Décision

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Gabarit CM

Ville de Saint-Jérôme c. Landry

2018 QCCM 5

COUR MUNICIPALE COMMUNE

VILLE DE SAINT-JÉRÔME

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

 

 

N° :

16 URB 00081

 

 

 

DATE :

 24 JANVIER 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHEL LALANDE J.C.M.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

VILLE DE SAINT-JÉRÔME

Poursuivante

c.

BENOIT LANDRY

Défendeur

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]   Il est reproché au défendeur, propriétaire d’un immeuble situé sur le territoire de la poursuivante, d’y avoir stationné, ou laissé stationné, un véhicule commercial du type camion en contravention des dispositions du paragraphe 3 de l’article 408 du règlement zonage 0309-000.

[2]   Le litige porte sur la définition du mot «camion», le pouvoir de prohiber un usage accessoire à un usage principal et l’existence de droits acquis.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]   La Municipalité peut-elle prohiber le stationnement d’un camion commercial sur une propriété résidentielle lorsque cette dernière constitue la résidence du propriétaire du camion et le port d’attache de son activité commerciale ?

[4]   En l’instance, existe-t-il une exemption générale d’application d’une telle interdiction pour certaines catégories de véhicules commerciaux ?

[5]   La preuve révèle-t-elle l’existence de droits acquis à un usage dérogatoire ?

LES FAITS

[6]    Le défendeur est propriétaire d’un immeuble situé dans une zone résidentielle du territoire de la poursuivante.

[7]   Il habite cette propriété qi est aussi le port d’attache de son entreprise de remorquage.

[8]   Entre 2009 et 2011, le défendeur travaillait pour une entreprise de remorquage et, sa journée de travail terminée, il stationnait sa remorqueuse, un véhicule du type plate-forme de 28 pieds de longueur, dans l’entrée de sa résidence.

[9]   En 2011 le défendeur fonde sa propre entreprise de remorquage qu’il exploite à partir de sa résidence et utilise, pendant quelques années, une remorqueuse conventionnelle qu’il stationne également dans l’entrée de sa résidence. Il s’agit alors d’un véhicule de style camionnette muni d’un appareil servant au levage et au remorquage de véhicules routiers.

[10]        En 2015, il fait l’acquisition d’une remorqueuse du style plate-forme, celle qui est en cause en l’instance, un véhicule pesant près de 16000 kg.

[11]        Le défendeur se dit travailleur autonome, sans employés, et son véhicule lui permet de transporter tout genre de biens, mais principalement des véhicules routiers.

[12]        Le véhicule est muni d’une plaque d’immatriculation comportant le préfixe «L».

 

 

 

 

LES ARGUMENTS

·      La poursuivante

[13]        La poursuivante mentionne que le règlement de zonage 0309-000 prohibe, comme usage accessoire à l’habitation, le stationnement d’un «camion», ce qui serait le cas en l’instance, comme le montrent bien les photographies produites comme pièce P-3.

[14]        Elle ajoute que l’actuel règlement de zonage est entrée en vigueur en 2010 mais que le défendeur ne peut prétendre à des droits acquis puisqu’il n’a pas apporté la preuve que son usage était autorisé par la règlementation antérieure.

·      Le défendeur

[15]        Le défendeur invoque en premier lieu une exemption générale d’application de la prohibition pour les «dépanneuses».

[16]        Il mentionne que le ministère des transports du Québec reconnait son véhicule comme dépanneuse, ce qui lui permet de ne pas respecter les règlements de circulation routière comme les interdictions de circuler sur certains chemins pour les véhicules lourds.

[17]        Ainsi, pour le défendeur, son véhicule doit être considéré comme une «dépanneuse» et non comme un camion.

[18]        Or, plaide-t-il, le règlement municipal n’interdit pas le stationnement des «dépanneuses» dans les zones du groupe «Habitation».

[19]        En second lieu, le défendeur plaide que son usage est directement relié à son habitation puisque cette dernière, en plus d’être sa résidence, est le port d’attache de son entreprise et de son véhicule.

[20]        Et finalement, le défendeur soulève la question des droits acquis, son usage ayant débuté en 2009, soit avant l’entrée en vigueur du règlement de zonage 0309-000.

ANALYSE ET DÉCISION

·      Les dispositions règlementaires et leur portée.

[21]        Le chapitre 5 du règlement de zonage 0309-000 regroupe les dispositions applicables aux usages du groupe «Habitation».

[22]        En ce qui concerne le stationnement de «véhicules commerciaux» les autorisations et restrictions sont énoncées à la sous-section 47.

[23]        L’article 408 de cette sous-section, base du recours de la poursuivante, se lit comme suit :

«SOUS-SECTION 47 VÉHICULE COMMERCIAL

Article 408. Généralités

 

1) Le stationnement d’un véhicule commercial, de type fourgonnette, camionnette ou remorque commerciale, est autorisé pour tous les usages du groupe « Habitation (H) ».

 

2) La présence d’un bâtiment principal est obligatoire pour pouvoir stationner ou remiser un véhicule commercial.

 

3) Le stationnement ou le remisage d’un camion, d’un autobus ou d’un véhicule-outil, quelle qu’en soit la catégorie, est interdit.»

 

[24]        Les règles générales énoncées à l’article 408 sont complétées par des normes particulières édictées aux articles 409 à 411 du règlement, lesquelles dispositions n’ont pas été spécifiquement plaidées mais dont le Tribunal a une connaissance d’office en vertu des dispositions de l’article 367 de la Loi sur les cités et villes[1] .

[25]        Ces dispositions se lisent comme suit :

«Article 409. Nombre autorisé

 

1) Un seul véhicule commercial et une seule remorque commerciale par résidant utilisateur desdits véhicules est autorisé.

 

Article 410. Fourgonnette et camionnette

 

1) Le stationnement ou le remisage d’un véhicule commercial de type fourgonnette ou camionnette est autorisé sur une aire de stationnement résidentielle conforme à la réglementation aux conditions suivantes :

 

      1° la masse nette de chacun des véhicules ne doit pas excéder

      3 000 kilogrammes ;

      2° le véhicule doit être immatriculé et en bon état de fonctionnement.

 

Article 411. Remorque commerciale

 

1) Le stationnement ou le remisage d’un véhicule commercial de type remorque destiné à des fins commerciales est autorisé aux conditions suivantes :

      1° la remorque commerciale doit avoir une dimension maximale de 4,5 mètres de longueur et de 2,6 mètres de hauteur ;

      2° la remorque commerciale doit être stationnée dans la cour ou la   marge latérale. Il est permis de stationner ou remiser une remorque    commerciale d’une hauteur maximale de 2 mètres dans la cour et la marge arrière à la condition que la cour et la marge arrière du       terrain soient entourées d’une clôture opaque ou d’une haie dense    conforme à la réglementation et d’une hauteur minimale de 2    mètres.»

[26]        Il appert des dispositions de l’article 408 que, dans la zone où est située la résidence du défendeur, le stationnement d’un véhicule commercial du type «camion est interdit, seul le stationnement de véhicules commerciaux du type «fourgonnette», «camionnette» ou «remorque commerciale» étant autorisé.

[27]        Par ailleurs, la règlementation municipale ne prévoit aucune définition de ces termes.

[28]        Dans cette perspective, on doit donner à ces termes leur sens commun, usuel, adapté au contexte de la disposition dans laquelle ils se trouvent : C’est le principe de l’interprétation téléologique que l’auteur Pierre-André Côté[2] décrit comme suit :

«C’est sans doute l’usage le plus courant et le moins controversé de la finalité d’un texte que celui qui consiste à s’y référer pour préciser le sens d’un terme vague, pour arrêter un choix entre divers sens possibles ou pour lever toute incertitude quant à sa signification.

Il est en effet incontestable qu’on peut, lorsque la formule soulève une difficulté d’interprétation, lorsqu’elle n’est pas claire, se référer à la finalité de la loi ou de la disposition pour choisir celui des sens possibles qui est le plus propre à réaliser cette finalité.»

[29]        C’est aussi dans cette perspective que l’interprète de la disposition peut s’écarter du sens grammatical et ordinaire des mots lorsque cela entraine une incompatibilité avec le reste du texte[3].

[30]        Il convient également de rappeler que la Cour suprême, dans l’arrêt «Pharmascience Inc. C. Binet»[4], nous enseigne que même en présence d’un texte

 

clair il faut parfois examiner le contexte global dans lequel il s’insère :

 «… notre Cour considère désormais que, même en présence d’un texte en apparence clair et concluant, il importe néanmoins d’examiner le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition sous étude.»

[31]        Selon le dictionnaire Larousse en ligne[5] «fourgonnette» désigne une «petite voiture commerciale à carrosserie tôlée, s’ouvrant par l’arrière», «camionnette» désigne un «petit camion automobile dont la charge utile ne dépasse pas 1500 kg» et «remorque» désigne un «véhicule routier sans moteur, tiré par un véhicule tracteur».

[32]        Le même dictionnaire définit par ailleurs «camion» comme «un véhicule automobile destiné au transport de lourdes charges».

[33]        Si le sens usuel des mots permet facilement de comprendre que le véhicule du défendeur n’est ni une fourgonnette, ni une camionnette ou une remorque, il en va autrement pour le mot «camion».

[34]        Il ressort clairement du texte de l’article 408 du règlement de zonage que le législateur fait une distinction entre les véhicules commerciaux légers et lourds.

[35]        Cette intention apparait encore plus clairement des conditions particulières exigées par les articles 410 et 411 qui nous indiquent que la fourgonnette et la camionnette ne doivent pas avoir une masse nette qui excède 3000 kg et que la remorque commerciale ne peut être d’une longueur de plus de 4,5 mètres.

[36]        Or, le véhicule du défendeur pèse près de 16,000 kg et sa longueur est de 8,53 mètres (28 pieds).

[37]        Par ailleurs, la preuve révèle que le véhicule du défendeur est muni d’une plaque d’immatriculation comportant le préfixe «L».

[38]         Le règlement sur l’immatriculation des véhicules routiers[6], à son article 2, définit «camion» comme «un véhicule routier d’une masse nette de plus de 3000 kg conçu et aménagé pour le transport de biens…».

[39]        Quant à l’article 110 de ce même règlement, il édicte qu’un camion dont la masse nette est de plus de 3000kg doit être muni d’une plaque d’immatriculation portant le préfixe «L», ce qui est exactement le cas dans la présente affaire.

 

·      L’exception de la dépanneuse

[40]        Le défendeur prétend que son véhicule n’est pas considéré comme un «camion» mais bien comme une «dépanneuse» et que le règlement municipal n’interdit pas le stationnement de ce type de véhicule sur un immeuble du groupe «Habitation».

[41]        Il est exact de prétendre qu’au sens de l’article 2 du Code de la sécurité routière, le véhicule du défendeur est une dépanneuse puisqu’il est muni d’un équipement qui permet de charger un véhicule routier sur sa plate-forme.

[42]        Toutefois, cela n’empêche pas pour autant d’être un camion puisque le qualificatif de «dépanneuse» ne vise que la catégorie de véhicule en cause.

[43]        Il faut également noter que l’article 408 du règlement municipal prohibe le stationnement d’un «camion», quelle qu’en soit la catégorie.

[44]        Pour ces raisons, le Tribunal considère que le véhicule du défendeur est un «camion» au sens de l’article 408 du règlement municipal.

·      L’usage accessoire à l’habitation

[45]        Le défendeur soutient que la poursuivante ne peut interdire le stationnement de sa dépanneuse dans l’entrée de sa résidence du groupe «Habitation» puisqu’il s’agit d’un usage accessoire à l’habitation, de son port d’attache et celui de son véhicule.

[46]        Cette problématique est réglée depuis longtemps par nos tribunaux : Déjà en 1992, dans une affaire de «Roy c. Longueuil (Ville de)»[7] la Cour supérieure a jugée valide une telle interdiction dans un règlement de zonage[8].

[47]        En 2007, notre Cour d’appel, dans l’affaire «Nadeau c. Montréal (Ville de)»[9] a reconnu que le stationnement d’un camion dans une zone résidentielle pouvait être prohibé par le règlement de zonage à titre d’usage accessoire à l’habitation.

[48]        À ce sujet, l’honorable juge Dalphond s’exprime comme suit :

«[28] Je suis aussi d'avis que le stationnement par l’appelant, un camionneur artisan, de son propre camion, à la fin de sa journée de travail peut se qualifier d’usage accessoire ou complémentaire à l’utilisation de sa résidence.  Par ailleurs, depuis 1989, le Règlement 1700, en son article 200, énonce que « Le stationnement ou le remisage d’un véhicule (de plus de 3000 kilogrammes) est prohibé sur tout terrain occupé ou destiné à être occupé par un usage de groupe d’usages « Habitation (H) » ».  Le stationnement par l'appelant de son propre camion sur son terrain, à côté de sa résidence, constitue donc un usage dérogatoire au sens de l'art. 373 du Règlement1700.» 

[49]        Ainsi, le stationnement d’un camion sur le terrain d’une habitation résidentielle constitue un usage accessoire à l’habitation mais il peut, à ce titre, être validement prohibé par la règlementation de zonage.

[50]        Sous réserve de la preuve d’un usage antérieur à l’entrée en vigueur du règlement de zonage 0309-000 qui respecte les exigences requises pour conférer un droit acquis, le défendeur ne peut donc pas stationner son camion dans l’entrée de sa résidence.

·      Les droits acquis

[51]        Dans l’arrêt «Huot c. L’Ange-Gardien»[10] notre Cour d’appel pose le principe que la reconnaissance d’un droit acquis à un usage devenu dérogatoire exige la preuve 1) d’un usage légal antérieur à l’entrée en vigueur des dispositions qui le prohibe et, 2) que l’usage existe toujours ayant été continué sans interruption significative.

[52]        Le Tribunal doit ici souligner que le défendeur, quoi que bien informé de l’ampleur et des caractéristiques de son fardeau de preuve, n’a pas établi l’existence d’un droit acquis ne serait-ce qu’en raison du fait qu’il n’a pas fait la preuve d’un usage autorisé par la règlementation municipale antérieure.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DÉCLARE le défendeur coupable de l’infraction qui lui est reprochée;

CONDAMNE le défendeur à payer une amende au montant de $ 1000.00 avec, en plus, les frais.

ACCORDE au défendeur un délai de trente (30) jours pour procéder au paiement.

.

 

 

__________________________________

Michel Lalande j.c.m.

 

Pour la poursuivante :

Me. Stéphanie Labelle

 

Pour le défendeur :

Se représente seul

 

 

 

 

Date d’audience :

29 novembre 2017

 

 

 



[1] RLRQ, ch. C-19; Voir également Gatineau (Ville de) c. Raymond, J.E. 96-1012 (C.A.) et Terrebonne (Ville de) c. Gestion W.R.N. Poulin inc., J.E. 2002 461 (C.A.).

[2] Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e édition, Les éditions Thémis, 1999, p. 496

[3] R. c. Sommerville, (1974) R.C.S. 387, p. 395-396

[4] (2006) 2 R.C.S. 513, par. 32

[5] W.W.W. larousse.fr/dictionnaires/français

[6] R.L.R.Q., ch. C-24.2, r. 13

[7] C.S. Longueuil, 505-36-000006-926, 10 avril 1992, juge J.G. Boilard

[8] Voir également : Landry c. Québec (Ville de) J.E. 2007-792

[9] 2007 QCCA 1037

[10] (1992) R.J.Q. 2404, p. 2409 (C.A.); autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême, (1993) 1 R.C.S. viii

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