Niu c. American Cinema Inspires Inc. | 2025 QCCA 100 |
COUR D'APPEL |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC SIÈGE DE MONTRÉAL |
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No : | 500-09-030563-233 |
(500-17-123874-235) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE
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PARTIE APPELANTE | |
YUAN NIU | PRÉSENT ET NON REPRÉSENTÉ Absent |
PARTIES INTIMÉES | AVOCAT |
AMERICAN CINEMA INSPIRES, INC. TRIAL FILM, LLC | Me Ousmane Ndiaye-Kaberamanzi (Charness, Charness & Charness) Absent |
9 h 38 | Début de l’audience. Continuation de l'audience du 30 janvier 2025. Les parties ont été dispensées d’être présentes à la Cour. Arrêt – voir page 3. |
9 h 39 | Fin de l’audience. |
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Myriam Villeneuve, Greffière-audiencière |
- L’appelant se pourvoit contre un jugement de première instance qui : (1) reconnaît un jugement étranger rendu par défaut par la United States District Court for the District of Arizona (« U.S. District Court ») aux États-Unis[1]; (2) déclare celui-ci exécutoire au Québec; et (3) ordonne à l’appelant de payer aux intimées la somme de 111 636 $ CA (90 000 $ US) en dommages-intérêts, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par la loi depuis l’assignation[2]. Voici brièvement le contexte.
- Les intimées sont deux entreprises américaines œuvrant dans le domaine de la production et de la distribution cinématographique. Elles apprennent qu’une personne viole leurs droits d’auteur en diffusant illégalement à des tiers l’un de leurs films sur Internet, le tout à partir d’un site hébergé en Arizona, et que les revenus en découlant sont versés à un compte ouvert auprès de l’intermédiaire de paiement en ligne PayPal Inc. (« PayPal »). En mai 2021, elles obtiennent de l’hébergeur du site (« Hébergeur ») des informations identifiant la personne à l’origine de la diffusion, dont son nom, une adresse civique qui semble être un hôtel et une adresse courriel. Elles entreprennent un recours en Arizona devant la U.S. District Court afin de faire cesser cette pratique et obtiennent au début de juillet 2021 une ordonnance ex-parte pour que l’Hébergeur empêche la diffusion ou y mette fin, que PayPal gèle les paiements versés pour celle-ci ou en conséquence de celle-ci et cesse les transferts. L’ordonnance autorise aussi les intimées à obtenir de PayPal des informations liées au compte associé et à signifier à l’appelant la procédure par courriel à l’adresse obtenue de l’Hébergeur, et ce, en vertu des Federal Rules of Civil Procedure (« Federal Rules »)[3]. Quelques jours plus tard, les intimées signifient, tel qu’elles ont été dûment autorisées à le faire, les actes de procédure ainsi que l’ordonnance par courriel à l’adresse indiquée dans l’ordonnance et elles obtiennent confirmation que cet envoi a bel et bien été reçu et ouvert par le destinataire. Comme personne ne répond toutefois à la procédure américaine, les intimées obtiennent au mérite le jugement américain par défaut au début novembre 2021.
- En septembre 2022, les intimées retiennent les services d’une entreprise privée d’enquête et obtiennent un « Consumer Credit Report » qui confirme les informations identifiant l’appelant et leur donne une nouvelle adresse civique pour celui-ci. En outre, elles obtiennent en novembre 2022 certaines informations de PayPal qui appuient l’identification de l’appelant.
- En janvier 2023, les intimées déposent au Québec une demande introductive d’instance qu’elles signifient à l’appelant à la nouvelle adresse civique obtenue. Ce dernier conteste la demande au motif qu’il y a erreur sur la personne. Il allègue qu’il n’a aucun lien avec la violation des droits d’auteur et affirme n’avoir jamais reçu le courriel de signification. Après avoir entendu les parties, le juge détermine que les exigences des articles 3155 et 3156 C.c.Q. nécessaires à la reconnaissance d’un jugement rendu hors Québec sont respectées et il accueille la demande.
- L’appelant soulève de nombreux moyens qui remettent en question l’évaluation de la preuve faite par le juge, ses conclusions de fait et l’application des principes pertinents à ses conclusions, sans toutefois pointer d’erreur manifeste et déterminante[4]. Il reprend plusieurs des arguments plaidés en première instance et demande une nouvelle évaluation de la preuve en invitant la Cour à substituer son appréciation à celle du juge de première instance, mais tel n’est pas son rôle[5].
- Ainsi, le juge ne retient pas la version de l’appelant qu’il ne juge pas crédible puisque « [p]lusieurs éléments de preuve émanant de différentes sources appuient la conclusion que M. Niu est la personne qui a mis en place les sites internet et qu’il a contracté avec PayPal pour administrer des paiements pour les utilisateurs de ces sites »[6]. Les informations proviennent de trois sources indépendantes – l’Hébergeur, l’intermédiaire de paiement PayPal et le rapport d’enquête de crédit – qui lient toutes l’appelant à l’adresse électronique à laquelle la signification a été effectuée. Aucune preuve objective n’appuie par ailleurs la version de l’appelant ni ne le dissocie des informations d’identification trouvées auprès des tiers neutres (numéros de téléphone, paiements reçus par PayPal, adresses civiques et courriels). L’appelant maintient néanmoins qu’il n’existe pas de preuve directe le liant à l’adresse courriel, qu’il y a risque de fraude ou de vol d’identité et qu’il devrait bénéficier de tout doute à cet égard. Il se trompe puisque, tel que le retient le juge, le fardeau de preuve applicable en matière civile est celui de la prépondérance des probabilités. Par ailleurs, l’article 3156 al. 2 C.c.Q. édicte clairement qu’il revient à la partie contre laquelle un jugement par défaut a été rendu de prouver que « compte tenu des circonstances, elle n’a pu prendre connaissance de l’acte introductif d’instance »[7], ce que l’appelant n’a manifestement pas réussi à faire.
- L’appelant plaide que le rapport de crédit obtenu par les intimées porte atteinte à sa vie privée et devrait être exclu. Cet argument, qui n’a pas été soulevé en première instance, est sans mérite. Il n’y aucune preuve que les informations auraient été obtenues sans le consentement de l’appelant ni qu’il n’a pas autorisé leur partage, alors qu’il s’agit d’information en lien avec son crédit. Ainsi, il ne convainc pas que la preuve ait été obtenue « dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux »[8]. De plus, rien ne démontre que l’utilisation de cette preuve « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice »[9].
- Par ailleurs, il souligne que le rapport de crédit porte la mention « 05Aug2021 #HK# POTENTIAL FRAUD VICTIM BEFORE EXTENDING CREDIT VERIFY ALL APPLICANT INFORMATION CONTACT CONSUMER […] » pour appuyer son allégation de vol d’identité[10]. Toutefois, cette mention, dont la date est postérieure à l’obtention de l’adresse courriel de l’appelant auprès de l’Hébergeur, ne donne pas de précisions sur le type de fraude potentielle et ne permet pas de conclure que les données personnelles provenant de l’Hébergeur et de PayPal sont erronées.
- En conséquence, le juge était justifié de conclure que la preuve démontre que « les actes de procédure ont été envoyés et que les courriels ont été reçus et ouverts »[11] à une adresse courriel contrôlée par l’appelant, alors que ce dernier « n’a pas convaincu […] [qu’il] n’a pas pu prendre connaissance de l’acte introductif d’instance »[12].
- Quant à la régularité de la signification ayant précédé le jugement américain rendu par défaut, le juge affirme à bon droit que celle-ci doit être analysée au regard du droit américain applicable dans l’État de l’Arizona dont le fardeau de preuve incombe à la partie qui demande la reconnaissance et l’exécution de la décision étrangère[13]. La preuve non contredite démontre qu’au « moment de faire sa demande de notification par courriel, il [l’avocat des intimées] ne connaissait pas l’adresse de M. Niu [l’appelant], car l’adresse que M. Niu avait donnée à Namecheap [l’Hébergeur] était l’adresse d’un hôtel »[14]. La Convention de La Haye conclue le 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale[15] (« Convention ») ne s’applique pas « lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue », comme l’édicte son article premier, deuxième alinéa[16].
- Le droit américain permet aux tribunaux américains d’autoriser une signification par courriel dans une situation comme en l’espèce, et ce même lorsqu’aucun autre mode de signification n’a été tenté[17]. Ainsi, la signification régulière de l’acte introductif d’instance est établie « selon la loi du lieu où [la décision par défaut] a été rendue » en tout état de cause[18].
- À ce sujet, l’appelant tente de mettre en doute la crédibilité de l’avocat américain qui signe la déclaration sous serment établissant le droit américain applicable au motif qu’il représente les intimées, ce qui le placerait en conflit d’intérêts. Cette allégation ne saurait être retenue, considérant qu’il s’agit d’un professionnel soumis à un code de déontologie et que les explications qu’il donne du droit américain sont appuyées par un texte législatif et de la jurisprudence. D’ailleurs, l’appelant ne dépose aucune preuve pour le contredire.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. |
[1] Jugement de « Honorable John J. Tuchi, United States District Judge », daté du 2 novembre 2021, Dossier CV-21-00984-PHX-JJT.
[2] American Cinema Inspire c. Niu, 2023 QCCS 2091 (jugement entrepris).
[3] Ordonnance de « Honorable John J. Tuchi, United States District Judge », Cour du district des États-Unis de l’État d’Arizona, datée du 1er juillet 2021, Dossier CV-21-00984-PHX-JJT.
[4] Mercier c. Essor assurances placements-conseils inc., 2024 QCCA 1246, paragr. 21; Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 1168, paragr. 8.
[5] Fiasche c. Zaraa, 2025 QCCA 28, paragr. 5; McGill Avocats inc. c. Roch, 2024 QCCA 1581, paragr. 45-50; Airpura Industries inc. c. Tak Design industriel inc., 2024 QCCA 1729, paragr. 9.
[6] Jugement entrepris, paragr. 29. Voir également : Jugement entrepris, paragr. 20.
[7] Art. 3156 al. 2 C.c.Q.
[9] Voir : Centre de services scolaire de Montréal (Commission scolaire de Montréal) c. Alliance des professeures et professeurs de Montréal (FAE), 2021 QCCA 1095, paragr. 55.
[10] King International Advisory Group, Consumer Credit Report, daté du 21 juillet 2022.
[11] Jugement entrepris, paragr. 7.
[12] Id., paragr. 30. Voir également l’art. 3156 al. 2 C.c.Q.
[13] Id., paragr. 25. Voir également : Art. 3156 al. 1 C.c.Q.; Platania c. Di Campo, 2018 QCCA 1532, paragr. 26; Yousuf c. Jannesar, 2014 QCCA 2096, paragr. 28, demande d’autorisation d’appel rejetée, 29 octobre 2015, no 36271.
[14] Jugement entrepris, paragr. 27.
[15] 15 novembre 1965, 658 R.T.N.U. 163. Voir aussi Code de procédure civile, Annexe I (article 494 C.p.c.).
[16] Convention, art. 1 al. 2.
[17] Déclaration sous serment de Kerry S. Culpepper, avocat américain daté du 30 mars 2023 citant Rio Props v. Rio Int’l Interlink, (2002) 284 F.3d. 1007, p. 1015-1016 et art. 4 (f) des Federal Rules. Le juge d’instance conclut par ailleurs que l’interprétation donnée à la Convention par la Ninth Circuit Court of Appeals et d’autres tribunaux fédéraux américains arrive au même résultat, voir jugement entrepris, paragr. 26.
[18] Art. 3156 al. 1 C.c.Q.