Décision

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A.C. c. Rozon

2025 QCCS 63

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

No :

500-17-116313-217
500-17-116682-215

500-17-116954-218

500-17-117295-215

500-17-118516-213

500-17-119062-217

500-17-122649-224

500-17-122650-222

500-17-122651-220

 

 

DATE :

Le 16 janvier 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

chantal tremblay, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

500-17-117295-215

 

A… C...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-116313-217

 

P... T...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

 

500-17-116682-215

 

L... CH...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-116954-218

 

D... F...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-118516-213

 

AN… C...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-119062-217

 

S… M…

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-122649-224

 

G… CO...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-122650-222

 

M… S...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

500-17-122651-220

 

MA... R...

Demanderesse

c.

GILBERT ROZON

Défendeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT CONCERNANT l’application immédiate

de l’article 2858.1 C.c.Q.

(Article 209 C.p.c.)

______________________________________________________________________

 

  1.                Les demanderesses poursuivent M. Rozon en lien avec des agressions sexuelles et du harcèlement sexuel qui seraient survenus au cours des décennies 1980 et 1990. Leurs instances sont jointes pour être instruites en même temps et jugées sur la même preuve. Le procès se déroule depuis le 9 décembre 2024.
  2.                Le 4 décembre 2024, l’article 2858.1 du Code civil du Québec (C.c.Q.) entre en vigueur.  
  3.                Lorsqu’une affaire en matière civile ou administrative comporte des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale, l’article 2858.1 C.c.Q. crée dorénavant une présomption de non-pertinence relativement à la preuve de faits pouvant être reliés à des mythes et stéréotypes reconnus par une abondante jurisprudence provenant principalement d’affaires en droit criminel. Cet article prévoit que le débat relatif à leur recevabilité en preuve constitue une question de droit et se tient à huis clos.
  4.                Les parties demandent au Tribunal de trancher des questions de droit concernant l’article 2858.1 C.c.Q. Par ailleurs, pour ne pas retarder l’instance, le Tribunal a accepté la proposition des demanderesses de prendre sous réserve toute objection soulevée lors de leurs contre-interrogatoires au procès en lien avec les faits énoncés à l’article 2858.1 C.c.Q.  
  5.                En date du présent jugement, les neuf demanderesses ont témoigné au procès. Des objections fondées sur l’article 2858.1 C.c.Q. ont été soulevées lors d’un seul contre-interrogatoire. Celles-ci ont été prises sous réserve.
  6.                Par ailleurs, les demanderesses entendent faire témoigner plusieurs autres femmes pour prouver des faits similaires que M. Rozon aurait commis. Une de ces femmes a témoigné le 19 décembre dernier, mais uniquement après l’obtention de certaines renonciations et l’établissement de modalités particulières d’audition pour son témoignage.
  7.                Les parties demandent au Tribunal de trancher leurs différends quant à l’application de l’article 2858.1 C.c.Q. afin de savoir à quoi s’en tenir pour la suite du procès, soit lors de la preuve de faits similaires administrée en demande et lors de la preuve en défense que M. Rozon entend présenter.   
  8.                Aussi, le 6 janvier 2025, M. Rozon a transmis un avis en vertu de l’article 76 C.p.c. au Procureur général du Québec (PGQ) visant une contestation constitutionnelle du nouvel article 2858.1 C.c.Q.
  9.                Cela dit, le présent jugement ne concerne pas la validité constitutionnelle de l’article 2858.1 C.c.Q. Il vise plutôt à répondre aux quatre questions qui suivent, formulées par les parties :
  1. L’article 2858.1 C.c.Q. est-il d’application immédiate ?
  2. Dans l’affirmative, le tribunal peut-il ou doit-il soulever d’office l’application de l’article 2858.1 C.c.Q. en l’absence d’une objection ?
  3. Quelle est la procédure à suivre pour tenter de renverser la présomption de non-pertinence édictée par l’article 2858.1 C.c.Q. ?
  4. Quel est l’impact de l’avis d’inconstitutionnalité sur la décision du Tribunal à ce stade de l’enquête quant aux trois questions précédentes ?
  1.            Pour répondre à ces questions, le Tribunal devra trancher le différend des parties concernant l’interprétation de l’article 2858.1 C.c.Q. Le Tribunal procédera à une telle analyse dans le contexte des allégations de violence sexuelle en cause. 

ANALYSE

1.                  L’article 2858.1 C.c.Q. est-il d’application immédiate ?

  1.            M. Rozon soutient que l’article 2858.1 C.c.Q. ne s’applique pas aux instances en cours avant l’entrée en vigueur de cette disposition. Tout d’abord, il invoque que le droit en vigueur au moment des actes reprochés doit s’appliquer en raison de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil (L.a.r.c.c.)[1]. De plus, il plaide que l’article 2858.1 C.c.Q. le pénalise, lui impose un nouveau fardeau de preuve et affecte ses droits substantiels.     
  2.            Les demanderesses, appuyées par le PGQ, expriment plutôt l’avis que cet article est d’application immédiate puisqu’il est de nature purement procédurale. Elles ajoutent qu’avant l’entrée en vigueur de l’article 2858.1 C.c.Q., la jurisprudence confirmait déjà la non-pertinence des moyens de défense fondés sur les mythes et stéréotypes dans le contexte des recours en responsabilité civile en matière de violence sexuelle.

1.1  Les principes juridiques

  1.            Le point de départ de toute analyse concernant l’application dans le temps d’une loi nouvelle réside dans la loi elle-même. En effet, l’intention du législateur est souveraine tant en matière de droit transitoire qu’en matière d’interprétation des lois en général[2].
  2.            Dès lors, il importe de vérifier dans un premier temps si l’intention du législateur est de conférer ou non un effet particulier à la disposition à l’étude.
  3.            En l’absence de disposition transitoire, et si l’intention du législateur ne ressort pas explicitement ou par implication nécessaire de la lecture du texte de loi, il est alors nécessaire de se tourner vers les règles d’interprétation et la jurisprudence. La Cour suprême a récemment clarifié la nature des présomptions temporelles applicables et leur interaction[3].
  4.            Une loi de nature purement procédurale régit la façon de faire valoir des droits ou des avantages sans toutefois leur porter atteinte sur le fond[4]. Elle est présumée d’application immédiate. Comme le souligne la Cour suprême, la seule chose qui importe, dans le cas de la présomption d’application immédiate des lois purement procédurales, est « la présence ou l’absence d’une incidence sur des questions substantielles »[5].
  5.            Par opposition, une loi qui porte atteinte à des intérêts juridiques substantiels ne vaut que pour l’avenir, et ce, en raison de la présomption de non-rétrospectivité des lois et de la présomption de non-atteinte aux droits acquis[6], à moins de pouvoir discerner une intention claire du législateur qu’elle s’applique rétrospectivement.  

[220] L’équilibre entre l’équité et la primauté du droit dans la présomption d’application immédiate des lois purement procédurales se reflète dans le seuil du caractère « substantiel », qui part du principe selon lequel les atteintes aux intérêts juridiques existants et les autres résultats injustes découlant de l’application de nouvelles mesures législatives devraient être évités […]. Toutefois, s’il faut protéger ces intérêts juridiques, il est nécessaire d’avoir des règles de procédure efficaces qui permettent de les faire valoir en justice. Donner un effet immédiat à une réforme procédurale fait en sorte que les tribunaux ne continuent pas à appliquer des procédures dont le législateur a décidé qu’elles n’étaient pas idéales à cette fin […]. Ainsi, l’application immédiate de nouvelles dispositions procédurales à tous est « réputée avantageuse pour tous » et elle protège les attentes bien établies, plutôt que de leur porter atteinte […]. À mesure qu’il devient moins un moyen d’établir d’autres droits et responsabilités par voie de procédures judiciaires et davantage une fin en soi indépendamment de ces procédures, l’intérêt juridique devient davantage susceptible de satisfaire au seuil du caractère « substantiel » […].[7]

(Références omises)

  1.            Un intérêt juridique substantiel constitue « un droit, un avantage, une obligation ou une responsabilité qui ne concerne pas simplement la manière dont un plaideur mène un litige, mais qui a des implications directes sur la personne en dehors de la salle d’audience »[8]. Sont substantiels, par exemple, des changements importants apportés aux éléments de la responsabilité civile, aux moyens de défense ou aux réparations disponibles[9]. Pour écarter la présomption applicable aux lois purement procédurales, il importe qu’un intérêt juridique substantiel soit affecté par le droit nouveau dans sa nature ou son contenu, et non seulement quant à la manière de l’appliquer ou de l’utiliser[10]. Enfin, pour savoir si un tel intérêt a été acquis avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle règle, il faut se demander si toutes les conditions factuelles préalables à sa reconnaissance ont été remplies[11].
  2.            En résumé, selon l’approche énoncée dans l’arrêt Archambault[12], il importe de :

1)  déterminer si l’application de la nouvelle loi porte atteinte à un intérêt juridique substantiel, puis, le cas échéant;

2)  déterminer si cet intérêt juridique substantiel était acquis lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.  

1.2 La disposition en litige

  1.            Les parties interprètent l’article 2858.1 C.c.Q. ainsi que sa portée différemment.
  2.            Pour les demanderesses et le PGQ, cet article vise à reconnaître la non-pertinence des faits reliés aux mythes et stéréotypes et à protéger les personnes prétendues victimes de la violence en évitant qu’elles soient confrontées à des questions ou à une preuve fondée sur ceux-ci.
  3.            Pour M. Rozon, la présomption de non-pertinence créée par l’article 2858.1 C.c.Q. ne se limite pas aux mythes et stéréotypes et vise à l’empêcher d’administrer toute preuve reliée aux faits qui y sont énoncés. 
  4.            Il importe donc de trancher cette pure question d’interprétation législative, laquelle ne requiert aucune preuve, comme le reconnaissent les parties. Les parties ont d’ailleurs eu l’opportunité de confirmer que leurs représentations étaient complètes à ce sujet, compte tenu de l’incidence possible sur le débat portant sur la constitutionnalité de l’article 2858.1 C.c.Q.  
  5.            En matière d’interprétation législative, il faut lire les termes d’une disposition dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical des mots utilisés qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur[13].
  6.            Par ailleurs, une disposition du Code civil, comme toute autre loi québécoise, doit être lue en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne[14] (Charte québécoise) et, en présence d’une ambiguïté, conformément aux valeurs consacrées par la Charte canadienne des droits et libertés[15] (Charte canadienne).
  7.            L’article 2858.1 C.c.Q. a été introduit par l’article 13 de la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence (projet de loi no 73)[16].
  8.            Il se lit ainsi :

2858.1. Lorsqu’une affaire comporte des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale, sont présumés non pertinents :

1° tout fait relatif à la réputation de la personne prétendue victime de la violence;

2° tout fait relié au comportement sexuel de cette personne, autre qu’un fait de l’instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité;

3° le fait que cette personne n’ait pas demandé que le comportement cesse;

4° le fait que cette personne n’ait pas porté plainte ni exercé un recours relativement à cette violence;

5° tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée;

6° le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l’auteur allégué de cette violence.

Tout débat relatif à la recevabilité en preuve d’un tel fait constitue une question de droit et se tient à huis clos, malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12). 

  1.            Même s’il ne s’applique pas ici, il importe de souligner que l’article 15 du projet de loi no 73 apporte aussi une modification à l’article 228 du Code de procédure civile (C.p.c.) Cet article se lit maintenant ainsi :

228. Les parties peuvent, avant la tenue de l’interrogatoire, soumettre à un juge les objections qu’elles anticipent afin que celui-ci en décide ou leur donne des directives pour la conduite de l’interrogatoire.

Si les objections soulevées pendant l’interrogatoire portent sur le fait que la personne interrogée ne peut être contrainte, sur les droits fondamentaux, sur des faits présumés non pertinents lorsqu’une affaire comporte des allégations de violence sexuelle ou conjugale ou encore sur une question soulevant un intérêt légitime important, cette personne peut alors s’abstenir de répondre. Ces objections doivent être présentées au tribunal dans les cinq jours pour qu’il en décide.

Les autres objections, notamment celles portant sur la pertinence, n’empêchent pas la poursuite de l’interrogatoire, le témoin étant tenu de répondre. Ces objections sont notées pour être décidées lors de l’instruction, à moins qu’elles ne puissent être soumises au tribunal pour qu’il en décide sur-le-champ.

Le jugement qui tranche une objection peut être rendu sur le vu du dossier.

(Notre emphase concernant la modification apportée)

  1.            Le projet de loi no 73 est présenté à l’Assemblée nationale le 3 octobre 2024. Son adoption intervient le 28 novembre suivant. L’ajout de l’article 2858.1 C.c.Q. et la modification à l’article 228 C.p.c. reçoivent sanction le 4 décembre 2024 et entrent en vigueur à cette même date[17].  
  2.            Lors de la présentation du projet de loi no 73, le ministre de la Justice le présente notamment ainsi[18] :

M. Jolin-Barrette : Merci, Mme la Présidente. Projet de loi n°73,

(…)

Le projet de loi modifie le Code civil, le Code du travail, la Loi sur la fonction publique, la Loi sur la justice administrative et la Loi instituant le Tribunal administratif du travail afin de prévoir une présomption de non-pertinence de la preuve basée sur les mythes et les préjugés reconnus en droit criminel lorsqu’une affaire en matière civile ou administrative comporte des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale.

(…)

Merci, Mme la Présidente.

(Notre emphase)

  1.            Le 27 novembre 2024, le ministre s’exprime comme ceci concernant l’ajout de l’article 2858.1 C.c.Q. et la modification apportée à l’article 228 C.p.c.[19] :

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Ça me fait grand plaisir de prendre la parole sur l’adoption finale du projet de loi n°73, loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière de violence des personnes victimes de violence. C’est un projet de loi qui est important, M. le Président. Et d’ailleurs même le secrétaire général de l’Assemblée nationale est présent ici pour entendre l’adoption finale du débat, M. le Président. Alors, je pense que ça démontre toute l’importance du sujet, M. le Président.

(…)

Le projet de loi n° 73 vient offrir, par ailleurs, aux personnes victimes un meilleur soutien devant les tribunaux en matière civile. Inspirés par le déploiement du tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, nous proposons d’étendre certaines mesures au recours civil, car la présence de violence n’est pas limitée aux affaires criminelles. Nous prévoyons, notamment, l’élargissement de l’offre de formation sur les réalités de la violence sexuelle ou conjugale aux intervenants qui oeuvrent auprès des personnes victimes en matière civile, y compris en matière familiale, la mise en place de mesures d’aide au témoignage, comme la possibilité de témoigner à distance ou derrière un paravent ainsi que d’être accompagné par une personne de confiance ou d’être assisté d’un chien de soutien, la possibilité de garder l’adresse confidentielle dans les documents auxquels l’accusé a accès, ce qui est particulièrement important dans un contexte de violence conjugale, et l’instauration des mêmes protections qu’en droit criminel concernant les mythes et stéréotypes véhiculés en matière de violence sexuelle ou violence conjugale. Cela signifie, par exemple, que le passé sexuel de la personne victime ou encore le fait qu’elle n’a pas mis fin immédiatement à la relation avec son présumé agresseur ne pourront pas être utilisés contre elle devant un tribunal ni lors d’un interrogatoire. Cela paraît évident, mais ce sont malheureusement des choses qui se produisent encore de nos jours dans nos salles d’audience.

(Notre emphase)

  1.            Selon lui, l’article 2858.1 C.c.Q. instaure en droit civil les mêmes protections qu’en droit criminel concernant les mythes et stéréotypes véhiculés notamment en matière de violence sexuelle[20]. Cela fait écho à la recommandation 146 du rapport de 2021 du Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale[21] :

10.8.4 Les mythes et préjugés

(…) Certes, malgré ces indéniables avancées, les mythes et les stéréotypes ressurgissent parfois devant les tribunaux de droit criminel, mais en pareil cas, les tribunaux d’appel ont le bénéfice de règles juridiques claires et ils n’hésitent pas à intervenir sur ce fondement. Or, ces mythes et préjugés n’opèrent pas seulement dans le champ du droit criminel, loin de là. Le législateur québécois ne s’est pas exprimé aussi clairement que le législateur fédéral à cet égard et de l’avis du comité d’experts, il y aurait lieu de le faire, probablement par le biais de la règle générale de la pertinence de la preuve.

(…)

Recommandation 146 : Modifier la règle de la pertinence de la preuve de manière à exclure l’introduction des mythes et préjugés dans l’évaluation de la crédibilité de la victime d’agression sexuelle ou de violence conjugale.

(Emphase dans l’original, notre soulignement et références omises)

  1.            De plus, en commission parlementaire, le ministre Jolin-Barette explique que l’expression « personne prétendue victime de la violence », que l’on retrouve à l’article 2858.1 C.c.Q., fut choisie, plutôt que « victime alléguée », afin de viser à la fois la partie demanderesse et tout autre témoin appelé à témoigner dans une instance civile[22].
  2.            L’article 2858.1 C.c.Q. s’inscrit dans le premier chapitre du titre troisième du Code civil, lequel concerne de façon générale la recevabilité des éléments de preuve. Avant cet ajout, ce chapitre ne comprenait que deux articles, soit l’article 2857 C.c.Q. concernant la recevabilité en preuve de tout fait pertinent, ainsi que l’article 2858 C.c.Q. concernant le devoir du tribunal de « rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » :

2857. La preuve de tout fait pertinent au litige est recevable et peut être faite par tous moyens.

2858. Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel.

  1.            L’article 2858.1 C.c.Q. s’insère à la suite de ces dispositions. Son premier alinéa crée une présomption de non-pertinence eu égard aux faits énoncés dans les six paragraphes qui suivent, alors que le second alinéa prévoit la nécessité de tenir un débat à huis clos pour déterminer la recevabilité en preuve de ces faits présumés non pertinents, ce qui constitue une question de droit aux fins d’un éventuel appel.
  2.            On notera que le législateur réfère à des faits généralement associés à des mythes et stéréotypes, lesquels sont « présumés » (et non « réputés ») sans pertinence. La recevabilité de ces faits doit donc être débattue conformément au deuxième alinéa quant à la question de leur pertinence. Il ne saurait donc être question ici d’une prohibition totale comme le craint M. Rozon.
  3.            La disposition s’appliquera normalement à toute affaire visée par le Code civil[23], ce qui inclut des demandes en responsabilité civile, comme en l’instance, mais aussi d’autres types de dossiers, y compris les matières familiales.
  4.            L‘article 2858.1 C.c.Q. ne réfère pas explicitement aux termes ou aux notions de « mythes » et de « stéréotypes » en matière de violence sexuelle ou conjugale, mais il semble clair, à la lumière des extraits de débats parlementaires précités et du lien évident avec la jurisprudence de droit criminel que c’est exactement ce qu’il vise, comme cela sera démontré ci-après.
  5.            Les mythes et stéréotypes, à l’endroit des personnes présumées victimes de violence sexuelle, réfèrent à des idées ou des croyances très répandues qui s’avèrent fausses empiriquement[24].
  6.            Certains mythes jettent un discrédit sur la véracité des propos tenus par les présumées victimes et sur leur fiabilité, tandis que d’autres conceptualisent une victime idéale ainsi que ses caractéristiques et actions avant, pendant et après une agression[25].
  7.            Dans l’affaire Darrach[26], la Cour suprême du Canada donne trois raisons pour lesquelles l’introduction d’une preuve fondée sur les mythes et stéréotypes pose problème :

- ils ne sont pas pertinents et déforment donc la fonction de recherche de la vérité que remplit le processus judiciaire;

- ils dissuadent la dénonciation des agressions sexuelles, surtout lorsqu’ils servent à humilier les plaignant(e)s devant le tribunal;

- ils sont discriminatoires en ce sens qu’ils ont un effet inéquitable sur les femmes en particulier.

  1.            Plus récemment, dans l’affaire Kruk[27], la Cour suprême réitère que les mythes et stéréotypes n’ont pas leur place dans un système juridique juste et rationnel puisqu’ils compromettent la recherche de la vérité en la déformant. Ainsi, ils minent en fait la tenue d’un procès équitable pour toutes les parties impliquées et les membres du public. 
  2.            Chacun des six paragraphes du premier alinéa de l’article 2858.1 C.c.Q. réfère à des mythes et stéréotypes reconnus par les tribunaux supérieurs et le législateur fédéral.
  3.            L’alinéa 1(1) de l’article 2858.1 C.c.Q. s’attaque au mythe codifié par le législateur fédéral à l’article 277 du Code criminel (C.cr.), à savoir qu’une preuve de réputation sexuelle visant à attaquer ou à défendre la crédibilité du(de la) plaignant(e) est inadmissible. En effet, l’idée que la crédibilité d’une présumée victime de violence sexuelle puisse être affectée par le fait qu’elle a eu d’autres rapports sexuels est aujourd’hui universellement rejetée. Il n’existe aucun lien logique entre la réputation sexuelle d’une présumée victime et sa crédibilité comme témoin[28].
  4.            L’alinéa 1(2) de l’article 2858.1 C.c.Q. réfère au mythe reconnu depuis l’affaire Seaboyer[29] voulant que le comportement sexuel du(de la) plaignant(e) appuie la déduction générale qu’il ou elle est moins digne de foi comme témoin. L’interdiction de recourir à un tel mythe se retrouve maintenant codifiée à l’article 276(1) b) C.cr.[30].
  5.            À l’appui de son interprétation voulant que la nouvelle loi soit de portée exorbitante, M. Rozon plaide, comme exemple, que le libellé de ce deuxième paragraphe a une portée beaucoup plus grande que l’interdiction prévue à l’article 276(1) b) C.cr. Le Tribunal n’est pas de cet avis. 
  6.            L’alinéa 1(2) de l’article 2858.1 C.c.Q. stipule que tout fait relié au comportement sexuel de la personne prétendue victime de la violence, autre qu’un fait de l’instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité, est présumé non pertinent.
  7.            De son côté, l’article 276(1) b) C.cr. énonce que la preuve visant à démontrer que le plaignant a eu une activité sexuelle avec l’accusé ou un tiers est inadmissible pour permettre de déduire du caractère sexuel de cette activité, qu’il est moins digne de foi.
  8.            Bien que le style de rédaction diffère afin de tenir compte du régime propre au droit criminel et à celui du droit civil, ces deux dispositions ont le même objectif en regard du même mythe, soit celui de reconnaître que le comportement sexuel de la présumée victime de la violence est non pertinent pour déterminer de sa crédibilité comme témoin.   
  9.            La Cour suprême a déjà reconnu que les objets légitimes de l’article 276(1) C.cr. sont de préserver l’intégrité du procès en excluant des éléments de preuve jugés non pertinents et trompeurs, de protéger les droits de l’accusé et d’inciter au dépôt de plaintes en matière d’infractions d’ordre sexuel grâce à la protection de la sécurité et de la vie privée des plaignant(e)s[31].
  10.            Cela dit, il est intéressant de noter que l’article 276(2) C.cr. prévoit la possibilité pour l’accusé ou son représentant de formuler une demande d’audience au juge pour décider de l’admissibilité en preuve du comportement sexuel antérieur de la présumée victime. Il doit alors démontrer que cette preuve n’est pas présentée pour permettre une déduction fondée sur les mythes visés par l’article 276(1), qu’elle porte sur des cas particuliers d’activité sexuelle, qu’elle soit en rapport avec un élément de la cause et que le risque d’effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de cette preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante.
  11.            Comme le souligne la Cour suprême dans l’affaire T.W.W.[32] :

 [59] (…) Aujourd’hui, le régime législatif régissant les demandes fondées sur l’art.  276 met en balance, d’une part, le droit constitutionnel de la personne accusée à une défense pleine et entière et, d’autre part, le droit de la personne plaignante de ne pas voir des détails non pertinents et hautement confidentiels de son passé sexuel exposés devant le tribunal (…). Aucun de ces intérêts n’est absolu ni prépondérant; le régime législatif requiert plutôt que le juge du procès soupèse ces intérêts, tout en gardant à l’esprit les objectifs concernant la protection de l’intégrité du procès, les droits dont bénéficie la personne accusée au procès, la sécurité et la vie privée des personnes plaignantes, et les droits à l’égalité (…).

(Références omises)

  1.            La jurisprudence reconnaît aussi que la preuve du comportement sexuel antérieur peut être admissible par exemple, pour étayer d’autres déductions ou une défense de croyance sincère, mais erronée ou parce qu’elle est inextricablement liée à une déclaration antérieure incompatible[33].
  2.            L’alinéa 1(3) de l’article 2858.1 C.c.Q. s’attaque au mythe voulant que si le(la) plaignant(e) est demeuré(e) passif(ve) ou n’a pas résisté aux avances, soit physiquement ou verbalement, il ou elle a consenti à l’activité sexuelle reprochée[34]. 
  3.            L’alinéa 1, paragraphes (4) et (5) de l’article 2858.1 C.c.Q. réfèrent au mythe voulant que les « véritables » victimes d’agression sexuelle signalent l’incident à la première occasion possible ou que la crédibilité d’un(e) plaignant(e) soit affectée par sa déclaration tardive[35]. Le législateur fédéral a d’ailleurs aboli les règles de preuve relatives aux plaintes spontanées en matière d’agression sexuelle à l’article 275 C.cr.
  4.            Enfin, l’alinéa 1(6) de l’article 2858.1 C.c.Q. s’attaque au mythe voulant qu’une victime d’agression sexuelle ne côtoie pas son agresseur après l’infraction[36].
  5.            De ce qui précède, le Tribunal interprète l’article 2858.1 C.c.Q. et sa portée, comme ceci :
  1.             En vertu du premier alinéa, le législateur crée une présomption de non-pertinence eu égard aux faits qui servent à appuyer des déductions jugées inappropriées et discriminatoires, découlant de mythes et stéréotypes reconnus à la fois par les tribunaux supérieurs et le législateur fédéral en matière de violence sexuelle et conjugale.
  2.             En vertu du deuxième alinéa, le législateur vise à empêcher que la prétendue victime de la violence soit confrontée à de tels faits, qui portent atteinte à ses droits fondamentaux, sans qu’un débat à huis clos ne se tienne au préalable pour déterminer de la recevabilité de ceux-ci. 
  1.            En effet, la dignité, l’égalité et la sécurité des présumées victimes de la violence ainsi que leur droit à la vie privée sont au cœur des protections fournies par le nouvel article 2858.1 C.c.Q.[37].

1.3       La discussion

1.3.1  L’indication de l’intention du législateur en termes de droit transitoire

  1.            Le projet de loi no 73 ne contient aucune disposition transitoire en lien avec le nouvel article 2858.1 C.c.Q. ni d’indication claire quant à l’intention du législateur eu égard à son application dans le temps.
  2.            M. Rozon invoque toutefois que la L.a.r.c.c. prévoit, selon lui, que puisque la plupart des faits à l’origine des présentes instances se sont déroulés avant l’entrée en vigueur du Code civil en 1994, le droit antérieur demeurerait applicable aux « conditions de [s]a responsabilité civile » et quant à tout régime de présomption légale[38]. Cet argument recoupe celui qui sera abordé dans la prochaine section concernant les présomptions établies par la jurisprudence, et pour les mêmes motifs, il doit être rejeté.
  3.            D’abord, la jurisprudence indique que les règles de droit transitoire dictées par la L.a.r.c.c. gouvernaient les conflits résultant de la réforme du Code civil en 1994, mais ne s’appliquent pas aux questions relatives à ses amendements subséquents, tel l’article 2858.1 C.c.Q.[39]. Ce sont donc les principes usuels de droit transitoire, lesquels ont d’ailleurs fait l’objet d’une argumentation complète des parties en l’instance, qui doivent s’appliquer à une nouvelle disposition du Code civil.
  4.            Pour les motifs détaillés ci-après, le Tribunal estime que même dans l’hypothèse où la L.a.r.c.c. s’appliquait au présent litige, l’article 2858.1 C.c.Q. ne modifie pas les conditions de fond de la demande ni de la défense; il n’ajoute ni n’enlève quoi que ce soit aux éléments factuels permettant de décider des litiges.
  5.            En effet, l’article 9 al. 2 L.a.r.c.c. prévoit que le droit nouveau s’applique à « tout ce qui concerne la preuve et la procédure » dans une instance en cours[40], ce qui comprend a priori une règle relative à la pertinence comme en l’espèce.
  6.            L’article 141 L.a.r.c.c. fait exception, notamment, pour les « présomptions légales » :

141. En matière de preuve préconstituée et de présomptions légales, la loi en vigueur au jour de la conclusion de l’acte juridique ou de la survenance des faits s’applique.

(Notre emphase)

  1.            Certes, l’article 2858.1 C.c.Q. établit une forme de présomption légale[41] à l’égard de certains « faits ». De manière générale, les présomptions légales[42] sont des dispositions qui touchent plus au fond, c’est-à-dire à la substance du droit, qu’à la procédure, car elles attribuent un effet juridique probatoire à un fait ou un acte donné, indépendamment de la saisine éventuelle d’un tribunal[43].
  2.            Cependant, l’article 2858.1 C.c.Q. est différent : il ne vise pas les conséquences sur le fond des faits qui y sont énumérés (lesquelles demeurent inchangées, comme nous le verrons ci-après), mais plutôt la façon d’organiser dans une instance leur administration en preuve et le débat relatif à leur recevabilité. C'est donc réellement la mise en preuve de ces faits, et non leur existence indépendamment du litige, qui enclenche la présomption qu’ils ne sont pas pertinents.
  3.            L’article 2858.1 C.c.Q. est donc une règle de preuve d’application immédiate selon les règles de droit transitoire de la L.a.r.c.c. Comme l’écrivaient les professeurs Pierre-André Côté et Daniel Jutras :

[…] Les règles substantielles de preuve touchent au déroulement du procès. Elles déterminent comment le tribunal doit procéder pour parvenir à une conclusion sur les faits en litige. Elles précisent quelle partie a le fardeau de preuve, quelle preuve est recevable, et quelle force probante on doit lui accorder. Elles sont, en ce sens, intimement liées à l’instance, plutôt qu’aux faits ou aux actes dont la preuve est à faire. […][44]

1.3.2 Les présomptions établies par la jurisprudence  

  1.            Puisque la réponse à la question de droit transitoire ne se trouve pas dans la loi, le tribunal doit recourir aux présomptions établies par la jurisprudence[45].
  2.            Dans un premier temps, le Tribunal doit déterminer si des intérêts juridiques substantiels de M. Rozon sont affectés par cette nouvelle disposition, et ce, à la lumière de l’interprétation retenue concernant l’article 2858.1 C.c.Q. et sa portée.
  3.            Pour contextualiser le débat, il convient de tenir compte des moyens de défense qu’il annonce.
  4.            De manière générale, M. Rozon invoque qu’il n’aurait eu que des relations consensuelles avec trois demanderesses et nie avoir commis quel qu’autres gestes lui étant reprochés. Il allègue aussi des faits qui tendraient, selon lui, à miner la crédibilité des versions données par certaines demanderesses. Il soulève également des éléments susceptibles de minimiser le préjudice subi par chaque demanderesse ou de mettre en doute le lien causal avec la faute alléguée. Enfin, il plaide la prescription des recours.
  5.            Ainsi, dans ses moyens de défense, M. Rozon allègue des faits visés par l’article 2858.1 C.c.Q. pour lesquels il semble vouloir, à première vue, inviter le Tribunal à tirer des inférences fondées sur des mythes et stéréotypes. Il invoque que :
  1.             L... Ch... n’a jamais verbalisé qu’elle ne souhaitait pas avoir une relation sexuelle avec lui[46]. Cette allégation est visée par l’alinéa 1(3) de l’article 2858.1 C.c.Q.;
  2.             le comportement de D... F... est totalement contraire à celui d’une victime d’agression sexuelle puisqu’elle a notamment continué de travailler directement avec lui au Festival Juste pour rire après les agressions présumées[47]. Ces allégations sont visées par l’alinéa 1(6) de l’article 2858.1 C.c.Q.; 
  3.              le comportement de Ma... R... est incompatible avec ses propres allégations d’agression sexuelle puisque celle-ci a notamment continué de travailler et d’occuper un poste au [...] après la prétendue agression[48]. Ces allégations sont visées par l’alinéa 1(6) de l’article 2858.1 C.c.Q.;
  4.             les allégations de M... S... voulant qu’il l’ait harcelée et agressée durant une période de onze ans de 1988 à 1999 seraient surprenantes, voire surréalistes, puisqu’elle a par la suite travaillé pour les Productions Rozon de 2001 à 2004 et qu’elle l’a côtoyé sur une base quasi quotidienne[49]. Ces allégations sont visées par l’alinéa 1(6) de l’article 2858.1 C.c.Q.;
  5.             M... S... avait une attitude et un comportement inappropriés et inadaptés à un milieu de travail[50]. En fonction des questions plus précises formulées lors du contre-interrogatoire de cette demanderesse, le Tribunal a déterminé que celles-ci étaient visées par les deux premiers paragraphes du premier alinéa de l’article 2858.1 C.c.Q.;
  6.               P... T... ne s’est jamais positionnée comme une victime d’agression sexuelle. Elle a plutôt eu une « attitude charmeuse » à son égard après leur relation intime soit lors de nombreux soupers et soirées[51]. Ces allégations sont visées par les paragraphes 1 et 6 du premier alinéa de l’article 2858.1 C.c.Q.
  1.            Questionné à ce sujet à l’audience, M. Rozon confirme qu’il n’a pas l’intention de tirer profit des mythes et stéréotypes en demandant au Tribunal de conclure en ce sens. 
  2.            Dès lors, les craintes qu’il entretient concernant les impacts potentiels du nouvel article sur l’administration du reste de sa preuve découlent directement de sa propre interprétation de l’article 2858.1 C.c.Q.  En effet, si les faits visés par cet article que M. Rozon veut mettre en preuve n’ont pas pour objectif de prouver des mythes et stéréotypes, comme il l’affirme, la démonstration de leur pertinence ne saurait constituer un enjeu pour lui.  Ses craintes à cet égard devraient donc se dissiper à la lumière de l’interprétation retenue par le Tribunal.
  3.            Malgré les assurances données à l’audience, il demeure nécessaire de répondre à la question en litige de savoir si l’introduction de l’article 2858.1 C.c.Q. porte atteinte à des intérêts juridiques substantiels de M. Rozon ? Pour répondre de manière affirmative à cette question, il faudrait conclure que le droit antérieur avalisait l’utilisation par un tribunal des mythes et stéréotypes pour décider d’une demande fondée sur des allégations de violence sexuelle et conjugale, ce qui n’est pas le cas.
  4.            Les mythes et stéréotypes constituent des fausses conceptions ou représentations quant au comportement attendu d’une victime d’agression sexuelle. Ils sont donc contraires de ce qu’est un fait pertinent et ne sauraient fonder un jugement.
  5.            D’ailleurs, avant l’entrée en vigueur de cet article, il était déjà impossible de tirer des inférences fondées sur des mythes et stéréotypes puisque celles-ci reposent sur des généralisations sans aucune valeur logique ni empirique[52].  Des faits mis en preuve pour ce motif ne respectaient donc pas le critère de l’article 2857 C.c.Q.:

[...] Somme toute, un fait est notamment pertinent s’il s’agit d’un fait en litige, s’il contribue à prouver d’une façon rationnelle un fait en litige ou s’il a pour but d’aider le tribunal à apprécier la force probante d’un témoignage. […][53]

  1.            Des jugements récents, soumis par les parties, reconnaissent explicitement que les enseignements de la Cour suprême, concernant les mythes et stéréotypes, doivent s’appliquer aux recours en responsabilité civile en matière de violence sexuelle[54]. 
  2.            Ainsi, on peut lire dans l’affaire C.T. c. Dudek[55] :

[19] Enfin, dans son appréciation de la valeur probante des témoignages en matière d’agression sexuelle, le Tribunal doit être sensible et tenir compte des potentielles incidences psychologiques que de tels traumatismes peuvent avoir sur les victimes.

[20] Qui plus est, et comme le souligne la Cour suprême du Canada, le Tribunal doit se garder des « mythes et stéréotypes » au regard des victimes dont celui qu’une victime est moins digne de foi en raison de son comportement sexuel antérieur ou encore que les personnes qui consultent des professionnels de la santé mentale ne sont pas crédibles ni fiables, que le fait de ne pas avoir signalé sur-le-champ une infraction d’ordre sexuel signifie qu’elle n’a pas eu lieu, que la consommation de drogues et d’alcool fait foi d’une mauvaise moralité et qu’une « vraie victime » évitera tout contact avec l’agresseur après le fait.

(Référence omise) 

  1.            Et plus récemment, dans Herman c. Zajdel[56] dans le contexte d’un recours en diffamation contre une victime alléguée :

[311] In the criminal context, the Supreme Court of Canada has addressed the unfortunate myths and stereotypes regarding victims of sexual violence, which still today, can influence judges and juries in their appreciation of the credibility of witnesses or in the analysis of consent:

(…)

[312] Some examples of these myths and stereotypes include how a “real victim” of sexual violence would interact with an aggressor, how someone with multiple partners is more susceptible to have consented to an alleged assault. It is clear that these myths and stereotypes are no longer accepted in Canadian law.

[313] These teachings of the Supreme Court of Canada in the criminal law context regarding these myths and stereotypes have been imported in civil law context.

(Références omises)

  1.            D’autres décisions de tribunaux civils et administratifs ont évoqué l’existence de certains mythes et stéréotypes ou rejeté des arguments fondés sur eux[57]. La doctrine est aussi bien au fait de cette réalité[58]. Évidemment, les mythes et stéréotypes ont influencé et continuent d’influencer les décisions des tribunaux civils, ici comme ailleurs.
  2.            Très récemment, la Cour d’appel de Colombie-Britannique tenait des propos semblables dans un dossier de droit familial impliquant des allégations de violence conjugale. Dans cette affaire, le juge d’instance devait décider du partage du temps parental d’un enfant. Or, la mère avait déposé des plaintes de violence conjugale contre le père. Le juge d’instance avait, à tort, accepté et fondé sa décision sur le mythe proposé par le père voulant que les femmes formulent couramment de fausses allégations de violence familiale pour obtenir ce qu’elles veulent dans les procédures judiciaires qui suivent une séparation[59].
  3.            Dans cette affaire, la Cour note qu’il appartient aux juges d’être proactifs pour débusquer et se protéger des mythes et stéréotypes même si les parties ne les soulèvent pas, particulièrement en matière de violence conjugale[60].
  4.            Tout moyen de défense fondé sur des mythes ou stéréotypes n’était donc pas véritablement disponible sous le droit antérieur, et ce, même si celui-ci avait été allégué avant l’entrée en vigueur de l’article 2858.1 C.c.Q.
  5.            Bien que les décisions précitées traitent de l’appréciation d’une preuve qui peut avoir été administrée lors de l’enquête et audition, il était déjà loisible à une partie, sous le droit antérieur, de s’objecter lors du procès à toute preuve fondée sur les mythes et stéréotypes en invoquant l’article 2857 C.c.Q. De même, il était loisible à une partie de demander la radiation d’allégations non pertinentes[61]. Peu importe le comportement adopté par les parties, le tribunal n’était aucunement autorisé à tirer des inférences erronées à partir de toute preuve administrée.
  6.            M. Rozon plaide également que l’article 2858.1 C.c.Q. affecte ses intérêts juridiques substantiels en lui imposant un nouveau fardeau de preuve. Comme nous le verrons ci-après, il n’en est rien.
  7.            Il s’appuie sur l’arrêt Paquin[62], lequel porte sur l’application rétrospective d’une modification touchant la disposition du Code des professions encadrant la détermination des sanctions infligées en matière d’infraction à caractère sexuel. Cette modification est survenue après la commission de l’infraction reprochée au professionnel, mais avant la décision sur la culpabilité et la sanction. La disposition prévoit désormais une radiation d’au moins cinq ans et augmente le montant de l’amende minimale prévue. Par ailleurs, la nouvelle mouture permet au Conseil de discipline de prononcer une radiation plus courte si le professionnel le convainc que la période minimale de radiation n’est pas indiquée en raison des circonstances propres de l’affaire. La Cour d’appel conclut qu’« au-delà de la durée de la sanction, le fait d’imposer au professionnel un fardeau de persuasion est en soi préjudiciable », ce qui emporte l’application de la présomption contre l’effet rétrospectif des lois. D’ailleurs, ces motifs ne concernent pas la présomption d’application immédiate des lois procédurales, puisqu’il est acquis au débat qu’une modification à une sanction est de nature substantielle.
  8.            Or, ici, la situation est bien différente puisque sous le droit antérieur, chaque partie impliquée dans un litige civil a toujours eu l’obligation de démontrer la pertinence de ce qu’elle allègue et ce qu’elle veut prouver.
  9.            Même s’il fallait conclure que l’article 2858.1 C.c.Q. impose un nouveau fardeau, celui-ci ne porterait pas atteinte à un intérêt juridique substantiel puisque l’article 2858.1 C.c.Q. vise, comme cela est le cas pour l’article 276 (1) C.cr., à exclure les éléments de preuve trompeurs visant à soutenir des déductions illégitimes[63].
  10.            Pour appuyer son argumentaire voulant que l’article 2858.1 C.c.Q. ne saurait être considéré de nature purement procédurale et donc d’application immédiate, M. Rozon réfère également à l’arrêt Dineley[64]. Dans cette affaire, la Cour suprême reconnaît qu’une règle, d’apparence procédurale, limitant la preuve pouvant être faite à l’encontre d’un résultat d’alcootest, dans le cadre d’accusations de conduite avec facultés affaiblies, affectait des droits substantiels parce qu’elle empêchait le recours à une défense dite « de type Carter ». Ce type de défense consistait à administrer une preuve indépendante (généralement, le témoignage de l’accusé interprété par un expert en toxicologie) tendant à contredire les résultats de l’alcootest et ainsi faire naître un doute raisonnable sur leur exactitude. En vertu du droit nouveau, l’accusé ne peut désormais produire qu’une preuve relative au fonctionnement ou à l’utilisation de l’alcootest. Cette modification prive donc l’accusé d’une chance raisonnable d’être acquitté à l’issue du procès. Dans son arrêt connexe, St-Onge Lamoureux, la Cour reconnaît la pertinence de la preuve administrée à l’occasion d’une défense de type Carter car celle-ci « peut logiquement tendre à discréditer […] les résultats d’analyses obtenus au moyen d’un alcootest », ceci bien que des études plus récentes aient établi la fiabilité de cet outil et la force probante discutable du témoignage d’un accusé sur sa consommation[65].
  11.            Or, la preuve fondée uniquement sur des mythes et stéréotypes en matière de violence sexuelle n’offre pas une telle pertinence puisqu’il s’agit de fausses idées ou croyances, lesquelles ont été largement réfutées empiriquement. Contrairement aux dispositions examinées dans Dineley, l’article 2858.1 C.c.Q. n’a pas d’effet sur le contenu ou l’existence des moyens de défense disponibles à M. Rozon. Il n’a pas d’influence quant à son fardeau de preuve sur le fond des recours.
  12.            L’article 2858.1 C.c.Q. constitue donc un véhicule procédural utilisé pour éviter l’administration d’une preuve non pertinente et attentatoire aux droits de témoins, et cela ne change rien à la réalité que les mythes et stéréotypes ne pouvaient pas, sous le droit antérieur, fonder un jugement et que, par conséquent, la preuve des faits reliés à ceux-ci n’est pas pertinente à moins d’une démonstration contraire.
  13.            Le Tribunal conclut qu’il s’agit donc d’une loi de nature purement procédurale puisqu’elle régit la façon de faire valoir des droits ou avantages, sans toutefois avoir d’incidence sur des questions substantielles. La présomption de non-pertinence créée par l’article 2858.1 C.c.Q. est d’application immédiate à l’égard de la preuve visant les demanderesses. 
  14.            Qu’en est-il de l’application de l’article 2858.1 C.c.Q. relativement aux autres témoins assignés pour prouver des faits similaires de la part de M. Rozon à titre de modus operandi ? Selon la demande d’inscription par déclaration commune datée du 9 décembre 2024, ces témoins sont de présumées victimes de violence sexuelle.
  15.            Au procès, M. Rozon annonce pour la première fois son intention de s’objecter au témoignage de tous ces témoins tiers. Le Tribunal a donc retenu la date du 12 décembre 2024 pour débattre de cette objection. 
  16.            En l’espèce, M. Rozon n’a pas demandé aux demanderesses de préciser leurs allégations concernant la preuve de faits similaires et il n’a pas exposé de moyens de défense à ces égards.
  17.            Selon les demanderesses, cette preuve vise notamment à démontrer que le défendeur est un « prédateur sexuel » et à établir toutes les circonstances appropriées dans le contexte des réclamations en dommages punitifs ainsi qu’à contester les recours en diffamation logés par le défendeur par voie de demande reconventionnelle contre certaines demanderesses.
  18.            Lors de cette audition, le Tribunal a accepté la proposition du défendeur d’entendre l’ensemble de la preuve de faits similaires sous réserve de son objection reformulée.
  19.            Les propos du ministre de la Justice sont clairs : l’expression « personne prétendue victime de la violence » doit inclure tout témoin dans le cadre d’une instance civile. Bien que les déclarations faites lors de débats parlementaires doivent être considérées avec prudence[66], l’application de l’article 2858.1 C.c.Q. à toute victime alléguée de violence sexuelle ou conjugale, qu’elle soit ou non partie à l’instance, est conforme au texte de la disposition et à son objectif qui est notamment de protéger ses droits fondamentaux.
  20.       Le Tribunal conclut qu’à l’égard de la preuve de faits similaires, la présomption de non-pertinence créée par l’article 2858.1 C.c.Q., est également d’application immédiate. En effet, pour les motifs déjà exposés, cette présomption n’affecte aucun droit substantiel du défendeur advenant que celui-ci invoque des moyens de défense fondés sur des mythes et stéréotypes.
  21.       Ainsi, lorsqu’une question de contre-interrogatoire ou l’administration d’une preuve concerne un fait visé par l’un des six paragraphes de l’article 2858.1 C.c.Q., il appartiendra à M. Rozon d’en démontrer la pertinence au préalable, et ce, dans le cadre d’un débat tenu à huis clos.
  22.       M. Rozon aura ainsi l’opportunité de démontrer que les faits visés par l’article 2858.1 C.c.Q. contribuent à prouver de façon rationnelle un fait en litige, qu’ils visent une preuve susceptible d’être présentée à des fins valides ou qu’ils ont pour but d’aider le tribunal à apprécier la force probante d’un témoignage, par exemple, lorsqu’il existe des versions contradictoires[67].
  23.       En l’espèce, le Tribunal réfère au fardeau qui incombe à M. Rozon puisqu’aucun indice ne laisse présager qu’une personne assignée comme témoin en défense soit elle-même une prétendue victime de violence sexuelle ou conjugale. Bien évidemment, si cela était le cas, l’article 2858.1 C.c.Q. s’appliquerait également à cette personne. Les demanderesses auraient alors le fardeau de démontrer la pertinence de leurs questions en contre-interrogatoire eu égard aux faits visés par l’article 2858.1 C.c.Q., le cas échéant. 

2.                  Le tribunal doit-il soulever d’office l’application de l’article 2858.1 C.c.Q. ?

  1.       Comme mentionné ci-dessus, les droits fondamentaux des victimes alléguées de violence sexuelle ou conjugale sont au cœur des préoccupations du législateur vis-à-vis les mythes et stéréotypes.  Dans l’arrêt J.J., la Cour suprême rappelle que la persistance de ceux-ci dans notre système de justice a historiquement porté atteinte « à la dignité, à l’égalité et à la vie privée des personnes qui avaient le courage de porter plainte et de subir les rigueurs d’un procès public »[68].
  2.       Encore plus récemment, dans Kruk[69], la Cour suprême rappelle que les règles interdisant les mythes et stéréotypes ont notamment pour fonction de promouvoir le droit à l’égalité, en « écart[ant] les règles de droit discriminatoires qui ont contribué à la perception que les femmes, en tant que groupe, étaient peu crédibles et ne méritaient pas une protection juridique contre la violence sexuelle ».
  3.       L’article 2858.1 C.c.Q. doit être lu à la lumière de sa disposition voisine, soit l’article 2858 C.c.Q. Selon celui-ci, le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
  4.       Le Tribunal est d’avis que le fait de permettre que des questions présumées non pertinentes et attentatoires à leurs droits soient posées aux personnes prétendues victimes de la violence sans qu’un débat n’ait eu lieu pour décider de leur admissibilité est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
  5.       De la même manière, le fait que des personnes prétendues victimes de la violence soient exposées à l’administration d’éléments de preuve fondés sur des mythes et stéréotypes sans qu’un débat n’ait lieu pour décider de leur admissibilité, est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
  6.       Comme l’explique la Cour d’appel[70] :

[44] L’article 2858 C.c.Q. apporte ainsi un bémol à la règle voulant que toute preuve pertinente soit admissible au procès. La question de savoir si l’utilisation d’un élément de preuve est de nature à déconsidérer l’administration de la justice au sens de cette disposition requiert un exercice de pondération entre deux facteurs : d’une part, la gravité de la violation et, d’autre part, l’enjeu du procès. Déjà en 1999, dans l’arrêt Mascouche (Ville de) c. Houle, le juge Gendreau écrivait :

Le juge du procès civil est convié à un exercice de proportionnalité entre deux valeurs : le respect des droits fondamentaux, d’une part, et la recherche de la vérité, d’autre part. Il lui faudra donc répondre à la question suivante : La gravité de la violation aux droits fondamentaux, tant en raison de sa nature, de son objet, de la motivation et de l’intérêt juridique de l’auteur de la contravention que des modalités de sa réalisation, est-elle telle qu’il serait inacceptable qu’une cour de justice autorise la partie qui l’a obtenue de s’en servir pour faire valoir ses intérêts privés? Exercice difficile s’il en est, qui doit prendre appui sur les faits du dossier. Chaque cas doit donc être envisagé individuellement. Mais, en dernière analyse, si le juge se convainc que la preuve obtenue en contravention aux droits fondamentaux constitue un abus du système de justice parce que sans justification juridique véritable et suffisante, il devrait rejeter la preuve.

(Référence omise)

  1.       Bien que chaque cas doive être analysé individuellement, on ne saurait reconnaître que la valeur d’une preuve sans aucune pertinence, administrée aux seules fins d’appuyer un mythe ou stéréotype, sera telle qu’elle autorise le tribunal à tolérer l’atteinte aux droits fondamentaux d’une victime alléguée.
  2.       En effet, comme l’exprime l’auteur Catherine Piché[71] dans son ouvrage La preuve civile[72] :

213. La pertinence sert à restreindre la très grande liberté que le système accusatoire et contradictoire attribue aux parties dans la conduite d’un procès. Cette limitation à la preuve empêche un plaideur de prouver des faits qui n’ont pas de rapport véritable avec le litige ou qui sont dénués de valeur probante, tout en étant susceptibles de créer de la confusion, d’éterniser un débat ou de porter inutilement préjudice à son adversaire. Elle sert, comme toute, un double objectif : d’une part, permettre aux parties la présentation de toute preuve nécessaire à l’établissement des faits sur lesquels repose le droit qu’elles allèguent ou la contestation du droit qu’allègue la partie adverse; d’autre part, empêcher la production d’une preuve sans rapport avec le litige. Comme l’expliquait habillement la Cour d’appel, la pertinence est

[…] une règle d’application générale dans notre système d’administration de la justice […], qui repose sur l’idée du débat contradictoire […], favorise la recherche de la vérité et sous-tend l’obligation qu’a tout tribunal d’entendre les parties et le droit de celles-ci d’être entendues. D’une certaine manière, on peut dire que la règle de la pertinence est tout à la fois manifestation, balise et garantie de cette règle de justice naturelle que protège en outre l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.

(Nos emphases et références omises)

  1.       Ainsi, si une partie ne soulève pas d’objection fondée sur l’article 2858.1 C.c.Q., le tribunal doit intervenir en exerçant son pouvoir discrétionnaire afin de s’assurer que les éléments de preuve présumés non pertinents sont bel et bien admissibles.

3.                  Quelle est la Procédure à suivre pour renverser la présomption de non-pertinence?

  1.       Le législateur a prévu que tout débat relatif à la recevabilité en preuve des faits énoncés aux six paragraphes du premier alinéa de l’article 2858.1 C.c.Q. constitue une question de droit et se tient à huis clos, malgré l’article 23 de la Charte québécoise[73].
  2.       Il n’a toutefois pas édicté de paramètres ou de modalités précises d’audition en lien avec la tenue de tels débats, comme cela est le cas à l’article 276(2) C.cr.
  3.       Les parties demandent au Tribunal de déterminer la procédure qui doit être suivie dans le cadre du procès étant donné que l’article 2858.1 C.c.Q. est entré en vigueur que quelques jours avant le début de celui-ci.
  4.       Le Tribunal croit qu’il est opportun de s’inspirer, dans une certaine mesure, des modalités prévues à l’article 276(2) C.cr.
  5.       Ainsi, si M. Rozon entend administrer une preuve fondée sur les faits énoncés à l’article 2858.1 C.c.Q., soit lors du contre-interrogatoire des témoins de faits similaires, dans le cadre de son propre témoignage ou par le biais de témoins assignés en défense, il devra au préalable formuler une demande d’audience à huis clos.  
  6.       Dans sa demande d’audience à huis clos, il devra indiquer l’objectif recherché par une telle preuve et démontrer qu’elle ne sera pas utilisée au soutien d’un raisonnement fondé sur les mythes ou stéréotypes visés à l’article 2858.1 C.c.Q.
  7.       En d’autres termes, il devra démontrer que la preuve qu’il veut administrer vise des fins précises, pertinentes et permises. La pertinence de cette preuve dépendra du contexte dans lequel elle s’inscrit[74] et de l’utilisation qu’il souhaite en faire.
  8.       Par exemple, la preuve d’une activité sexuelle pourrait être pertinente pour des questions liées à la crédibilité si un témoin nie l’existence même d’une telle activité lors de son témoignage en chef[75].
  9.       Dans certains cas, il est possible que la pertinence d’une preuve quant aux faits visés par l’article 2858.1 C.c.Q. ne puisse être anticipée ou ne se cristallise pas avant que des témoins n’aient commencé à déposer à procès. Il importera alors, à la première occasion, et avant le début de tout contre-interrogatoire, de formuler une telle demande afin que le débat à huis clos prévu à l’article 2858.1 C.c.Q. puisse se tenir.
  10.       De même, comme le reconnaît la Cour suprême, si l’évolution de la preuve administrée à procès entraîne un changement important dans les circonstances d’appréciation de la pertinence, le Tribunal pourra réviser toute décision rendue, et ce, à la lumière des nouveaux éléments de preuve[76]. La Cour d’appel confirme ce pouvoir du juge, en matière civile, de revenir sur toute décision interlocutoire en matière d’administration de la preuve advenant un changement suffisant de circonstances[77]. Cette possibilité qu’aura le tribunal de se pencher à nouveau sur la recevabilité d’un fait visé par l’article 2858.1 C.c.Q. évitera qu’un élément qui pourrait servir à d’autres fins que pour soutenir un mythe ou un stéréotype se trouve exclu de la preuve au dossier parce que M. Rozon ne fut pas en mesure d’en justifier la pertinence à un stade antérieur du procès.
  11.       Advenant qu’une preuve qui n’est pas déjà au dossier soit nécessaire aux fins du débat à huis clos sur la recevabilité des faits visés par l’article 2858.1 C.c.Q., le Tribunal pourra, sur demande ou d’office, permettre l’administration d’une telle preuve et en déterminer les modalités.  
  12.       Le Tribunal conclut finalement que les articles 11 et 13 C.p.c., concernant la publicité des débats et le huis clos, s’appliquent. Ces articles prévoient ceci :

 11. La justice civile administrée par les tribunaux de l’ordre judiciaire est publique. Tous peuvent assister aux audiences des tribunaux où qu’elles se tiennent et prendre connaissance des dossiers et des inscriptions aux registres des tribunaux.

Il est fait exception à ce principe lorsque la loi prévoit le huis clos ou restreint l’accès aux dossiers ou à certains documents versés à un dossier.

Les exceptions à la règle de la publicité prévues au présent chapitre s’appliquent malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C12).

(…)

13. Sont admis à assister à l’audience qui se tient à huis clos les avocats et les notaires, leurs stagiaires, les journalistes qui prouvent leur qualité ainsi que, s’agissant d’audiences relatives à l’intégrité et à la capacité d’une personne, une personne que celle-ci considère apte à l’aider ou à la rassurer de même que toute autre personne que le tribunal considère apte à le faire. Le tribunal peut néanmoins refuser leur présence si les circonstances l’exigent pour éviter un préjudice sérieux à une personne dont les intérêts risquent d’être touchés par la demande ou l’instance.

Peuvent également être admises les personnes dont la présence est, selon le tribunal, requise dans l’intérêt de la justice.

(Notre emphase)

4.                  Quel est L’impact de l’avis d’inconstitutionnalité ?

  1.       Les parties demandent au Tribunal de déterminer l’impact de l’avis d’inconstitutionnalité visant l’article 2858.1 C.c.Q., notifié le 6 janvier dernier, sur les conclusions qui précèdent.
  2.       Par cet avis, M. Rozon invoque que la présomption de non-pertinence créée par l’article 2858.1 C.c.Q. viole ses droits constitutionnels protégés par les articles 4 et 23 de la Charte québécoise ainsi que par l’article 7 de la Charte canadienne. 
  3.       En résumé, il soutient que si le Tribunal lui refuse le droit d’interroger ou de contre-interroger des témoins sur des faits visés par l’article 2858.1 C.c.Q., il ne pourra pas exercer son droit à une défense pleine et entière. De telles atteintes contreviendraient aux principes que l’on retrouve à l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, à savoir le principe de justice naturelle et le droit à la pleine égalité devant les tribunaux, le tout en contravention aux valeurs démocratiques et à l’ordre public.
  4.       À l’audience, il fut convenu avec les parties que si le Tribunal déclarait que l’article 2858.1 C.c.Q. s’applique aux présentes instances, le débat sur la constitutionnalité de l’article 2858.1 C.c.Q. aurait lieu avant que la preuve de faits similaires et celle en défense ne soit administrée.
  5.       Dans cette optique, un échéancier devra être établi par les parties et entériné par le Tribunal, à moins qu’en raison de l’interprétation retenue concernant l’article 2858.1 C.c.Q. et sa portée, M. Rozon décide de retirer son avis d’inconstitutionnalité.  

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.       DÉCLARE que l’article 2858.1 C.c.Q. est d’application immédiate quant à l’ensemble de la preuve dans le cadre des présentes instances.
  2.       LE TOUT, sans les frais de justice.

 

 

 

 

__________________________________CHANTAL TREMBLAY, j.c.s.

 

Me Bruce W. Johnston

Me Anne-Julie Asselin

Me Jessica Lelièvre

Trudel Johnston & Lespérance

Avocats des demanderesses

 

Me Mélanie Morin

Me Pascal A. Pelletier

Morin Pelletier avocats

Avocats du défendeur

 

Me Laurent Debrun

Spiegel Ryan s.e.n.c.r.l.

Avocat-conseil du défendeur

 

 

Me Michel Déom

Me Amélie Bellerose

Me Cédric Thomas-Delarosbil

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Avocats du mis en cause

 

Date d’audience :

Le 9 janvier 2025

 

 

 

 


[1]  RLRQ, c. CCQ-1992.

[2]  Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, no 457.

[3]  R. c. Archambault, 2024 CSC 35, par. 190-233 (motifs de la juge Karakatsanis).

[4]  Voir aussi Republic of India c. CCDM Holdings, 2024 QCCA 1620, par. 209 (citant avec approbation les motifs de la juge Karakatsanis dans Archambault).

[5]  R. c. Archambault, 2024 CSC 35, par. 204; R. c. Dineley, 2012 CSC 58, par. 10. Voir également Procureur général du Canada c. Métro Excavation inc., 2023 QCCA 1011, par. 10-16.

[6]  R. c. Dineley, 2012 CSC 58, par. 9-11; Procureur général du Canada c. Métro Excavation inc., 2023 QCCA 1011, par. 10-16.

[7]  R. c. Archambault, 2024 CSC 35, par. 220.

[8]  Id., par. 199. Voir aussi R. c. Chouhan, 2021 CSC 26, par. 92.

[9]  R. c. Archambault, 2024 CSC 35, par. 221, avec les adaptations nécessaires.

[10]  Id., par. 223; R. c. Dineley, 2012 CSC 58, par. 15, 16.

[11]  Id.

[12]  R. c. Archambault, 2024 CSC 35, par. 232-233.

[13]  Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, p. 40-41, réitéré, notamment, dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43, par. 23; R. c. Archambault, 2024 CSC 35, par. 22, 194 et R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 56.

[14]  RLRQ, c. C-12 (sous réserve de la dérogation prévue quant au huis clos au 2e alinéa de 2858.1 C.c.Q.). Voir l’art. 53 de la Charte québécoise de même que la disposition préliminaire du Code civil du Québec. Voir aussi Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, par. 20, réitéré dans Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3, par. 32.

[15]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11. Voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, par. 62, réitéré dans Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 76.

[16]  L.Q. 2024, c. 37.

[17]  Article 27 du projet de loi no 73.

[18]  ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1e sess., 43e légis., 3 octobre 2024; Notes explicatives du projet de loi no 73.

[19]  ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1e sess., 43e légis., 27 novembre 2024.

[20]  Voir aussi les notes explicatives du projet de loi no 73.

[21]  COMITÉ D’EXPERTS SUR L’ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D’AGRESSIONS SEXUELLES ET DE VIOLENCE CONJUGALE, Rebâtir la confiance, Québec, Secrétariat à la condition féminine, 2021, pages 176-177, auquel réfère le ministre en commission parlementaire : COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 1e sess., 43e légis., 29 novembre 2024, 18 h 45.

[22]  COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 1e sess., 43e légis., 29 novembre 2024, 18 h 45.

[23]  Les articles 16-21 projet de loi no 73 incluent des dispositions similaires concernant les affaires devant le Tribunal des professions, le Tribunal administratif du travail et le Tribunal administratif du Québec.

[24]  R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 37.

[25]  R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 36.

[26]  R. c. Darrach, 2000 CSC 46, par. 32 à 37.

[27]  R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 43.

[28]  R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577, page 612.

[29]  R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577.

[30]  Voir aussi R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 25.

[31]  R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577, page 606; R. c. Darrach, [2000] 2 R.C.S. 443.

[32]  R. c. T.W.W., 2024 CSC 19.

[33]  Voir notamment : R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577, page 635; R. c. Crosby, [1995] 2 R.C.S. 912; R. c. Darrach, [2000] 2 R.C.S. 443, page 467.

[34]  Voir notamment : R. c. Ewanchuck, [1999] 1 R.C.S. 330, par. 93, 95, 97 et 99 (selon la juge L’Heureux-Dubé, motifs concordants), par. 103 (selon la juge McLachlin, motifs concordants), aussi le par. 51 (selon le juge Major au nom de la majorité); R. c. Find, 2001 CSC 32, par. 101 (selon la juge en chef McLachlin au nom de la Cour); R. c. Barton, 2019 CSC 33, par. 98, 105, 107, 109 et 118 (selon le juge Moldaver au nom de la majorité); R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 36, 41 et 52.

[35]  R. c. D.D., 2000 CSC 43, par. 59, 63 et 65 (selon le juge Major au nom de la majorité); R. c. Find, 2001 CSC 32, par. 102 (selon la juge en chef McLachlin au nom de la Cour); R. c. J.J., 2022 CSC 28, par. 132 (selon le juge en chef Wagner et le juge Moldaver au nom de la majorité); R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 34, 41 et 50 (selon la juge Martin pour la majorité), voir aussi par. 187 (selon le juge Rowe, motifs concordants).

[36]  R. c. J.J., 2022 CSC 28, par. 132 (selon le juge en chef Wagner et le juge Moldaver au nom de la majorité); R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 41 (selon la juge Martin au nom de la majorité), voir aussi par. 191 (selon le juge Rowe, motifs concordants).

[37]  Voir R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577, page 606; R. c. Darrach, 2000 CSC 46, par. 25. Voir également : G.G. c. R., 2021 QCCA 1835, par. 35, 41.

[38]  Art. 9, 85 et 141 L.a.r.c.c.

[39]  Droit de la famille — 132210, 2013 QCCA 1398, par. 39; Bouchebel c. Société d’hypothèques CIBC, 2006 QCCA 342, par. 36 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2006-11-09, 31455).

[40]  Voir aussi St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, par. 32, 109.

[41]  Art. 2847 al. 1 C.c.Q. : « La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe. »

[42]  En matière de responsabilité civile, voir notamment les art. 1459 et suiv. C.c.Q.

[43]  Voir Pierre-André Côté et Daniel Jutras, Le droit transitoire civil. Sources annotées, Montréal, Yvon Blais, 2019, feuilles mobiles, par. 2.272, à jour le 1er février 2007.

[44]  Voir Pierre-André Côté et Daniel Jutras, Le droit transitoire civil. Sources annotées, Montréal, Yvon Blais, 2019, feuilles mobiles, par. 2.275, à jour le 1er février 2007.

[45]  Dans ses plaidoiries écrites, le défendeur insiste par ailleurs sur le fait que l’article 2858.1 C.c.Q. ne constitue pas une loi visant à protéger le public au sens où l’entend la jurisprudence, notamment, dans les arrêts Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, et Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301. Cet argument semble avoir été abandonné à l’audience, à bon droit, puisque l’exception à la présomption de non-rétrospectivité des lois dont il est question dans ces arrêts n’est pas pertinente en l’espèce, et n’est d’ailleurs pas soulevée par les demanderesses ni le PGQ.

[46]  Exposé sommaire des moyens de défense orale et demande reconventionnelle pour diffamation et abus de droit modifié, paragraphe 8.

[47]  Exposé sommaire des moyens de défense orale et demande reconventionnelle pour diffamation et abus de droit modifié, paragraphe 11 a).

[48]  Exposé sommaire des moyens de défense orale et demande reconventionnelle pour diffamation et abus de droit modifié, paragraphe 5 d).

[49]  Exposé sommaire des moyens de défense orale modifié, paragraphe 6.

[50]  Exposé sommaire des moyens de défense orale modifié, paragraphe 8.

[51]  Exposé sommaire des moyens de défense orale et demande reconventionnelle pour diffamation et abus de droit remodifié, paragraphes 4 et 5.

[52]  Art. 2849 C.c.Q. : « Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doit prendre que celles qui sont graves, précises et concordantes. »

[53]  Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Yvon Blais, 2020, pages 151-152, dont une version antérieure est citée dans ColombieBritannique (Procureur général) c. Provincial Court Judges’ Association of British Columbia, 2020 CSC 20, par. 57.

[54]  X. c. Paquet, 2023 QCCS 1351, par. 38, 83, 85; Herman c. Zajdel, 2023 QCCS 5251, par. 310-317, 327, 357; C.T. c. Dudek, 2022 QCCS 4860, par. 19-20; L.W. c. D.W., 2022 QCCS 1728, par. 231-242; F. c. Frères du Sacré-Cœur, 2021 QCCS 792, par. 19 (permission d’appeler refusée, 2021 QCCA 646).

[55]  2022 QCCS 4860.

[56]  2023 QCCS 5251.

[57]  Voir Corbeil c. Piché, 2024 QCCS 690, par.32 (concernant une objection dans le cadre d’un interrogatoire préalable); Droit de la famille – 24900, 2024 QCCS 2335, par. 31-32; Droit de la famille – 211245, 2021 QCCS 2814, par. 48; E.C. c. École Saint-Vincent-Marie, 2015 QCCS 5996, par. 49; E.G. c. Carrier, 2010 QCCS 2191, par. 179 (appel rejeté, 2010 QCCA 2153; demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2011-05-26, 34071); A c. B, 2007 QCCS 5, par. 15 (appel rejeté, 2008 QCCA 537); Protection de la jeunesse — 074003, 2007 QCCQ 21930, par. 19; Commission scolaire L. c. Courtemanche, J.E. 93-1088, p. 9 (C.S.) (extrait de la décision arbitrale confirmée). Voir aussi Affaires sociales – 63, [1998] T.A.Q. 387, par. 25-26 (le fait de demeurer avec un conjoint violent n’exclut pas l’indemnisation en tant que victime d’acte criminel). En Ontario, voir S.G. v. Criminal Injuries Compensation Board, 2016 ONSC 7485, par. 21; C.P. v. Abbey, 2014 ONSC 7451, par. 23, 24.

[58]  Voir notamment Louise LANGEVIN et Nathalie DES ROSIERS en collab. avec Marie-Pier NADEAU, L’indemnisation des victimes de violence sexuelle et conjugale, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2012, par. 628-633.

[59]  K.M.N. c. S.Z.M., 2024 BCCA 70, par 84.

[60]  Id., par. 122 (La violence familiale est un facteur dont les tribunaux doivent tenir compte dans l’évaluation de l’intérêt d’un enfant en matière de divorce : Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.), art. 16(3)j), (4).).

[61]  Article 169 C.p.c.

[62]  Paquin c. Lapointe, 2023 QCCA 1129 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S.C., 2024-06-27, 40961).

[63]  R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 25; R. c. Darrach, 2000 CSC 46, par. 37; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, par. 74.  

[64]  R. c. Dineley, 2012 CSC 58.

[65]  R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57, par. 70-72.

[66]  Voir notamment R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 89.

[67]  Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Yvon Blais, 2020, page 151-152.

[68]  R. c. J.J., 2022 CSC 28, par. 1.

[69]  R. c. Kruk, 2024 CSC 7, page 7.

[70]  Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts, 2018 QCCA 1439, par. 44 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2019-07-04, 38537), citant Mascouche (Ville de) c. Houle, [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.).

[71]  Aujourd’hui juge à la Cour supérieure.

[72]  Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Yvon Blais, 2020.

[73]  RLRQ, c. C-12.

[74]  Voir Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Yvon Blais, 2020, pages 151-152, citant Brochu c. Loto-Québec, 2009 QCCS 3253, par. 27 et 28, et Carrier c. Québec (Procureur général), 2013 QCCS 2211. Voir aussi Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, par. 71.

[75]  R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 35.

[76]  R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 51; R. c. R.V., 2019 CSC 41, par. 72-75; R. c. Barton, 2019 CSC 33, par. 65.

[77]  Lepage c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2019 QCCA 1981, par. 5; Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Létourneau, 2014 QCCA 944, par. 27-32; Allali c. Lapierre, 2007 QCCA 904, par. 1719.

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