- Être remis en liberté sans condition, à moins que le poursuivant ne fasse valoir des motifs de détention ou justifiant l’imposition de conditions de mise en liberté;
- Connaître le motif pour lequel le PPCP s’oppose à sa libération ou encore pour lequel ce dernier demande l’imposition de conditions de mise en liberté;
- Faire contrôler, par le tribunal, la légalité de sa détention ou les conditions les moins contraignantes devant lui être imposées;
- Faire débuter immédiatement le temps maximal pour lequel le PPCP peut demander un ajournement pour faire valoir des motifs justifiant la détention ou l’imposition de conditions de mise en liberté;
- Faire contrôler, par le tribunal, la demande d’ajournement du PPCP ainsi que la durée nécessaire de cet ajournement;
- Être transporté vers un centre de détention suivant l’émission d’un mandat de renvoi;
- Régler toute question reliée à la santé du membre ou à une condition particulière.
- Tous les membres sans exception ont été privés de ces bénéfices dans les premières 24 heures de leur arrestation. Voici le détail, le Tribunal regroupant ces garanties.
- 1-Connaître la nature de l’accusation portée contre le membre ET 2-Être remis en liberté sans condition, à moins que le poursuivant ne fasse valoir des motifs de détention ou justifiants l’imposition de conditions de mise en liberté ET 3-Connaître le motif pour lequel le PPCP s’oppose à sa libération ou encore pour lequel ce dernier demande l’imposition de conditions de mise en liberté ET 4-Faire contrôler, par le tribunal, la légalité de sa détention ou les conditions les moins contraignantes devant lui être imposées :
- Selon le Tribunal, le système de comparution prévu au Code criminel est réfléchi et intentionnel. Par ses garanties procédurales, le système incarne les protections constitutionnelles et leur donne un sens pratique. Sans ces droits procéduraux, les droits constitutionnels ne sont que des droits théoriques, sans résonnance pratique dans la vie courante des citoyens. Afin de protéger la valeur de la Charte canadienne et de la Charte du Québec, il est essentiel que toutes les garanties procédurales qui la mettent en œuvre soient respectées en tout temps.
- C’est ainsi que la comparution prévue à l’article 503 constitue la porte d’entrée pour la mise en œuvre d’une vaste gamme de garanties procédurales prévues par le Code criminel. C’est pourquoi cet article a été décrit comme étant « one the most important procedural provisions of the Criminal code »[104], ou encore comme « une pierre angulaire de notre système de justice » et « un de nos choix de société les plus fondamentaux »[105].
- Afin que la comparution puisse avoir lieu, une dénonciation doit avoir été rédigée et déposée : le prévenu qui n’est pas autrement mis en liberté par l’agent de la paix ne pourra comparaître que si une dénonciation est déposée devant un juge de paix[106]. La dénonciation doit alléguer la commission d’une infraction.
- Donc, premièrement, la dénonciation permet à la personne détenue de connaître la nature de l’accusation portée contre elle, droit qui est protégé par l’article 11a de la Charte canadienne et l’article 28.1 de la Charte du Québec[107]. Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- Deuxièmement, comme expliqué par les témoins du DPCP, un système de préautorisation de la dénonciation est en place au Québec et fait en sorte que le poursuivant fait une analyse de la preuve avant que la dénonciation ne soit préparée pour son dépôt par l’agent de la paix. Cette étape préalable a comme avantage d’éviter que des accusations non appuyées par la preuve ne soient portées et de favoriser la mise en liberté au stade policier. Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- Troisièmement, au moment de la comparution, une autorité indépendante est informée de la détention d’une personne, ce qui met fin en principe rapidement à la détention in communicado. C’est là l’apanage de tout État de droit qui se veut libre et démocratique.
- Ceci fait également écho à l’article 29 de la Charte du Québec :
29. Toute personne arrêtée ou détenue a droit, sans délai, d’en prévenir ses proches et de recourir à l’assistance d’un avocat. Elle doit être promptement informée de ces droits.
- Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- Quatrièmement, l’article 515(1) du Code criminel est très clair quant au rôle du juge lorsqu’il préside une comparution : sauf dans des cas très précis et à moins qu’il n’accepte le plaidoyer de culpabilité de l’inculpé, le juge de paix a l’obligation de le libérer sans condition. Il appartient au poursuivant de faire valoir des motifs justifiant une privation de liberté.
- De cette manière, la comparution garantit à toute personne détenue le contrôle de la légalité de sa détention par une autorité impartiale, et ce, dans un délai maximal de 24 heures, ce qui assure la protection des citoyens de ne pas être détenu arbitrairement et la mise en œuvre du droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable.
- Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Antic[108] :
[1] Le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable est un élément essentiel d’un système de justice pénale éclairé. Il consacre l’effet de la présomption d’innocence à l’étape préalable au procès criminel et protège la liberté des accusés. […]
- 5-Faire débuter immédiatement le temps maximal pour lequel le PPCP peut demander un ajournement pour faire valoir des motifs justifiant la détention ou l’imposition de conditions de mise en liberté ET 6-Faire contrôler, par le tribunal, la demande d’ajournement du PPCP ainsi que la durée nécessaire de cet ajournement :
- L’article 516(1) du Code criminel permet, tant au poursuivant qu’à l’accusé, de demander un ajournement de l’enquête sur remise en liberté que prévoit l’article 515, qui « ne peut jamais être de plus de trois jours francs sauf avec le consentement du prévenu ». La tenue de la comparution, sans retard injustifié et dans tous les cas dans les 24 heures de l’arrestation, permet donc de faire courir ce délai le plus rapidement possible suivant l’arrestation. De plus, comme la demande de report de l’enquête sur mise en liberté en vertu de 516(1) n’est pas une prérogative de la poursuite pouvant être exercée arbitrairement, le tribunal doit toujours pouvoir contrôler la demande et sa durée.
- Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- 7-Être transporté vers un centre de détention suivant l’émission d’un mandat de renvoi :
- Premièrement, au terme de sa comparution, si l’accusé n’est pas remis en liberté, il fait l’objet d’un mandat de renvoi. Il est alors transféré dans un établissement de détention, plutôt que de demeurer détenu dans un poste de police, et est informé de la date et l’heure de son retour devant la Cour, ce qui contribue évidemment à le rassurer.
- Ainsi, selon le Tribunal, en vertu de l’article 503 du Code criminel et du système de détention québécois, personne ne peut être détenu par la police dans une cellule du poste de police pendant plus de 24 heures. Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- Deuxièmement, la preuve démontre par la balance des probabilités que les conditions de détention dans un poste de police ne sont pas du tout adaptées à une détention de plus de quelques heures, et diffèrent grandement de celles qui prévalent dans un établissement de détention, qui elles sont adaptées à des détentions de plusieurs mois.
- Selon les témoignages du demandeur et des deux membres entendus au procès, les personnes détenues dans une station de police ne peuvent bénéficier d’aucune intimité, elles ne peuvent dormir en raison des lumières qui sont allumées en permanence et ne peuvent voir la lumière du jour ou calculer le temps, elles ne reçoivent pas de vrais repas et n’ont accès à aucun divertissement – elles regardent le mur au fur et à mesure que les heures défilent.
- De plus, les propres pièces admises au dossier et provenant du PGQ reconnaissent que les conditions de détention au poste de police sont plus difficiles que celles dans un établissement de détention, et elles indiquent même que c’est un des arguments pourquoi la comparution dans les 24 heures est importante et utile. Le Tribunal réfère aux éléments suivants (le Tribunal souligne) :
- La Pièce P-36 en liasse, la note du 5 mai 2006 de Me Patrick Michel du DPCP, p. 5, où l’on lit :
La mise en œuvre d'un service de comparution sans interruption en dehors des heures ouvrables permet de rencontrer au mieux les objectifs qui sous-tendent l'obligation prévue à l'article 503 C.cr. :
- faire en sorte que la remise en liberté des personnes qui peuvent être libérées sous conditions ne soit pas indûment retardée;
- soumettre la situation des prévenus qui doivent demeurer détenus à l'attention de l'autorité judiciaire afin d'obtenir un mandat de renvoi qui permet, dans les meilleurs délais possibles, d'en confier la garde aux services correctionnels dans de meilleures conditions de détention que celles prévalant dans les postes de police.
- La Pièce P-29G, les commentaires du 17 avril 2015 sur la suspension des comparutions le dimanche du Service de police de Laval, p. 2, où l’on lit :
- l'expérience nous a démontré que plus la durée d'un détenu en cellule dans un établissement policier est longue, plus il y a de chance que le détenu manifeste un malaise nous obligeant à procéder à son transfert à l'hôpital nous obligeant d'une part à assumer les coûts pour les services ambulanciers ainsi que d'effectuer la surveillance du détenu à l'hôpital qui se traduit bien souvent à des coûts en temps supplémentaires.
- La Pièce P-3, le Journal des débats de la Commission des institutions du 1er et 8 juin 2004, p. 9, où l’on lit :
M. Breton (Michel) : Tous les intervenants n'ont eu que des louanges, incluant le Barreau. Le Journal du Barreau, sous la plume du futur bâtonnier, M. Mondor, qui était ici, jeudi dernier, a publié un article à l'effet que les résultats étaient plus que satisfaisants. Ça permettait aux personnes détenues qui devaient recouvrer leur liberté de le faire dans les minutes qui suivaient leurs arrestations. Ça permet également à ceux qui étaient... pour lesquels on s'objectait à la remise en liberté de pouvoir être remis aux services correctionnels et détenus dans des meilleures conditions que de rester dans les cellules d'un poste de police.
- La Pièce P-29H, le rapport de projet du 18 janvier 2008 sur le projet pilote des comparutions téléphoniques, où l’on lit à la page 4 :
Les comparutions téléphoniques les fins de semaines et jours fériés visent à assurer le respect de l'article 503 du Code criminel qui stipule en résumé qu'un détenu doit comparaître sans retard injustifié. Elles offrent en outre une garantie supplémentaire qu'une personne ne sera pas détenue indûment plus longtemps que nécessaire et que, si elle doit l'être elle le sera dans les meilleures conditions possible.
Et à la page 19 (commentaires du MSP) :
Enfin, le service de comparutions téléphoniques n'est pas évalué en termes de mesure d'économies, mais plutôt pour respecter l'obligation faite par l'article 503 du Code criminel de faire comparaître un prévenu sans retard injustifié. Elles favorisent également le droit du détenu de l'être dans les meilleures conditions possible le plus tôt possible.
- La Pièce PGQ-10, la note à la sous-ministre associée datée du 22 février 2016 :
En outre, ces comparutions offrent une garantie qu’aucun citoyen ne demeure détenu plus longtemps que requis, ou que celui-ci sera correctement pris en charge si la détention demeure nécessaire.
- D’ailleurs, lors de son contre-interrogatoire, M. Breton a confirmé les propos de Me Michel dans sa note du 5 mai 2006 et réitéré ses propres propos faits devant la Commission des institutions en 2004 à l’égard des conditions supérieures en établissement de détention par rapport à celles dans une station de police.
- Le Tribunal constate que le témoignage du membre M. Lavoie Levasseur a permis d’illustrer de manière précise et frappante la différence entre les conditions de détention dans un poste de police et celles d’un établissement de détention. En établissement de détention, les détenus ont accès à une vraie chambre, un téléviseur, une douche, une intimité pour leurs besoins personnels, la fermeture des lumières la nuit, et des repas complets.
- Le PGQ n’a présenté aucune preuve pour contrecarrer toute cette preuve documentaire et testimoniale non contredite.
- Rappelons en terminant que les personnes détenues sont présumées innocentes. Elles doivent donc avoir droit, le plus rapidement possible, à un niveau de confort se rapprochant le plus possible de la liberté. Aucun aspect de cette détention n’est censé avoir d’effet punitif, cette question en étant une pour le tribunal, au moment de la sentence, si l’individu est trouvé coupable.
- Bref, encore ici, tous les membres n’ont pas eu ce droit au transfert dans les premières 24 heures de leur arrestation, sauf les adolescents. En effet, selon la preuve, on sait que pour les adolescents, ils proviennent du centre jeunesse et y retournent après une comparution, donc pour eux il n’y a pas de changement de condition de détention. Les adolescents ont cependant tous les autres préjudices de la présente section.
- 8-Régler toute question reliée à la santé du membre ou à une condition particulière :
- Tout membre qui comparaît peut indiquer au juge de paix toute question de santé, de médicaments ou de lunettes, afin que cela soit réglé. On sait ici que le membre M. Lavoie Levasseur n’a pas pu avoir en prison ses médicaments pour l’anxiété.
- Tous les membres n’ont pas eu ce droit dans les premières 24 heures de leur arrestation.
- Le Tribunal conclut que ces 6 éléments constituent un préjudice que tous les membres ont subi, sans exception, à cause de la faute et de l’atteinte illicite du PGQ. Aucun témoignage de membres n’est requis pour ce préjudice, qui découle tout simplement du fait de ne pas avoir comparu dans les 24 heures de l’arrestation. Et il y a causalité, comme déjà expliqué.
- Avant de passer à la prochaine section, le Tribunal aborde maintenant les 5 autres droits procéduraux que confèrent la comparution. Il s’agit de :
- D’entrer un plaidoyer de culpabilité s’il le désire;
- Recevoir la divulgation de la preuve en possession du PPCP ou de la police;
- Tenter de répondre aux inquiétudes du PPCP et de lui offrir un cautionnement raisonnable eu égard aux circonstances;
- Ne pas être privé du droit à un cautionnement raisonnable sans juste cause;
- Fournir, dans les cas où un mandat d’arrestation avait été lancé en raison de son absence devant la cour lorsque requise, une explication de son absence à la satisfaction du tribunal (communément appelé une explication sur un défaut-mandat).
- Pour ces 5 garanties, elles ne sont généralement pas offertes au moment de la comparution. En effet, il est vrai que la preuve[109] démontre que, dans l’immense majorité des comparutions de semaine ET de fins de semaines pour les adultes et les adolescents, l’enquête sur remise en liberté ne se tient jamais en même temps que la comparution en pratique et est reportée à 1, 2 ou 3 jours plus tard. Il s’agit toujours de question de logistique, d’accusé pas prêt à en débattre ou d’indisponibilité d’avocats de la défense. Le Tribunal ne peut conclure que tous les membres ont donc été dans les faits privés de ces droits dans les premières 24 heures de l’arrestation, car ces garanties ne sont généralement pas offertes ou activées dans ce délai, mais postérieurement.
- Cependant, là ne s’arrête pas l’analyse. En effet, la preuve non contredite démontre que, lors d’une comparution, plusieurs possibilités peuvent arriver, indépendamment de l’enquête sur la remise en liberté :
- Même si cela est statistiquement assez rare, l’accusé est parfois remis en liberté dès la comparution pour diverses raisons possibles, sans enquête sur remise en liberté. Il peut s’agir des cas suivants : le juge le décide simplement, en imposant immédiatement des conditions simples, qui sont beaucoup plus simples que celles qui se plaident lors de l’enquête sur remise en liberté; la Couronne qui abandonne les chefs d’accusation; l’accusé qui plaide coupable et qui est condamné à une sentence d’un jour, donc qui est libéré immédiatement car le jour de détention est déjà terminé; l’accusé qui est acquitté séance tenante car la Couronne indique ne pas avoir de preuve; l’accusé dont la présence n’est pas requise à la prochaine date de Cour, selon le juge;
- Le juge à la comparution ordonne qu’on remette ses médicaments à l’accusé qui reste détenu;
- Le juge qui ordonne qu’on transfère à l’infirmerie l’accusé qui reste détenu, ou qu’on lui fasse voir des psychologues pour une raison donnée;
- Le juge ordonne la libération dès le paiement d’un dépôt d’argent, au maximum dans les 24 ou 72 heures;
- Le juge ordonne la libération immédiate de l’accusé avec la promesse d’avoir une certaine somme d’argent disponible pour devoir remettre à la Cour s’il ne se présente pas à la prochaine date.
- Et dans tous les cas d’adultes, si la personne reste détenue après la comparution, elle est transférée du poste de police à un centre de détention dans lequel les conditions de détention sont meilleures à tous égards. Le Tribunal a déjà étudié cela précédemment.
- On verra à cet égard :
- Les témoignages de Mme Mélisa Larocque, chef d’équipe au greffe criminel de la Cour du Québec du district de Montréal, et de Mme Sophie Rochon, greffière-audiencière en criminel au Palais de Justice de Québec;
- Les Pièces PGQ-24 et PGQ-25 qui sont en liasse tous les rôles des samedis au palais de justice de Montréal de janvier 2018 à octobre 2019, et les rôles des samedis du palais de justice de Québec de janvier 2018 à octobre 2019;
- Une analyse par proportion de la Pièce PGQ-24, qui est la Pièce PGQ-50.
- Le Tribunal comprend que ce ne sont pas tous les membres qui ont eu ces possibilités dans leur cas personnel. Cependant, il s’agit d’une possibilité pour chacun, et il y a donc ici perte de chance. Le Tribunal n’octroie cependant pas des dommages à titre de perte de chance, mais à titre de préjudice moral, comme on le voit à la section suivante.
- Le Tribunal est d’avis que, contrairement à ce qu’argumente le PGQ, tous les membres ont subi automatiquement :
- Un dommage moral relié à sa détention illégale et inconstitutionnelle au-delà de la période de 24 heures;
- Un dommage lié au stress, à l’anxiété et à l’aspect psychologique de la détention au-delà du 24 heures;
- Un dommage lié au stress et à l’anxiété d’avoir perdu dans les 24 heures tous les bénéfices de la comparution, même si les membres ne les auraient pas tous eus en réalité.
- Voici pourquoi.
- Premièrement, comme détaillé précédemment, le demandeur et les deux membres ont témoigné avoir subi ces dommages après la période initiale de 24 heures. Leur témoignage était assez précis à cet égard, de l’avis du Tribunal. Les reproches du PGQ à cet égard ne sont pas fondés et requièrent beaucoup trop de précision de la part des membres, ce qui revient à un exercice injustifié de couper les cheveux en quatre.
- De plus, l’autre argument du PGQ selon lequel c’est la détention initiale qui cause le préjudice et non pas le dépassement du délai de 24 heures ne peut être retenu par le Tribunal car cela revient à dire que, une fois qu’on est détenu, la durée ne change finalement rien et on peut rester indéfiniment détenu sans comparution et sans faute.
- Deuxièmement, certains droits sont tellement fondamentaux et élémentaires que leur violation entraîne nécessairement et automatiquement un préjudice. Deux de ces droits, qui ont déjà été reconnus dans le contexte d'actions collectives, sont le droit de ne pas être victime d'abus sexuels et le droit de ne pas être détenu arbitrairement ou illégalement. La Cour suprême du Canada l’a dit quant aux abus sexuels dans l’arrêt L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J.[110] : « Les agressions sexuelles ont d’ailleurs toujours été des fautes automatiquement constitutives de préjudices graves ».
- La Cour supérieure l’a dit quant à la détention illégale dans la décision Kavanaght c. Montréal (Ville de)[111] : « De par sa nature même, toute détention constitue un geste humiliant pour la personne privée de sa liberté. À plus forte raison, lorsqu’elle est injustifiée, s’y ajoute l’atteinte à sa dignité et à son estime personnelle ». La Cour supérieure précise que tous les membres du groupe dans ce dossier ont automatiquement subi l’humiliation et l’atteinte à la dignité résultant d’une détention injustifiée.
- La doctrine[112] est également au même effet (le Tribunal souligne) :
1-372 – Dommages nominaux – Les dommages non pécuniaires sont souvent difficiles à chiffrer d'une manière exacte ou même approximative. Combien, par exemple, vaut la peine ressentie suite à l'interversion de la dépouille d'un proche avec celle d'un autre défunt ? À combien peut-on chiffrer l'humiliation de la victime d'une diffamation, d'un acte de discrimination raciale, d'une personne internée abusivement, d'une personne exposée au ridicule public, d'une personne abonnée malgré elle à quelque 134 revues, le dérangement causé à un individu harcelé par des appels téléphoniques, l'humiliation à la suite d'une arrestation ou d'une détention arbitraire ou d'une agression sexuelle. Dans tous ces cas cependant, le préjudice est direct, certain et réel et doit donc être compensé, même s'il n'existe pas de base scientifique et objective permettant de l'évaluer précisément. Cette difficulté fait que parfois la jurisprudence accorde sous le nom de dommage nominal une indemnité forfaitaire dont le montant, en général peu élevé, est laissé à l'appréciation souveraine du tribunal.
- Le Tribunal constate donc que, de la même manière que le droit à l'intégrité personnelle est inviolable, de sorte que la violation de ce droit entraîne automatiquement un préjudice grave, le droit de ne pas être détenu illégalement dans une société libre et démocratique l'est également, de sorte que la violation de ce droit cause nécessairement et automatiquement un préjudice.
- D’autres autorités sont au même effet (le Tribunal souligne) :
McGowan c. City of Montréal, 2018 QCCS 1740:
[159] Still, arbitrary detention is against the Charters and is, by itself, humiliating as recognized by the jurisprudence, thus causes prejudice and gives right to damages.
Kosoian c. Société de transport de Montréal, précité, note 71 :
[139] J’insiste sur un point : une arrestation illégale — même de courte durée — ne saurait être assimilée aux « désagréments, angoisses et craintes ordinaires que toute personne vivant en société doit régulièrement accepter » et qui, de ce fait, ne constituent pas un préjudice indemnisable au sens où l’entend notre Cour dans l’arrêt Mustapha, au par. 9. Dans une société libre et démocratique, personne ne devrait accepter — ni s’attendre à subir — les ingérences injustifiées de l’État. Les atteintes à la liberté de mouvement, tout comme celles à la vie privée, ne doivent pas être banalisées. En empruntant l’escalier de la station de métro Montmorency ce soir-là, madame Kosoian ne s’attendait certainement pas à se retrouver assise sur une chaise, les mains menottées derrière le dos, dans un local équipé d’une cellule, ni à voir ses effets personnels être fouillés par des policiers. Qu’une telle expérience lui ait causé un stress psychologique important, je n’ai aucun mal à le croire.
R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27:
[125] Il est vrai que le principe de la finalité des jugements et celui de la nécessité d’éviter la multiplication des recours judiciaires non justifiés sont importants, et les tribunaux ne doivent pas faciliter « la recherche d’un juge plus accommodant ». Il est toutefois exagéré de prétendre, comme le fait l’appelante, qu’une personne arrêtée pourrait avoir intérêt à présenter le minimum de preuve lors de l’audience initiale sur la mise en liberté et, si cela s’avère insuffisant, à invoquer en cas de révision des éléments de preuve qui existaient déjà au moment de cette audience mais qu’elle n’a pas utilisés. Normalement, une personne détenue fait généralement tout en son pouvoir pour être remise en liberté le plus rapidement possible. La prétention de l’appelante témoigne d’une incompréhension de l’impact de la détention sur un individu, en particulier lorsque celle-ci peut s’avérer non justifiée : voir, p. ex., Toronto Star Newspapers Ltd., par. 51, citant Hall, par. 47; Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 24.
R. c. Matte, 2019 QCCQ 5487 (confirmé en appel, 2020 QCCA 1038) :
[53] Même si toute détention arbitraire comporte un préjudice moral et psychologique pour une personne détenue, force est de constater qu’il n’y a aucune preuve de préjudice particulier pour l’accusé.[113]
- L’article 503 du Code criminel garantit à chaque personne arrêtée le droit absolu de comparaître devant un juge de paix dans un délai maximum de 24 heures et, par conséquent, de ne jamais être détenue en cellule au poste de police au-delà de ce délai.
- Or, chaque membre du groupe a été détenu en cellule de détention d’un poste de police plus longtemps que la loi ne le permet, dans des conditions aucunement adaptées à une détention d’une telle durée. Jusqu’à ce qu’ils n’aient comparu devant un juge de paix, ces individus n’étaient pas réellement accusés, ils ne connaissaient pas les preuves détenues contre eux par la Couronne, ils ne savaient pas si la Couronne s’opposait à leur libération, ni les conditions auxquelles la Couronne aurait été prête à consentir à leur remise en liberté. Ils ont également tous été empêchés d’avoir accès aux autres droits et garanties procédurales que permet la comparution dans le délai maximal prévu par la loi.
- C’est pour ces raisons que les tribunaux et les auteurs, dans les décision et l’ouvrage cités précédemment, ont déclaré que la détention arbitraire entraîne automatiquement un préjudice. D’ailleurs, le Tribunal note que c’est fort probablement également pour ces mêmes raisons que le MJQ lui-même a noté en 2007 que, s’il procède à une détention arbitraire, sa responsabilité civile serait engagée. On peut voir cela dans la Pièce P‑29D, qui est le document du 19 février 2007 de la Direction générale des poursuites publiques intitulé « Respect du délai de comparution dans les 24 heures / comparution par voie téléphonique » :
Une personne détenue suite à son arrestation doit comparaître devant un juge de paix « sans retard injustifié » à l’intérieur d’un délai de 24 heures (art. 503 C.cr.). À défaut, sa détention devient illégale, voire même arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. D’après la jurisprudence, les autorités ne peuvent plus justifier le retard par l’absence d’un juge de paix disponible. Une détention arbitraire peut avoir des conséquences importantes, tant en matière criminelle (arrêt des procédures, diminution de la peine) qu’au plans de la déontologie policière et de la responsabilité civile du procureur général (les tribunaux accordent en moyenne une indemnité de 4,000 $ / jour de détention illégale).
- Le Tribunal conclut que, dans ces circonstances, aucun témoignage de membres n'est nécessaire pour établir un préjudice. Le demandeur a néanmoins témoigné lui-même et a fait témoigner deux membres pour illustrer le fait que la détention illégale systématique résultant de la conduite du PGQ affecte directement des êtres humains, dont chacun a droit à la liberté, à la dignité et au droit d'être traité d'une manière qui reflète le fait qu’ils sont présumés innocents. Bien qu’aucunement nécessaires, les témoignages du demandeur et des deux membres confirment la présence d’anxiété, de stress et de l’aspect psychologique relié è la détention illégale.
- En violant ce droit absolu garanti à tous les Canadiens, le PGQ a sciemment causé aux membres un préjudice, que le MJQ a lui-même évalué dans la Pièce P-29D en moyenne à un montant de 4 000 $ par jour de détention (5 800 $ en dollars d’aujourd’hui); voir l’extrait cité deux paragraphes plus haut.
- Troisièmement, de tout cela découle un dommage automatique lié au stress et à l’anxiété d’avoir perdu dans les 24 heures tous les bénéfices de la comparution, même si tous les membres ne les auraient pas tous eus en réalité.
- Bref, le Tribunal conclut que tous les membres du groupe ont subi tous ces dommages moraux précédemment identifiés. Et il y a causalité, comme déjà expliqué.
- Quel est le montant de dommages compensatoires auquel les membres ont droit?
- Le Tribunal doit décider quel est le montant de dommages compensatoires et doit décider si un montant moyen est possible.
- Le Tribunal rappelle tout d’abord que tous les dommages compensatoires retenus précédemment ne dépendent pas du témoignage des membres et sont tous automatiques, du simple fait de pas avoir comparu dans les 24 heures et d’avoir été détenu illégalement au-delà du délai de 24 heures. Tous les membres du groupe ont subi tous les dommages moraux précédemment identifiés.
- De plus, la preuve non contredite, soit le rapport d’expert de KPMG du demandeur[114], est que la durée moyenne de détention des membres détenus plus de 24 heures est de 39,9 heures. Cela signifie qu'en moyenne, les membres du groupe ont été détenus illégalement/arbitrairement dans des conditions inadaptées pendant près de 16 heures de plus que ce qui est autorisé par la loi.
- Le PGQ soumet que le Tribunal devrait faire des sous-catégories de membres, pour lesquelles les dommages varieraient. Débutons par étudier cela, pour ensuite passer au quantum comme tel et à la question de la moyenne.
Les sous-catégories proposées par le PGQ :
- Outre les arguments qui suivent quant au quantum, le PGQ soumet que la réparation ne devrait pas être la même pour tous les membres du groupe puisqu’ils n’ont pas tous subis un dommage équivalent. Le PGQ propose les quatre catégories suivantes :
- Les personnes arrêtées avant 9 h 30 le dimanche qui ont été remises en liberté lors de leur comparution et qui n’ont pas reçu une peine d’emprisonnement;
- Les personnes arrêtées avant 9 h 30 le dimanche qui ont été remises en liberté lors de leur comparution et ont reçu une peine d’emprisonnement pour laquelle leur détention préventive fut comptabilisée;
- Les personnes arrêtées avant 9 h 30 le dimanche qui sont demeurées détenues à la suite de leur comparution;
- Les personnes arrêtées après 9 h 30 le dimanche.
- Le Tribunal aborde ces catégories une par une.
- 1-Les personnes arrêtées avant 9 h 30 le dimanche qui ont été remises en liberté lors de leur comparution et qui n’ont pas reçu une peine d’emprisonnement :
- Pour cette catégorie, le PGQ soumet que le montant doit être individualisé à chacun et que le dommage suggéré comme point de départ serait de 100 $ par heure complète de détention après la fin de la période de 24 heures, pour les 5 premières heures, et ensuite de 250 $ par heure de détention subséquente après les 5 premières heures. Pour les raisons qui sont exposées plus loin lors de l’étude du quantum et de la moyenne, le Tribunal ne peut accepter cette suggestion et la création de ce sous-groupe.
- 2-Les personnes arrêtées avant 9h30 le dimanche qui ont été remises en liberté lors de leur comparution et ont reçu une peine d’emprisonnement pour laquelle leur détention préventive fut comptabilisée :
- Voici les arguments du PGQ selon lesquels ces membres ne devraient recevoir aucun dommage compensatoire ou, au mieux, un montant de 100 $ :
- L’article 719 (3.1) du Code criminel prévoit que la détention préventive est comptabilisée au moment du prononcé de la peine. Les tribunaux accordent un crédit majoré pour compenser la dureté des conditions de détention et la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération conditionnelle. La règle est qu’un jour passé en prison de manière préventive compte pour 1,5 jour d’emprisonnement[115];
- En pratique les juges octroient systématiquement le crédit majoré de 1,5 pour 1 à moins de circonstances ne le justifiant pas, comme la preuve l’a révélé au procès (voir témoignages de Me Eve Malouin et de Me Mélanie Ducharme);
- Ainsi, les membres qui auraient dû être libérés lors de la comparution, mais qui ont vu leur détention préventive comptabilisée dans le cadre de leur peine et ont donc été compensés pour leur préjudice;
- D’ailleurs, l’action collective autorisée dans l’affaire Reilly v. Alberta[116] tient compte de ce facteur, en excluant les personnes qui ont reçu une sentence d’emprisonnement et qui ont donc nécessairement vu leur détention préventive comptabilisée;
- Seuls les membres qui ont été acquittés ou qui ont reçu une amende ou une probation ont eu une privation de liberté non comptabilisée. Pour ces membres, le Tribunal pourrait ordonner une mesure réparatrice en vertu de l’alinéa 2 de l’article 595 Cpc. Cette avenue présente de nombreuses opportunités, dont l’imagination est la seule limite[117];
- Dans le cas où le Tribunal ne considère aucune des propositions ci-dessus appropriées, le PGQ soumet que les membres devraient obtenir un montant de l’heure inférieur que ceux du groupe précédent, soit moins de 100 $/heure.
- Le Tribunal est d’avis que les arguments du PGQ ne peuvent être retenus car le crédit octroyé pour la détention préventive n’est pas un cadeau qui est fait à l’accusé, mais un droit qui est octroyé à tous (s’il y a bon comportement bien sûr). Il ne s’agit donc pas d’une compensation qui est en lien avec la faute et l’atteinte illicite du PGQ. Ces membres doivent être indemnisés par dommages compensatoires.
- Le Tribunal ne peut accepter la création de ce sous-groupe.
- 3-Les personnes arrêtées avant 9 h 30 le dimanche qui sont demeurées détenues à la suite de leur comparution :
- Voici les arguments du PGQ selon lesquels ces membres devraient recevoir une mesure réparatrice ou un montant d’argent symbolique :
- Le système de comparution téléphonique précédant la décision de 2015 de mettre fin aux comparutions le dimanche permettait la comparution des détenus le dimanche devant un juge de paix magistrat dans les districts desservis par ce système. Le juge de paix magistrat dispose alors du seul pouvoir d’ordonner le renvoi de cette personne sous garde. Selon la Loi sur les tribunaux judiciaires vigueur à cette époque, le juge de paix magistrat n’a pas les pouvoirs requis pour tenir l’enquête sur remise en liberté;
- Durant la période de 2015 à 2019, ce type de comparution n’a pas lieu. Ainsi, les prévenus pour qui le poursuivant souhaite s’opposer à la remise en liberté sont maintenus sous garde jusqu’au lundi sans comparaître devant un juge de paix magistrat le dimanche;
- Cela dit, à toutes fins pratiques, le résultat pour le prévenu est inexorablement le même : il demeure en détention jusqu’à la date fixée pour l’enquête sur remise en liberté, qu’il comparaisse ou non devant un juge de paix magistrat le dimanche;
- Rappelons que même pour les comparutions tenues devant les juges de la Cour du Québec, que ce soit durant la semaine ou la fin de semaine, dans toutes les périodes confondues, lorsque le poursuivant s’oppose à la remise en liberté d’un prévenu, ce dernier demeure détenu au moins jusqu’à ce que le poursuivant ait la possibilité raisonnable de faire valoir son opposition, soit à l’enquête sur remise en liberté;
- Ainsi, bien que le retrait des comparutions le dimanche ait pu porter atteinte à l'article 503 du Code criminel, cette atteinte n'a pas véritablement occasionné un préjudice concret ou réel quant à la durée de la détention et aux inconvénients qui y sont associés;
- Considérant que, selon le PGQ, depuis le 27 octobre 2019, l’État s’est amendé et a investi à ce jour des sommes importantes dans le système de comparution, le PGQ soumet que, pour ces membres, un jugement déclaratoire constitue une mesure réparatrice appropriée en vertu de l’article 595 Cpc;
- Le PGQ soumet qu’une mesure réparatrice pourrait être accordée;
- Dans le cas où le Tribunal est d’avis qu’un montant devrait être accordé directement à ces membres, un montant symbolique de l’heure inférieur à celui accordé au groupe précédent.
- Le Tribunal ne peut accepter ces arguments du PGQ car ils nient totalement le préjudice des membres causé par la faute et l’atteinte illicite du PGQ. Ce n’est pas parce que les membres demeurent détenus qu’ils n’ont pas de préjudice. On a vu aux deux sections précédentes les dommages compensatoires que tous les membres ont subis. Ces dommages sont subis peu importe la suite du dossier du membre. Autrement, cette avenue permettrait au PGQ de se laver les mains de sa faute quant aux membres dans cette sous-catégorie.
- Le Tribunal ne peut accepter la création de ce sous-groupe.
- 4-Les personnes arrêtées après 9 h 30 le dimanche :
- Voici les arguments du PGQ selon lesquels ces membres n’ont droit à rien car ils ne feraient finalement pas partie du groupe :
- Le dernier sous-groupe proposé par le PGQ comprend les personnes qui ont été arrêtées après 9 h 30 les dimanches et les jours fériés;
- Le PGQ soumet que la définition du groupe telle qu’elle a été autorisée n’inclut pas les personnes qui ont été arrêtées après 9 h 30 les dimanches et les jours fériés :
Toute personne arrêtée et maintenue en détention au Québec après le 19 juin 2015, pour une période de plus de 24 heures consécutives sans comparaître, alors que pendant cette période de détention les tribunaux ne siégeaient pas au sens de l’alinéa 1 de l’article 82 du Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01 et de l’article 61 (23) de la Loi d’interprétation, RLRQ, c I-16, reproduit ci-dessous : […]
- Or, à compter de 9 h 30 les lundis matin ou les lendemains de jours fériés, les tribunaux siègent;
- Ainsi, si les détenus arrêtés après 9 h 30 les dimanches n’ont pas comparu dans les 24 heures, c’est pour une raison autre que le système de comparutions, soit une décision administrative de la Cour du Québec de fixer des rôles à certaines heures. Voir les témoignages de Mme Mélisa Larocque et de Mme Sophie Rochon;
- D’ailleurs dans l’arrêt Cirillo v. Ontario[118], la Cour d’appel de l’Ontario a refusé l’autorisation d’une action collective notamment pour le défaut de comparaître dans le délai de 24 heures à cause des heures fixées pour les rôles de comparution;
- De plus, pour la très grande majorité d’entre eux, à l’expiration du délai de 24 heures de l’arrestation, ils étaient déjà amenés au palais de justice en attendant leur comparution; ils n’étaient donc plus au poste de police. Voir à cet effet la Pièce PGQ-32d et les annexes 10 et 11 du rapport d’expert de EY du PGQ sur les heures de détention des membres identifiés;
- La preuve révèle que les prévenus sont amenés le matin au palais de justice : témoignages de Madame Mélisa Larocque, Me Ève Malouin et Me Mélanie Ducharme;
- Ces personnes ne sont donc pas dans le groupe;
- Subsidiairement, le PGQ soumet qu’un jugement déclaratoire est juste et convenable pour ce sous-groupe.
- Le Tribunal ne peut retenir ces arguments du PGQ. Voici pourquoi.
- Premièrement ces arguments sont basés sur une mauvaise lecture de la définition du groupe. Les termes « alors que » ne veulent pas dire que toute la période de détention doit être quand les tribunaux ne siègent pas. Sinon, si l’on poussait cette interprétation, un prévenu pourrait être arrêté par exemple le dimanche après-midi et ne comparaître que le mercredi suivant, sans être dans le groupe et sans recours. Cela serait absurde.
- Deuxièmement, l’obligation qu’a le PGQ telle qu’expliquée à la section 4.1 est de conduire le prévenu devant un juge de paix dans les 24 heures[119], pas de le faire sortir du poste de police après 24 heures ou de le laisser « niaiser » éternellement en détention au palais de justice en attendant son tour pour comparaître, selon le bon vouloir des juges, du personnel administratif et des procureurs de la Couronne. Comme expliqué précédemment à la section 4.1, le PGQ est responsable de ce délai. Les procureurs du DPCP n’ont qu’à organiser leur travail différemment et les juges de la Cour du Québec n’ont qu’à organiser les séances différemment. Dans tous les cas, le PGQ en est responsable.
- Le Tribunal ne peut accepter la création de ce sous-groupe.
- Bref, en conclusion, il n’y a pas lieu d’avoir de sous-groupes.
- Passons maintenant au quantum des dommages compensatoires.
Le quantum et la moyenne :
- Le PGQ soumet que chaque cas est individuel et que chaque membre doit avoir une évaluation individuelle de ses dommages, d’où un recouvrement individuel, peut-être avec certaines balises ou présomptions établies par le Tribunal. Le demandeur rejette cette approche.
- Le Tribunal est d’avis qu’il est vrai qu’il peut être difficile d’évaluer le préjudice particulier réel subi par chacun des membres du groupe. Leur profil personnel varie et, en conséquence, la détention a vraisemblablement été vécue de manière différente pour les uns et les autres, surtout si la durée après 24 heures a été plus longue. Cependant, on l’a vu précédemment, le Tribunal a conclu que tous les membres ont subi un préjudice automatique relié aux bénéfices de la comparution et un dommage moral. Dans ces circonstances, il apparaît juste d’appliquer une évaluation moyenne du préjudice à toutes ces personnes. Ce dommage est commun à tous, peu importe que le délai de comparution ait été dépassé par une heure ou par 20 heures[120].
- Le Tribunal conclut donc qu’il doit passer par l’octroi d’un montant moyen. Quel est ce montant?
- Le Tribunal rappelle que la preuve a démontré qu'en moyenne, les membres du groupe ont été détenus illégalement/arbitrairement près de 16 heures de plus que ce qui est autorisé par la loi.
- Le PGQ suggère premièrement[121] que le dommage comme point de départ serait de 100 $ par heure complète de détention après la fin de la période de 24 heures, pour les 5 premières heures, et ensuite de 250 $ par heure de détention subséquente après les 5 premières heures. Le Tribunal ne peut accepter cette suggestion car il ne s’agit pas d’une moyenne, mais d’un calcul individualisé à chaque membre.
- Le PGQ soumet deuxièmement que le montant par membre auquel il devrait être condamné devrait être moindre que les montants négociés dans les ententes de règlement avec les Villes de Québec et de Montréal, soit moindre que 3 750 $ ou 3 271 $ par membre. Selon le PGQ :
- Contrairement à la situation qui prévalait au niveau des cours municipales des Villes de Québec et de Montréal dans lesquelles il n’y avait aucun système permettant une quelconque comparution, il existait en tout temps, dont le dimanche et les jours fériés, un système de comparution devant un juge de paix fonctionnaire, au niveau de la Cour du Québec, afin de libérer la personne détenue aux conditions qui n’étaient pas du pouvoir de l’agent de la paix;
- De plus, les infractions pour lesquelles les Villes sont compétentes sont celles en lien avec la partie XXVII du Code criminel, soit des infractions intentées par voie de déclaration sommaire, dont le seuil de gravité est moindre et, par conséquent, qui rend plus probable la remise en liberté des détenus. À l’inverse, les dossiers devant la Cour du Québec impliquent des infractions plus graves pour lesquelles les prévenus sont plus susceptibles d’être détenus.
- Le Tribunal ne peut retenir cet argument car les montants octroyés au terme des ententes avec les Villes de Québec et de Montréal sont des montants négociés entre les parties qui ont réglé, et qui sont nécessairement un compromis par rapport à la réclamation demandée dans les procédures. Personne ne règle en donnant 100% à l’autre partie. De plus, les membres qui ont réglé ont conservé le solde de leur réclamation contre le PGQ. Enfin, la présence du juge de paix fonctionnaire ne constitue pas un système de comparution, comme on l’a vu précédemment à la section 4.1. Le Tribunal ne peut retenir ce deuxième argument du PGQ.
- Le PGQ suggère troisièmement de s’inspirer des quantums moyens octroyés dans des actions collectives, hors Québec, en matière détention illégale violant la Charte canadienne et donnant une réparation en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne. Voici l’argument du PGQ à cet égard :
- Le PGQ a retracé trois dossiers de l’Ontario où de tels dommages ont été accordés dans le cadre d’actions collectives, il s’agit des décisions Brazeau, Reddock et Francis :
- Brazeau v. Attorney General (Canada), 2019 ONSC 1888;
- Reddock v. Canada (Attorney General), 2019 ONSC 5053;
- Brazeau and Reddock v. Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184;
- Brazeau v. Canada (Attorney General), 2020 ONSC 3272;
- Reddock v. Attorney General of Canada, 2024 ONSC 3238;
- Francis v. Ontario, 2020 ONSC 1644, confirmée par Francis v. Ontario, 2021 ONCA 197;
- Francis v. Ontario, 2023 ONSC 5355;
- Bien que les règles ontariennes en matière d’actions collectives diffèrent de celles du Québec, et que le contexte factuel de ces décisions soit différent de celui du présent dossier, ces décisions sont pertinentes pour donner une idée de grandeur des dommages-intérêts qui peuvent être octroyés en vertu de la Charte canadienne;
- Ces affaires traitent de situations où des détenus ont été placés en isolement administratif. La preuve historique présentée dans ces dossiers était accablante et le degré de privation de liberté et des dommages subis par les membres étaient particulièrement graves.
- Le Tribunal a étudié ces affaires et constate ceci :
- Dans le dossier Brazeau, on a octroyé 10 000 $ en dommages pour violation de la Charte canadienne par membre, des détenus en prison souffrants de troubles mentaux graves, placés en isolement préventif. On indique que les dommages compensatoires seront ensuite octroyés sur une base individuelle;
- Dans le dossier Reddock, on a octroyé 500 $ par membre en dommages compensatoires à des détenus qui ont passé plus de 15 jours consécutifs en isolement préventif;
- Dans le dossier Francis : on a octroyé 2 686 $ en dommages pour violation de la Charte canadienne par membre, à des détenus en prison qui ont passé 15 ou 20 jours consécutifs en isolement préventif. On indique que les dommages compensatoires seront ensuite octroyés sur une base individuelle.
- Le Tribunal conclut que ces décisions se penchent plutôt sur les réparations en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne ou octroient des montants ridiculement bas de dommages compensatoires. Dans ces circonstances, le Tribunal ne s’en inspirera pas, car elles n’ont aucune force de précédent et leur valeur persuasive est très faible.
- Le PGQ fait également référence à la décision Gallone c. Procureur général du Canada[122], mais le Tribunal ne peut la retenir car il s’agit d’une décision qui approuve un règlement hors cour d’une action collective pour des détenus en prison mis en isolement. Les montants sont nécessairement un compromis par rapport à la réclamation demandée dans les procédures.
- En bout de piste, le Tribunal ne peut accepter les arguments et suggestions du PGQ car ils ne correspondent pas aux quantums de dommages compensatoires déjà octroyés au Québec pour des cas similaires.
- Plusieurs décisions québécoises ont en effet accordé des dommages compensatoires à des victimes de détentions arbitraires.
- La Cour supérieure a déjà octroyé des dommages-intérêts compensatoires à une personne pour la violation de son droit de comparaître dans un délai maximal de 24 heures[123]. En 2002, la Cour supérieure a octroyé un montant total de 15 000 $ pour 5 jours de détention illégale, soit 3 000 $ par jour. En dollars d’aujourd’hui, cela représente environ 4 800 $ par jour.
- Dans le cadre d’une action collective[124], la Cour supérieure était appelée à quantifier le préjudice moral commun aux membres du groupe, à la suite d’une détention arbitraire ayant durée entre 5 et 12 heures, selon le membre. En 2011, la Cour supérieure a accordé un montant de 1 500 $ à chaque membre, ce qui équivaut à 2 000 $ en dollars d’aujourd’hui.
- Dans la décision Thompson c. Montréal (Ville de)[125], la Cour supérieure a accordé en 2013 à la victime d’une détention arbitraire d’une heure un montant de 2 500 $ (3 300 $ en dollars d’aujourd’hui), notant que la demanderesse avait vécu de l’anxiété, mais que sa détention avait été de courte durée et qu’elle avait accès à son cellulaire pendant sa détention.
- Dans la décision McGowan c. City of Montréal[126] de 2018, la Cour supérieure analyse la jurisprudence et conclut qu’une détention arbitraire de deux heures ou moins aboutit généralement à des dommages maximums de 5 000 $ (6 000 $ en dollars d’aujourd’hui). Elle octroie la somme de 3 000 $ à la demanderesse, qui a été détenue arbitrairement pour une heure seulement.
- Le Tribunal rappelle que, dans la Pièce P-29D de 2007, le MJQ a lui-même évalué en moyenne à un montant de 4 000 $ par jour de détention (environ 5 800 $ en dollars d’aujourd’hui).
- Dans ces circonstances, en tenant compte que la durée moyenne de détention par membre au-delà du premier 24 heures est de 15,9 heures, le Tribunal conclut que le montant de 7 000 $ en dommages compensatoires est ici le strict minimum qui doit être accordé pour reconnaître le préjudice subi par les membres du groupe. Si le demandeur avait demandé davantage par membre, le Tribunal lui aurait octroyé; le Tribunal est cependant limité à ce qu’a demandé le demandeur par membre.
- Le Tribunal conclut que le montant de dommages compensatoires par membre par événement est de 7 000 $. Quel est le mode de recouvrement de ce dommage? Le Tribunal y revient à la section 4.5. Passons maintenant aux dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec.
- Le demandeur a demandé un montant maximal de 7 000 $ par membre, incluant tous les dommages, qu’ils soient compensatoires, punitifs et/ou des dommages de la Charte canadienne. Comme le Tribunal vient d’accorder 7 000 $ par membre comme dommage compensatoire, le Tribunal ne peut plus rien accorder.
- Le Tribunal va quand même étudier la réclamation pour dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec, puisque les parties l’ont traitée en grand détail.
- Tous s’entendent sur le droit applicable.
- Pour avoir des dommages punitifs en vertu de l’article 49 de la Charte, il faut non seulement une atteinte illicite à un droit garanti, mais également une atteinte intentionnelle.
- Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[127], la Cour suprême du Canada a défini ainsi de qui est requis :
En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
- La Cour suprême du Canada ajoute au paragraphe 122 que, même en présence d’une telle atteinte, l'octroi et le montant des dommages exemplaires aux termes du deuxième alinéa de l'art. 49 et de l’art. 1621 CcQ demeurent discrétionnaires.
- La discrétion dont jouit le Tribunal quant à l'attribution et au montant de dommages exemplaires est orientée et encadrée par les critères codifiés à l'article 1621 CcQ, qui se lit ainsi :
1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
- Le Tribunal rappelle qu’il a conclu qu’il y avait une atteinte illicite par le PGQ aux droits garantis par les articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec. Cette atteinte est-elle intentionnelle au sens de la jurisprudence?
- Selon le demandeur, l’atteinte est illicite et intentionnelle.
- Selon le PGQ, quatre facteurs font en sorte qu’aucun dommage exemplaire ne doit être octroyé ici, soit la conduite de l’auteur de l’atteinte (Me Murphy), le contexte de la décision de cesser les comparutions le dimanche, le fait que l’État se soit amendé depuis en réinstaurant le système de comparution en 2019, et l’absence de risque de récidive.
- Toute l’argumentation du PGQ est basée sur le fait que c’est la Cour du Québec et l’absence de ressources monétaires qui ont mené à la décision de 2015 d’arrêter les comparutions le dimanche, et que le DPCP et le MJQ ont tout fait pour se battre contre cela et essayer de maintenir en place le système de comparution. Or, avec égards, ce n’est pas ce que la preuve révèle, par la balance des probabilités.
- Le Tribunal a déjà abordé précédemment certains éléments factuels lors de l’analyse de la faute et de l’atteinte à la section 4.1.3, mais il doit en reprendre certains ici car ils démontrent également l’aspect intentionnel.
- Le Tribunal conclut de la preuve que l’atteinte du PGQ est intentionnelle au sens de l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St‑Ferdinand, puisqu’il a agi en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que sa conduite engendrera. On voit partout dans la preuve que l’État connaissait l’état du droit sur la comparution, mais a décidé de ne pas le respecter pour des raisons budgétaires et, pour Montréal et Québec, en utilisant le prétexte de la Cour du Québec. Les démarches faites par les différents acteurs du PGQ n’étaient tout simplement pas suffisantes, de l’avis du Tribunal. Ainsi, le contexte, loin d’exonérer le PGQ, conduit plutôt à la conclusion opposée. Finalement, le Tribunal estime que les éléments suivants sont des considérations nulles ou mineures dans la décision à prendre, soit le fait que l’État se soit amendé en réinstaurant le système de comparution en 2019, et l’absence de risque de récidive de l’État. Ces deux derniers éléments ne font pas basculer la balance en faveur du PGQ, car les autres éléments sont trop pesants en faveur de l’octroi de dommages punitifs.
- Voici ce que la preuve révèle, en dix éléments.
- Le Tribunal réfère en premier lieu à la section 4.1.3.2.2 intitulée « Tous les membres qui n’ont pas comparu dans les 24 heures en raison de l’absence de comparution les dimanches dans les districts de Montréal et Québec ». Le Tribunal a conclu que le PGQ a commis une faute et une atteinte illicite envers ces membres, peu importe le rôle de la Cour du Québec. Le Tribunal ajoute ici que, selon l’analyse faite à cette section, le PGQ n’a pas pris les mesures pour assumer les comparutions les dimanches et les jours fériés, préférant se reposer sur une inaction de la Cour du Québec. Or, on l’a vu, il appert de l’ensemble de la preuve que le MJQ et le DPCP ne concevaient qu’une seule possibilité pour assurer les comparutions les fins de semaines : le système de comparution téléphonique devant le juge de paix magistrat. Pourtant, selon le Tribunal, la réticence de la Cour du Québec n’était pas de tenir des comparutions le dimanche, mais bien de tenir des comparutions téléphoniques devant les juges de paix magistrat. Quand on sait que le volume des comparutions à Montréal et à Québec comprend plus de la moitié du Québec, cela a donc un impact significatif sur les membres du groupe.
- Le Tribunal a déjà cité précédemment la Pièce P-31, le compte rendu de Me André Brochu de sa rencontre du 14 juillet 2014 avec la Cour du Québec, tout comme la Pièce P-32, le compte rendu de Me André Brochu de sa rencontre du 21 janvier 2015 avec la Cour du Québec. Rappelons qu’on y lit clairement que la Cour du Québec ne veut pas des comparutions téléphoniques devant les JPM le dimanche car, selon elle, cela ne rencontre pas les garanties constitutionnelles. M. Breton a d’ailleurs reconnu lors de son témoignage en chef que la Cour du Québec et le DPCP étaient tous deux d’accord sur l’utilité et la nécessité des comparutions, mais qu’ils ne s’entendaient pas sur la manière de les faire.
- Cependant, en deuxième lieu, le PGQ savait l’inconstitutionnalité de son système, combattu par la Cour du Québec. En effet, rappelons aussi que, dès 2006, dans le cadre du comité de pilotage responsable de mettre en place un système de comparution téléphonique, il semble que la Cour du Québec ait communiqué ses préoccupations aux autres membres, soit le DPCP et le MJQ, tel qu’il appert de la Pièce P-48, où Me Lynch propose un service de comparution téléphonique qui permet une comparution devant un juge de la Cour du Québec lorsque requis, notamment lorsqu’une enquête sur remise en liberté doit être tenue. Elle note que ce système « répond aux demandes de la Couronne et de la Magistrature ». Ainsi, dès 2006, lorsque le MJQ élaborait la conception du système de comparution téléphonique, il était pourtant envisagé d’emblée que ce système devrait au moins en partie être assuré par des juges de la Cour du Québec ou des JPM avec davantage de pouvoirs (Voir la Pièce P-49, les commentaires datés du 29 novembre 2006 de Conrad Breton du MJQ sur le schéma proposé par Me Lynch). Le PGQ n’a pas suivi cette avenue, car trop coûteuse, selon le texte même de la Pièce P‑49.
- Le Tribunal constate que les commentaires du MJQ sur la proposition de Me Lynch indiquent que seules les comparutions devant le juge de la Cour du Québec, ou devant le juge de paix magistrat si davantage de pouvoirs leur sont consentis par le gouvernement, peuvent offrir aux prévenus toutes les garanties au plan constitutionnel.
- Le Tribunal conclut que le PGQ savait l’inconstitutionnalité de sa démarche, mais que c’est le coût qui a empêché le PGQ de mettre en place le système initialement envisagé en 2006, qui aurait respecté l’article 503 du Code criminel.
- En troisième lieu, au surplus, et de toute manière, le DPCP a lui-même reconnu en 2012, soit 8 ans après l’adoption de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qu’il n’était toujours pas en mesure d’étendre le service de comparutions téléphoniques au district judiciaire de Montréal en raison des ressources importantes nécessaires et des éléments « forts complexes » à planifier. En effet, M. Breton, procureur en chef du BSC à l’époque, a reconnu lors de son contre-interrogatoire que le district de Montréal représente la moitié du volume total de comparutions au Québec, ce qui aurait requis le double du nombre de procureurs au BSC, soit 15 procureurs de plus. On verra la Pièce P-29E, qui est une ébauche de lettre préparée par Me Jacques Mercier, procureur chef du BSC de l’époque, sur l’absence de comparution le dimanche, avec courriels en liasse du 14 et 24 mai 2012 :
La question de Montréal est particulière, dans la mesure où les ressources à mettre en place pour assurer ce service à ce district sont fort importantes et les éléments à planifier sont fort complexes, si bien que beaucoup de travail reste à faire avant que nous puissions envisager étendre ce service à ce district judiciaire.
- Me Mercier y dénonce également le non-respect de l’article 503 du Code criminel. Malgré cet avertissement très clair par un membre du DPCP qui décriait l’absence de comparutions téléphoniques les dimanches à Montréal et à Québec, trois ans plus tard en 2015, le DPCP décide de mettre fin aux comparutions téléphoniques les dimanches.
- En contre-interrogatoire, la sous-ministre Me France Lynch a admis qu’aucune discussion n’avait été entreprise avec la Cour du Québec pour étendre les comparutions téléphoniques à Montréal. La seule discussion qui avait eu lieu concernait le district de Québec.
- En quatrième lieu, Me Murphy a reconnu n’avoir essayé aucune solution pour tenter de régler le refus « catégorique » de la Cour du Québec de permettre l’implantation du système de comparution téléphonique à Montréal et à Québec alors que plusieurs solutions possibles étaient à sa disposition, ce qu’elle a reconnu lors de son interrogatoire au préalable :
- Me Murphy n’a jamais tenté de communiquer directement avec le juge en chef de la Cour du Québec ni avec le ministre de la Justice au sujet de la résistance de l’honorable juge Mario Tremblay[128];
- Au procès, Me Murphy a confirmé ne pas avoir proposé de médiation avec la Cour du Québec afin de trouver une solution à une impasse qui durait depuis des années;
- Me Murphy n’a jamais recommandé au gouvernement de mettre en vigueur l’article 174 de la Loi sur les tribunaux judiciaires[129];
- Me Murphy n’a pas donné la directive aux procureurs du BSC du DPCP de saisir systématiquement d’urgence un juge de paix magistrat pour procéder à la comparution d’un prévenu avant l’expiration du délai de 24 heures, bien qu’un JPM était toujours disponible les fins de semaines pour autoriser des télémandats[130]. Selon Me André Brochu (DPCP), Me Murphy avait en fait émis une directive de ne pas saisir d’urgence le JPM pour des comparutions le dimanche, sauf dans des situations particulières, tel un meurtre[131]. Les rares fois où le DPCP a demandé à un JPM d’exceptionnellement tenir une comparution le dimanche, la Cour du Québec ne lui a jamais refusé[132]. Me Brochu a confirmé que le DPCP était conscient qu’en n’utilisant ce service qu’exceptionnellement, le droit de comparaitre dans les 24 heures serait nécessairement violé[133];
- Me Murphy n’a jamais considéré ou recommandé d’intenter un mandamus contre la Cour du Québec afin qu’elle soit ordonnée de permettre la mise en place des comparutions téléphoniques dans les districts judiciaires de Montréal et de Québec[134].
- Le Tribunal conclut de la preuve que Me Murphy décide plutôt de retirer les comparutions du dimanche à partir du 19 juin 2015, et ce, pour des considérations économiques. On verra les éléments suivants (le Tribunal souligne et met en caractères gras) :
- Pièce PGQ-10, la note à la sous-ministre associée sur l’ajout des comparutions par voie téléphonique le dimanche, datée du 22 février 2018 :
Depuis la mise en place du service, à l’exception des palais de justice de Québec et Montréal, le service est offert les fins de semaine, ainsi que les jours fériés. En juin 2015, pour des raisons administratives et financières, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a décidé avec le consentement de la Cour du Québec, que les comparutions se tiendraient seulement le vendredi de 18 h à 22 h et le samedi de 7 h à 16 h 30. Le nombre de comparutions possibles a passé de 140 à 73 par fin de semaine. Le DPCP a appuyé notamment sa décision sur l'horaire en vigueur pour les comparutions aux palais de justice de Québec et de Montréal qui ont lieu seulement le samedi. La Direction générale des services de justice (DGSJ) s'est conformée à cette décision et a modifié l'horaire de son greffe, elle a toutefois assuré la disponibilité d'un juge de paix fonctionnaire pour des comparutions et des remises en liberté sous conditions, et ce, en tout temps jusqu'à 8 h 30 le lundi matin. Il est également possible pour le juge de paix fonctionnaire de communiquer avec un juge de paix magistrat qui est disponible au besoin.
- Pièce P-4, correspondances du 8 janvier 2015 de Me Annick Murphy, directrice du DPCP :
Le 5 avril 2013, les juges de paix magistrats du Québec ont suspendu ces règles de fonctionnement, mettant ainsi fin aux comparutions téléphoniques la nuit, du vendredi au dimanche. Cette nouvelle façon de procéder a eu un impact d’ordre organisationnel et financier importants pour le DPCP. En effet, notre Bureau de service-conseil doit dorénavant assumer la présence et la participation de deux procureurs additionnels entre 6 h du matin et 14 h les jours de comparution, ce qui correspond annuellement à 234 jours de travail additionnel.
Dans le contexte budgétaire actuel, le DPCP n’est plus en mesure d’assumer les coûts supplémentaires engendrés par cet horaire et craint de devoir suspendre indéfiniment ce service de comparutions téléphoniques. Étant donné l’importance de maintenir l’équité des droits, le Bureau de service-conseil entend conserver le service de comparutions téléphoniques le samedi de 7 h à 16 h 30 ainsi que certains jours fériés.
- Par ailleurs, dans la même veine, le Tribunal constate que, avant de prendre sa décision, le DPCP a même calculé l’économie à être réalisé par le retrait des comparutions dominicales, soit 115 jours de travail payés à temps et demi. Dans la Pièce P-29A, le courriel du 24 février 2015 de Me André Brochu à M. Christian Veillette et Me Gaétan Rancourt, on lit (le Tribunal souligne) :
Je ne me souviens plus lequel de vous deux m’a posé la question, mais vous m’avez demandé de confirmer le coût additionnel des comparutions téléphoniques.
En fait, cela donne environ 230 jours de travail, en incluant les jours fériés. Le calcul est simple, nous mobilisons 2 procureurs samedi et dimanche entre 6 hrs et 14 hrs, donc 4 procureurs par fin de semaine, pendant 52 semaines, puis on ajoute les jours fériés. C’est ainsi que nous arrivons à ce calcul.
En conclusion, l’économie serait de 115 jours de travail payés à temps et demie.
- Me Murphy a témoigné qu’elle opérait dans un climat d’austérité budgétaire et qu’elle n’a pas demandé de ressources supplémentaires au Conseil du trésor puisqu’elle jugeait cette possibilité illusoire. C’est donc dans ce contexte qu’elle affirme, dans son rapport annuel de 2015-2016 (Pièce P-57, Rapport annuel de gestion du DPCP 2015-2016, p. 62) (le Tribunal souligne) :
En raison du contexte budgétaire gouvernemental rigoureux en vigueur en 2015-2016, le DPCP a limité ses dépenses à celles jugées essentielles à la réalisation de sa mission. L’ensemble des mesures gouvernementales imposées afin d’assurer le maintien de l’équilibre budgétaire a été respecté. Ainsi pour atteindre les cibles exigées, le DPCP a instauré des mesures administratives qui ont permis de limiter les dépenses.
- Le DPCP a même calculé le nombre de comparutions qui seraient touchées par le retrait des comparutions du dimanche. On voit du courriel de Me Steve Magnan[135] portant sur la rencontre téléphonique du 24 février 2015 (Pièce P-22A) qu’on étudie spécifiquement le nombre de comparutions ayant eu lieu entre 16 h 30 le samedi et 22 heures le dimanche, et on voit même des notes manuscrites de ce dernier de cette rencontre (Pièce P-30) qu’il y a économie de 235 000 $ par année en retirant les comparutions du dimanche.
- Les droits constitutionnels des citoyens du Québec n’ont donc pas été respectés, sciemment en faveur d’un équilibre budgétaire. Ceci est clairement une atteinte illicite et intentionnelle. Mais il y a plus.
- En cinquième lieu, selon le Tribunal, outre les conclusions déjà expliquées précédemment, il y a encore d’autres éléments de preuve selon lesquels le gouvernement du Québec ne peut d’aucune façon prétendre qu’il ne connaissait pas son obligation de mettre en place un système qui permet le respect des délais de comparution, ni qu’il ne savait pas que l’absence d’un tel système résulterait nécessairement en la violation systématique des droits constitutionnels de milliers de justiciables.
- Lors du procès, Me Duguay et Me Porter ont témoigné à l’effet qu’avant 2019, l’état du droit était « flou » quant à la rigueur du délai prévu à l’article 503 du Code criminel.
- Avec égards, l’état du droit ne pouvait être plus clair quant à l’obligation du gouvernement d’assurer la comparution de toute personne détenue dans le délai maximal de 24 heures, et ce, depuis bien avant 2015. Le Tribunal a exposé à la section 4.1 l’état du droit sur la question : depuis les années 80, le délai de 24 heures de l’article 503 du Code criminel est de rigueur et ce délai de 24 heures est un plafond. L’arrêt de 2019 de la Cour d’appel de l’Alberta R. v. Reilly[136] n’est pas un arrêt « nouveau » sur l’interprétation de l’article 503 du Code criminel. À la section 4.1.1.1, le Tribunal fait état des décisions depuis 1984 sur la question, incluant des décisions québécoises.
- Or, malgré tous ces jugements, ce n’est qu’en 2019-2020 qu’un système garantissant les mêmes droits tant aux personnes détenues la fin de semaine que la semaine est finalement mis en place. On verra les dates de fin du groupe à la section 4.3 pour le détail. Ceci est une atteinte illicite et intentionnelle.
- Des témoins du PGQ ont aussi évoqué le « changement de culture » résultant de l’arrêt R. c. Zora[137] de la Cour suprême du Canada. Avec égards, ce jugement date du 18 juin 2020, et survient donc après le début de la remise en place des comparutions en octobre 2019. Il ne peut donc expliquer ce « changement de culture » tardif.
- De plus, en contre-interrogatoire Me Lynch a indiqué qu’elle était consciente en 2015 que le retrait des comparutions le dimanche risquait que des personnes arrêtées et détenues la fin de semaine ne puissent pas comparaître dans le délai de 24 heures. Elle a indiqué que les représentants du DPCP lui ont dit que le DPCP assumait les risques de cette décision. Elle sait que ces risques sont les remèdes constitutionnels, comme l’arrêt des procédures ou des recours en dommages.
- Me Porter a admis en contre-interrogatoire que le nouveau système mis en place progressivement à partir d’octobre 2019 respecte la lettre de 503 Code criminel, à savoir que personne ne reste désormais plus de 24 heures dans une cellule d’un poste de police sans voir un juge dans les 24 heures. Le Tribunal constate que cela signifie que le système en place avant octobre 2019 ne respectait pas systématiquement la lettre de l’article 503 du Code criminel, donc que le système ne permettait pas le respect systématique du 24 heures.
- Encore ici, on voit la connaissance de l’inconstitutionnalité de la mesure, même avant sa mise en œuvre, et au surplus sur une base systémique. Selon le Tribunal, cela est une violation illicite et intentionnelle.
- Outre tout ce qui a été déjà cité précédemment, d’autres documents viennent confirmer cela. Dès 2007, le gouvernement ne pouvait pas ignorer l’illégalité d’un système qui ne respecte pas le délai de comparution maximal de 24 heures, l’ayant lui-même soulevé lors de l’élaboration du projet de comparutions téléphoniques devant les juges de paix magistrats en 2007. Dans la Pièce P-29D, qui est un document du 19 février 2007 de la Direction générale des poursuites publiques intitulé « Respect du délai de comparution dans les 24 heures / comparution par voie téléphonique », on lit ceci (le Tribunal a déjà cité cet extrait précédemment mais le recite ici, en soulignant) :
Une personne détenue suite à son arrestation doit comparaître devant un juge de paix « sans retard injustifié » à l’intérieur d’un délai de 24 heures (art. 503 C.cr.). À défaut, sa détention devient illégale, voire même arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. D’après la jurisprudence, les autorités ne peuvent plus justifier le retard par l’absence d’un juge de paix disponible. Une détention arbitraire peut avoir des conséquences importantes, tant en matière criminelle (arrêt des procédures, diminution de la peine) qu’au plans de la déontologie policière et de la responsabilité civile du procureur général (les tribunaux accordent en moyenne une indemnité de 4,000 $ / jour de détention illégale).
- On peut difficilement être plus clair.
- Voici un autre document au même effet :
- En 2015, avant de mettre fin aux comparutions du dimanche, le DPCP s’est informé[138] des impacts que ce retrait aurait sur les différents intervenants du système judiciaire et, ultimement, sur les justiciables. Or, dans le cadre de ces consultations, le Service de police de la Ville de Laval a expressément indiqué[139] que le retrait des comparutions téléphoniques le dimanche rendrait impossible le respect du délai de comparution de 24 heures, et augmenterait même le risque de malaise chez le détenu en raison du prolongement de sa détention dans un établissement policier.
- Finalement, quant à la connaissance, Me Murphy a admis en contre-interrogatoire qu’elle n’avait pas en main une seule décision judiciaire supportant sa position quant au retrait des comparutions le dimanche.
- En sixième lieu, Me Murphy a témoigné à l’effet que, suite à sa décision de 2015, le risque le plus important pour elle était la possibilité de requêtes en arrêt des procédures visant l’illégalité du système de comparution téléphonique. Elle estimait déplorable que des personnes accusées puissent échapper à leur responsabilité en raison du non-respect du délai de comparution, puisque les victimes ne pouvaient ainsi avoir justice.
- Or, selon la preuve, on a vu que des requêtes en arrêt des procédures ont bel et bien commencé à s’empiler dans plusieurs dossiers suite à la décision de Me Murphy du retrait des comparutions le dimanche. On se serait attendu à ce que ces requêtes soient contestées, puisque peu importe le résultat, le système en sortirait gagnant : soit le tribunal conclurait que le système de comparution était parfaitement légal, soit il le déclarerait illégal, ce qui forcerait tous les acteurs du système à le modifier. Pourtant, plutôt que d’affronter ces requêtes, le DPCP dépose nolle prosequi[140] après nolle prosequi, assurant par le fait même qu’aucun débat ne puisse avoir lieu et garantissant le statu quo[141].
- En septième lieu, le Tribunal note que la décision du DPCP de retirer les comparutions le dimanche est par ailleurs complètement dissimulée du regard du public, puisque le DPCP n’en fait aucunement mention dans son rapport annuel de gestion[142] (Pièce P-57), alors pourtant qu’il fait grand état de l’introduction du nouveau système de comparution en 2020[143].
- En huitième lieu, la preuve révèle de plus que ce n’est qu’en 2019 que le PGQ a finalement agi pour mettre en place le système actuel, soit après avoir perdu sa contestation de l’autorisation de la présente action collective et faisant désormais face à la menace d’une réclamation financière importante. C’est ce qui est écrit comme première raison dans la lettre de Me Murphy du 19 juillet 2019 (Pièce P-29K). Selon le Tribunal, cet état d’esprit démontre une atteinte intentionnelle précédant la remise en place du système. Cela vient également annuler l’argument du PGQ selon lequel la reprise du système en 2019-2020 démontre que l’État s’est amendé. Selon le Tribunal, l’État ne se serait pas amendé tant que la présente action collective n’aurait pas été intentée. À preuve, on peut voir tous les arrêts de procédure dans les dossiers criminels, auxquels le Tribunal a fait référence précédemment.
- Dans le même ordre d’idée, le Tribunal a déjà décidé précédemment à la section 4.1.3.2.3 qu’étaient fautives et illicites les démarches de mars 2018 du DPCP de tenter de réinstaurer le service de comparutions téléphoniques devant les juges de paix magistrats les dimanches. Ces démarches ne peuvent donc constituer un élément atténuant à l’encontre de l’octroi de dommages punitifs. Ces démarches étaient tout simplement insuffisantes.
- C’est donc sur cette toile de fond que le Tribunal ne prend pas en considération comme facteur atténuant les montants que l’État a investi depuis 2019 dans le nouveau système de comparution[144]. L’État doit payer pour ces sommes et ce n’est pas un cadeau qu’il fait aux membres ou aux citoyens en général, mais plutôt un dû, et un dû connu depuis les années 80. Le Tribunal revient sur ces dépenses à la section suivante.
- En neuvième lieu, le Tribunal tient à souligner qu’il n’y a pas preuve ici de volonté malveillante ni de mauvaise foi de la part des acteurs individuels du PGQ[145]; le Tribunal comprend bien la situation personnelle dans laquelle les acteurs se trouvaient, incluant les pressions économiques du gouvernement central. Cependant, les actions des acteurs n’ont pas été suffisantes ni à la hauteur. Et il y a clairement eu agissement en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que la conduite engendrerait. D’où les dommages punitifs.
- En dixième lieu, sur le risque de récidive de l’État, il est vrai que le droit des prévenus de comparaître dans le délai de 24 heures prévu à l’article 503 du Code criminel est répondu depuis maintenant plusieurs années, par le rétablissement des comparutions les dimanches et la transformation du système de comparution les fins de semaine et les jours fériés. De plus, rien dans la preuve présentée au procès ne permet de croire qu’il soit nécessaire de dissuader l’État pour l’avenir. Il n’y a aucune raison d’envisager de potentielles récidives de l’État sur ce sujet. Cependant, selon le Tribunal, ce facteur atténuant est totalement mineur et ne pèse que pour presque rien dans la balance, au regard des neufs éléments étudiés précédemment.
- En conclusion, le Tribunal conclut de tout ce qui précède que la preuve révèle, par la balance des probabilités, qu’en application des critères de l’article 1621 CcQ, le PGQ a commis une atteinte illicite et intentionnelle des droits des membres garantis par les articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec, puisqu’il a agi en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que sa conduite engendrerait.
- Quel est le montant des dommages punitifs?
- Le PGQ ne soumet aucun chiffre, car il estimait ne pas devoir payer de dommages punitifs. Le demandeur soumet que les dommages punitifs doivent être de 7 000 $ par membre. Le demandeur ne demande cependant pas de dommages punitifs si les dommages compensatoires sont évalués à 7 000 $ par membre. Autrement dit, selon le demandeur, si le Tribunal n’accorde pas le montant de 7 000 $ ou accorde un montant inférieur à la somme de 7 000 $ à titre de dommages compensatoires, il réclame alors le montant de 7 000 $ ou le solde à titre de dommages punitifs.
- Le Tribunal a déjà octroyé un montant de 7000 $ par membre à titre de dommages compensatoires, alors en théorie le Tribunal ne peut donc rien accorder de plus aux membres comme dommages punitifs.
- Le Tribunal se penche néanmoins sur la question, puisque la question des dommages punitifs a été vivement débattue au procès.
- Le Tribunal décide que les dommages punitifs peuvent faire l’objet d’un montant unique, commun à tous les membres, pour les motifs déjà expliqués précédemment quant aux dommages compensatoires. De plus, peu importe que la causalité soit requise ou non quant à l’octroi de dommages punitifs, le Tribunal est d’avis qu’il y a ici causalité, pour les mêmes raisons qu’expliquées précédemment.
- Mais quel est le montant requis ici? Pour les raisons qui suivent, le Tribunal est d’avis qu’un montant de 7 000 $ par membre en dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec est approprié ici.
- L’alinéa 2 de l’article 1621 CcQ prévoit que le montant des dommages punitifs doit être suffisant pour atteindre le ou les objectifs pour lesquels ils sont octroyés. Pour paraphraser l’article 1621 CcQ, ce montant s’apprécie en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
- Selon la Cour suprême du Canada[146] :
- La faute du débiteur constitue sans aucun doute le facteur le plus important. Ce facteur s’apprécie sous deux angles, soit la conduite fautive de l’auteur et l’importance de l’atteinte aux droits de la victime;
- De plus, l’énumération de l’article 1621 al. CcQ n’étant pas limitative, toute autre circonstance appropriée peut être prise en compte afin d’atténuer ou d’aggraver le montant de dommages punitifs à être octroyé.
- D’autres facteurs à considérer peuvent être, par exemple, le nombre de victimes et leur caractère particulièrement vulnérable[147], la relation entre les parties[148], ou les antécédents judiciaires[149].
- Quelles sont donc ici les circonstances appropriées?
- Les éléments factuels qui suivent ressortent de la preuve et ont déjà été exposés et analysés précédemment.
- Les atteintes aux droits des justiciables protégés par les articles 24, 30 et 31 de la Charte du Québec ne découlent pas ici d’un cas isolé mais sont plutôt inhérents au système de comparution mis en place par le gouvernement.
- Le DPCP et le MJQ ont failli à leur obligation de mettre en place un système qui garantit une comparution respectueuse des prescriptions du Code criminel, et ce, sachant pertinemment que leur système de comparution défaillant engendrait la violation systémique des droits fondamentaux des justiciables par le non-respect du délai de 24 heures le dimanche et les jours fériés de 2015 à 2019-2020. Il était attendu que des milliers de justiciables seraient touchés et c’est exactement ce qui s’est produit.
- Malgré cela, rien n’a été fait pour corriger le système pendant 4 ans.
- Selon le Tribunal, l’État a démontré un mépris envers les droits des premiers concernés par le système de comparution, les personnes détenues, et sur qui il exerçait un contrôle total. L’État leur a imposé le fardeau de saisir les tribunaux pour faire respecter leurs droits fondamentaux, alors qu’étant détenus, ils se trouvaient déjà en position de vulnérabilité importante.
- Malgré tout, le PGQ maintient qu’il n’est nullement responsable de ces violations.
- Le PGQ choisit plutôt de pointer du doigt la Cour du Québec. Or, la responsabilité de mettre en place un système qui assure le respect de l’article 503 appartient à l’État et, par conséquent, à tous les acteurs étatiques.
- Il apparaît de la preuve que ce sont des considérations administratives et budgétaires qui ont mené au retrait des comparutions le dimanche, alors que de telles considérations ne peuvent jamais justifier la violation de droits constitutionnels.
- De plus, ce n’est que face à la menace d’une action collective que le gouvernement s’est finalement mobilisé pour corriger son système de comparution et mettre fin aux violations systémiques des droits des justiciables.
- Selon le Tribunal, le PGQ ne peut invoquer ses démarches pour enfin corriger l’illégalité du système à compter de juillet 2019, aux fins d’éviter ou de réduire les dommages exemplaires auxquels il devrait être condamné.
- Les correctifs subséquemment apportés ne peuvent être pertinents que si l’auteur de la violation croyait sincèrement bien agir initialement, et qu’il a ensuite procédé aux correctifs requis dès qu’il a été avisé du mal-fondé de sa croyance. En l’espèce, le PGQ savait très bien qu’il agissait en toute impunité et contrairement aux multiples rappels à l’ordre des tribunaux – ce n’est que lorsqu’il a réalisé qu’il risquait d’avoir à indemniser monétairement les victimes de ses pratiques qu’il a fini par agir. Le changement qui n’est motivé que par le désir de réduire son exposition à des dommages n’est pas un facteur justifiant une réduction des dommages exemplaires.
- Le PGQ plaide que le DPCP a dépensé près de 7 millions de dollars par année pour mettre en place un système qui respecte l’article 503 à la lettre, ce qui démontrerait qu’ils ont pris acte des enseignements des tribunaux. Or, on ne peut tirer aucune conclusion des chiffres, mis en preuve par le témoignage de Mme Khuong, car celle-ci ne connaissait pas les dépenses qu’engendraient l’ancien système de comparutions téléphoniques. Sans de tels chiffres auxquels comparer ceux décrits par le DPCP, il n’y a donc aucune conclusion que le Tribunal peut tirer à l’égard de ces derniers.
- Au surplus, même si les dépenses décrites par le DPCP sont tenues pour avérées, cela veut dire que c’est près de 7 millions de dollars par année que le PGQ a économisé durant près de 4 ans en niant à ses citoyens un droit pourtant fondamental. Cet élément doit être pris en compte.
- Quand une conduite répréhensible est motivée par un calcul économique, il va de soi que seule une conséquence économique importante permettra de dissuader la conduite.
- Le Tribunal conclut que tous ces facteurs militent fortement en faveur d’un montant de dommages punitifs important, notamment afin de dissuader le gouvernement du Québec de continuer à piétiner les droits constitutionnels des justiciables en faveur d’économies budgétaires, ainsi que d’attendre la menace d’une action collective avant de corriger une situation violatrice de droits fondamentaux dont il a pleine connaissance.
- Alors que les multiples dénonciations par les instances criminelles n’ont été qu’ignorées par le gouvernement, des dommages punitifs importants serviront aussi de dénonciation sur laquelle le gouvernement ne pourra pas fermer les yeux.
- Il s’ensuit que dans les circonstances de la présente action collective, un montant de 7 000 $ à titre de dommages punitifs à chaque membre du groupe est approprié et raisonnable pour dénoncer, dissuader et punir le comportement de l’État, qui a sciemment et systématiquement violé les droits de milliers de justiciables.
- Le Tribunal conclut donc qu’un montant de 7 000 $ par membre par événement en dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec est approprié ici. Puisqu’il a déjà octroyé un montant de 7 000 $ par membre à titre de dommages compensatoires, le Tribunal ne peut donc rien ajouter en dommages punitifs, car cela serait aller ultra petita.
- Passons aux dommages de la Charte canadienne.
- Le Tribunal a déjà décidé que les membres ont droit à 7 000 $ par événement à titre de dommages compensatoires et à 7 000 $ par événement à titre de dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec. Puisqu’il a déjà octroyé un montant de 7 000 $ par membre à titre de dommages compensatoires, le Tribunal ne peut donc rien ajouter en dommages punitifs, car cela serait aller ultra petita. Le Tribunal ne peut donc rien ajouter en dommages en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne, car il n’y a plus de solde dans la réclamation du demandeur.
- Vu l’importance que les parties y ont donné, le Tribunal aborde quand même ce sujet.
- Rappelons la demande du demandeur à cet égard : si le Tribunal n’accorde pas le montant de 7 000 $ ou accorde un montant inférieur à la somme de 7 000 $ à titre de dommages compensatoires et/ou punitifs, le demandeur demande au Tribunal d’accorder le total ou le solde à titre de réparation appropriée en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne pour détention arbitraire. Ce montant est ventilé ainsi, de façon subsidiaire : 3 000 $ pour le volet indemnisation, 3000 $ pour le volet de la défense du droit violé (affirmation des valeurs de la Charte canadienne) et 1 000 $ pour le volet dissuasion, en fonction des trois objectifs décrits dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward[150] de la Cour suprême du Canada.
- Le Tribunal a déjà décidé que l’absence de comparution dans un délai de 24 heures est une détention arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte canadienne, dont le PGQ est responsable. Dans ces circonstances, l’article 24(1) de la Charte canadienne s’applique et prévoit un remède :
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
- Débutons par le droit applicable.
- Dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward[151], la Cour suprême a établi que des dommages-intérêts peuvent être accordés en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne lorsqu’ils constituent une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, pour sanctionner la violation d’un droit garanti. La Cour suprême du Canada souligne toutefois que l’octroi de dommages-intérêts ne représente que l’une des réparations permises par le paragraphe 24(1), et que souvent, d’autres réparations possibles répondront mieux à la violation.
- Pour constituer une réparation convenable et juste, le demandeur supporte le fardeau de prouver que les dommages-intérêts remplissent au moins l’une des fonctions interreliées suivantes[152] :
- L’indemnisation;
- La défense du droit en cause; ou
- La dissuasion contre toute nouvelle violation.
- Si le demandeur rencontre son fardeau, alors l’État a la possibilité de démontrer, le cas échéant, que des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommages‑intérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables, ni justes. Ensuite, la dernière étape consiste à fixer le montant des dommages‑intérêts.
- Parmi les facteurs qui permettent de reconnaître une réparation convenable et juste au sens du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne, on compte le fait qu’ils soient équitables à la fois envers le demandeur et envers l’État. La Cour suprême du Canada écrit ceci au paragraphe 53 de l’arrêt Ward :
[53] De même que les dommages-intérêts de droit privé doivent être équitables à la fois envers le demandeur et envers le défendeur, le montant des dommages-intérêts accordés en vertu du paragr. 24(1) doit être équitable — ou « convenable et juste » — à la fois envers le demandeur et envers l’État. Le tribunal doit fixer un montant qui respecte ce principe. Il se peut que l’octroi d’une somme élevée — prélevée sur les fonds publics — ne soit pas très utile, d’un point de vue fonctionnel, pour ce qui est de répondre aux besoins du demandeur et ne se révèle ni convenable ni juste dans une perspective publique. Le tribunal, dans son évaluation d’un montant équitable à la fois envers le demandeur et envers l’État, peut mettre dans la balance l’intérêt public au bon gouvernement, le risque de dissuader les gouvernements d’élaborer des programmes et politiques bénéfiques et la nécessité d’éviter que de gros montants soient prélevés sur le budget des programmes publics pour être consacrés à des intérêts privés.
- Finalement, le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(1) n’est pas absolu. En effet, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l’application des principes juridiques pertinents[153].
- Le Tribunal débute par décider si le demandeur a satisfait au fardeau de prouver que les dommages-intérêts remplissent au moins l’une des fonctions interreliées suivantes : l’indemnisation, la défense du droit en cause ou la dissuasion contre toute nouvelle violation. Il s’agit de l’une des trois fonctions, les trois n’étant pas requises.
- L’indemnisation[154] : La fonction d’indemnisation est généralement la plus importante. Elle reconnaît que l’atteinte à un droit peut causer une perte personnelle qui exige réparation.
- L’indemnisation est axée sur la perte personnelle subie par le demandeur : perte physique, psychologique et pécuniaire. Comme toute demande de dommages-intérêts compensatoires en vertu de la responsabilité extracontractuelle, ce type de demande doit être étayée par une preuve du préjudice subi.
- Or ici, le Tribunal a déjà décidé que cette preuve était faite, à la section 4.4.1 sur les dommages compensatoires, tant pour le demandeur que pour tous les membres du groupe.
- La défense du droit en cause ET la dissuasion contre toute nouvelle violation[155] : Règle générale, les fonctions de défense du droit et de dissuasion jouent des rôles secondaires dans le cadre d’une demande fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. La défense du droit nécessite un exercice de rationalité et de proportionnalité. La fonction de dissuasion, quant à elle, vise à influer sur la conduite du gouvernement de sorte que l’État respecte la Charte canadienne à l’avenir. Dans les faits, cette fonction peut revêtir un aspect punitif. Les fonctions de défense du droit et de dissuasion s’assimilent aux dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec.
- Or, encore ici, le Tribunal a déjà décidé à la section 4.4.2 que des dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec doivent être octroyés.
- Le Tribunal conclut donc que des dommages-intérêts répondent à l’une des fonctions identifiées par la Cour suprême du Canada. En fait, ils répondent ici aux trois.
- Puisque le demandeur a rencontré son fardeau, l’État a la possibilité de démontrer que des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommages‑intérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables, ni justes. Analysons cela.
- Les facteurs faisant contrepoids[156] : En général, si d’autres réparations répondent adéquatement aux objectifs d’indemnisation, de défense du droit ou de dissuasion, l’octroi additionnel de dommages-intérêts fondés sur l’article 24(1) de la Charte canadienne ne sert aucune fonction et ne serait donc pas convenable et juste. C’est notamment le cas lorsqu’une partie demanderesse a entrepris un recours en responsabilité extracontractuelle de manière concomitante à sa demande en vertu de la Charte canadienne. Dans ces cas, un tribunal pourrait conclure que des dommages-intérêts accordés à la partie demanderesse à l’issue d’une action concomitante en responsabilité délictuelle constituent une réparation adéquate de la violation de la Charte canadienne. Si c’est le cas, l’octroi de dommages-intérêts additionnels en vertu de la Charte canadienne emporterait une double indemnisation.
- Par conséquent, lorsqu’un recours comprend à la fois une responsabilité extracontractuelle et une demande fondée sur la Charte canadienne, le Tribunal devrait examiner d’abord celle en responsabilité extracontractuelle. Advenant l’octroi de dommages, il ne sera pas nécessaire de faire appel à l’article 24(1) pour l’octroi de dommages.
- Dans les circonstances du présent dossier, le Tribunal est d’avis que les dommages compensatoires déjà octroyés au montant de 7 000 $ par membre et les dommages punitifs déjà décidés au même montant sont suffisants pour répondre aux objectifs d’indemnisation, de défense du droit ou de dissuasion. Cela est surtout le cas puisque le demandeur limite à 7 000 $ par membre sa réclamation, de sorte qu’il ne reste plus de place pour le Tribunal pour aller au-delà.
- Si le Tribunal avait dû aller aux dommages de la Charte canadienne, il aurait décidé ceci :
- Un montant identique pour chaque membre devrait être octroyé comme dommage de la Charte canadienne, pour les motifs déjà expliqués aux sections précédentes;
- Contrairement à ce que soumet le PGQ, les réparations obtenues individuellement par certains membres lors du processus criminel, que ce soit par le biais d’un arrêt des procédures ou par une réduction de peine, ne sont pas des facteurs, ne devraient pas être prises en compte car elles résultent de la propre turpitude du PGQ ou de la loi elle-même. Ce ne sont pas des cadeaux faits aux membres.
- La dernière étape consisterait à fixer le montant des dommages-intérêts en vertu de la Charte canadienne
- Le montant des dommages‑intérêts : S’il n’y avait pas eu de recours en vertu du CcQ et de la Charte du Québec, le Tribunal aurait octroyé un montant de 7 000 $ par membre par événement, ce qui correspond aux indemnités déjà octroyées par les tribunaux en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne. On verra à cet égard les considérations suivantes :
- En 2010, dans l’arrêt Ward[157], la Cour suprême a confirmé l’octroi d’un montant de 5 000 $ pour les objectifs d’indemnisation, de défense des droits et de dissuasion pour une fouille à nu, dans un cas isolé, sans violation systémique. Cela représente 7 000 $ en dollars d’aujourd’hui. Voici les circonstances pertinentes, rapportées au paragraphe 71 :
[…] Cela dit, la fouille qui nous occupe en l’espèce a été relativement brève et n’a pas été effectuée de manière extrêmement irrespectueuse par comparaison avec d’autres fouilles. M. Ward n’a pas été contraint d’enlever son sous‑vêtement ni de dévoiler ses organes génitaux. Il n’a jamais été touché durant la fouille, et rien n’indique que celle‑ci lui ait causé un préjudice physique ou psychologique. Certes, le préjudice subi par M. Ward est grave, mais on ne peut pas dire qu’il se situe au haut de l’échelle de gravité. La situation appellerait donc des dommages‑intérêts d’un montant modéré.
- Dans la décision Ewert v. Canada[158], le sac de médecine (objet sacré dans la culture Autochtone) de M. Ewert a été saisi et fouillé alors qu’il était prisonnier, ce que la Cour fédérale considère une atteinte grave mais non hautement flagrante de ses droits constitutionnels. Afin de compenser M. Ewert pour l’impact sur son bien-être spirituel, dont la nervosité et l’anxiété vécues, ainsi que pour remplir les objectifs de la défense des droits et de la dissuasion, notamment parce que la conduite des agents allait à l’encontre d’une politique pourtant claire, élaborée justement dans le but d’éviter les atteintes à la liberté de religion des prisonniers, la Cour octroie un montant de 7 500 $ à M. Ewert. Ce montant correspond à 7 800 $ en dollars d’aujourd’hui;
- En début 2007, alors qu’il cherchait à déterminer les conséquences auxquelles il pourrait faire face s’il faisait défaut d’assurer le respect de l’article 503, le gouvernement du Québec évaluait lui-même la responsabilité civile pouvant découler d’une détention arbitraire en raison du non-respect de l’article 503 à un montant moyen de 4 000 $ par jour de détention (Voir Pièce P-29D). En dollars d’aujourd’hui, cela correspond à 5 800 $.
- Considérant que le Tribunal décide plus bas qu’un recouvrement collectif est ici requis, il indique que le montant total de dommages en vertu de la Chartre s’élèverait à plus de 140 000 000 $, sans compter les intérêts et l’indemnité additionnelle. Même si cela aurait une incidence non négligeable sur les finances gouvernementales, le Tribunal l’aurait quand même ordonné en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne pris isolément. La conduite de l’État est ici d’une gravité extrême, car elle a touché la privation de liberté de milliers de citoyens québécois. Elle a été systémique et est le fruit de décisions et d’inaction du plus haut palier du système de justice.
- Le Tribunal décide que chaque membre a droit à un montant de dommages compensatoires de 7 000 $ par événement, outre les membres liés aux Villes pour l’instant. Même si ces membres ont droit à des dommages punitifs en outre, il ne reste plus de jeu pour le Tribunal pour leur en accorder.
- Dans ces circonstances, et aussi comme il y aura recouvrement collectif comme on le verra plus loin, le Tribunal n’a pas à étudier l’argument du PGQ portant sur le report des dommages punitifs. Selon cet argument[159], il faut connaître le quantum total des dommages compensatoire avant de pouvoir décider du quantum des dommages punitifs. Cet argument ne s’applique pas car il n’y a finalement pas ici d’octroi de montants pour des dommages punitifs et, de toute façon, on connaît déjà le montant de dommages compensatoires car il y aura recouvrement collectif.
- Le Tribunal aborde maintenant les dommages des membres liés aux Villes de Montréal et de Québec, pour lesquels un argument additionnel a été présenté par le PGQ.
- Le Tribunal débute par indiquer que, sauf situation spéciale qui reste à étudier à la lumière des arguments du PGQ, les membres liés aux Villes de Montréal et de Québec ont droit à des dommages compensatoires de 7 000 $ par membre par événement. Ces membres ont également droit à des dommages punitifs de 7000 $ par membre par événement en vertu de la Charte du Québec. La question des dommages de la Chartre canadienne est également identique. Puisqu’il a déjà octroyé un montant de 7 000 $ par membre à titre de dommages compensatoires, le Tribunal ne peut donc rien ajouter en dommages punitifs ni en dommages de Charte canadienne, car cela serait aller ultra petita.
- Voici donc l’argument du PGQ et la décision du Tribunal.
- Selon le PGQ, il ne peut être responsable solidairement de dommages punitifs avec les Villes de Montréal et de Québec car la solidarité n’est pas possible en matière de dommages punitifs accordés en vertu de la Charte du Québec. Sur ce point, le PGQ a raison que la Cour suprême du Canada a décidé[160] que la solidarité n’est pas possible en matière de dommages punitifs accordés en vertu de la Charte du Québec. Cependant, le Tribunal a décidé précédemment que, pour les membres liés aux Villes de Montréal et de Québec, le PGQ était responsable par faute directe ou comme mandat. Le Tribunal n’a parlé de solidarité qu’à titre subsidiaire. Dans ces circonstances, rien ne s’oppose à ce que les membres liés aux Villes de Montréal et de Québec reçoivent du PGQ des dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec.
- Donc, le Tribunal conclut que les membres des Villes ont droit aux mêmes dommages que tous les autres : le Tribunal décide que chaque membre lié aux Villes a droit à un montant de dommages compensatoires de 7 000 $ par événement. Même si ces membres ont droit à des dommages punitifs en outre, il ne reste plus de jeu pour le Tribunal pour leur en accorder.
- Le Tribunal note que les membres liés aux Villes qui ont réglé et qui ont déjà reçu une indemnité pourront réclamer le solde entre 7 000 $ et le montant qu’ils ont reçu, c’est-à-dire 3 750 $ pour les membres ayant réglé avec la Ville de Québec et 3 271 $ pour les membres ayant réglé avec la Ville de Montréal. Les calculs menant à ces montants apparaissent à la section 4.5.3.
- Le Tribunal aborde maintenant la question du recouvrement des dommages.
- Les parties ne s’entendent pas sur la question du recouvrement. Le demandeur veut un recouvrement collectif pour tous les membres, alors que le PGQ prétend que seul un recouvrement individuel est possible. Débutons par le droit applicable.
- L’article 595 Cpc s’applique et se lit ainsi :
595. Le tribunal ordonne le recouvrement collectif des réclamations des membres si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total de ces réclamations. Ce montant est établi sans égard à l’identité de chacun des membres ou au montant exact de la réclamation de chacun.
Le tribunal peut, après avoir établi ce montant, en ordonner le dépôt intégral ou suivant les modalités qu’il fixe auprès d’un établissement financier exerçant son activité au Québec; les intérêts sur le montant déposé profitent aux membres. Le tribunal peut réduire le montant s’il ordonne l’exécution d’une autre mesure réparatrice ou encore, au lieu d’une ordonnance pécuniaire, ordonner l’exécution d’une mesure réparatrice appropriée.
S’il y a lieu à des mesures d’exécution, les instructions à l’huissier sont données par le représentant.
- Tout le débat porte ici sur la question de savoir « si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total de ces réclamations ».
- La règle par défaut aux fins du recouvrement est le recouvrement collectif, par opposition au recouvrement individuel. Le recouvrement collectif constitue la règle dans la mesure cependant où la preuve permet d’établir de façon suffisamment précise la valeur des réclamations; le fardeau de la preuve à cet égard repose sur les épaules de la demande.
- Le recouvrement collectif est largement reconnu comme un moyen de garantir que les actions collectives atteignent leurs objectifs fondamentaux d'accès à la justice, d'utilisation efficace des ressources judiciaires et de découragement des comportements fautifs[161].
- Les tribunaux ont calculé que l'alternative du recouvrement individuel est susceptible d'entraîner un déni de justice et de permettre à un défendeur fautif de conserver des gains mal acquis. Comme l’écrit la Cour supérieure dans la décision Martin c. Société Telus Communication[162] (le Tribunal souligne) :
[114] Dans la mesure où la preuve permet d'établir le montant total des réclamations des membres de façon suffisamment précise, le recouvrement collectif doit être préconisé. En effet, ce mécanisme permet d’étendre la responsabilité du défendeur à toute la mesure du préjudice causé, plutôt que de la limiter à indemniser seulement les membres qui produisent une réclamation individuelle. En ce sens, il favorise l’objectif de réparation intégrale du préjudice subi.
[115] Ce type de réparation collective permet d'indemniser le groupe d'un point de vue global, et non dans une perspective rigoureusement individuelle et parfaitement exacte, comme les règles traditionnelles d'évaluation des dommages l'exigent normalement. Particulièrement dans les cas où le préjudice individuel subi est moindre et où le préjudice collectif est significatif, cette justice approximative offre un rempart à un déni de justice.
[…]
[180] TELUS doit être privée de ses gains illégaux. Une approche traditionnelle et rigoriste dans l'évaluation et la distribution des sommes lui permettrait ultimement de les conserver. Cela déconsidèrerait l'administration de la justice et ferait violence aux objectifs de protection et de dissuasion de la LPC.
- Dans la décision Marcotte c. Banque de Montréal[163], le juge Gascon de la Cour Supérieure appuie l’avis du professeur Pierre-Claude Lafond selon lequel le recouvrement collectif doit être le remède privilégié afin de s’assurer qu’un défendeur ne puisse pas conserver les gains illégaux qu’il a tirés de la violation de la loi. Ainsi, en reposant sur la teneur du dommage causé à l’ensemble du groupe, le recouvrement collectif sert mieux la portée sociale des actions collectives (le Tribunal souligne et ajoute des caractères gras) :
[1109] Le professeur Lafond semble plus nuancé. À son avis, dès que la preuve permet d'établir de façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres, le recouvrement collectif devrait être le remède privilégié. L'objectif serait alors de s'assurer qu'un défendeur qui a violé la loi ne conserve pas les gains illégaux qu'il en a tirés [références omises] :
Il convient désormais d'orienter l'indemnisation non plus à partir du dommage subi, mais à partir du dommage causé. C'est précisément ce que préconise la formule québécoise du recouvrement collectif. En procurant l'avantage de forcer le défendeur à déposer au greffe du tribunal le montant total des réclamations, la responsabilité du défendeur s'étend à la mesure du préjudice total dont il est responsable, contrairement au mode de recouvrement individuel dans lequel le débiteur n'est appelé à dédommager que les membres qui produisent leur réclamation. Conformément au prince de justice corrective, le recouvrement collectif appelle le plein remboursement des gains illégaux afin de rétablir l'équilibre de la situation entre le défendeur et le groupe.
Cette conception nouvelle de la réparation du préjudice obéit à d'autres règles qu'uniquement à celle de la mesure du préjudice subi; les notions d'accès à la justice, de justice corrective, de prévention, de respect volontaire du droit et d'effet dissuasif sont tout aussi présentes dans la recherche d'une compensation globale. […]
[1110] Ainsi, selon cet auteur, lorsqu'il y a ordonnance de recouvrement collectif, la condamnation monétaire du défendeur repose sur la teneur du dommage causé à l'ensemble du groupe. Sa responsabilité ne s'en trouve pas élargie. Elle correspond plutôt à celle à laquelle il serait tenu si tous les membres du groupe présentaient leur réclamation individuelle. Il n'en est donc aucunement pénalisé.
[1111] Sur ce plan, le professeur Lafond considère qu'il s'agit d'une solution à favoriser, car meilleure que les réclamations individuelles qui, souvent, font l'objet d'un taux minime de participation. Selon lui, le recouvrement collectif sert mieux la portée sociale des dispositions législatives en matière de recours collectif.
[1112] Dans un ouvrage subséquent cité avec approbation par la Cour suprême dans l'arrêt Ciment du St-Laurent, le professeur Lafond souligne d'ailleurs ceci sur la question [Références omises]:
[…] La principale distinction entre le recouvrement individuel et le recouvrement collectif apparaît ici : dans le premier cas, le défendeur n'est appelé à dédommager que les valeureux membres qui produisent leur réclamation, alors que, dans le second cas, sa responsabilité s'étend à la mesure du préjudice causé. Cette forme d'indemnisation ne donne évidemment pas lieu à un reliquat. […]
L'expérience montre à ce jour que les tribunaux (ou, en lieu et place, les parties à une transaction) favorisent majoritairement le recouvrement collectif, assorti généralement d'un mécanisme de distribution individuelle, ce qui s'explique aisément par les mérites de cette formule. Ils font preuve, à cet égard, d'une grande souplesse dans l'établissement du montant total des réclamations, préférant ordonner le recouvrement collectif sur la foi d'une somme plus ou moins exacte, parfois même approximative, que de procéder par la voie du recouvrement individuel, beaucoup moins efficace, avec un faible taux de réclamation, qui peut laisser beaucoup de membres sans compensation et qui ne produit pas de reliquat. Tenant en compte leur souci pour un accès amélioré à la justice, on comprend pourquoi les juges expriment une préférence marquée pour le recouvrement collectif.
[1113] Le Tribunal partage l'opinion du professeur Lafond sur cette question.
- On voit donc que le Tribunal doit faire preuve d'une grande souplesse dans l'établissement du montant total des réclamations, préférant ordonner le recouvrement collectif sur la foi d'une somme plus ou moins exacte, parfois même approximative.
- Afin d’établir « assez précisément » le montant total des réclamations et d’atteindre l’objectif d’une justice réparatrice significative, le Tribunal a la discrétion d’utiliser des moyennes, des statistiques et des équilibres. Il n’est pas nécessaire que la valeur des réclamations individuelles ni le nombre exact de membres ne soient connus[164]. La Cour supérieure indique[165] que ce calcul comporte une dose d'imprécision, et potentiellement de surévaluation.
- Dans la récente décision Ligue des Noirs du Québec c. Ville de Montréal[166], la Cour supérieure, exerçant son pouvoir discrétionnaire, a déterminé que le recouvrement collectif était possible, approprié et nécessaire pour s'assurer que le défendeur soit tenu responsable du profilage racial, malgré la « preuve imparfaite » et l'incapacité de déterminer le nombre de victimes avec une certitude scientifique. La Cour raisonne comme suit (le Tribunal souligne et met des caractères gras) :
[433] Le Tribunal retient de son analyse de l’ensemble de la preuve que si le nombre de personnes victimes de profilage racial ne peut être établi selon une certitude scientifique, la preuve d’expert établit une proportion statistique.
[434] Or, sur le plan de l’analyse que doit faire le Tribunal, la détermination du nombre de personnes victimes de profilage racial peut être établie à l’aide de moyennes et de statistiques, non pas avec une certitude scientifique, mais selon la prépondérance des probabilités.
[…]
[448] Quant aux erreurs d’enregistrement soulevées, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte. En 2018, il y avait plus de cinq années que le système d’enregistrement de données du SPVM était en fonction et il apparaît déraisonnable de considérer dans l’analyse que des erreurs d’inscription de la part des policiers devraient faire obstacle à un recouvrement collectif. On peut aussi s’attendre à ce que cette marge d’erreur ne soit pas significative.
[449] À cet égard, le Tribunal applique par analogie le raisonnement énoncé par la Cour d’appel dans l’affaire Fédération des médecins spécialistes du Québec c. Conseil pour la protection des malades, où la Cour d’appel confirme le bien-fondé de la méthode de calcul retenue en première instance, malgré ses lacunes inévitables :
[67] […] la méthode suivie pour la collecte des données et leur compilation. Il s'agissait pour le MSSS d'évaluer, d'une manière globale, l'impact des trois journées sur le système de santé. Le MSSS a demandé aux régies régionales de santé de lui communiquer le nombre d'interventions annulées et reportées. Précisément, le MSSS a donné comme consigne aux régies de regrouper les données en trois catégories : consultations, chirurgies et examens diagnostiques. Cette même directive a été transmise à toutes les régies régionales. André Giguère a ensuite compilé ces données.
[68] La somme des interventions annulées et reportées est de 10 420. Le juge fait porter la condamnation sur un groupe de 10 000 membres. Je n’identifie aucune erreur alors que ses constatations trouvent appui dans la preuve. […]
[69] Comme le souligne la Fédération, il est probable que ce chiffre ne soit pas exact. Par exemple, les régies régionales peuvent avoir interprété différemment la consigne. Certaines ont transmis des données approximatives. Cependant, rien n'indique que ce chiffre n'est pas suffisamment exact.
[70] Il n’en demeure pas moins que la compilation pour imparfaite qu’elle soit, constitue un élément de preuve pertinent et que le juge pouvait s’en servir pour déterminer l’importance du groupe et que ce faisant, il demeurait à l’intérieur de son pouvoir d’appréciation.
[71] Je ne décèle ici aucune erreur qui justifie une intervention.
[450] L’analyse amène le Tribunal à conclure qu’une preuve suffisamment précise permet de quantifier combien de personnes de groupes racisées ont été victimes de profilage racial dans le contexte d’une interpellation enregistrée. Bien que cette preuve soit imparfaite, elle permet d’évaluer ce nombre de façon suffisamment précise.
- Dans l’arrêt Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil Québécois sur le tabac et la santé[167], la Cour d’appel mentionne que le juge du fond, dans l’évaluation « d’une façon suffisamment précise », dispose d’un pouvoir discrétionnaire important dans le contexte du recours collectif, reprenant les propos de la Cour suprême du Canada[168].
- Dans la décision Laflamme c. Bell Mobilité inc.[169], la Cour supérieure précise que la précision absolue n'est pas nécessaire pour que le recouvrement soit collectif; le recours à des approximations est permis et est souvent une alternative à un déni de justice.
- Le Tribunal déduit de toutes ces autorités que, pour les fins d’un recouvrement collectif, le total des réclamations doit être raisonnablement et globalement exact au regard d’une preuve probante; les hypothèses ne reposant sur aucune base objective ou plausible ne pourront constituer une preuve suffisamment précise ni la preuve basée sur un échantillonnage trop restreint ou trop large.
- Enfin, on doit noter que, même si le recouvrement collectif peut inclure potentiellement une surévaluation, l’allègement de la preuve dans le cas d’un recouvrement collectif ne doit pas conduire à l’augmentation aveugle du fardeau financier du défendeur[170].
- En terminant, le Tribunal précise que le critère flexible référant à une preuve « suffisamment précise » ne dispense toutefois pas le demandeur de respecter les autres règles de preuve qui s’imposent en matière d’action collective; ils doivent présenter une preuve fiable et convaincante avec un degré suffisant pour établir sa valeur probante.
- Donc, la preuve permet-elle ici d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations des membres? Cette analyse se divise en trois catégories :
- Les membres reliés aux Villes Montréal et de Québec;
- Les membres invisibles et les « membres déjà en détention légale pour un autre crime »;
- Tous les autres membres.
- Le Tribunal débute par ces derniers.
- La présente section vise la majorité des membres, soit les adultes et les adolescents devant la Cour du Québec pour tous les districts, excluant les membres reliés aux Villes de Montréal et de Québec, excluant les membres invisibles et excluant les « membres déjà en détention légale pour un autre crime ». Les périodes visées sont celles identifiées par le Tribunal à la section 4.3.
- Tous les montants discutés dans la présente section sont uniquement des dommages compensatoires, ce que le Tribunal a conclu à la section 4.4.
- On connaît le montant des dommages auxquels chaque membre a droit, soit 7 000 $ en dommages selon ce que le Tribunal a déjà décidé. Le débat tourne donc autour de l’établissement du nombre de personnes dans le groupe.
- Le demandeur prétend que la preuve qu’il a présentée permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations ci-après des membres suivants, de sorte qu’un recouvrement collectif de ces sommes est possible :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 :
20 408 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 142 856 000 $
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 :
146 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 1 022 000 $
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 :
391 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 2 737 000 $
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 :
524 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 3 668 000 $
- Pour un total de 150 283 000 $.
- Passons à la preuve. Le débat en est un d’experts.
- En demande, le demandeur a mis en preuve l’expertise et le témoignage de l’expert M. Jack Martin du cabinet KPMG. Ce dernier a été reconnu par le Tribunal comme expert en « 1) forensic data analytics, 2) statistical sampling and extrapolation, and 3) forensic accounting »[171]. Son rapport initial et son rapport de réplique se trouvent aux Pièces P‑23 et P-27. Ses calculs finaux pour l’établissement du nombre de membres se trouvent aux Pièces P-68 et P-69, déposées lors du témoignage de M. Martin en contre-preuve de la demande.
- En défense, le PGQ a mis en preuve le rapport d’expert d’EY, Pièce PGQ-22, et a fait témoigner trois experts d’EY, soit :
- M. Benoît Legault, reconnu par le Tribunal comme expert en juricomptabilité;
- M. François Auclair, reconnu comme expert en juricomptabilité et spécialiste en analyse juricomptable de données; et
- M. Mohammed Mraoua, reconnu par le Tribunal comme expert en statistiques.
- Leurs calculs finaux se trouvent aux Pièces PGQ-22A, PGQ-22B et PGQ-22C. M. Legault est le signataire du rapport d’EY, Pièce PGQ-22. MM. Auclair et Mraoua ont assisté M. Legault et ont contribué à la rédaction de certaines parties du rapport d’EY.
- Fait inusité, puisqu’il y a trois experts en défense pour le même rapport écrit, ces derniers ont été interrogés en chef l’un après l’autre par le PGQ, chacun sur sa partie de travail. Une fois les trois interrogatoires en chef terminés, le demandeur a contre-interrogé les trois experts, le tout selon la procédure convenue entre les parties sous la supervision du Tribunal.
- Voici maintenant la preuve quant à l’expert en demande, M. Jack Martin.
- De façon globale, il cherche, à partir des plumitifs pertinents obtenus du PGQ, à estimer le nombre de membres dans le groupe.
- M. Martin part donc des fichiers PDF de 391 956 plumitifs communiqués par le PGQ. Il s’agit des plumitifs pour les personnes adultes dont le dossier a été appelé à la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, un lundi ou le lendemain d’un jour férié entre le 19 juin 2015 et le 31 octobre 2019.
- En appliquant une série de filtres, d’hypothèses et un échantillonnage, voici la démarche de M. Martin dans son rapport initial Pièce P-23 :
- M. Martin part des 391 956 plumitifs fournis par le PGQ. Il constate qu’il y a 4 280 071 inscriptions d’audiences. Il recherche dans ces inscriptions le bassin de membres potentiels;
- En appliquant une série de filtres, en visant les bonnes journées et le bon type d’audience, en enlevant des doublons et en se limitant à la période du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019, M. Martin en arrive à identifier le bassin de membres potentiels adultes. Ce bassin est composé de 40 283 membres potentiels. On verra l’Annexe I de la Pièce P-23 pour le détail des filtres et de l’échantillon, cette annexe faisant elle-même référence aux annexes E, F, G et H. Pour le texte de M. Martin sur cette partie, on verra les paragraphes 27 à 44 de son rapport, Pièce P-23. Le PGQ conteste la validité de ce bassin;
- À partir du bassin de 40 283 membres, M. Martin a utilisé le logiciel Alteryx afin de sélectionner aléatoirement un nombre de 500 membres, qu’il estime être plus que statistiquement représentatif. Selon lui, un intervalle de confiance minimum varie typiquement entre 90 % et 95 %; donc, avec un bassin de 40 283 inscriptions et une marge d’erreur de 5 %, la taille de l’échantillon doit être entre 271 inscriptions (intervalle de confiance de 90 %) et 381 inscriptions (intervalle de confiance de 95 %). Ceci apparaît aux paragraphes 45 à 47 de la Pièce P‑23;
- De ces 500 cas, il doit en retirer 18 car il constate que le tribunal était ouvert à ces dates. Il reste donc 482 membres, pour lesquels il demande au PGQ une copie des dossiers de police afin de pouvoir étudier manuellement un par un ces cas. Le PGQ a fourni 406 dossiers, que M. Martin étudie un par un. Parmi les 406 rapports policiers reçus, M. Martin en exclut 52 qu’il classifie comme incomplets, c’est-à-dire : (i) les informations contenues ne visent pas la date recherchée par l’échantillon; ou (ii) le rapport policier est incomplet et ne permet pas de calculer la durée de la détention; ou (iii) les personnes qui semblent avoir été détenues plus de 24 heures avant de comparaitre, mais dont le rapport policier est non-concluant, sont exclues par mesure de conservatisme. Donc, cela ramène l’échantillon à 354 cas, qui est toujours dans la marge de confiance (entre 271 381 inscriptions). Ceci apparaît aux paragraphes 48 à 53 de la Pièce P-23. Le PGQ conteste que M. Martin conserve le chiffre de 354 pour l’échantillon, qui aurait dû être de 482 ou 500 selon le PGQ;
- Après révision et analyse des 354 rapports policiers, M. Martin a conclu que l’échantillon est composé de 198 personnes ayant été détenues plus de 24 heures avant de comparaitre, de sorte que 198 sur 354 inscriptions (ou 55,93 %) correspondent à des comparutions hors-délai. M. Martin retire les cas indéterminés du dénominateur pour faire son calcul. La méthode de calcul de ce ratio est vivement contestée par le PGQ. Les 156 inscriptions restantes (ou 44,07%) représentent : (i) les personnes détenues moins de 24 heures avant de comparaître; ou (ii) les personnes détenues pour une autre cause; ou (iii) des inscriptions purement administratives ou des erreurs de greffe. Ceci apparaît aux paragraphes 54 et 55 de la Pièce P-23;
- Ensuite, en extrapolant ce ratio au bassin des comparutions hors-délai potentielles, M. Martin en arrive à un total de 22 530 comparutions hors-délai (40 283 x 55,93 %), considérant une marge d’erreur de plus ou moins 5 %. Ceci apparaît aux paragraphes 56 à 59 de la Pièce P-23;
- Au paragraphe 60 de la Pièce P-23, M Martin indique qu’il a calculé la durée des détentions pour les comparutions hors-délai. La durée moyenne de détention est de 39.9 heures, ce qui veut donc dire 15,9 heures après le premier 24 heures;
- Donc, en prenant un montant de 7 000 $ par membre et en le multipliant par 22 530 membres, le total est de 157 710 000 $ pour les adultes à la Cour du Québec, pour tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019. Cela apparaît aux paragraphes 61 et 62 de son rapport, Pièce P-23. Le Tribunal note que les chiffres qui y figurent comprennent les intérêts et l’indemnité additionnelle, que le Tribunal a retiré de tous les chiffres pour une meilleure compréhension;
- M. Martin a également calculé le nombre de comparutions hors-délai d’adolescents à la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019. On trouve cela aux paragraphes 65 à 73 de la Pièce P-23 :
- Pour les adolescents, les plumitifs ne sont pas disponibles car ils sont sous scellés. M. Martin a demandé au PGQ et a reçu de ce dernier les relevés mensuels du DPCP pour les audiences téléphoniques « C-24 » pour la période entre juin 2015 et octobre 2019. Selon son analyse des informations sur les relevés mensuels, il y a 378 personnes adolescentes et 14 733 personnes adultes, représentant un ratio de 2,57 % d’adolescents (378 / 14 733);
- M. Martin a ensuite posé les deux hypothèses suivantes : (i) le ratio d’adolescents aux adultes lors des audiences téléphoniques « C-24 » est le même que le ratio d’adolescents aux adultes lors des audiences de la semaine; et (ii) le ratio de comparutions hors-délai de la population adolescente est le même que celui de la population adulte. Par conséquent, selon lui, les résultats de l'échantillonnage des plumitifs de personnes adultes peuvent être généralisés et appliqués à la population adolescente.
- En appliquant le ratio obtenu aux 40 283 inscriptions de plumitifs adultes, M. Martin obtient un bassin de 1 035 membres potentiels (2,57 % x 40 283);
- Finalement, pour calculer le nombre de comparutions hors-délai parmi ce bassin, M. Martin a appliqué le pourcentage de comparutions hors-délai obtenu pour le bassin de population adulte au bassin de la population adolescente. Il a ensuite posé l’hypothèse qu’il peut appliquer la même marge d’erreur qui a été utilisée dans la population adulte. En faisant ce calcul, il arrive à un nombre de comparutions hors-délai de 578 adolescents (1 035 x 55,93 %), considérant une marge d’erreur de plus ou moins 5 %;
- À 7 000 $ par membre, pour 578 adolescents, cela donne un total de dommages de 4 046 000 $ pour les membres adolescents à la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019.
- M. Martin a ensuite indiqué avoir pris connaissance du rapport d’expertise de EY, Pièce PGQ-22, lequel contient une série de corrections assez mineures selon lui, provenant d’erreurs mineures de sa part lié à l’interprétation de certaines données et surtout du fait qu’EY a eu accès à davantage de documents sur les dossiers retenus dans l’échantillons (dont des enregistrements audio). M. Martin explique cela dans son rapport complémentaire, Pièce P-27[172]. M. Martin ne change pas sa méthodologie ni sa formule de ratio; ses calculs avec les données légèrement révisées donnent un nouveau nombre de comparutions hors-délai pour les adultes qui est de 20 722 (au lieu de 22 530), et de 532 pour les adolescents (au lieu de 578). Les raisons de ce changement sont qu’à partir des nouvelles données factuelles qu’a eu EY (et pas KPMG), M. Martin a pu modifier les chiffres suivants pour les adultes (les adolescents suivent le même schéma) :
- Le nombre de membres dans l’échantillon n’est plus de 354 mais plutôt de 383;
- Le nombre de comparutions hors-délai dans l’échantillon n’est plus de 198, mais maintenant de 197;
- Cela donne un nouveau ratio de comparutions hors-délai de 51,44% (i.e. 197 divisé par 383.
- Suite à son contre-interrogatoire, M. Martin est revenu témoigner en réinterrogatoire après l’heure du lunch. Il a alors tenu compte de la question des quasi-doublons[173] et des noms et dates de naissance, de la présence de plumitifs multiples qui ne permettent pas de façon aisée de voir si la comparution est hors délai ou non, des cas de comparution par vidéo avec un juge de la Cour du Québec situé à Montréal ou Québec alors que la personne détenue est en région, et des cas où il n’y a pas de rapport de police car le juge de la Cour du Québec a ordonné une détention. Ces éléments ont été soulevés en contre-interrogatoire. M. Martin a alors soumis le chiffre révisé de 39 749 membres pour le bassin, au lieu de 40 283. Il a conclu que cette diminution n’est aucunement significative et n’a aucun impact quant aux résultats qui sont à la Pièce P-27. Dans tous les cas, peu importe les cas enlevés ou réanalysés, la taille de l’échantillon qui reste en bout de piste est toujours dans l’intervalle de confiance. M. Martin ne change pas sa méthodologie ni sa formule de ratio.
- Après avoir écouté le témoignage des experts en défense et avoir obtenu encore de nouvelles informations et pièces, M. Martin a fait du travail quant aux nouveaux éléments appris de la preuve de la défense, Il est revenu comme témoin en contre-preuve de la demande et il a déposé la Pièce P-69, qui constitue sa version finale des calculs donnant le nombre de membres adultes à la Cour du Québec pour tous les districts (20 408) et le nombre d’adolescents à la Cour du Québec, chambre jeunesse (524), le tout du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019. Le bassin révisé est de 39 588 membres potentiels et le ratio de comparution hors-délai est de 51,55 %. M. Martin a pu modifier les chiffres suivants pour les adultes (les adolescents suivent le même schéma) :
- Le nombre de membres dans l’échantillon n’est plus de 354 ni de 383 mais est finalement de 386;
- Le nombre de comparutions hors-délai dans l’échantillon n’est plus de 198 ni de 197, mais maintenant de 199;
- Cela donne un nouveau ratio de comparutions hors-délai de 51,55 % (i.e. 199 divisé par 386).
- M. Martin ne change pas non plus ici sa méthodologie ni sa formule de ratio.
- M. Martin dépose aussi la Pièce P-68, qui est son calcul des membres de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 (146), et les membres de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 (391). Pour ce faire :
- Il a pris le bassin final, qu’il a divisé par les chiffres pour Montréal et Québec;
- Il a identifié tous les dimanches et jours fériés potentiels à Montréal et Québec pour les périodes du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 (Québec) et du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 (Montréal);
- Il a retiré tous les cas de comparution « C-24 »;
- Il a appliqué le ratio de 51,55 %, pour en arriver à 146 cas de comparution hors-délai pour Québec et 391 pour Montréal, pour la Cour du Québec pour des adultes.
- En utilisant ces chiffres finaux, M. Martin arrive donc aux données suivantes :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 : 20 408 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 142 856 000 $;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 : 146 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 1 022 000 $;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 : 391 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 2 737 000 $;
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 : 524 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 3 668 000 $;
- Le tout pour un total de 150 283 000 $.
- Passons à la preuve des experts du PGQ.
- Dans leur rapport Pièce PGQ-22 et lors de leurs témoignages au procès, les experts du PGQ ont les 6 critiques suivantes[174] quant à la méthodologie et au rapport de M. Martin :
- Quant au bassin de membres potentiels[175], M. Martin a adopté une mauvaise approche pour l’établissement du bassin, ce qui a mené à l’inclusion de faux positifs, de cas de personnes qui ne sont pas membres du groupe et de plusieurs quasi-doublons. En retirant ces cas, les experts de EY ont évalué le bassin à approximativement 36 101 cas, jusqu’è ce que le PGQ leur demande d’arrêter les travaux et de ne pas finaliser l’évaluation de leur propre bassin. Mais de toute façon, sur la base des travaux que réalisés jusqu'à l’arrêt des travaux le 9 avril 2024, les experts du PGQ ont non seulement constaté qu'il est difficile d'établir un bassin sans faux positifs ou erreurs mais également qu’ils estiment qu'il n'est pas certain qu’il soit possible d’arriver à un bassin sans faux positifs ni erreurs;
- Dans le traitement de l’échantillon[176], M. Martin a erré quant à la classification de plusieurs cas hors bassin et de cas indéterminés, car il en a exclu trop comme étant incomplets. EY a cependant eu accès à des renseignements additionnels fournis par le PGQ (comme on le lit au paragraphe 8.9 de la Pièce PGQ-22 : plumitifs, procès-verbaux de comparution, documents policiers, enregistrements audio d'audiences, etc.). Ce faisant, les 354 cas de M. Martin auraient dû être 398 cas;
- M. Martin a erré quand il a émis l’hypothèse suivante au paragraphe 23 de son rapport Pièce P-23 (et repris aux paragraphes 54 et 59 du rapport complémentaire Pièce P-27), car on ne peut faire une telle hypothèse sur le plan statistiques avec un échantillon choisi de manière aléatoire[177] :
Nous posons l’hypothèse que le pourcentage de comparutions hors-délai selon nos analyses des documents obtenus du PGQ est similaire au pourcentage de comparutions hors-délai pour les documents non-obtenus du PGQ ou incomplets (par exemple, les rapports policiers);
- M. Martin a erré en utilisant la Norme NCA 530 (Pièce PGQ-42) pour établir l’échantillonnage. Selon EY, cette norme est une norme d’audit et de comptabilité, qu’on ne peut pas prendre pour la juricomptabilité. La bonne méthode à suivre aurait été d’avoir recours à un expert en statistiques pour estimer l’échantillonnage[178];
- M. Martin a erré aux quatre étapes de l’Approche Statistique Normative pour le choix de l’échantillonnage car[179] :
- Pour l’étape 1 (analyse descriptive et validation de l’homogénéité du bassin), M. Martin n’a pas fait d’analyse d’homogénéité;
- Pour l’étape 2 (procéder à l’échantillonnage), M. Martin a utilisé le logiciel Alteryx, qui n’est pas adapté à ce genre d’étude. De plus, M. Martin a retiré des cas de son échantillon de 500 cas. Le dénominateur pour le calcul du ratio des comparutions hors-délai aurait dû être 500, et non pas 354 ni 398;
- Pour l’étape 3 (validation de la proportion de comparutions de plus de 24 heures), M. Martin n’a pas procédé à une validation de la proportion, car il a supposé à tort que le groupe était homogène. Il aurait dû faire des tests statistiques, qu’il n’a pas faits;
- Pour l’étape 4 (inférence des résultats dans le bassin), M. Martin a utilisé la bonne méthode, mais les résultats sont nécessairement erronés car ils sont basés sur les étapes 1 à 3 qui ont été mal appliquées par M. Martin;
- Pour les adolescents, M. Martin a erré en transmettant les deux hypothèses qu’il a émises car on ne peut pas les valider, vu le non-accès aux données de la population cible. Et pour le calcul comme tel, M. Martin a erré en utilisant les ratios des adultes qui sont de toute façon erronés, pour tous les motifs précédents, et qui ne sont peut-être finalement pas généralisables aux adolescents de toute façon[180].
- Ainsi, selon les experts du PGQ, la fiabilité et la précision de l’opinion de M. Martin n’est donc pas démontrée sur le plan juricomptable ni sur le plan statistique.
- Le Tribunal constate qu’il y a donc 6 points majeurs de critique par les experts du PGQ de l’expertise de M. Martin en demande. Dans son plan d’argumentation, le PGQ ajoute plusieurs autres éléments mineurs de critique; le Tribunal y revient.
- À la fin de leurs témoignages et ayant considéré le rapport complémentaire de M. Martin Pièce P-27 et ayant entendu M. Martin en interrogatoire en chef et en ré-interrogatoire, les experts du PGQ ont déposé les Pièces PGQ-22A, PGQ-22B et PGQ‑22C qui sont des tableaux modifiés qui contiennent leurs calculs refaits à la lumière des renseignements obtenus dans l’expertise complémentaire et pendant le procès. Voici les résultats finaux des experts du PGQ :
- Le numérateur du ratio est de 199 cas, et le dénominateur est de 483, ce qui donne un ratio de comparutions hors délai de 41,20 %;
- En utilisant ce ratio avec l’évaluation du bassin de M. Martin de 40 283 membres, on obtient 16 597 membres adultes et 427 adolescents[181]. Cependant, ces résultats sont un argument subsidiaire du PGQ, car le PGQ : 1) a spécifiquement arrêté les travaux de ses experts sur le calcul du bon nombre de membres, le chiffre de 16 957 adultes et 427 adolescents étant basé sur du travail non terminé; et 2) estime que la position de ses experts démontre qu’en bout de piste, M. Martin n’a pas suivi une méthode qui permet d’établir d’une façon suffisamment précise le nombre total de membres dans le groupe des adultes et adolescents à la Cour du Québec, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019.
- Le Tribunal noter que les experts du PGQ n’ont pas abordé par écrit ni oralement le calcul des membres de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 ni le calcul des membres de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020[182].
- Donc, que retenir de tout cela? Que décider?
- Pour les raisons qui suivent, le Tribunal est d’avis que, par la balance des probabilités, la méthodologie et les calculs de l’expert de la demande M. Martin de KPMG doivent être retenus et que les résultats de cet expert sur le nombre total de membres sont suffisamment précis au sens de l’article 595 Cpc, pour les quatre sous-catégories visées par la présente section. Rappelons ces sous-catégories :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020;
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019.
- Le Tribunal débute par les sous-catégories 1 et 4, qui couvrent l’immense majorité des membres dans la présente section, soit les adultes et les adolescents à la Cour du Québec du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019.
- Le Tribunal va donc traiter les 6 critiques majeures du rapport de M. Martin faites par les experts du PGQ, soit :
- L’établissement du bassin;
- Le traitement de l’échantillon;
- L’hypothèse du paragraphe 23 de M. Martin;
- La Norme NCA 530;
- La sélection de l’échantillon;
- Le cas des adolescents.
- Le Tribunal constate que le PGQ ne remet pas en cause la méthodologie générale de M. Martin, c’est-à-dire le fait de partir des plumitifs afin d’établir avec des filtres un bassin de membres potentiels, pour ensuite faire un échantillonnage afin d’étudier un par un les dossiers de cet échantillon en vue de de pouvoir conclure sur le nombre de comparutions hors délai dans l’échantillon et ensuite l’extrapoler au bassin selon un ratio. C’est plutôt dans la réalisation par M. Martin de certaines étapes de cette méthodologie que le PGQ formule ses critiques. Le Tribunal conclut donc que la marche à suivre générale de M. Martin n’a pas été remise en cause. Les experts du PGQ n'en proposent d’ailleurs aucune autre et ils l’ont même suivie eux-mêmes.
- Le Tribunal traite maintenant en ordre ces 6 critiques.
- 1-L’établissement du bassin : Les experts du PGQ sont d’avis qu’il est non seulement difficile d'établir un bassin sans faux positifs ou erreurs mais également ils estiment qu'il n'est pas certain qu’il soit possible d’arriver à un tel bassin. Le Tribunal ne peut retenir cette critique des experts du PGQ. En effet, ces derniers visent ici non seulement la perfection, mais une utopie. D’ailleurs, en contre-interrogatoire, l’expert M. Auclair a admis qu’un bassin sans faux positifs ni erreurs suppose des données de base parfaites et pertinentes. Or, on l’a vu lors des témoignages des experts des deux parties, les données de base ne sont pas parfaites ni complètes. Les plumitifs ne sont pas parfaitement clairs, tout comme les rapports de police, et ce, lorsqu’ils sont disponibles. Ce que les experts du PGQ demandent dépasse largement la notion de « suffisamment précise » contenu à l’article 595 Cpc telle qu’interprétée par la jurisprudence examinée à la section 4.5.1.
- Les plumitifs, tels qu’ils le sont, et les rapports de police, aussi imparfaits qu’ils soient, ont permis à M. Martin, avec ses filtres, de passer de 4 280 071 inscriptions d’audiences à un bassin de 40 283 membres potentiels. Ceci est très impressionnant aux yeux du Tribunal et, en soi, rencontre tous les critères du « suffisamment précis ».
- Les critiques du PGQ à cet égard ne sont pas fondées.
- De plus, le Tribunal note que le PGQ a spécifiquement demandé à ses experts d’arrêter leur travail afin d’établir eux-mêmes la donnée du bassin des membres. Le PGQ n’a pas non plus fourni à ses experts EY des documents, rapports de police et enregistrements audio supplémentaires pour tous les cas indéterminés. Selon la preuve, le PGQ a remis à ses experts une série d’enregistrements audio d’audience qui n’ont pas été choisis au hasard.
- Aucune raison pour tous ces choix du PGQ n’a été mise en preuve. Cependant, de l’avis du Tribunal, cette façon de faire s’apparente un peu à ce que les fabricants de tabac défendeurs ont fait dans la décision Létourneau c. JTI-MacDonald Corp.[183], où tant la Cour supérieure que la Cour d’appel ont reproché à ces compagnies d’avoir donné mandat à leurs experts de se limiter à critiquer les expertises des demandeurs sans mettre de l’avant leur propre preuve.
- Comme la preuve le révèle, les experts d’EY s'efforçaient également de créer un bassin alternatif, dans l'espoir de ne pas avoir de situations de « hors bassin ». Le PGQ savait que cet objectif était inatteignable, mais c'est précisément pour cela que ce mandat a été donné, selon le Tribunal : le seul objectif du PGQ était d'empêcher la détermination de toute taille de groupe.
- Enfin, sur ce point, le Tribunal trouve quand même assez inusité et surprenant le fait par le PGQ d’avoir fourni à ses experts des documents et des audios qui n’avaient pas été initialement remis au demandeur et à M. Martin. Le demandeur ne s’en plaint pas formellement, mais le Tribunal trouve irrégulière et contre le fair play cette façon de faire.
- Bref, le Tribunal rejette la première critique du travail de M. Martin. Ce faisant, le Tribunal décide que, par la balance des probabilités, la preuve démontre que le bassin des adultes déterminé par M. Martin est à retenir, soit un chiffre de 39 588, apparaissant à la Pièce P-69.
- 2-Le traitement de l’échantillon : Les experts du PGQ reprochent à M. Martin d’avoir erré quant à la classification de plusieurs cas hors bassin et de cas indéterminés.
- Le Tribunal reproduit les chiffres finaux des deux parties, tirés des Pièces P-69 et PGQ-22B :
Description | M. Martin de KPMG – P-69 | EY – PGQ-22B |
Comparution > 24 h | 199 | 199 |
Comparution < 24 h | 124 | 124 |
Cas hors bassin | 63 | 62 |
Cas indéterminés | 97 | 98 |
Cas retirés | 17 | 17 |
- Il est frappant de constater qu’après des dizaines d’heures de travail et l’étude de centaines de documents examinés avant et pendant le procès, les experts des deux parties arrivent à des résultats presqu’identiques. La seule différence vise les cas hors bassin et les cas indéterminés, qui varient de 1. Comme critique, on pourra repasser.
- M. Legault a même admis en contre-interrogatoire ce constat.
- Selon le Tribunal, il s'agit donc là de la démonstration ultime de la précision du choix de la méthodologie de M. Martin et de son analyse. Si les experts des deux parties en arrivent aux mêmes chiffres virtuellement, cela veut dire qu’ils sont les bons.
- Le Tribunal n’a donc pas à faire l’étude comparée de toutes les versions des positions des experts des deux parties.
- Bref, le Tribunal rejette la deuxième critique du travail de M. Martin.
- 3-L’hypothèse du paragraphe 23 de M. Martin : M. Martin a émis l’hypothèse suivante au paragraphe 23 de son rapport Pièce P-23 (et repris aux paragraphes 54 et 59 du rapport complémentaire Pièce P-27) :
Nous posons l’hypothèse que le pourcentage de comparutions hors-délai selon nos analyses des documents obtenus du PGQ est similaire au pourcentage de comparutions hors-délai pour les documents non-obtenus du PGQ ou incomplets (par exemple, les rapports policiers);
- Selon les experts du PGQ, il s’agit d’une erreur car on ne peut faire une telle hypothèse sur le plan statistiques avec un échantillon choisi de manière aléatoire; il fallait creuser davantage dans l’étude des documents, et même en obtenir davantage. Les experts du PGQ font une analyse super détaillée de dizaines de documents et d’enregistrements audio afin de démontrer que la classification des cas pour lesquels M. Martin n’a pas obtenu de documents ne suit pas le même pourcentage de comparution hors-délai.
- Avec égards, le Tribunal ne peut retenir cette critique des experts du PGQ. Elle repose sur le fait que les experts du PGQ aient eu accès à des documents et des enregistrements audio que M. Martin n’a jamais eu, et au surplus, sur le fait que ces documents n’ont pas été remis aléatoirement aux experts du PGQ. Le Tribunal peut donc présumer que les documents non remis par le PGQ visent des dossiers où la comparution était après un délai de plus de 24 heures.
- Peu importe les normes statistiques, le Tribunal trouve tout à fait normal et en parfaite logique l’hypothèse selon laquelle le pourcentage de comparutions hors-délai selon l’analyse des documents obtenus du PGQ est similaire au pourcentage de comparutions hors-délai pour les documents non-obtenus du PGQ ou incomplets. Comment pourrait-il en être autrement, à moins qu’il y n’ait eu du tripotage de dossiers remis et non remis?
- L’analyse postérieure de cas non choisis au hasard ne peut venir contrecarrer l’hypothèse totalement logique de M. Martin.
- Le Tribunal rejette la troisième critique du travail de M. Martin.
- 4-La Norme NCA 530 : Les experts du PGQ disent que M. Martin a erré en utilisant la Norme NCA 530 (Pièce PGQ-42) pour établir l’échantillonnage. Selon EY, cette norme est une norme d’audit et de comptabilité, qu’on ne peut pas prendre pour la juricomptabilité. La bonne méthode à suivre aurait été d’avoir recours à un expert en statistiques pour estimer l’échantillonnage, comme eux l’ont fait avec M. Mraoua. C’est l’expert M. Legault qui a dit cela, en se référant à l’approche statistiques de M. Mraoua.
- Dans son rapport complémentaire Pièce P-27, M. Martin indique à plusieurs places[184] qu’il a suivi les normes d’exercice des missions de juricomptabilité de l’Alliance pour l’excellence en juricomptabilité de CPA Canada et celles de CPA Canada, y compris la Norme Canadienne d’Audit 530 (NCA 530).
- Il écrit ceci au paragraphe 74 de son complément d’expertise Pièce P-27 :
74. Même si notre analyse ne constitue pas un audit, notre échantillon a été sélectionné selon les recommandations de la Norme Canadienne d’Audit 530 Sondage en Audit , qui mentionne que la « détermination de la taille de l'échantillon peut se faire au moyen d'une formule statistique ou par l'exercice du jugement professionnel », mais que dans le cas d'un sondage statistique, « les éléments de l'échantillon sont sélectionnés de façon à ce que chaque unité d'échantillonnage ait une probabilité connue d'être sélectionnée ».
- M. Martin explique dans son témoignage qu’il a suivi cette norme mais que son cadre d’analyse est principalement géré par les normes d’exercice des missions de juricomptabilité de l’Alliance pour l’excellence en juricomptabilité de CPA Canada et celles de CPA Canada.
- M. Martin conteste cependant l’inclusion de la statistique formelle dans la méthodologie de son rapport puisque non requis par les normes de la juricomptabilité. Il écrit d’ailleurs ceci au paragraphe 82 de son complément d’expertise Pièce P-27 :
82. Par conséquent, nous ignorons pourquoi le Rapport de Contre-expertise EY impose l’application de « l’Approche Statistique Normative » quand ceci n’est jamais référencé spécifiquement dans aucune des Normes d’Exercice des Missions de Juricomptabilité, ni dans celles de CPA Canada.
- Ainsi, pour les raisons qui sont expliquées avec l’étude de la sélection de l’échantillon (élément #5 ci-après), le Tribunal ne retient pas les propos de l’expert Mraoua sur la méthode reliée aux statistiques. Donc, en conséquence, le Tribunal ne retient pas non plus la critique de M. Legault sur la Norme NCA 530 qui vient directement de M. Mraoua. Autrement dit, le Tribunal n’est pas convaincu que M. Martin ait erré en invoquant cette norme. La balance des probabilités démontre que cette norme est parfaitement fiable pour les travaux de M. Martin.
- Le Tribunal rejette donc la quatrième critique du travail de M. Martin.
- 5-La sélection de l’échantillon : Les experts du PGQ font quatre critiques à cet égard. Elles proviennent toutes de M. Mraoua, reconnu par le Tribunal comme expert en statistiques. M. Legault indique dans son témoignage qu’il se fie à M. Mraoua et c’est pourquoi le rapport Pièce PGQ-22 adopte son approche, principalement aux paragraphes 9.1 à 9.13 et 10.10 à 10.16 du rapport d’EY, Pièce PGQ-22. M. Legault a indiqué que, puisqu’il a constaté que l’expertise de M. Martin est basée sur des statistiques, il a alors demandé à M. Mraoua de l’assister à titre d’experts en statistiques.
- M. Mraoua a indiqué de façon générale que M. Martin devait respecter l’Approche Statistique Normative, en l’occurrence ici les quatre étapes statistiques du choix de l’échantillonnage, ce qu’il n’aurait pas fait, ou pas bien fait.
- Dans le rapport d’EY, Pièce PGQ-22, les experts écrivent ceci au paragraphe 9.1, à la note 27 et à l’Annexe 8 :
Nous comprenons que l'Approche Statistique KPMG est basée en partie sur certains éléments d'une approche statistique normative (l'« Approche Statistique Normative » (Note 27)) qui, selon nous, devrait être à la base de tout travail d'inférence statistique.
Note 27 : Nous utilisons l’expression Approche Statistique Normative dans le présent rapport afin de référer à une approche reconnue en statistique, soit la théorie des sondages, que nous avons utilisée afin d’analyser l’Approche Statistique KPMG. L’ouvrage mentionné à l’Annexe 8 du présent rapport traite de la théorie des sondages.
Annexe 8 - Étendue de nos travaux: […] Théorie des sondages, Édition Economica, 1er janvier 1989, Christian Gourieroux.
- En interrogatoire principal, le Tribunal a spécifiquement demandé à M. Mraoua de savoir pourquoi il devait utiliser l’Approche Statistique Normative et pourquoi la méthode d’échantillonnage de M. Martin était incomplète ou approximative. La seule réponse que M. Mraoua a donnée est qu’il faut utiliser la théorie qu’il a retenue car c’est la bonne. Or, avec égards, le Tribunal ne trouve pas cette réponse très convaincante ni très rassurante. Dire « Ma méthode est la meilleure car c’est la meilleure » n’est pas très convaincant.
- M. Mraoua n’a pas pu indiquer aucun jugement d’un tribunal québécois portant sur l’Approche Statistique Normative.
- De plus, comme on vient de le voir dans l’extrait précité de la Pièce PGQ-22, M. Mraoua a indiqué dans son rapport que la seule source sur laquelle il s’est appuyé est un ouvrage sur les sondages; il le répète en contre-interrogatoire. En réinterrogatoire, M. Mraoua vient préciser que lorsqu’il parle de théorie des sondages, il parle de la théorie des statistiques. Or, avec égards, le Tribunal ne trouve pas cela très convaincant. Il aurait fallu expliquer cela bien davantage, et la fourniture en fin de preuve par le PGQ de la Pièce PGQ-59[185] n’y change rien.
- Également, lorsqu’interrogé sur l’homogénéité de l’échantillon et sur le choix de sa méthode par rapport à ce que M. Martin a fait, M. Mraoua indique qu’il recherche la certitude mathématique. Or, encore ici avec égards, la certitude mathématique n’est pas ce que l’article 595 Cpc demande; le Cpc demande d’être « suffisamment précis ». En recherchant une certitude mathématique, M. Mraoua lève la barre à des kilomètres de ce qui est requis en action collective et vient discréditer toute son approche. Cette certitude mathématique est également, selon le Tribunal, une manière pour le PGQ de proposer un objectif qui est finalement inatteignable; encore ici, l’objectif semble être d'empêcher la détermination de toute taille de groupe.
- Bref, le Tribunal n’a pas été convaincu que l’Approche Statistique Normative de M. Mraoua est à privilégier sur la méthodologie de M. Martin. Le Tribunal pourrait donc arrêter ici et rejeter en bloc la cinquième critique du travail de M. Martin. Le Tribunal va néanmoins analyser les quatre arguments de M. Mraoua.
- Premièrement, selon M. Mraoua expert du PGQ, M. Martin a erré quant à l’étape 1 de l’Approche Statistique Normative (analyse descriptive et validation de l’homogénéité du bassin), car il n’a pas fait d’analyse d’homogénéité.
- Le Tribunal rejette cette critique de M. Mraoua pour deux raisons. Première raison, nulle part dans son rapport écrit Pièce PGQ-22 et dans son témoignage oral n’explique-t-il exactement ce qu’est un test d’homogénéité et comment on doit le faire.
- Le Tribunal note qu’il a retrouvé la note 31 dans la Pièce PGQ-22, qui se lit ainsi :
Note 31 : La notion d’homogénéité en statistique réfère à un groupe d’éléments (tels une population, un sous-groupe d’une population ou un échantillon) qui partagent des caractéristiques semblables ou identiques. Dans le cas présent, puisque le Bassin Adulte Initial et le Bassin Adulte Alternatif contiennent des comparutions liées à des adultes qui ne sont pas des membres du Groupe, il s’agit d’une indication que ces bassins (ou populations) ne sont pas homogènes.
- Or, selon le Tribunal, cela n’explique pas vraiment quel est le test à faire.
- Lorsque questionné spécifiquement sur cela par le Tribunal, M. Mraoua répond que le test d’homogénéité est le test de khi-deux, ce qui veut dire regarder par rapport à une variable la durée de détention.
- Encore ici, avec égards, le Tribunal ne peut rien tirer de cette affirmation orale non soutenue par un écrit, totalement superficielle et qui n’explique rien. M. Mraoua prend pour acquis que le Tribunal connaît déjà les standards de la statistique, mais ce n’est pas le cas.
- Mais de toute façon, comme deuxième raison, ce que le Tribunal comprend du test d’homogénéité n’a aucune logique ni application avec les faits du présent dossier. Selon M. Mraoua, les circonstances personnelles d’un prévenu pourraient avoir un impact sur l’estimation de la durée de temps avant la comparution et, comme M. Martin n’en a pas tenu compte, M. Mraoua ne peut accepter aucun des résultats de M. Martin. M. Mraoua fait référence à l’âge des membres adultes potentiels, leur sexe, le type d’infraction, et il ajoute « etc. »[186]. Or, selon le Tribunal, ceci ne correspond pas à la preuve présentée au procès : il n’y a aucune preuve selon laquelle le respect ou non du délai de 24 heures pour la comparution varie en fonction de tels critères. Bref, la question de l’homogénéité ne se pose pas en réalité dans les faits mis en preuve dans le présent dossier.
- Bref, le Tribunal rejette ce premier élément de M. Mraoua.
- Deuxièmement, selon M. Mraoua expert du PGQ, M. Martin a erré à plusieurs niveaux quant à l’étape 2 de l’Approche Statistique Normative (procéder à l’échantillonnage), car il a utilisé le logiciel Alteryx, qui n’est pas adapté à ce genre d’étude. De plus, M. Martin a retiré les cas indéterminés de son échantillon de 500 cas. Le dénominateur pour le calcul du ratio des comparutions hors-délai aurait dû être 500, et non pas 354 ni 398. Dans la Pièce PGQ-22B, les experts du PGQ réduisent ce dénominateur à 483, en retirant 17 cas d’erreurs de script[187]. Selon M. Mraoua, le retrait par M. Martin des 103 cas indéterminés du dénominateur pour le calcul du ratio de comparution hors délai est contraire à la méthodologie des statistiques.
- Le Tribunal ne peut retenir ce deuxième élément de M. Mraoua.
- Quant au logiciel Alteryx utilisé par M. Martin pour faire l’échantillon, le Tribunal ne retient pas la critique de M. Mraoua car la position de ce dernier est que ce logiciel n’est pas un outil pour un vrai statisticien et il ne permet pas de faire des tests d’homogénéité. Or, le Tribunal a déjà décidé qu’il n’y avait pas ici de démonstration que l’Approche Statistique Normative du « vrai statisticien » doit être retenue et que le test d’homogénéité proposé par M. Mraoua ne correspond aucunement à la preuve.
- Quant à la question du dénominateur pour le calcul du ratio des comparutions hors délai, le Tribunal ne peut non plus retenir la position de M. Mraoua, qui est basée sur une certitude mathématique. M. Maroua a déclaré que, sur la base de statistiques pures, il est nécessaire d'inclure les indéterminés dans le dénominateur. Or, ici, le Tribunal ne juge pas des statistiques pures, mais des faits, en fonction de la preuve.
- Cette position de M. Mraoua et du PGQ est basée sur la présomption que les cas indéterminés doivent tous être considérés comme étant des comparutions qui ont eu lieu dans les 24 heures de l’arrestation. Or, cela n’a aucun sens et n’est sûrement pas possible. De plus, ces cas sont indéterminés car il manque des documents, plumitifs et enregistrements audio. Donc, soit ces documents sont véritablement manquants, auquel cas il est impossible que tous ces cas ne soient pas des violations du délai de 24 heures. Ou soit des documents existent mais n’ont pas été fournis car ils démontrent que tous ces cas ne respectent pas le 24 heures. Bref, l’approche de M. Martin est la bonne à l’égard du dénominateur.
- Le Tribunal note que, sur ce point, M. Legault a appuyé M. Mraoua du bout des lèvres, démontrant même par son langage non-verbal au procès qu’il ne semblait pas convaincu de la justesse de l’approche de M. Mraoua.
- Passons au troisième élément de M. Mraoua.
- Troisièmement, selon M. Mraoua expert du PGQ, M. Martin a erré quant à l’étape 3 de l’Approche Statistique Normative (validation de la proportion de comparution de plus de 24 heures), car il n’a pas procédé à une validation de la proportion, car il a supposé à tort que le groupe était homogène. Il aurait dû faire des tests statistiques, ce qu’il n’a pas fait.
- Le Tribunal ne peut accepter ce troisième élément de M. Mraoua car il découle de tous les autres précédents, que le Tribunal a rejetés.
- Quatrièmement, selon M. Mraoua expert du PGQ, M. Martin a erré quant à l’étape 4 de l’Approche Statistique Normative (inférence des résultats dans le bassin), car, bien qu’il ait utilisé la bonne méthode, ses résultats sont nécessairement erronés car ils sont basés sur les étapes 1 à 3 qui ont mal été appliquées par lui.
- Le Tribunal ne peut accepter ce quatrième élément de M. Mraoua car il découle de tous les autres précédents, que le Tribunal a rejetés.
- Bref, le Tribunal rejette au complet la cinquième critique du travail de M. Martin. Ce faisant, en tenant compte des commentaires du Tribunal sur la deuxième critique (traitement de l’échantillon), le Tribunal décide que, par la balance des probabilités, la preuve démontre que l’échantillon déterminé par M. Martin est à retenir, tout comme le dénominateur de 386 de M. Martin. Ces données finales apparaissent à la Pièce P-69.
- Passons à la dernière critique du travail de M. Martin.
- 6-Le cas des adolescents : Deux critiques sont formulées par le PGQ à l’égard du travail de M. Martin concernant les adolescents. Selon les experts du PGQ, pour les adolescents, M. Martin a erré en formulant les deux hypothèses qu’il a émises car on ne peut pas les valider, vu le non-accès aux données de la population cible. Et pour le calcul comme tel, M. Martin a erré, selon les experts du PGQ, en utilisant les ratios des adultes qui sont de toute façon erronés, pour tous les motifs précédents, et qui ne sont peut-être finalement pas généralisables aux adolescents de toute façon.
- Même si l’expert M. Legault a parlé des adolescents, c’est l’expert M. Mraoua qui en était responsable et qui a donné l’opinion d’EY à leur égard. Sur cet élément, on verra les paragraphes 9.14 à 9.19 du rapport d’EY, Pièce PGQ-22.
- Le Tribunal ne peut accepter ces critiques, car elles sont finalement toutes basées sur les cinq critiques précédentes, que le Tribunal a rejetées.
- De plus, lorsque M. Maroua indique qu’il doit absolument avoir accès aux données des adolescents pour valider le tout, cela équivaut à saborder d’avance tout le processus et à le rendre impossible. En effet, pour les adolescents, les plumitifs ne sont pas disponibles car ils sont sous scellés. Il faut donc faire des hypothèses, ce que M. Martin a fait.
- Aussi, sur ce point, M. Mraoua a dit oralement lors de son témoignage que les données pour adultes ne sont pas généralisables aux adolescents. Mais il n’a jamais expliqué pourquoi. Donc, selon le Tribunal, simplement l’affirmer est insuffisant et ne convainc pas.
- Finalement, en contre-interrogatoire, M. Mraoua a admis que, si les données et les ratios pour les adultes étaient parfaites à son goût, alors il ne serait pas contre les appliquer aux adolescents.
- Bref, le Tribunal rejette la sixième critique du travail de M. Martin.
- Une fois ces 6 critiques rejetées, le Tribunal est satisfait par la balance des probabilités que la démarche et les résultats de M. Martin sont à retenir. En bout de piste, selon le Tribunal, les rapports Pièces P-23, P-27 et P-69 de M. Martin de KPMG sont extrêmement précis et dépassent de loin les normes établies dans la jurisprudence en matière de recouvrement collectif.
- Le critère est le « suffisamment précis » et pas la perfection ni l’exactitude absolue.
- Le Tribunal rappelle que les experts du PGQ ont quand même écrit ceci en conclusion de leur rapport, Pièce PGQ-22 (le Tribunal souligne) :
12.6 En raison de ce qui précède, et puisque le rôle du juricomptable consiste à éclairer le tribunal afin qu'il puisse prendre ses décisions, EY laisse le soin au tribunal de déterminer si KPMG a atteint l'objectif visé par son rapport qui était, à titre de rappel, de: « permettre au tribunal d'avoir une évaluation précise du nombre de comparutions hors-délai pendant la période afin de permettre au tribunal d'obtenir une preuve qui« permet d'établir d'une façon suffisamment précise le montant total» des réclamations aux fins d'ordonner un recouvrement collectif (Article 595 du C.p.c.) ».
- Le Tribunal est d’avis que l’expert du demandeur a atteint son objectif.
- Finalement, dans son plan d’argumentation, le PGQ a présenté de nombreux arguments additionnels à ceux de ses experts pour critiquer le rapport de M. Martin. On verra le plan du PGQ, par. 690 à 824 (pp. 129 à 150 – donc 21 pages), et une annexe de 18 pages. Le Tribunal est d’avis que ces arguments ne peuvent être présentés par des avocats en plaidoirie, sans support dans les rapports d’expert. Sinon, cela revient à usurper le rôle des experts. Voici les titres de ces arguments, qui démontrent qu’ils relèvent clairement de l’expertise et non pas de l’avocat :
- La méthode employée ajoute une proportion importante d’audiences qui ne constituent manifestement pas des comparutions visées par le litige;
- Les statuts de détention de l’annexe E sont erronés au sens de l’article 503 du Code criminel;
- La méthode décrite aux annexes G et I est déficiente et aucun test d’homogénéité ni de représentativité n’a été effectué sur ces paramètres;
- Catégories arrestation avec mandat et sans mandat;
- La catégorie Changement de statut par rapport à l’inscription précédente au plumitif mentionnée à l’annexe G du rapport KPMG;
- La méthode de KPMG ne tient pas compte des mandats de renvoi dans le même dossier judiciaire et dans les dossiers connexes;
- La méthode de KPMG cible des audiences qui ne rencontrent pas ses propres paramètres;
- Le cinquième paramètre de retirer les comparutions téléphoniques C-24 dans les trois jours précédents est trop restreint;
- KPMG a erronément inclus les jours fériés;
- Nonobstant l’argument précédent, certaines dates retenues (Annexe D) sont erronées et vicient le 3e paramètre (Annexe H);
- L’échantillon sélectionné par KPMG - L’échantillon ne répond pas aux exigences statistiques;
- KPMG a erronément inclus comme étant des membres les individus qui ont été arrêtés après 9 h 30 la veille de leur comparution;
- KPMG a erronément inclus comme étant des membres les individus qui n’ont pas pu comparaître en raison d’un jour férié;
- La méthode de KPMG pour identifier les audiences de l’échantillon est déficiente.
- Les avocats du demandeur n’ont pas du tout répondu en plaidoirie à tous ces arguments additionnels du PGQ, et le Tribunal n’en traitera pas non plus. Ces arguments auraient dû faire partie de la preuve écrite ou orale des experts d’EY.
- Le Tribunal conclut que, par la balance des probabilités, la preuve permet d’établir de façon suffisamment précise au sens de l’article 595 Cpc le nombre total de membres suivants :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 : 20 408 membres;
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 : 524 membres.
- Passons maintenant aux deux sous-catégories qui restent à étudier.
- Le Tribunal aborde maintenant les deux sous-catégories de membres qui restent à analyser, soit les sous-catégories 2 et 3 qui visent les adultes à la Cour du Québec pour le district de Québec du 1er novembre 2019 au 8 février 2020, et pour le district de Montréal du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020.
- Rappelons que le PGQ n’a pas déposé d’expertise ni n’a fait témoigner ses experts sur ces sous-catégories. Cependant, le PGQ a quand même présenté uniquement oralement deux arguments pour ces membres afin de tenter de convaincre le Tribunal que la preuve ne permet pas d’arriver à un nombre de membres suffisamment précis. Voici ces deux arguments et la décision du Tribunal à leur égard :
- Pour arriver à ses résultats de nombre de membres pour les adultes dans les districts de Montréal et à Québec après le 31 octobre 2019, M. Martin a pris les chiffres de son bassin final et le ratio final de 51,55 %. Selon le PGQ, cela vicie toute la démarche de M. Martin, pour tous les motifs précédemment argumentés par le PGQ dans la section précédente. Le Tribunal rejette évidement cet argument, car il l’a déjà rejeté au complet dans la section précédente;
- Selon le PGQ, M. Martin a identifié des jours où la Cour du Québec aurait été fermée, alors qu’il n’y aurait pas de preuve à cet égard. Selon le PGQ, la preuve serait également contradictoire quant aux cas de comparution « C-24 ». Le Tribunal ne peut retenir ces deux sous-arguments, car il aurait fallu que le PGQ mentionne exactement quels jours ne sont pas en preuve et faire référence à des pièces spécifiques. Le PGQ a fait un exercice assez détaillé dans son plan pour la période avant le 1er novembre 2019, mais ne l’a pas fait ici. Et au surplus et de toute façon, selon le Tribunal, même s’il y avait une ou deux jours de différence, le chiffre final de membres ne varierait pas de telle façon que la preuve ne permettrait pas d’établir de suffisamment précise le nombre de membres, compte tenu de la jurisprudence applicable détaillée à la section 4.5.1.
- Le Tribunal conclut donc que, par la balance des probabilités, la preuve permet d’établir de façon suffisamment précise au sens de l’article 595 Cpc le nombre total de membres suivants :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 : 146 membres;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 : 391 membres.
- Le Tribunal accepte donc la Pièce P-68 comme reflet de cela.
- Passons à la conclusion de la présente section.
- Ainsi, le Tribunal conclut que la preuve présentée par le demandeur permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations suivantes des membres suivants, soit un total de 150 283 000 $ en dommages compensatoire :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 :
20 408 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 142 856 000 $
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 :
146 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 1 022 000 $
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 :
391 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 2 737 000 $
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 :
524 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 3 668 000 $
Le tout pour un total de 150 283 000 $.
- Le Tribunal va donc ordonner le recouvrement collectif de cette somme de 150 283 000 $.
- Le Tribunal passe maintenant aux membres reliés aux Villes de Montréal et de Québec.
- Le Tribunal rappelle que les membres visés sont ici tous ceux qui n’ont pas comparu, le dimanche et les jours fériés, dans les 24 heures de leur arrestation devant la Cour municipale de Montréal entre le 19 juin 2015 et le 20 mars 2020 et devant la Cour municipale de Québec entre le 19 juin 2015 et le 9 février 2020[188]. Certains ont eu une portion de leur réclamation de 7 000 $ indemnisée par les deux ententes de règlement hors cour approuvées par le Tribunal, et certains autres pas du tout.
- Dans ses procédures et sa plaidoirie principale, le demandeur soumet que la preuve permet d’établir de façon suffisamment précise ceci :
- Cour municipale de Québec, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 147 membres, pour 7 000 $ chacun, pour un total de 1 029 000 $;
- Cour municipale de Québec, du 15 décembre 2017 au 9 février 2020 : 127 membres, au montant de 3 750 $ chacun, soit le solde du montant du règlement hors cour, pour un montant total de 476 250 $ ;
- Cour municipale de Montréal, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 1 281 membres, pour 7 000 $ chacun, pour un montant total de 8 967 000 $;
- Cour municipale de Montréal, du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020 : 1 153 membres, pour 3 271 $ chacun, soit le solde du montant du règlement hors cour, pour un montant total de 3 771 463 $;
Total des 4 catégories : 14 243 713 $
- Ainsi, selon le demandeur, le recouvrement collectif est donc possible pour les membres liés aux Villes. Le PGQ conteste et présente deux séries d’arguments. Le PGQ n’a pas présenté de preuve d’expert sur la question.
- Voici tout d’abord la démarche de l’expert du demandeur, M. Jack Martin[189] :
- Ville de Québec, membres non couverts par l’entente : La Pièce P-24 est la liste des membres du groupe pour la période du 15 décembre 2017 au 9 février 2020 pour la Ville de Québec. Elle comporte 127 comparutions hors délai sur une période de 26 mois (15 décembre 2017 au 9 février 2020). Le prorata sur une période de 30 mois (19 juin 2015 au 14 décembre 2017) est donc 147. En multipliant 147 membres par la réclamation de 7 000 $ par membre, on obtient 1 029 000 $;
- Ville de Québec, membres couverts par l’entente : Il y a 127 comparutions hors-délai qui ont été identifiées par les parties au règlement pour la période du 15 décembre 2017 au 9 février 2020. L’entente de règlement prévoit le paiement d’un montant 412 750,00 $, qui représente un montant de 3 250 $ par comparution hors-délai (412 750 $ / 127). La différence entre 7 000 $ et 3 250 $ donne un solde de 3 750 $. Et 127 x 3 250 $ donne 476 250 $ pour la balance de la réclamation des membres pour ces 127 comparutions hors-délai;
- Ville de Montréal, membres non couverts par l’entente : La pièce P-25 est la liste des membres du groupe pour la période du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020 pour la Ville de Montréal. Elle comporte 1153 comparutions hors délai sur une période de 27 mois (15 décembre 2017 au 20 mars 2020). Le prorata sur une période de 30 mois (19 juin 2015 au 14 décembre 2017) est donc 1 281. En multipliant 1 281 membres par la réclamation de 7 000 $ par membre, on obtient 8 967 000 $;
- Ville de Montréal, membres couverts par l’entente : Il y a 1 153 comparutions hors-délai qui ont été identifiées par les parties au règlement pour la période du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020. L’entente de règlement prévoit le paiement d’un montant 4 300 000 $, qui représente un montant de 3 729 $ par comparution hors délai (4 300 000 $ / 1 153). La différence entre 7 000 $ et 3 729 $ donne un solde de 3 271 $. Et 1 153 x 3 271 $ donne 3 771 463 $ pour la balance de la réclamation des membres pour ces 1 153 comparutions hors-délai;
- Le total des quatre catégories donne un montant total de 14 243 713 $.
- Le PGQ présente une première série de deux arguments selon lequel 9 membres couverts par l’entente avec la Ville de Montréal ne devraient finalement pas être inclus, de sorte que les données du demandeur ne sont pas les bonnes. Selon le PGQ :
Premièrement : La liste Pièce P-25 contient 2 membres ayant comparu le lendemain d’une journée où la cour municipale était ouverte :
- Le groupe de l’action collective telle qu’autorisée vise toute personne arrêtée et maintenue en détention pour une période de plus de 24 heures sans comparaître, alors que pendant cette période de détention, les tribunaux ne siégeaient pas. Or, parmi les membres listés à la Pièce P-25, il y en a deux qui ont comparu un lendemain d’une journée où la cour municipale de Montréal était ouverte;
- Le premier est Cellucci Vinet (dossier judiciaire numéro 117119206) arrêté le mardi 20 février 2018, alors que la cour municipale était ouverte, et comparaissant le mercredi 21 février 2018 (Voir la Pièce P-25, la Pièce PGQ-29 (réponse à la demande d’accès) et la Pièce P-47 (déclaration sous serment de Me Nathalie Gravel du 28 janvier 2025));
- Le deuxième membre concerné est Ghislain Larouche, arrêté le vendredi 31 août 2018 à 10 h 45 et comparaissant le mardi 4 septembre 2018. Ce membre aurait d’ailleurs pu comparaître le jour de son arrestation, ou à défaut, le samedi 1er septembre puisque la cour municipale était ouverte;
- Ces deux membres, même s’ils ont été indemnisés par la Ville de Montréal pour des considérations propres aux parties à l’Entente de règlement de la ville de Montréal ne liant pas le PGQ, ne doivent évidemment pas faire partie de la liste des membres à indemniser par le PGQ, car ils ne répondent pas à la description du groupe;
Deuxièmement : La liste Pièce P-25 contient 7 membres qui auraient pu comparaître dans le délai de 24 heures :
- La liste Pièce P-25 contient des membres qui, bien qu’ayant comparu le lendemain d’une journée où la cour municipale n’a pas siégé, auraient pu comparaître dans le délai de 24 heures compte tenu de la date et de l’heure de leur arrestation ainsi que des journées où la cour municipale était ouverte pour les comparutions. Il s’agit des 7 cas suivants :
- Wami-Veck Aimé Bambi, numéro de dossier judiciaire 117114777 : arrêté le dimanche 30 décembre 2018 à 10 h 56 et comparaissant seulement le lundi 29 juillet 2019, soit presque sept mois plus tard. Il aurait pu comparaître dans les 24 heures dès 9 heures le lundi 31 décembre 2018;
- Pierre Brodeur, numéro de dossier 118112507 : arrêté le lundi 20 mai 2019 à 7 h 20 et comparaissant seulement le lundi 19 août, soit trois mois plus tard. Il aurait pu comparaître le jour de son arrestation;
- Byoung Soo Kim, numéro de dossier judiciaire 119099190 : arrêté le mercredi 31 juillet 2019 et comparaissant seulement le lundi 30 septembre 2019, soit un mois plus tard. Il aurait pu comparaître le jeudi 1er août 2019;
- Marco Citrini, numéro de dossier judiciaire 119074680 : arrêté le jeudi 23 mai 2019 à 7h35 et comparaissant le lundi 27 mai, alors que la Cour municipale était ouverte les jeudis, vendredis et samedis;
- Jae Philips, numéro de dossier judiciaire 118302603 : arrêté le vendredi 12 janvier 2018 à 13 h 42 et comparaissant le lundi 15 janvier, alors que la Cour municipale était ouverte aux comparutions les samedis et ces comparutions étaient tenues jusqu’à épuisement du rôle;
- Guillaume Elie, numéro de dossier judiciaire 116065541 : arrêté le vendredi 13 avril 2018 à 10 h 08 et comparaissant le lundi 16 avril, alors que la Cour municipale était ouverte aux comparutions les samedis et ces comparutions étaient tenues jusqu’à épuisement du rôle;
- Mélissa Simard, numéro de dossier 118302215 : arrêtée le vendredi 8 juin 2018 à 10 h 01 et comparaissant le lundi 11 juin, alors que la Cour municipale était ouverte aux comparutions les samedis et ces comparutions étaient tenues jusqu’à épuisement du rôle;
(Voir la Pièce P-25 et la Pièce P-47 (déclaration sous serment de Me Nathalie Gravel du 28 janvier 2025);
- Les parties à l’entente se sont entendues pour inclure parmi les membres des personnes qui, bien qu’ayant comparu plusieurs jours voire des mois après leur arrestation pour une raison qui n’est pas en preuve, auraient pu comparaître dans le délai de 24 heures;
- Le fait que le demandeur et la Ville de Montréal aient convenu d’indemniser ces personnes ne peut être opposable au PGQ, lequel ne peut donc être condamné à les indemniser.
- En réplique finale lors des plaidoiries, le demandeur a accepté d’enlever ces 9 cas initialement visés par l’entente avec la Ville de Montréal, de sorte qu’il n’y aurait plus 1 153 membres, mais plutôt 1 144. Si on refait alors les calculs très simples proposés par le demandeur, les chiffres pour les membres liés à la Ville de Montréal changent légèrement :
- Ville de Montréal, membres non couverts par l’entente : La pièce P-25 est la liste des membres du groupe pour la période du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020 pour la Ville de Montréal. Elle comporte désormais 1 144 comparutions hors délai sur une période de 27 mois (15 décembre 2017 au 20 mars 2020). Le prorata sur une période de 30 mois (19 juin 2015 au 14 décembre 2017) est donc 1 271. En multipliant 1 271 membres par la réclamation de 7 000 $ par membre, on obtient 8 897 000 $;
- Ville de Montréal, membres couverts par l’entente : Il y a désormais 1 144 comparutions hors-délai qui ont été identifiées par les parties au règlement pour la période du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020. L’entente de règlement prévoit le paiement d’un montant 4 300 000 $, qui représente un montant de 3 758 $ par comparution hors délai (4 300 000 $ / 1 144). La différence entre 7 000 $ et 3 758 $ donne un solde de 3 242 $, différent du chiffre précédent (qui était de 3 271 $). Et 1 144 membres x 3 242 $ donne 3 708 848 $ pour la balance de la réclamation des membres pour ces 1 144 comparutions hors-délai.
- Rien ne change pour la Ville de Québec. Donc, si on additionne les totaux pour la Ville de Québec (1 029 000 $ + 476 250 $) et les nouveaux totaux pour la Ville de Montréal (8 897 000 $ +3 708 848 $), le Tribunal arriver au total suivant 14 111 098 $, qui est la réclamation finale du demandeur pour les membres liés aux Villes (au lieu du montant de 14 243 713 $ précédemment identifié).
- Le PGQ présente ensuite une deuxième série de trois d’arguments détaillés selon lesquels le recouvrement collectif est impossible. Le Tribunal les aborde maintenant.
- Premièrement, le PGQ soumet que, pour chaque dossier en Cour municipale de Montréal et de Québec, un examen des circonstances individuelles pour lesquelles le dossier d’infraction n’a pas été déposé devant la Cour du Québec est nécessaire afin de départager la responsabilité entre les villes et le PGQ. Le Tribunal ne peut retenir cet argument, car la Cour du Québec ne siégeait pas de toute façon les dimanches dans les districts de Montréal et de Québec.
- Deuxièmement, le PGQ soumet que la présence de nombreuses particularités propres à chacun des membres qui pourront influer sur le montant des dommages supporte également la voie de recouvrement individuel, tels :
- Le nombre d'heures au-delà des 24 heures prévues à l'article 503 du Code criminel entre l’arrestation et l'ouverture du palais de justice à 9 h 30 les lundis ou le lendemain des jours fériés;
- Les circonstances expliquant pourquoi le système de comparution téléphonique disponible pour la remise en liberté d’un prévenu par un JPF n’a pas été utilisé dans le cas de chaque membre, notamment la consultation ou non du BSC;
- Les circonstances pour lesquelles le membre aurait été remis en liberté à la suite de la comparution, notamment le moment où les garanties auraient été offertes pour permettre une remise en liberté;
- La décision d’un juge de maintenir un membre en détention après sa comparution;
- Les circonstances entourant la détention, entre autres au regard de l’article 515 (10) du Code criminel;
- Les conditions de détention de chaque membre (le lieu de détention, le type de clientèle de l’établissement, la propreté des lieux, l’accès aux toilettes, etc.);
- La durée de la détention au poste de police en attendant le transfert dans un établissement de détention;
- La façon dont le détenu a réagi à sa détention ou à son environnement (stress et anxiété au-delà du 24 heures);
- La façon dont le détenu traite sa propre liberté (dévaluation de la liberté en cas de récidive).
- Selon le PGQ, ces éléments empêchent en outre l’expert du demandeur de faire le prorata pour les membres non couverts par les ententes hors cour.
- Le Tribunal ne peut accepter ces arguments car il les a déjà tous rejetés à un moment donné précédemment dans le présent jugement; pensons seulement à la décision du Tribunal quant à un montant moyen de dommages par membre. Le PGQ tente de réargumenter certains éléments en disant qu’ils sont distincts pour le cas des membres liés aux Villes de Montréal et de Québec, mais ils ne le sont pas selon le Tribunal. Tous les motifs expliqués précédemment s’appliquent ici, et le PGQ n’a pas donné d’explications supplémentaires pour soutenir ses arguments.
- Dans ces circonstances, le Tribunal retient que la méthode du prorata de l’expert de la demande est la bonne pour les membres non couverts par les ententes hors cour. Pour les membres couverts par les ententes, il s’agit d’une simple multiplication, que le PGQ ne remet pas en cause.
- Rappelons que le PGQ n’a pas présenté de preuve d’expert sur la question des membres liés aux Villes, de sorte qu’il ne peut remettre en question la méthodologie de l’expert de la demande sans bonne raison. Or, il n’y a pas ici de telles raisons.
- Troisièmement, le PGQ argumente que, pour les arguments qui suivent, les listes Pièces P-24 et P-25 ne sont pas suffisamment précises pour permettre un recouvrement collectif pour les membres qui ont réglé hors cour avec les Villes. Ce faisant, du même coup, le prorata fait par le demandeur pour les membres non couverts par les ententes de règlement à partir des Pièces P-24 et P-25 n’est pas lui non plus suffisamment précis, d’où aucun recouvrement collectif possible. Le Tribunal doit donc étudier un par un les sous-arguments du PGQ à cet égard.
- Pour la Ville de Montréal, le PGQ argumente que l’entente ne permet pas d’identifier parmi les membres listés à la Pièce P-25 ceux arrêtés sans mandat. Or, le Tribunal a déjà rejeté précédemment cet argument. Selon le Tribunal, le PGQ est responsable des membres arrêtés avec ou sans mandat. Le Tribunal rejette cet argument du PGQ.
- Pour la Ville de Montréal, le PGQ argumente qu’il ne devrait pas être responsable des membres pour lesquels les parties à l’entente ont convenu d’estimer le délai de comparution. Le Tribunal rejette cet argument du PGQ car il est d’avis que la méthode employée par la Ville de Montréal et le demandeur est basée sur une expertise de EY (Pièce P-26) et est suffisamment précise. En effet, pour certains dossiers, la Ville de Montréal n’a pas été en mesure de retrouver la date et l’heure d’arrestation des prévenus concernés, de sorte que les expert EY ont choisi d’estimer la date et l’heure d’arrestation à partir du délai médian entre le moment de l’arrestation et de l’arrivée au centre opérationnel, sur la base des dossiers pour lesquels l’information était disponible (Voir Pièce P-26). Même si la date et l’heure d’arrestation sont estimées et ne sont pas réelles, et même si cela rend fictif le délai de détention calculé, le Tribunal est d’avis que cette méthode est suffisamment précise au sens de la jurisprudence étudiée à la section 4.5.1. Et ce, même si cela pouvait faire gonfler légèrement le nombre de membres.
- Pour la Ville de Montréal, le PGQ argumente que la liste Pièce P-25 contient des personnes remises en liberté avant comparution, et que, pour ces personnes, le demandeur devait donc démontrer qu’elles ont été détenues plus de 24 heures parce que la cour municipale ne siégeait pas, ce qu’il n’a pas fait. Le Tribunal rejette ici cet argument du PGQ car il est d’avis que les experts EY utilisés par la Ville de Montréal et le demandeur (Pièce P-26) ont déjà fait ce travail en identifiant les membres couverts. Le demandeur n’avait pas à refaire ce travail; le Tribunal accepte que la Pièce P-26 fait la preuve de ce dont le PGQ se plaint. Le Tribunal constate que ces membres ne sont pas des membres invisibles car, même s’ils n’ont pas comparu, il existait des données qui ont permis à EY et au demandeur de les inclure.
- Pour la Ville de Montréal, le PGQ argumente que la liste Pièce P-25 contient des membres arrêtés après le 27 octobre 2019, dont il ne peut pas être responsable vu la reprise du système de comparution à cette date. Le Tribunal rejette cet argument du PGQ pour les motifs déjà expliqués précédemment, à savoir que la date de la véritable reprise des comparutions le dimanche à Montréal est le 15 mars 2020.
- Pour la Ville de Québec (dont la liste de membres est la Pièce P-24), le PGQ argumente exactement tous les mêmes arguments que ceux pour la Ville de Montréal, sauf celui selon lequel il y a des membres ayant comparu le lendemain d’une journée où la cour municipale était ouverte. Donc, pour les mêmes motifs, le Tribunal les rejette tous. Le Tribunal a cependant des commentaires additionnels sur l’argument du PGQ selon lequel la liste Pièce P-24 contient des membres qui auraient dû comparaître dans le délai de 24 heures compte tenu de la date et de l’heure de l’arrestation. Il s’agit du même argument fait pour la Ville de Montréal, que le demandeur et le Tribunal ont accepté. Or, pour la Ville de Québec, le PGQ ne fait qu’énoncer l’argument, sans identifier de membres spécifiques, comme il l’a fait pour 7 membres de la Ville de Montréal. Dans ces circonstances, ce n’est pas au Tribunal de passer au peigne fin la liste Pièce P-24 et peut-être même divers dossiers correspondants afin d’identifier parmi les 127 membres lesquels se qualifieraient potentiellement[190]. Le Tribunal rejette cet argument du PGQ.
- Le Tribunal rejette donc en bout de piste au complet la deuxième série de trois d’arguments du PGQ.
- Ainsi, le Tribunal conclut que la preuve présentée par le demandeur permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations des membres liés à la Ville de Montréal et à la Ville de Québec, soit une somme totale de 14 111 098 $, en dommages compensatoires, c’est-à-dire :
- Cour municipale de Québec, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 147 membres, pour 7 000 $ chacun, pour un total de 1 029 000 $;
- Cour municipale de Québec, du 15 décembre 2017 au 9 février 2020 : 127 membres, au montant de 3 750 $ chacun, pour un total de 476 250 $;
- Cour municipale de Montréal, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 1 281 membres, pour 7 000 $ chacun, pour total de 8 967 000 $;
- Cour municipale de Montréal, du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020 : 1 144 membres, au montant de 3 242 $ chacun, pour un total de 3 708 848 $.
- Le Tribunal va donc ordonner le recouvrement collectif de cette somme de 14 111 098 $.
- Le Tribunal passe finalement aux cas des membres invisibles et des « membres déjà en détention légale pour un autre crime ».
- Finalement, quant aux membres invisibles et les « membres déjà en détention légale pour un autre crime », aucune estimation sérieuse n’a été faite par les experts. Rappelons que ces membres font partie du groupe, tel que décidé précédemment. De plus, il faut préciser qu’il n’y a pas de membres invisibles pour les Villes de Montréal et de Québec, car l’expert EY a pu les comptabiliser avec diverses données, comme expliqué à la section précédente.
- Donc, pour les membres invisibles qui n’ont aucun plumitif, la seule donnée les visant est contenue dans la Pièce PGQ-17 (« Répartition des dossiers »). Le demandeur estime que, sur la période de ce document, on voit 116 cas en 14 mois ce qui donne 8 cas par mois. En prenant 4,34 années pour la période du groupe, cela donnerait donc environ 420 personnes. Le PGQ accepte cette démarche, mais indique que la Pièce PGQ-17 inclut le samedi et le dimanche, et que donc il faut diviser en deux le chiffre de 420, ce qui donne 210 membres invisibles pour toute la période.
- Le Tribunal est d’avis que ces calculs et leur source (la Pièce PGQ-17) ne sont pas suffisamment précis au sens de l’article 595 Cpc. Il s’agit d’approximation excessivement imprécise, non fondée sur des données solides et réelles. Dans ces circonstances, il y a lieu d’ordonner un recouvrement individuel pour ces membres, qui auront droit à un montant de 7 000 $ par événement à titre de dommages compensatoires. Rappelons qu’il ne peut cependant s’agir de membres liés aux Villes de Montréal et de Québec, déjà inclus dans le recouvrement collectif.
- Quant aux « membres déjà en détention légale pour un autre crime », tous s’entendent pour dire qu’ils ne sont pas retraçables avec les plumitifs, ni possiblement même pas autrement. Dans ces circonstances, il y a lieu d’ordonner un recouvrement individuel pour ces membres, qui auront droit à un montant de 7 000 $ par événement à titre de dommages compensatoires.
- Les définitions exactes de ces membres et les modalités diverses d’avis et de recouvrement seront déterminées ultérieurement par le Tribunal, après soumissions des parties et audition(s).
- Le Tribunal a donc déjà conclu que la preuve présentée par le demandeur permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations des membres suivants :
- Un montant de 150 283 000 $ pour les membres suivants :
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, tous les districts, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 : 20 408 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 142 856 000 $;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Québec, du 1er novembre 2019 au 8 février 2020 : 146 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 1 022 000 $;
- Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Montréal, du 1er novembre 2019 au 14 mars 2020 : 391 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 2 737 000 $;
- Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, du 19 juin 2015 au 31 octobre 2019 : 524 membres, à 7 000 $ chacun, pour un total de 3 668 000 $;
- Un montant de 14 111 098 $ pour les membres suivants liés à la Ville de Montréal (19 juin 2015 au 20 mars 2020) et à la Ville de Québec (19 juin 2015 au 9 février 2020) :
- Cour municipale de Québec, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 147 membres, pour 7 000 $ chacun, pour un total de 1 029 000 $;
- Cour municipale de Québec, du 15 décembre 2017 au 9 février 2020 : 127 membres, au montant de 3 750 $ chacun, pour un total de 476 250 $;
- Cour municipale de Montréal, du 19 juin 2015 au 14 décembre 2017 (hors règlement) : 1 281 membres, pour 7 000 $ chacun, pour total de 8 967 000 $;
- Cour municipale de Montréal, du 15 décembre 2017 au 20 mars 2020 : 1 144 membres, au montant de 3 242 $ chacun, pour un total de 3 708 848 $.
- Le total de ces deux sommes (150 283 000 $ + 14 111 098 $) est un montant de 164 394 098 $, en dommages compensatoires[191].
- Le Tribunal va donc ordonner le recouvrement collectif de cette somme de 164 394 098 $.
- La définition exacte finale du groupe et les modalités diverses d’avis et de distribution aux membres seront déterminées ultérieurement par le Tribunal, après soumissions des parties et audition(s).
- Quant aux membres invisibles (non liés aux Villes de Montréal et de Québec), et aux « membres déjà en détention légale pour un autre crime », le Tribunal a conclu à un recouvrement individuel pour ces membres, qui auront droit à un montant de 7 000 $ par événement à titre de dommages compensatoires. La date de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle sera individuelle à chaque membre, et apparaît être la suivante pour l’instant : soit la date du dépassement du délai de 24 heures, mais nécessairement au plus tôt le 14 juin 2018, date du dépôt de la demande initiale pour exercer une action collective dans le présent dossier[192].
- Par contre, quant au point de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle sur la somme de recouvrement collectif, le Tribunal a besoin des soumissions des parties. Au procès, personne n’en a parlé en détail, sauf le PGQ rapidement en fin de plaidoiries pour dire ceci :
- L’Intérêt et indemnité additionnelle sur des dommages punitifs doivent débuter à la date du jugement qui les octroie, et non pas avant[193]. Le Tribunal est d’accord avec cet énoncé du droit, mais cela ne s’applique pas ici, car tous les dommages octroyés sont des dommages compensatoires;
- Il faut faire attention avec le point de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle car il y a des membres dont la réclamation est née après la date du 14 juin 2018, date du dépôt de la demande initiale pour exercer une action collective dans le présent dossier. Le PGQ n’a soumis aucune disposition législative ni autorité à cet égard.
- Le Tribunal ignore l’état du droit sur cette seconde question soulevée par le PGQ. La date de départ est-elle le 14 juin 2018 pour tous les membres vu le recouvrement collectif? Ou est-ce la date de fermeture la plus tardive de tous les sous-groupes, soit le 20 mars 2020? Ou est-ce une autre date. Le Tribunal décide donc que le point de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle sur le montant du recouvrement collectif sera déterminé ultérieurement par le Tribunal, après soumissions des parties et audition(s). Cela visera également le point de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle pour le recouvrement individuel pour les membres invisibles et les « membres déjà en détention légale pour un autre crime ».
- Le Tribunal passe maintenant aux frais de justice et au suivi requis pour la suite du dossier.
- Quant aux frais de justice, le Tribunal est d’avis qu’il doit les octroyer au demandeur, qui a finalement gain de cause sur toute la ligne, en application de la règle générale prévue à l’article 340 Cpc. Le Tribunal est d’avis que cela inclut tous les honoraires de l’expert du demandeur, qui a été indispensable dans la résolution du litige. Le Tribunal va donc accorder au demandeur ses honoraires d’expert, au montant de 425 541,45 $[194]. Compte tenu des enjeux monétaires du présent dossier, le Tribunal est d’avis que le montant de ces honoraires est parfaitement justifié.
- Le Tribunal ajoute que les frais d’es futurs avis aux membres seront à la charge du PGQ, tout comme les frais de l’administrateur des réclamations, si requis.
- Le Tribunal indique que, dans le cadre d’auditions subséquentes, le Tribunal entendra le Fonds d’aide aux actions collectives en vertu de l’article 593 Cpc.
- Le Tribunal précise que les questions de la définition finale du groupe, du dépôt du montant de la condamnation, des modalités de distribution aux membres[195], des avis aux membres, des frais pour la distribution, du reliquat potentiel et des honoraires et débours des avocats en demande seront traitées[196] dans des audiences subséquentes, en application des articles 593 et 595 à 598 Cpc. Le Tribunal a également reporté à plus tard la décision sur le point de départ des intérêts et de l’indemnité additionnelle sur le montant du recouvrement collectif et sur les recouvrements individuels. Il n’est pas encore décidé si ces audiences seront devant le présent juge ou un autre juge de la Cour supérieure.
- Le Tribunal termine par dire un mot sur la décision Lauzon c. R.
- Comme on peut le voir à la lecture des motifs précédents, le Tribunal indique que, pour prendre, rendre et motiver sa décision à tous égards, il ne s’est aucunement fié à des constatations factuelles faites dans le jugement Lauzon c. R.[197] ni n’a remis en cause des constations factuelles faites dans ce jugement. Le Tribunal n’a donc pas à aborder les arguments des parties sur la possibilité ou non de se référer aux constatations factuelles faites par la Cour supérieure dans ce jugement, notamment quant à la question de la présomption de véracité faites dans une autre décision à l’égard des constatations de fait essentielles à son dispositif[198].
- Le Tribunal n’a tenu compte que de la preuve documentaire et testimoniale qui lui a été formellement soumise dans le présent dossier.
- ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance en action collective re-remodifiée du 8 janvier 2025;
- REJETTE l’Exposé sommaire modifié de la défense du Procureur général du Québec du 6 octobre 2022;
- ACCUEILLE l’action collective au mérite;
- CONDAMNE le défendeur Procureur général du Québec à payer la somme de 164 394 098 $ dans les 30 jours du présent jugement, représentant une indemnisation à titre de dommages et intérêts compensatoires aux membres du Groupe collectivement, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à partir d’une date qui sera déterminée ultérieurement;
- ORDONNE le recouvrement collectif des réclamations;
- ORDONNE la liquidation des réclamations individuelles des membres conformément aux dispositions prévues aux articles 595 et suivants du Code de procédure civile;
- ORDONNE le recouvrement individuel des réclamations pour les membres invisibles et les « membres déjà en détention légale pour un autre crime », selon des définitions et des modalités à être décidées ultérieurement, précisant maintenant que ces membres ont droit à un montant de 7 000 $ par événement, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à partir d’une date qui sera déterminée ultérieurement;
- REPORTE à des dates ultérieures les auditions et les décisions sur les questions de la définition finale du groupe, du point de départ des intérêts et l’indemnité additionnelle, du dépôt du montant de la condamnation de 164 394 098 $, des modalités de distribution aux membres, des avis aux membres, des frais pour la distribution, du reliquat potentiel et des honoraires et débours des avocats en demande;
- LE TOUT, avec frais de justice en faveur du demandeur, incluant les honoraires d’expert de KPMG au montant de 425 541,45 $, les frais d’avis et les frais de l’administrateur des réclamations, le cas échéant.
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| DONALD BISSON, j.C.S. |
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Me Sophie-Anne Décarie Avocate du demandeur Me Robert Kugler, Me Alexandre Brosseau-Wery, Me Éva M Richard et Me Danica Garner Kugler Kandestin S.E.N.C.R.L. Avocats-conseils du demandeur Me Jean-François Benoît Charlebois, Swanston, Gagnon, avocats inc. Avocat-conseil du demandeur |
Me Thi Hong Lien Trinh, Me Alexandre Duval, Me Gabrielle Robert et Me Massalo Hemou Bernard, Roy (Justice-Québec) Avocats du défendeur et mis en cause Procureur général du Québec Ville de Montréal et Ville de Québec, non représentées Recours ont été réglés par jugement approuvant des transactions |
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Dates d’audition : | 22, 23, 24, 27, 29, 30 et 31 janvier 2025 et 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11 et 12 février 2025 (15 jours) |
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