Procureur général du Québec c. Centrale des syndicats démocratiques (CSD) | 2025 QCCA 216 |
COUR D’APPEL |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
SIÈGE DE | QUÉBEC |
N° : | 200-09-700042-226 |
(200-17-021889-159) (200-17-024027-161) (200-17-027477-181) |
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DATE : | 25 février 2025 |
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FORMATION : | LES HONORABLES | JULIE DUTIL, J.C.A. MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. |
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No : 200-17-021889-159 |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
APPELANT – défendeur |
et |
MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX |
APPELANT – mis en cause |
c. |
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CENTRALE DES SYNDICATS DÉMOCRATIQUES (CSD) |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ENFANCE DU QUÉBEC (CSD) – SAGUENAY – LAC-ST-JEAN |
CHRISTIANE CLOUTIER |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ENFANCE DU QUÉBEC (CSD) – CHAUDIÈRE-APPALACHES |
DIANE THOMAS |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ENFANCE DU QUÉBEC (CSD) – MONTÉRÉGIE |
LOUISE VINCELETTE |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ENFANCE DU QUÉBEC (CSD) – MONTRÉAL |
BERTHOLETTE DÉMOSTHÈNE |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ENFANCE DU QUÉBEC (CSD) – ESTRIE |
VÉRONIQUE QUIRION |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ADULTE DU QUÉBEC (CSD) - MONTÉRÉGIE |
DIANE MÉNARD |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ADULTE DU QUÉBEC (CSD) – GASPÉSIE – ÎLES-DE-LA-MADELEINE |
CHRISTIANE JONCAS, en reprise d’instance de Ginette Cloutier |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ADULTE DU QUÉBEC (CSD) – MONTRÉAL |
ROBERT DENAULT |
ASSOCIATION DÉMOCRATIQUE DES RESSOURCES À L’ADULTE DU QUÉBEC (CSD) – CHAUDIÈRE-APPALACHES |
PATRICE LECLERC |
INTIMÉS – demandeurs |
et |
FÉDÉRATION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (FSSS) |
MISE EN CAUSE – intervenante |
______________________________________________________________________ |
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No : 200-17-024027-161 |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
APPELANT – défendeur |
et |
MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX |
APPELANT – mis en cause |
c. |
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SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 4997 |
PIERRE BRISEBOIS |
SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 4950 |
JEAN-JULIEN MERCIER |
SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 5236 |
PIERRE HÉBERT |
INTIMÉS – demandeurs |
et |
FÉDÉRATION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (FSSS) |
MISE EN CAUSE – intervenante |
______________________________________________________________________ |
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No : 200-17-027477-181 |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
APPELANT – défendeur |
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c. |
FÉDÉRATION DES FAMILLES D’ACCUEIL ET DES RESSOURCES INTERMÉDIAIRES DU QUÉBEC |
INTIMÉE – demanderesse |
et |
FÉDÉRATION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (FSSS) |
MISE EN CAUSE – intervenante |
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ARRÊT
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- Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Éric Hardy), qui, en date du 27 avril 2022, accueille en partie les actions des intimés et déclare inconstitutionnelles, pour cause d’atteinte à la liberté d’association, certaines dispositions de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant.
- Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Dutil et Hamilton, LA COUR :
- ACCUEILLE l’appel;
- INFIRME le jugement de première instance;
- REJETTE les actions entreprises par les intimés dans les dossiers 200-17-021889-159, 200-17-024027-161, 200-17-027477-181;
- Le tout, avec frais de justice.
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| JULIE DUTIL, J.C.A. |
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| MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. |
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Me Bruno Lepage |
Me Mylina Perron-Simard |
Me Anne-Sophie Ouellet |
BEAUVAIS, TRUCHON |
Pour procureur général du Québec et ministre de la Santé et des Services sociaux |
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Me Eric Martineau |
LEBLANC AVOCATE |
Pour Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec |
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Me Julie Girard-Lemay |
Me Marie-Lyne Grenier |
SCFP – QUÉBEC |
Pour Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4997, Pierre Brisebois, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4950, Jean-Julien Mercier, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 5236 et Pierre Hébert |
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Me Pascale Racicot |
Me Marie-Pier Durocher |
POUDRIER, BRADET |
Pour Centrale des syndicats démocratiques, Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec (CSD) – Saguenay – Lac-St-Jean, Christiane Cloutier, Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec (CSD) – Chaudière-Appalaches, Diane Thomas, Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec (CSD) – Montérégie, Louise Vincelette, Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec (CSD) – Montréal, Bertholette Démosthène, Association démocratique des ressources à l’enfance du Québec (CSD) – Estrie, Véronique Quirion, Association démocratique des ressources à l’adulte du Québec (CSD) – Montérégie, Diane Ménard, Association démocratique des ressources à l’adulte du Québec (CSD) – Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Christiane Joncas, Association démocratique des ressources à l’adulte du Québec (CSD) – Montréal, Robert Denault, Association démocratique des ressources à l’adulte du Québec (CSD) – Chaudière-Appalaches et Patrice Leclerc |
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Me Karim Lebnan |
LAROCHE, MARTIN |
Pour Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) |
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Date d’audience : | 26 septembre 2023 |
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- L’appel porte sur la validité de certaines dispositions de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant[1]. Cette loi établit un régime de négociation collective applicable aux personnes physiques agissant comme « ressource intermédiaire » ou « ressource de type familial » au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[2].
- Les ressources intermédiaires, qui peuvent être des personnes physiques, des personnes morales ou des sociétés de personnes, offrent un environnement et des services adaptés aux usagers de tous âges que leur confient les établissements publics de santé ou de services sociaux en raison de leurs besoins particuliers de soutien ou d’assistance. Elles sont régies par les art. 301-309.7 LSSSS. Seules les ressources intermédiaires qui sont des personnes physiques accueillant, dans leur résidence principale, un maximum de neuf usagers tombent toutefois sous le coup de la LRR.
- De leur côté, les ressources de type familial sont des personnes physiques qui reçoivent dans leur résidence principale les enfants ou les adultes (dont des personnes âgées) qui leur sont, là encore, confiés par un ou des établissements publics, en favorisant, dans le premier cas, une relation de type parental et, dans le second, en offrant des conditions de vie se rapprochant de celles d’un milieu naturel. Elles sont régies par les art. 310-314 LSSSS, et, s’agissant de personnes physiques, elles sont également visées par la LRR à condition de ne pas accueillir plus de neuf usagers.
- Sauf exception, les ressources intermédiaires et de type familial assujetties à la LRR seront désignées dans les présents motifs par le terme collectif de « Ressources ».
- Le recours de l’État aux Ressources s'explique par la volonté politique de désinstitutionnaliser certains services de santé et services sociaux afin de privilégier, en lieu et place d’un hébergement et de soins en établissement, le maintien et l’intégration des personnes en nécessité d’accompagnement dans un véritable milieu de vie. Il faut souligner, bien sûr, la grande vulnérabilité des personnes ainsi confiées aux Ressources. On parle ici d’enfants ou d’adolescents en difficulté, de personnes âgées en perte d’autonomie ou encore d’adultes vivant avec une déficience physique ou mentale ou avec un problème de santé mentale ou comportementale engendrant des limitations graves sur divers plans.
- Le milieu de vie et les soins et services offerts par les Ressources sont, inutile de le dire, indispensables à ces usagers (et indispensables également au réseau de la santé et des services sociaux). Comme le soulignent les intimés et la mise en cause, « les Ressources offrent une prestation de travail et une disponibilité constante, de tous les instants, auprès d’une clientèle vulnérable et sensible à tout changement, même minime à la routine de vie »[3].
- Notons immédiatement que ces Ressources – et c’est là un élément crucial de l’affaire – ne sont pas considérées comme des salariées[4] au sens de l’art. 2085 C.c.Q. ou du paragr. 1l) du Code du travail[5], mais bien comme des prestataires de services au sens de l’art. 2098 C.c.Q., statut que consacrent tant la LRR que la LSSSS, et qui n’est pas contesté ici.
- Le régime de négociation collective établi par la LRR s’apparente à celui du Code du travail à plusieurs égards (il y renvoie d’ailleurs explicitement sur certains points), mais il s’en distingue notamment en ce qu’il ne permet pas la grève et ne prévoit qu’un système d’arbitrage consensuel en cas d’impasse dans la négociation. Estimant ce mécanisme de remplacement inadéquat et contraire aux garanties offertes par l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés[6] et l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[7] au chapitre de la liberté d’association, les intimés ont contesté la validité constitutionnelle de la LRR sous ce rapport. D’autres dispositions de la LRR seraient tout aussi invalides à leurs yeux parce qu’elles excluraient des sujets importants du champ de la négociation collective ou restreindraient la nature de la discussion entre les parties à ce propos, ce qui entraverait également la liberté d’association protégée par les chartes.
- Le jugement de première instance a largement – quoique pas entièrement – donné gain de cause aux intimés et à la mise en cause, d’où le présent appel du procureur général du Québec et du ministre de la Santé et des Services sociaux. Les intimés et la mise en cause, pour leur part, n’ont interjeté ni appel ni appel incident.
- Pour les raisons qui suivent, il y aura lieu de faire droit à l’appel.
- Les intimés, divisés initialement en trois groupes, sont des associations reconnues aux termes de la LRR pour représenter les Ressources, des fédérations de telles associations ou des organisations syndicales auxquelles elles appartiennent. Quelques individus, agissant eux-mêmes comme Ressources, s’y greffent.
- Chaque groupe a intenté devant la Cour supérieure une action contre le procureur général du Québec et, dans deux cas, contre le ministre de la Santé et des Services sociaux. Dans leurs demandes introductives d'instance respectives, la Centrale des syndicats démocratiques[8], le Syndicat canadien de la fonction publique, sections locales 4997, 4950 et 5236, et autres personnes qui leur sont associées[9] s’en prennent aux art. 33, 37 (combiné aux art. 55, 62 et 63), 46 et 53 LRR. La Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec[10] attaque les mêmes dispositions, quoique les conclusions de sa demande introductive d'instance ne visent pas l’art. 33 LRR, qui se trouve cependant mentionné dans ses allégations[11]. Les trois instances ont été jointes et la Fédération de la santé et des services sociaux y est intervenue subséquemment, à l’appui de la contestation de la loi[12].
- Notons que, sauf exception, j’emploierai dorénavant le mot « intimés » pour désigner l’ensemble des parties qui ont intenté action devant la Cour supérieure ainsi que l’intervenante (« mise en cause » en appel) : ces parties font bloc, en effet, et elles ont d’ailleurs produit un mémoire commun en appel.
- Selon les intimés, les art. 33, 37 (combiné aux art. 55, 62 et 63), 46 et 53 LRR entravent l’exercice de la liberté d’association des Ressources, tout comme celle de leurs associations, enfreignant ainsi la Charte canadienne et la Charte québécoise. Voici, en résumé, les arguments qu’ils font valoir.
- Tout d’abord, se fondant notamment sur l’arrêt de la Cour suprême dans Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan[13], les intimés soutiennent que l’art. 53 LRR attente de manière substantielle à la liberté d’association des Ressources et de leurs associations en les privant du droit de grève (ce qui est, tous l’admettent, l’effet pratique de l’art. 53). Voilà qui restreint indûment la liberté d’association des Ressources et contrevient à l’al. 2d) de la Charte canadienne et à l’art. 3 de la Charte québécoise.
- Cet effacement du droit de grève ne serait justifié en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne que s’il était accompagné d’un mécanisme de rechange satisfaisant pour le règlement des différends que n’arrivent pas à résoudre les parties à la négociation. Or, le seul mécanisme de résolution des différends que prévoit la LRR est celui de son art. 46, qui permet un arbitrage consensuel, c’est‑à‑dire voulu par les parties agissant de concert. Un tel arbitrage ne répond pas aux exigences constitutionnelles établies dans Saskatchewan (et autres arrêts, dont Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l'État québécois[14]). Il n’est en effet que le piètre ersatz d’un régime de règlement des différends véritable et efficace, c’est-à-dire impératif, auquel aucune partie ne peut se soustraire (à l’instar de celui des policiers et des pompiers, qui n’ont pas le droit de grève[15]). Le mécanisme prévu par l’art. 46 LRR laisse en pratique les Ressources et leurs associations sans remède ni moyen de pression devant des discussions qui achoppent ou encore devant un vis-à-vis (ici le ministre de la Santé et des Services sociaux) qui ne négocierait pas de bonne foi ou qui, par son refus d’accepter l’arbitrage, laisserait s’éterniser une négociation infructueuse ou refuserait de discuter de certains sujets. Aucun recours n’est d’ailleurs prévu par la LRR dans le cas d’un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi, ce qui exacerbe les effets de la suppression du droit de grève et l’inexistence d’un mécanisme de rechange adéquat.
- Tout cela rompt clairement l’équilibre des forces au détriment des Ressources et de leurs associations, laissant la négociation au bon vouloir du gouvernement et lui donnant le dernier mot, ce qui est contraire à l’al. 2d) de la Charte canadienne et à l’art. 3 de la Charte québécoise.
- Les intimés plaident ensuite que les art. 33 et 37 (ce dernier en conjonction avec les art. 55, 62 et 63) LRR entravent eux aussi la liberté d’association garantie par les chartes, en ce qu’ils excluent de la négociation collective plusieurs sujets relatifs aux conditions dans lesquelles les Ressources exécutent leur prestation, à savoir : 1° la rétribution (art. 33), 2° le contenu, la durée, le renouvellement ou la transférabilité des ententes spécifiques entre établissements et Ressources (combinaison des art. 37 et 55), et 3° diverses matières comme la sécurité d’emploi, les congés, l’ancienneté, le droit d’intervention dans la classification des services aux usagers et autres (combinaison des art. 37, 62 et 63). Ce sont pourtant tous là des sujets capitaux pour les Ressources, « qui sont généralement du domaine des matières négociables en relations de travail »[16] et qui comptent parmi « les plus importants et les plus significatifs pour leur travail »[17]. Ces exclusions, qui laissent le champ entièrement libre aux décisions et interventions unilatérales du gouvernement, des établissements ou des agences de santé, attentent directement et substantiellement à la liberté d’association des Ressources.
- De leur côté, les appelants rappellent que la liberté d’association reconnue par la Cour suprême protège généralement le droit de chaque personne « de s’unir à d’autres et de constituer des associations »[18], notamment en vue de « faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités »[19]. Cette liberté se décline de diverses façons selon les contextes. Ainsi, dans le domaine des relations de travail salariés-employeurs et selon la jurisprudence de la Cour suprême, la liberté d’association se traduit non seulement par le droit de s’unir et de former des associations, mais aussi par celui de présenter des revendications collectives liées au travail, revendications que l’employeur est tenu de prendre en considération dans le cadre d’un processus obligatoire de négociation de bonne foi. S'y ajoute le droit de faire la grève. Ces droits, toutefois, ne garantissent pas un résultat et peuvent s’exprimer différemment, la liberté d’association ne garantissant pas un modèle particulier de relations collectives de travail.
- Or, les Ressources ne sont pas des salariées, mais bien des prestataires de services répondant à la définition de l’art. 2098 C.c.Q., et il est tout à fait naturel que leur liberté d’association ne donne pas prise aux mêmes droits que les salariés, le cadre de leurs relations de travail respectives n’étant pas le même. En l’espèce, le régime de négociation collective établi par la LRR est adapté à tous égards à la situation des Ressources et respectueux de leur liberté d’association.
- En vertu de la LRR, les Ressources peuvent en effet constituer librement des associations. Celles-ci pourront être reconnues selon des conditions et des formalités analogues à celles que prévoit le Code du travail, sous la gouverne du Tribunal administratif du travail (« TAT »). Ces associations ont le droit de négocier des ententes collectives avec le ministre responsable (en l’occurrence celui de la Santé et des Services sociaux), ententes portant sur les conditions d’exécution des tâches des Ressources et autres sujets connexes. Le ministre, comme les associations, a l’obligation de négocier de bonne foi et si la négociation n’aboutit pas, les parties peuvent recourir à la médiation ainsi qu’à l’arbitrage. Le fait que cet arbitrage soit consensuel n’est pas problématique vu le contexte dans lequel les Ressources exécutent leur prestation et vu que la médiation, elle, est obligatoire. Plus exactement, si les parties à la négociation ne sont pas en mesure de résoudre le différend qui les oppose, l'une d'elles peut demander la médiation, l’autre étant alors tenue d’y participer. Si la démarche ne mène pas à une entente, le médiateur en fait rapport, incluant ses commentaires. Ce rapport doit être rendu public par le ministre du Travail, ce qui est une mesure inédite en matière de négociation collective et qui constitue un moyen de pression sur l’une ou l’autre partie.
- Bref, compte tenu du contexte qui est le leur, la LRR n’entrave pas la liberté d’association des Ressources, à qui le législateur a ici conféré des droits qui ne sont habituellement pas reconnus aux prestataires de services. Font d’ailleurs foi de l’efficacité du régime les ententes qui ont été conclues, à répétition, depuis l’entrée en vigueur de la LRR et qui touchent un vaste éventail de sujets. Ces ententes ont été l’occasion de gains importants pour les Ressources, qui ont bénéficié ainsi pleinement de l’exercice de leur liberté d’association et de l’obligation de négocier de bonne foi incombant au ministre.
- Par ailleurs, les Ressources ne sauraient invoquer l’al. 2d) de la Charte canadienne ou l'art. 3 de la Charte québécoise pour revendiquer le droit de grève ou le mécanisme de rechange obligatoire que la jurisprudence reconnaît aux salariés. D’abord, les Ressources ne sont pas des personnes salariées et n’ont pas droit aux garanties particulières reconnues à ces dernières en vertu de ces dispositions. Ensuite, la grève (tout comme l’idée même de départager services essentiels et non essentiels) est incompatible avec le contexte dans lequel les Ressources exécutent leurs prestations et la nature des services qu’elles rendent à la clientèle vulnérable qui leur est confiée. Enfin, quant à un éventuel manquement à l’obligation de négocier de bonne foi, il « pourrait faire l’objet d’un recours en Cour supérieure »[20], ce qui constitue un moyen de pression important, suppléant à l’absence du droit de grève.
- Pareillement, on ne saurait dépouiller les établissements publics de la responsabilité exclusive qui leur incombe de définir les soins et services qui doivent être prodigués aux usagers, ce qui ne peut relever du domaine de la négociation collective. C’est donc à bon droit que la LRR les exclut de la discussion (encore que les parties aient conclu diverses lettres d’entente permettant une certaine participation des Ressources à ces matières qui ont en effet une répercussion sur leur prestation).
- En réalité, les Ressources recherchent ici, précisément, un régime de type « Wagner » (comme celui du Code du travail). Or, ni l’al. 2d) de la Charte canadienne ni l’art. 3 de la Charte québécoise ne garantissent l’accès à ce régime, qui n’a pas à être étendu à toutes les situations de négociation collective. La jurisprudence de la Cour suprême sur ce point est claire : la liberté d’association, même dans le contexte d’une relation entre salariés et employeurs, ne garantit pas l’accès à un régime particulier. Il en va a fortiori de même dans le cas des prestataires de services, ce que sont les Ressources.
- Quoi qu’il en soit, poursuivent les appelants, si l’on concluait que la LRR attente à la liberté d’association des Ressources et des associations qui les représentent, cette atteinte répond à toutes les exigences de l’arrêt Oakes[21] et elle est justifiée en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne et de l’art. 9.1 de la Charte québécoise : 1° les objectifs de la loi, qui tiennent au bien-être de personnes extrêmement vulnérables, sont urgents et réels et 2° les dispositions contestées y sont proportionnées, en ce qu’elles y sont rationnellement liées et constituent une atteinte minimale dont les effets bénéfiques l’emportent nettement sur les effets préjudiciables invoqués par les intimés.
- Comme mentionné plus haut, dans un jugement très fouillé, la Cour supérieure, sous la plume du juge Éric Hardy, tel qu’il était alors, fait droit aux revendications principales des intimés[22]. Voici, en quelques lignes qui n’y rendent malheureusement pas justice, le résumé de ses motifs :
- Le juge conclut d’abord que les Ressources, quoiqu’elles ne soient pas des salariées, sont des « travailleurs » isolés et vulnérables dans leurs relations avec leur donneur d’ouvrage (le gouvernement, par le truchement des diverses entités mandatées à cette fin par la LSSSS). À ce titre, et peu importe leur statut juridique, elles ont droit, en vertu des conventions internationales qui lient le Canada, mais aussi de la jurisprudence de la Cour suprême en matière de liberté d’association, à un régime de négociation collective incluant le droit de grève et, en cas de suppression de celui‑ci, le droit à un mécanisme de règlement des différends véritable et efficace.
- Le juge conclut ensuite que l’art. 53 LRR, en privant les Ressources du droit de grève, entrave substantiellement leur liberté d’association et celle des intimés, enfreignant ainsi l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise.
- De l’avis du juge, cette atteinte à la liberté d’association n’est pas justifiée en vertu des art. 1 de la Charte canadienne ou 9.1 de la Charte québécoise. Quoique l’objectif des dispositions contestées, et en particulier de l’art. 53 LRR, soit urgent et réel (s’agissant de la protection d’usagers eux-mêmes très vulnérables) et bien qu’il existe un lien rationnel entre cet objectif et le moyen choisi pour l’atteindre, il ne s’agit pas d’une atteinte minimale. En effet, le mécanisme de règlement des différends retenu par la législature (médiation obligatoire, art. 42-45 LRR, et arbitrage consensuel, art. 46 LRR) « n’est pas efficace et ne permet pas aux parties de dialoguer sur un pied d’égalité »[23]. Plutôt, il subvertit les rapports entre les parties à la négociation, conférant en pratique un droit de veto au gouvernement. La suppression du droit de grève n’étant pas assortie d’une mesure de rechange adéquate, l’atteinte ne peut être justifiée. Ce n’est pas dire que seul l’arbitrage obligatoire serait approprié. « D’autres mécanismes de substitution existent »[24], écrit le juge, et « [l]e droit de recourir à l’arbitrage obligatoire peut également être balisé de plusieurs façons »[25]. Il ne revient toutefois pas au tribunal, mais à la législature de définir ce mécanisme, dans le respect de l’équilibre des forces en présence.
- Par ailleurs, se fondant principalement sur l’arrêt de la Cour suprême dans Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique[26], le juge examine ensuite la question des sujets qui appartiennent au domaine de la négociation collective et qui ne peuvent en être exclus lorsqu’ils touchent des aspects cruciaux ou importants des conditions de travail.
- Il conclut à cet égard que l’art. 33 paragr. 1 LRR attente à la liberté d’association en faisant obstacle à la négociation de plusieurs aspects de la rétribution des Ressources, sujet fondamental, puisque « le cadre juridique applicable ne permet pas aux Ressources de négocier une rétribution à la hauteur de la prestation livrée »[27]. Le PGQ n’ayant pas tenté de justifier cette atteinte en vertu des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise, le juge ne procède donc pas à l’exercice afférent à ces dispositions[28].
- Le juge décide enfin que la combinaison des art. 37 paragr. 2 et 55 LRR exclut indûment du champ de la négociation collective la durée des ententes spécifiques que chaque Ressource conclut avec l’établissement, sujet qui peut aisément faire l’objet d’une négociation collective, comme l’illustre d’ailleurs une lettre d’entente signée par les parties et annexée aux ententes collectives (sans toutefois en faire partie), lettre qui traite précisément de la durée des ententes spécifiques[29]. Il ajoute que :
[343] La signature de la lettre d’entente n° 7 fait échec en elle‑même à l’argument que l’interdiction de négocier collectivement la durée des ententes spécifiques serait justifiable aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
- Le juge rejette cependant le recours des intimés en ce qui concerne les autres aspects de la contestation (ancienneté, nombre de places chez chaque Ressource, incessibilité de l’entente spécifique), incluant les art. 62 et 63 LRR. À son avis, ces restrictions sont normales et, le cas échéant, pleinement justifiées en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne ou de l’art. 9.1 de la Charte québécoise, puisqu’il s’agit là de questions étroitement liées aux obligations légales des instances publiques (ministre, établissements, agences) qui doivent assurer à chaque usager des services adéquats, hautement personnalisés et sécuritaires. Ainsi, l’intérêt de l’usager devant primer sur celui de la Ressource et le jumelage devant se faire en fonction de l’intérêt du premier, il est impensable de confier un usager à une Ressource en raison de l’ancienneté de celle-ci. Il en va de même du nombre des places prévues par les ententes spécifiques entre chaque Ressource et l’établissement avec lequel elle contracte, qui ne peut être négocié qu’au cas par cas, afin de tenir compte de l’intérêt supérieur de chaque usager. Quant à l’incessibilité de l’entente spécifique, elle est pareillement légitime.
- Le dispositif du jugement de première instance énonce en conséquence ceci :
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[370] […][30]
[371] DÉCLARE que les articles 46 et 53 de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d'une entente collective les concernant [renvoi omis] sont, en raison de leur effet combiné, inconstitutionnels car ils portent atteinte à la liberté d’association garantie par l’article 2 al. d) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l’article 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et que cette atteinte n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique;
[372] DÉCLARE que l’article 33, par. 1 de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d'une entente collective les concernant [renvoi omis] est inconstitutionnel car il porte atteinte à la liberté d’association garantie par l’article 2 al. d) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l’article 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et que cette atteinte n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique;
[373] DÉCLARE que l’article 37, par. 2 de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d'une entente collective les concernant est inconstitutionnel en ce qu’il interdit la négociation collective de la durée des ententes spécifiques et que cette interdiction porte atteinte à la liberté d’association garantie par l’article 2 al. d) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l’article 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et que cette atteinte n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique;
[374] SUSPEND les effets de ces déclarations d’inconstitutionnalité pendant une durée d’une année à compter du présent jugement;
[375] REJETTE la contestation constitutionnelle quant au reste;
[376] AVEC FRAIS de justice en faveur des demandeurs.
- Comme on le sait, les appelants procureur général et ministre de la Santé et des Services sociaux se sont pourvus contre le jugement de première instance, alors que les intimés n’ont pas interjeté appel. Certaines des questions débattues en première instance ne le sont donc plus devant la Cour, la discussion ne portant désormais que sur la validité des dispositions législatives suivantes au regard de l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise (les parties reprenant pour l’essentiel les moyens avancés en première instance) :
- Art. 33 paragr. 1 LRR (rétribution);
- Art. 37 paragr. 2 LRR (au seul chapitre de la durée des ententes spécifiques, durée que vise l’art. 55 al. 1 LRR);
- Art. 46 et 53 LRR (droit de grève et arbitrage).
- Avant d’examiner chacun de ces trois points, il conviendra cependant de se pencher sur l’étendue de la liberté d’association que les chartes reconnaissent aux individus en matière de travail et de voir s’il existe des différences à cet égard entre les droits des salariés et ceux des prestataires de services. En effet, quoiqu’elle ait un fond irréductible, la liberté d’association et la protection constitutionnelle qu’elle offre varient en teneur selon le contexte. Il importe donc de déterminer ce qu’il en est ici et, partant, de définir le cadre d’analyse des dispositions législatives litigieuses.
- Notons que le présent appel a été entendu par la Cour avant le prononcé de l’arrêt de la Cour suprême dans Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec[31], rendu le 19 avril 2024. Le 23 avril suivant, le greffe de la Cour a donc, au nom des membres de la formation, écrit aux parties pour solliciter leurs observations sur cet arrêt. Les intimés ont fait parvenir leurs commentaires à la Cour le 21 mai 2024 et les appelants le 23. Il en sera tenu compte, bien sûr, d’autant que l’arrêt en question occupera une place importante dans l’analyse qui suit.
- La norme d’intervention en appel est bien connue[32], encore qu’elle doive être adaptée aux affaires constitutionnelles. Ainsi, une cour d’appel a pleine latitude pour examiner – et réexaminer – les questions de droit tranchées par le tribunal de première instance. Elle doit cependant déférence aux déterminations factuelles de celui-ci, qui ne sauraient être révisées qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante, du moins, comme le précisait récemment la juge Côté dans l’arrêt Société des casinos[33], lorsque ces déterminations peuvent « être isolées de l’analyse constitutionnelle »[34]. Enfin, comme l’explique aussi la juge Côté dans cet arrêt, « il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’égard des questions mixtes de fait et de droit s’inscrivant dans le cadre d’une question constitutionnelle, vu l’importance de répondre correctement aux questions constitutionnelles »[35].
- Il est vrai que les circonstances de l’arrêt Société des casinos sont celles d’un contrôle judiciaire[36], et non pas d’un appel. Les propos de la juge Côté[37] au sujet de la norme applicable à la révision des conclusions mixtes de fait et de droit me paraissent néanmoins – et a fortiori – intégralement transposables à la situation d’un appel en matière constitutionnelle, et pour les mêmes raisons.
- Brossons d’abord le portrait de la LRR et des circonstances de son adoption[38].
- Je note que cette loi, adoptée en 2009, a été légèrement modifiée en 2011 et en 2015, pour refléter la transformation structurelle des commissions et tribunaux spécialisés du travail dans l’ordre administratif québécois. Ainsi, en 2011, l’art. 53 LRR a été modifié pour que la mention originale du Conseil des services essentiels soit remplacée par celle de la Commission des relations du travail[39]. En 2015, tous les renvois que faisait la LRR à ladite Commission ont été remplacés par des renvois au TAT, alors que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») prenait la place de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, de la Commission des normes du travail et de la Commission de l’équité salariale[40]. Une modification plus substantielle survient en 2017, alors que la législature modifie l’art. 34 sous-paragr. 4c) LRR en y ajoutant que la rétribution quotidienne versée aux Ressources doit tenir compte de leur accès à des services en matière de régime sociaux[41]. Comme on le constate cependant, aucune de ces modifications de 2011, 2015 ou 2017 n’altère la nature du régime de représentation collective prévu par la LRR, régime qui est au cœur du présent appel. Cela étant, et sauf indication contraire, les dispositions de la LRR reproduites dans les présents motifs le sont dans leur texte actuel.
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- Au tournant des années 2000, quelques décisions de tribunaux administratifs reconnaissent aux Ressources le statut de « salarié » au sens de l’art. 1l) C.t., en raison de ce qu'elles estiment être leur subordination juridique et économique aux établissements donneurs d’ouvrage. Elles autorisent en conséquence leur accréditation ou leur intégration dans une unité de négociation existante[42].
- En réaction, la législature adopte, en décembre 2003, la Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux[43], dont l’art. 1 ajoute la disposition suivante à la LSSSS :
- Il est toutefois permis au ministre de conclure avec les associations représentatives des ressources[44] des ententes relatives aux conditions d’exercice des activités de ces dernières. L’art. 303.1 LSSSS, qu’introduit la loi modificatrice de 2003, énonce ainsi que :
303.1. Le ministre peut, avec l’approbation du gouvernement, conclure avec un ou plusieurs organismes représentatifs des ressources intermédiaires une entente pour déterminer les conditions générales d’exercice des activités de l’ensemble de ces ressources de même que l’encadrement normatif des conditions de vie des usagers dont elles prennent charge et pour prévoir diverses mesures et modalités relatives à la rétribution des services offerts par les ressources intermédiaires. | 303.1. The Minister may, with the approval of the Government, enter into an agreement with one or more bodies representing intermediate resources to determine the general conditions for the carrying on of the activities of all intermediate resources and the normative framework applicable to the living conditions of users placed under the care of intermediate resources, and to establish various measures, terms and conditions relating to the compensation for the services provided by intermediate resources. |
Une telle entente lie les régies régionales, les établissements et toutes les ressources intermédiaires, qu’elles soient membres ou non d’un organisme qui l’a conclue. | Such an agreement shall bind the regional boards, the institutions and all intermediate resources, whether or not they are members of a body that entered into the agreement. |
- L’art. 7 de la loi modificatrice de 2003 prévoit aussi que :
7. Les dispositions de l’article 302.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, édicté par l’article 1 de la présente loi, sont déclaratoires. Elles sont applicables même à une décision administrative, quasi judiciaire ou judiciaire rendue avant le 18 décembre 2003. | 7. The provisions of section 302.1 of the Act respecting health services and social services, enacted by section 1 of this Act, are declaratory. They apply to administrative, quasi-judicial and judicial decisions rendered before 18 December 2003. |
- S’ensuit une contestation constitutionnelle de cette loi modificatrice et des dispositions ci-dessus (et autres). On argue notamment qu’en retirant péremptoirement aux Ressources le statut de salarié qui leur avait été reconnu par les instances compétentes, on les transforme artificiellement en prestataires de services, entrepreneurs ou travailleurs autonomes, tout en nullifiant les accréditations déjà accordées. On les empêche ainsi d’accéder au régime de négociation collective prévu par le Code du travail, aucun autre régime ne leur permettant d’agir collectivement. Ce faisant, on les dépouille des droits qui résultent de la liberté d’association en matière de travail, ce qui enfreindrait directement l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise, en violation, par ailleurs, des obligations internationales du Canada – et du Québec – en la matière.
- Par jugement du 31 octobre 2008, la juge Danielle Grenier de la Cour supérieure donne raison aux contestataires[45]. Tout en concédant qu’il n’est pas toujours facile de distinguer les salariés des entrepreneurs, elle écrit que :
[135] Il ne fait aucun doute que la définition du statut de salarié dans les cas où une personne possède à la fois les attributs du salarié et ceux de l'entrepreneur indépendant demeure une question difficile à résoudre. Toutefois, la détermination du statut de salarié doit se faire à la lumière des tests applicables développés par la jurisprudence en matière de droit du travail et plus particulièrement par les tribunaux qui traitent des rapports collectifs de travail. Aucune formule magique ne permet de déterminer quels facteurs l'emporteront sur d'autres. Chaque cas est un cas d'espèce et la détermination du statut de salarié se fera en fonction de la preuve administrée. Dans le cas qui nous occupe, cette détermination du statut des demanderesses RSG et RI/RTF a été établie par les tribunaux compétents; refaire l'exercice équivaudrait à usurper la compétence de ces tribunaux.
- Cela étant, elle conclut que la loi modificatrice de 2003 attente à la liberté d’association des Ressources de plusieurs façons : 1° en leur retirant le statut de salarié, ce qui « les prive des avantages réels et certains du Code du travail »[46], 2° en leur faisant perdre le bénéfice d’accréditations octroyées par les instances compétentes et celui de conventions collectives en voie de négociations ou déjà applicables, ce qui « vient donc compromettre l'intégrité fondamentale du processus de négociation collective »[47], et 3° en permettant au gouvernement, grâce aux nouveaux art. 303.1 et 303.2 LSSSS, « de contrôler tous les aspects du processus de négociation collective »[48], y compris au chapitre de la représentation elle-même, les Ressources n’étant pas libres « de choisir l’association qui les représentera pour les fins de négociation de leurs conditions de travail »[49].
- S’appuyant par ailleurs sur divers instruments internationaux ainsi qu’une décision du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail donnant gain de cause aux Ressources[50], elle constate la violation de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise. Pour finir, elle écrit ceci :
[314] Bref, en faisant fi des instruments internationaux et de la décision du Comité de la liberté syndicale, en ne reconnaissant que les associations qui ne revendiquent pas le statut de salarié, en choisissant de mettre en place un système de reconnaissance purement discrétionnaire qui n'offre aucune garantie de neutralité et d'objectivité, qui ne prévoit aucune protection contre l'ingérence du gouvernement et qui n'incorpore aucune obligation pour celui-ci de négocier les conditions de travail ni ne sanctionne le refus de négocier ou les pratiques déloyales liées à la négociation, ces lois empêchent les RSG, les RI/RTF et leur syndicat d'exercer leur liberté syndicale et violent l'al. 2d) de la Charte et l'art. 3 de la Charte québécoise. Ce contrôle total constitue une ingérence sur les questions importantes de la négociation et sur l'existence même du syndicat. Cette atteinte au droit d'association garantie par l'al. 2d) est substantielle au sens de l'arrêt Health Services, précité.
- La juge conclut également que la loi modificatrice de 2003 est discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte canadienne, discrimination reposant sur le motif prohibé du sexe, les Ressources étant très majoritairement des femmes.
- Enfin, la juge estime que cette atteinte à la liberté d’association et au droit à l’égalité des Ressources n’est pas justifiée au sens de l’art. 1 de la Charte canadienne.
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- Le gouvernement n’interjette pas appel de ce jugement. Plutôt, en juin 2009, la législature adopte la LRR et modifie concurremment la LSSSS, tentant ainsi de répondre aux reproches que la juge Grenier adressait à la loi modificatrice de 2003. Qu’en est-il donc de ce nouveau régime de représentation et de négociation collectives? Sans en couvrir le moindre détail, il convient de le présenter avec un certain degré de précision, afin de donner une idée juste du contexte législatif dans lequel s’inscrit la contestation des art. 33 paragr. 1 (rétribution), 37 paragr. 2 et 55 al. 1 (durée des ententes spécifiques) ainsi que 46 et 53 LRR (droit de grève et arbitrage).
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- Je me permettrai de reprendre ici une observation antérieure : il ressort de la LRR que celle-ci s’inspire en bonne partie du Code du travail[51] et la ressemblance est en effet frappante entre plusieurs des dispositions de ces deux lois, comme le constatera quiconque les lit en parallèle. Certes, la LRR n’est pas une réplique du Code du travail et elle en diffère sur des points substantiels (dont ceux qui sont en litige), mais il lui a manifestement servi de modèle[52]. Autrement dit, la législature n’a pas créé ici, de toutes pièces, un régime entièrement nouveau : le Code du travail en fut le canevas, un canevas dont la législature s’est toutefois écartée ou qu’elle a adapté à la situation des Ressources lorsqu’elle l’a jugé nécessaire ou approprié. Reste à voir si, ce faisant, elle a indûment restreint la liberté d’association des Ressources.
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- Le champ d’application de la LRR est défini en ses art. 1 et 2. Cette loi ne vise que les Ressources qui sont des personnes physiques[53] recevant, dans leur résidence principale, un maximum de neuf usagers que leur confient les établissements de santé et de services sociaux autorisés à ce faire et à qui elles offrent un milieu de vie ainsi que divers services (art. 1). Les Ressources qui dispensent ces services par le truchement d’une personne morale sont expressément exclues du régime qu’établit la loi (art. 2 al. 2). La Ressource qui répond aux conditions des art. 1 et 2 LRR peut toutefois embaucher (« hire ») du personnel pour l’aider ou encore pour la remplacer temporairement (art. 2 al. 1), se trouvant donc elle‑même à devenir un employeur, ce qui ne l’empêche pas de demeurer assujettie à la LRR[54]. Celle-ci ne s’applique cependant pas aux personnes salariées à l’emploi de la Ressource (art. 2 al. 1).
- Les Ressources auxquelles s’applique la LRR ont statut, juridiquement parlant, de travailleurs autonomes (ceux-ci sont une catégorie d’entrepreneurs ou de prestataires de services au sens des art. 2098 et s. C.c.Q.). C’est ce que prévoit explicitement l’art. 302 LSSSS dans le cas des ressources intermédiaires. La définition des ressources de type familial, aux termes des art. 310 à 312 LSSSS, concorde de son côté avec cette qualification. Dans les deux cas, ce statut est confirmé par l’art. 63 al. 2 LRR : cette disposition précise que les pouvoirs exercés par les établissements ou agences de la santé et des services sociaux sur les Ressources (de type familial aussi bien qu’intermédiaires) ne créent pas de lien de subordination juridique entre eux, ce qui exclut le statut de salarié, lequel, en vertu de l’art. 2085 C.c.Q. (et autres lois du travail), repose sur l’existence d’un tel lien. Or, rappelons qu’aucune de ces dispositions de la LSSSS ou de la LRR n’est remise en question par les intimés, qui acceptent la caractérisation que la loi donne aux Ressources et ne revendiquent pas celle de salarié (voir supra, paragr. [13]).
- Le régime de négociation collective qu’aménage la LRR est par ailleurs exclusif :
61. Le régime collectif de représentation et de négociation institué par la présente loi est complet et s’applique à l’exclusion de tout autre régime. | 61. The group representation and negotiation process established by this Act is complete and applies to the exclusion of any other process. |
- Sur le fond, la LRR consacre dans un premier temps le droit d’association des Ressources : celles-ci peuvent librement appartenir à une association de ressources de leur choix et participer à la formation de celle-ci, à ses activités ainsi qu’à son administration (art. 3)[55]. Pour garantir cette liberté de choix, la LRR interdit à quiconque d’intimider ou de menacer une Ressource afin de l’amener à devenir membre ou encore à s’abstenir ou à cesser d’être membre d’une association de ressources (art. 7)[56]. Nul ne doit par ailleurs entraver la formation ou les activités d’une telle association (art. 8)[57]. La violation de ces deux dispositions peut faire l’objet d’une plainte au TAT (art. 9)[58]. Celui‑ci peut même faire enquête en cette matière de sa propre initiative ou soulever la question d’office lorsqu’il est appelé à statuer sur la demande de reconnaissance présentée par une association (art. 18 al. 2).
- La LRR met également en place un processus de reconnaissance des associations de ressources, analogue à plusieurs égards au processus d’accréditation du Code de travail[59]. Ainsi, l’association de ressources, qui doit être un syndicat professionnel au sens de la loi du même nom[60] ou une association du même genre, sera reconnue par le TAT si elle remplit les conditions prévues par la LRR (art. 4)[61]. Elle devra à cette fin présenter une demande de reconnaissance en temps utile (c’est‑à‑dire, selon l’art. 12, en tout temps si les Ressources qu’elle veut représenter ne le sont pas déjà et à divers moments prévus par la loi si elles le sont[62]). Comme l’exige l’art. 10, l’association identifie l’établissement public visé par sa demande (comme on le ferait d’un employeur en vertu du Code du travail) et définit le groupe précis qu’elle souhaite représenter (ou « unité de représentation »). À moins que l’association ait été partie à la violation des art. 7 ou 8 LRR (art. 18 al. 1), le TAT lui accorde la reconnaissance s’il constate qu’elle rassemble, comme membres[63], la majorité absolue des Ressources liées à l’établissement public identifié dans la demande (art. 15 al. 1). Si elle rassemble entre 35 % et 50 % de ces Ressources, le TAT tient un scrutin secret auprès de l’ensemble de ces dernières et lui accorde la reconnaissance « si elle obtient la majorité absolue des voix des ressources liées à l’établissement » (art. 15 al. 2).
- Lorsque plus d’une association sollicite une reconnaissance, celle qui compte, comme membres, la majorité absolue des Ressources du groupe concerné est reconnue (art. 16 al. 1). En l’absence d’une telle majorité, un scrutin sera tenu (art. 16 al. 2), auquel participeront toutes les associations réunissant au moins 35 % des Ressources du groupe, ainsi que l’association déjà reconnue, le cas échéant. Le TAT reconnaît l’association qui remporte le plus de voix, à condition que la majorité absolue des Ressources visées aient voté (art. 16 al. 3).
- Les art. 26 à 29 LRR prévoient de leur côté un processus de vérification du caractère représentatif d’une association reconnue, ce qui peut entraîner la révocation de sa reconnaissance, si elle n’est plus représentative. La nouvelle association reconnue alors, s’il en est, est subrogée aux droits et obligations issus de toute entente collective liant l’association révoquée.
- À l’instar de l’association de salariés accréditée en vertu du Code du travail, l’association de ressources qui obtient la reconnaissance représente l’ensemble des Ressources de l’unité et détient donc un monopole à cet égard, ce qui lui confère certains droits et pouvoirs :
20. Une association de ressources reconnue représente toutes les ressources comprises dans l’unité de représentation. Elle a les droits et les pouvoirs suivants : | 20. A recognized resource association represents all the resources in the representation unit. It has the following rights and powers: |
1° défendre et promouvoir les intérêts économiques, sociaux, moraux et professionnels des ressources; | (1) to defend and promote the economic, social, moral and professional interests of the resources; |
2° coopérer avec tout organisme poursuivant des intérêts similaires; | (2) to cooperate with any organization pursuing similar interests; |
3° procéder à des recherches et à des études sur toute matière susceptible d’avoir des conséquences sur les conditions économiques et sociales des ressources; | (3) to research or study any subject likely to have an impact on the economic and social situation of the resources; |
4° fixer le montant de la cotisation exigible des ressources; | (4) to set the amount of dues payable by the resources; and |
5° négocier et conclure, conformément à la présente loi, une entente collective. | (5) to negotiate and sign a group agreement in accordance with this Act. |
- En contrepartie, dans l’exercice de son monopole de représentation et de ses droits ou pouvoirs, l’association reconnue « ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des ressources, qu’elles soient membres ou non de l’association / must not act in bad faith or in an arbitrary or discriminatory manner, or exhibit serious negligence towards any resources, whether or not they are members of the association » (art. 22[64]). Toute Ressource estimant que l’association reconnue a manqué à ce devoir de représentation peut porter plainte au TAT (art. 23 al. 1). Si le TAT juge qu’il y a eu contravention, il peut renvoyer la réclamation de la Ressource à l’arbitrage, selon ce qui est prévu dans l’entente collective, ou, à défaut, selon les modalités prévues par l’art. 56 LRR (art. 23 al. 2)[65], sans qu’on puisse opposer à cette réclamation l’inobservation de la procédure ou des délais prévus par l’entente (art. 24)[66].
- Par ailleurs, en ce qui concerne la cotisation que l’association reconnue peut exiger non seulement de ses membres, mais de chacune des Ressources comprises dans l’unité de représentation, l'art. 21 LRR, reprenant pour l'essentiel la « formule Rand » que consacre déjà l’art. 47 C.t. dans le cas des salariés syndiqués[67], énonce que :
21. L’association de ressources reconnue avise par écrit le ministre du montant fixé à titre de cotisation et de toute modification apportée à ce montant, par la suite. Dans les 30 jours de la réception de cet avis, le montant de la cotisation est retenu sur la rétribution versée aux ressources représentées par l’association. Le montant total des cotisations prélevées est remis mensuellement à l’association. | 21. A recognized resource association notifies the Minister in writing of the amount it has set as dues and of any subsequent modification. Within 30 days after receiving such notification, the amount of the dues is withheld from the remuneration paid to the resources represented by the association. The total amount of the dues withheld is remitted to the association each month. |
- Enfin, on notera que le TAT peut statuer en tout temps sur la question de savoir si une personne est une Ressource visée par la LRR, si elle est membre d’une association ou comprise dans une unité de représentation ainsi que sur toute autre question susceptible de se soulever au chapitre de la reconnaissance (art. 29[68]).
- Dans un autre ordre d’idées, la LRR, en son art. 30, prévoit ce qu’il advient en cas de fusion d’établissements ou de modification de la structure juridique d’un établissement en regard des associations qui y sont reconnues. Il revient alors au TAT de se prononcer sur la représentativité de l’association ou des associations en présence. Il peut à cet égard accorder ou modifier une reconnaissance ou reconnaître l’association qui regroupe la majorité absolue des ressources liées au nouvel établissement ou celle qui, le cas échéant, remporte un scrutin tenu conformément à l’art. 16. À cette occasion, le TAT peut trancher toute question relative à l’applicabilité de l’art. 30 et régler toute difficulté résultant de son application (art. 31)[69].
- Les art. 32 à 57 LRR s’intéressent à l’entente collective entre chaque association reconnue et le ministre[70], sous deux aspects généraux, celui de son contenu et de ses effets (art. 33 à 38, 47, 48, 51, 55-57 et 62-63) et celui de sa négociation, incluant le dénouement des différends (39 à 46, 49, 50, 53 et 54).
- D’abord, l’art. 32 prévoit que :
32. Le ministre peut, avec l’autorisation du Conseil du trésor et aux conditions qu’il détermine, négocier et conclure une entente collective avec une association de ressources reconnue ou avec un groupement de telles associations. | 32. The Minister may, with the authorization of the Conseil du trésor and on the conditions the Minister determines, negotiate and sign a group agreement with a recognized resource association or group of such associations. |
Un groupement d’associations reconnues est une union, fédération, confédération, personne morale, centrale ou autre organisation à laquelle adhère, appartient ou est affiliée une association de ressources reconnue. | A group of recognized associations is a union, federation, confederation, legal person, labour body or other organization which a recognized resource association joins, belongs to or is affiliated with. |
Aux fins de la négociation d’une entente collective, l’association reconnue ou le groupement d’associations dont elle fait partie désigne une personne pour agir comme négociateur. | For the purpose of negotiating a group agreement, the recognized association or the group of associations to which it belongs designates a person to act as bargaining agent. |
- On pourrait s’interroger ici sur le sens à donner aux mots « aux conditions qu’il [le ministre] détermine / on the conditions the Minister determines » dans le premier alinéa de cette disposition (qui n’est pas contestée), mots qui semblent subordonner la négociation à la volonté du ministre (quoique celui-ci, on le verra, soit tenu de négocier). Les parties n’ayant pas abordé cette question, je n’en dirai pas plus.
- Ensuite, les art. 33 à 38, 47, 48, 51, 55, 56-57 et 62-63 LRR se rapportent au contenu de l’entente collective, à sa durée, à ses effets et au règlement des mésententes qui en découlent; ils précisent aussi quelques droits particuliers. L’on y remarque que si certains thèmes sont laissés entièrement à la négociation des parties, d’autres sont cadrés plus étroitement par la loi.
- L’art. 33, qui n’est pas exhaustif, prévoit les matières qui peuvent faire l’objet de l’entente collective, dont la rétribution, les régimes sociaux, de santé, de sécurité, de formation et de perfectionnement, les congés (dont il est également question aux art. 34 et 36), la procédure de règlement des mésententes relatives à l’interprétation ou à l’application de l’entente collective (sujet qu’abordent également les art. 56 et 57) ainsi que la mise sur pied de comités. Le sens du premier paragraphe de cette disposition (sur la rétribution) ne faisant pas l’unanimité, je l’examinerai plus loin en détail (voir infra, paragr. [195] à [218]).
- L’art. 34 (qui n’est pas contesté) complète l’art. 33 au chapitre de la rétribution. Ses trois premiers paragraphes établissent un mécanisme particulier pour la négociation de celle-ci, mécanisme basé sur la prise en compte de divers éléments, dont un paramètre comparatif déterminé de concert par les parties[71]. Le quatrième paragraphe de l’art. 34 prévoit de son côté certaines compensations pécuniaires obligatoires. Ainsi, bien que la Loi sur les normes du travail[72] ne s’applique pas aux Ressources (art. 131 al. 1 LRR), la rétribution quotidienne qui leur est versée doit inclure un pourcentage global intégré tenant lieu de compensation monétaire pour des congés équivalant à ceux payés en vertu de cette loi, de même que pour le congé prévu par la Loi sur la fête nationale[73]. La rétribution doit également inclure une compensation financière permettant aux Ressources de participer aux régimes visés par la Loi sur l’assurance parentale[74] et la Loi sur les régimes de rentes du Québec[75], de bénéficier de la protection accordée par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[76] et d’avoir accès à des services en matière de régimes sociaux[77].
- Par ailleurs, bien qu’elles ne soient pas assujetties à la Loi sur les normes du travail, les Ressources bénéficient également de droits équivalant aux congés non rémunérés prévus par cette loi, selon les modalités et conditions prévues par les parties à l’entente collective (art. 36).
- Quant à l’art. 35, il oblige les parties à prévoir, dans l’entente collective qu’elles négocieront, la compensation versable à la Ressource à la suite de l’annulation par le TAT d’une mesure de suspension ou de révocation (art. 305.1 LSSSS), ainsi que les modalités et conditions de ce versement.
- Par contraste avec les art. 33 à 36 LRR, qui traitent de ce que peut ou doit contenir une entente collective, l’art. 37 LRR énumère, en trois paragraphes, les sujets qui ne peuvent en faire partie et qui ne se prêtent pas à négociation, à savoir : 1° les règles, normes ou mesures établies dans la LSSSS, la Loi sur la protection de la jeunesse ou la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents; 2° les matières visées par l’art. 55 LRR (durée, incessibilité et modification de l’entente spécifique entre une Ressource et un établissement, nombre de places chez une Ressource, type d’usagers pouvant lui être confiés, identification des répondants à la « relation d’affaires / business relationship »); et 3° les pouvoirs et les responsabilités décrits aux art. 62 et 63 (pouvoirs et responsabilités des établissements, des agences, du ministre et du Tribunal administratif du Québec en vertu de la LSSSS). La validité de l’art. 37 paragr. 2 et celle de l’art. 55 al. 1 sont en jeu dans le présent appel, en ce qui concerne la durée des ententes spécifiques, et il en sera de nouveau question plus loin.
- Finalement, quoique l’art. 33 paragr. 4 permette aux parties de négocier la procédure de règlement des mésententes découlant de l’interprétation ou de l’application d’une entente collective, l’art. 56 al. 1 le réitère en énonçant que pareilles mésententes sont réglées « suivant la procédure prévue à cet effet dans l’entente / according to the procedure provided for in the agreement ». À défaut, ces mésententes seront soumises à l’arbitrage, conformément aux art. 100 à 100.9, 100.11, 100.12 paragr. a), c), d), e) et g), 100.16 à 101.9 et 139 à 140 C.t. Le délai de prescription en la matière est de six mois « à compter du jour où la cause d’action a pris naissance / after the date on which the cause of the action occurred » (art. 57)[78]. L’art. 52 LRR prévoit que « [l]’association de ressources reconnue peut exercer les recours que l’entente collective accorde à une ressource qu’elle représente sans avoir à justifier une cession de créance de l’intéressée / [a] recognized resource association may exercise any recourse available under the group agreement to the resources it represents without having to establish an assignment of the claim of the resource concerned », ce qui va de pair avec le monopole de représentation conféré à l’association reconnue (voir supra, paragr. [61], art. 20 LRR)[79].
- Toute entente collective applicable à une unité de représentation doit être d’une durée d’une année au moins et, s’il s’agit d’une première convention, d’au plus trois ans (art. 47). Tout comme la convention collective négociée en vertu du Code du travail, l’entente collective négociée par une association de ressources et le gouvernement s’applique à toutes les Ressources représentées par cette association et à tous les établissements auxquels ces Ressources sont liées (art. 38[80]). Elle continue de s’appliquer malgré son expiration, et ce, jusqu’à la conclusion d’une nouvelle entente (art. 48). Elle n’est par ailleurs pas invalidée par la nullité de l’une ou de plusieurs de ses dispositions (art. 51).
- Les art. 39 à 46, 49, 50, 53 et 54 LRR précisent pour leur part le processus de négociation de l’entente collective. La discussion s’amorce par l’envoi que fait l’une des parties de l’avis de négociation prévu par l’art. 39, invitant l’autre à une rencontre. Cet avis est d’au moins 30 jours et, dans le cas où la négociation concerne le renouvellement d’une entente existante, il est envoyé dans les 90 jours précédant son expiration. À compter de la date fixée dans cet avis, « les parties doivent commencer les négociations et les poursuivre avec diligence et de bonne foi / [t]he parties must begin to negotiate […] and carry on the negotiations with diligence and good faith » (art. 40[81]). Durant cette négociation, le ministre peut consulter les associations d’établissements auxquels les Ressources sont liées ou les inviter aux séances de négociation (art. 41).
- En cas d’impasse ou de difficulté, « [u]ne partie peut demander au ministre du Travail de désigner un médiateur / [a] party may request that the Minister of Labour designate a mediator » (art. 42)[82]. Le médiateur rencontre les parties en vue de les amener à un accord, leur participation aux séances qu’il convoque étant obligatoire (art. 43)[83]. Le médiateur dispose d’une période de 60 jours pour exécuter sa mission, que le ministre du Travail peut prolonger de 30 jours (art. 44). À défaut d’une entente à l’expiration de ce délai, le médiateur, conformément à l’art. 45, remet un rapport dans lequel il consigne les sujets, s’il en est, sur lesquels les parties se sont entendues et ceux qui font encore l’objet d’un différend. Ce rapport est remis aux parties et au ministre du Travail, ce dernier devant le rendre public[84].
- Si l’impasse perdure, l’art. 46 LRR prévoit un mécanisme d’arbitrage consensuel – et l’on entend par là que cet arbitrage n’aura lieu que si les deux parties y consentent et en fixent préalablement les limites. La procédure et la décision arbitrales sont régies par les art. 75 à 93 (procédure), 103 (rémunération de l’arbitre) et 139 à 140 (clauses privatives) C.t.
- Quant à l’art. 53, il s’applique lui aussi en cas d’impasse dans les négociations et permet aux Ressources d’exercer des moyens de pression. Ces moyens, cependant, ne peuvent d’aucune façon mettre en péril les services aux usagers ou en diminuer la qualité : pareil moyen est prohibé (art. 53 al. 1). On comprend de cette restriction que la grève est impossible (ce que reconnaissent, avec raison, toutes les parties) et que nombre d’autres mesures le sont aussi, parce qu’elles compromettraient ou sont susceptibles de compromettre la santé ou la sécurité des usagers (art. 53 al. 3).
- Une décision du TAT illustre d’ailleurs l’ampleur de l’interdit. Dans Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux pour les ressources intermédiaires et les ressources de type familial (CPNSSS-RI-RTF) et Alliance nationale des Associations démocratiques des ressources à l'adulte du Québec (ADRAQ-CSD)[85], on juge contraires à l’art. 53 LRR les moyens de pression suivants :
Les ressources ne seront disponibles pour rencontrer les représentants de l’établissement public auquel elles sont rattachées qu’après 18h30, les mardis, jeudis et vendredis;
Les responsabilités relatives à la prise de tout rendez-vous concernant les usagers et l’accompagnement des usagers à leur rendez-vous seront transférées au représentant de l’établissement public auquel est rattachée la ressource.
- Le TAT constate que :
[12] La preuve révèle que les rencontres visées par les moyens de pression assurent notamment un suivi de l'évolution de l'état de l'usager et assurent que la prestation de services de soutien et d'assistance communs et particuliers rendus correspond aux besoins de l'usager et qu'elle soit sécuritaire.
[13] Ces rencontres assurent également la mise en œuvre du plan d'intervention.
[14] Diminuer les périodes de disponibilité pour ces rencontres – en les limitant aux mardis, jeudis et vendredis après 18 h 30 comme le prévoient les moyens de pression annoncés – aurait pour conséquence directe d’affecter la quantité ou la qualité des suivis en plus de priver les usagers du service de leurs ressources pendant cette période très occupée de la journée.
[15] En effet, les moments où les ressources seront disponibles, les mardis, jeudis et vendredis après 18 h 30, correspondent à une période assez intense de la journée puisqu’il s’y déroule nombre d’activités, notamment les routines du soir, les soins d’hygiène, les sorties dans la communauté, etc.
[16] La preuve révèle également que les prises de rendez-vous et les rendez‑vous visés par les moyens de pression, ainsi que l’accompagnement à ceux-ci, sont habituellement du ressort des ressources elles-mêmes.
- Et de conclure :
[18] Le Tribunal, après avoir pris connaissance de la demande d’intervention et de la preuve, constate que la santé ou la sécurité des usagers est susceptible d’être compromise par l’exercice des moyens de pression envisagés par la défenderesse.
[19] En effet, la clientèle desservie par les ressources intermédiaires est composée de personnes particulièrement vulnérables aux changements – même minimes – à la routine de vie, à leurs suivis ou à leurs rendez-vous ou accompagnement. Les moyens de pression envisagés sont donc susceptibles de compromettre leur santé ou leur sécurité.
[20] De plus, l’application de ces moyens de pression laisse une large place à l’interprétation par chacune des ressources sur ce qui peut ou non compromettre ou être susceptible de compromettre la santé ou la sécurité d’un usager. Or, c’est au Tribunal qu’il revient de faire cette appréciation.
[21] À cet égard, le communiqué transmis par la défenderesse laisse entendre que les moyens de pression sont susceptibles de compromettre la santé ou la sécurité des usagers et qu’il revient à chacune des ressources de déterminer les risques pour la santé ou la sécurité des usagers.
[22] Ainsi, une même situation pourrait être jugée susceptible de compromettre la santé ou la sécurité de l'usager par une ressource, alors qu’une autre pourrait estimer le contraire. Une telle situation mettrait en échec l’objectif recherché.
- À cette aune, on comprend que les moyens de pression ouverts aux Ressources sont singulièrement limités et leur corridor d’action particulièrement étroit.
- Toujours est-il que s’il demeure des moyens de pression utiles dans pareil contexte, ils ne peuvent être exercés que selon les conditions prévues par la loi (art. 53 al. 2) : 1° aucun moyen de pression ne peut être exercé avant que 90 jours se soient écoulés depuis la réception de l’avis de négociation et 2° ce moyen doit avoir été autorisé au scrutin secret par la majorité des membres votants de l’association reconnue, qui doit elle-même donner au ministre et au TAT un préavis de 15 jours dénonçant le moyen ainsi envisagé. L’art. 54 précise que la Ressource ne peut faire l’objet d’une sanction lorsqu’elle a exercé ou participé à un moyen de pression non prohibé par l’art. 53 LRR.
- Finalement, si, après tout cela, une entente collective est conclue, elle prend effet à compter de son dépôt auprès du ministre du Travail, avec effet rétroactif à la date prévue par l’entente elle-même ou, à défaut, à la date de sa signature (art. 50[86]).
- Pour compléter ce portrait de la LRR, il faut en mentionner les art. 58 à 60 et 64, qui visent divers sujets :
- art. 58 : établissement, par règlement du gouvernement, d’un régime de retrait préventif, sous l’égide de la CNESST et du TAT (ce qui supplée, sur ce point précis, au fait que la Loi sur la santé et la sécurité du travail[87] ne s’applique pas aux Ressources, et ce, en vertu de l’art. 131 LRR);
- art. 59 : application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions du Code du travail et de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[88] aux demandes présentées à ce tribunal en vertu de la LRR, incluant les règles de preuve et de procédure;
- art. 60 : le manquement à l’art. 49 (tenue du scrutin secret préalable à la signature d’une convention) est sanctionné par les dispositions pénales de la LRR;
- art. 64 : pouvoir attribué au ministre d’étendre à une Ressource non représentée par une association reconnue tout élément d’une entente collective négociée en vertu de la LRR, sauf la rétribution (qui demeure en ce cas régie par l’art. 303 LSSSS).
- Quant à eux, les art. 65 à 70 LRR contiennent les dispositions pénales sanctionnant soit le manquement aux ordonnances du TAT, soit la contravention des art. 7 et 8 (intimidation, menace, entrave), 25 (défaut de l’association reconnue de transmettre certains documents ou informations au TAT), 49 (défaut de tenir un vote au scrutin secret préalablement à la signature d’une entente) et 70 (déclenchement ou participation à un moyen de pression prohibé par l’art. 53). La responsabilité pénale des dirigeants d’une association ou d’un groupement d’associations qui commet l’une ou l’autre des infractions créées par les art. 65, 66 et 68 à 70 est prévue par l’art. 71.
- Les art. 72 à 122 LRR apportent des modifications corrélatives à d’autres lois, tandis que les art. 123 à 130 énoncent les dispositions transitoires. L’une d’entre elles mérite d’être signalée : en vertu de l’art. 126, qui obvie aux effets de la loi modificatrice de 2003, une accréditation obtenue en vertu du Code du travail avant le 18 décembre 2003 à l’égard de Ressources désormais visées par la LRR est réputée être une reconnaissance accordée aux termes de celle-ci.
- En dernier lieu, quelques mots sur les art. 131 à 134, qui constituent les « dispositions finales » de la LRR et auxquelles il a déjà été fait allusion. Outre la responsabilité du ministère de la Santé et des Services sociaux (art. 133, voir supra, note 70), elles prévoient notamment ce qui suit : 1° la Loi sur les normes du travail (voir supra, paragr. [71] et [72]) et la Loi sur la santé et la sécurité du travail (voir supra, paragr. [87]) ne s’appliquent pas aux Ressources (art. 131) et 2° celles-ci ne peuvent saisir la CNESST d’une plainte portée en vertu de la Loi sur l’équité salariale[89] (art. 132). L’art. 134 fixe au 13 mai 2009 la date de prise d’effet des art. 131 et 132.
* *
- Voilà donc, en gros, le régime de négociation collective établi par la LRR, régime qui emprunte plusieurs traits au Code du travail, avec les adaptations nécessaires, mais qui s’en distingue notamment par l’interdiction de la grève, par le caractère purement consensuel de l’arbitrage de différend qui y est prévu et par certaines restrictions à la liberté qu’ont les associations reconnues de négocier tous les aspects des conditions dans lesquelles les Ressources exécutent leur prestation. Ces trois caractéristiques du régime sont-elles conformes aux exigences de la Charte canadienne et de la Charte québécoise en matière de liberté d’association? C’est la question qui occupera les prochaines pages.
- L’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise protègent tous deux la liberté d’association, en des termes fort généraux :
Charte canadienne
2 Everyone has the following fundamental freedoms: | 2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes : |
(…) | […] |
(d) freedom of association. | d) liberté d’association. |
Charte québécoise
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. | 3. Every person is the possessor of the fundamental freedoms, including freedom of conscience, freedom of religion, freedom of opinion, freedom of expression, freedom of peaceful assembly and freedom of association. |
- Les pages qui suivent traiteront principalement de l’al. 2d) de la Charte canadienne, puis de l’art. 1 de celle-ci, le débat entre les parties ayant principalement porté sur ces dispositions. Les propos qui y seront tenus s’appliquent cependant tout aussi bien à la garantie que l’art. 3 de la Charte québécoise accorde à la liberté d’association : la protection est la même, sous réserve, si atteinte il y a, d’une justification conforme cette fois à l’art. 9.1 (disposition obéissant à un cadre analytique semblable à celui de l’art. 1 de la Charte canadienne).
- Depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne, en 1982, la Cour suprême s’est assez fréquemment prononcée sur la liberté d’association, principalement dans le domaine des relations de travail salariés-employeurs, là où la revendication associative a une longue et tumultueuse histoire sociale et juridique. La Cour suprême note elle‑même que « [l]a jurisprudence sur la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte […] s’est principalement développée en matière de relations de travail […] »[90], et plus précisément en matière de relations salariés-employeurs[91], de sorte que son propre corpus en ce domaine est fort abondant. La liberté d’association, évidemment, n’est pas réservée aux relations de travail, comme le montre également la jurisprudence de la Cour suprême, qui s’est occasionnellement penchée sur le sujet dans des contextes autres, par exemple : prostitution (R. c. Skinner[92]), commercialisation des œufs (Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson[93]), plafonnement ou restrictions des dépenses référendaires ou électorales (Libman c. Québec (Procureur général)[94]; Harper c. Canada (Procureur général)[95]), appartenance à une association terroriste (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[96]).
- Sur la foi de l’ensemble de cette jurisprudence, tous domaines confondus, et même si « la portée de toute garantie offerte par la Charte doit être déterminée cas par cas »[97], on peut décrire en quelques mots (empruntés pour l’occasion à John Stuart Mill) le substrat de la liberté d’association que protège l’al. 2d) de la Charte canadienne (définition transposable à l’art. 3 de la Charte québécoise) : « freedom to unite, for any purpose not involving harm to others »[98]. Ou encore, ainsi que l’écrivait le juge en chef Dickson dans Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) :
La liberté d'association, c'est la liberté de s'unir dans la poursuite d'un objectif commun ou pour promouvoir une cause commune. C'est l'une des libertés fondamentales garanties par la Charte, une condition essentielle de toute société libre et démocratique, qui protège les individus de la vulnérabilité résultant de l'isolement et qui assure la possibilité d'avoir une participation efficace dans la société. […][99]
- Concrètement, et comme l’expliquent la juge en chef McLachlin et le juge LeBel, au nom des juges majoritaires, dans APMO[100], la liberté d’association, qui doit faire l’objet d’une interprétation téléologique, généreuse et contextuelle[101], garantit minimalement les droits suivants à chaque individu :
[66] En résumé, considéré en fonction de son objet, l’al. 2d) protège trois catégories d’activités : (1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations; (2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et (3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités.[102]
- Le droit de s’unir afin de faire face à la puissance d’autrui suppose à la fois le droit d’exercer, de défendre ou de faire valoir collectivement des droits ou objectifs individuels (c’est‑à-dire ceux que chaque individu peut exercer, défendre ou faire valoir), mais aussi le droit d’exercer, de défendre ou de faire valoir des droits ou objectifs collectifs ou associatifs[103] (c’est-à-dire des droits inhérents aux associations et qu’un individu ne pourrait exercer seul[104]), à l’exclusion, cependant, des activités violentes ou criminelles[105]. Comme l’explique le juge Bastarache, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Dunmore[106] :
17 À mon avis, la notion même d'« association » reconnaît les différences qualitatives entre individu et collectivité. Elle reconnaît que la presse diffère qualitativement du journaliste, la collectivité linguistique du locuteur, le syndicat du travailleur. Dans tous les cas, la collectivité a une existence propre et ses besoins et priorités diffèrent de ceux de ses membres individuels. Ainsi, par exemple, on ne peut donner substance à une collectivité linguistique si la loi protège uniquement la liberté d'expression individuelle (voir R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, par. 20). Le même raisonnement s’applique, mais d’une façon limitée, à la liberté syndicale : étant donné que les besoins et priorités des syndicats tendent à se distinguer de ceux de leurs membres individuels, ils ne peuvent fonctionner si la loi protège exclusivement ce qui pourrait être des « activités licites d'un individu ». La loi doit plutôt reconnaître que certaines activités syndicales – les revendications collectives auprès de l’employeur, l’adoption d’une plate‐forme politique majoritaire, le regroupement en fédérations syndicales – peuvent être au cœur de la liberté d'association même si elles ne peuvent exister au niveau individuel. […][107]
- C’est sur ce socle ferme que s’est graduellement bâtie la liberté d’association en matière de relations salariés-employeurs[108], relations notoirement marquées par un déséquilibre issu d’une subordination tant juridique qu’économique[109].
- Pour tenter d’égaliser ce rapport de forces, les salariés ont donc la liberté de s’unir et de constituer des associations, de participer aux activités de celles-ci, et ce, à l’abri de l’influence, de l’ingérence ou du contrôle de l’employeur[110], aux fins de poursuivre, ensemble, leurs objectifs en matière de conditions de travail et de relations avec l’employeur. Mais ils ont aussi, afin de faire valoir ces objectifs à armes plus égales devant l’employeur et de faire ainsi entendre leur voix plus efficacement auprès de celui-ci, le « droit […] de prendre part à un processus véritable de négociation collective »[111], ce qui, selon la Cour suprême[112], implique ce qui suit :
1° le droit de faire, par l’entremise de leurs associations, des représentations et revendications collectives sur les sujets importants liés au milieu de travail, à savoir les modalités de l’emploi et les conditions d’exécution de la prestation de travail, la loi ne pouvant en principe retirer ces sujets du champ de la négociation[113];
2° le droit de voir ces représentations et revendications « prises en considération de bonne foi »[114] par l’employeur, de façon à ce que les parties « se rencontrent et négocient de bonne foi en vue de réaliser leur objectif commun d’accommodement par des moyens pacifiques et productifs »[115], échangeant et établissant ainsi un véritable dialogue, dans « un effort raisonnable pour arriver à un contrat acceptable »[116]; en effet, le droit des salariés et de leurs associations « de négocier collectivement impose donc à l’employeur des obligations correspondantes »[117] et ce dernier est tenu de participer au processus de discussion[118];
3° le droit « à une voie de recours advenant que l’employeur ne négocie pas de bonne foi »[119], voie de recours qui peut d’ailleurs mener aux tribunaux de droit commun[120];
4° le droit de grève, qui « constitue une mesure unique et fondamentale »[121], « indispensable à la protection du processus véritable de négociation collective pour l’application de l’al. 2d) »[122]; sans lui, « a constitutionalized right to bargain collectively is meaningless »[123] et il constitue « le “minimum irréductible” de la liberté d’association dans les relations de travail au Canada »[124], s’agissant du seul moyen de pression efficace dont disposent en dernier ressort les salariés afin de résoudre – ou du moins tenter de résoudre – l’impasse dans la négociation avec l’employeur et de continuer « d’exercer une influence véritable sur leurs conditions de travail dans le cadre d’un processus de négociation collective »[125].
- Cependant, à moins que la grève ne leur soit interdite, le droit des salariés et de leurs associations à un processus de négociation véritable ne requiert pas la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends survenant en cours de cette négociation. Comme le précisent la juge en chef McLachlin et le juge LeBel dans Fraser, ce droit, en effet, « n’oblige pas les parties à conclure une convention ou à accepter des clauses particulières ni ne garantit un mécanisme légal de règlement des différends permettant de dénouer les impasses »[126] [je souligne]. Ce sera aux parties de dénouer elles-mêmes les impasses en question, notamment en usant de certains moyens de pression, dont la grève. La nécessité d’un mécanisme de règlement ne s’impose que lorsque la grève est prohibée, le rapport de forces entre partie patronale et syndicale se trouvant alors déséquilibré en faveur de la première et au détriment de la seconde, privée d’un essentiel moyen de pression.
- Cela dit, la reconnaissance de ces droits propres à la liberté d’association en matière de travail ne signifie pas que les salariés ou leurs associations peuvent réclamer un régime particulier de négociation : l’al. 2d) de la Charte canadienne ne garantit en effet que le « droit […] à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail ou un mode particulier de négociation »[127]. Il « n’impose ni un modèle particulier de négociation, ni un résultat déterminé »[128], mais seulement, « dans le contexte des relations du travail, le droit à un processus véritable »[129]. La Cour suprême a ainsi précisé que l’al. 2d) de la Charte canadienne ne constitutionnalise pas le modèle Wagner des relations collectives de travail, quoique celui-ci soit très répandu au Canada, et je m’en remettrai sur ce point aux propos de la juge Côté dans Société des casinos, renvoyant notamment à l’arrêt APMO[130] :
[179] […] Cependant, comme le mentionne notre Cour dans l’arrêt APMO, le modèle de type Wagner, lequel confie à un organisme administratif indépendant la supervision du processus d’accréditation, ne constitue pas « le seul modèle capable de concilier la liberté de choix et l’indépendance d’une façon qui permette une véritable négociation collective » (par. 95). De même, « rien dans la Charte [canadienne] n’empêche une association d’employés de s’engager librement avec l’employeur dans un type de négociation différent, moins contradictoire et davantage axé sur la collaboration » (par. 97).[131]
- Comme l’indiquent enfin la juge en chef McLachlin et le juge LeBel dans APMO, « [i]l ne s’agit pas de trouver le régime “idéal” de négociation collective, mais plutôt un modèle qui offre à l’employé une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour exprimer et défendre ses intérêts dans le contexte particulier du milieu de travail en cause »[132]. Et que doit-on entendre par une liberté de choix et une indépendance suffisantes? Voici la réponse de la juge en chef et du juge LeBel dans le même arrêt :
[83] Cela dit, cette liberté de choix et cette indépendance ne sont pas absolues : elles sont limitées par le contexte de la négociation collective. À notre avis, la liberté de choix requise par la Charte à des fins de négociation collective correspond à celle qui permet aux employés de participer véritablement au choix des objectifs collectifs que devra poursuivre leur association. Dans la même veine, l’indépendance exigée par la Charte à des fins de négociation collective se définit comme celle qui assure une correspondance entre les activités de l’association et les intérêts de ses membres.[133]
- Lorsqu’une loi ou un acte gouvernemental, par son objet ou son effet (et l’on parle ici de son effet concret, tel qu’établi par la preuve[134]), entrave substantiellement l’un ou l’autre de ces droits, il y a atteinte à la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte. L’entrave substantielle (réalité tout à la fois factuelle et contextuelle[135]) est celle qui « fait obstacle à l’objet même de l’association et la rend de fait inutile »[136], ce qui exclut les restrictions ou exclusions relatives à des éléments secondaires ou négligeables du processus de négociation, qui n'affectent pas celui-ci dans son essence et ne touchent pas les « questions fondamentales liées au milieu de travail »[137], lesquelles doivent faire partie de la discussion patronale‑syndicale[138]. Ainsi que l’écrivent la juge en chef McLachlin et le juge LeBel dans Health Services : « L’atteinte à l’al. 2d) ne surviendra que dans le cas où seront en cause à la fois un sujet d’importance pour le processus de négociation collective et une mesure imposée sans égard à l’obligation de négocier de bonne foi »[139]. Cela impose un seuil de preuve élevé et strict[140].
- Notons à ce propos que le fait que certains salariés ou catégories de salariés soient exclus d’un régime de négociation établi par la loi ou que leur liberté d’association ne fasse pas l’objet d’une reconnaissance législative particulière ne constitue pas en soi une entrave substantielle. Certes, un tel encadrement est assez commun, tant au Canada que dans d’autres pays. L’histoire du droit collectif du travail est typiquement rattachée à une légifération qui, pour des motifs d’ordre socio-économique, cherche à assurer l’exercice ordonné des droits constitutifs de la liberté d’association[141], notamment en obligeant explicitement la partie patronale à respecter ces droits et à négocier avec les salariés de même qu’en régulant la reconnaissance des associations de salariés et l’exercice du droit de grève[142]. La loi entend ainsi donner un caractère effectif à la liberté d’association des salariés et en favoriser une mise en œuvre structurée. D’où, partout au Canada, l’établissement par voie législative de régimes de négociation collective contraignants, au bénéfice des salariés, et ce, afin de promouvoir le compromis pratique, le progrès social et la paix industrielle. On peut même penser que c’est cette intervention législative qui a historiquement permis l’exercice de la liberté d’association des salariés.
- Toutefois, l’arrêt Société des casinos rappelle que les salariés jouissent des droits rattachés à la liberté d’association en matière de travail sans égard à l’existence d’un cadre législatif, liberté qui peut être pratiquée indépendamment d’un tel encadrement[143] et dont les tribunaux de droit commun, notamment par l’effet de l’art. 24 paragr. 1 de la Charte canadienne (et l’art. 49 de la Charte québécoise), sont habilités à assurer le respect, y compris lorsqu’il s’agit de l’obligation de négocier de bonne foi ou du droit de grève[144]. L’état du droit à cet égard, si l’on avait pu en douter, est maintenant sans équivoque. Par ailleurs, lorsque l’absence d’encadrement législatif ou l’exclusion d’un régime de négociation existant empêche dans les faits les salariés d’exercer leur liberté d’association de manière véritable et efficace, comme l’arrêt Dunmore[145] en donne l’exemple, on pourra parler d’entrave substantielle aux droits que protège l’al. 2d) de la Charte canadienne et réclamer une intervention législative.
- Bref, « [s]’il est démontré qu’une loi (ou l’absence de loi : voir Dunmore) ou une action de l’État rend impossible en l’entravant substantiellement [dans les faits, pourrait‑on ajouter] l’exercice véritable du droit d’association, la restriction du droit garanti à l’al. 2d) est établie. Il appartient alors à l’État de justifier cette restriction en application de l’article premier de la Charte »[146].
- Dans Société des casinos, la Cour suprême, sous la plume majoritaire du juge Jamal, reprenant l’enseignement de l’arrêt Dunmore, énonce en ces termes le cadre d’analyse applicable à la contestation constitutionnelle fondée sur l’allégation d’une contravention à l’al. 2d) de la Charte canadienne et à la détermination de l’existence d’une atteinte à la liberté d’association (ce cadre est transposable à l’art. 3 de la Charte québécoise, en ce qui concerne la liberté d’association) :
[33] En résumé, la jurisprudence de la Cour sur l’al. 2d) révèle que la Cour a invariablement appliqué un cadre d’analyse à deux volets qui consiste à déterminer si les activités en cause relèvent du champ d’application de l’al. 2d), et si l’action gouvernementale a, par son objet ou son effet, substantiellement entravé ces activités. […].
- Le premier volet du test requiert que l’on s’interroge sur la nature du droit ou de l’activité revendiquée : la revendication s’inscrit-elle dans le champ d’application de l’al. 2d) de la Charte canadienne (ou de l’art. 3 de la Charte québécoise)?
- Le second volet du test implique que l’action gouvernementale doit engendrer une entrave substantielle de la liberté d’association (c’est-à-dire perturber de manière significative « l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur que l’al. 2d) vise à établir »[147]) et être directement liée à celle-ci en ce que « l’État doit être responsable de l’incapacité du demandeur d’exercer une liberté fondamentale dans la mesure où il “orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle la violation de libertés fondamentales” »[148].
- S’agissant du droit de grève, le juge Jamal ajoute que :
[35] Il n’est pas toujours nécessaire de considérer expressément chaque facteur de Dunmore. Il arrive parfois que la responsabilité de l’État pour l’entrave substantielle soit évidente. Pensons par exemple à une loi prohibant un type donné d’activité associative, telle une interdiction de faire la grève. Le facteur de Dunmore qui consiste à s’assurer que l’entrave est attribuable à l’État plutôt qu’à un acteur du secteur privé demeure pertinent, mais il est à ce point évident dans un tel cas que l’entrave est attribuable à l’État qu’il n’est pas nécessaire d’en traiter de manière expresse. Dans d’autres cas, conformément à la mise en garde faite par le juge Bastarache dans l’arrêt Dunmore, le tribunal doit prendre soin dans l’évaluation de la preuve de démêler les effets de la loi ou de l’action gouvernementale contestée des éléments externes, et de déterminer si cette loi ou action « orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle la violation » (par. 26).
- Si l’analyse ainsi faite débouche sur le constat d’une entrave substantielle à la liberté d’association, il incombe alors à l’État de démontrer, par une preuve prépondérante, que cette entrave est justifiée dans une société libre et démocratique, et ce, en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne (ou 9.1 de la Charte québécoise[149]), selon le test de l’arrêt Oakes[150], à savoir qu’elle répond de manière proportionnée (c’est-à-dire rationnelle, minimale et équilibrée) à un objectif urgent et réel.
- De façon générale, il faut souligner que, lorsqu’une disposition, en raison d’un objectif urgent et réel, supprime le droit de grève, élément crucial du processus de négociation collective, l’entrave, qui est intrinsèquement substantielle, ne sera justifiée que si la loi prévoit un mécanisme de remplacement adéquat (à évaluer au stade de la proportionnalité), c’est-à-dire « juste, efficace, indépendant et impartial »[151] et, il va sans dire, obligatoire. On comprend la raison de cette exigence. S’il est vrai que la liberté d’association des salariés n’inclut ordinairement pas le droit à un mécanisme de résolution des impasses survenant dans le cadre d’une négociation collective (voir supra, paragr. [100]), c’est bien parce que, advenant de telles impasses, chaque partie peut exercer des moyens de pression sur l’autre, dont la grève en ce qui concerne les salariés. La suppression du droit de grève rompt cependant cet équilibre, d’où la violation de l’al. 2d) de la Charte canadienne[152], que seul peut rétablir un « processus de règlement des différends à la fois impartial et efficace »[153] (à évaluer en fonction de l’article premier de ladite charte). Comme l’écrit la juge Abella dans Saskatchewan :
[25] Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte. […][154]
- Notre cour, dans Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec[155] et Fraternité des policiers et policières de Montréal c. Procureur général du Québec[156], a récemment conclu de la même façon : la suppression du droit de grève attente à la liberté d’association des salariés en ce qu’elle entrave substantiellement leur droit de négocier collectivement leurs conditions de travail; cette entrave peut cependant être justifiée en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne, en présence d’un mécanisme de remplacement convenable répondant de manière proportionnée à un objectif urgent et réel[157]. Comme l’explique le juge Mainville dans Alliance des professionnels :
[97] Il est d’ailleurs logique que l’analyse du caractère adéquat du substitut à la grève s’effectue dans le cadre du volet portant sur la justification en vertu de l’article premier de la Charte canadienne. C’est l’interdiction du droit de grève qui porte une atteinte substantielle à l’alinéa 2d). C’est donc dans le cadre de la justification de cette atteinte substantielle à la liberté d’association que le gouvernement doit démontrer qu’il a prévu un mécanisme satisfaisant comme substitut à la grève.[158]
- La LRR est-elle conforme aux chartes canadienne et québécoise au chapitre de la liberté d’association? Pour répondre à cette question conformément au cadre d’analyse ci-dessus, il faut en premier lieu se demander si la LRR porte atteinte à l’al. 2d) de la Charte canadienne (et à l’art. 3 de la Charte québécoise). À cette fin, une première sous‑question doit être posée : les droits revendiqués en l’espèce et les activités qui les sous-tendent relèvent‑ils du champ d’application de l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise? « Dans l’examen de cette question, note le juge Jamal dans Société des Casinos, la Cour doit se demander si l’Association peut “invoquer de manière plausible une liberté fondamentale garantie par la Charte” (Dunmore, par. 24) »[159].
- Une réponse négative mettra fin au débat : la LRR ne peut enfreindre la liberté d’association des Ressources et de leurs associations si les droits revendiqués en l’espèce ne ressortissent pas au domaine de l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise. À l’inverse, une réponse affirmative suscitera une nouvelle question, celle de savoir si la LRR entrave substantiellement la liberté d’association des Ressources et, le cas échéant, si cette entrave est justifiée en vertu des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.
- Les intimés, on le sait, reprochent à la LRR de restreindre indûment leur droit à la négociation collective en écartant certains sujets névralgiques de la discussion (rétribution et durée des ententes spécifiques) et en les privant du droit de grève sans pourvoir à un mécanisme de remplacement véritable et efficace, les laissant ainsi à la merci de leur vis-à-vis gouvernemental. Mais les Ressources et leurs associations disposent-elles de ces droits?
- Les Ressources jouissent indiscutablement de la liberté d’association que garantissent l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise en ce qu’elles sont libres « de s'unir dans la poursuite d'un objectif commun ou pour promouvoir une cause commune »[160] . À cette fin, elles ont, pour reprendre les termes de la Cour suprême dans APMO, « (1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations; (2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et (3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités »[161] (en l’occurrence le gouvernement), droits qui définissent et constituent l’assise irréductible de la liberté d’association.
- L’on ne conteste pas ici que la LRR respecte les deux premiers volets de cette définition. Se soulève cependant la question de savoir si, aux fins du troisième volet, les Ressources et leurs associations, dans le contexte de la relation qui les unit au gouvernement/donneur d’ouvrage, peuvent revendiquer, comme les salariés, le droit spécifique à un processus de négociation collective contraignant (en ce que leur vis-à-vis serait tenu de participer, d’échanger et de discuter avec les associations et de faire des efforts raisonnables pour arriver à une entente acceptable), processus qui inclurait le droit de grève ou, à défaut, un mécanisme de remplacement approprié.
- Les intimés, on le sait, répondent à cette question par l’affirmative. Le juge de première instance leur a donné raison, ce que contestent les appelants. De l’avis de ces derniers, ce droit caractéristique de négociation ne vaut que dans le cas des salariés, personnes liées à un donneur d’ouvrage – l’employeur – par un contrat d’emploi. Or, les Ressources ne sont pas des personnes salariées et, conséquemment, elles ne peuvent aspirer aux droits associatifs particuliers que l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise réservent à ces personnes.
- Avec le plus grand respect pour l'opinion contraire, j’estime que les appelants ont raison. Je m’en explique dans les pages qui suivent en commençant par examiner le statut juridique des Ressources, qui est ici déterminant.
- Les Ressources, dans l’exécution de leurs prestations, n’ont pas le statut de salariées, juridiquement parlant, au sens de l’art. 2085 C.c.Q. :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur. | 2085. A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes, for a limited time and for remuneration, to do work under the direction or control of another person, the employer. |
- D’autres lois définissent le « salarié / employee » ou la « personne salariée / employee », en des formules parfois plus brèves, mais semblables (voir par ex. l’al. 1l) C.t. ou l’art. 1 al. 1(10°) L.n.t.), avec, selon le cas, des exclusions ou des ajouts. Certaines lois emploient plutôt le terme « travailleur », mais pour renvoyer, essentiellement, à la même réalité juridique (voir par ex. les art. 1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles), encore là en y ajoutant ou en y retranchant. L’idée de base, cependant, reste celle d’un lien contractuel salarié-employeur, caractérisé dans tous les cas par l’existence d’un lien de subordination entre le premier et le second[162].
- Il en va autrement de l’entrepreneur ou du prestataire de services qui, lui, exécute ses obligations sans un tel lien de subordination envers son cocontractant. Pour mémoire, voici le texte des art. 2098 et 2099 C.c.Q., qui définissent le contrat d’entreprise ou de service :
2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer. | 2098. A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to another person, the client, to carry out physical or intellectual work or to supply a service, for a price which the client binds himself to pay to him. |
2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. | 2099. The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and, with respect to such performance, no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client. |
- L’absence de subordination caractérise donc l’entrepreneur ou le prestataire de services, par contraste avec le salarié, subordonné à l’employeur. Notons que cette absence de subordination ne signifie pas que le donneur d’ouvrage (ou client) renonce à toute supervision de la prestation de l’entrepreneur ou qu’il ne puisse imposer certains standards d’exécution. Cela est même assez fréquent et, s’il est besoin, on rappellera que la liberté d’exécution prévue par l’art. 2099 C.c.Q. est variable et relative. Il suffit d’en prendre pour exemple les grands contrats publics, qui sont très étroitement normés et soumis à la supervision constante de l’État donneur d’ouvrage. Je n’entends évidemment pas comparer ici la situation des Ressources avec celles des entreprises qui contractent avec l’État pour la réalisation de structures publiques importantes, mais illustrer simplement que la liberté d’exécution de l’entrepreneur ou du prestataire de services, telle que consacrée par l’art. 2099 C.c.Q., s’accommode d’un contrôle du cocontractant (notamment dans les contextes collaboratifs où les tâches exécutées par les uns et les autres sont fonctionnellement liées).
- Évidemment, et surtout dans les cas où l’exécutant est une personne physique, il n’est pas toujours facile de distinguer le contrat de travail du contrat d’entreprise ou de service et le salarié de l’entrepreneur ou du prestataire de services. La notion de subordination – et plus exactement de subordination juridique – qui est au cœur de la distinction, a fait couler des litres d’encre jurisprudentielle et doctrinale, tribunaux et auteurs ayant développé une grille d’analyse généreuse, subtile, contextuelle et extensible, fondée sur la réalité factuelle de la relation entre le donneur d’ouvrage et l’exécutant. En l’occurrence, toutefois, je n’aurai pas à procéder à une analyse de ce genre, puisque la loi s’est chargée de la qualification juridique de la relation entre les Ressources et leur donneur d’ouvrage : aux termes de la LSSSS et de la LRR, les Ressources sont des prestataires de services au sens de l’art. 2098 C.c.Q., ce qu’entérinent les ententes collectives négociées par les parties. Voyons d’ailleurs ce qu’il en est.
- L’art. 301 LSSSS prévoit qu’« [u]n établissement public identifié par l’agence peut recourir aux services d’une ressource intermédiaire aux fins de la réalisation de la mission d’un centre qu’il exploite / [a] public institution identified by the agency may call upon the services of an intermediate resource for the purpose of carrying out the mission of a centre operated by the institution ». L’art. 310 LSSSS prévoit de son côté qu’un établissement habilité peut recourir aux services d’une ressource de type familial pour le placement d’adultes, de personnes âgées ou d’enfants en difficulté ou encore de personnes présentant une déficience intellectuelle ou physique ou un trouble envahissant du développement. Les établissements demeurent toutefois responsables des services offerts aux usagers confiés aux bons soins des Ressources. Celles‑ci se trouvent ainsi à exécuter, par rapport aux usagers en question, la mission des établissements.
- Par ailleurs, l’art. 302 LSSSS, et je le rappelle par commodité, définit la ressource intermédiaire comme « toute ressource exploitée par une personne physique comme travailleur autonome ou par une personne morale ou une société de personnes » / a resource that is operated by a natural person as a self-employed worker or by a legal person or a partnership » [je souligne]. En droit du travail, le terme « travailleur autonome » (on use à l’occasion du terme « travailleur indépendant ») désigne la personne physique qui exploite seule (parfois au moyen d’une personne morale qu’elle contrôle) une entreprise, et ce, pour son propre compte, ce qui signifie une prise de risque économique, avec une perspective de profits et la possibilité de pertes. Cette personne n’est donc pas au service du donneur d’ouvrage ou du client, encore qu’elle puisse lui dispenser des services (par exemple en exécutant à sa place certains actes qui lui incomberaient autrement) ou réaliser pour lui un ouvrage matériel ou intellectuel quelconque.
- Juridiquement, le travailleur autonome est l’une des figures de l’entrepreneur ou du prestataire de services au sens des art. 2098 et 2099 C.c.Q. et c’est à cela que renvoie l’art. 302 LSSSS : l’établissement qui souhaite recourir aux services d’une ressource intermédiaire ne peut le faire que si celle-ci est soit une personne physique exerçant à titre de travailleur autonome, soit une personne morale. La LRR ne s’appliquant pas aux ressources intermédiaires qui ont fait le choix d’exercer leurs activités par le truchement d’une personne morale (art. 2 al. 2 LRR), il s’ensuit que les ressources intermédiaires visées par la LRR ne peuvent elles-mêmes être que des personnes physiques (ce que confirment non seulement l’art. 2 al. 2 LRR, mais aussi l’alinéa introductif de l’art. 1 LRR) et, qui plus est, des personnes physiques œuvrant comme travailleurs autonomes.
- L’art. 302 LSSSS ne s’applique pas aux ressources de type familial, que l’art. 312 définit comme « une ou deux personnes qui accueillent à leur lieu principal de résidence / [o]ne or two persons receiving in their principal place of residence » des usagers, pour leur fournir un milieu de vie naturel, semblable à celui d’une famille. Cela est a priori peu compatible avec l’idée de la subordination juridique inhérente à l’existence d’un rapport salarié-employeur selon l’art. 2085 C.c.Q., mais aussi selon les lois du travail en général. Là encore, l’idée de travailleur autonome s’impose, alors que la ressource de type familial, avec une latitude d’exécution compatible avec l’art. 2099 C.c.Q. (même si l’exercice de cette latitude est normé et supervisé), fournit des services à des usagers que l’établissement lui confie (quoique ce dernier en demeure ultimement responsable).
- Du reste, s’il subsistait un doute quant à la nature de la relation entre Ressources et établissements (ou gouvernement), l’art. 63 al. 2 LRR le dissipe : cette disposition précise en toutes lettres qu’il n’existe pas de lien de subordination juridique entre les Ressources et les établissements ou agences qui recourent à leurs services et supervisent l’exécution de ceux-ci. La prestation offerte par les Ressources ne peut dès lors relever que du champ, très vaste, du contrat d’entreprise ou de service défini par les art. 2098 et 2099 C.c.Q.
- Il faut noter également que les Ressources (et c’est une réalité qu’avalise l’art. 2 al. 1 LRR) peuvent elles-mêmes embaucher des personnes pour les aider ou les remplacer dans l’exécution de leurs prestations envers les usagers (ce que confirment d’ailleurs les ententes collectives négociées par le ministre et les intimés au cours des ans) : elles peuvent donc employer des salariés et avoir, à l’égard de ces derniers, le statut d’employeur, ce qui est, là encore, compatible avec le contrat d’entreprise ou de service.
- Les ententes collectives conclues par les parties reconnaissent elles-mêmes le statut de prestataire de services des Ressources et la latitude qui est la leur dans la réalisation de leurs tâches, jusque dans l’embauche de personnel. J’en prendrai ici pour exemple l’entente collective signée entre l’Alliance nationale des Associations démocratiques de ressources à l’adulte du Québec (ADRAQ-CSD) et le ministre, le 8 mai 2017[163], qui stipule ainsi :
1-3.08
Une ressource est un prestataire de services au sens des dispositions du Code civil du Québec et régissant le contrat de service (article [sic] 2098 et suivants).
À ce titre, la ressource choisit la démarche appropriée pour l’exécution de sa prestation de services dans le respect des lois et règlements applicables, des usages, des règles de l’art, du Cadre de référence et des dispositions de l’entente et de l’entente spécifique.
Elle agit au mieux des intérêts des usagers, avec prudence et diligence.
Il n’existe entre la ressource et l’établissement aucun lien de subordination juridique quant à l’exécution de la prestation de services.
1-3.09
L’autonomie dont bénéficie la ressource, notamment dans l’organisation du milieu de vie, va de pair avec son imputabilité au regard de la qualité du milieu de vie et des services de soutien ou d’assistance rendus à l’usager.
- On peut reproduire encore la clause 2-3.01 de cette entente :
2-3.01
À titre de prestataire de services2, la ressource doit rendre des services de qualité au mieux des intérêts de l’usager; elle doit agir conformément aux usages et aux règles de l’art, en privilégiant les pratiques reconnues et en s’assurant de respecter les lois et règlements ainsi que les dispositions de l’entente et de l’entente spécifique.
2 La ressource est un prestataire de services au sens des dispositions du Code civil du Québec régissant le contrat de service (articles 2098 et suivants).
- La clause 2-3.04 al. 1 permet à la Ressource de recourir à d’autres (dont des salariés qu’elle embauche) pour exécuter sa prestation :
2-3.04
La ressource peut s’adjoindre d’autres personnes pour exécuter sa prestation de services, en conservant cependant la direction et la responsabilité de son exécution; le cas échéant, elle a recours à une aide ou à un remplaçant compétent pour répondre aux besoins des usagers.
- Autre exemple, l’entente collective conclue le 22 septembre 2021 entre le ministre et la Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ) pour le compte des associations de ressources destinées aux enfants[164] énonce en sa section 1-3.00 divers principes dits « fondamentaux » reposant sur un partenariat et une responsabilité partagée entre les établissements et les Ressources, ces dernières jouissant d’une autonomie tout à la fois reconnue et calibrée par les clauses 1-3.04, 1-3.05 et 1-3.08 :
1-3.04
Le bien-être des usagers est une responsabilité partagée qui s’exerce dans un esprit de partenariat en favorisant la concertation et la collaboration entre l’établissement et la ressource, dans le respect des engagements contractuels et des rôles et responsabilités de chacun.
La ressource collabore à la mise en place et au maintien d’une organisation de services efficace et efficiente qui s’inscrit dans une culture intégrée de qualité.
L’établissement reconnait le caractère familial de la ressource et son autonomie dans le respect des services à rendre aux usagers tel que prévu au Règlement sur la classification qui permet d’offrir aux usagers des conditions de vie favorisant une relation de type parental dans un contexte familial.
1-3.05
La ressource est imputable de la qualité du milieu de vie et des services de soutien ou d’assistance qu’elle rend aux usagers. Elle participe au maintien ou à l’intégration dans la communauté des usagers, en leur procurant un milieu de vie stable, adapté à leurs besoins, en leur dispensant des services de soutien et d’assistance requis par leur condition et en assurant leur protection.
1-3.08
La ressource choisit la démarche appropriée pour l’exécution de sa prestation de services dans le respect des lois et règlements applicables, des usages, des règles de l’art, du cadre de référence et des dispositions de l’entente et de l’entente spécifique.
Dans le cadre de sa prestation de services, la ressource peut requérir différentes mesures d’appui, d’aide ou d’accompagnement de personnes ou d’organismes compétents. L’établissement collabore avec la ressource à cet égard.
- La clause 2-3.01 de cette entente – quasi identique à la clause 2-3.01 qu’on retrouve dans la convention collective de 2017 entre l’ADRAQ-CSD et le ministre – prescrit elle aussi que :
2-3.01
À titre de prestataire de services4, la ressource doit rendre des services de qualité au mieux des intérêts de l’usager; elle doit agir conformément aux usages et aux règles de l’art, en privilégiant les pratiques reconnues et en s’assurant de respecter les lois et règlements ainsi que les dispositions de l’entente.
4 La ressource est un prestataire de services au sens des dispositions du Code civil du Québec (RLRQ, c. CCQ-1991) régissant le contrat de service (articles 2098 et suivants).
- On observe une disposition semblable dans l’entente collective conclue le 17 juillet 2021 entre le ministre et la FSSS-CSN (pour les adultes)[165]. En fait, toutes les ententes déposées en preuve devant la Cour supérieure contiennent des dispositions analogues à celles des clauses reproduites ci-dessus[166] et reposent largement sur les mêmes principes.
- Bref, de par la loi, les Ressources sont des prestataires de services au sens de l’art. 2098 C.c.Q., ce que confirment les ententes collectives négociées par leurs associations, qui leur réservent le choix des moyens par lesquels elles exécuteront la prestation à laquelle elles se sont engagées (reflétant ainsi l’art. 2099 C.c.Q.). Les ententes collectives négociées par les parties énoncent et protègent cette liberté d’exécution[167], qui semble effectivement s’exercer sur le terrain. Le fait que cette liberté coexiste avec un encadrement normatif serré ou une surveillance n’y change rien.
- On pourrait même parler ici d’une forme de sous-traitance : c’est d’ailleurs le terme qui vient spontanément à l’esprit pour qualifier la relation entre établissements et Ressources. Les établissements sous‑traitent aux Ressources la fourniture de services qu’ils assureraient autrement eux-mêmes, grâce à leur propre personnel. Inversement, les Ressources sont les sous-traitantes des établissements, quant aux soins offerts aux usagers placés chez elles[168]. Or, la notion de sous-traitance, bien sûr, est directement liée à celle du contrat d'entreprise ou de service que régissent les art. 2098 et s. C.c.Q.
- Évidemment, on le sait, il n’est pas impossible que la personne à laquelle on accole l’étiquette de « travailleur autonome » ou de « prestataire de services » (ou encore d’« entrepreneur » ou de « sous-traitant ») ne le soit pas et que la nature de sa relation avec le donneur d’ouvrage/client soit, en vérité, celle d’un salarié. La jurisprudence regorge d’exemples dans lesquels on tente de déguiser ce qui est un contrat de travail en un contrat d’entreprise ou de service, transformant ainsi un salarié en un pseudo‑travailleur autonome, et ce, pour tenter d’échapper aux exigences de telle ou telle loi du travail. Or, les tribunaux ont tôt fait de lever le masque pour faire ressortir la réalité et la traduire en termes juridiques. L’on ne compte ainsi plus les cas où un employeur, tentant d’échapper par exemple au régime du Code du travail, use d’un tel stratagème : les tribunaux n’hésitent alors pas à reconnaître que les personnes en cause, quoiqu’elles exécutent leurs tâches sous une étiquette entrepreneuriale, sont en réalité des salariés et, en pareil cas, le régime prévu par le Code du travail s’applique à elles[169].
- Toutefois, dans le cadre d’un litige portant sur la qualification d’une relation contractuelle et le statut de la partie qui exécute un travail, encore faut-il que l’on fasse la démonstration que ce que l’on présente comme un contrat d’entreprise ou de service est plutôt un contrat de travail et que le prétendu entrepreneur, prestataire de services ou travailleur autonome est en réalité un salarié alors que le donneur d’ouvrage ou le client est, en vérité, un employeur.
- C’est d’ailleurs, on s’en souviendra, un scénario de ce genre qui a prévalu dans le cadre de la contestation décidée par le jugement Grenier de 2008 (voir supra, paragr. [47] à [51]), alors que le débat constitutionnel portait sur des dispositions législatives, celles de la loi modificatrice de 2003, retirant aux ressources de l’époque – facticement, selon la juge – le statut de salarié que leur avaient reconnu divers tribunaux administratifs et judiciaires en vertu du Code du travail. La Cour supérieure a vu là une atteinte à la liberté d’association des Ressources, donnant gain de cause à ces dernières dans leur contestation de ce retrait du statut de salarié[170].
- Cependant, au risque de me répéter, tel n’est pas le débat en l’espèce : pour des raisons qui leurs sont propres, les intimés n’ont pas contesté le statut juridique des Ressources comme prestataires de services au sens du Code civil du Québec ni les dispositions législatives qui imposent ce statut ou excluent directement ou indirectement celui de salarié; ils n’ont pas davantage contesté les dispositions idoines des ententes collectives; ils n’ont pas prétendu que l’affirmation législative ou contractuelle de ce statut brimait en elle-même la liberté d’association des Ressources (comme cela fut plaidé dans le cadre de l’instance relative à la loi modificatrice de 2003) ou que, dans les faits, celles‑ci seraient véritablement des salariées, statut qu’ils ne revendiquent pas. En l’absence de pareille contestation, l’on n’a d’autre choix que de considérer que les Ressources ne sont pas des salariées (que ce soit au sens du Code civil du Québec, de la Loi sur les normes du travail ou du Code du travail), mais qu’elles sont des prestataires de services ou, si l’on préfère l’expression, des travailleuses et travailleurs autonomes, au sens des art. 2098 et 2099 C.c.Q.
- Il faudra donc tenir compte de cet élément afin de répondre à la question de savoir si le droit à un régime de négociation collective assorti du droit de grève ou, à défaut de celui-ci, d’un mécanisme efficace de règlement des différends, si ce droit, donc, peut être étendu aux Ressources et aux associations qui les représentent.
- Pour les intimés, le statut juridique des Ressources importe peu dans la mesure où elles sont des travailleuses et des travailleurs qui, ainsi que le constate le jugement de première instance, « doivent œuvrer, sans relâche ou presque, pour assurer le bien‑être des usagers qu’on leur confie »[171]. Il s’agit par ailleurs de travailleurs et de travailleuses isolées, qui exécutent leurs fonctions sans se côtoyer[172] (comme le font par contraste les salariés qui œuvrent dans un même lieu de travail) et le rapport de forces qu’elles entretiennent avec le gouvernement (ou les établissements qui leur confient des usagers) n’est certainement pas meilleur que celui des salariés du secteur de la santé et des services sociaux. En fait, soutiennent les intimés, il serait même moins avantageux : vu leur isolement et sans le secours d’un processus de négociation véritable et efficace, qui impose la discussion des conditions de travail et qui est assorti du droit de grève ou d’un mécanisme de rechange à celui-ci, les Ressources seraient sans levier effectif sur leur donneur d’ouvrage, et même leur poids collectif s’en trouverait sérieusement affaibli.
- La question se pose donc : en vertu de l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise, doit-on ou peut-on étendre aux travailleurs autonomes/prestataires de services (et l’on parle ici de personnes qui sont véritablement de tels travailleurs autonomes, et non pas des salariés déguisés) les droits que la jurisprudence a rattachés à la liberté d’association en matière de travail? Ou alors, doit‑on ou peut-on accorder ces droits aux Ressources spécialement, quoiqu’elles soient des travailleurs autonomes/prestataires de services, et ce, en raison de leur situation très particulière?
* *
- Il faut d’abord constater que, dans l’histoire du droit canadien et québécois du travail, les régimes de négociation collective des conditions de travail ont d’abord été établis en faveur des salariés, c’est‑à‑dire des personnes liées à leur donneur d’ouvrage par un contrat de travail (ou contrat d’emploi ou, précédemment, louage de service personnel[173]) et dont le statut est tributaire de cette relation contractuelle. Ces régimes collectifs, dans leurs versions contemporaines, sont multiples et peuvent différer entre eux sur certains points. C’est le cas au Québec, par exemple, où, à côté du régime général établi par le Code du travail[174], on trouve des régimes particuliers, comme ceux de la Loi sur la fonction publique[175] (art. 64 et s.), de la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales[176], de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic[177], de la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal[178], de la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective[179], de la Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec et aux corps de police spécialisés[180], de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[181]. Tous ces régimes concernent cependant des personnes salariées.
- Le développement constitutionnel de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise est à l’avenant. Tous les arrêts de la Cour suprême qui ont façonné la liberté d’association dans le domaine du travail depuis l’avènement de la Charte canadienne, que ce soit avant ou après le virage amorcé au début des années 2000, se rapportent ainsi aux droits de salariés et d’associations de salariés. Comme l’écrivait ainsi le juge en chef Dickson, précurseur en la matière, dans le Renvoi albertain[182] :
La liberté d'association constitue la pierre angulaire des relations de travail modernes. Historiquement, les travailleurs se sont unis pour aplanir les inégalités de puissance de négociation inhérentes aux relations employeur-employé et se prémunir contre des conditions de travail injustes, dangereuses ou favorisant l'exploitation. […]
[Je souligne]
- La jurisprudence subséquente de la Cour va dans le même sens et c’est de nouveau le cas de son plus récent arrêt en la matière, Société des casinos[183], manifestation éloquente du libéralisme qui doit guider l’interprétation des droits garantis par la Charte, mais qui concerne lui aussi des salariés, cadres certes, mais salariés néanmoins. C’est à cette catégorie de salariés que la Cour suprême reconnaît, comme à tout autre salarié, « le droit de former une association ayant suffisamment d’indépendance vis‑à‑vis de l’employeur, de présenter collectivement des revendications à l’employeur et de voir ces revendications prises en compte de bonne foi »[184], ce qui comprend « leur droit de faire la grève, qui est protégé par l’al. 2d), même en l’absence de cadre législatif habilitant »[185]. Pareillement, c’est la liberté d’association des salariés (et des groupes qui les représentent) qui peut, dans certaines circonstances (celles de Dunmore, par exemple), « imposer à l’État l’obligation de prendre des mesures concrètes »[186], incluant des mesures législatives, destinées à en assurer la mise en œuvre en contexte de travail.
- Mais la Cour suprême n’a pas reconnu à d’autres que les salariés les droits distinctifs que procure la liberté d’association dans le domaine des relations de travail ni indiqué ou laissé entendre qu’il conviendrait de les étendre aux travailleurs autonomes et autres prestataires de services ou à certains d’entre eux (et encore moins que tous et toutes en bénéficieraient du seul fait d’être titulaire de la liberté d’association). La seule exception que l’on pourrait repérer dans sa jurisprudence, peut‑être, figure dans l’arrêt Dunmore[187]. L’on s’interroge dans cette affaire sur la validité constitutionnelle d’une loi ontarienne 1° abrogeant le Agricultural Labour Relations Act, 1994[188] et invalidant toute accréditation ou convention collective régie par cette dernière, tout en 2° promulguant le Labour Relations Act, 1995[189], loi générale en matière de négociation collective, qui exclut de son champ d’application « a person employed in agriculture, hunting or trapping ». S’interrogeant sur la conformité de la loi à l’al. 2d) de la Charte canadienne, le juge Bastarache, au nom des juges majoritaires, note au passage le fait que, selon les instruments internationaux en matière de liberté d’association et de liberté syndicale (notamment la Convention (n° 11) concernant les droits d’association et de coalition des travailleurs agricoles[190] et la Convention (n° 141) concernant les organisations de travailleurs ruraux et leur rôle dans le développement économique et social[191]), le droit de s’associer doit être reconnu à « tous les travailleurs sans distinction d’aucune sorte », ce qui, parlant des travailleurs agricoles, signifierait que pourraient être visés, aux termes de ces instruments, les salariés autant que des « personnes travaillant à leur propre compte »[192]. Cette observation, cependant, n’avait pas à voir avec la situation particulière des travailleurs en cause, puisque, dans Dunmore, l’exclusion législative visait la personne employed dans le domaine agricole, c’est-à-dire une personne salariée (tout comme le Agricultural Labour Relations Act, 1994 visait précédemment les « employees and employers in the agriculture and horticulture industries » et s’appliquait à « any persons employed in agriculture or horticulture »). Quoi qu’il en soit, c’est la seule affaire dans laquelle la question a été évoquée en ces termes. Il s’agit clairement d’un obiter et la Cour suprême n’y a pas donné suite (ou, du moins, n’a pas eu l’occasion de le faire).
- En somme, la liberté d’association en matière de travail a été définie par la Cour suprême en fonction de la relation salarié-employeur, c’est-à-dire celle du contrat de travail (« employment contract »), et, à ce jour, seules les personnes salariées se sont vues reconnaître les droits spécifiques que cette cour a rattachés à la négociation collective (ce qui oblige l’employeur à considérer les revendications des salariés et à en discuter avec les associations qui les représentent) et à la grève, reflétant d’ailleurs ainsi le développement historique de ces droits et la législation qui y est afférente.
* *
- Évidemment (et je me permets de le redire bien que cela aille de soi), les personnes non salariées détiennent les droits basiques inhérents au concept même de liberté d’association, à savoir « le droit de se joindre à d’autres pour poursuivre des objectifs communs licites et pour constituer et maintenir des organisations et des associations […]; (2) la liberté d’exercer collectivement les activités dont la Constitution garantit l’exercice individuel […]; et (3) la liberté d’accomplir avec d’autres toute action qu’un individu peut licitement accomplir à titre individuel […] »[193]. Elles peuvent donc se regrouper en associations et, par l'intermédiaire de celles-ci, présenter leurs réclamations à leurs clients et donneurs d’ouvrage. Mais peut-on aller plus loin et leur reconnaître, intégralement, le droit à un processus de négociation collective contraignant pour leur vis-à-vis, constitutionnellement protégé par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise, et dans la même mesure exactement?
- Je ne le crois pas.
- De façon préliminaire, et en toute déférence pour le juge de première instance, je me permettrai d’écarter un argument terminologique qui semble avoir indûment pesé dans la balance. Alors qu’il parle du droit de grève, composante essentielle du droit à un processus de négociation véritable, le juge de première instance remarque en effet que (et je renvoie ici au passage souligné ci-dessous, dans son contexte) :
[197] De l’avis du Tribunal, la proposition catégorique du PGQ selon laquelle le droit de grève devrait être refusé à tout travailleur autre qu’un salarié est douteuse, tant au regard du droit international que du droit interne.
[198] Le droit de faire la grève n’appartient pas à un groupe de salariés en raison de leur statut juridique mais plutôt parce qu’il est nécessaire pour rétablir le rapport de force qui leur permettra de mener une véritable négociation collective de leurs conditions de travail.
[199] S’il s’agit d’individus vulnérables que l’on doit protéger « contre tout isolement imposé par l'état dans la poursuite de ses fins » et à qui il faut permettre de négocier à armes plus égales avec une entité plus puissante, le Tribunal ne voit pas au nom de quel principe juridique la protection de l’article 2d) devrait leur être refusée.
[200] Les droits en vertu de la Charte « doivent être interprétés de manière téléologique, c’est-à-dire au regard des objectifs qui les sous-tendent ou de leur raison d’être ». Comme l’écrivent les juges majoritaires dans Fraser, « [t]rop souvent, un droit interprété sans égard à son objet demeure vide de sens ».
[201] Le Tribunal souligne au passage que la Cour suprême du Canada elle‑même utilise cette notion de travailleur dans Health Services.
[Renvois omis]
- Or, soit dit avec beaucoup d’égards, si le terme « travailleur » (ou « worker » en anglais) est bel et bien employé par la Cour suprême dans Health Services, ce l’est comme synonyme de « salarié ». D’ailleurs, le même arrêt parle aussi d’« employé » (« employee »), terme lui aussi synonyme de « salarié ». Les mots utilisés y sont interchangeables, mais renvoient tous à la même réalité juridique, qui est celle du salarié. Sans compter que les personnes dont il est question dans Health Sevices sont des salariées. Et c’est le cas, je le rappelle, dans l’ensemble des arrêts de la Cour suprême en la matière, certainement depuis la trilogie de 1987[194] (trilogie dans laquelle on ne reconnaissait pas les droits de négociation collective et de grève dont la Cour suprême fait aujourd’hui des éléments définitionnels de la liberté d’association des salariés, que ceux-ci soient désignés par ce terme, par celui d’« employés / employees » ou encore celui de « travailleur / worker »).
- Pour le reste, il est vrai que la législature elle-même étend parfois explicitement la portée des régimes de rapports collectifs conçus pour les salariés à certains travailleurs autonomes ou à des personnes (et l’on parle habituellement de personnes physiques) chez qui se juxtaposent quelques-unes des caractéristiques du salarié et celles du travailleur autonome. C’est le cas, par exemple, du Code canadien du travail, qui, dans la section qu’il consacre aux rapports collectifs de travail, inclut les « entrepreneurs dépendants » dans la notion d’« employé / employee »[195]. On verra aussi, toujours par comparaison, le Labour Relations Act, 1995 de l’Ontario[196], qui s’applique aussi au « dependant contractor », défini comme la personne qui « is in a position of economic dependence upon, and under an obligation to perform duties for, that person more closely resembling the relationship of an employee than that of an independent contractor »[197]. Ces extensions ne sont aucunement problématiques : sans égard aux garanties prévues par les chartes, une législature peut certainement conférer à qui elle veut le droit à un processus de négociation.
- Il est vrai aussi, et je l’ai signalé plus tôt, que les tribunaux administratifs et judiciaires se sont efforcés de déjouer les stratagèmes visant à camoufler un contrat de travail et une personne salariée sous l’apparence d’un contrat d’entreprise et d’un travailleur autonome. Comme on l’a vu, la jurisprudence entretient d’ailleurs aujourd’hui une vision plus large de la subordination juridique et de la notion même de salarié, ce qui accroît le champ d’application de la liberté d’association en matière de travail.
- Enfin, la législature québécoise a déjà mis sur pied des régimes de négociation assez semblables à ceux dont bénéficient les salariés, mais cette fois au profit de groupes d’individus présentant, en ce qui concerne le travail, une vulnérabilité (notamment économique) renforcée par une ambivalence sur le plan de la qualification juridique des liens unissant ces personnes à un donneur d’ouvrage. On peut en donner pour exemple les artistes ainsi que les personnes exploitant un service de garde en milieu familial[198]. La législature a pourvu dans chacun de ces cas à un régime de négociation collective ne prohibant pas la grève et prévoyant un mécanisme d’arbitrage consensuel. Mentionnons ainsi la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène[199] et la Loi sur la représentation de certaines personnes responsables d’un service de garde éducatif en milieu familial et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant[200].
- Mais que la législature ait, pour des raisons politiques, choisi de faire ainsi ne signifie pas qu’elle y ait été constitutionnellement tenue. Cela ne signifie pas non plus qu'à compter du moment où elle choisit d’instaurer un régime de négociation collective en faveur d’un groupe quelconque, elle doit, sauf à enfreindre l’al. 2d) de la Charte canadienne ou l’art. 3 de la Charte québécoise, conférer aux membres de ce groupe l’intégralité des droits dévolus aux salariés en vertu de ces dispositions. Conclure ainsi serait, à mon humble avis, court-circuiter le premier volet du test posé par la Cour suprême dans l’arrêt Société des casinos (« le tribunal se demande premièrement si les activités en cause relèvent du champ d’application de la garantie de liberté d’association »[201]). Je ne partage donc pas l’avis du juge de première instance lorsqu’il écrit que :
[207] Dès l’instant où le droit à la négociation collective des Ressources leur est accordé dans un texte de loi, on ne peut les priver du droit de faire la grève sans porter atteinte à leur liberté d’association. La LRR est la réponse du législateur au Jugement de 2008 qui illustre la grande vulnérabilité des Ressources et leur besoin de négocier collectivement leur rétribution et leurs conditions d’exercice. Une fois cette étape franchie, on ne peut nier leur besoin de disposer du droit de faire la grève pour être capables de mener cette négociation à armes plus égales.
[…]
[209] Il ne s’agit donc pas ici d’imposer à l’État une obligation positive d’instaurer un régime de négociation collective en faveur de travailleurs en marge de celui prévu au Code du travail mais simplement de vérifier s’il a entravé substantiellement la liberté d’association des Ressources dans le cadre du régime particulier dont elles disposent déjà.
- Une loi peut en effet être plus généreuse que la Constitution et l’on ne peut pas inférer du fait que le législateur a élaboré un régime de négociation collective propre aux Ressources que celles-ci ont dès lors droit à tous les éléments du processus de négociation reconnu aux salariés aux fins de l’exercice de la liberté d’association en matière de relations de travail, incluant le droit de grève (ou, à défaut, un mécanisme de remplacement adéquat). Si la législature n’est pas obligée d’offrir un régime de négociation collective et qu’elle choisit néanmoins de le faire, elle peut décider librement des caractéristiques de ce régime, sans avoir à reprendre intégralement les traits essentiels des régimes propres aux salariés. Déjà, en matière de régimes de rapports collectifs de travail destinés aux salariés, la Cour suprême réitère avec constance que l’al. 2d) de la Charte canadienne (et le propos vaut pour l’art. 3 de la Charte québécoise) ne garantit pas un régime ou un mécanisme de négociation précis[202], ce qui garantit une certaine marge de manœuvre à la législature. A fortiori, il ne peut en aller autrement lorsqu’il s’agit d’encadrer législativement la représentation collective de personnes qui ne sont pas des salariés.
- On ne peut par ailleurs pas affirmer que les droits qui constituent la liberté d’association dans le domaine des relations salariés-employeurs doivent être automatiquement reconnus à toute personne se réclamant de la liberté d’association. C’est en effet la spécificité de la relation salarié-employeur et la vulnérabilité particulière propre à cette relation qui, au-delà du droit de s’unir et du droit d’agir collectivement dans le but de faire valoir des objectifs individuels ou collectifs, justifient la reconnaissance des droits associatifs particuliers accordés aux salariés (c’est-à-dire un processus de négociation large, qui s’impose au vis-à-vis – l'employeur – et qui comporte le droit de grève ou un mécanisme de remplacement contraignant). On ne peut donc pas, de façon générale, conclure que ces mêmes droits doivent être accordé à toute personne invoquant la liberté d’association, et pas davantage à tous les travailleurs autonomes, prestataires de services ou entrepreneurs.
- Encore une fois, et je me permets de le répéter, ces derniers, comme toute personne (et cela inclut les Ressources, bien sûr), sont titulaires de la liberté d’association, dans ses composantes irréductibles : ils ont le droit et le choix de se regrouper, de former une ou des associations, de participer à leurs activités et de faire valoir leurs revendications en s’unissant et en faisant front commun (y compris en usant de divers moyens de pression), qu’il s’agisse d’exercer collectivement les droits que la Constitution reconnaît à chacun ou d’exercer collectivement toute activité légitime. Toutefois, cela ne peut signifier qu’ils détiennent également, en vertu de l’al. 2d) de la Charte canadienne ou de l’art. 3 de la Charte québécoise, l’intégralité des droits associatifs propres aux salariés, et encore moins qu’ils puissent réclamer une intervention législative en ce sens.
- Bref, les prestataires de service, entrepreneurs et travailleurs autonomes peuvent assurément se livrer à une action collective auprès (ou à l’encontre) de leurs clients ou donneurs d’ouvrage, c’est-à-dire à une « action intentionnelle et concertée à la poursuite d’un objectif commun »[203], mais le droit à un processus de négociation collective identique à celui dont jouissent les salariés, avec ses attributs particuliers, ne peut leur être reconnu. Conclure autrement serait outrepasser les limites actuellement fixées par la jurisprudence de la Cour suprême en matière de liberté d’association dans le contexte du travail.
- Je note que la doctrine regrette parfois cette situation : les travailleurs autonomes constituent aujourd’hui une part importante des ressources humaines et les conditions dans lesquelles certains ou certaines exécutent leur prestation sont loin d’être idéales et participent d’une forme d’exploitation. Ne devrait-on pas les faire bénéficier du modèle de négociation applicable aux salariés et pour les mêmes raisons, et le législateur ne devrait‑il pas intervenir afin d’en assurer la mise en œuvre, sans laquelle les travailleurs autonomes seraient dans l’incapacité, en pratique, d’exercer ce droit fondamental? On peut lire en ce sens les propos de la professeure Maude Choko, qui appuie ce point de vue, entre autres arguments, sur les obligations internationales du Canada. La professeure Choko n’en souhaiterait pas moins une intervention législative en ce sens, sans laquelle l’exercice de cette liberté risquerait de ne pas se matérialiser, vu l’isolement habituel de tels travailleurs[204].
- Avec égards, je ne pense pas que l’état actuel du droit permette de reconnaître généralement aux travailleurs autonomes et autres prestataires de services ou entrepreneurs l’intégralité des droits associatifs des salariés. On ne peut nier que les travailleurs autonomes ont une place significative dans le marché global du travail au sens large (et dans certains secteurs d’activités plus que dans d’autres), mais leurs situations sont trop diverses pour que l’on puisse leur appliquer le modèle de liberté d’association développé pour les salariés.
- D’abord, dans plusieurs cas, la question pourrait se résoudre d’elle-même par la détermination du véritable statut des personnes en cause : en effet, nombre de personnes œuvrant, encore aujourd’hui, sous l’étiquette de « travailleurs autonomes », particulièrement chez les moins favorisées, sont en réalité des salariées. Le problème, dès lors, n’en est pas un de liberté d’association, mais un de qualification juridique de la situation de l’individu et de son lien avec le donneur d’ouvrage.
- Ensuite, l’extension des droits associatifs des salariés aux travailleurs autonomes, sans distinction, paraît difficilement envisageable vu la variété de leurs conditions respectives, des circonstances d’exécution de leur prestation et du rapport de forces entre eux et leurs cocontractants. Ainsi, pour ne prendre que ce facteur, on ne peut mettre dans la même catégorie des individus qui travaillent pour un seul client, dans l’établissement de celui‑ci, et ceux qui en ont plusieurs (comme les comptables, par exemple, les notaires ou les médecins solos). Et, pour prendre un autre cas de figure, que faire des travailleurs autonomes qui ont eux-mêmes un ou des salariés à leur emploi? Sous un autre angle, le recours à des distinctions peut être périlleux, en l’absence de tout cadre législatif : devrait-on départager les travailleurs autonomes selon le degré de dépendance économique de chacun ou chacune par rapport à un ou des donneurs d’ouvrage/clients? En fonction de leur niveau de revenus? De la taille ou du succès de leur entreprise? Devrait-on plutôt réserver le droit à un processus de négociation cotnraignant aux travailleurs autonomes qui exécutent une prestation contractuelle foncièrement similaire à celle des salariés de l’employeur? Devrait-on tenir compte de la régularité de cette situation (le travailleur autonome est-il lié à long terme ou de manière récurrente à son client ou s'agit‑il de prestations occasionnelles – un remplacement, par ex.)? Devrait‑on inclure ou exclure les travailleurs autonomes agissant par le truchement d’une personne morale? Et ainsi de suite.
- Bref, les travailleurs autonomes, prestataires de services ou entrepreneurs ne présentent pas de caractéristiques suffisamment communes pour qu’on puisse, à l’instar des salariés, tous unis par un lien de subordination à leur employeur, en faire une catégorie générale à laquelle on pourrait reconnaître les mêmes droits associatifs qu’à ces derniers. En outre, les droits associatifs particuliers reconnus aux salariés (droit à un processus de négociation contraignant, incluant le droit de grève ou un mécanisme de remplacement obligatoire) ont été conçus en fonction du fait qu’ils travaillent pour l’entreprise d’autrui et que leur activité est intégrée à celle-ci, alors que les travailleurs autonomes, prestataires de services et autres entrepreneurs exploitent leur propre entreprise (artisanale ou moins artisanale) et travaillent à leur propre compte : cette différence fondamentale explique pourquoi on ne peut pas leur reconnaître exactement les mêmes droits associatifs.
- Finalement, on peut souligner aussi que la reconnaissance du droit associatif des salariés à un processus de négociation assorti du droit de grève repose sur un historique auquel plusieurs arrêts de la Cour suprême renvoient et dont la preuve ne révèle pas l’existence dans le cas des travailleurs autonomes (et j’entends par là ceux qui ont véritablement ce statut et n’en ont pas que l’étiquette), en tout cas pas dans la même mesure[205].
- Évidemment, ce n’est pas dire que le contenu de la liberté d’association ne peut pas évoluer : la Charte canadienne, et la même chose peut être dite de la Charte québécoise, étant un arbre vivant, l’on ne doit certainement pas en figer l'interprétation dans le temps. Cela dit, même dans une perspective téléologique, large et libérale, le droit actuel ne permet pas de conclure que toute personne a droit, dans son secteur d’activité, à une liberté d’association comportant exactement les mêmes droits que ceux des salariés, et l'on ne peut pas le reconnaître non plus à l’ensemble des travailleurs autonomes.
* *
- Les obligations internationales du Canada ne me semblent pas permettre d’en venir à une autre conclusion.
- On invoque ici, principalement, la Convention (n° 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical[206] et la Convention (n° 98) concernant l’application des principes du droit d'organisation et de négociation collective[207], toutes deux adoptées sous l’égide de l’Organisation internationale du travail et ratifiées par le Canada (la première en 1972, la seconde en 2017)[208]. On notera d’entrée de jeu que ces deux conventions utilisent le terme « travailleur », il est vrai, mais pour l’opposer aussitôt à celui d’« employeur ». La Convention n° 98 parle même de « la liberté syndicale en matière d’emploi »[209]. A priori, on pourrait donc être tenté de voir dans ces termes la marque d’une liberté d’association dont les aspects spécifiquement protégés par lesdites conventions sont réservés aux salariés, personnes contractuellement liées à un employeur.
- Mais, comme le font remarquer les intimés, ces deux conventions sont interprétées généreusement par le Comité de la liberté syndicale et celui-ci, fait-on valoir, a déjà reconnu dans plusieurs décisions la pleine jouissance des libertés syndicales aux « travailleurs de l’agriculture, […] travailleurs indépendants en général ou […] membres des professions libérales »[210], « [l]e critère à retenir pour définir les personnes couvertes n’[étant] donc pas la relation d’emploi avec un employeur »[211]. En effet, selon le Comité, « se référant à l’article 2 de la convention n° 87 », « la notion de travailleur recouvre non seulement le travailleur salarié mais aussi le travailleur indépendant ou autonome […] »[212].
- Or, il faut placer cette affirmation dans le contexte des affaires dont était saisi le Comité de la liberté syndicale et auxquelles renvoient les passages précités, c’est-à-dire les cas nos 1796 (304e rapport), 2059 (323e rapport), 2013 (326e rapport), 2221 (332e rapport), 2237 (335e rapport), 2239 (336e et 338e rapports), 2347 (336e rapport) et 2362 (337e rapport).
- Ainsi, le cas n° 1796 (Pérou, 304e rapport)[213] visait notamment des conventions de formation aux termes desquelles des personnes âgées de 16 à 25 ans pouvaient travailler dans une entreprise sans être soumises aux règles ordinaires du droit du travail, la loi prévoyant que ces conventions n’établissaient pas de lien d’emploi. Dans ce même cas, était également visé le personnel fourni sur place par des agences de placement ou des coopératives de travailleurs, personnel considéré comme n’entretenant pas de relation d’emploi avec l’entreprise utilisant leurs services. Le cas n° 2059 (Pérou, 323e rapport) concerne le comportement antisyndical d’une banque (intimidation, congédiement, discrimination entre syndiqués et non-syndiqués), mais aussi des conventions de formation semblables à celles du cas n° 1796 (à ce dernier propos, le Comité renvoie d’ailleurs directement à son rapport dans celui-ci). Le cas n° 2013 (Mexique, 326e rapport) concerne, entre autres, des contrats de prestation de services par des enseignants spécialisés (techniciens ou professionnels), contrats qui ne seraient pas, selon le gouvernement mexicain, de la nature de contrats de travail. La lecture du rapport, et notamment celle de ses paragraphes 404-406, laisse croire que ces enseignants sont en réalité des salariés, ce qu’ont reconnu quelques décisions judiciaires mexicaines.
- Selon toute vraisemblance, dans ces trois cas, les juristes québécois auraient conclu, de la même façon, que les personnes visées étaient des salariées[214]. C’est dans ce contexte qu’il faut dès lors placer la remarque du Comité de la liberté syndicale, selon qui l’existence d’une relation d’emploi n’est pas nécessaire. Ce que semble vouloir dire en réalité le Comité, c’est qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un contrat de travail formel et explicite entre le donneur d’ouvrage et l’exécutant, la réalité de la relation supplantant l’étiquette qu’on lui appose (règle que reconnaît d’ailleurs le droit québécois du travail).
- Le cas n° 2221 (Argentine, 332e rapport) concerne les vendeurs de journaux et de revues. Selon la partie plaignante, on aurait retiré à ces personnes, par un décret de 2003, la possibilité (reconnue en 1945) de se syndiquer et d’exercer les droits rattachés à la liberté d’association en matière de travail, droits qui furent reconnus historiquement par la loi de l’époque sans égard au fait que ces personnes puissent être des travailleurs autonomes. Le gouvernement se défend en faisant valoir que l’interprétation que l’organisation plaignante fait du décret est incorrecte et que les vendeurs de journaux et de revues jouissent toujours des droits en cause. Tout en donnant raison au gouvernement sur certains points (et tort sur d’autres) et tout en notant qu’il n’est pas en mesure de déterminer si les travailleurs en cause sont ou non des travailleurs autonomes, le Comité souligne que, de toute façon, tous les travailleurs doivent « avoir le droit de constituer les organisations de leur choix et de s’y affilier. Le critère à retenir pour définir les personnes couvertes n’est donc pas la relation d’emploi avec un employeur; cette relation est en effet souvent absente, comme pour les travailleurs de l’agriculture, les travailleurs indépendants en général ou les membres des professions libérales, qui doivent pourtant tous jouir du droit syndical » (paragr. 222). Avec égards, ce rappel, qui demeure très général et dont le langage ne correspond pas nécessairement à la réalité juridique québécoise[215], relève de l’obiter, dans un cadre par ailleurs assez particulier.
- Les cas 2237, 2239 et 2362 (Colombie, 335e, 336e, 337e et 338e rapports) portent sur divers sujets, dont celui des coopératives de travailleurs (« dont les membres sont leurs propres patrons », écrit le Comité au paragr. 72 de son 335e rapport, cas 2237). Dans ce même cas n° 2237, le Comité rappelle encore que « les travailleurs et les employeurs ont le droit de constituer des organisations de leur choix, […] [et] que la notion de travailleur recouvre non seulement le travailleur salarié mais aussi le travailleur indépendant ou autonome. Il estime que les travailleurs associés en coopératives devraient pouvoir constituer les organisations de leur choix et s’y affilier » (paragr. 72 du 335e rapport). Le Comité réitère les mêmes propos, en d’autres mots, dans le cas n° 2239 (336e rapport), affirmant que les travailleurs, vis-à-vis l’entité coopérative, « devraient jouir du droit d’association ou de constitution de syndicats » (paragr. 353). Dans le même cas n° 2239, mais selon le 338e rapport, paragr. 144, on revient sur le sujet des travailleurs de coopératives, en souhaitant que celles-ci « ne puissent pas être utilisées aux fins de se soustraire à la législation du travail et ne servent pas à établir des relations de travail déguisées ». Enfin, dans le cas n° 2362 (337e rapport, paragr. 757), le Comité invite encore « les gouvernements à veiller à ce que les coopératives ne soient pas utilisées pour contourner la législation du travail ou pour établir des relations de travail non déclarées » ou « des relations d’emploi déguisées », étant entendu « que les travailleurs, sans aucune distinction, ont le droit de constituer des organisations de leur choix ou de s’affilier à de telles organisations ».
- Dans le cas de ces quatre rapports, il est toutefois difficile de relier les commentaires du Comité sur les travailleurs indépendants ou autonomes à la problématique des travailleurs œuvrant au sein d’une coopérative de travailleurs ou dont les travailleurs sont recrutés pour remplacer les salariés licenciés d’une entreprise cliente. En outre, il semble que, en Colombie, du moins à l’époque, la nature des coopératives de travail aurait été tenue pour exclure tout rapport de subordination avec l’entité coopérative, d’où l’absence d’un rapport d’emploi. Or, ce n’est pas le cas en droit québécois, en vertu duquel les travailleurs d’une telle coopérative sont considérés comme des salariés jouissant de tous les droits, y compris associatifs, reconnus à ceux‑ci (voir d’ailleurs les dispositions que contient la Loi sur les coopératives[216] au sujet des coopératives de travail, et qui le laissent clairement entendre[217]). Par ailleurs, si la question du placement de salariés dans une entreprise cliente fait parfois problème en droit québécois ou canadien, ce n’est pas au chapitre de la qualification de « salarié », mais bien à celui de l’identification de l’employeur. Les droits syndicaux sont les mêmes et il ne reste qu’à savoir qui est l’employeur à qui on les opposera.
- Le cas n° 2347 (Mexique, 336e rapport) a trait à la liberté syndicale de footballeurs professionnels actifs et retraités. Le Comité y réitère que l’existence d’une relation d’emploi n'est pas nécessaire (paragr. 628, reprenant les mêmes mots que ceux du cas n° 2221, supra, paragr. [177]). Mais là encore, compte tenu du contexte factuel, l’observation a une portée limitée.
- En somme, l’examen de ces divers cas relativise l’affirmation du Comité de la liberté syndicale et, surtout, la transposition qu’on pourrait vouloir en faire dans l’univers juridique québécois (et canadien). Dans tous ces cas, le Comité fait connaître son opinion sur des régimes juridiques qui semblent avoir une vision plutôt formaliste du contrat de travail, ce qui n’est pas l’état du droit canadien et québécois. À mon avis, elle ne justifie pas d’étendre à l’ensemble des personnes qui sont de véritables travailleurs autonomes (entrepreneurs ou prestataires de services), au sens du droit québécois, les droits associatifs spécifiques que la Cour suprême a reconnus aux salariés et aux personnes qui peuvent, en raison de la réalité de leur relation avec le donneur d’ouvrage, aspirer à ce statut[218].
- Il est vrai que les tribunaux canadiens doivent favoriser une interprétation de la liberté d'association qui soit compatible avec les Conventions nos 87 et 98 (instruments contraignants vu leur ratification par le Canada), et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait, Cour suprême en tête, celle-ci ayant reconnu à la liberté d’association en matière de travail une portée conforme à ces instruments. Cela ne signifie pour autant pas que la jurisprudence du Comité de la liberté syndicale lie les tribunaux canadiens ou que ceux‑ci, dans l’interprétation téléologique qu’ils font de la Charte canadienne (ou québécoise), ne peuvent s’écarter de cette jurisprudence ou faire les distinctions et adaptations qu’imposent le droit constitutionnel local ainsi que le droit du travail provincial ou fédéral, selon le cas. Comme le rappelle la Cour suprême, l’exercice interprétatif est d’abord ciblé sur le texte national (ou provincial, selon le cas)[219], et certainement sur son contexte propre. En l’occurrence, la jurisprudence de la Cour suprême sur la liberté d’association en matière de travail se rapporte à la seule relation salarié‑employeur (relation qui est fondée sur la réalité de la relation, dans une perspective de protection généreuse) et les droits associatifs qui la définissent ont été structurés et configurés en fonction d’une telle relation.
* *
- Mais si l’on peut considérer que, aux fins de l’exercice de la liberté d’association, il n’y a pas lieu d’étendre aux travailleurs autonomes en général le droit qu’ont les salariés à un processus de négociation collective contraignant (incluant le droit de grève ou son substitut), pourrait‑on néanmoins le reconnaître aux Ressources seulement, et ce, en raison de la nature particulière de leurs fonctions et de leurs rapports avec leurs donneurs d’ouvrage, les établissements de santé et de services sociaux, ici figures du gouvernement? C’est d’ailleurs là la question que soulève le juge de première instance :
[203] La véritable question n’est donc pas de savoir si les enseignements de Saskatchewan [renvoi omis] profitent aux prestataires de services, mais plutôt, s’ils s’appliquent aux Ressources eu égard à leur situation particulière et au régime législatif qui les gouverne.
- Comme on le sait, le juge a répondu à cette question par l’affirmative, essentiellement en raison de la vulnérabilité particulière des Ressources, qui ne pourraient autrement affronter l’entité plus puissante (en l’occurrence l’État) avec laquelle elles font affaire. Voici quelques extraits de son jugement (dont certains ont été reproduits plus haut, supra, paragr. [154], mais sont repris ici par commodité) :
[198] Le droit de faire la grève n’appartient pas à un groupe de salariés en raison de leur statut juridique mais plutôt parce qu’il est nécessaire pour rétablir le rapport de force qui leur permettra de mener une véritable négociation collective de leurs conditions de travail.
[199] S’il s’agit d’individus vulnérables que l’on doit protéger « contre tout isolement imposé par l'état dans la poursuite de ses fins » et à qui il faut permettre de négocier à armes plus égales avec une entité plus puissante, le Tribunal ne voit pas au nom de quel principe juridique la protection de l’article 2d) devrait leur être refusée.
[…]
[205] D’une part, les Ressources correspondent aux citoyens isolés qui ont besoin de la protection de l’article 2d) de la Charte. La preuve le démontre amplement. Elles travaillent dans la résidence dans laquelle elles vivent avec leur famille. Elles ne se côtoient pas au quotidien.
[Renvois omis]
- Avec égards, je ne crois pas que l’argument de la « vulnérabilité » soit suffisant pour qu’on traite les Ressources exactement comme les salariés aux fins de l’exercice de leur liberté d’association. Je m’explique.
- La liberté d’association est, en elle-même, le remède à l’isolement et à la vulnérabilité de l’individu : l’union fait la force, et c’est précisément ce qu’entendent promouvoir et protéger l’al. 2d) de la Charte canadienne et la disposition équivalente de la Charte québécoise. Or, et je reviens sur un argument évoqué plus haut (voir supra, paragr. [152] et [162]), les Ressources, même sans la LRR, disposent de cette liberté dans ses composantes fondamentales, c’est-à-dire qu’elles ont « la liberté de s'unir dans la poursuite d'un objectif commun ou pour promouvoir une cause commune »[220], ce qui les « protège […] de la vulnérabilité résultant de l'isolement et qui assure la possibilité d'avoir une participation efficace dans la société »[221]. Pour le reste, c’est la vulnérabilité accrue propre aux salariés (et « inhérentes aux relations employeur-employé », comme le disait le juge en chef Dickson[222], en raison de leur statut de subordination dans l’entreprise d’autrui) qui justifie l’inclusion dans la liberté d’association du droit à un processus de négociation contraignant pour l’employeur et assorti du droit de grève. Or, cet élément est absent de la relation entre le travailleur autonome (prestataire de services ou entrepreneur) et le donneur d’ouvrage, comme on l’a vu également, et il l’est aussi dans le cas des Ressources.
- Les Ressources, je le rappelle, n'ont en effet pas contesté leur statut d’entrepreneur, elles ne prétendent pas être des salariés ou être juridiquement subordonnées aux établissements et, au demeurant, elles jouissent d’une latitude importante dans l’exécution de leur prestation, latitude sur laquelle insistent d’ailleurs les ententes collectives négociées à ce jour. Ceci distingue nettement la situation soumise à la Cour supérieure et à notre cour dans le cadre du présent dossier de celle qui fut présentée à la Cour supérieure dans le dossier ayant mené au jugement Grenier de 2008[223], lequel ne peut plus servir de base à l’analyse de la liberté d’association des Ressources.
* *
- Bref, et en conclusion, pour toutes ces raisons, j’estime que les Ressources, comme chacun et chacune, jouissent de la liberté d’association en ce que, indépendamment de la LRR, elles peuvent librement constituer des associations ou y appartenir, à l’abri de toute influence du donneur d’ouvrage (gouvernement ou établissements), et exercer des activités associatives collectives pour faire valoir leurs revendications. Ces droits ne leur sont pas enlevés par la LRR, quoiqu’ils soient encadrés par un processus de reconnaissance des associations de ressources et par la dévolution d’un monopole de représentation à ces dernières. Les intimés ne contestent toutefois d’aucune façon cet encadrement, pas plus qu’ils ne contestent, du moins pas généralement, l’existence du processus de négociation obligatoire mis en place par la LRR aux fins de la détermination des conditions d’exécution de la prestation des Ressources, processus auquel le gouvernement est tenu de se soumettre avec diligence et bonne foi (art. 39 et 40 LRR).
- Quant au droit à un processus de négociation incluant le droit de grève (ou, à défaut, un mécanisme de rechange contraignant), elles n’y ont pas accès, ce droit n’appartenant qu’aux salariés. Cela dit, les Ressources et leurs associations ne sont pas dépourvues de tout recours ou de tout moyen de pression dans le cas où le ministre ne se conformerait pas à son obligation de négocier de bonne foi : certes, la LRR ne prévoit pas de recours particulier en pareil cas, mais les associations peuvent toujours s’adresser aux tribunaux de droit commun pour assurer la mise en œuvre de cette obligation légale du ministre.
i.3 Conclusion générale
- En résumé, les Ressources, comme toute personne, bénéficient de la liberté d’association que garantissent l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise : elles ont le droit de s’unir, de constituer des associations, de participer aux activités de celles-ci, de faire valoir leurs revendications collectivement et d’agir en conséquence. Ont-elles droit cependant, à cette dernière fin, à la protection spécifique qu’offrent aux salariés l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise par l’établissement d’un processus de négociation ayant les caractéristiques que l’on a vues?
- Elles ne l’ont pas : cette protection, issue d’un historique et d’un contexte précis, est réservée aux salariés et aux associations de salariés. Les Ressources n’étant pas des salariées, mais des prestataires de services (de type « travailleurs autonomes »), qualification qu’elles n’ont pas contestée, elles et leurs associations ne peuvent en bénéficier. À ce jour, la jurisprudence de la Cour suprême en la matière n’est pas allée jusqu’à reconnaître cette déclinaison de la liberté d’association à d’autres que les salariés et l’histoire des rapports collectifs de travail au Québec (comme au Canada) ne milite pas en faveur de cette reconnaissance. Les droits revendiqués en l’espèce (processus de négociation contraignant incluant le droit de grève ou, à défaut de celui-ci, un mécanisme de rechange adéquat au sens de l’art. 1 de la Charte canadienne ou 9.1 de la Charte québécoise) et les activités qui les sous‑tendent ne relèvent donc pas du domaine de l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise dans l’application de ces dispositions aux Ressources.
- Cela dit, sauf quant au droit de grève et autres moyens de pression, la LRR, dans les faits, établit un régime de rapports collectifs compatible avec les garanties constitutionnelles propres à la liberté d’association reconnue aux salariés, régime qui, par ailleurs, n’entrave pas les composantes basiques de la liberté d’association reconnue à toute personne. En effet, la LRR, généralement modelée sur le Code du travail et autres lois du genre, confère aux Ressources 1° le droit de se regrouper au sein d’associations indépendantes et librement formées, qui seront officiellement accréditées et ainsi reconnues, de même que 2° le droit de faire, par le truchement de ces associations, des représentations collectives aux instances gouvernementales, qui sont tenues de les considérer avec diligence et bonne foi, dans le cadre d’un processus de négociation obligatoire.
- Conséquemment, l’affaire devrait donc s’arrêter ici, le jugement de première instance infirmé à cet égard, comme le demandent les appelants, et les recours des intimés rejetés.
ii. Subsidiairement, la LRR, par son objet ou son effet, entrave-t-elle substantiellement la liberté d’association des Ressources et, le cas échéant, cette entrave est-elle légitimée par les dispositions justificatrices des chartes?
- Même si cela n’est pas nécessaire vu la conclusion à laquelle j’en viens ci-dessus, je crois utile de faire quelques commentaires subsidiaires sur deux des entraves alléguées par les intimés, qui touchent le retrait de certains sujets du domaine de la négociation prévue par la LRR, à savoir la rétribution (art. 33 paragr. 1 LRR) et la durée des ententes spécifiques (art. 37 paragr. 2 et 55 al. 1 LRR).
- Rappelons d’abord que les intimés n’ont contesté que l’art. 33 paragr. 1 LRR et non l’art. 34, disposition, qui, notamment en ses paragr. 1 et 2, pose elle aussi quelques balises à la négociation de la rétribution.
- Il n’y a aucun doute sur le fait que la rétribution, c’est-à-dire la rémunération, est l’un de ces sujets qui ne peuvent être exclus de la négociation collective, sous réserve des dispositions justificatrices des chartes. Il s’agit en effet d’un sujet d’importance au sens de l’arrêt Health Services[224], un sujet qui est au cœur de la relation entre personne salariée et employeur. Le retirer de la négociation pour le laisser entre les mains de ce dernier, même partiellement, ou le fixer par la loi réduit forcément ou entrave le pouvoir de négociation du premier. Là-dessus, la jurisprudence de la Cour suprême est claire et incontournable[225]. C’est ce que reconnaît à bon droit le juge de première instance, en l’espèce, et qu’il applique aux Ressources au regard de l’art. 33 paragr. 1 LRR.
- Cependant, quoique je sois pleinement d’accord avec le juge sur le principe, je ne le suis pas en ce qui concerne la lecture qu’il fait de l’art. 33 paragr. 1 LRR.
- Essentiellement, selon le juge de première instance, cette disposition ne permettrait pas de négocier tous les volets de la rémunération des Ressources, mais les enfermerait dans un carcan décidé par l’État, celui de la classification des services établie par le ministre de la Santé et des Services sociaux en vertu de l’art. 303 LSSSS. Il serait impossible de rémunérer les services des Ressources autrement qu’en fonction de cette classification, et donc sans égard aux services qu’elles offrent en réalité aux usagers et aux tâches qu’elles accomplissent à leur bénéfice. Il conclut ainsi que :
[323] Le Tribunal constate que le cadre juridique applicable ne permet pas aux Ressources de négocier une rétribution à la hauteur de la prestation livrée. Il en est ainsi parce que la LRR permet au MSSS, par le truchement du Règlement sur la classification, de déterminer unilatéralement certains éléments de leur rétribution.
[…]
[326] Il y a donc une entrave substantielle au droit des Ressources de négocier collectivement leur rétribution.
- Or, à mon avis, l’art. 33 paragr. 1 LRR ne restreint pas le pouvoir de négociation des Ressources et de leurs associations à cet égard et la lecture étroite que les parties semblent en avoir faite ne correspond pas à son libellé ni au contexte général de la loi.
- Reproduisons ici intégralement le texte de l’art. 33 LRR :
33. Une entente collective peut notamment porter sur les matières suivantes : | 33. The subjects covered in the group agreement may include the following: |
1° les modes et l’échelle de rétribution des services et des rétributions spéciales des ressources visées par l’entente, en tenant compte de la classification établie par le ministre en vertu de l’article 303 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), et les diverses mesures et modalités relatives au paiement de cette rétribution; | (1) the modes and scale of remuneration for the services delivered by the resources to which the agreement applies and of special remuneration for such resources, taking into account the classification established by the Minister under section 303 of the Act respecting health services and social services (chapter S‑4.2), as well as the various measures and the terms and conditions applicable to the payment of the remuneration; |
2° les montants destinés à donner accès à des programmes et à des services répondant aux besoins des ressources, notamment en matière de régimes sociaux, de santé, de sécurité, de formation et de perfectionnement; | (2) the amounts intended to provide the resources with access to programs and services that meet their needs, in particular with regard to plans in such areas as employment benefits, health, safety, training and professional development; |
3° les conditions et modalités applicables aux congés dont peuvent bénéficier les ressources; | (3) the terms and conditions applicable to days of leave for resources; |
4° la procédure de règlement d’une mésentente relative à l’interprétation ou à l’application d’une entente collective; | (4) the procedure for settling disagreements as to the interpretation or application of the provisions of the group agreement; and |
5° la mise sur pied de comités pour établir les modalités d’application des différents programmes. | (5) the setting up of committees to determine the mechanics of the different programs. |
| [Je souligne] |
- Cette disposition énumère une série de sujets pouvant faire l’objet de l’entente collective et, par conséquent, de la négociation menant à celle‑ci. La liste de ces sujets n’est cependant pas exhaustive, ce dont fait foi le « notamment / may include » qu'emploie l'alinéa introductif. Or, s’il est possible, en vertu du premier paragraphe de l’art. 33 de négocier « les modes et l’échelle de rétribution des services et des rétributions spéciales / the modes and scale of remuneration […] and of special remuneration », tout en « tenant compte / taking into account » de la classification établie par le ministre (classification qui détermine le degré de services requis par chaque usager, et ce, en six catégories), comment pourrait-on neutraliser cette possibilité en faisant de cette classification la base unique et limitative de l’échelle de rétribution?
- Pourtant, si l’on examiner les ententes collectives[226], il semble bien que cette interprétation restrictive ait été celle que les parties ont donnée à l’art. 33 paragr. 1 ou, du moins, celle sur laquelle elles se sont entendues, dans les faits, lors des négociations ayant mené à ces ententes. Les intimés se plaignent de cette interprétation, qui restreindrait indûment leur pouvoir de négociation.
- Le juge de première instance expose le problème de la manière suivante :
[315] La rétribution des Ressources repose sur une liste de descripteurs de tâches qui n’est pas susceptible de faire l’objet d’une négociation.
[316] Il s’agit de l’alimentation, l’habillement, l’hygiène, l’élimination, la mobilité, le contrôle des impulsions, la maîtrise des émotions, la capacité relationnelle, le contrôle de comportements autodestructeurs, l’intégration, la vie autonome, la prise de médication, les soins et l’accompagnement aux rendez-vous.
[317] Chaque tâche est évaluée en fonction de critères permettant d’y accorder une cote qui ne fait l’objet d’aucune négociation. Par exemple, en ce qui a trait à l’alimentation, aucune cote n’est accordée si l’usager a simplement besoin d’être aidé, encadré, rappelé, stimulé et surveillé. S’il s’agit d’apprendre à un enfant à s’alimenter, une cote de six est accordée à la ressource. Si le gavage est requis, c’est une cote de 30 qui lui est donnée.
[318] L’article 5 du Règlement sur la classification indique que « le niveau de service requis par l’usager est déterminé par l’addition des cotes les plus élevées obtenues sous chacun des descripteurs ». Selon le résultat obtenu, les services appartiennent à l’un des six niveaux de services suivants :
1° services de niveau 1 : 34 points et moins;
2° services de niveau 2 : de 35 à 69 points;
3° services de niveau 3 : de 70 à 104 points;
4° services de niveau 4 : de 105 à 139 points;
5° services de niveau 5 : de 140 à 174 points;
6° services de niveau 6 : 175 points et plus.
[319] Ces six niveaux et l’écart entre chacun ne sont pas non plus négociables.
[320] Les Ressources ne se plaignent pas de ne pas avoir voix au chapitre dans la détermination du niveau de service d’un usager donné. Elles reconnaissent, faut-il le répéter, que cela relève de l’évaluation clinique. Il ne s’agit donc pas de savoir si un usager a besoin ou non de certains soins mais plutôt ce que vaut la prestation de la Ressource en fonction du temps qu’elle doit y accorder et de son rapport avec les autres tâches qu’elle doit exécuter.
[321] De plus, le Règlement sur la classification ne prévoit que six niveaux de services. Encore une fois, ce nombre ne peut faire l’objet, aux fins de la rétribution, d’aucune négociation tout comme l’écart de 34 points existants entre chaque niveau.
[322] Le sixième niveau, le plus élevé, est attribué lorsque le pointage est de 175 et plus. Pourtant, le nombre maximal de points pouvant être attribué à un usager est de 268. C’est donc dire que la rémunération qu’une Ressource reçoit avec un pointage de 175 est identique à celle que lui vaudrait un pointage de 268. Par contre, la prestation requise dans ce dernier cas est beaucoup plus exigeante que dans le premier.
[Renvois omis]
- Mais reprenons l’exercice.
- La classification à laquelle renvoie le paragraphe 1 de l’art. 33 LRR est établie en vertu de l’art. 303 LSSSS, disposition applicable tant aux ressources intermédiaires qu’aux ressources de type familial (dans ce dernier cas par l’effet de l’art. 314 LSSSS). L’art. 303 énonce que :
303. Afin de favoriser un encadrement adéquat et la mise en place rationnelle des ressources intermédiaires et d’assurer la flexibilité nécessaire à l’émergence de nouvelles ressources, le ministre établit une classification des services offerts par les ressources intermédiaires qui est fondée sur le degré de soutien ou d’assistance requis par les usagers. | 303. In order to foster an adequate framework and the regional implementation of intermediate resources, and to ensure sufficient flexibility for the emergence of new resources, the Minister shall propose to agencies a classification of the services offered by intermediate resources based on the degree of support or assistance required by users. |
Le ministre identifie également les orientations que les agences doivent suivre dans la détermination des modalités d’accès aux services des ressources intermédiaires dont les critères généraux d’admission dans ces ressources. | The Minister shall also identify the policy to be followed by agencies in determining the rules and procedures governing access to the services provided by intermediate resources, including the general criteria for admission to such resources. |
La rétribution applicable pour chaque type de services prévus dans la classification établie en application du premier alinéa est déterminée, selon le cas : | The remuneration for each type of service listed in the classification established under the first paragraph is determined |
1° conformément aux dispositions de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant (chapitre R-24.0.2), pour les ressources intermédiaires représentées par une association reconnue en vertu de cette loi; | (1) in accordance with the Act respecting the representation of family-type resources and certain intermediate resources and the negotiation process for their group agreements (chapter R‑24.0.2) in the case of intermediate resources represented by an association recognized under that Act; |
2° par le ministre, avec l’autorisation du Conseil du trésor et aux conditions qu’il détermine, pour les ressources intermédiaires visées par cette loi, mais qui ne sont pas représentées par une association reconnue en vertu de cette loi; | (2) by the Minister, with the authorization of the Conseil du trésor and on the conditions it determines, in the case of intermediate resources to whom that Act applies but who are not represented by an association recognized under that Act; or |
3° conformément aux dispositions de l’article 303.1, pour les ressources intermédiaires qui ne sont pas visées par cette loi. | (3) in accordance with section 303.1, in the case of intermediate resources to whom that Act does not apply. |
| [Je souligne] |
- Les deux premiers alinéas de cette disposition ne concernent pas la rétribution des Ressources, mais les objectifs poursuivis par la classification, qui permet de catégoriser les usagers selon le degré de soutien et d’assistance qu’ils requièrent, et ce, afin de les placer auprès de Ressources adéquates dont le recrutement sera fait en conséquence. Quant à la rétribution des services ainsi prévus, le troisième alinéa, en son paragraphe 1, prévoit expressément que, en ce qui touche les Ressources représentées par des associations reconnues en vertu de la LRR, elle sera déterminée conformément à celle-ci, ce qui renvoie aux art. 33 à 36 et, en l’occurrence, à l’art. 33 paragr. 1 LRR.
- De son côté, le Règlement sur la classification des services offerts par une ressource intermédiaire et une ressource de type familial[227] adopté en vertu de l’art. 303 al. 1 LSSSS prévoit effectivement six niveaux de services aux usagers, que le jugement de première instance décrit bien. Les Ressources sont, conformément à l’art. 2 de ce règlement, tenues d’offrir les services requis par les usagers selon cette classification. Des points sont attribués à chaque soin ou service, dont le total établit les six niveaux suivants :
5. Une fois la partie 2 de l’Instrument complétée, le niveau de services requis par l’usager est déterminé par l’addition des cotes les plus élevées obtenues sous chacun des descripteurs. Selon le résultat obtenu, les services appartiennent à l’un des niveaux de services suivants : | 5. Once Part 2 of the form is completed, the level of services required by the user is determined by adding the highest ratings obtained under each descriptor. Depending on the result obtained, the services belong to one of the following level of services: |
1° services de niveau 1 : 34 points et moins; | (1) level 1 services: 34 points or less; |
2° services de niveau 2 : de 35 à 69 points; | (2) level 2 services: from 35 to 69 points; |
3° services de niveau 3 : de 70 à 104 points; | (3) level 3 services: from 70 to 104 points; |
4° services de niveau 4 : de 105 à 139 points; | (4) level 4 services: from 105 to 139 points; |
5° services de niveau 5 : de 140 à 174 points; | (5) level 5 services: from 140 to 174 points; |
6° services de niveau 6 : 175 points et plus. | (6) level 6 services: 175 points or more. |
- L’on comprend bien que, pour tenir compte de cette classification, comme le veut l’art. 33 paragr. 1 LRR, mais aussi l’art. 303 al. 3 LSSSS, les Ressources recevront une rétribution proportionnelle à la quantité ou la nature, plus ou moins exigeante, des services offerts aux usagers. La Ressource qui s’occupe d’un usager de niveau 6 recevra donc pour les services qu’elle lui offre une rétribution ou une rétribution spéciale plus élevée que la rétribution relative à un usager de niveau 1. Mais, a priori, rien dans le texte de l’art. 33 paragr. 1 LRR n'oblige les parties à s’en tenir strictement aux paliers établis par la classification ou ne les empêche de moduler plus finement la rétribution des Ressources.
- Par exemple, au niveau 6 de la classification, la rétribution pourrait être fixée de telle manière qu’elle augmente proportionnellement à l’accroissement du pointage réel attribué à l’usager, au‑delà du seuil de 175 points. De plus, rien n’interdit aux parties, sur la base de cette classification, de négocier la rétribution pour des niveaux interstitiels de service : il paraît tout à fait possible d’établir une échelle de rétribution ou de rétribution spéciale, comme le permet expressément le paragr. 33(1) LRR, échelle qui tiendrait compte des intervalles entre les niveaux. Rien dans le texte de la disposition législative ne le proscrit. Au contraire, elle permet en toutes lettres de négocier l’échelle de rétribution.
- De plus, vu que les « modes […] de rétribution / modes […] of remuneration », et non seulement l’échelle, peuvent faire l’objet d’une entente et donc d’une négociation entre les parties, rien ne semble exclure non plus une rétribution sur une base annuelle, fixée en fonction du niveau de services requis, selon la classification, par chacun des usagers dont s’occupe chaque Ressource. Ce serait une autre façon de « tenir compte » de cette classification, qui est prévue essentiellement à des fins cliniques (comme le reconnaissent les appelants).
- On ne peut pas opposer le libellé de l’art. 303 al. 3 LSSSS à cette interprétation, en faisant valoir que cette disposition impose une rétribution strictement limitée à « chaque type de services prévus dans la classification / each type of service listed in the classification ». Une telle lecture exclurait la possibilité de négocier quoi que ce soit d’autre et, si elle devait prévaloir, elle neutraliserait complètement l’art. 33 paragr. 1 LRR, qui prévoit au contraire que la convention – et donc la négociation de celle-ci par les parties – peut notamment porter sur les modes et sur l’échelle (« the modes and scale ») de rétribution des services et des rétributions spéciales des Ressources. On doit donc assurément tenir compte de la classification, comme le veut l’art. 33 LRR lui-même, mais cela ne peut signifier que les parties, habilitées expressément à négocier les modes de rétribution (et non seulement l’échelle), soient littéralement corsetées par cette classification.
- Bref, je ne vois pas dans l’art. 33, et notamment dans son paragraphe 1, lu en conjonction avec l'art. 303 al. 3(1°) LSSSS, ce qui obligerait les parties à calquer l’échelle de rétribution des Ressources sur l’échelle de classification elle-même. Le texte même de la disposition est beaucoup plus large. Certes, il invite les parties à « tenir compte / take into account » de cette classification (c’est-à-dire à la prendre en considération[228], to consider[229] ou to give something consideration[230], à lui accorder une certaine importance[231], to take into consideration, esp. as a contributory factor; to notice[232]) et à reconnaître ainsi, implicitement, le principe selon lequel la rétribution doit s’accroître avec la lourdeur de la tâche. Pour le reste, les parties sont entièrement libres de négocier notamment les modes et l’échelle de rétribution des services et des rétributions spéciales, ce qui est une habilitation libérale, ouverte et permissive.
- Il est vrai que les Ressources ne peuvent pas collectivement négocier la classification même des usagers ou le niveau de service requis, en raison de l’art. 37 paragr. 1 LRR, qui réserve cet exercice aux établissements. En ce sens, on peut peut‑être dire qu’elles ne contrôlent pas entièrement ni ne peuvent négocier tous les volets de leur rétribution. Ce n’est toutefois pas là le cœur de leur contestation (le juge de première instance note d’ailleurs que « [l]es Ressources ne se plaignent pas de ne pas avoir voix au chapitre dans la détermination du niveau de services d’un usager donné »[233] et qu’« [e]lles reconnaissent, faut-il le répéter, que cela relève de l’évaluation clinique »[234]). Et s’il ne demeure que cette restriction, il ne s’agit de toute façon pas d’une entrave substantielle à leur droit de négocier, c’est‑à‑dire une entrave qui compromet significativement la capacité de négocier des associations de ressources ou l’affaiblit.
- Il faut tenir compte également des lettres d’entente jointes aux ententes collectives conclues à ce jour et qui leur confient un certain rôle à ce chapitre en demandant la révision de la classification d’un usager à la lumière des soins et services qu’elles lui dispensent en réalité[235]. Selon ces lettres, la décision prise par l’établissement à la suite de ce processus ne peut être contestée par grief ou autrement, ce qui est compréhensible, s’agissant de la prérogative de l’entité qui est ultimement responsable de l’usager[236]. Mais, de facto, ce type d’arrangement réduit encore l’entrave, si tant est qu’on puisse user de ce mot.
- Enfin, il est vrai aussi que l’art. 34 prévoit une façon de procéder à la fixation de la rétribution en imposant aux parties de considérer la rémunération de personnes exerçant des activités analogues, personnes que les parties identifient de concert (art. 34 paragr. 1). Elles doivent également s’assurer que la rétribution nette d’une ressource soit équitable par rapport au salaire auquel ces personnes ont droit (art. 34 paragr. 2). Le calcul de la rétribution nette doit tenir compte des dépenses de fonctionnement rattachées à la prestation de services (art. 34 paragr. 3). La rétribution quotidienne des Ressources doit par ailleurs inclure, comme on l’a vu précédemment, des montants tenant lieu de compensation pour certains congés, pour la participation des Ressources à l’assurance parentale ou au régime de rentes du Québec et pour l’accès à la protection prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles de même que certains services en matière de régimes sociaux (art. 34 paragr. 4). Les intimés n’ont toutefois pas contesté cet art. 34, et l’on comprend qu’ils n’estiment pas que cette disposition, même dans ses deux premiers paragraphes, constitue une entrave substantielle à leur liberté de négociation. On comprend pourquoi et l’on ne peut qu’être d’accord.
- En définitive, l’art. 33 LRR ne limite pas le droit des intimés de négocier avec leur vis‑à‑vis, notamment, « les modes et l’échelle de rétributions des services et des rétributions spéciales / the modes and scale of remuneration for the services […] and of special remuneration ». D’ailleurs, les appelants le reconnaissent dans leur mémoire (et l’ont également reconnu, par la voix de leurs avocats, lors de l’audience d’appel) :
80. L’article 33 LRR prévoit expressément que la rétribution est une matière négociable, alors que l’article 34 énumère les paramètres à respecter par les parties pour déterminer celle-ci. La rétribution des ressources, dans sa globalité, est une matière négociable.
[…]
90. À cet égard, réitérons que la LRR prévoit expressément que la rétribution est une matière négociable [renvoi omis]. De plus, la détermination par les parties d’un emploi analogue est un élément important dans la détermination de la rétribution des ressources, tel qu’il sera plus amplement question à la section 2.2 du mémoire.
- Conclure autrement serait d’ailleurs ignorer les termes mêmes de l’art. 33 : si celui‑ci prévoit que l’entente collective peut notamment porter sur les modes et les échelles de rétribution des services et des rétributions spéciales, et donc de négocier ces modes et échelles, ce n’est pas pour imposer le seul modèle adopté par le Règlement sur la classification ni limiter la négociation à cette classification, qui sert des objectifs cliniques et non salariaux.
- Les parties peuvent donc négocier librement la rétribution, c’est‑à‑dire les modes et les échelles de rétribution des services et des rétributions spéciales (sous réserve du processus et des sujets prévus par l’art. 34, qui n’est pas contesté). Cette négociation n’est pas tributaire de la classification effectuée en vertu du Règlement sur la classification ni réduite à la manière dont se présente cette classification, quoiqu’elle doive en tenir compte, ce qui signifie que la rétribution doit être liée, d’une manière ou d’une autre, aux services et soins fournis. Il est difficile d’envisager qu’il en aille autrement chez des prestataires de services qui peuvent avoir des tâches vastement différentes selon la classification de leurs usagers. Pour autant, cela ne signifie pas que la rétribution doit être, comme je le mentionnais précédemment, le calque de la classification. Les appelants le concèdent. Que les parties n’aient pas usé de cette latitude dans le passé ne change rien au droit qu’elles ont de négocier ces sujets. Cela étant, on ne peut conclure que l’art. 33 paragr. 1 LRR entrave substantiellement le droit de négocier des intimés.
- L’art. 55 LRR prévoit l’existence d’une entente spécifique entre l’établissement public et la ressource à laquelle elle confie des usagers, entente spécifique qui régit certains aspects de leur relation :
55. Une entente spécifique entre un établissement public et une ressource visée par une entente collective ne peut contrevenir aux dispositions de cette dernière. Elle doit porter exclusivement sur le nombre de places reconnues à la ressource, le type d’usagers pouvant lui être confiés, l’identification des répondants des parties aux fins de leurs relations d’affaires et sa durée. | 55. A specific agreement between a public institution and a resource to whom a group agreement applies may not contravene the provisions of the group agreement. It must pertain exclusively to the number of recognized places assigned to the resource, the type of users that may be referred to the resource, the identification of the guarantors of the parties for the purpose of their business relationship, and its term. |
Une entente spécifique est incessible. Elle n’est pas visée par l’article 108 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ni n’est assujettie à la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1). | A specific agreement may not be transferred. It does not come under section 108 of the Act respecting health services and social services (chapter S-4.2) nor is it subject to the Act respecting contracting by public bodies (chapter C-65.1). |
L’établissement public signataire ne peut modifier l’entente spécifique, y mettre fin avant l’arrivée du terme ou empêcher son renouvellement sans avoir obtenu l’autorisation de l’agence concernée. | A public institution that has signed a specific agreement may not amend it, terminate it before its expiry or prevent its renewal without the authorization of the agency concerned. |
Une entente visée au présent article n’est pas un contrat avec un sous-entrepreneur ou un sous-traitant au sens de l’article 95 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1). | An agreement referred to in this section is not a contract with a subcontractor within the meaning of section 95 of the Act respecting labour standards (chapter N-1.1). |
| [Je souligne] |
- On comprend du texte du premier alinéa de cette disposition que l’entente spécifique, contrat bilatéral entre l’établissement et la Ressource, vise quatre sujets, négociés au cas par cas : le nombre de places reconnues à la Ressource, le type d’usagers pouvant lui être confiés, l’identification des répondants des parties aux fins de leurs relations d’affaires et sa durée. Comme le prévoit l’art. 37 paragr. 2 LRR, ces sujets ne peuvent faire l’objet d’une entente collective et ne peuvent donc être négociés autrement que par l’établissement et la Ressource, individuellement :
37. Une entente collective ne peut porter : | 37. A group agreement may not deal with |
1° sur une règle, une norme ou une mesure établie dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), dans la Loi sur la protection de la jeunesse (chapitre P-34.1) ou dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (Lois du Canada, 2002, chapitre 1) ou leurs règlements et à laquelle est déjà assujettie la ressource visée par l’entente collective; | (1) a rule, standard or measure to which the resources to whom the group agreement applies are already subject under the Act respecting health services and social services (chapter S-4.2), the Youth Protection Act (chapter P-34.1) or the Youth Criminal Justice Act (Statutes of Canada, 2002, chapter 1) or their regulations; |
2° sur les matières exclusives d’une entente spécifique visée à l’article 55; | (2) subjects exclusive to a specific agreement referred to in section 55; or |
3° sur l’exercice des pouvoirs et responsabilités énoncés aux articles 62 et 63. | (3) the exercise of the powers and responsibilities referred to in sections 62 and 63. |
| [Je souligne] |
- Le débat entre les parties porte, en appel, sur la seule question de la durée de l’entente spécifique (ce qui inclut la durée de son renouvellement)[237], durée qui est fixée par l’établissement et la Ressource aux termes de l’entente spécifique qu’elles concluent. Le fait que ce sujet ne puisse faire l’objet de l’entente collective constitue-t-il une entrave substantielle au droit de négocier des associations de ressources et, partant, à leur liberté d’association?
- Se fondant sur certaines lettres d’entente que les associations et le gouvernement ont conclues au cours des ans à propos de la durée des ententes spécifiques, lettres qui ne font pas partie des ententes collectives (aux termes mêmes de celles-ci), le juge de première instance conclut que :
[328] Selon l’article 37 de la LRR, une entente collective ne peut porter sur la durée des ententes spécifiques. C’est individuellement que chaque Ressource doit négocier la durée de son entente spécifique telle que le prévoit spécifiquement l’article 55 de la LRR.
[329] Malgré cette interdiction qui leur est faite, les parties ont négocié collectivement une entente quant à la durée des ententes spécifiques. Celle-ci est consignée dans la lettre d’entente n° 7 qui est classée dans la section informative des ententes collectives.
[…]
[333] De fait, la preuve démontre que les établissements publics concluent des ententes spécifiques avec les Ressources d’une durée de trois ans pouvant être renouvelées pour cette même période et selon les mêmes termes et conditions.
[334] De plus, il est démontré que le non-renouvellement d’une entente spécifique à son terme de trois ans demeure un cas d’exception.
[335] Ainsi, en pratique, la durée d’une entente spécifique n’est pas laissée à la discrétion de l’établissement public avec lequel une Ressource contracte.
[336] Le MSSS a donc contourné l’interdiction de négocier la durée des ententes spécifiques au moyen de la signature d’une lettre d’entente dans la section informative.
[337] Deux constats s’imposent.
[338] Premièrement, le comportement des parties démontre que rien ne s’oppose à ce que la durée des ententes spécifiques puisse faire l’objet d’une négociation collective. La lettre d’entente n° 7 en est la preuve.
[339] Deuxièmement, le fait que la lettre d’entente n° 7 soit réputée ne pas faire partie de l’entente collective a pour conséquence que tout différend s’y rapportant n’est pas susceptible de faire l’objet de l’un ou l’autre des mécanismes de concertation y compris l’arbitrage faisant l’objet du chapitre 6-0.00 de l’entente collective.
[340] De plus, les Ressources n’ont aucune garantie selon laquelle le MSSS acceptera, à l’occasion d’une prochaine ronde de négociations, de souscrire un engagement semblable. L’existence de cette lettre d’entente n° 7 ne saurait pallier cette interdiction que la LRR fait aux parties de négocier collectivement la durée des ententes spécifiques.
[341] La durée est un élément fondamental de la relation contractuelle des Ressources avec le MSSS. Certains des considérants de la lettre d’entente n° 7 le démontrent.
[342] Le Tribunal estime aussi que l’interdiction qui est faite aux Ressources de négocier collectivement la durée de leurs ententes spécifiques constitue une entrave substantielle à leur liberté d’association.
[343] La signature de la lettre d’entente n° 7 fait échec en elle-même à l’argument que l’interdiction de négocier collectivement la durée des ententes spécifiques serait justifiable aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
[Renvois omis]
- Voyons ce qu’il en est en examinant d’abord de plus près les lettres d’entente signées par les parties et annexées aux diverses ententes collectives déposées en preuve. J’en prendrai trois exemples, que l’on trouve dans les pièces D-31 (Entente collective MSSS et ADRAQ-CSD, à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes, 8 mai 2017), D-39 (Entente collective MSSS et FFARIQ pour le compte des associations de ressources destinées aux enfants en faisant partie, 22 septembre 2021) et D-40 (Entente collective MSSS et FSSS-CSN à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes pour le compte des associations en faisant partie, 17 juillet 2021). Chacune de ces trois ententes comporte deux lettres d’entente concernant les ententes spécifiques.
- La première, qui fait partie de l’entente collective, impose un « canevas d’entente spécifique » à titre de formulaire et prévoit un mécanisme de concertation et de résolution des difficultés liées à une entente spécifique[238]. Cette lettre d’entente n’est pas problématique (et aucune partie ne prétend d’ailleurs qu’elle l’est). Elle facilite en pratique le respect de l’art. 55 LRR.
- Par la seconde lettre d’entente[239], qui, elle, ne fait pas partie de l’entente collective, le ministre s’engage à « tout mettre en œuvre » pour que les ententes spécifiques, dont la durée sera ultimement fixée par l’établissement et la Ressource, soient d’un minimum de trois ans, sujet à « au moins » un renouvellement automatique (ou plus d’un) pour le même temps. L’établissement et la Ressource qui souhaitent poursuivre leur relation peuvent par la suite conclure une nouvelle entente spécifique, sujette elle-même à renouvellement automatique et ainsi de suite. Le ministre s’engage également à « tout mettre en œuvre » pour que le non‑renouvellement d’une entente soit précédé d’un avis d’au moins 90 jours à la Ressource. Notons qu’il y a, selon les ententes collectives, de légères différences entre les lettres d’entente relatives à la durée des ententes spécifiques, mais leurs ressemblances l’emportent. Ces lettres d’entente ont toutes pour objectif de favoriser la stabilité du milieu de vie au bénéfice des usagers et de permettre la viabilité financière de la Ressource ainsi que le développement de ses compétences, ce qui, là encore, avantage les usagers.
- Cela dit, ces lettres d’entente ne fixent pas la durée des ententes spécifiques, ce qui demeure l’apanage de chacun des établissements et de chacune des Ressources, conformément à l’art. 55 LRR. Comme le font valoir les appelants, elles constituent plutôt, simplement, un engagement ministériel de nature politique, fondé sur une préoccupation d’intérêt public, en l’occurrence celui de la santé et du bien-être des usagers confiés aux Ressources par les établissements. Bien qu’elles semblent manifester une volonté de coopération de la part du ministre, elles ne sont pas juridiquement pérennes et ne peuvent contrevenir à l’art. 55 LRR.
- En ce sens, ces ententes n’obvient donc pas au fait que la durée des ententes spécifiques demeure hors la portée de la négociation collective, ce qui constitue certainement une entrave. Toutefois, même s’ils retirent la durée des ententes spécifiques du champ de la négociation collective, les art. 37 paragr. 2 et 55 al. 1 LRR ne font pas « obstacle à l’objet même de l’association et [ne] la rend[ent] [pas] de fait inutile », pour reprendre les termes des juges majoritaires dans l’arrêt Fraser[240]. Ils n’ont pas non plus pour effet de « sérieusement compromettre l’activité des travailleurs qui consiste à se regrouper en vue de réaliser des objectifs communs, c’est-à-dire négocier des conditions de travail et des modalités d’emploi avec leur employeur, une activité qualifiée de négociation collective », pour emprunter cette fois à l’arrêt Health Services[241]. De toute façon, même substantielle, l’entrave serait réchappée par les dispositions justificatrices des deux chartes.
- Voici comment j'en viens à cette double conclusion.
- L’entrave n’est pas substantielle. Reconnaissons d’abord que la durée des ententes spécifiques serait un sujet de négociation collective légitime si les art. 37 paragr. 2 et 55 al. 1 LRR ne la réservaient pas expressément à la négociation individuelle entre établissements et Ressources. Reconnaissons aussi, comme je le disais ci-dessus, que ces dispositions, en excluant ce sujet de la négociation collective, entravent celle-ci.
- Mais toutes les entraves ne sont pas contraires à l’al. 2d) de la Charte canadienne, seules les entraves substantielles le sont. Dans Health Services, la juge en chef McLachlin et le juge LeBel décrivent ainsi le test permettant de déterminer le caractère substantiel d’une entrave :
93 De façon générale, pour déterminer si une mesure gouvernementale ayant des répercussions sur le processus de négociation collective protégé par la Charte constitue une atteinte substantielle, il faut examiner successivement deux questions. D’abord, il faut déterminer l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Puis, on doit étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi.
94 Les deux examens s’imposent. Si les aspects touchés n’ont pas de répercussions importantes sur le processus de négociation collective, la mesure n’enfreint pas l’al. 2d) et il se peut effectivement que l’employeur n’ait pas l’obligation de tenir des discussions et des consultations. Il ne sera alors pas nécessaire d’examiner les questions relatives au processus. Par ailleurs, les modifications qui ont une profonde incidence sur la négociation collective ne contreviendront pas non plus à l’al. 2d) si elles préservent le processus de consultation et de négociation menée de bonne foi.
- La juge en chef McLachlin et le juge LeBel rappellent enfin que « [l]a question de l’existence d’une atteinte substantielle doit être tranchée selon le contexte de chaque cas d’espèce, compte tenu de l’importance des sujets visés pour l’activité collective et de la manière dont la mesure a été mise en œuvre »[242].
- Comme l’écrit par ailleurs le juge Morissette dans LANEQ[243], concluant ainsi une synthèse jurisprudentielle :
[…] En d’autres termes, le caractère substantiel ou non d’une atteinte ou d’une entrave s’apprécie en fonction de la finalité de l’alinéa 2d) de la CCDL. À quoi sert la liberté d’association en contexte de relations du travail, maintenant qu’elle y a sa place? À fortifier le droit de négocier collectivement en établissant un équilibre des rapports de force entre l’employeur et les salariés. Il y a entrave substantielle lorsque cet équilibre est perturbé et que les mesures contestées interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective.
- En l'espèce, la durée des ententes spécifiques, élément essentiel de la relation entre Ressources et établissements, est fondamentale au bien-être des usagers, dont la responsabilité ultime incombe aux établissements. Il faut tenir compte à cet égard du contexte propre aux Ressources et à leurs associations. Or, vu les circonstances dans lesquelles les Ressources exécutent leur prestation et vu la nature de celle-ci, on doit, il me semble, accepter que la durée des ententes spécifiques, en raison de l’importance qu’ont celles-ci pour les usagers, demeure l’objet d’une négociation individuelle entre la Ressource et l’établissement, et ce, parce qu’elle affecte directement le bien-être des usagers qui, eux, n’ont pas voix au chapitre.
- Parlant de l’ancienneté, du nombre de places prévues par les ententes spécifiques et de l’incessibilité de celles-ci, le juge de première instance écrit ce qui suit :
[344] Bien que les usagers ne soient pas pris en charge dans un milieu institutionnel, il n’en demeure pas moins que les soins qu’ils reçoivent relèvent de la responsabilité des établissements publics. Ce sont eux qui contractent avec les Ressources. Ils ont le devoir de veiller à ce que chaque usager reçoive des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée et sécuritaire [renvoi omis]. En d’autres mots, ils sont imputables de la qualité des services rendus et des soins prodigués.
[345] Cette réalité juridique fait en sorte que les soins offerts par les Ressources doivent être encadrés par les établissements.
[346] Il est normal que la LRR ne permette pas de négocier des sujets susceptibles de mettre en cause leurs obligations légales et réglementaires à l’endroit des usagers.
- Ces propos valent tout aussi bien pour la durée des ententes spécifiques et je n’ai aucune hésitation à les y appliquer. La durée des ententes spécifiques est intimement liée à la qualité des services qui doivent être prodigués aux usagers, dans un environnement où le bien-être de ceux-ci est la priorité. Il n’est certes pas impossible, en théorie, que cette durée puisse être négociée collectivement, mais qu’elle soit réservée à la négociation individuelle entre établissements et Ressources et puisse donc répondre finement aux capacités de ces dernières et aux besoins des usagers qui leur sont confiés paraît une limite acceptable, qui ne met nullement en péril la capacité de négociation collective des Ressources et de leurs associations.
- Accessoirement, il ne faut pas négliger le fait que les Ressources sont des travailleurs autonomes, statut qu’elles ne contestent pas. Même si elles avaient droit à un processus de négociation collective analogue à celui que l’al. 2d) de la Charte canadienne et de l’art. 3 de la Charte québécoise garantissent aux salariés, la nature de leur statut fait partie de l’équation et, en tant qu’entrepreneurs, on peut leur reconnaître la latitude de négocier directement avec les établissements la durée des ententes spécifiques qu’elles concluent avec eux. Autrement dit, le processus de négociation collective véritable des travailleurs autonomes doit tenir compte de cette caractéristique et n’a pas à être identique à celui qu’on reconnaîtrait aux salariés (eux-mêmes ne pouvant du reste revendiquer constitutionnellement un modèle de négociation unique et uniforme, ce qui ressort clairement de l’arrêt Fraser).
- Cela dit, l’on ne peut conclure ici que, parce que la durée des ententes spécifiques ne peut être négociée collectivement, « la capacité des [Ressources] d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise » au point d’être neutralisée ou même simplement affectée substantiellement. D’une part, ce n’est certainement pas là l’objet ou l’objectif des art. 37 paragr. 2 et 55 LRR, qui n’ont pas pour visée de miner la négociation collective. D’autre part, dans les faits, une négociation robuste et véritable sur la presque totalité des conditions d’exécution de la prestation des Ressources demeure possible – et c’est du reste ce qu’on observe, factuellement parlant.
- Ainsi donc, même s’il fallait convenir que cette restriction qu’imposent les art. 37 paragr. 2 et 55 al. 1 LRR a une incidence réelle, il faudrait constater que le processus de consultation et de négociation mené de bonne foi est largement préservé, comme l’attestent indubitablement le nombre et la teneur des ententes collectives négociées par les parties depuis l’entrée en vigueur de la LRR. La restriction n’affaiblit pas le rapport de forces entre les parties ni n’en perturbe l’équilibre et ne peut être considérée comme une entrave substantielle.
- S’il s’agissait d’une entrave substantielle, elle serait justifiée par l’art. 1 de la Charte canadienne et l’art. 9.1 de la Charte québécoise. Finalement, et dans un autre ordre d’idées, s’il fallait, en dépit de ce qui précède, conclure à l’existence d’une entrave substantielle (ce que je ne fais pas), celle-ci me paraîtrait justifiée par l’article premier de la Charte canadienne ou encore par l’art. 9.1 de la Charte québécoise. Encore une fois, je me permets de citer le juge de première instance, alors qu’il parle de l’ancienneté, du nombre des places prévues par les ententes spécifiques et de l’incessibilité de ces dernières :
[367] Le Tribunal ne voit pas dans l’impossibilité de négocier collectivement l’ancienneté, le nombre de places et l’incessibilité de l’entente spécifique des restrictions à la liberté d’association. Au cas contraire, cette impossibilité serait justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte et de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Le PGQ identifie ici un objectif qui se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. Il s’agit du besoin de servir les meilleurs intérêts d’un usager. La mesure choisie a un lien rationnel avec cet objectif. L’atteinte est minimale et les effets sont proportionnels.
- Le même raisonnement vaut à mon avis pour la durée des ententes spécifiques. Le fait qu’elles ne puissent être négociées collectivement se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, préoccupations rattachées aux besoins essentiels de personnes extrêmement vulnérables, enfants ou adultes qui ne peuvent vivre sans un soutien et des soins importants. La mesure contestée – à savoir le retrait de la durée de l’entente spécifique du champ de la négociation collective – est proportionnée en ce que, tout d’abord, elle est rationnellement liée à cet objectif. Les Ressources sont ainsi celles qui connaissent le mieux leurs capacités, l’espace dont elles disposent (puisqu’elles reçoivent dans leur propre domicile les usagers qui leur sont confiés), la nature des services qu’elles peuvent offrir, etc., tous des facteurs pertinents qui peuvent varier d’une Ressource à l’autre et seront considérés au moment de la négociation individuelle de la durée de l’entente spécifique. Il y a là un aspect éminemment personnel et unique, à vrai dire intuitu personæ, que respecte l’exclusion édictée par les art. 37 paragr. 2 et 55 LRR.
- Ensuite, cette restriction est de celles qui attentent le moins possible à la liberté d’association. Car, malgré l’aspect individualisé de la négociation sur la durée de l’entente spécifique, il faut bien voir que seule la fixation ultime de cette durée échappe à la négociation collective. Rien n’empêche les parties négociatrices de discuter du processus de fixation de la durée ou d’établir un processus de résolution des difficultés, le tout dans la mesure où la décision finale sur la durée appartient à l’établissement et à la Ressource. C’est d’ailleurs ce qu’elles ont fait, ainsi que l’attestent les différentes lettres d’entente qu’elles ont signées à ce propos[244].
- Enfin, la restriction « n’empièt[e] pas sur les droits individuels ou collectifs au point où l’objectif est supplanté par la gravité de l’empiétement », pour paraphraser les propos du juge Gascon dans Mouvement laïque[245].
* *
- En somme, tant au regard du droit que de la preuve, et toujours dans l’hypothèse où l’on reconnaîtrait aux travailleurs autonomes que sont les Ressources un processus de négociation analogue à celui des salariés, je conclus que les art. 37 paragr. 2 et 55 al. 1 LRR, en retirant la durée de l’entente spécifique du champ de la négociation collective, n’entravent pas substantiellement la liberté d’association des intimés et de leurs membres et, subsidiairement, seraient justifiés au regard des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.
- En résumé :
1° Les Ressources, comme toute autre personne, sont titulaires de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise et elles peuvent exercer les droits de base inhérents à cette liberté : « (1) le droit de se joindre à d’autres pour poursuivre des objectifs communs licites et pour constituer et maintenir des organisations et des associations […]; (2) la liberté d’exercer collectivement les activités dont la Constitution garantit l’exercice individuel […]; et (3) la liberté d’accomplir avec d’autres toute action qu’un individu peut licitement accomplir à titre individuel […] »[246] et de faire valoir ou présenter leurs revendications.
2° Les Ressources, en tant que travailleurs autonomes (statut qu’elles ne contestent pas) ne peuvent se voir accorder les droits associatifs distinctifs reconnus aux salariés en vertu de ces dispositions des chartes, notamment le droit de grève ou le droit à un mécanisme de substitution adéquat.
3° Cela étant, la LRR n’enfreint pas la liberté d’association des Ressources et de leurs associations et elle garantit un processus de négociation qui respecte les caractéristiques particulières de celles-ci et qui est acceptable au regard des chartes.
4° Subsidiairement, à supposer qu’on doive reconnaître aux Ressources et à leurs associations les droits distinctifs accordés aux salariés au chapitre de la liberté d’association en matière de travail, on doit conclure que l’art. 33 paragr. 1 LRR ne limite ni n’entrave ces droits : cette disposition, en effet, n’empêche pas les parties de négocier librement les modes et les échelles de rétribution, sous réserve de tenir compte de la classification des usagers effectuée en vertu du Règlement sur la classification, ce qui leur laisse une grande latitude, et sous réserve des art. 34, 35 ou 36 LRR, ces derniers n’étant pas contestés.
5° Toujours à titre subsidiaire, et dans la même hypothèse, les art. 37 paragr. 2 et 55 al. 1 LRR, qui excluent de la négociation collective la durée des ententes spécifiques, ne constituent pas une entrave substantielle à la liberté d’association des Ressources et de leurs associations et, de toute façon, ils seraient justifiés par les art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.
- Pour ces raisons, je recommande d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter les demandes introductives d’instance des intimés et l’intervention de la mise en cause, le tout avec frais de justice.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
[1] L.Q. 2009, c. 24; RLRQ, c. R-24.0.2 [« LRR »].
[2] RLRQ, c. S-4.2 [« LSSSS »].
[3] Argumentation des intimés et de la mise en cause, paragr. 48 (renvois omis).
[4] Dans les présents motifs, et sauf exception, je n’emploierai que le mot « salarié » pour désigner, en français, la personne que l’on nomme aussi « employé » et, parfois « travailleur », c’est-à-dire (et pour reprendre la définition générale qu’en donne l’art. 2085 C.c.Q.), la personne qui « s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur ». En anglais, le mot « employee » en est l’équivalent, quoique le terme « worker » soit également utilisé.
[5] RLRQ, c. C-27 [ou « C.t. »].
[6] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 [« Charte canadienne »].
[7] RLRQ, c. C-12 [« Charte québécoise »].
[8] Dossier 200-17-021889-159.
[9] Dossier 200-17-024027-161.
[10] Dossier 200-17-027477-181 (originalement 500-17-099977-178).
[11] Demande introductive d’instance en contrôle judiciaire, dossier 200-17-027477-181, paragr. 36, 42 et 47.
[12] Son acte d’intervention est fait à titre conservatoire, mais le jugement l’autorise à titre d’intervention amicale (Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec et autres c. Procureur général du Québec et autre, C.S.Q. 200-17-027477-181, 200-17-021889-159, 200‑17‑024027-161, l’honorable Guy de Blois, 25 janvier 2019).
[13] 2015 CSC 4 [« Saskatchewan »].
[14] 2021 QCCA 559 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 14 octobre 2021, n° 39695) [« LANEQ »].
[15] À la date à laquelle les actions de la Centrale des syndicats démocratiques et du Syndicat canadien de la fonction publique ont été intentées, ce régime était prévu par les art. 94 et s. ainsi que 105 C.t. Notons que si l’art. 105 (qui interdit la grève aux policiers et pompiers municipaux) est demeuré, le mécanisme d’arbitrage des différends, quoiqu’il reste obligatoire et impératif, a été modifié par la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal, RLRQ, c. R-8.3; L.Q. 2016, c. 24 (sanctionnée et entrée en vigueur le 2 novembre 2016). Cette modification a fait l’objet d’une contestation constitutionnelle, que la Cour supérieure a largement accueillie (voir : Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4105), ce que notre cour a récemment confirmé, pour l’essentiel (voir : Fraternité des policiers et policières de Montréal c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 1106).
[16] Demande de pourvoi en nullité et en déclaration d’inconstitutionnalité (2e modification), 28 juillet 2018, dossier 200-17-021889-159 (CSD), paragr. 79.
[18] Défense, 3 novembre 2016, dossier 200-17-024027-161 (SCFP), paragr. 77; Défense dans le dossier de la FFARIQ, 29 juin 2018, dossier 200-17-027477-181, paragr. 134; Défense modifiée dans le dossier CSD, 30 novembre 2018, dossier 200-17-021889-159, paragr. 105.
[20] Défense, 3 novembre 2016, dossier 200-17-024027-161 (SCFP), paragr. 87; Défense dans le dossier de la FFARIQ, 29 juin 2018, dossier 200-17-027477-181 (FFARIQ), paragr. 225; Défense modifiée dans le dossier CSD, 30 novembre 2018, dossier 200-17-021889-159, paragr. 115.
[21] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 [« Oakes »].
[22] Centrale des syndicats démocratiques (CSD) c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 1468 [ou « jugement de première instance »].
[23] Jugement de première instance, paragr. 253.
[26] [2007] 2 R.C.S. 391 [« Health Services »].
[27] Jugement de première instance, paragr. 323.
[29] Le juge prend pour exemple la lettre d’entente n° 7 accompagnant l’entente collective entre le MSSS et le RESSAQ, 12 janvier 2016, pièce D-31. Cette lettre d’entente prévoit pour l’essentiel que les établissements concluront en principe avec les Ressources des ententes spécifiques qui ne dureront pas moins de trois ans et qui seront renouvelables automatiquement au moins une fois (du moins le ministre s’engage-t-il « à tout mettre en œuvre » pour atteindre cette fin).
[30] Le paragr. 370 du dispositif du jugement de première instance maintient l’objection faite par l’appelant procureur général du Québec à l’encontre du dépôt du rapport de l’expert Michel Coutu, à l’exception des sections 1 et 2.1 de celui‑ci, conclusion qui n'est pas remise en cause devant notre cour.
[31] 2024 CSC 13 [« Société des casinos »].
[32] Voir par ex. : Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.
[34] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 97 (motifs concordants de la j. Côté).
[35] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 95. Tenant la plume majoritaire, le juge Jamal partage le point de vue de sa collègue : « […] je souscris aux commentaires de ma collègue la juge Côté au sujet de la norme de contrôle et je vais appliquer la norme de la décision correcte aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit en litige dans les présents pourvois (par. 94‑97) » (paragr. 45).
[36] La Cour suprême statuait dans cette affaire sur un arrêt de notre cour infirmant le jugement de la Cour supérieure tranchant un pourvoi en contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du travail.
[37] Dans le même arrêt, le juge Jamal, pour la majorité, est explicitement d’accord sur ce point avec la juge Côté : « […] je souscris aux commentaires de ma collègue la juge Côté au sujet de la norme de contrôle et je vais appliquer la norme de la décision correcte aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit en litige dans les présents pourvois » (motifs du j. Jamal, paragr. 45).
[38] On trouvera aussi un portrait de l’historique d’adoption de la LRR dans la décision suivante de la Commission des relations du travail : Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord – CSN et Boulianne, 2011 QCCRT 0110, conf. en contrôle judiciaire par Syndicat des travailleuses et des travailleurs du Centre de protection et de réadaptation de la Côte‑Nord – CSN c. Commission des relations du travail, 2012 QCCS 346 (requête pour permission d’appeler rejetée : Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord — CSN c. Boulianne, 2012 QCCA 813).
[39] Loi abolissant le ministère des Services gouvernementaux et mettant en œuvre le plan d’action 2010‑2014 du gouvernement pour la réduction et le contrôle des dépenses en abolissant et en restructurant certains organismes et certains fonds, L.Q. 2011, c. 16, art. 155.
[40] Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du travail, L.Q. 2015, c. 15, art. 202-206 et 237.
[41] Loi donnant suite principalement à des mesures fiscales annoncées à l’occasion du discours sur le budget du 17 mars 2016, L.Q. 2017, c. 1, art. 442. Jusque-là, l’art. 34 sous-paragr. 4c) LRR ne prévoyait que la compensation financière liée à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001.
[42] Voir par ex. : Centre local de services communautaires-Centre d'hébergement et de soins de longue durée du Ruisseau-Papineau c. Syndicat des intervenantes et intervenants en milieu résidentiel pour adultes de Laval (C.S.N.), D.T.E. 2003T-888 (Tribunal du travail), confirmant la décision d’un commissaire du travail; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1841 et Champagnie, D.T.E. 2001T-1024 (commissaire du travail), décision confirmée en appel par le Tribunal du travail dans Centre de réadaptation de l'Ouest de Montréal c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1841, D.T.E. 2003T-204, pourvoi en contrôle judiciaire rejeté par la Cour supérieure dans Centre de réadaptation de l'Ouest de Montréal c. Québec (Tribunal du travail), 23 janvier 2004, dossier n° 500‑17-013919-033, SOQUIJ AZ-50216331, 2004 CanLII 20645; Syndicat des personnes responsables de milieux résidentiels d'hébergement des Laurentides (C.S.N.) c. Centre du Florès, 5 juin 2001, dossier n° 500-28-001037-001, [2001] R.J.D.T. 1228 (Tribunal du travail), pourvoi en contrôle judiciaire rejeté dans Centre du Florès c. St-Arnaud, D.T.E. 2002T-309 (C.S.), demande de permission d’appeler rejetée (6 mai 2002, dossier C.A.M. n° 500-09-012070-025).
[43] L.Q. 2003, c. 12 (sanctionnée le 18 décembre 2003) [« loi modificatrice de 2003 »].
[44] Les conditions de la représentativité d’une association sont prescrites par l’art. 303.2 LSSSS, lui‑même édicté par la loi modificatrice de 2003, notamment celle de compter, parmi ses membres, soit au moins 20 % du nombre total de ces ressources au niveau national, soit le nombre de ressources requis pour desservir au moins 30 % du nombre total des usagers de ces ressources au niveau national.
[45] Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), 2008 QCCS 5076 [ou « jugement Grenier »]. Dans cette affaire, la Cour supérieure statue également sur les services de garde à l’enfance en milieu familial, visés par une loi semblable à la loi modificatrice de 2003, sujet dont il n’est aucunement question dans le présent dossier et dont je ne parlerai donc pas.
[46] Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), préc., note 45, paragr. 240.
[47] Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), préc., note 45, paragr. 272.
[48] Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), préc., note 45, paragr. 285.
[49] Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), préc., note 45, paragr. 286.
[50] Comité de la liberté syndicale, Rapport No. 340, Mars 2006, Cas n° 2314 (Canada, CSN) et Cas n° 2333 (Canada, CSD, CSQ et FTQ).
[51] La Cour faisait la même remarque dans Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal c. Fédération des familles d'accueil et des ressources intermédiaires du Québec, 2021 QCCA 666, paragr. 20.
[52] La jurisprudence relative aux mécanismes prévus par la LRR s’inspire d’ailleurs parfois des dispositions semblables du Code du travail. Voir par ex. : Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Association démocratique des ressources à l'enfance du Québec (CSD) — Mauricie —Centre-du-Québec, 2011 QCCA 2383 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 14 juin 2012, n° 34667); Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 5299 et Association démocratique des ressources à l'adulte du Québec (CSD) Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (ADRAQ-(CSD) Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine), 2016 QCTAT 7057, révision rejetée par Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 5299 et Association démocratique des ressources à l'adulte du Québec (CSD) Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine (ADRAQ-(CSD) Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine), 2017 QCTAT 3350.
[53] Comme on l’a vu précédemment (supra, paragr. [8] et [9]), les ressources intermédiaires peuvent également être des personnes morales ou des sociétés de personnes (art. 302 LSSSS), mais seules celles qui sont des personnes physiques sont visées par la LRR. Quant aux ressources de type familial, il s’agit par définition de personnes physiques (art. 311 et 312 LSSSS).
[54] Un exemple tiré de la jurisprudence illustre cette situation : Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord – CSN et Boulianne, préc., note 38.
[55] Le langage de cette disposition est presque identique à celui de l’art. 3 C.t.
[56] Disposition apparentée à l’art. 13 C.t.
[57] Disposition apparentée à l’art. 12 al. 1 C.t.
[58] L’art. 14.0.1 C.t. donne la même compétence au TAT en cas de contravention aux art. 12 et 13 C.t. (ainsi que 14).
[59] Voir les art. 21 à 44 C.t.
[60] Loi sur les syndicats professionnels, RLRQ, c. S-40.
[61] Par analogie, voir le paragr. 1a) C.t., qui définit l’« association de salariés ».
[62] Plusieurs scénarios sont prévus par l’art. 12 LRR (qui se rapprochent d’ailleurs de ceux de l’art. 22 C.t.). L’association peut ainsi demander cette reconnaissance après 12 mois de la date de reconnaissance d’une autre association, lorsqu’aucune entente collective n’a été conclue ni aucun arbitrage de différends demandé ou moyen de pression exercé. Elle le peut également après 9 mois de la date d’expiration d’une entente collective, mais là encore seulement si aucune autre entente n’a été conclue, aucun arbitrage demandé et aucun moyen de pression exercé. Elle le peut aussi dans la période courant entre le 90e et le 60e jour précédant la date d’expiration d’une entente collective d’une durée de trois ans ou moins ou entre le 180e et le 150e jour précédant celle d’une entente collective de plus de trois (et, le cas échéant, entre le 180e et le 150e jour précédant le sixième anniversaire de la signature ou du renouvellement de l’entente et chaque deuxième anniversaire subséquent, sauf exception).
[63] Le membership de l’association est régi par l’art. 11 LRR : la Ressource doit, avant ou au plus tard le jour du dépôt de la demande, être liée à l’établissement public identifié, elle doit avoir signé un formulaire d’adhésion dûment daté et ne pas l’avoir révoqué; elle doit avoir personnellement payé le droit d’entrée fixé par les règlements de l’association, et ce, dans les 12 mois précédant la date du dépôt de la demande. Notons aussi que l’art. 19 interdit de révéler l’appartenance d’une personne à une association de ressources au cours de la procédure de reconnaissance ou de révocation d’une reconnaissance. Cette information, par exception, peut être connue du TAT ou de tout tribunal saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire afférent à une telle procédure. Ces instances sont elles-mêmes tenues au secret.
[64] Disposition apparentée à l’art. 47.2 C.t., encore que sa portée ne soit pas exactement la même si l’on en croit la décision du TAT dans l’affaire Charron et Association démocratique des ressources à l'adulte du Québec (CSD) Montérégie (ADRAQ (CSD) Montérégie), 2018 QCTAT 2992 (sujet sur lequel je ne me prononce pas). Voir cependant : Aouichi et Regroupement des ressources résidentielles adultes du Québec (CSD), 2016 QCTAT 2391, où l’on fait néanmoins l’analogie entre l’art. 22 LRR et l’art. 47.2 C.t.
[65] Voir par analogie l’art. 47.5 C.t.
[66] Voir par analogie l’art. 47.6 C.t.
[67] L’art. 47 C.t. oblige l’employeur à retenir à la source, à même la rémunération du salarié, le montant de la cotisation fixée par l’association accréditée ou un montant égal, pour la remettre à celle-ci.
[68] Voir par analogie l’art. 39 C.t.
[69] Les art. 30 et 31 LRR ne sont pas sans rappeler l’art. 46 C.t.
[70] Il s’agit, comme on le sait, du ministre de la Santé et des Services sociaux, responsable de l’application de la LRR en vertu de l’art. 133 de celle-ci.
[71] La Loi sur la représentation de certaines personnes responsables d’un service de garde éducatif en milieu familial et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant, RLRQ, c. R‑24.01, comporte elle aussi, en son art. 32, l’établissement d’un comparatif visant à permettre aux parties de déterminer la subvention versée aux responsables des services de garde pour assurer la prestation des services requis. Il n’est pas rare que, au cours de la négociation de la rémunération des salariés, syndicats et employeurs emploient des comparatifs. La méthode se trouve formalisée dans le cas des personnes responsables d’un service de garde éducatif en milieu familial tout comme dans le cas de la LRR, avec les adaptations que la législature a jugé appropriées.
[72] RLRQ, c. N-1.1 [ou « L.n.t. »].
[76] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles permet en effet aux Ressources de s’inscrire auprès de la CNESST « pour bénéficier de la protection accordée par la présente loi » (art. 18).
[77] Dans un tout autre ordre d’idées, on notera aussi que la rétribution établie selon la LRR n’est pas imposable, en ce qu’elle n’a pas à être incluse dans les revenus de la Ressource. Voir les art. 488 et 489 paragr. c.2) de la Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3, ainsi que les art. 303 al. 3(1°) et 314 LSSSS.
[78] La LRR ne prévoit pas expressément que ce délai de prescription puisse être modifié par l’entente collective, ce qui ne serait peut-être pas impossible vu le renvoi aux dispositions du Code du travail. Je n’ai cependant pas à me prononcer sur le sujet, que personne n’a abordé et encore moins débattu.
[79] Le même principe vaut pour l’association accréditée en vertu du Code du travail. Voir l’art. 69 C.t.
[80] Cette disposition est comparable à l’art. 67 C.t.
[81] Disposition analogue à l’art. 53 al. 2 C.t.
[82] Une semblable médiation, sous le nom de « conciliation », est prévue par l’art. 54 C.t. L’art. 55 C.t. permet au ministre du Travail de nommer, de sa propre initiative, un conciliateur, possibilité qui ne figure pas dans la LRR (ce qui n’exclut bien sûr pas que le ministre du Travail leur suggère la médiation, ce qu’elles peuvent refuser).
[83] Cette participation est également obligatoire dans le cas de la conciliation prévue par le Code du travail, conformément à l’art. 56 de celui-ci.
[84] Ce qui diffère du régime de conciliation établi par le Code du travail : le conciliateur ne fait rapport au ministre que sur demande, la publication de ce rapport n’étant pas prévue (art. 57).
[86] Disposition analogue à l’art. 72 C.t. et qui a les mêmes visées.
[90] Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 [« APMO »], paragr. 30 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel).
[91] Notons que la majorité des arrêts de la Cour suprême en la matière concernent des employeurs des secteurs publics ou parapublics. Au Québec, la même jurisprudence s’applique au secteur privé, en vertu de l’art. 3 de la Charte québécoise.
[92] [1990] 1 R.C.S. 1235.
[93] [1998] 3 R.C.S. 157.
[94] [1997] 3 R.C.S. 569.
[97] R. c. Skinner, préc., note 92, p. 1245 (motifs majoritaires du j. en chef Dickson).
[98] John Stuart Mill, «On Liberty», dans On Liberty, Utilitarianism and Other Essays, éd. par Mark Philp et Frederick Rosen, coll. Oxford World’s Classics, Oxford, Oxford University Press, 2015, 5, p. 15.
[99] Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 [« Renvoi albertain »], p. 334. Le juge en chef Dickson est dissident dans cette affaire, mais ses vues sur le sujet de la liberté d’association en contexte de travail sont aujourd’hui celles qui prévalent. La définition donnée dans ce renvoi à la liberté d’association n’est par ailleurs pas contraire à celle que retiennent les juges majoritaires, même s’ils ne s’entendent pas sur la nature des droits qui en découlent.
[101] APMO, préc., note 90, paragr. 47.
[102] Passage repris par la j. Côté dans Société des casinos, préc., note 31, paragr. 114.
[103] APMO, préc., note 90, paragr. 62-65; Health Services, préc., note 26, paragr. 89.
[104] APMO, préc., note 90, paragr. 62 (« Comme nous l’avons vu, l’al. 2d) protège l’activité associative afin de prémunir les individus contre l’isolement provoqué par l’État et de leur permettre de réaliser collectivement ce qu’ils ne pourraient pas accomplir seuls. En conséquence, les droits d’association protégés par l’al. 2d) ne constituent pas simplement un ensemble de droits individuels, mais également des droits collectifs inhérents aux associations. […] »).
[105] APMO, préc., note 90, paragr. 59; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), préc., note 96, paragr. 105; R. c. Skinner, préc., note 92, p. 1243 (motifs du j. en chef Dickson).
[106] Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94 [« Dunmore »], paragr. 17.
[107] La juge L’Heureux-Dubé ne dit pas autrement dans ses motifs concordants.
[108] Cette évolution est résumée en quelques lignes dans Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 1 et 3 (motifs majoritaires de la j. Abella).
[109] Voir : art. 2085 C.c.Q. (ou, en common law : Geoffrey England, Peter Barnacle, Innis M. Christie et Roderick J. Wood, Employment Law in Canada, 4e éd., Markham, Ont., LexisNexis, 2005 (éd. à feuilles mobiles), § 2.8 et s.). Voir également : Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, paragr. 91-93; S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8, paragr. 34; APMO, préc., note 90, paragr. 70.
[110] APMO, préc., note 90, paragr. 5, 97 et 105; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20 [« Fraser »], paragr. 40 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel); Health Services, préc., note 26, paragr. 92, 95 et 96.
[111] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 1. Voir aussi : apmo, préc., note 90, paragr. 70-71 et 80.
[113] Health Services, préc., note 26, paragr. 111 et 113-114 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel).
[114] APMO, préc., note 90, paragr. 45. Voir aussi : Fraser, préc., note 110, paragr. 40 (« Il ne suffit pas de pouvoir présenter des observations à l’employeur, mais ce dernier est également tenu de les prendre en considération dans le cadre d’un processus d’examen et d’échange ») et 51 (« les travailleurs ont le droit constitutionnel de formuler des revendications collectives et de les voir prises en considération de bonne foi »); Health Services, préc., note 26, paragr. 114 (« le droit à un processus de négociation collective protège non seulement la présentation de revendications collectives, mais aussi le droit des employés de se faire entendre par le canal de consultations et discussions véritables »).
[115] Health Services, préc., note 26, paragr. 90.
[116] Health Services, préc., note 26, paragr. 101 (et, plus généralement, les paragr. 99-105, sur l’obligation de négocier).
[117] Health Services, préc., note 26, paragr. 90. Voir aussi le paragr. 89 in fine (« L’alinéa 2d) impose aux employeurs du secteur public des obligations correspondantes d’accepter de rencontrer les employés pour discuter avec eux »).
[118] Health Services, préc., note 26, paragr. 89 in fine.
[119] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 29 (motifs majoritaires de la j. Abella).
[120] Voir : Société des casinos, préc., note 31, paragr. 55 (motifs majoritaires du j. Jamal) ainsi que 180 et 182 (motifs concordants de la j. Côté).
[121] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 52.
[122] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 24. Voir aussi : Renvoi albertain, préc., note 99, p. 371 (motifs dissidents du j. Dickson (« la protection constitutionnelle efficace des intérêts des associations de travailleurs dans le processus de négociation collective requiert la protection concomitante de leur liberté de cesser collectivement de fournir leurs services »)).
[123] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 24 in fine, citant le propos du juge de première instance dans Saskatchewan v. Saskatchewan Federation of Labour, 2012 SKQB 62, paragr. 92 (j. Ball).
[125] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 77.
[126] Fraser, préc., note 110, paragr. 41.
[127] Health Services, préc., note 26, paragr. 91, repris dans Fraser, préc., note 110, paragr. 41 et 42. Voir également : APMO, préc., note 90, paragr. 93.
[128] Fraser, préc., note 110, paragr. 42.
[129] Ibid. Voir aussi : APMO, préc., note 90, paragr. 67; Société des casinos, préc., note 31, paragr. 26 et 55 (motifs majoritaires du j. Jamal), ainsi que 108 et 121 (motifs concordants de la j. Côté).
[131] Voir aussi : Fraser, préc., note 110, paragr. 44-48; Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 mai 2012, n° 34479), paragr. 87 (qui considère accessoirement la LRR comme l’un des nombreux régimes de négociation collective visant à mettre la liberté d’association en œuvre).
[132] APMO, préc., note 90, paragr. 97.
[133] Les paragr. 85-87 de l’arrêt APMO détaillent les caractéristiques de la liberté de choix et les paragr. 88‑90 celles de l’indépendance.
[134] La nécessité de cet effet concret établi par la preuve ressort notamment des arrêts Fraser, préc., note 110, et Société des Casinos, préc., note 31. Dans le premier, on se plaignait de ce que la loi n’obligeait pas l’employeur à négocier de bonne foi avec les salariés (et la preuve révélait en effet que la plupart des employeurs, dans les faits, s’y refusaient). Après avoir déterminé que, en réalité, la loi obligeait effectivement les employeurs à négocier de bonne foi, les juges majoritaires de la Cour suprême constatent qu’elle prévoit aussi un recours général auprès d’un tribunal spécialisé en cas de contravention à l’une ou l’autre de ces dispositions, recours dont les salariés et leurs associations ne s’étaient jamais prévalus. Les juges majoritaires concluent que l’on ne peut en conséquence prétendre à l’inefficacité du recours. Dans le second, les juges majoritaires soulignent que l’exclusion des cadres du régime de négociation établi par le Code du travail du Québec ne les a pas empêchés, dans les faits, de procéder à une telle négociation avec l’employeur, qui respecte globalement son obligation de négocier.
[135] Voir : Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec, préc., note 112, paragr. 85; Fraternité des policiers et policières de Montréal c. Procureur général du Québec, préc., note 15, paragr. 68.
[136] Fraser, préc., note 110, paragr. 33, renvoyant à Dunmore, préc., note 106.
[137] Health Services, préc., note 26, paragr. 19.
[138] Les juges majoritaires en donnent un exemple dans Health Services, préc., note 26, paragr. 96.
[139] Health Services, préc., note 26, paragr. 109 in fine.
[140] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 42 et 43 (motifs majoritaires du j. Jamal).
[141] Ce que signale d’ailleurs l’arrêt Société des casinos, préc., note 31, paragr. 28 (motifs majoritaires du j. Jamal). Sur l’histoire de cette légifération au Canada, voir notamment : Health Services, préc., note 26, paragr. 40‑68.
[142] Corrélativement, le droit au lock-out est également régi par la loi.
[143] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 52 à 56 (motifs majoritaires du j. Jamal), ou 184 (alors que la j. Côté indique que « l’Association n’a pas établi qu’elle est empêchée de faire la grève en l’absence d’un régime législatif l’encadrant, de telle sorte que cela entraverait substantiellement la liberté d’association de ses membres. En effet, aucune loi n’empêche les membres de l’Association de faire la grève. Au contraire, dans l’éventualité où les membres décidaient de prendre part à un arrêt de travail aux fins de la négociation de leurs conditions de travail, l’al. 2d) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise s’appliqueraient de manière à leur conférer certaines protections »).
Voir aussi Health Services, préc., note 26, paragr. 26 (« le droit de négociation collective est traditionnellement reconnu aux organisations de travailleurs, même s’il ne s’inscrit pas dans un régime légal »).
[144] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 55 (motifs majoritaires du j. Jamal) et paragr. 181-184 (motifs concordants de la j. Côté, qui envisage même nommément le recours à l’injonction ou aux dommages‑intérêts, ou encore, en cas de congédiement pour cause d’exercice d’un droit garanti par la liberté d’association, le recours prévu par l’art. 124 de la Loi sur les normes du travail, qui relève du TAT).
[145] Préc., note 106. Voir aussi : Health Services, préc., note 26, paragr. 34.
[146] Fraser, préc., note 110, paragr. 47.
[147] APMO, préc., note 90, paragr. 72.
[148] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 19.
[149] Le test de l’arrêt Oakes s’applique à l’art. 9.1 de la Charte québécoise. Voir : Mouvement laïque québécois c. Saguenay, 2015 CSC 16, paragr. 90 (motifs majoritaires du j. Gascon).
[151] Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec, préc., note 112, paragr. 98.
[152] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 56-57 et 94.
[153] Saskatchewan, préc., note 13, paragr. 92.
[154] Voir également le paragr. 60 de ce même arrêt, préc., note 13, renvoyant aux propos du j. en chef Dickson dans le Renvoi albertain, préc., note 99, p. 374-375.
[156] Préc., note 15, paragr. 73-79.
[157] Voir aussi : Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec, préc., note 112.
[158] Repris dans Fraternité des policiers et policières de Montréal c. Procureur général du Québec, préc., note 15, paragr. 74-75.
[159] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 46.
[160] Renvoi albertain, préc., note 99, p. 334.
[161] APMO, préc., note 90, paragr. 66 (déjà reproduit au paragr. [96] supra).
[162] De façon générale, cette subordination à laquelle renvoie l’art. 2085 C.c.Q., est au cœur de la définition de salarié, qu’il s’agisse du « salarié / employee » au sens du paragr. 1l) C.t. ou du « salarié / employee » de l’art. 1 al. 1(10°) L.n.t., tous deux personnes qui travaillent pour un employeur. Cela est vrai aussi du « travailleur / worker » des art. 1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« une personne qui exécute, en vertu d’un contrat de travail […] un travail pour un employeur ») et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« une personne physique qui exécute un travail pour un employeur »). Ce travailleur est, à la base, un salarié. Dans tous ces cas de figure législatifs, la notion de subordination est déterminante.
Bien sûr, certaines lois du travail assimilent occasionnellement à des salariés (ou à des travailleurs) des personnes qui ne le sont pas (ou qui ne le sont pas clairement) ou donnent à ces dernières des droits équivalents ou adaptés. On peut penser ici à la personne décrite par les sous-paragr. i, ii et iii du paragr. 10 de l’art. 1 L.n.t. L’art. 9 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles vise pour sa part certains travailleurs autonomes. L’art. 9 al. 2 de la Loi sur l’équité salariale, RLRQ, c. E‑12.001, assimile à des personnes salariées les travailleurs autonomes répondant à certaines conditions. L’art. 1 paragr. j) de la Loi sur les décrets de convention collective, RLRQ, c. D-2, offre une définition étendue du « salarié ». Pour un exemple dans la législation fédérale, voir la notion d’« entrepreneur dépendant » à l’art. 3 paragr. (1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2.
Il arrive à l’inverse que ces mêmes lois du travail excluent de leur champ d’application des personnes qui sont liées à leur donneur d’ouvrage par un contrat de travail au sens de l’art. 2085 C.c.Q. On pourra consulter, à titre d’exemples, le Code du travail (qui exclut notamment les cadres du régime de négociation collective établie par cette loi, quoique ceux-ci soient des salariés), la Loi sur les normes du travail (qui exclut totalement ou partiellement certaines personnes salariées, dont les cadres supérieurs) ou la Loi sur la santé et la sécurité du travail (qui exclut elle aussi les cadres).
[166] Voir par ex. : préambule, clause 2-2.01 et note infrap. 2 de l’Entente collective MSSS et ADREQ-CSD à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux enfants, 6 août 2012 (pièce D-3); préambule, clause 2-2.01 et note infrap. 2 de l’Entente collective MSSS et RESSAQ-CSD à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes, 13 juin 2013 (pièce D-4); clause 2‑3.01 et note infrap. 2 de l’Entente collective MSSS et SCFP-FTQ à titre de groupement d’associations de ressources composées de familles d’accueil et de ressources intermédiaires destinées aux enfants, 22 décembre 2015 (pièce D-9); préambule, clause 203.01 et note infrap. 2 de l’Entente collective MSSS et RESSAQ à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes, 12 janvier 2016 (pièce D‑10), etc.
[167] J’en donne pour ex. la pièce P-22, Entente collective entre l’Alliance nationale des Associations démocratiques de ressources à l’adulte (ADRAQ-CSD) et le MSSS, 8 mai 2017, qui consacre cette autonomie fonctionnelle des Ressources : voir par ex. les clauses 1‑3.05, 1-3.08 et 1-3.09,1-3.10, 2‑3.04 (la ressource peut elle-même embaucher du personnel), etc.
[168] La qualification de sous-traitance paraît d’ailleurs si naturelle que la LRR a cru bon d’exclure l’application de l’art. 95 L.n.t. au regard de la responsabilité des établissements à l’endroit des salariés des Ressources, disposition qui prévoit la responsabilité solidaire du donneur d’ouvrage et du sous‑traitant, du sous-entrepreneur ou de l’intermédiaire à l’égard des obligations pécuniaires fixées dans la Loi sur les normes du travail. Parlant de l’entente négociée entre un établissement public et une Ressource, l’art. 55 al. 4 LRR énonce ainsi que : « Une entente visée au présent article n’est pas un contrat avec un sous‑entrepreneur ou un sous-traitant au sens de l’article 95 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N‑1.1) / An agreement referred to in this section is not a contract with a subcontractor within the meaning of section 95 of the Act respecting labour standards (chapter N-1.1) ».
[169] C’est le même genre d’exercice que l’on fait aussi, pour donner un autre exemple, en vertu de la Loi sur les normes du travail, afin d’éviter que des employeurs malintentionnés ne cherchent à contourner la loi en présentant comme des entrepreneurs ou des travailleurs autonomes ou autres qualificatifs du genre une personne qui est en réalité un salarié, c’est-à-dire « une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire » (art. 1 al. 1(10°) L.n.t.). Notons par ailleurs que la L.n.t. élargit expressément la notion de salarié à des personnes qui ont certaines des caractéristiques de l’entrepreneur ou du prestataire de services, mais demeurent néanmoins subordonnées au donneur d’ouvrage (sous-paragr. 1 al. 1(10°)i, ii et iii L.n.t.).
[170] Elles s’en sont d’ailleurs plaintes non seulement devant la Cour supérieure, mais également devant le Comité de la liberté syndicale de l’OIT (qui leur a lui aussi donné raison : Cas n° 2314, rapport n° 340, mars 2006, notamment aux paragr. 385, 388, 423; une plainte parallèle, visant les personnes responsables des services de garde en milieu familial, elles aussi péremptoirement déclarées prestataires de services (Cas n° 2333, rapport n° 340), a été réglée de la même façon par le même rapport).
[171] Jugement de première instance, paragr. 190, cité dans l’argumentation des intimés, paragr. 38.
[172] C’est une situation de fait que souligne le jugement de première instance, paragr. 205.
[173] On parlait autrefois du « contrat de louage de service personnel », contrat régi par les art. 1667-1671 du Code civil du Bas-Canada, dispositions réunies sous le titre « Du louage du service personnel des ouvriers, domestiques et autres / Of the lease and hire of the personal service of workmen, servants, and others ».
[174] Code du travail dont les art. 111.23-111.26 et 111.27-111.32 comportent des aménagements propres aux salariés travaillant dans une exploitation forestière et dans une entreprise agricole.
[184] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 47 (motifs majoritaires du j. Jamal; dans ses motifs concordants, la j. Côté partage le même avis).
[185] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 55 (motifs majoritaires du j. Jamal; dans ses motifs concordants, la j. Côté partage le même avis, paragr. 182).
[186] Fraser, préc., note 110, paragr. 68 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel).
[187] Préc., note 106.
La Cour supérieure a cru voir une autre exception dans l’arrêt APMO, préc., note 90. Dans Association des chirurgiens dentistes du Québec c. Ministre de la Santé et des Services sociaux, 2024 QCCS 241, s’interrogeant sur les droits associatifs des dentistes dans leurs rapports avec le gouvernement, elle écrit :
[77] La Cour suprême a déjà reconnu la protection de la liberté d’association à l’extérieur du cadre traditionnel de négociation entre employeur et employés syndiqués. Dans l’APMO, par exemple, la Cour suprême élabore les protections des membres de la GRC qui ne sont pas des employés et qui n’ont pas le droit de se syndiquer [renvoi omis].
Cela est cependant inexact, les membres de la GRC étant les employés de celle-ci au sens du droit commun (même s’ils sont exclus de la définition de « fonctionnaire » au sens de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2). On notera d’ailleurs que l’arrêt de la Cour suprême use assez fréquemment du terme emploi ou de ses dérivés pour décrire la situation des membres de la GRC : on parle ainsi de « questions relatives à leur emploi / employment-related issues (paragr. 2); on qualifie les membres d’employés / employees dans le paragr. 10 et de nouveau dans le paragr. 106, dans la version française du paragr. 113, puis dans les paragr. 118 et 131 de même que dans la version française du paragr. 156.
[190] 38 R.T.N.U. 153. Comme le note le juge Bastarache, le Canada n’a pas ratifié cette convention.
[191] 1060 R.T.N.U. 263. Le Canada n’a pas non plus ratifié cette convention.
[192] Dunmore, préc., note 106, paragr. 27, citant la Convention (n° 141) concernant les organisations de travailleurs ruraux et leur rôle dans le développement économique et social.
[193] Dunmore, préc., note 106, paragr. 14 (motifs majoritaires du j. Bastarache, reprenant les propos du j. McIntyre dans le Renvoi albertain, préc., note 99). Voir aussi, dans le même sens : APMO, préc., note 90, paragr. 66.
[194] Renvoi albertain, préc., note 99; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460. Dans ces trois affaires, il s’agissait de salariés. Le juge en chef Dickson, qui, déjà, entretenait à propos de la liberté d’association en matière de travail la perspective large qui s’impose dorénavant, réserve cette liberté aux « relations employeur‐employé » (Renvoi albertain, p. 334), usant alternativement des termes « salarié », « employé » (et « employeur ») ou « travailleurs », dans la version française, et des termes « employee » (et « employer ») ou « worker » dans l’original anglais, de manière interchangeable et visiblement pour désigner la même réalité juridique.
[195] Code canadien du travail, art. 3 (« employé » et « entrepreneur dépendant »). Dans sa dimension la plus générale (car il y a deux dimensions spécifiques, pour certains transporteurs et pour les pêcheurs), l’entrepreneur dépendant (« dependent contractor ») est l’entrepreneur ou le prestataire qui exécute des tâches pour une personne « selon des modalités telles qu’elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière et dans l’obligation d’accomplir des tâches pour elle / on such terms and conditions that they are, in relation to that other person, in a position of economic dependence on, and under an obligation to perform duties for, that other person ».
[196] S.O. 1995, c. 1, paragr. 1(1).
[197] Notons que, dans bien de cas, ces personnes seraient considérées selon toute vraisemblance comme des salariés au sens du Code du travail du Québec (et même au sens de l’art. 2085 C.c.Q.).
[198] Dans le cas des personnes exploitant un service de garde en milieu familial, l’historique de la loi qui leur est applicable est parallèle et semblable à celle des Ressources. Le législateur a réagi pareillement au jugement Grenier de 2008 (supra, note 45), qui les visait également.
[199] RLRQ, S-32.1. Précisons que cette loi, à l’instar de l’art. 93.1 C.t., prévoit que l’arbitrage d’un différend dans la négociation d’une première convention collective peut être demandé par l’une des parties seulement (art. 33 al. 1). Dans le cadre de la négociation des ententes subséquentes, l’arbitrage doit être demandé de concert par les deux parties (art. 33 al. 2).
[200] RLRQ, c. R-24.0.1. Cette loi retire deux sujets de la négociation collective (art. 33), à savoir 1° une règle, une norme ou une mesure établie dans la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (RLRQ, c. S-4.1.1) et ses règlements ou 2° l’entente de services conclue entre le parent et la personne responsable, notamment en ce qui a trait aux modalités de paiement de la contribution du parent, à la description de l’offre de services de la personne responsable ainsi qu’aux services requis par le parent.
[201] Société des casinos, préc., note 31, paragr. 7 (motifs majoritaires du j. Jamal). Voir aussi les paragr. 17 et 33.
[202] Voir par ex. : APMO, préc., note 90, paragr. 93.
[203] Martine D’Amours, « Les logiques d'action collective d'associations regroupant des travailleurs indépendants », (2010) 65(2) Relations industrielles 257, p. 258.
[204] Maude Choko, « La nouvelle trilogie de la Cour suprême du Canada relative à la liberté d’association : source de réjouissance pour les travailleurs autonomes? », (2016) 57(3) C. de D. 427, p. 445 et s.
[205] Bien que, comme on l’a vu, les législatures ont parfois choisi d’inclure certains travailleurs autonomes dans le champ d’application de lois régissant les rapports collectifs du travail. C’est le cas du Code canadien du travail et du Labour Relations Act, 1995 de l’Ontario, avec leur « entrepreneur dépendant / dependant contractor ». Voir supra, paragr. [156]. Ce genre de disposition, de toute façon, a surtout pour avantage (et intérêt) d’éviter le débat sur la qualification salarié/entrepreneur.
[208] L’art. 22 paragr. 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) protègent les droits issus de ces conventions, par renvoi.
[209] Convention (n° 98) concernant l’application des principes du droit d'organisation et de négociation collective, art. 1.
[211] Bureau international du travail, La liberté syndicale, préc., note 210, paragr. 254.
[212] Bureau international du travail, La liberté syndicale, préc., note 210, paragr. 262.
[213] Rapport intérimaire – Rapport No. 304, Juin 1996, Cas n° 1796 (Pérou), https://normlex.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:50002:0::NO:50002:P50002_COMPLAINT_TEXT_ID:2903259#A.
[214] Dans le cas péruvien 1796, il est possible que les travailleurs fournis aux entreprises n’aient pas été les salariés de celles-ci, mais, dans leur cas, le problème, au regard du droit québécois, ne tiendrait pas tant à leur statut de salariés qu’à l’identification de leur employeur.
[215] Pensons ici aux travailleurs agricoles, qui sont considérés comme des salariés au Québec (c’est également le cas en Ontario, comme on l’a vu en marge de l’arrêt Fraser). De la même manière, nombreuses sont les personnes exerçant des professions libérales qui, de par leur statut de salariées, bénéficient de l’entièreté des droits associatifs réservés aux salariés : prenons-en pour exemple les avocats et notaires qui sont à l’emploi du gouvernement québécois ou du gouvernement fédéral. Le fait d’exercer une profession libérale n’est donc pas, au Québec, incompatible avec le statut de salarié.
[217] Loi sur les coopératives, préc., note 216, art. 81, 82, 222-224.7 (coopératives de travail), 225-225.8 (coopératives de travailleurs actionnaires) et 226.1-226.15 (coopératives de solidarité). La jurisprudence va d’ailleurs en ce sens. Voir par ex. : Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 1229 c. Tribunal du travail, D.T.E. 2005T-392 (C.S.), et Boisaco inc. c. Section locale 1229 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, 2007 QCCA 744 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 4 octobre 2007, n° 32128), où l’on reconnaît que les travailleurs d’une coopérative de travail sont les salariés de celle-ci au sens du Code du travail. Voir aussi : Commission des normes du travail c. Coopérative de travailleurs de confection de vêtements 4 Saisons de St-Tite, 2006 QCCQ 1289 (où l’on reconnaît que la travailleuse d’une coopérative de travail œuvrant à domicile est une salariée au sens de la Loi sur les normes du travail). La jurisprudence québécoise comporte nombre d’exemples illustrant le fait que les membres (et travailleurs) d’une coopérative de travail sont les salariés de celle-ci.
[218] J’écarte de mon analyse du droit international les cas 2314 et 2333 du Comité de la liberté syndicale, qui concernent les Ressources, d’une part, et les personnes exploitant un service de garde familial, d’autre part. Dans ces deux cas, en effet, la contestation portait sur la loi modificatrice de 2003, qui retirait à ces personnes leur statut de « salarié » au sens du Code du travail, préalablement reconnu par les instances quasi judiciaires et judiciaires compétentes. Or, comme mentionné à plusieurs reprises, cette question n’est pas soulevée dans le cadre du présent débat sur la LRR.
[219] Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, paragr. 22 (motifs majoritaires des j. Brown et Rowe). Voir aussi : Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254, paragr. 289-297 (demandes d’autorisation d’appel et d’appel incident à la Cour suprême accueillies, 23 janvier 2025, n° 41231).
[220] Renvoi albertain, préc., note 99, p. 334 (motifs dissidents du j. en chef Dickson).
[224] Health Services, préc., note 26, notamment au paragr. 109 in fine.
[225] Voir par ex. : APMO, préc., note 90, paragr. 40 et 71. Voir aussi, en général : Health Services, préc., note 26.
[226] Voir par ex. les clauses 3-1.00, 3-2.00 et, surtout, 3-3.00 (notamment 3-3.06) de l’entente collective P‑22 (Entente collective entre l’Alliance nationale des Associations démocratiques de ressources à l’adulte (ADRAQ-CSD) et le MSSS, 8 mai 2017).
[227] RLRQ, c. S-4.2, r. 3.1 [« Règlement sur la classification »].
[228] Trésor de la langue française informatisé, « compte » (point II-C-2b)). Voir aussi : Alain Rey (dir.), Le Grand Robert de la langue française, 2e éd., Paris, Le Robert, 2001, « compte – tenir compte de », point 7, p. 378 (« prendre en considération »).
[229] Cambridge Dictionary, « take something into account ».
[230] Merriam Webster, « take into account ».
[231] A. Rey, préc., note 228 (« accorder une importance à »).
[232] Oxford English Dictionary, « take into account ».
[233] Jugement de première instance, paragr. 320.
[234] Jugement de première instance, paragr. 320.
[235] Voir par ex. : Lettre d’entente n° 1 entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ) relative à la procédure d’examen de la classification, Entente collective MSSS et FFARIQ pour le compte des associations de ressources destinées aux enfants en faisant partie, 22 septembre 2021, pièce D-39, p. 1; Lettre d’entente n° 1 entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération de la santé et des services sociaux – CSN relative à la procédure d’examen de la classification, Entente collective MSSS et FSSS-CSN à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes pour le compte des associations en faisant partie, 17 juillet 2021, pièce D-40, p. 1; Lettre d’entente n° 1 entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et l’Alliance nationale des associations démocratiques des ressources à l’adulte du Québec (ADRAQ-CSD) à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes pour le compte des associations en faisant partie et affiliées à la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) relative à la procédure d’examen de la classification, Entente collective MSSS et ADRAQ-CSD, à titre de groupement d’associations de ressources destinées aux adultes, 8 mai 2017, pièce D-31, p. 1.
[236] On pourrait même se demander si, malgré les art. 37 paragr. 1, 62 et 63 LRR, ce processus ne pourrait pas être intégré aux ententes collectives, de telle manière que, par exemple, le refus d’un établissement de se plier à l’exercice lorsqu’une demande lui est faite pourrait être assujetti aux mécanismes de concertation et d’arbitrage prévu par l’entente collective, même si le résultat de la démarche prévue par ce processus (c.‑à‑d. la classification de l’usager) n’est pas contestable, car relevant des établissements.
[237] Rappelons qu’en première instance, les questions de l’ancienneté, de l’incessibilité de cette entente et du nombre de places qu’elle fixe ont été contestées, mais que les intimés n’ont pas fait appel du jugement de première instance leur donnant tort sur ces trois questions. D’une part, le juge n’a pas vu de restrictions à la liberté de négocier des associations, vu l’environnement bien précis dans lequel évoluent les Ressources. D'autre part, à supposer qu’il y en eût, ces restrictions auraient à son avis été justifiées par l’art. 1 de la Charte canadienne et l’art. 9.1 de la Charte québécoise.
[238] Voir pièce D-31, lettre d’entente n° II; pièce D-39, lettre d’entente B; pièce D-40, lettre d’entente B.
[239] Voir pièce D-31, lettre d’entente n° 7; pièce D-39, lettre d’entente n° 2; pièce D-40, lettre d’entente n° 2.
[242] Health Services, préc., note 26, paragr. 109, repris dans LANEQ, préc., note 14, paragr. 12.
[244] Voir à ce sujet : pièce D-31, lettre d’entente n° II, MA, vol. 29, p. 10160-10161, clauses 3 et 4; pièce D‑39, lettre d’entente B; MA, vol. 34, p. 12160-12161, clauses 3 et 4; pièce D-40, lettre d’entente B, MA, vol. 34, p. 12244-12245, clauses 3 et 4.
[245] Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), préc., note 149, paragr. 90 (motifs majoritaires du j. Gascon, renvoyant à R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 768-769).
[246] Dunmore, préc., note 106, paragr. 14 (motifs majoritaires du j. Bastarache, reprenant les propos du j. McIntyre dans le Renvoi albertain, préc., note 99). Voir aussi, dans le même sens : APMO, préc., note 90, paragr. 66.